9165-0937 Québec inc. c. Ville de Sherbrooke | 2025 QCCS 171 | | |
COUR SUPÉRIEURE | | |
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CANADA | | |
PROVINCE DE québec | | |
DISTRICT DE | ST-FRANÇOIS | |
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no : 450-17-008917-230 | | | |
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DATE : | 23 Janvier 2025 | | |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARTIN BUREAU, J.C.S. | | |
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9165-0937 QUÉBEC INC. et 9403-5250 QUÉBEC INC. Demanderesses | | |
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c. VILLE DE SHERBROOKE Défenderesse | | |
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JUGEMENT sur demande en jugement déclaratoire ( art
142 c.P.c. ) | | |
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L’APERÇU
- L’immeuble, dont les demanderesses sont propriétaires depuis octobre 2012, et qui est un terrain vacant n’ayant pas encore fait l’objet de développement et qui se situe dans une zone à caractère industriel sur le territoire de la défenderesse, est-il adjacent, comme le prétend la demanderesse à la rue Hector-Cormier, laquelle est une rue publique ou est-il plutôt, comme l’affirme la défenderesse, non adjacent à celle-ci ?
- La demanderesse considère qu’il est important que le Tribunal se prononce sur ce point puisque la conclusion, à laquelle il en arrivera, aura fort probablement des conséquences importantes quant au développement futur de cet immeuble et quant à son utilisation ainsi que, fort probablement, quant à sa valeur marchande.
- De son côté, la défenderesse affirme que cette question d’adjacence à une rue publique est purement théorique, puisqu’aucun permis de construction ne peut actuellement être délivré aux demanderesses. De plus, la défenderesse considère, si besoin est que le Tribunal se prononce, que l’immeuble des demanderesses n’est pas adjacent à une rue publique.
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal considère que l’immeuble, qui appartient aux demanderesses, n’est pas adjacent à la rue Hector-Cormier, de sorte qu’il n’est pas adjacent à une rue publique.
LE CONTEXTE
- L’immeuble, dont les demanderesses sont propriétaires, est situé dans le parc industriel de la défenderesse. Il s’agit de l’un des seuls terrains vacants situés à l’intérieur du périmètre de ce parc industriel qui n’appartient pas à la défenderesse elle-même.
- Depuis de nombreuses années, la défenderesse prévoit le développement de ce parc industriel et l’aménagement des terrains non encore développés, dont ceux dont elle est elle-même propriétaire ainsi que celui des demanderesses.
- Il n’y a aucun accès possible à l’immeuble des défenderesses à partir de l’autoroute qui le borde et la seule manière d’envisager qu’il ne soit pas enclavé, c’est que l’on puisse y accéder à partir de la rue Hector-Brien.
- Au cours des dernières années, la défenderesse a prévu, parmi les scénarios de développement de son parc industriel, de procéder au prolongement de cette rue Hector-Brien sur l’immeuble des demanderesses et à cette fin, elle envisageait de procéder à un échange de terrains entre une partie de celui des demanderesses et une partie de ceux dont elle est elle-même propriétaire.
- Des discussions et négociations ont eu lieu au cours des dernières années entre la demanderesse et certains employés représentant la défenderesse, en vue du développement des terrains vacants appartenant à l’une et l’autre des parties. La défenderesse a même soumis aux demanderesses, en 2021, une proposition de prolongement de la rue Hector-Brien, sur leur immeuble, et leur a transmis en ce sens une description des superficies de ses divers terrains pour discuter des échanges possibles entre les parties[1].
- La défenderesse a d’ailleurs, à frais communs avec les demanderesses, obtenu un rapport d’expert[2], préparé par une firme d’ingénieurs, afin de compléter une étude écologique des terrains concernés, avec pour objectif principal de caractériser les milieux naturels présents dans cette zone et de recueillir les informations nécessaires à l’obtention d’autorisations gouvernementales environnementales auxquelles le projet pourrait être assujetti.
