- L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 17 juillet 2023 par la Cour du Québec, division administrative et d’appel, district de Montréal (l’honorable Dominique Gibbens)[1], lequel rejette sa demande d’audience de novo dans le cadre de sa contestation de la décision du Comité de délivrance et de maintien des permis (« Comité ») de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (« OACIQ »), qui refuse de lui délivrer un permis.
- Dans les jours qui ont précédé l’audience en appel, le requérant en intervention amicale, dont le permis de courtage immobilier a été révoqué par décision du Comité, a demandé l’autorisation d’intervenir dans le cadre de cet appel. À l’audience, la Cour a accordé cette demande d’intervention amicale[2].
Contexte
- La décision qui fait l’objet de la contestation en l’espèce a été rendue à la suite d’une audience devant le Comité, à laquelle l’appelante a participé par visioconférence après y avoir été dûment convoquée[3]. En effet, par avis notifié en date du 28 octobre 2022, l’appelante avait été invitée à présenter ses observations au sujet des antécédents déclarés dans sa demande de permis de courtière immobilière restreint au courtage résidentiel. Elle avait alors été avisée que le Comité déterminerait si les actes criminels et l’infraction sommaire mentionnés dans sa demande ont un lien avec l’exercice des opérations de courtage et qu’il pourrait refuser en conséquence de lui délivrer le permis ou décider de l’assortir de restrictions ou de conditions. En sus d’observations écrites transmises avant l’audience du 10 novembre 2022, l’appelante a également pu faire valoir des observations orales durant cette audience.
- Dans une décision rendue le 5 décembre 2022 comportant quelque 50 paragraphes, le Comité a refusé de lui délivrer un permis après avoir déterminé qu’il y a un lien entre les infractions commises et l’exercice du courtage immobilier au sens du paragraphe 3 de l’article 37 de la Loi sur le courtage immobilier (« LCI »).
- L’appelante a par la suite déposé une contestation de cette décision auprès de la Cour du Québec suivant l’article 43 LCI et demandé une audience de novo, que lui a refusée la Cour du Québec dans le cadre du jugement entrepris. L’appelante s’est donc pourvue en appel.
- Avant d’aller plus loin, il paraît utile de reproduire l’article 43 LCI sur lequel se fonde le recours en contestation de l’appelante :
43. Toute contestation d’une décision rendue en vertu des articles 37 ou 38, de même que celui de la décision suspendant un permis en vertu de l’article 38.1 est déposée devant la Cour du Québec, conformément à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV du Code des professions (chapitre C-26), compte tenu des adaptations nécessaires. Toute référence au secrétaire du conseil d’administration ou du comité exécutif prévue aux dispositions du Code des professions doit être comprise comme une référence à l’Organisme au sens de la présente loi. La contestation ne suspend pas la décision contestée, à moins qu’un juge de la Cour du Québec n’en décide autrement. | 43. Any contestation of a decision made under section 37 or 38 or of a decision to suspend a licence made under section 38.1 is filed with the Court of Québec, in accordance with subdivision 1 of Division VIII of Chapter IV of the Professional Code (chapter C-26), with the necessary modifications. Any reference to the secretary of the board of directors or of the executive committee in the Professional Code must be understood as a reference to the Organization within the meaning of this Act. A contestation does not suspend the contested decision unless a judge of the Court of Québec decides otherwise. [Soulignements ajoutés] |
- Puisque cette disposition a été modifiée en juin 2020, dans le sillon de l’arrêt Vavilov [4], afin de remplacer l’expression « appel […] interjeté » par « contestation […] déposée », l’appelante prétend que le recours qui y est prévu a été élargi et qu’il est désormais assujetti aux règles du livre II du Code de procédure civile mentionnées à l’article 83.1 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (« LTJ »)[5], de manière à permettre la tenue d’une audience de novo et donc la présentation de témoins dans le cadre de sa contestation à venir devant la Cour du Québec[6].
- Voici l’extrait du jugement entrepris résumant les prétentions de l’appelante en lien avec l’article 83.1 LTJ :
[17] Mme Rossi soutient que sa contestation est régie par les règles du C.p.c. applicables en première instance et qu’il s’agit d’une instance de novo lors de laquelle elle pourra présenter tous ses moyens de preuve et arguments au soutien de sa demande de permis, sans égard à la preuve qui a été présentée devant le Comité.
