Décision

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Bellemare c. R.

2025 QCCA 822

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007607-219

(455-01-016762-191, SEQ. 002)

 

DATE :

26 juin 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

JEAN-PIERRE BELLEMARE

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance de non-publication en vertu des articles 486.31 et 486.4 C.cr. a été rendue en première instance, interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime et du témoin.

  1.                 L’appelant se pourvoit contre les verdicts de culpabilité prononcés le 17 mai 2021 par un jury au terme d’un procès présidé par l’honorable Gaétan Dumas de la Cour supérieure, chambre criminelle, district de Bedford. L’appelant a été déclaré coupable d’enlèvement, de séquestration et d’extorsion.


  1.                 Pour les motifs du juge Cournoyer, auxquels souscrivent les juges Hamilton et Moore, LA COUR :
  2.                 REJETTE l’appel.

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

Me Emilie Guilmain-Serdakowski

Pour l’appelant

 

Me Francis Villeneuve-Ménard

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

12 mars 2024


 

 

MOTIFS DU JUGE COURNOYER

 

 

  1.                 L’appelant a été déclaré coupable par un jury d’avoir enlevé une adolescente de 12 ans, de l’avoir séquestrée et d’avoir commis une extorsion.
  2.                 Il a été déclaré délinquant dangereux et une peine d’emprisonnement à durée indéterminée lui a été infligée[1]. L’appelant ne conteste pas cette peine.
  3.                 L’appelant se pourvoit contre ces déclarations de culpabilité et recherche la tenue d’un nouveau procès. Il soulève deux moyens d’appel : 1) le juge aurait erré dans l’analyse du caractère libre et volontaire de ses déclarations extrajudiciaires aux policiers; 2) l’exposé au jury serait défaillant en raison de plusieurs omissions et d’une description erronée de la preuve.
  4.                 Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appelant a raison en ce qui a trait au premier moyen. Le juge a commis des erreurs de droit dans l’évaluation du caractère volontaire des déclarations obtenues de l’appelant durant un interrogatoire qui a duré plus de 15 heures et dont la portion la plus déterminante n’a pas été enregistrée par les policiers.
  5.                 Quant au deuxième moyen, le jury a été correctement outillé pour trancher cette affaire à une exception près. Une directive au sujet de l’absence d’un enregistrement vidéo des aveux de l’appelant était nécessaire dans l’exposé au jury et l’omission de le faire était une erreur sérieuse.
  6.                 Cela dit, je suis néanmoins d’avis qu’il convient d’appliquer la disposition réparatrice puisque le verdict aurait été le même. La preuve établissant la culpabilité de l’appelant, même si on exclut ses déclarations et la lettre d’excuses à la victime qu’il a rédigée, est tout simplement écrasante.

I - Contexte

  1.            Bien que les moyens d’appel qui doivent être tranchés n’exigent pas de résumer avec moult détails les faits entourant la commission des infractions, une mise en contexte s’avère tout de même utile.
  2.            Le 19 septembre 2018, alors qu’elle s’en va attendre l’autobus scolaire près de chez elle, la victime, une jeune adolescente de 12 ans, est violemment enlevée par deux hommes au moment où elle passe près d’une fourgonnette équipée d’une porte coulissante.
  3.            Elle est immédiatement transportée dans une maison abandonnée située à environ un kilomètre du lieu où elle a été enlevée. Les ravisseurs stationnent la fourgonnette dans le garage de la maison, placent un sac sur sa tête et l’amènent au sous-sol. Ils l’attachent avec du ruban adhésif industriel pour l’empêcher de s’enfuir.
  4.            La victime fournit aux ravisseurs ses informations personnelles, y compris ses mots de passe, et leur indique qu’ils peuvent entrer en contact avec sa mère par le biais de l’application Messenger. La victime précise néanmoins que, pour ce faire, il est nécessaire que son téléphone puisse se connecter à un réseau Wi-Fi. Les ravisseurs laissent la victime sans surveillance et quittent la maison.
  5.            À 9 h 02, la mère de la victime — qui travaille dans une succursale de la Banque CIBC — reçoit un appel en provenance du compte Messenger de sa fille. Un homme dont la langue maternelle n’est pas l’anglais lui demande en anglais d’ouvrir le coffre-fort de la banque et lui fait entendre la voix de sa fille.
  6.            Environ trois heures après le début des événements, la victime se libère de ses liens et quitte la maison. Elle se dirige vers son domicile où un ami de son père et un policier la retrouvent. À 13 h 03, la mère de la victime reçoit un appel téléphonique. Elle ne comprend pas ce qui est dit, mais elle reconnaît la voix, qui est celle de l’interlocuteur avec qui elle a parlé quelques heures plus tôt.
  7.            Le lendemain, l’appelant se présente aux douanes américaines au volant d’une fourgonnette Dodge Caravan qu’il a achetée deux jours avant l’enlèvement. Lorsqu’ils découvrent que l’appelant est en possession d’une arme à feu, les agents américains procèdent à son arrestation.
  8.            L’appelant demeure incarcéré aux États-Unis jusqu’au 28 juin 2019. Il est alors conduit aux douanes canadiennes où les autorités canadiennes procèdent à son arrestation.
  9.            Interrogé pendant plusieurs heures au quartier général de la Sûreté du Québec à Montréal, l’appelant avoue sa participation à l’enlèvement de la victime et à d’autres infractions[2].
  10.            L’admissibilité de ces aveux fait l’objet du premier moyen d’appel. L’appelant reproche aux policiers de ne pas avoir enregistré la dernière portion de son interrogatoire où il avoue sa culpabilité et rédige une lettre d’excuses à la victime.

II - La preuve de la culpabilité de l’appelant

  1.            Voici un bref résumé de la preuve présentée par le poursuivant.
  2.            La victime affirme avoir été menottée par ses ravisseurs. Bien que des menottes n’aient pas été retrouvées dans la fourgonnette de l’appelant, les agents douaniers américains y ont découvert une clé de menottes.
  3.            Plusieurs gants ont été retrouvés dans la fourgonnette de l’appelant. Des traces d’ADN de la victime ont été découvertes sur deux paires de gants distinctes. Les profils génétiques de l’appelant et de son complice ont également été relevés sur ces gants.
  4.            Une empreinte de chaussure trouvée dans la maison où la séquestration a eu lieu concorde avec la semelle d’une sandale retrouvée dans le véhicule de l’appelant.
  5.            Une trace de pneu compatible avec le profil des pneus dont était équipée la fourgonnette de l’appelant a également été découverte près du garage de la maison où la victime a été séquestrée.
  6.            Par ailleurs, l’ensemble des caractéristiques physiques et chimiques des morceaux de ruban adhésif correspondent à celles du rouleau retrouvé dans le véhicule de l’appelant. Cela dit, la possibilité que le ruban adhésif employé pour ligoter la victime provienne d’un autre rouleau du même fabricant, fabriqué à des semaines d’intervalles, ne pouvait pas être complètement exclue.

***

  1.            Le matin de l’enlèvement, la mère de la victime reçoit un appel à 9 h 02 provenant du compte Messenger de sa fille.
  2.            La preuve établit que cet appel a été effectué en utilisant l’adresse IP du Tim Hortons situé sur le chemin Knowlton, à Lac-Brome. À la lumière de l’ensemble de la preuve présentée par le poursuivant, l’image d’une personne pouvant être identifiée comme l’appelant a été captée par des caméras de sécurité à cet endroit entre 8 h 55 et 9 h 03. L’homme filmé conduit un véhicule du même modèle que celui de l’appelant et utilise une tablette électronique protégée par un étui mauve muni d’une poignée. Un étui semblable a été saisi par les douaniers américains dans le véhicule de l’appelant. Il est habillé de la même manière que l’homme qui sera filmé plus tard dans la journée à Brossard. L’appelant aurait vraisemblablement fait l’appel Messenger à partir de la salle de toilettes du Tim Hortons.
  3.            À 12 h 38, les caméras de sécurité d’une station-service (Couche-Tard/Ultramar) à Brossard captent l’image d’une personne pouvant assez facilement être identifiée comme l’appelant. Une fois de plus, l’individu filmé conduit un véhicule du même modèle que celui de l’appelant, est habillé de la même manière que l’homme filmé à Lac-Brome le matin même et tient entre ses mains une tablette électronique protégée par le même type d’étui mauve. Il demande de la monnaie à la caissière en lui expliquant qu’il veut utiliser un téléphone public.
  4.            À 13 h 03, la mère de la victime reçoit un appel téléphonique provenant du téléphone public situé à proximité de cette station-service. Elle ne comprend pas ce qui est dit, mais elle croit reconnaître la voix de l’homme à qui elle a parlé le matin avant que la communication ne soit interrompue.
  5.            Le téléphone portable de l’appelant a été capté par des tours cellulaires à Knowlton à 9 h 36 et ensuite à Montréal vers 14 h. Ce téléphone a été utilisé pour faire de multiples appels à son complice et les déplacements de ce dernier correspondent à ceux de l’appelant.

III - Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que la déclaration extrajudiciaire de l’appelant était libre et volontaire?

A - La norme de contrôle applicable

  1.            En l’absence d’erreur concernant l’application du cadre juridique pertinent, les conclusions d’un juge quant au caractère libre et volontaire d’une déclaration extrajudiciaire faite à la police commandent la retenue. Le juge Jamal a récemment résumé la norme de contrôle pertinente dans l’arrêt Beaver[3] :

[54] À défaut d’erreur de droit en ce qui a trait aux principes juridiques applicables, l’application que le juge du procès a faite du cadre d’analyse relatif au caractère volontaire est une question de fait ou une question mixte de fait et de droit qui commande la déférence en appel (Oickle, par. 22; Spencer, par. 1618; Tessier (CSC), par. 46). Un simple désaccord quant au poids donné aux divers éléments de preuve n’est pas un motif justifiant d’infirmer la conclusion tirée par le juge du procès à l’égard du caractère volontaire (Oickle, par. 22).

  1.            Ainsi, si l’appelant n’est pas en mesure de relever d’erreur de droit, la Cour ne devrait pas intervenir à moins de déceler une erreur manifeste et déterminante dans les motifs du juge. Il s’agit d’une analyse hautement contextuelle et les « règles rigides sont peu nombreuses »[4].
  2.            Je souligne que l’appelant n’a pas sollicité la permission d’appeler à l’égard de questions de fait ou mixtes de faits et droit.

B - La position de l’appelant

  1.            Lors du procès, l’appelant recherchait l’exclusion de ses aveux aux policiers et de la lettre d’excuses qu’il avait rédigée à la victime.
  2.            Selon l’appelant, un climat d’oppression existait au moment où il a fait ses déclarations extrajudiciaires aux agents de police. Bien que l’atmosphère puisse être décrite comme étant calme au début de l’interrogatoire, vers 23 h 53, la situation change à partir de 12 h 41, soit environ 13 heures plus tard. Il s’agirait d’un point de non-retour. À partir de ce moment, un changement radical dans l’attitude de l’appelant s’opère. Il se trouve dès lors dans un état de grande fragilité mentale.
  3.            L’appelant prétend que les agents auraient dû mettre fin à l’interrogatoire à ce moment précis, puisque les circonstances correspondaient à un climat d’oppression ou à un effondrement émotionnel complet l’ayant privé d’un état d’esprit conscient. Cela est particulièrement vrai, soutient-il, en raison du fait que de son comportement amène les policiers à s’inquiéter des pensées suicidaires qu’il nourrissait vers la fin de la portion enregistrée de l’interrogatoire.
  4.            L’appelant énumère de nombreux indices qui étayent, selon lui, cette prétention : 1) il n’y a eu que trois pauses de dix minutes chacune durant tout l’interrogatoire; 2) l’appelant était anxieux, il pleurait et disait qu’il avait besoin d’aide; 3) les agents ont minimisé les accusations qui pesaient contre l’appelant; 4) l’un des policiers a proposé à l’appelant de rédiger une lettre d’excuses à la victime; 5) ses aveux — y compris la rédaction de la lettre d’excuses — n’ont pas été enregistrés et les notes prises par les agents s’avèrent insuffisantes.
  5.            Selon l’appelant, le cumul de ces facteurs aurait dû amener le juge à conclure que ses déclarations n’étaient pas libres et volontaires.