- Depuis qu’elles ont acquis leur immeuble, les demanderesses ont toujours été informées par les représentants de la défenderesse que leur terrain ne pouvait pas encore être développé, puisqu’il n’était pas adjacent à une rue publique.
- Les divers services de la défenderesse, avec lesquels les représentants des demanderesses discutaient et négociaient en vue du développement de leur immeuble, qu’il s’agisse du Bureau de coordination du développement économique ou du Service de la planification et de la gestion du territoire, ont toujours eu comme position que la rue Hector-Brien ne se rendait pas jusqu’à l’immeuble des demanderesses.
- Cette rue se termine, selon la défenderesse, à la fin du lot cadastré qui porte le numéro 4 599 668 et, toujours selon la défenderesse, le prolongement de celle-ci sur une partie des terrains dont la défenderesse est propriétaire, et qui est le lot cadastré numéro 5 088 846, ne serait pas une rue publique, mais uniquement une voie d’accès vers une station de pompage, également construite sur cette propriété de la défenderesse, à laquelle il semble que l’on ait attribué un numéro civique.[3]
- Les demanderesses affirment que la surface aménagée en pierre et carrossable de la rue Hector- Brien se termine à moins de 2 mètres de la ligne de lot de leur immeuble et que les services municipaux souterrains, installés dans l’emprise de la rue, se terminent à moins de 4 mètres de cette même ligne de lot.
- La défenderesse considère plutôt que la rue Hector-Brien se termine officiellement à la limite du lot cadastré 4 599 668 et que la section de cette voie carrossable, qui se prolonge sur une partie non encore cadastrée du lot 5 088 846, ne constitue pas une rue publique, mais plutôt une simple allée de circulation sur un terrain privé au sens de sa réglementation.
- Sur un plan préparé par un arpenteur-géomètre, en date du 16 mai 2023, à la réquisition des demanderesses en vue d’obtenir un permis d’aménagement pour un nouveau projet, celui-ci indique que la rue Hector-Brien se termine à la limite du lot cadastré 4 599 668 et il inscrit sur le plan que le prolongement est un « chemin existant selon photographies aériennes ».[4]
- Le 6 juin 2023, la défenderesse a déposé un avis de motion en vue de l’adoption de ce qu’elle identifie comme son « Plan nature ».[5] Celui-ci est mis en œuvre temporairement par un Règlement de contrôle intérimaire portant le numéro 1274, adopté le 20 juin 2023.[6] et entré en vigueur le 22 août 2023.
- Ce « Plan nature » et le Règlement de contrôle intérimaire qui l’accompagne ont mis un frein, tout au moins temporairement, au développement de l’immeuble des demanderesses ainsi qu’à celui des immeubles adjacents qui appartiennent à la défenderesse elle-même. Cela empêche pratiquement les travaux de construction, incluant les travaux préparatoires à ceux-ci dans les milieux humides d’intérêt et aires d’affluence, de même que dans les milieux boisés d’intérêts et écosystèmes ou états particuliers.
- Anticipant l’adoption prochaine du « Plan nature » par la défenderesse, les demanderesses ont déposé, en mai 2023, une demande de permis de préparation et d’aménagement de sites[7] en vue de la construction d’un nouveau bâtiment conforme à la réglementation municipale alors en vigueur.
- Cette demande de permis a été refusée en juillet 2023 par un des inspecteurs en bâtiments du Service de planification et de la gestion du territoire, Division permis et inspections[8] de la défenderesse, aux motifs alors exprimés que le lot est enclavé et n’est pas constructible, puisqu’il n’est pas adjacent à un cadastre de rue publique.
