D'Amours c. R. | 2024 QCCA 645 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
| |||||
CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
| |||||
N° : | |||||
(200-36-003063-211) (200-01-240082-200) | |||||
| |||||
DATE : | 21 mai 2024 | ||||
| |||||
| |||||
| |||||
| |||||
MATHIEU D’AMOURS | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
| |||||
SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
| |||||
| |||||
| |||||
[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 15 février 2023 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Nathalie Pelletier)[1], qui rejette son appel d’un jugement rendu le 29 mars 2021 par la Cour du Québec, district de Québec (l’honorable Stéphane Poulin), lequel le déclare coupable d’avoir omis, sans excuse raisonnable, de s’arrêter et de donner ses nom et adresse après que le véhicule qu’il conduisait eut été impliqué dans un accident avec un autre véhicule.
[2] Ses moyens d’appel sont au nombre de deux.
[3] D’une part, la juge aurait erré en droit dans la détermination des éléments constitutifs de l’infraction dont il est accusé et qui est décrite à l’article 320.16 C.cr. D’autre part, elle aurait erré en droit en omettant de conclure que le ministère public était lié par la particularisation du chef d’infraction porté contre lui.
[4] Le 21 février 2020 vers 20 h 45, Jean-Eudes Rouleau (« Rouleau ») conduit son véhicule en direction de sa résidence de Saint-Lambert-de-Lauzon. Il est accompagné de sa conjointe Lucille Bilodeau (« Bilodeau »)[2]. Après avoir effectué un arrêt obligatoire, il aperçoit un camion de type « pick-up » qui se dirige vers lui. Ce camion entre en collision avec son véhicule et s’immobilise un peu plus loin. Bilodeau aperçoit alors un homme en descendre puis y remonter rapidement, pour poursuivre sa route[3]. Ni Rouleau ni Bilodeau ne sont blessés[4].
[5] Une fois rendu à son domicile, Rouleau appelle les policiers pour les informer de l’accident dont il vient d’être victime[5].
[6] Vers 21 h 30, le policier Giguère intercepte le camion conduit par l’appelant dont la description semble correspondre à celui qui est entré en collision avec le véhicule de Rouleau[6]. Il remarque que les facultés de l’appelant sont affaiblies par l’alcool. Il inspecte son véhicule et constate la présence de dommages à la carrosserie qui lui apparaissent être récents. Il procède à l’arrestation de l’appelant et le conduit au poste de police pour lui faire subir un alcootest[7].
[7] Le 24 février 2020, l’appelant comparaît et plaide non coupable aux trois chefs d’infraction portés contre lui dans le dossier 200-01-235410-200[8] :
[8] Plus tard, il modifie son plaidoyer en plaidant coupable aux premier et deuxième chefs[9]. Un arrêt conditionnel est alors ordonné sur le premier et le procès est fixé sur le troisième.
[9] La juge assignée au dossier n’est pas disponible pour présider le procès sur le troisième chef à la date où il devait se tenir. Les parties conviennent donc de scinder le dossier afin qu’il procède devant un autre juge[10].
[10] Une nouvelle dénonciation est préparée et déposée dans un nouveau dossier, soit celui portant le numéro 200-01-240082-200[11]. Cette fois, le troisième chef est rédigé différemment :
[11] Cette nouvelle dénonciation n’a jamais été signifiée à l’appelant[13].
[12] Le procès devant le juge de la Cour du Québec se tient le 18 janvier 2021. Au stade des observations, l’avocate de l’appelant se rend compte que le chef d’infraction contre son client n’est pas identique au troisième chef que l’on retrouvait dans la première dénonciation. L’avocate du ministère public explique alors que la divergence dans son libellé est imputable au système informatique du DPCP qui a été modifié depuis la commission de l’infraction[14].
[13] L’appelant plaide que le nouveau chef ne contient pas tous les éléments constitutifs de l’infraction qu’on lui reproche. L’avocate du ministère public se dit prête à ce que jugement soit rendu en fonction du troisième chef comme il était libellé dans la première dénonciation. Elle fait valoir que le ministère public n’est pas tenu d’offrir de preuve sur tous les éléments du chef d’infraction qu’il porte, s’il estime que certains sont superfétatoires.