C - Le jugement sur l’admissibilité des aveux de l’appelant

  1.            Le juge a déclaré admissibles les aveux de l’appelant de même que la lettre d’excuses qu’il a rédigée. À son avis, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire des déclarations de l’appelant[5].
  2.            Avant de procéder à l’analyse du premier moyen de l’appelant, je résume maintenant les motifs du juge à l’égard de chacun des éléments soulevés par l’appelant.

1) Les pauses et la fatigue de l’appelant

  1.            Le juge remarque qu’au début de l’interrogatoire l’appelant ne semblait pas fatigué. Il se fonde sur le témoignage des deux agents lors du voir-dire ainsi que sur l’enregistrement vidéo de l’interrogatoire[6]. En outre, note-t-il, « [si] [l’appelant] est inconfortable, s’il a faim, s’il a soif ou s’il veut aller à la toilette, il le demande et les policiers acquiescent immédiatement »[7]. Le juge remarque que, malgré la durée de l’interrogatoire, l’appelant ne parle de sa fatigue qu’à quelques reprises tout en précisant néanmoins que « ça va aller »[8]. Chaque fois que l’appelant revient des toilettes, les policiers confirment que l’appelant n’a pas eu de conversation et qu’il n’a pas fait l’objet de menaces ou de promesses[9].

2) L’état d’anxiété de l’appelant

  1.            Le juge note que l’état d’anxiété de l’appelant augmente au fil de l’interrogatoire[10]. À 12 h 44, l’appelant éclate en sanglots, demande de pouvoir se promener à l’extérieur de la salle et ajoute « on va arrêter ça là »[11].
  2.            Les policiers conviennent de permettre à l’appelant de se promener dans un corridor et par la suite dans une salle du mess des sous-officiers, un espace à la fois large et suffisamment sécuritaire[12]. L’appelant est menotté avec ses mains devant lui afin d’assurer sa propre sécurité[13].
  3.            Cette dernière partie de l’interrogatoire n’est pas enregistrée, car cette salle ne dispose pas d’équipement le permettant. L’enquêteur témoigne que l’appelant pleure et affirme avoir « besoin d’aide » et « d’un suivi psychologique »[14]. Il ajoute qu’il a déjà eu un suivi psychologique pendant dix ans[15], que ce « n’était qu’une question de temps avant qu’il tue quelqu’un » et que le fait de se faire arrêter « l’a aidé »[16]. Il confesse sa culpabilité à l’égard des accusations d’enlèvement, de séquestration et d’extorsion, mais également quant à d’autres accusations d’agression sexuelle dans d’autres dossiers[17].
  4.            Le juge note que le visionnement de l’interrogatoire et le témoignage des agents lui permettent de conclure que « l’[appelant] paraissait en pleine possession de ses moyens lors de l’interrogatoire »[18]. En effet, c’était souvent l’appelant qui « dirigeait la conversation » durant l’interrogatoire[19]. L’appelant est, conclut le juge, une personne « intelligente, articulée, qui sait s’exprimer et qui connaît bien les conséquences de ses actes »[20]. Il avait donc un état d’esprit conscient et n’avait pas été l’objet de ruses policières[21].

3) La minimisation de la gravité des infractions

  1.            En rédigeant la lettre d’excuses, l’appelant mentionne qu’il aurait reçu la peine de mort aux États-Unis pour les chefs dont il était accusé[22]. Il avoue également avoir été en possession d’une arme à feu lors de l’enlèvement et de la séquestration[23]. L’un des policiers mentionne à l’appelant que la victime n’avait pas de séquelles physiques. Ils indiquent également qu’au moins personne n’est mort[24]. Il s’agit, selon le juge, d’une utilisation d’une pratique inappropriée ciblée par la Cour suprême dans l’arrêt Oickle[25]. Par la suite, l’appelant indique qu’il a besoin d’une « porte de sortie » et qu’il désire faire un « package deal » avec la police[26]. Cependant, les policiers lui répondent que le système ne fonctionne pas ainsi[27].

4) Les lettres d’excuses

  1.            Durant ces discussions avec les policiers au mess des sous-officiers, l’appelant avoue que le mobile de l’enlèvement était l’obtention d’argent[28], ce à quoi l’un des policiers lui répond : « Si je te donne une feuille blanche, qu’est-ce que tu dirais aux victimes? »[29]. L’appelant rédige et signe trois lettres dont une est destinée à la victime de l’enlèvement[30]. Le juge remarque que les lettres d’excuses facilitent la preuve des aveux, mais non pas leur recevabilité en preuve[31].

5) L’absence d’enregistrement des déclarations extrajudiciaires

  1.            À mon avis, cette question forme le cœur du premier moyen de l’appelant.
  2.            En effet, la portion la plus cruciale de l’interrogatoire, celle où il avoue sa culpabilité et rédige une lettre d’excuses à la victime, n’a pas été enregistrée par les policiers[32]. J’estime impératif de reproduire les principaux paragraphes de l’analyse du juge en raison de l’importance que revêt cette question.
  3.            Le juge souligne que l’absence d’enregistrement résulte d’une demande de l’appelant :

[41] Bien que le sergent Mailhot ait préparé l’interrogatoire qu’il entendait faire avec l’Accusé pendant plus d’un mois, cette demande inhabituelle et imprévue de la part de l’Accusé a donné une autre tournure à l’interrogatoire tel que prévu par le sergent Mailhot.

  1.            Or, l’endroit où les policiers amènent finalement l’appelant, le mess des sous-officiers, n’est pas équipé de moyens technologiques permettant l’enregistrement de l’interrogatoire[33]. L’un des policiers témoigne que c’était la première fois dans sa carrière qu’il a vu se produire une telle situation[34].
  2.            Voici comment le juge analyse la situation :

[64] Il y a d’abord lieu de mentionner que l’Accusé a déposé deux requêtes pour invalider les déclarations qu’il a faites lors de cet interrogatoire « de nuit ». Il plaide qu’il a demandé de « passer un détecteur de mensonge », ce qui lui a été refusé. Il allègue qu’on l’a menacé verbalement d’arrêter sa mère de 80 ans qui se déplace en fauteuil roulant à la Résidence Soleil de ville Saint-Laurent. Il allègue également que les admissions ont été faites alors qu’il était épuisé. Il allègue également avoir subi des menaces.

[65] Ces allégations ne sont nullement soutenues par la preuve.

[66] L’Accusé avait le droit de témoigner, il a choisi de ne pas le faire, ce qui est également son droit. Il lui a été expliqué qu’un voir-dire était un procès à l’intérieur du procès et que s’il témoignait lors du voir-dire, les questions qui lui seraient posées ne devraient concerner que les circonstances entourant les déclarations et non pas les faits pour lesquels il est accusé.

[67] Même si l’accusé n’a pas témoigné lors du voir-dire, il a eu l’occasion, lors de sa plaidoirie, de relater les faits sur lesquels il voulait attirer l’attention du Tribunal.

[68] Il appartenait à la Poursuivante de convaincre le Tribunal hors de tout doute raisonnable que les déclarations de l’Accusé étaient libres et volontaires.

[69] La Poursuivante a rempli le fardeau.

[70] L’écoute de l’interrogatoire vidéo et les témoignages des policiers convainquent le Tribunal que l’Accusé paraissait en pleine possession de ses moyens lors de l’interrogatoire. Non seulement il comprenait bien les procédures qui se déroulaient, il était même souvent celui qui dirigeait la conversation.

[71] L’Accusé n’est pas une personne dépourvue. Bien au contraire, il s’agit d’une personne intelligente, articulée, qui sait s’exprimer et qui connaît les conséquences de ses actes.

[72] Le principal reproche que fait l’Accusé aux policiers est d’avoir continué l’interrogatoire dans la salle du mess des sous-officiers alors qu’aucun appareil n’enregistrait la conversation.

[73] Il faut se rappeler que les policiers ont à cinq reprises fait part de ses droits à l’Accusé. Il savait que ce qu’il disait pouvait être retenu contre lui, peu importe que les propos soient enregistrés ou non.

[74] De plus, les lettres qu’il a rédigées ont été rédigées par lui. Que la rédaction ait été faite alors qu’il est enregistré ou non, n’y change rien.

[75] Tous conviendront qu’il aurait été préférable que les déclarations de l’Accusé soient sur support vidéo. Cela facilite grandement le travail du Tribunal et également celui des policiers. Par contre, le fait que des aveux ne soient pas enregistrés ne les rendent pas irrecevables. […]

  1.            Puis, le juge cite le paragraphe 46 de l’arrêt Oickle[35] de la Cour suprême de même que les paragraphes 29 à 33 et 35 de l’arrêt F.D.[36] de la Cour.
  2.            Il conclut son analyse de la manière suivante :

[77] Il appartient au présent Tribunal de déterminer si les déclarations de l’Accusé sont libres et volontaires. Il appartiendra aux juges des faits de déterminer de la fiabilité de la preuve de ces déclarations.

[78] Les enregistrements vidéo facilitent la preuve des déclarations. Cela n’empêche pas d’en faire la preuve autrement.

[79] Les admissions écrites de la main de l’Accusé sous forme de lettres d’excuses facilitent également la preuve de ces admissions. Il s’agit de fiabilité de la preuve de non pas de sa recevabilité. En l’espèce, la preuve des déclarations de l’Accusé est admissible puisque les déclarations ont été faites de façon libre et volontaire.

[80] L’Accusé avait un état d’esprit conscient. Aucune ruse policière n’a été utilisée. Bien sûr, les techniques d’interrogatoires usuelles ont été utilisées telles que l’établissement de liens communs avant le début de l’interrogatoire. Il s’agit d’une technique d’interrogatoire usuelle pour laquelle aucun reproche ne peut être adressé aux policiers.

[81] L’argument de l’Accusé que ses lettres d’excuses ne devraient pas être recevables en preuve puisque cela déconsidérerait l’administration de la justice n’est pas recevable. L’Accusé plaide que les lettres d’excuses devraient être encouragées et que si l’on admet en preuve les lettres d’excuses rédigées par des accusés, ceux-ci n’en rédigeraient plus.

[82] Il s’agit d’un argument irrecevable.

[83] L’Accusé demande également par sa requête que le Tribunal adresse un blâme aux policiers.

[84] Le Procureur général du Québec est intervenu au dossier afin de plaider que le Tribunal n’avait pas juridiction pour adresser un blâme aux policiers.

[85] Sans décider si un blâme pourrait ou non être adressé à des policiers dans le cadre d’un voir-dire, rien dans le présent dossier ne soutient cette demande.

D - Analyse

  1.            J’examine maintenant la question de savoir si l’appelant a établi une ou plusieurs erreurs de droit qui justifient l’intervention de notre Cour dans la décision sur le caractère volontaire des déclarations de l’appelant. Le poursuivant soutient que l’appelant soulève essentiellement des erreurs dans l’évaluation de la preuve alors qu’il n’a pas obtenu l’autorisation de le faire. Au premier abord, la facture du mémoire de l’appelant peut en donner l’impression.
  2.            Or, quand on y regarde de plus près et compte tenu des observations de la procureure de l’appelant lors de l’audition du pourvoi, on constate que si l’appelant conteste l’appréciation de la preuve, c’est au motif que celle-ci se fonde sur de mauvais principes juridiques, sur l’omission du juge de considérer certains éléments de preuve et sur la motivation du jugement qui était insuffisante à certains égards.
  3.            En ce qui concerne ce dernier élément, en réponse à une question posée par la formation, le poursuivant invoque la motivation implicite, reconnaissant que le jugement d’instance aurait pu être plus limpide.
  4.            Il est donc vrai, comme le poursuivant le souligne, qu’en l’absence d’une autorisation d’appel, l’appelant ne peut soulever d’erreur visant l’évaluation des faits qui porte sur des questions de fait ou mixtes de fait et de droit. Cela dit, l’appréciation erronée de la preuve constitue aussi dans certaines circonstances une erreur de droit[37].