- De plus, il est précisé dans le document faisant état du refus que « depuis le 6 juin, le plan nature de la ville de Sherbrooke est entré en vigueur et votre terrain est impacté par des zones de protection des boisés et milieux humides. Vous constaterez sur la carte ci-bas que le bout de la rue Hector-Brien est en zone de protection hydrique (milieu humide). Ceci vous interdit de traverser ce milieu et par le fait même, interdit le prolongement de la rue et des infrastructures dans ce milieu, s’ils ne sont pas déjà existants. » On y ajoute également ce qui suit : « finalement, il existe d’autres contraintes sur le terrain comme des servitudes appartenant à Hydro-Québec et compagnie. Par contre, la contrainte majeure reste l’enclavement et la zone de protection du plan nature. »[9]
LES POSITIONS RESPECTIVES DES PARTIES
La position des demanderesses
- Dans un premier temps et au moment où elles entreprennent leur procédure judiciaire à l’encontre de la défenderesse, les demanderesses désiraient que le Tribunal, en plus de rendre un jugement déclaratoire, ordonne à la défenderesse de leur émettre les autorisations et/ou permis nécessaires en lien avec l’aménagement et la préparation de leur immeuble, en vue de la construction d’un nouveau bâtiment, selon leur demande de permis daté du 17 mai 2023.
- Elles ont par la suite revisé leurs demandes et ont laissé tomber l’aspect mandamus de leur acte de procédure pour s’en tenir uniquement à leur demande de jugement déclaratoire.
- Les demanderesses considèrent, bien que le terme « rue » ne soit pas défini par le Règlement de zonage de la défenderesse,[10] que la portion de la rue Hector-Brien, adjacente à leur immeuble, doit être considérée comme une rue publique, puisqu’elle est aménagée et carrossable depuis au moins 2013.
- Les demanderesses soumettent que cette interprétation est conforme avec le principe voulant qu’un règlement de zonage doit normalement pouvoir être compris par les citoyens tenus de s’y conformer et qu’il faut donner aux mots leur sens usuel et normal.
- Les demanderesses plaident qu’il est inexact d’affirmer, comme le fait la défenderesse, que la portion litigieuse de la rue Hector-Brien est « une allée de circulation sur un terrain privé au sens de la réglementation municipale » puisque d’une part, ce terme n’existe pas dans la réglementation municipale de la défenderesse et que d’autre part, son équivalent logique, à savoir une « voie d’accès », ne trouve application que lorsqu’il s’agit d’une rue privée, non cadastrée et aménagée sur un immeuble qui n’appartient pas à la défenderesse.
- Les demanderesses soumettent qu’une lecture attentive des dispositions réglementaires applicables, prises dans leur ensemble, doit logiquement mener à la conclusion que la partie litigieuse de la rue Hector-Brien est une « rue publique », selon toute définition possible du terme.
- Les demanderesses affirment que toute la partie carrossable de la rue Hector-Brien est construite sur des terrains qui appartiennent à la défenderesse. Elles précisent que les infrastructures de cette rue, qu’elles soient en surface ou sous terre, sont de la nature de celles que l’on retrouve dans la construction habituelle d’une rue.
- Les demanderesses concluent que la portion litigieuse de la rue Hector-Brien consiste dans une voie aménagée par la défenderesse pour la circulation et que rien dans la réglementation municipale ou dans les dispositions législatives, qui accordent de tels pouvoirs de réglementation à la défenderesse, n’exige que l’ouverture d’une rue publique soit assujettie à une opération cadastrale.
La position de la défenderesse
- Dans un premier temps, la défenderesse soumet que le recours des demanderesses est théorique puisque, quelle que soit la conclusion à laquelle le Tribunal pourrait en arriver quant à la question de savoir si leur immeuble est adjacent ou non à une rue publique, cela n’aurait pas pour effet de leur permettre d’obtenir un permis de construction sur cet immeuble. Elle précise que dans l’état actuel des choses et sans même ne tenir compte de l’adjacence du terrain à une rue publique, il leur serait quand même impossible d’obtenir un tel permis en raison du Règlement 1274 de contrôle intérimaire, visant la protection des milieux naturels d’intérêt pour la conservation. Le conseil municipal de la défenderesse l’a adopté le 20 juin 2023 et il est entré en vigueur à la fin d’août 2023.