[14] Le juge de la Cour du Québec lui répond que :
[ç]a revient au même d’une façon ou d’une autre […] parce que si […] ce n’est pas cumulatif, même si c’est allégué dans le chef, on pourrait quand même arriver à comprendre que tous les éléments sont établis […] dans un cas comme ça, même s’il n’y a pas cette preuve-là.
[Transcription textuelle]
[15] À la fin de ses observations, l’avocate du ministère public invite le juge à déclarer l’appelant coupable de l’infraction comme libellée dans la dénonciation initiale ou dans la seconde, ajoutant que « ça ne changera vraisemblablement rien », ce à quoi le juge acquiesce en lui répondant : « [ç]a revient au même ».
[16] Le juge de la Cour du Québec déclare l’appelant coupable de cette infraction. Une preuve hors de tout doute raisonnable démontre, selon lui, que l’appelant conduisait le véhicule impliqué dans ce délit de fuite. Notamment, il retient, comme preuve incriminante, le fait que l’appelant a admis au policier Giguère, après que ses droits lui eurent été lus, être l’auteur de ce délit de fuite.
[17] En plus de nier avoir été impliqué dans cet accident, l’appelant a plaidé, de façon subsidiaire, que le ministère public n’avait pas prouvé tous les éléments constitutifs de l’infraction dont on l’accuse. Selon lui, pour être reconnu coupable de cette infraction, il ne suffisait pas que le véhicule qu’il conduisait ait été impliqué dans un accident « avec une personne ou un autre moyen de transport » et qu’il ait omis de s’arrêter et « de donner ses nom et adresse ». Le ministère public devait également prouver qu’une personne avait été blessée ou semblait avoir besoin d’assistance. Or, ni Rouleau ni Bilodeau n’ont été blessés ou n’ont semblé avoir besoin d’aide.
[18] Le juge rejette l’interprétation qu’il fait du paragraphe 320.16(1) C.cr. Pour commettre l’infraction prévue à cette disposition, il suffisait, selon le juge, « que la poursuite prouve le défaut de se conformer à un seul des devoirs qui y sont mentionnés » : arrêter son véhicule, donner ses nom et adresse ou offrir de l’assistance à une personne qui a été blessée ou semble avoir besoin d’assistance. À cet égard, il s’en remet à l’interprétation que notre Cour a fait de l’ancien paragraphe 252(1)[15] C.cr. dans Bourgault c. R.[16], ainsi qu’à un ouvrage de doctrine[17].
[19] Dans son jugement, le juge ne revient pas sur la question de la modification de la dénonciation.
[20] L’appelant interjette appel de ce jugement devant la Cour supérieure.
[21] Ses moyens d’appel sont les suivants :
[22] La juge de la Cour supérieure rejette son appel.
[23] Sur le premier moyen, elle conclut que l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve.
[24] Sur le deuxième moyen, elle est d’avis que le juge de la Cour du Québec a bien interprété le paragraphe 320.16(1) C.cr. qui est entré en vigueur en décembre 2018 à la suite de la sanction de la Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois[18]. Ce nouveau paragraphe 320.16(1) C.cr remplace l’ancien paragraphe 252(1) C.cr.
[25] La juge de la Cour supérieure est d’avis que l’actus reus décrit dans le nouveau paragraphe 320.16(1) C.cr. est identique à celui décrit dans l’ancien article 252 C.cr.[19]. En ce qui a trait à la mens rea, elle souligne qu’elle est formulée de façon différente. Elle note que désormais, « l’inconscience est […] suffisante et le poursuivant n’est plus tenu de prouver que l’accusé a quitté les lieux dans le but d’éviter toute responsabilité civile ou criminelle »[20].
[26] Voici comment elle s’explique :
[65] En définitive, il appert que la conclusion rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Roche à l’effet qu’une lecture disjonctive des trois obligations prévues en cas d’accident véhiculaire, arrêter, donner son nom et adresse ou d’offrir assistance, au Code criminel est toujours priorisée, malgré la modification survenue en 2018.
[66] Cela s’explique du fait que la syntaxe utilisée tant en français qu’en anglais impose une virgule dans la phrase, qui implique la lecture disjonctive des trois obligations prévues en cas d’accident. Cette lecture est également la même pour la version anglaise, puisque la virgule est placée après le mot « and » implique nécessairement que la condition d’assurer assistance à une personne qui a été blessée ou semble avoir été blessée ne se cristallise que dans la mesure où effectivement une personne a été blessée et qu’il y une preuve à cet effet.
