Décision

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Ville de Bois-des-Filion c. Cour du Québec

2020 QCCS 3003

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

« Chambre civile »

N° :

700-17-015991-192

 

DATE :

24 septembre 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEFFREY EDWARDS, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

VILLE DE BOIS-DES-FILION

Demanderesse

c.

COUR DU QUÉBEC

Défenderesse

-ET-

MARC PERRON

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

Aperçu

 

[1]         La Ville de Bois-des-Filions (Ville) présente un pourvoi en contrôle judiciaire par rapport à un jugement rendu par la Cour du Québec, Division administrative et d’appel[1] (Jugement sous révision) qui a confirmé une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ), Secteur des affaires immobilières, en matière de fiscalité municipale[2] (Décision). La Décision a déclaré que l’unité d’évaluation visant un immeuble du mis en cause Marc Perron n’est pas assujettie à la surtaxe sur les terrains vagues desservis aux fins du rôle triennal de la municipalité de 2016.

 

[2]         Selon la Ville, l’immeuble de M. Perron constitue un terrain vague desservi et doit être déclaré comme tel. La Ville allègue que la Décision est mal fondée en fait et en droit et que le Jugement sous révision aurait dû intervenir pour l’infirmer à cet égard. La Ville soumet que le Jugement sous révision est déraisonnable et demande à la Cour de l’annuler et de déclarer que l’immeuble en question est assujetti à la surtaxe visant un terrain vague desservi.

 

[3]         À notre avis, le Jugement sous révision est raisonnable. Il appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir.

 

Norme de contrôle applicable

 

[4]         À la fois l’avocat de la Ville et celui de M. Perron soumettent que la norme de contrôle applicable pour l’examen par la Cour supérieure du Jugement sous révision est celle de la décision raisonnable[3].

 

[5]         Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a précisé le cadre d’analyse à suivre pour déterminer la norme de contrôle applicable par une Cour de révision, telle la Cour supérieure, à une décision administrative antérieure ou d’un jugement d’une cour de justice, telle la Cour du Québec. La Cour suprême s’est exprimée ainsi[4] :

 

« [10] Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas.

 

Les cours de révision ne devraient déroger à cette présomption que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige. »

 

[6]         Dans RD c. Tribunal administratif du Québec[5], la Cour supérieure s’est exprimée ainsi :

 

« [45] Depuis l’arrêt Vavilov …, un nouveau cadre d’analyse permet de déterminer la norme de contrôle applicable et de procéder au contrôle judiciaire des décisions administratives. Dorénavant, il existe une présomption voulant que le contrôle des décisions administratives doive se faire selon la norme de la décision raisonnable.

 

[…]

[47] Ici, aucune des situations décrites dans l’arrêt Vavilov justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. »

 

[7]         En l’espèce, aucun texte législatif n’indique une intention du législateur de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. De même, le pourvoi en contrôle judiciaire ne soulève aucune question impliquant la primauté de droit. Nous sommes donc d’avis que la norme de contrôle pertinente est celle de la décision raisonnable.

 

[8]         Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, la Cour suprême a posé le test applicable initial relevant de la norme de la décision raisonnable. La Cour suprême s’est alors exprimée ainsi[6] :

 

« [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

 

[9]         Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême s’est exprimée ainsi[7] :

 

« [102] Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : […] Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’«[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » […].

 

[103] Bien que, comme nous l’avons déjà mentionné aux par. 89 à 96, il faille interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés, une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle : […] Une décision sera également déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée […], ou qu’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central. »

 

[10]        Dans RD c. Tribunal administratif du Québec[8], la Cour supérieure s’est exprimée ainsi :

 

« [49] Quant à l’application de la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême identifie deux lacunes fondamentales qui permettent de déterminer qu’une décision est déraisonnable. La première concerne le manque de logique interne du raisonnement. La deuxième est le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes :

 

[101] Qu’est-ce qui rend une décision déraisonnable? Il nous semble utile ici, d’un point de vue conceptuel, de nous arrêter à deux catégories de lacunes fondamentales. La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. Il n’est toutefois pas nécessaire que les cours de révision déterminent si les problèmes qui rendent la décision déraisonnable appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie. Ces désignations offrent plutôt un moyen pratique d’analyser les types de questions qui peuvent révéler qu’une décision est déraisonnable.

 

[50] Dans le cadre de son analyse selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit se demander si, dans son ensemble, la décision est raisonnable eu égard aux motifs exposés et au contexte décisionnel. Pour ce faire, il faut d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur administratif pour en arriver à une conclusion. La nature et l’ampleur de la justification requise dépendent par ailleurs du contexte dans lequel la décision administrative est rendue. La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur administratif est assujetti. »

 

[11]        En l’instance, la Cour doit vérifier la légalité du Jugement sous révision suivant la norme de la décision raisonnable. Or, ce jugement a lui-même examiné en appel le bien-fondé de la Décision rendue par le TAQ.

 

[12]        Le TAQ est un tribunal administratif spécialisé. Le législateur a conféré une compétence particulière à la Section des affaires immobilières du TAQ siégeant en matière de fiscalité municipale[9].

 

[13]        Une décision rendue par le TAQ dans les matières traitées par la Section des affaires immobilières peut faire l’objet d’un appel à la Cour du Québec[10], sur permission d’un juge de cette Cour, ce qui a été accordé en l’espèce[11].

 

[14]        Afin d’évaluer le caractère raisonnable du Jugement sous révision, il y a donc nécessairement lieu de se référer à la matière que la Cour du Québec devait examiner, soit la preuve et les questions de droit présentées au TAQ qui ont fait l’objet de la Décision, et ensuite, ont fait l’objet d’un appel à la Cour du Québec.

 

Question en litige

 

[15]        Est-ce que le Jugement sous révision en appel de la Décision possède les attributs de la rationalité, soit que ses motifs et sa conclusion appartiennent aux issues possibles pouvant se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes?

 

Contexte

 

Les faits de base

 

[16]        L’immeuble de M. Perron est constitué de deux terrains vagues situés à l’extrémité de la Ville. Les terrains portent les désignations de lots nos [...] et [...] du Cadastre du Québec. La superficie totale de ces deux terrains est de 417 528 pieds carrés. Au rôle triennal de 2016, les deux terrains sont regroupés au sein de la même unité d’évaluation portant le matricule 8458-11-5137.

 

[17]        À la lumière des commentaires de l’évaluateur agréé expert mandaté par M. Perron, soit Jean-Pierre Gervais, le texte de la Décision décrit les terrains ainsi :

 

« [11] [M. Gervais] constate que les deux terrains contigus n’ont pas front sur une rue importante et se trouvent pratiquement enclavés, sauf un accès minime via la fin de la [rue A] tel qu’on peut le voir sur les plans et photos aériennes en page iii de son rapport. »

 

[18]        Selon la preuve, il est reconnu qu’à partir de la [rue A], il y a une forte pente vers le haut afin d’avoir accès aux terrains de M. Perron.

 

[19]        Devant le TAQ, il y avait à l’origine deux questions qui divisaient les parties, soit la valeur de l’immeuble et l’assujettissement de celui-ci à la surtaxe décrétée par la Ville pour un « terrain vague desservi ». M. Perron contestait les inscriptions touchant à la valeur inscrite des terrains aux rôles triennaux de 2013 et de 2016. La Décision a tranché la valeur de ces deux terrains. La Décision a fixé la valeur des terrains suivant l’exigence municipale que ceux-ci devraient permettre la construction de soixante-six (66) résidences unifamiliales isolées[12]. La détermination quant à la valeur inscrite aux rôles n’a pas fait l’objet de contestation ou d’appel subséquents.

 

[20]        La question devant la Cour du Québec et devant nous porte donc uniquement sur la surtaxe pour un terrain vague desservi.