[18] Pour appuyer ses prétentions, Mme Rossi invoque l’article 83.1 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (« LTJ »), qui a été adopté dans la foulée de l’arrêt Vavilov pour préciser les modalités d’intervention de la Cour du Québec en matière d’appel de décisions rendues dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle et de contestation de décisions administratives comme celle du Comité attaquée en l’espèce.
[19] L’article 83.1 stipule que :
83.1. Dans les cas où la loi lui attribue une compétence en appel d’une décision rendue dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle, ou en contestation d’une décision prise dans l’exercice d’une fonction administrative, la Cour rend sa décision sans qu’il y ait lieu à déférence à l’égard des conclusions portant sur les questions de droit tranchées par la décision qui fait l’objet de l’appel ou sur toutes questions concernant la décision qui fait l’objet de la contestation.
Cette compétence est exercée par les seuls juges de la Cour que désigne le juge en chef en raison de leur expérience, leur expertise, leur sensibilité et leur intérêt marqués dans la matière sur laquelle porte l’appel ou la contestation.
À moins de disposition contraire et compte tenu des adaptations nécessaires, l’appel est régi par les articles 351 à 390 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) et le recours en contestation l’est par les règles du livre II de ce code.
[Soulignements ajoutés]
[20] Chaque alinéa de l’article 83.1 LTJ concerne un volet différent du rôle de la Cour du Québec lorsqu’elle siège en appel d’une décision juridictionnelle ou en contestation d’une décision administrative, ce qui est la nature de la décision attaquée en l’espèce.
[21] Le premier alinéa dicte la norme d’intervention applicable selon qu’il s’agit d’un appel ou d’une contestation, le second, qui peut être décideur et le troisième, la procédure à suivre.
[22] Mme Rossi plaide que puisque l’article 43 LCI a été modifié en parallèle avec l’adoption de l’article 83.1 LTJ pour créer un recours en contestation des décisions du Comité comme celle attaquée en l’espèce, il faut conclure du troisième alinéa de l’article 83.1 LTJ que le recours est assujetti aux règles visées du C.p.c.
[23] Lors de l’audience, le Tribunal a questionné l’avocat de Mme Rossi quant à savoir si le renvoi fait par l’article 43 LCI aux articles 182.1 à 182.9 du Code des professions ne constitue pas une « disposition contraire » (au sens du troisième alinéa de l’article 83.1 LTJ) qui écarte la règle générale voulant qu’un recours en contestation soit régi par les règles du C.p.c.
[24] À cet égard, Mme Rossi fait valoir que le renvoi au Code des professions ne vise que les modalités du dépôt de la contestation (comment, où et dans quel délai le recours doit être formé) et non la procédure applicable au recours par la suite. Elle souligne que l’article 43 LCI stipule que la contestation « est déposée […] conformément à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV du Code des professions (chapitre C-26), compte tenu des adaptations nécessaires ».
[Soulignements dans l’original; renvois omis]
- La juge de première instance rejette les prétentions de l’appelante. Elle retient plutôt que, malgré la modification apportée à l’article 43 LCI, le législateur n’a pas cherché à s’éloigner du processus de révision « sur dossier » qui prévaut pour l’ensemble des décisions de conseils d’administration d’ordres professionnels liées à l’exercice de la profession, lesquelles sont de même nature que les décisions visées par l’article 43 LCI. Elle signale que cet article prévoit justement que la contestation doit être « déposée devant la Cour du Québec conformément à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV du Code des professions, compte tenu des adaptations nécessaires »[7]. Cette sous-section du Code des professions (« C. prof. »)[8], intitulée « Appel au Tribunal des professions », comprend les articles 182.1 à 182.8 consacrés au processus particulier de la révision sur dossier. La juge note d’ailleurs que ces dispositions précisent non seulement le contenu du dossier et le délai de transmission du dossier aux parties mais son déroulement et spécifient, notamment à l’article 182.4 al. 3 C. prof., ce que doivent inclure les mémoires qui sont échangés entre les parties, à savoir « les seules pièces et les seuls extraits de la preuve nécessaires à la détermination des questions en litige […] ». Elle ajoute que l’article 182.6 C. prof. renvoie à une norme de révision qui n’est pas compatible avec une audience de novo régie par les règles du livre II du Code de procédure civile. La juge écrit :
[26] Si le législateur avait voulu assujettir le recours en contestation de l’article 43 LCI aux seules modalités de la sous-section du Code des professions visant comment, où et dans quel délai le recours doit être formé, il se serait limité à référer aux articles 182.2 et 182.5, plutôt qu’à toute la sous-section que forment les articles 181.1 à 181.9. Ce n’est pas ce qu’il a fait.