- La présence d’un milieu humide sur l’immeuble des demanderesses, à proximité du tracé qui est identifié sur le plan de leur arpenteur-géomètre comme étant un « chemin existant selon photographies aériennes », fait en sorte qu’ils ne peuvent d’aucune façon obtenir un tel permis.
- Au surplus, la défenderesse plaide que selon son Règlement 1203, toute nouvelle construction à l’intérieur du périmètre urbain doit être desservie par les services d’aqueduc et d’égouts, lesquels doivent être présents dans une rue publique longeant le terrain, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
- Puisque les demanderesses n’ont pas déposé une demande de permis complet et conforme avant le 6 juin 2023, date où un avis de motion a été déposé en vue du contrôle intérimaire, et que cette demande de permis ne respecte pas l’ensemble de la réglementation municipale, aucun certificat d’autorisation ou permis de construction ne peut être délivré. Cela fait en sorte que la défenderesse considère que le Tribunal ne devrait pas statuer sur la demande qui lui est faite par les demanderesses, considérant que celle-ci est purement théorique.
- Dans un deuxième temps, la défenderesse soutient que l’immeuble des demanderesses n’est pas adjacent à une rue publique au sens du Règlement numéro 1203 qui porte sur les conditions d’émission des permis de construction.
- D’abord, sur ce sujet, la défenderesse plaide qu’il est de la juridiction des municipalités d’établir, par un règlement, les conditions quant à l’émission des permis de construction sur leur territoire et que les municipalités peuvent établir différentes conditions à ce sujet, dont celle relative à l’existence de services d’aqueduc et d’égouts sur la rue en bordure de laquelle une construction est projetée.
- La défenderesse affirme qu’elle s’est prévalue de ce pouvoir en adoptant le Règlement 1203, afin d’exiger, que tout terrain sur lequel doit être érigée une nouvelle construction à l’intérieur du périmètre urbain, soit adjacent à une rue publique.
- La défenderesse ajoute que l’ouverture d’une nouvelle rue publique relève de son entière discrétion et qu’elle a intégré le pouvoir d’ouvrir de nouvelles rues publiques sur son territoire dans sa réglementation avant l’entrée en vigueur de son Règlement de zonage et de lotissement 1200.
- Dans ce règlement, les expressions « rue publique » et « rue privée » y sont clairement définies et aucune de ces définitions ne permet de considérer que le prolongement de ce que constitue la rue Hector-Brien, laquelle est clairement cadastrée, par ce que l’arpenteur-géomètre des demanderesses qualifie de « chemin existant selon photographies aériennes », ne correspond à aucune de ces définitions.
- La défenderesse plaide que toute nouvelle rue doit être conforme au chapitre 15 du Règlement 1200 qui traite des « dispositions relatives au lotissement ». Selon les dispositions de ce chapitre, une rue publique doit être identifiée et délimitée sur un plan de cadastre officiel inscrit au registre foncier, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
- Ce que l’arpenteur-géomètre des demanderesses qualifie de « chemin existant selon photographies aériennes » ne peut être considéré comme une « rue existante » selon l’expression utilisée dans le Règlement 1200.
- De plus, la défenderesse affirme, que même si la notion d’adjacence ou le terme lui-même « adjacent » ne sont pas définis, tant dans Loi sur l’aménagement et l’urbanisme que dans la réglementation de la défenderesse, les définitions usuelles de ces termes réfèrent à quelque chose de contigu, ou qui se touche, ou qui est attenant.
- La défenderesse ajoute, qu’à quelques reprises, les tribunaux ont statué que la notion d’adjacence implique un accès, un frontage direct sur une rue publique et qu’ils ont rejeté la notion de proximité.