***

  1.            Une jurisprudence abondante traite de la question de l’omission des policiers d’enregistrer les aveux d’un accusé. Les parties ne s’entendent pas sur les principes qui ont été formulés par les tribunaux canadiens. Le poursuivant soutient qu’il n’y a aucune preuve que les policiers ont tenté d’éluder l’enregistrement de la portion de l’interrogatoire qui a mené l’appelant à faire des déclarations et à rédiger une lettre d’excuses à la victime.
  2.            Dans le présent dossier, je l’ai déjà dit, la période qui s’avère la plus cruciale pour déterminer le caractère libre et volontaire des déclarations de l’appelant n’est pas enregistrée.
  3.            Celles-ci surviennent après un interrogatoire enregistré de près de 13 heures, au terme duquel l’appelant s’effondre émotionnellement d’une manière telle que son comportement amène les enquêteurs à s’inquiéter des pensées suicidaires qui l’animent. L’un des policiers a l’impression que l’appelant est « sur le bord de se désorganiser ». 
  4.            Dans le contexte où se pose clairement la question de savoir si l’ampleur de l’effondrement émotionnel de l’appelant l’a privé de son état d’esprit conscient, il n’y a aucun enregistrement.
  5.            Les faits de la présente affaire, le jugement rendu et les observations des parties me convainquent de la nécessité d’un retour aux sources. Le débat entre les parties m’incite à examiner la raison d’être de l’enregistrement vidéo des aveux d’un accusé et les paramètres qui encadrent l’analyse à laquelle doit se livrer le juge qui est appelé à statuer sur le caractère volontaire d’une déclaration en l’absence d’un enregistrement vidéo.
  6.            À mon avis, la jurisprudence enseigne que la question doit être résolue à la lumière du fardeau qui incombe au poursuivant d’établir hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire de la déclaration, le tout en tenant compte d’un élément crucial, trop souvent oublié, à savoir que c’est l’État qui contrôle les circonstances dans lesquelles se déroule l’interrogatoire d’un suspect, et non l’inverse.
  7.            D’aucuns pourraient penser que l’enregistrement vidéo des aveux d’un accusé constitue une simple formalité procédurale applicable à leur admissibilité, dont l’absence n’est peut-être pas toujours significative. À cet égard, il vaut de rappeler ce qu’écrivait le juge Frankfurter de la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt McNabb v. United States[38] : « the history of liberty has largely been the history of observance of procedural safeguards ». L’enregistrement vidéo est un moyen technologique moderne permettant au juge qui détermine l’admissibilité d’une déclaration de vérifier si les exigences substantielles de la règle des confessions sont respectées.

***

  1.            Les leçons de l’histoire judiciaire nous enseignent que les tribunaux doivent être guidés par une prudence extrême en raison du spectre persistant de l’erreur judiciaire résultant de fausses confessions.
  2.            Comme l’explique l’auteur Gary T. Trotter (alors professeur de droit) dans un article intitulé False Confessions and Wrongful Convictions, les fausses confessions ont joué un rôle incontestable dans la survenance de plusieurs erreurs judiciaires :

That false confessions have played a role in wrongful convictions is incontrovertible. Almost every major academic study of wrongful convictions has pointed to false confessions as an important contributing factor. This is also the case with official commissions of inquiry into wrongful convictions, both at home and abroad.[39]

  1.            Voici la description qu’offre le juge Iacobucci de la problématique des fausses confessions dans l’arrêt Oickle :

[34] L’histoire des interrogatoires policiers n’est pas exempte d’épisodes plutôt répugnants. S’ils n’étaient pas monnaie courante, les sévices physiques n’étaient certes pas un phénomène inconnu. De telles pratiques sont aujourd’hui beaucoup moins courantes. Dans ce contexte, il peut sembler paradoxal que des individus confessent des crimes qu’ils n’ont pas commis. D’ailleurs, des études menées avec des jurys simulés indiquent que les gens ont du mal à croire qu’une personne puisse faire une fausse confession. Voir S. M. Kassin et L. S. Wrightsman, « Coerced Confessions, Judicial Instructions, and Mock Juror Verdicts » (1981), 11 J. Applied Soc. Psychol. 489.

[35] Toutefois, cette intuition n’est pas toujours fondée. Il existe une abondante littérature documentant des centaines de cas de confessions dont la fausseté a été établie par une preuve génétique, par la confession ultérieure du véritable auteur du crime ou d’autres sources indépendantes de preuve de cette nature. Voir, par exemple, R. A. Leo et R. J. Ofshe, « The Consequences of False Confessions: Deprivations of Liberty and Miscarriages of Justice in the Age of Psychological Interrogation » (1998), 88 J. Crim. L. & Criminology 429 (ci-après Leo & Ofshe (1998)); R. J. Ofshe et R. A. Leo, « The Social Psychology of Police Interrogation: The Theory and Classification of True and False Confessions » (1997), 16 Stud. L. Pol. & Soc. 189 (ci-après Ofshe & Leo (1997)); R. J. Ofshe et R. A. Leo, « The Decision to Confess Falsely: Rational Choice and Irrational Action » (1997), 74 Denv. U. L. Rev. 979 (ci-après Ofshe & Leo (1997a)); W. S. White, « False Confessions and the Constitution: Safeguards Against Untrustworthy Confessions » (1997), 32 Harv. C.R.-C.L. L. Rev. 105; G. H. Gudjonsson et J. A. C. MacKeith, « A Proven Case of False Confession: Psychological Aspects of the Coerced Compliant Type » (1990), 30 Med. Sci. & L. 329 (ci-après Gudjonsson & MacKeith (1990)); G. H. Gudjonsson et J. A. C. MacKeith, « Retracted Confessions:  Legal, Psychological and Psychiatric Aspects » (1988), 28 Med. Sci. & L. 187 (ci-après Gudjonsson & MacKeith (1988)); H. A. Bedau et M. L. Radelet, « Miscarriages of Justice in Potentially Capital Cases » (1987), 40 Stan. L. Rev. 21.

[Les soulignements sont ajoutés]

  1.            La question qui doit être résolue demeure toujours la même : est-ce que la preuve établit hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire de la déclaration obtenue par les policiers?
  2.            Dans l’arrêt Oickle, le juge Iacobucci adopte la typologie dressée par des auteurs de quatre types de fausses confessions qui découlent d’interrogatoires policiers : les confessions induites par stress, par coercition, par persuasion sans coercition et par persuasion avec coercition[40]. Il affirme aussi que « [l]a règle des confessions devrait tenir compte des techniques d’interrogatoire qui produisent généralement de fausses confessions, afin d’éviter les erreurs judiciaires en découlant »[41].
  3.            Le danger de fausses confessions ne s’avère donc pas une préoccupation banale, surtout quand on considère le désavantage du suspect par rapport à l’État[42] (j’y reviendrai) et « particulièrement compte tenu du fait que les policiers peuvent recourir à des tactiques comme le mensonge lors d’un interrogatoire »[43], et ce, même si « [h]eureusement, les fausses confessions découlent rarement de l’application de techniques policières régulières »[44].

***

  1.            Au Canada, la prolifération progressive de l’enregistrement des interrogatoires de suspects s’explique en partie par la volonté de conjurer le risque d’erreurs judiciaires émanant de fausses confessions de même que par des impératifs d’efficacité du processus judiciaire. Compte tenu des questions que soulève l’appelant par son premier moyen d’appel, il n’est pas superflu d’évoquer brièvement les jalons qui marquent cette expansion. Ceci permettra de bien faire ressortir les préoccupations qui animent l’évolution jurisprudentielle.
  2.            En 1984, la Commission de réforme du droit du Canada publie un document de travail[45] et un rapport qui recommandent l’enregistrement des interrogatoires de suspects[46].
  3.            En 1990, dans l’affaire Lim[47], le juge Doherty (alors juge à la Cour supérieure de l’Ontario) s’interroge en ces termes sur l’absence d’enregistrement de l’interrogatoire d’un accusé :

[10] In this day and age, where the technology associated with audio recording (if not video recording) is readily available, very reliable, relatively inexpensive and usable even by the electronically illiterate such as myself, it is difficult to understand why a permanent video or audio record of the interview process was not made. […]

  1.            Puis, l’année 1993 se révèle un moment charnière.
  2.            Tout d’abord, la Cour suprême donne une impulsion décisive à l’enregistrement vidéo des interrogatoires, dans l’arrêt R. c. B. (K.G.)[48], en en faisant l’une des conditions permettant l’admissibilité de la déclaration antérieure incompatible d’un témoin pour valoir comme preuve au fond[49].
  3.            Dans ses motifs, le juge en chef Lamer examine les avantages conférés par un tel enregistrement[50] à la lumière des résultats préliminaires d’une étude menée par la Commission de réforme du droit[51].
  4.            Bien qu’exprimant des motifs concordants distincts, le juge Cory va dans le même sens et écrit : « Parce qu’elle offre un enregistrement complet et intégral des questions posées, des réponses données et du comportement du témoin, la déclaration sur bande vidéo résoudra fréquemment les questions de la fiabilité et du caractère volontaire de la déclaration » (Je souligne)[52].
  5.            Quelques mois plus tard, dans l’arrêt Barrett[53], le juge Carthy de la Cour d’appel de l’Ontario formule les observations qui suivent :

Universal use of videotapes would obviously be of assistance to judges in weighing evidence and reaching a just conclusion, but beyond that, there is the potential to benefit the entire administration of justice. The case before us is but one of many where the centrepiece at trial is an inculpatory statement. They are centrepieces because their admission so often leads to a conviction. And, in many cases there is a trial simply because the accused has challenged the procedures leading to the confession and the defence lawyer has no choice but to carry the challenge forward and insist upon proof beyond a reasonable doubt of voluntariness. The present case involved a preliminary hearing, a six-day trial, and two days on appeal which may have been avoided altogether if defence counsel had reviewed a tape which confirmed the evidence given by the police officers. On that assumption there were no alternatives to a guilty plea. How many hundreds or even thousands of such cases are presently ongoing across Canada? As many as there may be, there are an equal number of cases that are being delayed in reaching trial while costs accumulate on unnecessary trials, to the detriment of the administration of justice and the general public.

Further, our system of justice treats proof beyond a reasonable doubt as a foundation stone assuring, to the extent possible, that no innocent person be convicted. It is fair comment for a police officer who has secured a written confession to say, "He’s as good as convicted." If the statement is admitted as voluntary the observation is probably accurate. On this determinative issue of conviction the police force has, by its own choice in this case, denied the court the opportunity of an undeniable record of what led to the "conviction". Given the modest cost of videotape equipment, such critical evidence should not, in fairness, be restricted to sworn recollection of two contesting individuals as to what occurred in stressful conditions months or years ago. The evidence is admissible under our present rules, but everyone involved in the criminal justice system should make reasonable efforts to better serve its ultimate ends[54].