[27] Comme mentionné plus haut, les articles 182.1 à 182.9 du Code des professions créent un processus d’appel particulier aux décisions du conseil d’administration d’ordres professionnels assujettis liées à l’exercice de la profession (délivrance de permis d’exercice, inscription au tableau de l’ordre, limitation du droit d’exercice, etc.).
[28] Il s’agit clairement d’un processus de révision « sur dossier ». L’article 182.2 prévoit d’ailleurs de quoi est composé le dossier et le délai à l’intérieur duquel il doit être transmis aux parties par le secrétaire du conseil d’administration ou du comité exécutif de l’organisme concerné.
[29] Les parties doivent échanger des mémoires dans lesquels elles doivent inclure les seules pièces et extraits de la preuve nécessaires à la détermination des questions en litige13.
[30] L’introduction d’une preuve nouvelle est possible dans certaines circonstances et sur autorisation, comme le prévoit l’article 169 du Code des professions14 :
169. Le tribunal peut aussi, en raison de circonstances exceptionnelles et lorsque les fins de la justice le requièrent, autoriser la présentation d’une preuve nouvelle indispensable, documentaire ou verbale.
La demande d’autorisation est libellée et assermentée; elle est présentée au tribunal pour adjudication après avis à la partie adverse.
Si la demande est accueillie, chacune des parties peut interroger et contre-interroger les témoins convoqués et exposer ses arguments.
[31] Au terme du processus d’appel, le tribunal des professions peut « confirmer, modifier ou infirmer toute décision qui lui est soumise et rendre la décision qui, à son jugement, aurait dû être rendue en premier lieu »15.
[32] De toute évidence, ce régime de révision est fort différent d’une instance de novo régie par les règles du livre II du C.p.c. Le Tribunal est d’avis qu’en y référant spécifiquement à l’article 43 LCI, le législateur a voulu déroger à la règle générale prévue au troisième alinéa de l’article 83.1 LTJ voulant qu’une contestation soit régie par le livre II du C.p.c.
[33] On peut se demander pourquoi le législateur a choisi, au moment de l’adoption de l’article 83.1 LTJ, de modifier l’article 43 LCI pour remplacer le droit d’appel qui existait précédemment par un recours en contestation tout en conservant le renvoi au régime d’appel prévu aux articles 182.1 à 182.9 du Code des professions.
[34] Ce choix peut s’expliquer du fait que ce régime d’appel vise des décisions fort semblables à celles pouvant être attaquées aux termes de l’article 43 LCI comme le refus de délivrer un permis d’exercice ou l’imposition de limites au droit d’exercice d’un membre de l’ordre.
[35] Il faut aussi rappeler que le premier alinéa de l’article 83.1 LTJ prévoit une norme d’intervention différente selon qu’il s’agit d’un appel ou d’une contestation : dans le cas d’un appel, aucune déférence n’est de mise quant aux questions de droit (ce qui signifie, a contrario, que la déférence s’impose quant aux questions de fait), alors que dans le cas d’une contestation, aucune déférence n’est de mise peu importe qu’il s’agisse de questions de fait ou de droit. En remplaçant le droit d’appel par un recours en contestation, le législateur est donc venu dicter une norme d’intervention qui écarte toute obligation de déférence envers la décision du Comité.
_____________
13 Article 182.4 du Code des professions.
14 L’article 182.1 du Code des professions stipule que l’article 169 est applicable à un appel logé aux termes de cette sous-section.