 

[21]        Selon la réglementation municipale, les deux terrains de M. Perron sont zonés pour un usage résidentiel, pour des unités unifamiliales isolées. Les deux terrains font également l’objet d’un Plan d’aménagement d’ensemble (PAE) adopté par la Ville[13]. En vertu du PAE, il est interdit au propriétaire de procéder à un développement partiel de ces terrains. Il doit présenter, faire adopter et se conformer à un plan de développement approuvé par la Ville visant l’ensemble des terrains faisant l’objet de l’unité d’évaluation. L’article 1.3 du PAE prévoit :

 

« 1.3     OBJET DU RÈGLEMENT

 

Le présent règlement a pour objet d’exiger, de la part du requérant qui demande une modification des usages autorisés dans la zone 6C, 23H ou 27C, la présentation d’un plan d’aménagement de l’ensemble de la zone concernée par la demande de modification. »

 

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

 

[22]        Suivant ces exigences réglementaires de la Ville, M. Perron a demandé à son évaluateur de déterminer le nombre de résidences unifamiliales isolées dont pourraient faire l’objet les deux terrains terrains dans leur ensemble. M. Gervais s’est exprimé ainsi[14] :

 

« […] à la lumière des faits connus aujourd’hui, nous estimons que l’usage qui sera probablement retenu comme étant le meilleur et le plus profitable sera de le lotir en environ 66 lots, d’une superficie moyenne de 4 985 pieds carrés, lesquels seront destinés à la construction de résidences unifamiliales isolées conformément au règlement de zonage en vigueur.

 

Le croquis de la page suivante illustre le type de lotissement qui pourrait être effectué et montre la longueur approximative des rues qu’il sera nécessaire de construire pour desservir ce lotissement, soit une longueur totale de 1 771 pieds (450 mètres).

 

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

 

 

 

[23]        En conséquence, selon la réglementation municipale en vigueur, le développement résidentiel minimal de ces terrains requiert la construction d’au moins soixante-six (66) résidences unifamiliales isolées. Un plan de développement plus agressif impliquerait une densification accrue notamment par la construction de maisons de ville ou encore en construisant vers le haut (par exemple, des bâtiments comprenant des unités de condominium). Cependant, tout projet impliquant une densification accrue doit obligatoirement faire l’objet d’une modification réglementaire préalable approuvée par la municipalité. La Décision résume :

 

« [21] Suivant le scénario de découpage des rues qu’il [M. Gervais] propose en page 20 de son rapport, il estime pouvoir considérer 66 lots résidentiels unifamiliaux.

 

[22] Bien qu’aucun plan précis n’ait été présenté, il obtient ce nombre de lots, par soustraction de la superficie des rues de l’aire totale, ce reste étant divisé par la superficie minimum des lots prévue à la réglementation municipale.

 

Décision du TAQ

 

[24]        La Décision s’est prononcée sur la question au cœur du pourvoi en contrôle judiciaire devant nous, à savoir si les terrains de M. Perron constituent des « terrains vagues desservis » en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)[15]. Le TAQ s’est exprimé ainsi :

 

« [142]  À l’égard de l’assujettissement à la surtaxe sur les terrains vagues desservis, le Tribunal estime devoir faire droit à la demande du requérant et déclarer que le terrain à l’étude ne rencontre pas les critères prévus par la loi pour être assujetti à ladite surtaxe.

 

[143]     L’article 244.36 LFM se lit comme suit :

 

244.36.  Appartient à la catégorie des terrains vagues desservis toute unité d'évaluation qui est constituée uniquement d'un tel terrain et, le cas échéant, de tout bâtiment visé au deuxième alinéa.

 

Terrain vague.

 

Est vague le terrain sur lequel aucun bâtiment n'est situé. Un terrain est également vague lorsque, selon le rôle d'évaluation foncière, la valeur du bâtiment qui y est situé ou, s'il y en a plusieurs, la somme de leurs valeurs est inférieure à 10 % de celle du terrain.

 

 

 

 

 

 

Terrain desservi.

 

Est desservi le terrain dont le propriétaire ou l'occupant peut, en vertu de l'article 244.3, être le débiteur d'un mode de tarification lié au bénéfice reçu en raison de la présence des services d'aqueduc et d'égout sanitaire dans l'emprise d'une rue publique.

 

[144]     Et l’article 244.3 LFM pour sa part se lit comme suit :

 

244.3.  Le mode de tarification doit être lié au bénéfice reçu par le débiteur.

 

Bénéfice reçu.

 

Le bénéfice est reçu non seulement lorsque le débiteur ou une personne à sa charge utilise réellement le bien ou le service ou profite de l'activité, mais aussi lorsque le bien ou le service est à sa disposition ou que l'activité est susceptible de lui profiter éventuellement.

 

Cette règle s'applique également, compte tenu des adaptations nécessaires, dans le cas d'un bien, d'un service ou d'une activité qui profite ou est susceptible de profiter non pas à la personne en tant que telle, mais à l'immeuble dont elle est propriétaire ou occupant.

 

[145]         Ainsi, pour être assujetti à la surtaxe, le terrain sujet doit non seulement être desservi, mais aussi être « désservable » avec les infrastructures d’eau et d’égout en place.

 

[146]         M. Gervais, pour le requérant, doute que telles quelles les infrastructures en place puissent être adéquates pour desservir le sujet. À son avis au moins une station de pompage pourrait être nécessaire sur la conduite d’égout.

 

[147]         M. Brassard, ingénieur à la Ville, n’a pas visité le terrain et ne peut se prononcer avec certitude à l’égard de la nécessité ou non d’une station de pompage.

 

[148]         Cependant, là où M. Gervais ne fait pas de restrictions quant à la capacité des infrastructures en place pour recevoir et desservir le projet possible développé sur le terrain sujet, c’est M. Brassard qui dans son rapport fait état de ses doutes.

 

[149]         Nous nous retrouvons dans une situation similaire à celle qui existait dans l’affaire Gaston Paradis c. Ville de Québec (T.A.Q. 4 juillet 2005, SAI-Q-112157-0410) qui posait justement cette question de réelle possibilité :

 

« [28]  Le Tribunal est d’accord avec le procureur de la Ville de Québec lorsqu’il affirme qu’à son point de vue4 :

 

« un service municipal, c’est donner à un promoteur l’opportunité de se déverser dans l’égout public.

 

Et on aura beau ériger toutes les conduites qu’on voudra sur ce terrain-là et les stations de pompage, si la prémisse de base est qu’il n’est pas possible de se raccorder au système municipal parce que les débits sont complets, à ce moment-là, vous n’êtes pas desservi.

 

[…]

 

[150]         Le Tribunal conclut, après avoir considéré les témoignages et surtout celui de M. Brassard, qu’il existe un doute quant à la capacité pour les infrastructures en place de desservir le projet le plus minimalement possible sur le terrain sujet.

 

[151]         Or, comme l’article 244.3 LFM subordonne l’assujettissement à la surtaxe à la capacité et la possibilité pour le terrain de réellement  profiter des services, force nous est de constater que ce n’est pas le cas pour notre sujet, ou du moins qu’il existe un sérieux doute à ce sujet, d’où le non-assujettissement à la surtaxe.

 

[…]

 

[158]         Pour le moment selon l’état des lieux, l’article 244.3 LFM ne peut trouver accomplissement en ce que les services d’eau et d’égout sanitaire, pour tous les motifs mentionnés ci-haut, ne peuvent bénéficier au requérant ou à son terrain.

 

[…]

 

[160]         Le Tribunal doit apprécier l’état des lieux et de la législation au moment de l’évaluation et non selon des espoirs futurs.

 

[161]         Si la situation change, alors l’inscription au rôle pourra changer, c’est là la beauté de notre système d’évaluation foncière, de pouvoir s’ajuster à de nouvelles réalités tous les trois ans.

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

 

 

Jugement de la Cour du Québec et questions autorisées en appel

 

[25]        La Ville a obtenu permission d’appeler de la Décision. Deux questions ont été autorisées[16], à savoir :

 

1) Le TAQ a-t-il commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour du Québec en tenant compte de la présence ou de l’absence de l’égout pluvial pour déterminer si le terrain est desservi?

 

2) Le TAQ a-t-il commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour du Québec en considérant que les services disponibles n’avaient pas la capacité requise pour que le terrain soit considéré comme étant desservi? Le TAQ a-t-il commis une erreur en exigeant que le terrain ne soit non seulement « desservi », mais également « desservable »?