[Transcription textuelle; référence omise]
[27] La juge de la Cour supérieure rejette également le troisième moyen d’appel. Certes, la modification d’un chef d’infraction à l’étape du procès ne peut être faite si elle cause un préjudice à l’accusé[21]. Ce dernier « a le droit de connaître l’infraction le visant et de présenter une défense adaptée à cette infraction », explique la juge. Or, elle est d’opinion que la modification du chef en question n’a pas eu cet effet :
[76] En l’espèce, le nouveau chef d’accusation n’a pas modifié l’infraction en tant que telle. Les éléments de l’actus reus demeurent les mêmes, seule la mens rea ayant été modifiée.
[77] Malgré la modification, la procureure de l’appelant a eu l’opportunité de plaider et de défendre l’appelant selon la théorie que l’omission d’arrêter son véhicule lorsqu’une personne est blessée ou semblait l’être est un élément essentiel de l’infraction visée par l’article 320.16 du Code criminel.
[78] Or, même si les modifications avaient été apportées, il n’en demeure pas moins que les éléments n’étaient pas cumulatifs ni sous l’article 252 ni sous l’article 320.16 du Code criminel.
[28] En somme, il y a, selon elle, absence de préjudice, « puisque l’interprétation que fait l’appelant des éléments essentiels de l’infraction des articles 252 et 320.16 du Code criminel est erronée »[22].
[29] Le juge Jocelyn F. Rancourt de notre Cour accorde la permission d’appeler[23] sur les moyens suivants :
1. La juge de la Cour supérieure a erré en droit dans la détermination des éléments constitutifs de l’infraction décrite au paragraphe 320.16(1) C.cr.
2. Elle a aussi erré en droit en ne considérant pas que la poursuite était liée par la particularisation de son chef d’infraction.
[30] La norme d’intervention qui s’applique ici est celle de la décision correcte[24].
[31] Dans Paul c. R, la Cour rappelle la démarche à suivre lorsqu’elle entend l’appel d’une décision de la Cour supérieure en vertu du paragraphe 839(1) C.cr., comme c’est le cas en l’espèce :
L’erreur de droit est celle qu’aurait commise la cour intermédiaire d’appel, en l’occurrence la Cour supérieure. Si la décision de la Cour des poursuites sommaires n’est pas à proprement parler l’objet de l’appel devant la Cour, elle demeure néanmoins pertinente à l’examen des moyens soulevés comportant une question de droit.[25]
[Références omises]
[32] Selon la jurisprudence et la doctrine existantes[26], l’actus reus de l’infraction de délit de fuite est établi par la preuve des éléments suivants : i) l’accusé conduisait un moyen de transport; ii) qui a été impliqué dans un accident; iii) avec une personne ou un autre moyen de transport et iv) a omis de s’arrêter, de donner ses nom et adresse et, en présence d’une personne blessée ou qui semblait avoir besoin d’assistance, de lui offrir son assistance.