- La défenderesse conclut, que lorsqu’un terrain est séparé d’une rue publique par une bande de terrain, quand bien même celle-ci appartiendrait à la municipalité, cela a pour conséquence qu’il n’est pas adjacent à cette rue.
ANALYSE ET DISCUSSION
- En fonction des représentations respectives des parties, le Tribunal considère qu’il doit répondre d’abord à la première question soulevée par la défenderesse soit :
- Le recours intenté par les demanderesses dans sa forme actuelle est-il théorique?
- Par la suite, si le Tribunal considère que la réponse à la première question est négative, il devra alors répondre à la question qui suit :
- L’immeuble des demanderesses est-il adjacent à une rue publique au sens du Règlement numéro 1203 sur les conditions d’émission des permis de construction de la défenderesse ?
- Évidemment, si le Tribunal en vient à conclure que le recours des demanderesses est théorique, il ne sera alors pas opportun de répondre à cette deuxième question.
1- Le recours intenté par les demanderesses dans sa forme actuelle est-il
théorique?
- Il est prévu, au dernier alinéa de l’article 10 du Code de procédure civile (C.p.c.), ce qui suit en ce qui concerne les obligations des tribunaux : « Ils ne sont pas tenus de se prononcer sur des questions théoriques ou dans les cas où le jugement ne pourrait mettre fin à l’incertitude ou à la controverse soulevée… ».
- Il est également stipulé ce qui suit, à l’article 142 du C.p.c. : « La demande en justice peut avoir pour objet d’obtenir, même en l’absence de litige, un jugement déclaratoire déterminant, pour solutionner une difficulté réelle, l’état du demandeur ou un droit, un pouvoir ou une obligation lui résultant d’un acte juridique. »
- C’est spécifiquement ce que recherchent les demanderesses par leur demande en justice. Elles désirent que le Tribunal détermine s’il est exact, comme le prétend la défenderesse depuis plusieurs années, que l’immeuble dont elles sont propriétaires, n’est pas adjacent à une rue publique.
- Une réponse qui leur serait favorable ne viendrait fort probablement pas régler, dans l’état actuel de la réglementation municipale, les problèmes auxquels elles font face en vue d’obtenir des permis de construction ou pour développer leur propriété.
- Toutefois, puisque les deux parties ont des positions diamétralement opposées sur ce sujet, il apparaît approprié, quelle que soit la réponse à laquelle en arriverait le Tribunal sur cette question, qu’une réponse puisse quand même être donnée et que l’incertitude à laquelle font face les demanderesses soit résolue.
- Il apparaît assez évident que les avenues, qui pourraient être éventuellement envisagées par les demanderesses quant à l’avenir de leur immeuble, risquent d’être fort différentes en fonction de la réponse que donnerait le Tribunal à la question qu’elles lui soumettent.
- Il est fort probable également que la valeur marchande de leur propriété pourrait être différente en fonction de la réponse donnée par le Tribunal à la question qu’elles lui soumettent.
- Dans ces circonstances, le Tribunal considère qu’il est approprié qu’il réponde à la question qui lui est soumise et qu’il détermine si, comme le prétend la défenderesse, l’immeuble des demanderesses n’est pas adjacent à une rue publique ou si, comme l’affirment les demanderesses, leur propriété, en raison des circonstances particulières au présent dossier, doit être considérée comme adjacente à une telle rue publique.
- Il apparaît donc opportun que le Tribunal se penche sur le fond du problème, plutôt que de rejeter, de prime abord, le recours des demanderesses et qu’en conséquence, il réponde à la question suivante :
- L’immeuble des demanderesses est-il adjacent à une rue publique au sens du Règlement numéro 1203 sur les conditions d’émission des permis de construction de la défenderesse ?