 

[26]        La question 1) a trait à la pertinence de l’absence d’égout pluvial dans la qualification des terrains en tant que « terrains vagues desservis ». La preuve devant le TAQ était claire et non contredite que la Ville n’avait pas encore installé dans l’emprise d’une rue publique pertinente les conduites d’un égout pluvial et que l’installation d’un tel égout était requise dans les faits pour que les services d’aqueduc et d’égout sanitaire puissent approvisionner les terrains selon un plan de développement conforme à la réglementation municipale[17]. Or, les dispositions pertinentes de la LFM ne prévoient pas la condition de la présence d’un égout pluvial pour qu’un terrain vague soit considéré « desservi ».

 

[27]        Le Jugement sous révision a conclu que le TAQ a erré à cet égard. Devant nous, l’avocat de M. Perron n’a pas insisté sur ce point. Il faut souligner cependant qu’il s’agissait d’un motif supplémentaire de la Décision[18]. Puisque ce point n’a pas été soulevé devant nous par la Ville pour contester la légalité du Jugement sous révision, il n’est pas nécessaire pour la Cour de s’y prononcer. De plus, compte tenu de la conclusion de la présente Cour, soit que la conclusion du TAQ, confirmée par le Jugement sous révision, selon laquelle les terrains ne sont pas desservis au sens de la LFM, il n’y a pas lieu de traiter de cette question.

 

[28]        La question 2) comprend en fait deux sous-questions. La deuxième sous-question est subsidiaire et soulève le caractère « desservable » du terrain par rapport aux infrastructures en place. Compte tenu de la conclusion à laquelle arrive la présente Cour, soit le caractère raisonnable de la détermination par le Jugement sous révision que les terrains faisant l’objet de l’unité d’évaluation ne sont pas desservis, il n’y a pas lieu non plus de traiter cette deuxième sous-question.

 

 

 

Analyse et décision

 

[29]        Selon le Jugement sous révision, l’inscription au rôle municipal d’un terrain faisant l’objet d’unité d’évaluation de la catégorie « terrain vague desservi » requiert nécessairement le respect par la Ville de « certaines conditions rattachées à cette catégorie » prévues par la loi. Le Jugement sous révision se réfère aux articles 244.3 et 244.36 de la LFM. Selon le Jugement sous révision, les questions factuelles à trancher par le TAQ devaient être décidées selon le critère de la prépondérance de la preuve.

 

[30]        Le Jugement sous révision a conclu que, compte tenu de la preuve administrée devant le TAQ et des conditions prévues par la LFM pour qualifier un terrain de « terrain vague desservi », la Décision possède les attributs de la rationalité, en particulier que sa conclusion appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[31]        La Cour du Québec s’est exprimée ainsi[19] :

 

« [19] Le Tribunal constate donc que le recours visant à contester l’inscription comme terrain vague desservi au rôle municipal d’une unité d’évaluation est du domaine de l’imposition d’une taxe. En conséquence, la municipalité a le fardeau de prouver que les conditions rattachées à cette catégorie sont remplies pour éventuellement imposer un taux de taxation différent si le contribuable conteste avec une preuve sérieuse. La prépondérance de la preuve apportée par les parties constitue toujours le critère d’appréciation finale.

 

[20] Cela autorise donc le TAQ à disposer du présent dossier sur la base de cette appréciation n’étant pas convaincu par prépondérance que le terrain est desservi.

 

[150] Le Tribunal conclut, après avoir considéré les témoignages et surtout celui de M. Brassard, qu’il existe un doute quant à la capacité pour les infrastructures en place de desservir le projet le plus minimalement possible sur le terrain sujet.

 

[151] Or, comme l’article 244.3 LFM subordonne l’assujettissement à la surtaxe à la capacité et la possibilité pour le terrain de réellement profiter des services, force nous est de constater que ce n’est pas le cas pour notre sujet, ou du moins qu’il existe un sérieux doute à ce sujet, d’où le non-assujettissement à la surtaxe.

 

[…]

 

[32] En conclusion, la décision du TAQ, qui considère l’unité d’évaluation de M. Perron comme non desservie, est une issue raisonnable puisque cette unité peut ne pas être en totalité bénéficiaire de services d’aqueduc et d’égout sanitaire dans l’emprise d’une rue publique. […] »

 

[32]        Le Jugement sous révision a également formulé de manière subsidiaire d’autres motifs pour soutenir le bien-fondé factuel et juridique de la Décision. La Ville conteste le bien-fondé de ces autres motifs. Compte tenu de la conclusion de la présente Cour, il n’est pas nécessaire d’examiner ces autres motifs.

 

[33]        Le Jugement sous révision n’a pas maintenu le motif ayant trait à l’absence d’égouts pluviaux. Il est donc clair que le Jugement sous révision a décidé que la conclusion, citée aux paragraphes 150 et 151 de la Décision, était justifiée par la preuve administrée selon laquelle les infrastructures d’égout sanitaire en place sont insuffisantes et inadéquates, d’un point de vue factuel, pour desservir les terrains en question.

 

[34]        En vertu de la norme de contrôle applicable, soit celle de la décision raisonnable, si la présente Cour est d’avis que le Jugement sous révision possède les attributs de la rationalité, soit qu’il appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes, il n’y aurait pas lieu pour la présente Cour d’intervenir.

 

[35]        Afin de déterminer si la conclusion du Jugement sous révision selon lequel les déterminations factuelles et juridiques de la Décision appartiennent aux issues raisonnables, il y a lieu d’examiner la preuve administrée devant le TAQ portant sur la question factuelle de même que de vérifier si cette preuve permet de conclure que, selon les conditions prévues par la LFM, l’assujettissement fiscal pour un terrain vague desservi n’était pas fondé.

 

Conclusion de la Décision quant à la question de fait à savoir si les services d’égout sanitaire en place étaient adéquats pour desservir les terrains

 

[36]        La Décision a résumé l’appréciation de la preuve par le TAQ à ce sujet. Se référant au témoignage de Jean-Pierre Gervais, évaluateur agréé expert pour M. Perron, le TAQ résume :

 

« [26]    Cependant compte tenu de la topographie des lieux, il [M. Gervais] estime qu’il serait probablement nécessaire d’installer une station de pompage pour l’égout. »

 

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

 

 

[37]        Se référant au témoignage de l’expert de la Ville, soit Yves Brassard, ingénieur et directeur des services techniques à la Ville, le TAQ résume :

 

« [38] Il ressort de son témoignage que malgré la présence des services d’eau et d’égout sanitaire à la limite du terrain au bout de la [rue A], il est possible selon l’envergure du projet à être effectué sur le terrain sujet, qu’il soit nécessaire de remplacer les conduites actuelles sur la [rue A].

 

[39] En d’autres termes, il ne peut assurer le Tribunal que les installations existantes puissent être adéquates pour desservir un projet résidentiel, que ce soit pour 66 unifamiliales ou autre, sur le terrain du requérant (I-1, page 1 in fine).

 

[40] Il n’est pas sûr non plus de la topographie du terrain sujet et de la nécessité ou non d’une station de pompage pour le système d’égout tel que l’a prétendu l’expert Gervais dans son témoignage. »

 

[Le Tribunal a mis en gras une partie du texte.]

 

[38]        En l’espèce, il faut déterminer si ces appréciations de fait trouvent appui dans la preuve administrée devant le TAQ. Quant à M. Gervais, il y a lieu de se référer aux extraits suivants de son témoignage[20] :

 

« Me Paul Wayland

 

Q          … C’est ça que je veux comprendre, au niveau de illogique par rapport à l’accès ou par rapport… ça peut pas être par rapport aux capacités…

 

R          C’est parce que, en plus il y a une question de topographie du terrain sur l’ensemble du terrain, la topographie fait en sorte que, pour pas avoir à installer une station de pompage, parce qu’en desservant… en voulant raccorder les services qui seraient construits sur les 66 lots qui seraient lotis, on serait obligéce que j’ai compris de la part d’un ingénieur qu’on a consulté, c’est qu’on soit (inaudible) [obligé] de mettre une station de pompage, donc, c’est pour ça que…

 

Le Tribunal[21] :

 

Q          […] - dans votre esprit, quand c’est disponible en se raccordant point final, c’est disponible, c’est desservi, mais là ici, on doit… on doit prévoir une infrastructure municipale supplémentaire

 

R          Oui.

 

Q          … particulière, pour permettre le branchement?

 

R          Oui. […] »

 

[Le Tribunal a souligné une partie du texte.]