[33] Or, l’appelant plaide que l’état du droit en cette matière a changé depuis l’entrée en vigueur du paragraphe 320.16(1) C.cr. La présence d’une personne blessée ou qui semble avoir besoin d’assistance serait désormais une composante essentielle de l’actus reus. Pour cette raison, il faudrait prendre garde, selon lui, de s’en remettre aveuglément aux autorités antérieures à son adoption étant donné que son libellé diffère de celui de l’ancien paragraphe 252(1) C.cr. Voici comment ces deux dispositions sont rédigées :
Défaut d’arrêter lors d’un accident | Failure to stop at scene of accident |
252 (1) Commet une infraction quiconque, ayant la garde, la charge ou le contrôle d’un véhicule, d’un bateau ou d’un aéronef, omet dans l’intention d’échapper à toute responsabilité civile ou criminelle d’arrêter son véhicule, son bateau ou, si c’est possible, son aéronef, de donner ses nom et adresse, et lorsqu’une personne a été blessée ou semble avoir besoin d’aide, d’offrir de l’aide, dans le cas où ce véhicule, bateau, ou aéronef est impliqué dans un accident : a) soit avec une autre personne; b) soit avec un véhicule, un bateau ou un aéronef; c) soit avec du bétail sous la responsabilité d’une autre personne, dans le cas d’un véhicule impliqué dans un accident. […] | 252 (1) Every person commits an offence who has the care, charge or control of a vehicle, vessel or aircraft that is involved in an accident with (a) another person, (b) a vehicle, vessel or aircraft, or (c) in the case of a vehicle, cattle in the charge of another person, and with intent to escape civil or criminal liability fails to stop the vehicle, vessel or, if possible, the aircraft, give his or her name and address and, where any person has been injured or appears to require assistance, offer assistance. […] |
320.16 (1) Commet une infraction quiconque conduisant un moyen de transport, sachant que celui-ci a été impliqué dans un accident avec une personne ou un autre moyen de transport ou ne s’en souciant pas, omet, sans excuse raisonnable, d’arrêter le moyen de transport et de donner ses nom et adresse, et d’offrir de l’assistance à une personne qui a été blessée ou semble avoir besoin d’assistance. […] | 320.16 (1) Everyone commits an offence who operates a conveyance and who at the time of operating the conveyance knows that, or is reckless as to whether, the conveyance has been involved in an accident with a person or another conveyance and who fails, without reasonable excuse, to stop the conveyance, give their name and address and, if any person has been injured or appears to require assistance, offer assistance. […] |
[Soulignements ajoutés]
[34] L’appelant concède que, dans sa version anglaise, l’article 320.16 C.cr. ne fait pas de la présence d’une personne blessée ou qui semble avoir besoin d’assistance, un élément essentiel de l’infraction de délit de fuite. L’emploi du mot « if » ne laisserait planer aucun doute à ce sujet[27]. En revanche, le texte français n’a pas d’équivalent à ce « if », ce qui le rendrait plus restrictif.
[35] La lecture que l’appelant fait du texte français lui fait conclure que la présence d’une personne blessée ou qui semble avoir besoin d’assistance sur les lieux d’un délit de fuite devrait, dans tous les cas, être prouvée. En d’autres mots, la version française comporterait un élément constitutif de plus que la version anglaise.
[36] L’appelant invite la Cour à faire sienne son interprétation du texte français de l’article 320.16 C.cr. Celle-ci serait conforme à l’intention du législateur qui est d’assurer la sécurité, la vie et la santé des Canadiennes et des Canadiens. L’adoption de l’article 320.16 C.cr. témoignerait de la volonté du législateur de punir plus sévèrement ceux qui commettent l’infraction de délit de fuite. De fait, bien que l’intention soit passée de spécifique à générale, la peine maximale qui y est rattachée a doublé (5 à 10 ans). En retour, le législateur l’aurait restreinte aux délits de fuite impliquant une personne blessée ou semblant avoir besoin d’assistance, s’en remettant, pour le reste, à la réglementation provinciale en matière de sécurité routière.
[37] Il y aurait donc, selon l’appelant, une antinomie entre les versions anglaise et française de l’article 320.16 C.cr.
[38] Renvoyant à l’arrêt R. c. Daoust[28], il plaide que la règle de l’interprétation contextuelle ne permet pas d’ajouter au texte de la version française en y insérant des mots qui ne s’y trouvent pas. Il faudrait plutôt rechercher le sens commun des deux versions :
Le justiciable doit pouvoir connaître les limites de sa responsabilité à la lecture des dispositions législatives applicables, peu importe la langue officielle. Troisièmement, les règles d’interprétation des lois bilingues suggèrent une méthode selon laquelle on devrait privilégier le sens commun aux deux versions du texte législatif. Le sens commun aux deux versions est normalement la version la moins large de l’art. 462.31 C. cr., en l’espèce, la version française. C’est donc cette version qui doit au départ être soumise au test de conformité avec l’intention législative[29].
[39] Selon l’appelant, ce sens commun serait donc celui de la version la plus restrictive, soit la version française. La juge de la Cour supérieure aurait donc erré en droit en concluant comme elle l’a fait.
[40] De son côté, l’intimé reconnaît que la mens rea de l’infraction de délit de fuite a été modifiée pour devenir d’intention générale. En revanche, l’actus reus est demeuré identique. Si un doute existe dans la version française, il est dissipé par la version anglaise.