- Ce sont les dispositions du Règlement numéro 1203[11] de la défenderesse qui établissent les conditions d’émission des permis de construction. Le pouvoir d’imposer de telles conditions est conféré par l’article 116 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU)[12]. Parmi les multiples conditions exigées dans ce Règlement 1203 pour l’émission d’un permis de construction, l’une d’elles précise spécifiquement ce qui suit :
« À l’intérieur du périmètre d’urbanisation, le terrain sur lequel doit être érigée chaque nouvelle construction y compris les bâtiments accessoires ainsi que toute modification, agrandissements ou autres travaux réalisés sur un bâtiment existant nécessitant un permis de construction, est adjacent à une rue publique…. »[13]
- Cette condition, exigée par la réglementation municipale de la défenderesse, est spécifiquement permise par l’article 116 al. 5 de la LAU dans les termes qui suivent :
116.
5. « Le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique. »[14]
- Cette condition a été reconnue valide par les tribunaux à de nombreuses reprises, dont entre autres par la Cour d’appel dans l’arrêt Poitras c. D’onofrio[15], afin de donner aux municipalités la possibilité de contrôler la séquence du développement sur leur territoire et de rentabiliser les services municipaux.
- Il est également bien établi en doctrine et en jurisprudence que l’ouverture d’une nouvelle rue publique relève de l’entière discrétion d’une municipalité, qu’elle se concrétise lors d’une opération cadastrale de lotissement et dans ce sens, la défenderesse a spécifiquement encadré cette discrétion en adoptant ses Règlements numéro 1200[16] et 1300.[17]
- La définition de ce qu’est une rue publique n’apparaît pas dans le Règlement 1203, mais on la retrouve toutefois dans le Règlement numéro 1200[18] de la défenderesse qui traite de zonage et de lotissement à son article : 2.2.256 de la façon suivante :
« Rue publique (Synonyme : Chemin public)
L’expression « rue publique » désigne une rue qui appartient à la Ville de Sherbrooke ou à un gouvernement. Pour les fins du présent règlement, les autoroutes et les bretelles sur lesquelles sont enregistrés des droits de non-accès sont considérées comme des rues publiques.
Toutefois, un terrain contigu à une autoroute ou à une bretelle sur laquelle sont enregistrés des droits de non-accès n’est pas considéré comme adjacent à une rue publique »
- L’on retrouve aussi une définition de « chemin public » dans le Règlement numéro 1300 de la défenderesse[19] et elle se lit comme suit :
1.1.1 3) « l’expression « chemin public » désigne la surface de terrain ou d’un ouvrage d’art dont l’entretien est à la charge de la Ville et sur une partie de laquelle sont aménagées une ou plusieurs chaussées ouvertes à la circulation publique des véhicules routiers et, le cas échéant, une ou plusieurs voies cyclables ; »
- Dans le Règlement 1200, une définition de rue privée est indiquée dans les termes suivants à l’article 2.2.225 :
2.2.225) « l’expression « rue privée » désigne une rue identifiée et délimitée sur un plan de cadastre officiel qui n’appartient pas à la Ville de Sherbrooke ni à un gouvernement. Une rue privée non cadastrée est désignée comme une voie d’accès.»[20]
- L’analyse globale et contextuelle des dispositions réglementaires de la défenderesse, portant à la fois sur l’administration générale de celle-ci (R-1300) ainsi que sur les règles applicables en matière de zonage et de lotissement (R-1200), de même que celles portant sur l’émission des permis de construction ( R-1203), le tout en fonction des pouvoirs accordés à l’ensemble des municipalités en matière d’urbanisme par la LAU, amène le Tribunal à conclure que les opérations cadastrales et plus particulièrement le lotissement sont d’une importance capitale dans le développement urbain et que, sur le territoire de la défenderesse, l’ouverture de toute rue nécessite que celle-ci fasse l‘objet d’une opération cadastrale et qu’elle soit l’objet de la création d’un lot spécifique avant qu’elle ne soit considérée comme publique.
- Il en résulte que toute voie ou allée de circulation qui se situe sur un terrain, propriété de la défenderesse, mais qui n’a pas fait l’objet d’une désignation cadastrale spécifique, n’est pas une rue publique ni une rue privée au sens de sa réglementation.