[Le soulignement et les caractères gras sont ajoutés]

  1.            Dans ce même arrêt, la juge Arbour ajoute quant à elle ces observations :

As for the absence of a video and/or audio recording of the interview, I am not the first one to express concern in that regard. In R. v. Lim (No. 3) (1990), 1 C.R.R. (2d) 148 (Ont. H.C.J.), a case also involving the Toronto hold-up squad, Doherty J. who was then the trial judge said, at pp. 152-53:

I am left with a distinct impression that the statement-taking process used by the hold-up squad and the members of the York Regional Police Department was designed to both minimize the active involvement of the accused and preclude resort to an independent source of information (apart from the accused’s testimony, should he elect to testify on the voir dire) as to what went on in the statement-taking process. The police appear to have set the stage for a battle of credibility on the voir dire and excluded any independent source of information which could have supported one side or the other.

The failure of the police, who were in total control of the interview process — and who, on their evidence, were dealing with a co-operative accused — to have resort to devices which could have provided a video or audio record of the procedure suggests the reasonable inference that the police did not want an independent electronic record of that process, because that record would not have supported their oral evidence as to Mr. Lim’s ability to understand and speak English. I draw that inference.[55]

[Le soulignement est ajouté]

  1.            Finalement, l’année 1993 se termine par la publication du rapport du comité Martin[56], comité qui, pour reprendre les mots du juge Moldaver dans l’arrêt Wood c. Schaeffer[57] est composé « d’avocats et de policiers expérimentés », et présidé par l’honorable juge G. Arthur Martin, éminent juge retraité de la Cour d’appel de l’Ontario.
  2.            Le comité Martin procède à une analyse poussée de la question de l’enregistrement des interrogatoires de suspects[58], prend acte de l’arrêt B.(K.G.) de la Cour suprême et de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Barrett, et recommande l’enregistrement de ces interrogatoires préférablement sur support vidéo.
  3.            D’autres comités de travail[59], des commissions d’enquête ayant examiné et démontré l’occurrence d’erreurs judiciaires[60] et des auteurs de doctrine[61] encouragent de manière unanime l’enregistrement des aveux d’un accusé à l’aide d’un support électronique objectif, préférablement vidéo, afin que les juges puissent déterminer l’admissibilité de ces aveux sans être confrontés à d’inévitables concours de crédibilité entre les policiers et l’accusé étant donné l’absence de preuve objective[62].
  4.            Les tribunaux emboîteront donc le pas à cet élan mu par une volonté d’efficacité et d’équité ayant pour objectif la réduction des concours de crédibilité grâce à un moyen technologique simple et accessible, pourvu que l’État, qui contrôle l’environnement dans lequel ont lieu les interrogatoires de suspects, l’utilise.
  5.            Dans un passage maintes fois cité de l’arrêt Oickle rendu en 2000, le juge Iacobbuci reconnaît les avantages associés à l’enregistrement vidéo et il ajoute une observation qui recevra une grande attention :

[46] Avant de voir comment la règle des confessions répond à ces dangers, j’aimerais commenter brièvement la pratique, de plus en plus répandue, qui consiste à enregistrer les interrogatoires policiers, de préférence sur bande vidéo. Comme l’ont souligné J. J. Furedy et J. Liss dans «Countering Confessions Induced by the Polygraph:  Of Confessionals and Psychological Rubber Hoses» (1986), 29 Crim. L.Q. 91, à la p. 104, même si [traduction] « des notes rapportent avec précision la teneur de ce qui a été dit [. . .], ces notes ne peuvent refléter le ton des propos de même que le langage corporel qui a pu être utilisé » (en italique dans l’original). De même, White, loc. cit., aux pp. 153 et 154, avance quatre raisons pour lesquelles l’enregistrement des interrogatoires sur bande vidéo est une mesure importante :

[traduction] Premièrement, une telle mesure donne aux tribunaux un moyen de contrôler les pratiques en matière d’interrogatoire et, ainsi, de faire respecter les autres garanties.  Deuxièmement, elle dissuade les autorités policières d’utiliser des méthodes d’interrogatoire susceptibles de donner lieu à des confessions qui ne sont pas dignes de foi.  Troisièmement, elle permet aux tribunaux de rendre des jugements plus éclairés sur la question de savoir si des pratiques particulières en matière d’interrogatoire étaient susceptibles d’entraîner une confession qui n’est pas digne de foi.  Enfin, le fait d’imposer cette garantie constitue une politique d’intérêt général judicieuse puisque, en plus de réduire le nombre de confessions qui ne sont pas dignes de foi, elle aura d’autres effets salutaires y compris des avantages nets pour les responsables de l’application de la loi.

Cela ne veut pas dire que les interrogatoires qui ne sont pas enregistrés sont intrinsèquement suspects, mais simplement que, de toute évidence, l’existence d’un enregistrement peut grandement aider le juge des faits à apprécier la confession.

[Le soulignement est ajouté]

  1.            Je note immédiatement le commentaire selon lequel les interrogatoires qui ne sont pas enregistrés ne sont pas intrinsèquement suspects, expression sur laquelle les débats semblent s’être cristallisés, faisant oublier à mon avis que ni la Cour suprême ni aucune cour d’appel n’ont modifié le fardeau de la preuve qui incombe au poursuivant d’établir hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire d’une déclaration.
  2.            L’année suivante, dans l’arrêt Moore-McFarlane[63] la juge Charron (alors juge à la Cour d’appel de l’Ontario) pose un autre jalon. Après avoir renvoyé au paragraphe 46 de l’arrêt Oickle, elle explique qu’il n’y a aucune règle absolue exigeant l’enregistrement d’un interrogatoire et relève que l’analyse du caractère volontaire est une évaluation contextuelle. Elle formule une règle nuancée en ces termes :

[65] However, the Crown bears the onus of establishing a sufficient record of the interaction between the suspect and the police. That onus may be readily satisfied by the use of audio, or better still, video recording. Indeed, it is my view that where the suspect is in custody, recording facilities are readily available, and the police deliberately set out to interrogate the suspect without giving any thought to the making of a reliable record, the context inevitably makes the resulting non-recorded interrogation suspect. In such cases, it will be a matter for the trial judge on the voir dire to determine whether or not a sufficient substitute for an audio or video tape record has been provided to satisfy the heavy onus on the Crown to prove voluntariness beyond a reasonable doubt.

  1.            Ce passage doit être soigneusement interprété. Il postule que dans certaines circonstances, particulièrement lorsqu’il est possible de procéder à un enregistrement vidéo en raison de la disponibilité du matériel pour le faire, le juge du procès devra déterminer s’il existe un substitut à l’enregistrement qui soit suffisant pour permettre au poursuivant de satisfaire à son fardeau. En l’absence d’un tel substitut, un doute raisonnable pourrait être aisément soulevé.
  2.            La juge Charron indique aussi que le caractère suffisant du dossier établissant les circonstances d’un interrogatoire n’est pas exclusivement lié aux critères de fiabilité et de valeur probante qui sont examinés en dernière analyse[64]. Analysant l’arrêt Lapointe[65], sur lequel le poursuivant s’appuyait pour affirmer que les questions relatives à l’exactitude et à l’exhaustivité du dossier ne doivent pas être prises en compte pour déterminer l’admissibilité de la preuve, elle précise que ces questions ne relèvent pas uniquement de l’appréciation du juge des faits au fond, mais aussi de celle du juge du droit qui tranche la question de l’admissibilité de la preuve :

[67] It is important to read this statement of principle in context. The issue that arose in Lapointe — whether the accused’s capacity to understand English was sufficient for him to have given the statement alleged by the police officers — was one that related to the ultimate reliability of the statement and the weight that was to be attached to it. As the court stated, it was only where an accused’s capacity was so deficient as to make it impossible for him to have given a statement that the trial judge would be justified in excluding the statement on that basis. Hence the court concluded that, in this case, this issue was not a matter to be determined at the voir dire stage of the proceedings. The decision in Lapointe does not stand for the proposition that all issues of accuracy and completeness of recording are left to the triers of fact. Such an interpretation would run contrary to centuries of jurisprudence that require careful scrutiny of the circumstances surrounding the taking of a statement by persons in authority. And, in my view, the completeness, accuracy and reliability of the record have everything to do with the court’s inquiry into and scrutiny of the circumstances surrounding the taking of the statement. Indeed, it is difficult to see how the Crown could discharge its heavy onus of proving voluntariness beyond a reasonable doubt where proper recording procedures are not followed.

[Le soulignement est ajouté]

  1.            À la suite de l’arrêt Moore-McFarlane, la juge Feldman de la Cour d’appel de l’Ontario écrit aussi ceci dans l’arrêt Ahmed au sujet de la nécessité de l’enregistrement vidéo :

[19] The reason our courts have focused so heavily on the desirability of recording the interactions between police officers and accused persons upon arrest, is to avoid these credibility contests at trial on the crucial issue of whether any coercion, oppression or inducement led to the accused to make the impugned statement. This court held in Moore-McFarlane that as long as recording equipment is available, the failure to record will generally preclude a finding of voluntariness, except in the circumstance where the police officer did not set out to interrogate the suspect. Consequently, the question of the officer’s intention is also a critical one on the voir dire. Therefore, where there is no recording, and the issue of the officer’s intention is in dispute, that is one of the circumstances where the trial judge must carefully analyze the conflicting evidence and give reasons which clearly explain why the judge either accepts the evidence of the police officer or officers, or conversely, why that evidence is rejected or is insufficient to satisfy the judge beyond a reasonable doubt.[66]

[Le soulignement est ajouté]

  1.            Dans la même veine, le juge Rochon formule des observations déterminantes dans l’arrêt César-Nelson : « Le fait qu’une déclaration soit non enregistrée, tronquée et rapportée hors contexte peut influencer la décision d’un tribunal sur le caractère libre et volontaire de la déclaration, mais aussi sur sa fiabilité et sa valeur probante » (Je souligne)[67].
  2.            Il précise aussi que « lors d’une analyse du caractère libre et volontaire des déclarations extrajudiciaires, un juge commet une erreur de droit s’il omet de se pencher sur l’absence d’enregistrement et sur la suffisance de la preuve de la poursuite pour pallier ce défaut, ces deux critères étant cumulatifs »[68].
  3.            La Cour a aussi cité l’arrêt Moore-McFarlane dans l’arrêt F.D., sans exprimer quelques désaccords avec les principes qui y sont formulés[69], mais en prenant bien soin, comme il se devait, de distinguer les faits en cause, constatant que « la trame factuelle de l’arrêt Moore-McFarlane apparaît sans commune mesure avec celle prévalant en l’espèce »[70] et soulignant qu’il « ne s’agit pas d’un cas où les policiers ont volontairement fait le choix de l’éluder comme dans l’arrêt Moore-McFarlane »[71].
  4.            Dans l’arrêt O’Reilly[72], le juge Mainville reprend la dernière phrase que je cite dans le paragraphe qui précède :

[161] On peut facilement disposer de la question de l’absence d’enregistrement vidéo. Dans l’affaire F.D. c. R., la Cour a récemment conclu que le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans R. c. Oickle, voulant que les déclarations aux policiers qui ne sont pas enregistrées ne soient pas intrinsèquement suspectes, est toujours valable. C’est lorsque l’autorité policière fait le choix d’éluder l’enregistrement que le caractère suspect de l’interrogatoire peut être soulevé. Il s’agit alors d’une question de fait laissée à l’appréciation du juge du procès.

[162] Outre le fait qu’il n’y a pas ici de preuve que les policiers ont éludé l’enregistrement, la juge du procès a tenu pour non contredite la version des faits énoncée au témoignage de Moreau, ce qui pallie l’absence d’enregistrement vu que la version de l’accusé quant au déroulement de l’interrogatoire et des paroles y prononcées n’a pas été remise en question.