 

[39]        Selon la preuve, M. Gervais et l’ingénieur Guy Saulnier de la firme Tetratech[22] sont allés sur place et ont constaté la topographie particulière en pente vers le haut des terrains en question. M. Saulnier a conclu que l’installation d’une station locale de pompage était requise pour desservir les terrains.

 

[40]        L’expert de la Ville, M. Brassard, n’a pas contredit le témoignage de M. Gervais sur ce point[23] :

 

Le Tribunal :

 

Q          C’est-à-dire que si on fait un développement résidentiel sur le terrain, on parlera de nombre d’habitations plus tard…

 

R          Hum, hum.

 

Q          Je viens connecter mes lignes d’égout d’aqueduc au bout de la [rue A] et particulièrement au niveau de l’égout, parce qu’on sait, qu’on sait que l’eau il y a déjà de la pression dans un sens, alors que l’égout c’est par gravité dans l’autre sens. Donc principalement l’égout par gravité à partir de la [rue A], pas de problèmes.

 

R          Ben l’égout là, je le sais pas, ce que je peux vous dire c’est que la [rue A], elle, l’égout est gravitaire.

 

Q          Mais la question, la question c’est que si je prolonge mon égout sur le terrain, o.k., suivant la topographie du terrain.

 

R          Hum, hum.

 

Q          Est-ce que je pourrai conserver le gravitaire ou si j’aurai pas besoin d’un pompage local, c’est ça la question?

 

R          Dépendamment de l’aménagement, je peux pas vous répondre là-dessus, parce que là ça dépend… c’est parce que ça dépend des pentes au niveau de Place des Ainés et au niveau du branchement de la [rue A]

 

Q          Mais c’est justement, c’est ça, […] Mais la question qu’on se pose c’est, à la fin de la [rue A], une fois qu’on rentre sur le terrain

 

R          Hum, hum.

 

Q          … est-ce que ça descend ou si ça remonte?

 

R          À ma connaissance, la topographie remonte.

 

Q          Bon.

 

R          Oui.

 

Q          Donc le terrain qui nous intéresse serait plus haut que la [rue A]?

 

R          À ma connaissance, oui, mais j’ai pas la topographie (inaudible).

 

[…]

 

Q          Autrement dit, vous êtes pas sûr?

 

R          Non.

 

Q          O.K., c’est beau. Comme j’ai dit à l’autre témoin, hier, quand un témoin, puis je le dis pour les autres témoins qui seront entendus, quand vous le savez, vous le savez, si vous le savez pas, vous le savez pas, essayez pas d’inventer des réponses pour nous faire plaisir. Nous-autres ce qui nous fait plaisir, c’est de savoir ce que vous savez.

 

R          C’est beau.

 

Q          Et de savoir que, des fois vous ne savez pas, ça c’est correct.

 

[…]

 

Le Tribunal :

 

Q          Vous mentionnez, vous me permettrez, vous mentionnez, à la fin :

 

« Selon l’envergure d’un tel projet, il pourrait toutefois être nécessaire de remplacer par des conduites plus grosses. »

 

             Donc à partir de l’ajout, à partir de combien de résidences unifamiliales, bon, les quantités approximatives calculées, standardisées pour une résidence unifamiliale, je vous demande pas si on est capable en faire sur ce nombre x sur le terrain, à partir de combien de résidences unifamiliales il faudra penser à augmenter les diamètres des tuyaux sur la [rue A]?

 

R          Ça, je peux pas répondre à ça.

 

Q          Vous pouvez pas nous dire que les tuyaux actuels avec 10, 15, 20, 25, 30, là ça va, puis au-delà de - là j’arrête à 30 artificiellement - au-delà de 30 là, bien là, là, les tuyaux suivant les normes et standards, etc., sont… sont plus assez gros, il y a des… soit des risques d’engorgement ou je sais pas trop, ou… puis au niveau de l’égout ça s’engorge, ça vous savez pas. Si j’arrive avec un projet de… je sais pas moi, 50, 60 nouveaux… nouvelles résidences unifamiliales, vous savez pas si le tuyau

 

R          Non.

 

[…]

 

Q          O.K.

 

[…]

 

Q          Et pour le projet qui nous a été présenté, de 66 lotis… 66 résidences unifamiliales, vous ignorez si les conduites de la [rue A] sont satisfaisantes pour ce genre de projet-là?

 

R          Non, je peux pas l’affirmer sans les calculs.

 

[…]

 

Le Tribunal :

 

Q          Mais écoutez, moi je suis juste avocat, à la base, puis vous vous êtes ingénieur, puis là j’ai une conduite d’égout de 10 pouces, je vous demande si à partir de la… là on a 950 mètres pour arriver à la grosse conduite de Adolphe-Chapleau, je rajoute, en amont, je rajoute 66, un peu plus que 60 unifamiliales et là moi je vous demande, est-ce que le tuyau de 10 pouces est capable de prendre ça suivant les normes établies? Et vous me dites vous le savez pas?

 

R          Non, je le sais pas.

 

Q          O.K. C’est beau.

 

[Me Michel Houle (pour M. Perron)]

 

R[24]       Tandis qu’un poste de pompage des eaux usées…

 

Q          Ah!

 

R          C’est pour relever les eaux usées, parce qu’elles sont trop basses.

 

Q          Elles sont trop basses, oui.

 

R          On va les pomper vers une partie de l’égout qui est gravitaire.

 

Q[25]       […] Est-ce que vous avez… vous vous avez pas marché le terrain, mais vous savez que le terrain il monte en pente, hein?

 

R          Oui.

 

Q          À partir de la [rue A]?

 

R          Oui.

 

Q[26]       Une espèce de, soit de normes ou d’étalon de mesures, mais là vous me dites ça existe pas?

 

R          Non, ah, c’est pas ça que j’ai dit. Je dis que je peux pas vous répondre si ce 10 pouces-là peut fournir 60 maisons. 10 pouces c’est le diamètre minimum qu’on installe.

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

[41]        M. Brassard n’avait pas visité les terrains en question. Il ne savait pas si les tuyaux existants avaient les dimensions suffisantes (diamètre de 6 pouces : conduits d’aqueduc; diamètre de 10 pouces : égouts sanitaires) pour desservir les terrains, compte tenu de la topographie des lieux - même pour un développement de 10 résidences unifamiliales isolées - alors que l’application de la réglementation municipale requiert la mise en place minimale de soixante-six (66) résidences unifamiliales isolées.

 

[42]        En ce qui a trait à la nécessité technique préalable de l’installation d’une station de pompage locale simplement pour faire fonctionner les tuyaux d’égout sanitaire en question, tel que soutenu par l’expert Gervais et l’ingénieur Saulnier, M. Brassard ne le nie pas. Il répond « je ne sais pas ».

 

Appréciation de la preuve administrée par le TAQ

 

[43]        M. Gervais, évaluateur agréé, et M. Saulnier, ingénieur, avaient visité les lieux concernés. Selon ces deux professionnels, la construction d’une station de pompage était requise pour pouvoir desservir les terrains en question. M. Brassard, ingénieur, n’avait pas visité les lieux. Il n’a pas nié le bien-fondé du témoignage de M. Gervais sur ce point. Il n’a pas nié le bien-fondé de l’avis formulé par M. Saulnier. M. Brassard n’était pas en mesure d’affirmer, dans les circonstances réelles et physiques des lieux, que les égouts sanitaires installés dans l’emprise de la rue publique de la [rue A] pouvaient répondre ou suffire pour desservir les terrains en question, encore moins un développement résidentiel minimal de ceux-ci (10 résidences unifamiliales isolées), alors que la réglementation municipale exige un nombre minimal de soixante-six (66) résidences unifamiliales isolées.

 

[44]        L’article 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit :

 

2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

 

[45]        Les témoignages de M. Gervais et de M. Brassard sont donc tout à fait conformes à l’appréciation de cette preuve notée aux paragraphes 26, 38, 39, 40, 146, 147, 148, 150 et 151 de la Décision. Selon la prépondérance de la preuve, il faut à tout le moins installer, en raison de la pente vers le haut de la [rue A], une station de pompage locale pour faire opérer de manière normale et adéquate les tuyaux d’égout pour tout développement des terrains de l’unité d’évaluation.