[41] Le premier moyen d’appel doit échouer.
[42] Dans R. c. Daoust[30], la Cour suprême, sous la plume du juge Bastarache, énonce les principes d’interprétation qui doivent nous guider :
27. […] La première étape consiste à déterminer s’il y a antinomie. Si les deux versions sont absolument et irréductiblement inconciliables, il faut alors s’en remettre aux autres principes d’interprétation : […].
28. Il faut vérifier s’il y a ambiguïté, c’est-à-dire si une ou les deux versions de la loi sont « raisonnablement susceptible[s] de donner lieu à plus d’une interprétation » : Bell ExpressVu, précité, par. 29. S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c’est-à-dire chercher le sens qui est commun aux deux versions : Côté, op. cit., p. 413. Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire […].
29. Si aucune des deux versions n’est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive […]. Le professeur Côté illustre ce point comme suit, à la p. 414 :
Dans un troisième type de situation, l’une des deux versions a un sens plus large que l’autre, elle renvoie à un concept d’une plus grande extension. Le sens commun aux deux versions est alors celui du texte ayant le sens le plus restreint.
30. La deuxième étape consiste à vérifier si le sens commun ou dominant est conforme à l’intention législative suivant les règles ordinaires d’interprétation : Côté, op. cit., p. 415-416. Sont pertinents à cette étape les propos du juge Lamer dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1071 :
Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions. Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui-ci semble conciliable avec l’objet et l’économie générale du Code.
[Soulignement ajouté]
[43] Le postulat sur lequel se fonde l’appelant, soit celui de l’antinomie entre les versions française et anglaise, est faux. Les deux versions ne sont pas inconciliables. Au contraire, il est possible de lire la version française comme signifiant que seule l’obligation d’offrir de l’assistance est conditionnelle à la présence d’une personne blessée ou qui semble avoir besoin d’assistance. C’est d’ailleurs ce que suggère la présence de la virgule qui précède la conjonction « et » à la neuvième ligne du texte du paragraphe 320.16(1) C.cr. reproduit au paragraphe 33 du présent arrêt. Autrement, il est raisonnable de penser que la notion que l’accident doit impliquer une personne qui a été blessée aurait été introduite beaucoup plus tôt dans le texte.
[44] Si un doute persiste, il faut alors conclure que le paragraphe 320.16(1) C.cr. est susceptible de recevoir deux interprétations. La première est celle selon laquelle l’énumération des omissions possibles serait conjonctive (les éléments doivent tous avoir été omis). Cette interprétation ferait de l’omission d’offrir de l’assistance, et donc de la présence d’une personne blessée ou qui semble avoir besoin d’assistance, un élément essentiel de l’infraction. La seconde est celle où l’on en fait plutôt une lecture disjonctive et conditionnelle. Selon cette interprétation, l’omission d’offrir de l’assistance ne serait pertinente que si quelqu’un a été blessé ou semble avoir besoin d’assistance. Or, l’appelant convient que la version anglaise ne souffre d’aucune ambiguïté. En effet, personne ne doute que l’énumération est disjonctive et on y précise « if any person has been injured or appears to require assistance ». Les deux versions ont donc un sens commun, soit celui de l’énumération disjonctive et conditionnelle. C’est d’ailleurs l’interprétation que la Cour suprême donne, dans R. c. Roche[31], à la disposition du Code criminel créant l’infraction de délit de fuite, telle qu’elle se lisait en 1979.
[45] Ce sens commun est conforme à l’intention du législateur. S’il fallait retenir l’interprétation que propose l’appelant, cela voudrait dire que peu importe la gravité des dommages qu’il a causés à un autre véhicule, l’automobiliste qui fuit la scène d’un accident ne serait susceptible d’aucune sanction criminelle à moins d’avoir blessé une autre personne ou créé chez elle le besoin qu’on lui prête assistance. Autrement, les seules sanctions possibles seraient celles prévues au Code de la sécurité routière[32]. La Cour ne peut se convaincre que l’intention du législateur, lorsqu’il a modifié le Code criminel pour remplacer le paragraphe 252(1) par le nouvel article 320.16, ait été de ne pas punir un tel comportement.