[Le soulignement est ajouté; les renvois sont omis]

  1.            Le poursuivant paraît tirer de la phrase que j’ai soulignée, laquelle renvoie au paragraphe 30 de l’arrêt F.D., l’idée qu’il doit y avoir des éléments de preuve laissant croire que les policiers auraient fait le choix d’éluder l’enregistrement vidéo pour que la question du caractère suspect de l’interrogatoire puisse être soulevée. Il n’en est rien.
  2.            Il ne s’agit pas ici de se livrer à une exégèse lexicale. Les policiers éludent l’enregistrement vidéo de l’interrogatoire d’un suspect lorsqu’ils choisissent de ne pas y procéder alors qu’il est aisément possible de le faire. Un tel choix est susceptible de soulever un doute raisonnable entraînant l’inadmissibilité de la déclaration d’un suspect.
  3.            J’ajoute que la prudence doit toujours accompagner la lecture des motifs d’une décision judiciaire en raison du risque de l’interpréter hors de son contexte[73]. Dans les affaires F.D., O’Reilly et Carrier[74], la Cour révise, à l’aune de la norme de contrôle applicable, les décisions de juges de procès qui avaient déclaré admissible la preuve des confessions des accusés. Dans toutes ces affaires, elle refuse d’intervenir, mais elle ne formule pas de nouveau principe de droit.
  4.            Ainsi, le juge Mainville n’énonce pas dans l’arrêt O’Reilly un nouveau fardeau de preuve ou une nouvelle règle de droit qui modifie ou change quoi que ce soit au fardeau de la preuve qui incombe toujours au poursuivant de faire la preuve hors de tout doute raisonnable du caractère volontaire d’une confession[75].
  5.            Je termine cette recension jurisprudentielle par l’arrêt Hart[76]. Dans cette affaire, la Cour suprême établit une nouvelle règle de preuve en common law pour statuer sur l’admissibilité d’aveux issus d’une opération de type « Monsieur Big ». Un tel aveu est présumément inadmissible, mais « [c]ette présomption d’inadmissibilité pourra être réfutée si le ministère public établit, selon la prépondérance des probabilités, que la force probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable »[77].
  6.       Les justifications mises de l’avant par le juge Moldaver sont particulièrement pertinentes pour comprendre le fardeau imposé au poursuivant d’établir que la valeur probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable. Voici ce qu’il écrit :

[91] Selon la règle de preuve de common law que je propose, l’aveu issu d’une opération Monsieur Big est présumé inadmissible et il appartient au ministère public de démontrer sa recevabilité. La charge se justifie par le rôle central de l’État dans l’obtention de l’aveu. C’est l’État qui conçoit l’opération et qui la met en œuvre, qui y affecte des ressources considérables et qui dirige la mise en scène dont résulte ultimement l’aveu de l’accusé. C’est l’État qui allie aveu susceptible d’être non digne de foi et preuve de moralité préjudiciable à l’accusé. Étant donné son rôle crucial, il semble approprié d’exiger de l’État qu’il démontre la justification d’admettre en preuve l’aveu issu d’une opération de son cru.

[92] Imposer pareille charge au ministère public contribue également à prévenir le risque de comportement abusif de l’État. Puisqu’il incombera en fin de compte à la poursuite de justifier l’admission de l’aveu, l’État sera fortement incité à mener avec circonspection le déroulement de l’opération. Comme je l’explique ci-après, le comportement des policiers constitue un élément à considérer lorsqu’il s’agit de déterminer si l’aveu issu de l’opération Monsieur Big est digne de foi ou non. L’obligation faite au ministère public incite grandement l’État à mener son opération avec mesure.

[93] La charge imposée à la poursuite présente aussi l’avantage de favoriser l’enregistrement systématique des échanges pendant l’opération. À l’heure actuelle, bon nombre des principaux échanges entre les agents et l’accusé ne sont pas enregistrés, ce qui constitue un problème. Lorsque la logistique le permettra sans que soient compromises l’opération ou la sécurité des agents, les forces policières seront bien avisées d’enregistrer leurs conversations avec l’accusé.  Vu qu’il appartiendra au ministère public de démontrer la fiabilité de l’aveu, toute lacune du dossier constitué pourra compromettre l’admissibilité de la preuve, ce qui sera de nature à inciter les agents à un surcroît de rigueur.[78]

[Le soulignement est ajouté]

  1.       À mon avis, si « toute lacune du dossier constitué [peut] compromettre l’admissibilité de la preuve » dans le contexte d’un voir-dire où le poursuivant doit satisfaire à un fardeau de preuve fondé sur la prépondérance des probabilités comme dans l’affaire Hart, il coule de source qu’une telle lacune pourrait avoir un effet encore plus déterminant lorsque le fardeau est celui, plus exigeant, de la preuve hors de tout doute raisonnable du caractère volontaire de la déclaration.
  2.       Plus de 32 ans après les arrêts B.(K.G.) et Barrett et un quart de siècle depuis les arrêts Oickle et Moore-McFarlane, je partage l’évaluation des auteurs de l’ouvrage Modern Criminal Evidence qui constatent que l’ubiquité de la technologie permettant l’enregistrement vidéo rend maintenant difficilement explicable l’absence d’enregistrement vidéo de l’interrogatoire d’un suspect :

In the years since, video recording of police interviews has been almost universally adopted by Canadian police services. Indeed, in today’s world, when most people are able to spontaneously video-record almost any event with their phone, it is difficult to imagine a situation where police are unable to generate a video recording.[79]

  1.       Je résume donc le plus simplement possible la règle de droit applicable : l’absence d’un enregistrement électronique d’un interrogatoire est susceptible de soulever un doute raisonnable sur le caractère volontaire de la déclaration obtenue d’un suspect. L’évaluation contextuelle de l’ensemble des circonstances relève du juge de première instance et appelle la déférence[80].

E - Application des principes

  1.       La question est de savoir si le juge a correctement appliqué les principes de droit qui précèdent.
  2.       Le juge évalue la plupart des circonstances pertinentes.
  3.       Il affirme que l’appelant est en pleine possession de ses moyens et dispose d’un état d’esprit conscient, mais il omet de considérer l’état psychologique suicidaire de l’appelant proche de la désorganisation au moment où l’enregistrement de l’interrogatoire cesse.
  4.       Les policiers croient alors que l’appelant est sur le point de passer aux aveux, ce qui explique leur empressement à continuer l’interrogatoire.
  5.       Bien entendu, « [u]ne enquête policière efficace peut […] inclure comme l’un de ses objectifs l’obtention d’un aveu d’un suspect, à condition bien sûr qu’une telle déclaration ait été librement et volontairement faite par le suspect et que les policiers aient agi équitablement en l’obtenant »[81]. Ainsi, « [u]n aveu constitue une preuve convaincante de culpabilité, à condition qu’il soit avéré »[82] et que son caractère volontaire ait été établi.
  6.       Dans le présent dossier, les policiers choisissent, malgré l’état de vulnérabilité psychologique de l’appelant, de poursuivre l’interrogatoire, à un moment particulièrement décisif, dans une salle qui ne dispose d’aucun équipement pour l’enregistrer.
  7.       À cet égard, le poursuivant ne se trompe pas lorsqu’il défend l’idée que l’étau se resserrait sur l’appelant qui se voyait confronter à des preuves fort incriminantes dont la découverte de son ADN sur une victime dans l’une des enquêtes faisant l’objet de l’interrogatoire et sur des objets trouvés dans son véhicule.
  8.       Assurément, comme l’explique le juge Iacobbuci dans l’arrêt Oickle : « [l]e simple fait qu’un suspect se mette à pleurer lorsqu’il fait finalement une confession, comme l’a fait l’intimé, ne témoigne pas d’un “effondrement émotionnel complet”; on peut s’attendre à des larmes lorsque l’auteur d’un crime avoue finalement qu’il l’a commis »[83].
  9.       Par ailleurs, il faut bien convenir que « [l]es aveux peuvent aussi être désirables dans certains cas du point de vue de la personne qui les fait. Ils peuvent soulager la personne coupable des pressions psychologiques inhérentes à la commission d’un crime »[84].
  10.       À l’évidence, comme l’observe le juge Fish (alors juge à la Cour) dans sa dissidence dans l’arrêt Timm, un suspect peut changer d’idée et choisir de passer aux aveux :

I do not for a moment suggest that all statements given by suspects, whether detained or not, after they have once refused to answer questions, will invariably amount to an infringement of their constitutionally-protected right to remain silent. An initial refusal can later give way to a crisis of conscience, to an unconscious compulsion to confess - or, simply, to a genuine change of heart. Not every clam needs to be pried open.[85]

[Le soulignement est ajouté]

  1.       Si ce n’était que des sanglots de l’appelant, les circonstances de son interrogatoire ne soulèveraient sans doute aucun questionnement, mais on ne peut faire abstraction du portrait dépeint par les policiers. Selon eux, l’appelant est suicidaire, au bord de la désorganisation, ce qui pose la question de savoir si l’effondrement émotionnel observé par les policiers le prive de son état d’esprit conscient, interrogation qui doit être résolue sans le bénéfice d’un enregistrement. Dans son analyse, le juge ne se penche pas sur l’état psychologique de l’appelant à ce moment-là.
  2.       Selon les faits présentés et en droit, le choix de ne pas enregistrer la continuation de l’interrogatoire relève entièrement des policiers et non de l’appelant. À mon avis, la conclusion du juge ne tient pas compte de la portée juridique de certaines conclusions de la Cour suprême au sujet des interrogatoires de suspects.
  3.       D’une part, le juge devait tenir compte de la vulnérabilité[86] de l’appelant qui se trouvait « en situation défavorable par rapport aux pouvoirs éclairés et sophistiqués dont dispose l’État »[87].
  4.       D’autre part, il importe de considérer le droit de la police, qui contrôle alors l’ensemble de la situation, de poser des questions[88]. Dans l’arrêt Singh, la juge Charron écrit ce qui suit :

[…] [L]e suspect peut être la source de renseignements la plus riche.  Bien que la détention donne incontestablement naissance à la nécessité d’assujettir les techniques d’interrogatoire de la police à des limites supplémentaires en raison de la vulnérabilité plus grande du détenu, le moment de la détention ne diminue aucunement la valeur du suspect à titre de source de renseignements importante. Pourvu que les droits du détenu soient suffisamment protégés, y compris sa liberté de choisir de parler ou non, la société a intérêt à ce que la police essaie de mettre à profit cette source précieuse […].[89]

  1.       Cela dit, il va sans dire, comme l’explique le juge Fish dans le même arrêt (dissident, mais par sur ce point), que « les prisonniers et les détenus ne sont par définition pas libres de s’en aller quand bon leur semble » et qu’ils « sont impuissants à mettre fin à leur interrogatoire »[90]. Il y a un « déséquilibre des pouvoirs entre l’État et les personnes détenues »[91].
  2.       On ne saurait donc imputer à l’appelant, comme le laissent entendre le poursuivant et le juge d’instance, la responsabilité de l’absence d’un enregistrement vidéo. L’appréciation de la preuve par le juge est fondée sur un mauvais principe juridique.
  3.       Ce facteur justifie la conclusion que l’évaluation du caractère volontaire comporte une erreur de droit. Correctement apprécié, cet aspect aurait pu influencer la détermination du juge quant à l’effet de l’absence d’enregistrement vidéo alors que les policiers disposaient d’une salle équipée pour enregistrer. Rien n’empêchait les policiers de retourner dans cette salle après une pause adéquate ou même d’utiliser leurs téléphones pour enregistrer les propos de l’appelant à tout le moins sous forme audio. Le dossier n’explique pas pourquoi cette solution n’a jamais été sérieusement envisagée.
  4.       Bien entendu, il peut exister des cas de figure où un suspect demande aux policiers de ne pas procéder à l’enregistrement d’un interrogatoire, une question pertinente le cas échéant. Dans l’arrêt Backhouse de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Rosenberg explique la marche à suivre pour les policiers dans une telle situation :