 

[46]        La Ville plaide que le Jugement sous révision fait erreur déraisonnable lorsqu’il mentionne que le fardeau de preuve incombe à la Ville d’établir les éléments factuels au soutien de la qualification de « terrain vague desservi »[27]. Selon la Ville, la LFM fait présumer la validité d’une inscription au rôle. Selon nous, pour décider du présent dossier, il n’est pas nécessaire de déterminer l’identité de la partie à laquelle incombe ce fardeau. Si le fardeau incombe à la Ville, la preuve entendue a clairement permis au TAQ et à la Cour du Québec, selon la règle de la prépondérance, de conclure que la Ville ne s’est pas déchargé de ce fardeau. De même, si le fardeau incombe à M. Perron, la preuve entendue a clairement permis au TAQ et à la Cour du Québec de conclure, selon la règle de la prépondérance, qu’il s’est déchargé de ce fardeau de preuve et toute présomption à ce sujet, le cas échéant, a été repoussée par M. Perron.

 

[47]        Dans les circonstances, la conclusion du TAQ quant à la capacité actuelle des égouts sanitaires de desservir les terrains était fondée sur la preuve administrée. La prépondérance de la preuve appuyait cette conclusion. Ainsi, le Jugement en révision avait raison de conclure que la conclusion factuelle du TAQ à ce sujet était une des issues raisonnables eu égard aux contraintes factuelles pertinentes.

 

Conclusion du TAQ portant sur une question mixte de fait et de droit ou uniquement de droit voulant que les infrastructures requises en vertu de la LFM devant être présentes sur place doivent avoir la capacité réelle de desservir les terrains afin que ceux-ci soient considérés « desservis »

 

[48]        À la lumière de la conclusion factuelle de la Décision selon laquelle les conduits d’égout sanitaire installés dans l’emprise de la rue publique n’ont pas la capacité de répondre aux besoins de base des terrains, le TAQ a conclu que les conditions prévues par la LFM pour qualifier les terrains de « terrains vagues desservis » ne sont pas satisfaites. Le TAQ a donc conclu et a déclaré que l’unité d’évaluation visée n’était pas assujettie à la surtaxe des terrains vagues desservis :

 

[150] Le Tribunal conclut, après avoir considéré les témoignages et surtout celui de M. Brassard, qu’il existe un doute quant à la capacité pour les infrastructures en place de desservir le projet le plus minimalement possible sur le terrain sujet.

 

[151] Or, comme l’article 244.3 LFM subordonne l’assujettissement à la surtaxe à la capacité et la possibilité pour le terrain de réellement  profiter des services, force nous est de constater que ce n’est pas le cas pour notre sujet, ou du moins qu’il existe un sérieux doute à ce sujet, d’où le non-assujettissement à la surtaxe.

 

[…]

 

[158]         Pour le moment selon l’état des lieux, l’article 244.3 LFM ne peut trouver accomplissement en ce que les services d’eau et d’égout sanitaire, pour tous les motifs mentionnés ci-haut, ne peuvent bénéficier au requérant ou à son terrain.

 

[160]         Le Tribunal doit apprécier l’état des lieux et de la législation au moment de l’évaluation et non selon des espoirs futurs.

 

[49]        Le TAQ s’est référé à une jurisprudence émanant de son tribunal[28] :

 

[149]         Nous nous retrouvons dans une situation similaire à celle qui existait dans l’affaire Gaston Paradis c. Ville de Québec qui posait justement cette question de réelle possibilité :

 

« [28]  Le Tribunal est d’accord avec le procureur de la Ville de Québec lorsqu’il affirme qu’à son point de vue4 :

 

« un service municipal, c’est donner à un promoteur l’opportunité de se déverser dans l’égout public.

 

Et on aura beau ériger toutes les conduites qu’on voudra sur ce terrain-là et les stations de pompage, si la prémisse de base est qu’il n’est pas possible de se raccorder au système municipal parce que les débits sont complets, à ce moment-là, vous n’êtes pas desservi.

 

[…]

 

[Le Tribunal a souligné une partie du texte.]

 

[50]        Le Jugement sous révision a cité avec approbation les paragraphes 150 et 151 de la Décision. La Cour du Québec a ainsi conclu qu’une telle interprétation en droit était conforme ou raisonnable en vertu des textes législatifs pertinents et était d’avis que cette conclusion constituait donc une issue, de fait et de droit, ou uniquement de droit, raisonnable[29]. À la lumière de ces dispositions, il y a lieu maintenant de déterminer si cette conclusion est raisonnable.

 

[51]        L’article 244.36 LFM est en partie libellé ainsi :

 

244.36. Appartient à la catégorie des terrains vagues desservis toute unité d’évaluation qui est constituée uniquement d’un tel terrain et, le cas échéant, de tout bâtiment visé au deuxième alinéa.

 

Est vague le terrain sur lequel aucun bâtiment n’est situé. Un terrain est également vague lorsque, selon le rôle d’évaluation foncière, la valeur du bâtiment qui y est situé ou, s’il y en a plusieurs, la somme de leurs valeurs est inférieure à 10% de celle du terrain.

 

 

Est desservi le terrain dont le propriétaire ou l’occupant peut, en vertu de l’article 244.3, être le débiteur d’un mode de tarification lié au bénéfice reçu en raison de la présence des services d’aqueduc et d’égout sanitaire dans l’emprise d’une rue publique.

 

Malgré l’article 2, le premier alinéa ne vise qu’une unité entière et les deuxième et troisième alinéas visent le terrain entier compris dans cette unité.

244.36. Every unit of assessment that is comprised solely of serviced vacant land and, where applicable, of any building referred to in the second paragraph belongs to the category of serviced vacant land.

 

Vacant land is land on which no building is situated. Land is also vacant land where, according to the property assessment roll, the value of the building situated on the land or, where there are several buildings, the sum of their values, is less than 10% of the value of the land.

 

Serviced land is land whose owner or occupant may, under section 244.3, be the debtor of a mode of tariffing related to the benefits derived from the presence of water and sewer services in the right of way of a public street.

 

 

Notwithstanding section 2, the first paragraph applies only to a whole unit, and the second and third paragraphs apply to the whole of the land included in that unit.

 

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

[52]        Le troisième alinéa de l’article 244.36 LFM définit ce que constitue un terrain “desservi” au sens de la LFM. Il se réfère à la notion de « bénéfice reçu » prévue à l’article 244.3 LFM et lie explicitement cette notion à « présence » de deux « services » dans l’emprise d’une rue publique, soit les conduits d’aqueduc et d’égouts sanitaires.

 

 

[53]        L’alinéa 4 de l’article 244.36 LFM pose une exception à l’article 2 LFM. Cet article prévoit qu’en général, un article de la LFM vise tant une partie que l’ensemble d’un immeuble. Il est libellé ainsi :

 

2. À moins que le contexte n’indique le contraire, une disposition de la présente loi qui vise un immeuble, un meuble, un établissement d’entreprise ou une unité d’évaluation est réputée viser une partie d’un tel immeuble, meuble, établissement d’entreprise ou unité d’évaluation, si cette partie seulement entre dans le champ d’application de la disposition.

2. Unless otherwise indicated by the context, any provision of this Act which contemplates an immovable property, a movable property, a business establishment or a unit of assessment is deemed to contemplate part of such an immovable property, movable property, business establishment or unit of assessment, if only that part falls within the scope of the provision.

 

[54]        Ainsi, en l’espèce, en ce qui a trait aux conditions posées à l’article 244.36, alinéa 3 LFM, pour apprécier s’il y a un “bénéfice reçu” de la part des terrains, il faut considérer comme un tout les deux terrains (ou lots) faisant l’objet de l’unité d’évaluation.

 

[55]        Le troisième alinéa de l’article 244.36 LFM se réfère à l’article 244.3 LFM quant au sens à donner à la notion de « bénéfice reçu » dans la définition d’un terrain « desservi ». L’article 244.3 prévoit en partie :

 

244.3. Le mode de tarification doit être lié au bénéfice reçu par le débiteur.

 

 

Le bénéfice est reçu non seulement lorsque le débiteur ou une personne à sa charge utilise réellement le bien ou le service ou profite de l’activité, mais aussi lorsque le bien ou le service est à sa disposition ou que l’activité est susceptible de lui profiter éventuellement. Cette règle s’applique également, compte tenu des adaptations nécessaires, dans le cas d’un bien, d’un service ou d’une activité qui profite ou est susceptible de profiter non pas à la personne en tant que telle, mais à l’immeuble dont elle est propriétaire ou occupant.