15 Article 182.6 du Code des professions.
- La juge poursuit son analyse en précisant que l’affaire Dufault [9] invoquée par l’appelante ne peut servir de précédent, puisque le passage sur lequel elle s’appuie est un obiter :
[36] À l’audience, l’avocat de Mme Rossi a porté à l’attention du Tribunal que dans l’affaire Dufault c. Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec, le juge Enrico Forlini (alors qu’il était juge à notre Cour) énonce qu’une contestation en vertu de l’article 43 LCI donne lieu à une audition de novo :
[28] Bref, le Tribunal statue sur la contestation par M. Dufault de la Décision du Comité comme s’il s’agit d’une audition de novo et doit rendre la décision que le Comité aurait dû rendre à la lumière des faits administrés devant cette instance puisque M. Dufault n’a pas administré de preuve devant la Cour du Québec.
[37] Le Tribunal retient toutefois des motifs de la décision que la question analysée ici n’a pas été débattue devant le juge Forlini, puisque M. Dufault n’a pas cherché à administrer une preuve devant lui. Il s’agit donc d’un obiter dictum. Avec beaucoup d’égard, et après analyse des dispositions législatives applicables, le Tribunal n’est pas du même avis.
[38] Bref, le Tribunal conclut que Mme Rossi n’a pas le droit de procéder à une audition de novo. Sa contestation, qui est régie par les articles 182.1 à 182.9 du Code des professions, doit se faire à la lumière de la preuve administrée devant le Comité, sous réserve d’une autorisation d’introduire une preuve nouvelle dans les conditions prévues à l’article 169 du Code des professions.
[Renvoi omis]
Moyens soulevés en appel
- En appel, l’appelante reprend essentiellement les mêmes arguments mis de l’avant en première instance selon lesquels l’article 43 LCI doit être lu de concert avec l’article 83.1 LTJ et l’interprétation de ces articles arrimée. Elle s’appuie également sur le contenu des débats parlementaires qui ont entouré l’adoption de l’article 83.1 LTJ afin de convaincre la Cour que les règles de procédure contentieuse prévues au livre II du Code de procédure civile doivent être appliquées à sa contestation et lui permettre de bénéficier d’une audience de novo afin de pouvoir présenter une preuve devant la Cour du Québec.
- L’appelante ajoute qu’elle a subi un déni de justice devant le Comité du fait d’avoir été privée de l’occasion de faire la preuve de sa situation contemporaine et de son évolution. L’argument, qui n’est pas évoqué dans le jugement et ne figurait pas dans sa demande de permission d’appeler, n’est pas non plus mentionné dans le jugement d’autorisation. Il sera néanmoins abordé brièvement dans le contexte de l’analyse qui suit, puisqu’il n’est pas entièrement étranger aux considérations soulevées par l’appelante pour plaider son droit à une audience de novo.
- Le requérant en intervention amicale appuie l’argument de l’appelante qu’il tente toutefois de bonifier, notamment en plaidant que le renvoi du premier alinéa de l’article 43 LCI à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV du C. prof. « en tenant compte des adaptations nécessaires », permet d’écarter certaines dispositions de cette sous-section jugées incompatibles avec les règles en matière contentieuse mentionnées à l’article 83.1 LTJ. Il invoque par ailleurs l’affaire Institut de l’oeil des Laurentides[10], dans laquelle la Cour supérieure a conclu que le recours prévu à l’article 22.0.1 de la Loi sur l’assurance maladie[11], visant à contester une décision de la Régie de réclamer des sommes illégalement facturées à des bénéficiaires, est une procédure de novo plutôt que de la nature d’un appel. Il ajoute que l’audition de novo en droit civil se distingue de l’appel de novo en droit pénal, en ce qu’elle procède en fonction du dossier présenté en première instance, tout en permettant qu’une enquête puisse avoir lieu sur des éléments qui n’ont pas été présentés en première instance.
Analyse
- La norme d’intervention
- En ce qui a trait à la question principale en appel qui concerne l’interprétation de la portée du recours en contestation prévu à l’article 43 LCI et des règles qui lui sont applicables, il convient de préciser que la norme d’intervention en l’espèce n’est pas contestée : les parties conviennent en effet, à juste titre, que l’appel du jugement entrepris obéit à la norme de la décision correcte[12]. En effet, l’interprétation législative est une question de droit[13] qui commande en appel l’application de la norme de la décision correcte[14]. Le rôle de la Cour consiste alors à examiner la justesse de l’interprétation du juge de première instance et à vérifier si celle-ci reflète l’intention du législateur[15]. La Cour n’interviendra que si le juge a commis une erreur de droit ayant une incidence sur l’issue du litige[16] et, le cas échéant, bénéficiera de toute la latitude voulue pour substituer son opinion à celle du juge d’instance, vu son large pouvoir de contrôle à l’égard des questions de droit[17].