[118] This, however, is not a case where there were reasons to believe that the failure to record the statements was suspect. According to the investigating officers, the appellant agreed to speak to them but only if his statements were not videotaped. It was open to the trial judge to accept this evidence, especially in the absence of any testimony from the appellant to the contrary. That said, I should not be taken as holding that it will always be an answer to the failure to videotape the statement that the suspect has refused to participate. It could become all too easy for the authorities to attempt to avoid the impact of this court’s decision in Moore-McFarlane by attributing to the suspect a refusal to have his statements videotaped. It would still be open to the police to tape record the statement, or at the very least electronically record the suspect’s wishes, to avoid any later dispute. Depending on the context, the trial judge might well view with concern a bare assertion by police officers that the suspect refused to be videotaped or even tape-recorded.[92]

[Le soulignement est ajouté]

  1.       Or, tel n’est pas le cas dans la présente affaire, l’appelant demande aux policiers de sortir pour aller marcher et de cesser l’interrogatoire. L’appelant va marcher, mais l’interrogatoire se poursuivra. Il n’y a aucune preuve que l’appelant a demandé de ne pas enregistrer la continuation de son interrogatoire et aucune conclusion du juge à cet égard. Quoi qu’on dise, ce n’est pas l’appelant qui contrôlait son interrogatoire.
  2.       Un autre élément retenu par le juge pose problème, soit sa conclusion au sujet de la rédaction des lettres d’excuses.
  3.       Le juge écrit ce qui suit sur cet aspect : « De plus, les lettres qu’il a rédigées ont été rédigées par lui. Que la rédaction ait été faite alors qu’il est enregistré ou non, n’y change rien »[93]. Il ajoute le commentaire suivant : « Les admissions écrites de la main de l’Accusé sous forme de lettres d’excuses facilitent également la preuve de ces admissions. Il s’agit de fiabilité de la preuve et non pas de sa recevabilité »[94].
  4.       Or, la rédaction des lettres d’excuses ne résolvait pas la question de l’absence d’enregistrement vidéo, car les préoccupations soulevées relèvent des circonstances dans la portion non enregistrée de l’interrogatoire soit avant la rédaction de ces lettres. Pour les fins du voir-dire, ce sont les circonstances ayant conduit aux déclarations et à la rédaction des lettres qui importaient.
  5.       L’appelant soulève enfin la qualité et l’exhaustivité des notes policières de la portion non enregistrée de l’interrogatoire. Il s’agit essentiellement de captures d’écran de messages textes envoyés par un policier et d’un rapport qui n’a pas été rédigé de manière contemporaine contrairement aux exigences bien connues, à tout le moins depuis l’arrêt Wood c. Schaeffer rendu en 2013 : « les policiers ont l’obligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après l’enquête »[95].
  6.       Le juge ne s’interroge pas sur cette question dans son analyse.
  7.       À mon avis, le juge a mal appliqué le cadre juridique qui encadrait son analyse, il a omis de considérer certains éléments de preuve et il a insuffisamment motivé sa décision sur les aspects cruciaux qu’il devait déterminer.
  8.       Dans les circonstances, ces erreurs exigent d’infirmer la décision du juge sur l’admissibilité des déclarations de l’appelant. Bien que les parties aient suggéré à la Cour de déterminer cette question selon le dossier tel que constitué, je suis d’avis qu’elle devrait normalement être tranchée dans le cadre d’un nouveau voir-dire tenu à l’occasion d’un nouveau procès[96].
  9.       Par contre, le poursuivant invoque l’application de la disposition réparatrice du sousalinéa 686(1)b)(iv) du Code criminel. J’examine cette question à la toute fin de mes motifs.

IV - Le juge de première instance a-t-il erré en droit dans les directives données au jury?

  1.       L’appelant conteste l’exactitude et la suffisance de l’exposé au jury. Il soutient que l’exposé contient deux inexactitudes à l’égard de la preuve présentée. Il reproche au juge d’avoir omis de résumer sa position et de mentionner certaines faiblesses dans la preuve présentée par le poursuivant.
  2.       S’il est vrai que les directives auraient plus être plus précises sur certains de ces éléments, elles n’étaient pas imparfaites au point de justifier une ordonnance de nouveau procès.

***

  1.       L’argument le plus sérieux présenté par l’appelant vise la suffisance des directives concernant l’absence d’enregistrement d’une partie de l’interrogatoire ayant conduit à ses déclarations aux policiers.
  2.       L’appelant reproche au premier juge d’avoir omis de parler du contexte de l’interrogatoire. Il ajoute que le juge a passé sous silence ses nombreux appels à l’aide et que certaines déclarations ont été faites sans enregistrement vidéo à la suite d’un long interrogatoire de 13 heures.
  3.       Le juge formule ainsi ses directives, inspirées de celles proposées par le Comité national sur les directives au jury du Conseil canadien de la magistrature :

Vous avez entendu le témoignage des agents Martin Gélinas, Danny Paquette et Gilles Mailhot qui ont déclaré avoir entendu Jean-Pierre Bellemare dire certaines choses. Vous devez décider si vous croyez que Jean-Pierre Bellemare a fait tout ou une partie de la déclaration. Peu importe l’identité du témoin, il vous appartient de décider de croire ou non son témoignage au sujet de cette déclaration.

Lorsque les déclarations sont prises sur support vidéo ou audio, elles ne causent pas trop de difficultés quant à leur fiabilité. Fiabilité n’est pas synonyme de crédibilité. Vous pouvez être convaincus qu’une chose a été dite sans être convaincus que ce qui a été dit est vrai.

Ainsi, deux témoins sont venus dire que Jean-Pierre Bellemare leur a fait des déclarations hors caméra dans le mess des officiers. Ils ont aussi témoigné comment la lettre d’excuses P-51 a été rédigée. Pour décider si Jean-Pierre Bellemare a fait tout ou partie de ces déclarations, servez-vous de votre bon sens.

Tenez compte de l’état dans lequel se trouvait Jean-Pierre Bellemare et les témoins au moment de la conversation, l’entrevue ou la discussion, les circonstances dans lesquelles la conversation, l’entrevue ou la discussion a eu lieu et de tout autre élément susceptible de rendre plus ou moins digne de foi le témoignage des témoins.

Le fait qu’un témoin ait enregistré une conversation ou pris des notes à ce sujet ne détermine pas en soi la fiabilité de son témoignage. Il s’agit toutefois d’un des éléments dont vous pouvez tenir compte pour décider si l’accusé a fait tout ou partie de la déclaration. De la même façon, qu’un témoin ait fait une déclaration sur support vidéo, qu’elle soit assermentée ou non ne détermine pas non plus la fiabilité de son témoignage, mais il s’agit d’un élément dont vous pouvez tenir compte pour savoir si l’accusé a fait tout ou partie de la déclaration.

  1.       De l’avis du poursuivant, ces directives ne révèlent aucune faille. La réponse du poursuivant est exhaustive et je me permets de la reproduire intégralement :

Enfin, le juge a bel et bien indiqué au jury qu’il devait évaluer le contexte dans lequel les déclarations incriminantes de l’appelant ont été faites. Il a souligné aux jurés que certaines déclarations avaient été faites hors caméra et qu’ils devaient, pour déterminer si les déclarations attribuées à l’appelant avaient été faites, tenir compte de l’état dans lequel ce dernier et les témoins étaient à ce moment de même que des circonstances entourant cette conversation. Il a aussi noté que l’absence d’enregistrement constituait un facteur dont ils pouvaient tenir compte pour déterminer si l’appelant avait fait les déclarations qui lui étaient attribuées et, le cas échéant, qu’il leur revenait de déterminer l’importance à accorder aux déclarations faites par l’appelant. Le jury était en mesure de bien apprécier cette preuve, surtout que l’appelant avait exposé dans sa plaidoirie les circonstances qui selon lui en affectaient la valeur probante, insistant sur la durée de l’interrogatoire et l’absence d’enregistrement d’une partie de celui-ci, un aspect qu’avait aussi souligné dans sa plaidoirie le ministère public.

[Renvois omis]

  1.       Je ne suis pas en désaccord avec l’analyse du poursuivant. Cependant, les directives du juge étaient néanmoins insuffisantes.
  2.       En effet, dans ses sources, l’appelant invoque avec raison l’arrêt Wilson[97] de la Cour d’appel de l’Ontario rendu en 2006. Cet arrêt, fondé sur un arrêt antérieur de la même Cour dans Swanek[98] établit qu’une directive bien ciblée doit être communiquée au jury dans des cas de figure comme celui qui se posait au procès de l’appelant, soit l’absence d’enregistrement vidéo résultant du choix des policiers. Voici les explications que donne le juge Rosenberg :

[20] Most of the cases that have considered the issue of videotaping of statements have been concerned with the impact of the failure to videotape on admissibility. However, in my view, and for the reasons set out in Swanek, in appropriate circumstances, a special instruction should be given to the jury where the accused contests the accuracy of the non-recorded statement.  Over a decade ago, Carthy J.A. in his concurring reasons in R. v. Barrett (1993), 82 C.C.C. (3d) 266 (Ont. C.A.) at 270, noted the central feature a confession can play in a criminal case and the importance of having an accurate record of what occurred: and he said this:  “On this determinative issue of conviction the police force has, by its own choice in this case, denied the court the opportunity of an undeniable record of what led to the "conviction". Given the modest cost of videotape equipment, such critical evidence should not, in fairness, be restricted to sworn recollection of two contesting individuals as to what occurred in stressful conditions months or years ago. The evidence is admissible under our present rules, but everyone involved in the criminal justice system should make reasonable efforts to better serve its ultimate ends.”

[21] These concerns do not relate solely to voluntariness; they also relate to the jury’s task in attempting to decide whether the accused confessed as alleged by the police.  Barrett was overturned on appeal to the Supreme Court of Canada (1995), 96 C.C.C. (3d) 319, on the basis that the failure of the trial judge to give reasons for admitting the statement did not amount to an error of law.  That decision does not take away from the common sense identified by Carthy J.A.’s reasons.

[22] In R. v. Oickle (2000), 147 C.C.C. (3d) 321 (S.C.C.) at para. 46, Iacobucci J. held that a video or audio recording “can greatly assist the trier of fact in assessing the confession”. The trier of fact, of course is concerned not solely with voluntariness but whether the statement was made and the truth of the contents of the statement. It must also be said that at the present time the failure to electronically record the statement does not itself render the statement inherently suspect.  Iacobucci J. made that clear in Oickle at para. 46. To the same effect is the decision of the Manitoba Court of Appeal in R. v. Ducharme (2004), 2004 MBCA 29, 182 C.C.C. (3d) 243 at para. 46:

The difficulty is that until either the Supreme Court articulates or Parliament legislates the duties of the police and lays out a protocol to be followed, the common law definition of voluntariness will remain in effect. That being the case, it cannot be said that the failure to videotape or electronically record will automatically mean the exclusion of the evidence on a voir dire.

[23] Thus, there must be other circumstances before a trial judge would be entitled to give the special instruction sought in this case. One set of circumstances was identified in R. v Moore-McFarlane at para. 65: “where the suspect is in custody, recording facilities are readily available, and the police deliberately set out to interrogate the suspect without giving any thought to the making of a reliable record, the context inevitably makes the resulting non-recorded interrogation suspect”. Admittedly, in that case, Charron J.A. was concerned with voluntariness, but for the reasons set out above the concern for accuracy that arises at the voluntariness stage also applies at the guilt or innocence stage. 

[24] In my view, it was open to the jury to find that the police deliberately set out to interrogate the appellant without giving any thought to the making of a reliable video or audio record. The jury should therefore have been instructed along the lines suggested in R. v. Swanek that this was an important factor to consider in deciding whether to rely on the officer’s version of the statement.