- Dans le présent dossier, la preuve révèle l’existence, sur le lot 4 599 668, de la rue Hector-Brien. Cette rue est pavée, mais à un certain endroit la chaussée, construite sur ce lot, se poursuit de façon non pavée, sur un terrain non subdivisé et qui appartient également à la défenderesse.
- Lorsque cette chaussée se prolonge ainsi sur le lot 5 088 846, lequel n’est pas subdivisé, elle perd son statut de rue publique pour ne devenir qu’une allée de circulation, se trouvant sur une propriété de la défenderesse et menant à une station de pompage qui lui appartient et qui est aussi située sur le même terrain.
- Sur ce lot 5 088 846, il n’y a rien au niveau cadastral ni aucun lotissement qui permette de distinguer le terrain lui-même et l’allée de circulation.
- Puisque, selon l’interprétation qu’en fait le Tribunal, la rue Hector-Brien prend fin comme rue publique à la limite du lot 4 599 668 et que par la suite, son prolongement sur le lot 5 088 846 n’est qu’une allée de circulation. Il en résulte que la propriété des demanderesses n’est pas adjacente à une rue publique.
- De toute façon, même si le Tribunal acceptait la position des demanderesses et considérait que l’allée de circulation qui se trouve sur le lot 5 088 846 devait être considérée comme une rue publique, la réponse serait la même. La preuve prépondérante ne permet pas de conclure que le terrain des demanderesses est adjacent à cette allée de circulation. Cette preuve démontre plutôt que leur propriété ne touche pas directement à cette allée ou voie de circulation et qu’elle en est plutôt séparée de quelques pieds ou de quelques mètres.
- Quelques décisions de la Cour supérieure et de la Cour d’appel confirment que, pour être considéré comme adjacent à une rue publique, un terrain doit être immédiatement adjacent à celle-ci ou avoir un accès ou un frontage directement sur la rue. Une simple proximité, même rapprochée, n’est pas suffisante pour que l’on considère qu’il soit adjacent.[21]
- Le Tribunal conclut donc que la propriété des demanderesses et qui est connue comme étant le lot numéro 3 196 868, circonscription foncière de Sherbrooke, n’est pas, au sens du Règlement 1203 de la défenderesse, adjacente à la rue Hector-Brien ni à aucune rue publique sur le territoire de la défenderesse.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- DÉCLARE que l’immeuble des demanderesses, connu et désigné comme étant le lot numéro TROIS MILLIONS CENT QUATRE-VINGT-SEIZE MILLE HUIT CENT SOIXANTE-HUIT (3 196 868) du cadastre du Québec, circonscription foncière de Sherbrooke, n’est pas adjacent à une rue publique au sens du Règlement 1203 de la défenderesse Ville de Sherbrooke ;
- LE TOUT avec frais de justice à l’encontre des demanderesses.
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| ________________________________MARTIN BUREAU, j.c.s. |
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Me Julien Collin ( Dunton Rainville) Procureur des Demanderesses Me Tiffany Dorais (Perron Cormier et Associés) Procureure de la Défenderesse |
Date d’audience : 12 décembre 2024 | |
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[21] Voir sur ce sujet : 9266-1024 Québec inc c. Ville de St-Jean-Jean-sur-Richelieu 2021 QCCS 5106 et 2022 QCCA 560, Cayouette c. Boulianne .2024 QCCA 863.; Vigneault c. Stanstead (Municipalité du canton de) 2008 QCCA 289 par 10; Desjardins c. Shefford (municipalité du canton de) EYB 2005-89534(C.S.); Wendover & Simpson (Corporation municipale des cantons unis de) (C.S. 1987-08-31) SOQUIJ AZ-50573035; Bois-des-Filion (Ville de) c. Guay, C.A. 500-09-013098-033, REJB 2004-81617 (C.A.) AZ-50285390