[46] De plus, si le paragraphe 320.16(1) C.cr. n’avait pour objet que les accidents au cours desquels une personne est blessée ou semble avoir besoin d’assistance, le paragraphe 320.16(2) C.cr. serait, pour l’essentiel, redondant, puisqu’il vise précisément les situations où un accident a entraîné des lésions corporelles :
Accident ayant entraîné des lésions corporelles | Accident resulting in bodily harm |
320.16 (2) Commet une infraction quiconque commet une infraction prévue au paragraphe (1), sachant que l’accident a entraîné des lésions corporelles à une autre personne ou ne s’en souciant pas. | 320.16(2) Everyone commits an offence who commits an offence under subsection (1) and who at the time of committing the offence knows that, or is reckless as to whether, the accident resulted in bodily harm to another person. |
[47] En somme, l’appelant ne démontre pas l’existence d’une antinomie entre les versions française et anglaise. Si véritablement la version française est ambiguë, elle est alors susceptible de deux interprétations. L’une d’elles correspond à la seule signification possible de la version anglaise. C’est ce sens commun qu’il faut retenir.
[48] Pour récapituler, il faut, pour commettre l’actus reus de l’infraction prévue à l’article 320.16 C.cr., conduire un moyen de transport qui est impliqué dans un accident avec une personne ou un autre moyen de transport et faire défaut 1) d’arrêter ce moyen de transport, 2) de donner ses nom et adresse ou 3) d’offrir de l’aide à une personne qui a été blessée ou semble avoir besoin d’assistance. Il n’est pas nécessaire d’offrir son aide si personne n’est blessée ou ne semble avoir besoin d’assistance. Mais, même dans ce cas, le conducteur doit à la fois arrêter son moyen de transport et donner ses nom et adresse, une seule des deux actions ne suffisant pas.
[49] Le premier moyen d’appel est donc rejeté.
[50] L’appelant convient que la modification d’un chef d’infraction est possible pourvu que la transaction criminelle en faisant l’objet demeure la même et que l’accusé n’en subisse pas préjudice. En somme, il ne doit pas résulter du chef modifié une infraction différente de l’infraction initiale. L’appelant reconnaît tout autant que l’omission du ministère public de prouver certains faits allégués dans un chef d’infraction n’entraîne pas son rejet s’il ne s’agit pas d’éléments essentiels de l’infraction reprochée.
[51] Pour rappel, le troisième chef de la dénonciation initiale et celui de la nouvelle sont ainsi rédigés :
Dénonciation initiale | Nouvelle dénonciation |
3. Le ou vers le 21 février 2020, à Saint-Lambert-de-Lauzon, district de Québec, ayant conduit un moyen de transport, soit un véhicule à moteur, sachant ou ne se souciant pas que celui-ci a été impliqué dans un accident avec un autre moyen de transport, soit un véhicule à moteur, a omis, sans excuse raisonnable, de s’arrêter, de donner ses nom et adresse, et Jean-Eudes Rouleau ayant été blessé ou semblant avoir besoin d’aide, n’a pas offert d’aide, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue à l’article 320.16(1)-320.19(5) du Code criminel. | 1. Le ou vers le 21 février 2020, à Saint-Lambert-de-Lauzon, district de Québec, ayant conduit un moyen de transport, soit un véhicule à moteur, sachant ou ne se souciant pas que celui-ci a été impliqué dans un accident avec un autre moyen de transport, soit un véhicule à moteur, a omis, sans excuse raisonnable, de s’arrêter de donner ses nom et adresse, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue à l’article 320.16(1)-320.19(5) du Code criminel.] |
[Soulignement ajouté]
[52] L’appelant plaide que l’intimé est lié par le libellé du troisième chef contenu dans la dénonciation initiale dans lequel il était indiqué que Rouleau était blessé ou semblait avoir besoin d’aide. Il reconnaît dans son exposé avoir « pu plaider sa théorie sur les éléments constitutifs de l’infraction de l’omission de s’arrêter ». Néanmoins, il allègue avoir subi un préjudice du fait de la modification du chef d’infraction. Sa défense aurait été préparée autrement s’il avait eu connaissance du libellé du nouveau chef, lequel était muet sur la question des blessures subies par Rouleau et de l’omission d’avoir offert de l’aide. Il aurait investi plus d’effort sur le volet relatif à l’identification et aurait demandé la tenue d’un voir-dire portant sur la recevabilité de sa déclaration verbale aux policiers selon laquelle il admettait être entré en collision avec le véhicule de Rouleau.