 

244.3. The mode of tariffing must be related to the benefits derived by the debtor.

 

Benefits are derived not only when the debtor or his dependent actually uses the property or service, or benefits from the activity but also when the property or service is at his disposal or the activity is an activity from which he may benefit in the future. The rule, adapted as required, also applies in the case of a property, service or activity from which benefit may be derived not directly by the person but which may be derived in respect of the immovable of which he is the owner or occupant.

 

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

[56]        Il est important de noter que l’article 244.3 LFM n’est pas un article formulé à l’intention exclusive de l’article 244.36 LFM. L’article 244.3 est un article de portée générale inscrite à la section « Tarification » de la LFM. Pour en apprécier la portée générale[30], il suffit de se référer aux articles qui le précèdent. Les articles 244.1 et 244.2 LFM sont libellés ainsi :

 

244.1. Dans la mesure où est en vigueur un règlement du gouvernement prévu au paragraphe 8.2° de l’article 262, toute municipalité peut, par règlement, prévoir que tout ou partie de ses biens, services ou activités sont financés au moyen d’un mode de tarification.

 

Elle peut, de la même façon, prévoir qu’est ainsi financée tout ou partie de la quote-part ou d’une autre contribution dont elle est débitrice pour un bien, un service ou une activité d’une autre municipalité, d’une communauté, d’une régie intermunicipale ou d’un autre organisme public intermunicipal.

 

Elle peut également, de la même façon, prévoir qu’est ainsi financé tout ou partie de la somme qu’elle doit verser en contrepartie de tout service que lui fournit la Sûreté du Québec.

 

244.2. Constitue un mode de tarification toute source locale et autonome de recettes, autre qu’une taxe basée sur la valeur foncière ou locative des immeubles ou des établissements d’entreprise, dont l’imposition n’est pas en soi incompatible avec l’application de l’article 244.3.

 

 

Sont notamment des modes de tarification:

 

1°  une taxe foncière basée sur une autre caractéristique de l’immeuble que sa valeur, comme sa superficie, son étendue en front ou une autre de ses dimensions;

 

2°  une compensation exigée du propriétaire ou de l’occupant d’un immeuble;

 

3°  un prix exigé de façon ponctuelle ou sous forme d’abonnement pour l’utilisation d’un bien ou d’un service ou pour le bénéfice retiré d’une activité.

 

Le seul mode de tarification que peut prévoir une municipalité régionale de comté n’agissant pas à titre de municipalité locale en vertu de l’article 8 de la Loi sur l’organisation territoriale municipale (chapitre O9) est un prix visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa ou exigé selon des modalités analogues à celles d’un abonnement.

244.1. Every municipality may, by by-law and to the extent that a regulation of the Government under paragraph 8.2 of section 262 is in force, provide that all or part of its property, services or activities shall be financed by means of a tariff.

 

 

A municipality may, in the same manner, provide that all or part of the aliquot share or of other contribution owed by it in respect of property, services or activities of another municipality, a community, an intermunicipal body or another intermunicipal public body shall be financed as in the first paragraph.

 

A municipality may, in the same manner, provide that all or part of the amount it must pay in return for services provided by the Sûreté du Québec shall be financed as in the first paragraph.

 

244.2. Any local and independent source of revenue other than a tax based on the property value or the rental value of immovables or business establishments and the imposition of which is not in itself incompatible with the application of section 244.3 constitutes a mode of tariffing.

 

A mode of tariffing includes, in particular,

 

(1)  a property tax based on a characteristic of the immovable other than its value, such as the area, the frontage or another dimension of the immovable;

 

(2)  a compensation exigible from the owner or occupant of an immovable;

 

(3)  a fixed amount exigible in a punctual manner or in the form of a subscription for the use of a property or a service or in respect of a benefit derived from an activity.

 

The only mode of tariffing that may be provided for by a regional county municipality not acting as a local municipality under section 8 of the Act respecting municipal territorial organization (chapter O-9) is a fixed amount referred to in subparagraph 3 of the second paragraph or an amount exigible in the same manner as a subscription.

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

[57]        La notion de bénéfice reçu, mentionnée à l’article 244.3 LFM, régit tout règlement municipal qui prévoit « que tout ou partie de ses biens, services ou activités sont financés au moyen d’un mode de tarification ». En revanche, tel qu’il appert de la définition de « terrain desservi » à l’article 244.36, alinéa 3 LFM, le mode de tarification des « terrains vagues desservis »[31] est lié uniquement à l’existence de « services », soit la « présence des services d’aqueduc et d’égout sanitaire dans l’emprise d’une rue publique ». Ce n’est pas un mode de tarification basé sur la fourniture de biens ou d’activités.

 

[58]        Selon le deuxième alinéa de l’article 244.3 LFM, le bénéfice est reçu notamment lorsque le service est utilisé « réellement ». En l’espèce, vu l’absence de branchement des services d’aqueduc ou d’égouts sanitaires aux terrains de M. Perron, il est clair que cette partie du texte ne s’applique pas. Mais la définition de « bénéfice reçu » s’étend également à la situation de fait où « le service [d’égout sanitaire] est à [la] disposition » du terrain. Selon la Décision, un « service municipal, c’est donner à un promoteur l’opportunité de se déverser dans l’égout public ».

 

[59]        Si la municipalité installe dans l’emprise d’une rue publique les infrastructures pouvant valablement être utilisées par le propriétaire et que celui-ci décide de ne pas s’en prévaloir, les terrains formant l’objet de l’unité d’évaluation peuvent valablement être assujettis à la surtaxe sur les terrains vagues desservis.

 

[60]        En revanche, selon la décision du TAQ, si les infrastructures installées ne peuvent pas être valablement utilisées, notamment en raison de leur caractère inadéquat ou incomplet, le service n’est pas à la « disposition » du terrain.

 

[61]        Le TAQ s’est référé à l’exemple d’un service d’égout techniquement présent, mais, dans les faits, saturé et ne pouvant valablement desservir un terrain[32]. Devant nous, l’avocat de la Ville se dit d’accord avec ce principe, mais ne croit pas qu’il s’applique en l’espèce. Selon le TAQ, un service non fonctionnel, inadéquat et incomplet n’est pas un service fourni, car il n’est pas mis à la « disposition d’un terrain », de la même manière qu’un système d’égout saturé et non opérationnel n’est pas mis à la « disposition d’un terrain ». Selon les faits pertinents déterminés par le TAQ, l’égout sanitaire en l’espèce est, au moment de l’évaluation municipale et selon l’état réel des lieux, incomplet et non opérationnel. Afin de le faire fonctionner de manière normale, il est requis que la municipalité y ajoute une infrastructure additionnelle.

 

[62]        Au minimum, l’ajout d’une station de pompage locale est requis afin de pouvoir desservir les terrains. En l’absence de cette infrastructure requise, qui fait partie intégrante de l’égout sanitaire, le service ayant trait à l’égout sanitaire n’est pas « à la disposition » des terrains.

 

[63]        Selon le témoignage de M. Brassard, la conséquence de l’absence d’un poste de pompage est grave. Un tel poste permet de relever les eaux usées qui sont situées à un endroit trop bas en raison de la pente du terrain. Afin que l’égout sanitaire puisse même fonctionner, les eaux usées qui y sont déversées doivent être « pompées vers une partie de l’égout qui est gravitaire » afin de permettre leur évacuation.

 

[64]        Le TAQ a donc conclu que l’état incomplet et non opérationnel du service d’égout sanitaire empêche ce service d’être « présent » et « à la disposition » des terrains. En conséquence, il n’y a pas de « bénéfice reçu » au sens de l’article 244.36, alinéa 3 LFM. Ainsi, les conditions actuelles des services fournis ne permettent pas de conclure que les terrains en l’espèce constituent des « terrains vagues desservis ».