[Les soulignements sont ajoutés]

  1.       Il faut dire à la décharge du juge du procès que l’appelant qui se représentait seul au procès ne lui a pas formulé une telle demande. Cependant, il est reconnu que « l’exposé au jury est une responsabilité qui incombe au juge du procès et non aux procureurs »[99].
  2.       La directive proposée par le Comité national sur les directives au jury du Conseil canadien de la magistrature comporte la suggestion suivante lorsque les faits d’une affaire mettent en cause l’absence d’un enregistrement vidéo :

(Lorsque l’accusé conteste l’exactitude du témoignage des policiers au sujet de sa déclaration non enregistrée, ajouter la directive énoncée au paragraphe [2-A].)

[2-A] Dans la présente affaire, il existe une preuve à partir de laquelle vous pouvez conclure que les policiers ont délibérément procédé à l’interrogatoire de (NDA) sans tenter de faire un enregistrement vidéo ou audio fiable, bien que les installations étaient disponibles. Si vous arrivez à cette conclusion, alors l’omission d’enregistrer l’interrogatoire est un facteur important dont vous devez tenir compte pour décider de la crédibilité à accorder au témoignage des policiers au sujet de la déclaration de (NDA)[100].

  1.       Dans la deuxième édition de son ouvrage Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions publiée en 2015, l’auteur Watt va dans le même sens et il propose la directive qui suit :

Where a statement has been admitted despite a failure to record all of it on available recording facilities, it may be helpful to add a word of caution especially when D takes issue with the accuracy of the police version of event. Consider:

In this case, you have heard evidence from which you may find that the police deliberately set out to question [the accused], but made no effort to make a reliable audio or video recording of the interview although recording facilities were readily available. If you reach that conclusion, you may consider the failure to make a recording an important factor to take into account in deciding whether or to what extent you will rely on what the police have said about [the accused’s] statement[101].

  1.       Dans les circonstances de la présente affaire, une directive de ce type s’imposait, et ce, même si l’appelant ne l’avait pas demandée. Si la directive avait été donnée, elle aurait pu influer sur le sort du procès.

V - L’application de la disposition réparatrice

  1.       J’ai relevé deux erreurs importantes susceptibles de justifier la tenue d’un nouveau procès. Or, le poursuivant invoque la disposition réparatrice.
  2.       Dans l’arrêt Trochym[102], la juge Deschamps résume le critère applicable :

[81] Dans R. c. Khan, [2001] 3 R.C.S. 823, 2001 CSC 86, par. 26, la juge Arbour, s’exprimant au nom de la majorité, a expliqué que « [l]es cours d’appel ont relevé essentiellement deux catégories d’erreurs qui enclenchent, à bon droit, l’application de la disposition réparatrice. La première catégorie est celle des erreurs dites “erreurs inoffensives”, ou des erreurs négligeables qui n’ont aucune incidence sur le verdict. La seconde catégorie englobe de graves erreurs qui justifieraient la tenue d’un nouveau procès, si ce n’était que la cour d’appel juge la preuve présentée accablante au point de conclure qu’aucun tort important ni erreur judiciaire grave ne s’est produit. » En ce qui concerne les erreurs graves, la juge Arbour cite, au par. 31, le juge Sopinka dans R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, p. 916, pour préciser que la disposition réparatrice s’applique uniquement si « la preuve est à ce point accablante que le juge des faits conclurait forcément à la culpabilité. Dans ce cas, il est justifié de priver l’accusé d’un procès régulier puisque cette privation est minime lorsque le résultat serait forcément une autre déclaration de culpabilité. »

[82] L’affaire qui nous est soumise appartient nettement à la seconde catégorie, soit celle des erreurs graves qui justifieront la tenue d’un nouveau procès, à moins que la preuve produite soit à ce point accablante qu’une déclaration de culpabilité est inévitable ou serait forcément prononcée. Cette norme ne doit pas être assimilée à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable qui s’applique ordinairement dans un procès criminel. L’application de la disposition réparatrice aux erreurs graves répond à une norme plus rigoureuse, appropriée à une procédure d’appel. La norme que la juridiction d’appel doit utiliser, à savoir déterminer si la preuve contre un accusé est à ce point accablante qu’une déclaration de culpabilité est inévitable ou serait forcément prononcée, est beaucoup plus élevée que celle voulant que le ministère public prouve ses allégations « hors de tout doute raisonnable » lors du procès. Cette norme plus élevée tient compte du fait qu’il est difficile pour une juridiction d’appel, surtout dans le cas d’un procès avec jury où elle ne dispose pas de conclusions détaillées sur les faits, de déterminer rétroactivement quel effet, par exemple, l’exclusion de certains éléments de preuve aurait raisonnablement pu avoir sur l’issue du procès.

  1.       Qualifiant la preuve de la culpabilité de l’appelant d’accablante, le poursuivant invoque l’arrêt Sekhon[103] et estime que, comme dans cette affaire, la preuve présentée tisse une toile inextricable pour l’appelant, même sans la preuve des aveux de l’appelant et de la lettre d’excuses à la victime :

[56] Mais il ne s’agit évidemment pas du seul élément de preuve. M. Sekhon est empêtré dans un enchevêtrement d’éléments de preuve circonstancielle et ne peut s’en échapper. À cet égard, il importe de signaler qu’au moment de considérer l’application du deuxième volet de la disposition réparatrice dans le cas d’une preuve circonstancielle, il faut examiner l’ensemble des éléments admissibles pour apprécier la solidité de la preuve. La Cour d’appel n’a pas à considérer chacun des éléments de la preuve et à rechercher une éventuelle explication qui innocenterait l’accusé. S’il en allait ainsi, il serait pratiquement impossible de satisfaire aux conditions d’application du deuxième volet de la disposition réparatrice dans tous les cas où la preuve est circonstancielle.

[57] Enfin, les propos du juge Binnie dans R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751, par. 46, repris dans R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505, par. 24, me paraissent indiqués en l’espèce :

Ordonner la tenue d’un nouveau procès soulève des questions importantes relativement à l’administration de la justice et à l’affectation adéquate des ressources.  Si la preuve contre l’accusé est forte et qu’il n’y a aucune possibilité réaliste qu’un nouveau procès aboutisse à un verdict différent, il est manifestement dans l’intérêt public d’éviter les coûts et retards qu’entraînent des procédures supplémentaires. C’est ce que le législateur a prévu.

  1.       J’ai décrit sommairement la preuve au début de mes motifs. L’argumentaire du poursuivant dans son mémoire est persuasif. Je reprends donc ces éléments :
  • L’ADN de l’adolescente séquestrée a été prélevé sur deux gants trouvés dans le véhicule de l’appelant; l’un comportait aussi l’ADN du complice de l’appelant et l’autre celui de l’appelant;
  • Une empreinte de soulier, correspondant au pied gauche d’une sandale Crocs, découverte dans la résidence où l’adolescente a été séquestrée, est compatible avec une sandale Crocs (pied droit) trouvée dans le véhicule de l’appelant, les deux ayant des caractéristiques de classe similaires. L’ADN prélevé sur cette sandale pouvait provenir du profil génétique de l’appelant, lequel a été observé un mois avant l’enlèvement à la Banque CIBC avec des sandales de ce type;
  • Une trace de pneu à l’entrée du garage de la résidence où l’adolescente a été séquestrée est compatible avec le type de pneus équipant le véhicule de l’appelant;
  • Les caractéristiques physiques et chimiques des morceaux de ruban à conduit retrouvés dans la résidence où l’adolescente a été séquestrée et sur le chemin qu’elle a emprunté après s’être libérée — dont certains comportaient son ADN — correspondent aux caractéristiques d’un des deux rouleaux de ruban à conduit déjà utilisé et retrouvé dans le véhicule de l’appelant, de sorte qu’ils pouvaient provenir de ce rouleau selon la preuve d’expert;
  • La mère de l’adolescente a reçu un appel exigeant une rançon à 9 h 02 sur le compte Messenger de sa fille. La connexion au compte Messenger a été effectuée à partir de l’adresse IP d’un Tim Hortons situé sur le chemin Knowlton, à Lac-Brome;
  • Les vidéos captées au Tim Hortons et à la station-service à proximité permettent de voir qu’un homme pouvant être identifié comme l’appelant s’y trouvait entre 8 h 55 et 9 h 03 le 19 septembre 2018, soit au moment où le premier appel à la mère de l’adolescente a été fait. Le suspect avait entre les mains une tablette se trouvant dans un étui violet. Il portait aussi des chaussures de sport blanches;
  • Au moment de son arrestation à la frontière américaine, le lendemain de l’enlèvement, l’appelant portait des chaussures similaires et une tablette numérique dans un étui mauve a été trouvée dans son véhicule;
  • Les vêtements portés par l’homme sur les enregistrements vidéo étaient aussi fort semblables à ceux que portait un peu plus tard le même jour l’appelant, lorsqu’il a rencontré à Montréal le directeur d’un organisme communautaire qui le connaissait de longue date;
  • Les vidéos captées à partir de la station-service située à proximité du Tim Hortons permettent de voir un véhicule presqu’identique à celui au volant duquel l’appelant sera arrêté le lendemain à la frontière américaine;
  • Un concessionnaire d’automobiles a reconnu tant sur la vidéo captée à la station-service que sur les photos du véhicule saisi aux douanes une bande noire, conforme à celle qui avait été apposée sur le véhicule qu’il avait vendu à l’appelant deux jours plus tôt, le 17 septembre 2018;
  • Le second appel à la mère de l’adolescente a été fait à 13 h 03, à partir d’un téléphone public situé à proximité d’une station-service à Brossard. Or, un individu ressemblant à l’appelant, habillé de manière semblable à l’homme filmé un peu plus tôt au Tim Hortons et ayant lui aussi une tablette dans un étui mauve, s’est présenté à cette station-service à 12 h 38 et y a demandé de la monnaie. Selon la caissière, l’individu lui a dit vouloir de la monnaie afin d’utiliser le téléphone public;
  • Le téléphone de l’appelant a été capté à partir du 17 septembre par une tour cellulaire de Lac-Brome (Knowlton), notamment le 19 septembre à 9 h 36, soit peu de temps après le premier appel fait à la mère de l’adolescente à partir du Tim Hortons du chemin Knowlton. Un peu plus tard ce jour-là, à 14 h, le téléphone cellulaire de l’appelant a été capté par une tour cellulaire située à Montréal, soit un peu moins d’une heure après l’appel placé à partir de la station-service de Brossard;
  • De même, plusieurs communications ont été effectuées entre le téléphone de l’appelant et de son complice, M. Vallières;
  • Des appels faits au moyen du téléphone de M. Vallières au téléphone de l’appelant sont captés par la tour cellulaire de Lac-Brome les 17, 18 et 19 septembre, dont l’un à 9 h 36 ce jour-là;
  • L’adolescente a noté que le véhicule de ses ravisseurs ne comportait que deux sièges à l’avant, comme c’est le cas pour le véhicule de l’appelant;
  • L’adolescente a affirmé que ses ravisseurs l’avaient menottée. Or, les douaniers américains ont trouvé une clé de menottes dans le véhicule de l’appelant;
  • Le lendemain de l’enlèvement, l’appelant s’est enfui aux États-Unis.
  1.       Je conclus sans hésitation que la preuve de la culpabilité de l’appelant se révèle, en effet, accablante. Il convient d’appliquer la disposition réparatrice prévue au sousalinéa 686(1)b)(iv) du Code criminel.
  2.       Pour l’ensemble de ces motifs, je propose à la Cour de rejeter l’appel.

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 


[1]  R. c. Bellemare, 2022 QCCS 4296.

[2]  L’enquête policière visait d’autres accusations : un autre enlèvement et des agressions sexuelles.