[53] L’appelant doit également échouer sur ce second moyen.
[54] Le problème n’est pas que le chef d’infraction ait été reformulé, mais plutôt que la lecture que l’appelant faisait de l’article 320.16 C.cr. n’était pas bonne. D’ailleurs, l’intimé a fait l’offre, au stade des observations, de revenir à l’ancien libellé, mais l’appelant ne l’a pas saisie. Au surplus, l’appelant avait annoncé, dans le formulaire de fixation à procès portant la date du 12 juin 2020, qu’il entendait contester le caractère libre et volontaire de sa déclaration aux policiers. Pour des raisons qui lui sont propres, il y a renoncé. De plus, il ressort des observations de l’avocate de l’appelant au procès que la première ligne de défense de son client était qu’il n’était pas l’auteur du délit de fuite.
[55] Certes, le libellé du troisième chef figurant dans la dénonciation initiale a pu donner espoir à l’appelant que son interprétation du paragraphe 320.16(1) C.cr. prévaudrait. Pour autant, il ne démontre pas avoir été privé de son droit à une défense pleine et entière.
[56] Le second moyen d’appel doit lui aussi échouer.
[57] REJETTE l’appel.
| ||
|
| |
| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. | |
| ||
|
| |
| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
| ||
|
| |
| ÉRIC HARDY, J.C.A. | |
| ||
Me Sarah Brouillette | ||
Levasseur & associés avocats | ||
Pour l’appelant | ||
| ||
Me Olivier T. Raymond | ||
Me Marie-Lou Gagnon | ||
Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
Pour l’intimé | ||
| ||
Date d’audience : | 21 février 2024 | |
[1] D'Amours c. R., 2023 QCCS 416 [le « jugement entrepris »].
[2] Id., paragr. 5.
[3] Id., paragr. 6-7.
[4] Id., paragr. 6.
[5] Id., paragr. 8.
[6] Id., paragr. 9.
[7] Id., paragr. 10-11.
[8] Id., paragr. 16.
[9] Id., paragr. 17.
[10] Id.
[11] Id., paragr. 17-18.
[12] Id., paragr. 19.
[13] Id., paragr. 21.
[14] Id., paragr. 20.
[15] Remplacé depuis par le paragraphe 320.16(1) C.cr.
[16] 2014 QCCA 273, paragr. 68.
[17] Gabriel Bervin, « Les infractions relatives aux véhicules à moteur », dans Collection de droit 2022-2023, École du Barreau du Québec, vol. n 13, Droit pénal – Infractions, moyens de défense et peine, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2022, p. 173, à la page 187.
[18] L.C. 2018, ch. 21, art.15.
[19] Jugement entrepris, paragr. 63.
[20] Id.
[21] Id., paragr. 75.
[22] Id., paragr. 80.
[23] 2023 QCCA 371.
[24] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 8; R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, paragr. 18; Paul c. R., 2017 QCCA 245, paragr. 38 et 39; Rousselle c. R., 2024 NBCA 3, paragr. 22.
[25] Paul c. R., supra, note 24, paragr. 39.
[26] R. c. Roche, [1983] 1 R.C.S. 491; Bourgault c. R., supra, note 16, paragr. 68; G. Bervin, supra, note 17, p. 186-187; Karen Jokinen, and Peter Keen, Impaired Driving and Other Criminal Code Driving Offences: A Practitioner's Handbook, 2nd ed., Toronto, Emond Publishing, 2023, p. 171.
[27] C’est d’ailleurs ainsi que l’article 320.16 C.cr. a été interprété ailleurs au Canada : R. c. Dionne, 2022 BCSC 959, paragr. 26-27; R. c. Thijs, 2022 ABKB 608, paragr. 199-200; R. c. Devellano, 2022 YKTC 19, paragr. 46; R. c. Harnett, 2022 ONCJ 65, paragr. 152; Jokinen and Keen, supra, note 26, p.171.
[28] 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217.
[29] Id., paragr. 2.
[31] Supra, note 26, p. 495-496.
[32] RLRQ, c. C-24.2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.