 

[65]        Devant nous, l’avocat de la Ville plaide que cette interprétation est erronée et déraisonnable, car l’article 244.3 LFM définissant la notion de « bénéfice reçu » comprend également les mots « l’activité est susceptible de lui profiter éventuellement ». Avec égards, ce moyen nous paraît spécieux.

 

[66]        En premier lieu, le troisième alinéa de l’article 244.36 LFM définit ce qui constitue un terrain « desservi ». Il se réfère uniquement à la présence de « services » (« d’aqueduc et d’égout sanitaire dans l’emprise d’une rue publique »). Il ne se réfère pas à une « activité ». Ainsi, la seule partie du texte de l’article 244.3 LFM pertinente à l’interprétation et à l’application de l’article 244.36, alinéa 3 LFM est celle se référant à un « service ».

 

[67]        En deuxième lieu, la formulation même du texte de l’article 244.36 est en porte-à-faux avec ce moyen de la Ville. Le texte prévoit que le bénéfice est reçu « lorsque le bien ou le service est à sa disposition ou que l’activité est susceptible de lui profiter éventuellement ». Les mots liés au « service » sont « est à sa disposition ». Les mots « est susceptible de lui profiter éventuellement » s’appliquent seulement à l’activité. Autrement, le texte aurait été formulé de manière différente, soit « lorsque le bien, le service ou l’activité sont à sa disposition ou sont susceptibles de lui profiter éventuellement ». Comme nous l’avons vu, l’article 244.3 LFM réglemente non seulement le service prévu à l’article 244.36 LFM, mais la tarification municipale d’une panoplie de biens, de services et d’activités selon l’article 244.1 LFM[33]. À ce sujet, dans son mémoire déposé au dossier de la Cour, la Ville reconnaît en effet que :

 

« La notion de bénéfice reçu de l’article 244.3 LFM est une notion bien connue en fiscalité municipale, laquelle a fait l’objet d’une abondante jurisprudence puisqu’il s’agit du critère qui permet l’imposition de toute taxe spéciale par une municipalité en vertu de l’article 487 de la Loi sur les cités et villes, RLRQ ch. C-19 (LCV), ou de l’article 979 du Code municipal, RLRQ ch. C-27.1 (CM).[34]

 

[68]        La Ville n’a soumis à la Cour aucune jurisprudence appuyant le moyen selon lequel le texte de l’article 244.3 LFM énonçant que « l’activité est susceptible de lui profiter éventuellement » s’applique au troisième alinéa prévu à l’article 244.36 LFM.

 

[69]        En troisième lieu, s’il suffisait qu’une municipalité mette en place une infrastructure inadéquate et incomplète pour desservir un terrain, le mot choisi par le législateur pour désigner cette catégorie d’immeuble serait erroné. Les articles de la LFM se réfèrent aux « terrains vagues desservis » ou au « terrain vague desservi »[35]. Il faut donc que les services d’aqueduc et d’égout sanitaire pertinents soient en état de « servir » afin que le terrain soit « desservi ». Le législateur ne se réfère pas à un terrain vague « à desservir ». Autrement, la présence d’un service d’aqueduc et d’égout sanitaire partiel, incomplet, de dimensions non conformes et n’ayant pas la capacité de répondre aux besoins d’un terrain suffirait à désigner un terrain comme « desservi ». De même, le mot employé dans la version anglaise du texte de loi confirme cette interprétation, soit « serviced ». Le temps de verbe passé employé par le législateur, « desservi » et « serviced », confirme que, avant de pouvoir décréter valablement une surtaxe de ce genre, la municipalité doit avoir réalisé le travail requis pour que le service puisse être réellement offert et disponible au terrain.

 

[70]        Selon le TAQ, l’intention de la loi est de créer un équilibre entre la municipalité et le propriétaire du terrain. La municipalité doit mettre en place des services d’aqueduc et d’égouts sanitaires en état de servir le terrain avant que la Ville ne puisse décréter une surtaxe pour la catégorie de « terrains vagues desservis ». Si la municipalité le fait, le « service est à la disposition » du terrain. Si elle ne le fait pas, le terrain n’est pas desservi, car le service n’est pas à la disposition du terrain. De plus, le Jugement sous révision se réfère à l’alinéa 4 de l’article 244.36 LFM selon lequel le caractère « présent » des services vise les deux terrains compris dans l’unité d’évaluation.

 

[71]        L’avocat de M. Perron plaide que permettre la surtaxe pour un « terrain vague desservi » lorsque, dans les faits, l’infrastructure en place n’est pas fonctionnelle, ne dessert pas et ne peut pas desservir les terrains, est l’équivalent pour la Ville de demander à la fois d’« avoir le beurre et l’argent du beurre »[36].

 

[72]        Nous sommes d’avis que l’interprétation adoptée des articles pertinents par la Décision et le Jugement sous révision possède les attributs de la rationalité.

 

Changement de norme de contrôle de la Cour du Québec par rapport à la Décision du TAQ depuis l’arrêt Vavilov

 

[73]        La Ville nous demande de casser le Jugement sous révision, car il aurait appliqué la mauvaise norme de contrôle lors de son examen de la Décision. Lors de l’audition devant la Cour du Québec, la Ville a plaidé que la norme de contrôle applicable à l’appel était celle de la décision raisonnable[37]. En effet, il s’agissait de la norme pertinente selon l’état de la jurisprudence à ce moment[38], de même qu’au moment où le Jugement sous révision a été rendu (8 janvier 2019). La Ville plaide que depuis l’arrêt Vavilov[39] de la Cour suprême (19 décembre 2019), la norme à appliquer lors d’un appel d’une décision du TAQ à la Cour du Québec est devenue celle de la décision correcte[40]. Cela n’est pas entièrement exact. La Cour suprême a précisé qu’en matière d’appel législatif autorisé, la norme de contrôle dépend de la nature de la question en appel suivant les principes de l’arrêt Housen c. Nikolaisen[41]. Lorsque la cour de justice entend l’appel d’une instance administrative sur une question de droit, telle l’interprétation législative, la norme applicable est celle de la décision correcte. Cependant, si l’appel porte sur des questions de fait ou encore des questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et déterminante[42].

 

[74]        Tel que mentionné au début de ce jugement, la norme de contrôle applicable à la présente instance en révision est celle de la décision raisonnable.

 

[75]        En premier lieu, il y a matière à débat à savoir si l’application par la Cour du Québec de la norme d’intervention en vigueur à l’époque, reconnue de part et d’autre, peut être qualifiée en soi de déraisonnable.

 

[76]        En deuxième lieu, même en acceptant l’hypothèse de la Ville selon laquelle, dans le contexte du présent pourvoi en contrôle judiciaire, la norme de contrôle qui aurait dû être appliquée par le Jugement sous révision est celle de la norme de l’appel selon l’arrêt Housen, la Ville n’a pas établi que les conclusions, en fait, en droit, ou mixte de fait et de droit, de même que le résultat de ce jugement, auraient été différents. Il faut se méfier d’un automatisme selon lequel un changement de norme occasionne de ce seul fait un résultat différent. La teneur du Jugement sous révision, et surtout l’approbation de celui-ci au paragraphe 20 des conclusions de fait et de droit aux paragraphes 150 et 151 de la Décision, confirme que le décideur judiciaire était d’accord avec les conclusions du TAQ concernant la question de fait et la question mixte de fait et de droit ou de droit soulevées par l’appel.

 

[77]        En effet, concernant la question de fait, la nouvelle norme à appliquer est celle de l’erreur manifeste et déterminante. À ce sujet, le Jugement sous révision précise que l’appréciation de la preuve à ce sujet devait se faire selon le critère de la prépondérance de la preuve. Selon l’évaluation faite par le juge de la Cour du Québec, la preuve à ce sujet était prépondérante et la conclusion du TAQ était conforme à cette preuve.

 

[78]        Selon notre analyse de la preuve, les conclusions pertinentes de fait à la fois du Jugement sous révision et de la Décision étaient exactes et bien fondées selon la règle de la prépondérance de la preuve. Il n’y a eu aucune erreur manifeste et déterminante à ce sujet dans la décision du TAQ. En vertu même de cette nouvelle norme, le Jugement sous révision est bien fondé lorsqu’il décide de ne pas intervenir à cet égard.