[3]  R. c. Beaver, 2022 CSC 54.

[4]  R. c. Tessier, 2022 CSC 35, [2022] 2 R.C.S. 660, par. 43, voir aussi par. 65; R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 71.

[5]  R. c. Bellemare, C.S. Bedford, no 455-01-016792-191, 4 mars 2021, Dumas, j.c.s., par. 68-69 et 86-88 [Jugement sur l’admissibilité des aveux de l’appelant]. Le jugement n’est pas accessible dans les banques électroniques de jurisprudence.

[6]  Jugement sur l’admissibilité des aveux de l’appelant, par. 27-29.

[7]  Id., par. 29.

[8]  Id., par. 30.

[9]  Id., par. 32.

[10]  Id., par. 33.

[11]  Id., par. 34-38.

[12]  Id., par. 38-42.

[13]  Id., par. 40.

[14]  Id., par. 43.

[15]  Ibid.

[16]  Id., par. 44.

[17]  Id., par. 59.

[18]  Jugement sur l’admissibilité des aveux de l’appelant, par. 70.

[19]  Ibid.

[20]  Id., par. 71.

[21]  Id., par. 80.

[22]  Id., par. 50.

[23]  Id., par. 54.

[24]  Id., par. 57.

[25]  Id., par. 52-53 (le juge cite le par. 74 de l’arrêt R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3).

[26]  Id., par. 55-56.

[27]  Id., par. 56.

[28]  Id., par. 45-46.

[29]  Id., par. 47.

[30]  Id., par. 61-63.

[31]  Id., par. 79.

[32]  L’interrogatoire portait sur trois événements distincts : deux enlèvements et des agressions sexuelles.

[33]  Jugement sur l’admissibilité des aveux de l’appelant, par. 43.

[34]  Id., par. 58.

[35]  R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3.

[36]  F.D. c. R., 2016 QCCA 172.

[37]  R. c. Hodgson, 2024 CSC 25, par. 34-35.

[38]  318 U.S. 332 (1942), à la p. 347. Le juge Lamer cite ce passage dans l’arrêt Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 513.

[39]  Gary T. Trotter, « False Confessions and Wrongful Convictions », (2004) 35 Ottawa Law Review 179, à la p. 182. Voir Groupe de travail du Comité fédéral/provincial/territorial des chefs des poursuites pénales. Rapport sur la prévention des erreurs judiciaires. Ottawa : Ministère de la Justice, 2004, chap. 6, p. 65-83; Christopher Sherrin, « Comment on the Report on the Prevention of Miscarriages of Justice », (2007) 52 C.L.Q. 140, p. 155-165.

[41]  Id., par. 32.

[42]  R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, [2022] 2 R.C.S. 393, par. 77; R. c. Provencher, 2025 QCCA 505, par. 107-111.

[43]  Ibid.

[44]  R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 45.

[45]  Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail n°32. L’interrogatoire des suspects, Ottawa, 1984.

[46]  Commission de réforme du droit du Canada, Rapport n°23. L’interrogatoire des suspects, Ottawa, 1984.

[47]  [1990] O.J. No. 940, 1 C.R.R. (2d) 148.

[48]  R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740.

[49]  En préparation de l’audition du pourvoi, le juge en chef Lamer a demandé au Procureur général de l’Ontario, appelant dans cette affaire, de procéder à un sondage auprès des corps policiers canadiens concernant l’utilisation de l’enregistrement des interrogatoires de suspects : voir Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions. Toronto, 1993, p. 154.

[50]  R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, aux pages 765-768.

[51]  Alan Grant, « Videotaping Police Questioning: A Canadian Experiment », [1987] Crim. L.R. 375.

[52]  R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, aux pages 824-825.

[53]  R. v. Barrett (1993), 82 C.C.C. (3d) 266. La décision de la Cour d’appel sera infirmée par la Cour suprême mais pour d’autres motifs : R. c. Barrett, [1995] 1 R.C.S. 752.

[54] R. v. Barrett (1993), 82 C.C.C. (3d) 266 (C.A. Ont.), p. 269-270.

[55]  Id., p. 275-276.

[56]  Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions. Toronto, 1993.

[57]  Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71, [2013] 3 R.C.S. 1053, par. 64.

[58]  Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions. Toronto, 1993, aux pages 153-166.

[59]  Groupe de travail chargé d’examiner les pratiques en matière d’enquête au sein des corps de police du Québec, L’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des suspects ou des accusés : rapport d’étape, Québec, Ministère de la Sécurité publique, janvier 1996; Groupe de travail chargé d’examiner les pratiques en matière d’enquête au sein des corps de police du Québec, Les pratiques en matière d’enquête au sein des corps de police du Québec, Rapport final, Québec, Ministère de la Sécurité publique, novembre 1996; Groupe de travail du Comité fédéral/provincial/territorial des chefs des poursuites pénales, Rapport sur la prévention des erreurs judiciaires. Ottawa : Ministère de la Justice, 2004, chapitre 6, p. 65-83.

[60]  R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239, par. 1; Royal Commission on the Donald Marshall, Jr., Prosecution, Halifax, 1989; Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin, Toronto, 1998; The Inquiry Regarding Thomas Sophonow: The Investigation, Prosecution and Consideration of Entitlement to Compensation, Winnipeg:  Manitoba Justice.

[61]  Gary T. Trotter, « False Confessions and Wrongful Convictions », (2004) 35 Ottawa Law Review 179, p. 200-208; Lee Stuesser, « The Accused’s Right to Silence: No Doesn’t Mean No », (2002) 29 Manitoba Law Journal 149, p. 166-170; Bruce A. MacFarlane, « Convicting the Innocent: A Triple Failure of the Justice System », (2006) 31 Manitoba Law Journal 403, aux pages 472-478; Christopher Sherrin, « Comment on the Report on the Prevention of Miscarriages of Justice », (2007) 52 C.L.Q. 140, p. 155-165. En droit américain, on lira : Saul M. Kassin et al., « Police-Induced Confessions, 2.0: Risk Factors and Recommendations », (2025) 49 Law and Human Behavior 7, p. 32-33; Richard A. Leo, Police Interrogation and American Justice, Harvard University Press, 2008, aux pages 291 à 305; Dan Simon, In Doubt: The Psychology of the Criminal Justice Process, Harvard University Press, 2012, aux pages 142-143; Garrett, Brandon L. « The Substance of False Confessions » (2010), 62 Stan. L. Rev. 1051; Sullivan, T.P. « Electronic Recording of Custodial Interrogations: Everybody Wins » (2005), 95 Journal of Criminal Law and Criminology 1127.

[62]  Dans la littérature juridique américaine, l’expression « swearing match » est utilisée plutôt que « concours de crédibilité ». La douzième édition du Black’s Law Dictionary (2024), à la p. 1755, définit cette expression de la manière suivante : « A dispute in which determining a vital fact involves the credibility choice between one witness’s word and another’s — the two being irreconcilably in conflict and there being no other evidence. In such a dispute, the factfinder is generally thought to believe the more reputable witness, such as a police officer over a convicted drug-dealer. Also termed swearing contest; oath against an oath ».

[63]  (2001), 160 C.C.C. (3d) 493.

[64]  R. c. Moore-McFarlane (2001), 160 C.C.C. (3d) 493, par. 66.

[65]  R. v. Lapointe (1983), 9 C.C.C. (3d) 366 (C.A. Ont.), confirmé par R. v. Lapointe and Sicotte, [1987] 1 R.C.S. 1253.

[66]  R. v. Ahmed (2002), 170 C.C.C. (3d) 27 (C.A. Ont.). Voir aussi les décisions suivantes de la Cour d’appel de l’Ontario qui sont au même effet : R. v. Backhouse (2005), 194 C.C.C. (3d) 1; R. v. Wilson (2006), 210 C.C.C. (3d) 23; R. v. Swanek (2005), 28 C.R. (6th) 93.

[67]  César-Nelson c. R., 2014 QCCA 1129, par. 69. Dans cette décision, le juge Rochon renvoie aux arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario dans Ahmed, Wilson et Swanek qui appliquent les principes énoncés dans l’arrêt Moore-McFarlane.

[68]  Id., note de bas de page 5 de l’arrêt César-Nelson.

[69]  F.D. c. R., 2016 QCCA 172. Voir aussi Caron c. R., 2007 QCCA 1569.

[70]  Id., par. 26.

[71]  Id., par. 30.

[72]  O’Reilly c. R., 2017 QCCA 1283.

[73]  Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254, par. 606.

[74]  Carrier c. R., 2022 QCCA 1487.

[75]  Je n’interprète pas différemment l’arrêt Carrier c. R., 2022 QCCA 1487, par. 34.

[76]  R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544.

[77]  Id., par. 10.

[78]  R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544. À la note 6, le juge Moldaver écrit : « Il semble que, en Colombie-Britannique, la GRC ait déjà pour pratique d’enregistrer une partie importante des échanges entre l’accusé et les agents (voir W. E. Dawson, « The Use of “Mr. Big” in Undercover Operations », dans Criminal Law : Special Issues (2011), Paper 5.2, p. 5.2.44).

[79]  Matthew Gourlay et al., Modern Criminal Evidence, Emond, 2022, p. 457.

[80]  F.D. c. R., 2016 QCCA 172, par. 23 et 30; O’Reilly c. R., 2017 QCCA 1283, par. 161.

[81]  R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368, p. 389 (motifs concordants de la juge L’Heureux-Dubé).

[82]  R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, par. 99.

[83]  R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 99.

[84]  R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368, p. 389 (motifs concordants de la juge L’Heureux-Dubé).

[85]  R. c. Timm (1998), 131 C.C.C. (3d) 306 (C.A. Qué.), à la p. 342 (dissidence du juge Fish), appel rejeté par la Cour suprême pour les motifs de la majorité : R. c. Timm, [1999] 3 R.C.S. 666.

[86]  R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, par. 22; R. c. Provencher, 2025 QCCA 505, par. 107-111.

[87]  R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, p. 176.

[88]  Sur ce point, il n’y a pas de désaccord entre les juges Charron et Fish : R. c. Singh, 2007 CSC 48, [2007] 3 R.C.S. 405, par. 28 (la juge Charron); par. 84 (le juge Fish renvoie au par. 28 du même arrêt).

[89]  R. c. Singh, 2007 CSC 48, [2007] 3 R.C.S. 405, par. 45.

[90]  R. c. Singh, 2007 CSC 48, [2007] 3 R.C.S. 405, par. 86.

[91]  R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, [2022] 2 R.C.S. 393, par. 77.

[92]  R. v. Backhouse (2005), 194 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), par. 118.

[93]  Jugement sur l’admissibilité des aveux de l’appelant, par. 74.

[94]  Id., par. 79.

[95]  Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71, [2013] 3 R.C.S. 1053, par. 67.

[96]  R. v. Holmes (2002), 169 C.C.C. (3d) 344 (C.A. Ont.), par. 32.

[97]  R. v. Wilson (2006), 210 C.C.C. (3d) 23 (C.A. Ont.).

[98]  R. v. Swanek (2005), 28 C.R. (6th) 93 (C.A. Ont.). Dans l’arrêt César-Nelson c. R., 2014 QCCA 1129, par. 72, le juge Rochon renvoie à cet arrêt.

[99]  R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 67.

[100]  Comité national sur les directives au jury du Conseil canadien de la magistrature, Modèles de directives au jury (en ligne), directive 11.7, (dernière mise à jour juin 2012).

[101]  David Watt, Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions, 2e éd., 2015, Carswell, p. 309. Voir aussi David Watt, Watt’s Manual of Criminal Jury Instructions, 3e éd., 2023, Thomson Reuters, p. 328.

[102]  R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239.

[103]  R. c. Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 R.C.S. 272.

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