 

[79]        En ce qui a trait à la question de droit, elle relève en partie d’une question mixte de fait et de droit. La norme est celle de l’erreur manifeste et déterminante. Aucune telle erreur n’a été démontrée devant la Cour du Québec ou devant la présente Cour.

 

[80]        Dans la mesure où la question juridique relève d’une pure question de droit, le Jugement sous révision, en citant avec approbation les paragraphes de la conclusion de droit de la Décision, soit le paragraphe 151 appliquant cette interprétation de droit aux faits, a exprimé son accord quant à cette interprétation en droit. Le Jugement sous révision n’approuve d’aucune manière l’interprétation proposée par la Ville selon laquelle le terrain vague peut être desservi même en l’absence d’un service d’égout en mesure de desservir le terrain au motif que ce service, une fois complété à une date indéterminée, pourrait « lui profiter éventuellement ». Ainsi, même si le Jugement sous révision avait eu l’opportunité d’appliquer la norme de la décision correcte par rapport à cette question, le décideur judiciaire aurait conclu dans le même sens quant au résultat, soit qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir. En conséquence, le Jugement sous révision aurait rendu les mêmes conclusions que celles émises, à savoir[43] :

 

« REJETTE l’appel de la Ville de Bois-des-Filion;

 

CONFIRME la décision du Tribunal administratif du Québec voulant que l’unité d’évaluation portant le numéro de matricule 8458-11-5137-0 d’une superficie de 417 528 pieds carrés ne soit pas comprise à l’intérieur de la catégorie de terrain vague desservi pour le rôle triennal 2016, 2017 et 2018;

 

CONDAMNE la Ville de Bois-des-Filion à payer à M. Marc Perron les frais de justice en appel. »

 

Conclusion

 

[81]        Le rôle de la présente Cour est de vérifier si le jugement rendu par la Cour du Québec possède les attributs de la rationalité, soit que ses motifs et sa conclusion appartiennent aux issues possibles pouvant se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.

 

[82]        Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême explicite que les motifs du décideur administratif ou du décideur judiciaire n’ont pas à être mesurés à l’aune de la perfection  et qu’il y a lieu de tenir compte du cadre institutionnel et de l’historique de l’instance. La Cour suprême s’est exprimée ainsi[44] :

 

« [91] Une cour de révision doit se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland Nurses, par. 16. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance. »

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

[83]        Dans RD c. Tribunal administratif du Québec, la Cour supérieure s’est exprimée ainsi[45] :

 

« [81] Ainsi, bien que les motifs du TAQ en l’espèce soient succincts et qu’il eut été préférable qu’ils soient davantage développés, ils sont suffisants pour établir « la justification de la décision [ainsi que] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel ». En d’autres termes, le fondement sur lequel repose la Décision du TAQ est clair. »

 

[84]        Dans le contexte d’un pourvoi en contrôle judiciaire visant un jugement rendu par une cour de justice en appel d’une décision administrative, ces commentaires conservent leur pertinence.

 

[85]        Enfin, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a précisé que, lors de l’examen fondé sur la norme de la décision raisonnable, le fardeau de convaincre la Cour de révision que le jugement sujet à examen est déraisonnable repose sur la partie qui conteste le caractère valable de la décision ou du jugement rendu. La Cour suprême a également précisé le seuil de preuve requise pour satisfaire à ce fardeau. La Cour suprême s’est exprimée ainsi :

 

« [99]  La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci : Dunsmuir, par. 47 et 74; Catalyst, par. 13.

 

[100] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable. »

 

[Le Tribunal a souligné et mis en gras une partie du texte.]

 

[86]        La Ville ne s’est pas déchargée du fardeau de preuve qui lui incombait à cet égard.

 

[87]        Conformément aux enseignements de l’arrêt Vavilov, il n’est pas nécessaire pour la Cour de déterminer si les motifs et les conclusions du Jugement sous révision sont les seules et uniques réponses aux questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit ou de droit soulevées devant nous. Compte tenu de la preuve administrée devant le TAQ et des dispositions applicables de la LFM, la Cour est d’avis que le Jugement sous révision possède les attributs de la rationalité et que ses motifs et sa conclusion appartiennent aux issues possibles pouvant se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[88]        REJETTE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire de la Ville de Bois-des-Filion;

 

[89]        AVEC FRAIS DE JUSTICE.

 

 

 

__________________________________

JEFFREY EDWARDS, J.C.S.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Paul Wayland

DHC Avocats inc.

Avocats de la Ville de Bois-des-Filion

 

Me Daniel Champagne

Champagne Perreault

Avocats de Marc Perron

 

Date d’audience :

8 septembre 2020

 



[1]     Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2019 QCCQ 1432.

[2]     Perron c. Ville de Bois-des-Filion, 2017 QCTAQ 07455.

[3]     Mémoire de M. Perron (paragr. 13); Lettre de l’avocat de la Ville du 10 septembre 2020 (Pièce P-4); Lettre de l’avocat de M. Perron du 10 septembre 2020 (Pièce MC-3).

[4]     Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[5]     RD c. Tribunal administratif du Québec, 2020 QCCS 189.

[6]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

[7]     Références omises.

[8]     RD c. Tribunal administratif du Québec, 2020 QCCS 189.

[9]     Articles 138.5 et suivants de la Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ, c. F-2.1.

[10]    Article 159 de la Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3.

[11]    Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2018 QCCQ 1122.

[12]    Perron c. Ville de Bois-des-Filion, 2017 QCTAQ 07455, paragr. 81.

[13]    Pièce P-3, p. 109 à 121.

[14]    Pièce MC-1, p. 19. Voir plan annexé, p. 20.

[15]    RLRQ, c. F-2.1.

[16]    Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2018 QCCQ 1122; Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2019 QCCQ 1432, paragr. 9.

[17]    Perron c. Ville de Bois-des-Filion, 2017 QCTAQ 07455, paragr. 152 à 157.

[18]    Perron c. Ville de Bois-des-Filion, 2017 QCTAQ 07455, paragr. 152 : « Il y a plus… ».

[19]    Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2019 QCCQ 1432, paragr. 19, 20 et 32.

[20]    Pièce P-3, p. 221.

[21]    Pièce P-3, p. 223.

[22]    Pièce P-3, p. 224-225.

[23]    Pièce P-3, p. 357-361.

[24]    Pièce P-3, p. 367, 368.

[25]    Pièce P-3, p. 373, 374.

[26]    Pièce P-3, p. 379.

[27]    Demande de pourvoi en contrôle judiciaire amendée (Cote 10 du dossier de la Cour), p. 5, paragr. c).

[28]    Paradis c. Québec (Ville de), [2005] TAQ 1055, 2005 CanLII 69824 (QC TAQ).

[29]    Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2019 QCCQ 1432, paragr. 32.

[30]    De même, on peut également se référer aux articles 244.2, 244.5, 244.6 et 244.7 LFM.

[31]    Article 244.30, alinéa 4 LFM.

[32]    Paradis c Québec (Ville de), [2005] TAQ 1055, 2005 CanLII 69824 (QCTAQ).

[33]    Dagenais c. St-Adolphe-d'Howard (Municipalité de), 2008 QCCA 253, paragr. 26 (articles 244.1 et 244.2 LFM); Voir également Vaudreuil-Dorion (Ville de) c. Investissements Malucar inc., J.E. 2004-494 (CA).

[34]    Mémoire de la demanderesse Ville de Bois-des-Filion déposé au dossier de la Cour, paragr. 6.

[35]    Articles 144.30, alinéa 4, 244.49, 244.65 et suivants LFM.

[36]    Le TAQ a déjà, dans un autre contexte, condamné une telle pratique de la part d’une municipalité. Voir Immeubles Yale ltée c. Beaconsfield (Ville de), 2012 QCTAQ 0597, paragr. 212.

[37]    Pièce P-3 : Mémoire de la Ville de Bois-des-Filion déposé au dossier de la Cour du Québec, p. 5, paragr. 9.

[38]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

[39]    Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[40]    Observations de Me Wayland lors de l’audience. Voir également Pièce P-4, p. 2.

[41]    Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, paragr. 8.

[42]    Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 37.

[43]    Ville de Bois-des-Filion c. Perron, 2019 QCCQ 1432, p. 9.

[44]    Vavilov, par. 91, citant Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16.

[45]    RD c. Tribunal administratif du Québec, 2020 QCCS 189.

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