- Bref survol des dispositions pertinentes
- Avant d’examiner si les reproches formulés à l’égard de l’interprétation retenue par la juge de première instance sont fondés, il convient de faire un bref survol de l’historique législatif des dispositions pertinentes.
- Signalons d’abord que lorsque la LCI est entrée en vigueur en 2010, son article 43 était formulé comme suit[18] :
43. Tout appel d’une décision de l’Organisme rendue en vertu des articles 37, 38 ou 40 est interjeté devant la Cour du Québec. L’appel ne suspend pas la décision contestée, à moins qu’un juge de la Cour du Québec n’en décide autrement. Il est formé, dans les 30 jours de la date de la signification de la décision, par le dépôt d’un avis à cet effet auprès de l’Organisme. | 43. Any appeal from a decision made by the Organization under section 37 or 38 is brought before the Court of Québec. An appeal does not suspend the contested decision unless a judge of the Court of Québec decides otherwise. The appeal is brought by filing a notice of appeal with the Organization within 30 days after the date of service of the contested decision. |
- Ainsi, dès le départ, l’article 43 LCI prévoit que les appels des décisions rendues en matière de délivrance, de révocation, de suspension ou de restriction de permis doivent procéder devant la Cour du Québec.
- En 2013, le premier alinéa de l’article 43 LCI est remplacé afin de préciser la manière d’interjeter appel devant la Cour du Québec[19] :
43. Tout appel d’une décision rendue en vertu des articles 37, 38 ou 38.1 est interjeté devant la Cour du Québec, conformément à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV du Code des professions (chapitre C-26), compte tenu des adaptations nécessaires. Toute référence au secrétaire du conseil d’administration ou du comité exécutif prévue aux dispositions du Code des professions doit être comprise comme une référence à l’Organisme au sens de la présente loi. L’appel ne suspend pas la décision contestée, à moins qu’un juge de la Cour du Québec n’en décide autrement. Il est formé, dans les 30 jours de la date de la signification de la décision, par le dépôt d’un avis à cet effet auprès de l’Organisme. | 43. Any appeal from a decision made under section 37, 38 or 38.1 is brought before the Court of Québec, in accordance with subdivision 1 of Division VIII of Chapter IV of the Professional Code (chapter C-26), with the necessary modifications. Any reference to the secretary of the board of directors or of the executive committee in the Professional Code must be understood as a reference to the Organization within the meaning of this Act. An appeal does not suspend the contested decision unless a judge of the Court of Québec decides otherwise. The appeal is brought by filing a notice of appeal with the Organization within 30 days after the date of service of the contested decision. |
- Ainsi, à compter de 2013, cet article renvoie à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV C. prof. intitulée : « Appel auprès du Tribunal des professions », dont le premier alinéa de l’article 182.1 C. prof. énumère les décisions visées par un tel appel[20]. Il s’agit d’ailleurs de décisions de même nature que celles visées par l’article 43 LCI en ce qu’elles concernent la délivrance de permis, l’inscription au tableau d’ordres professionnels ou l’imposition de limites au droit d’exercice de ces professionnels. Elles se distinguent toutefois des décisions visées par l’article 43 LCI par le fait qu’elles visent des professionnels régis par le Code des professions et que leur appel doit être interjeté auprès du Tribunal des professions, tandis que suivant l’article 43 LCI, le recours est porté devant la Cour du Québec.
- En juin 2018, le troisième alinéa de l’article 43 LCI est abrogé[21] afin de retirer la mention que l’appel doit être « formé/brought » par le « dépôt/filing » d’un avis à cet effet auprès de l’Organisme dans les 30 jours. Nous précisons que l’article 182.2 C. prof., figurant à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV C. prof. mentionnée au premier alinéa de l’article 43 LCI, dicte alors les formalités du dépôt de l’appel.
- En décembre 2019, l’arrêt Vavilov de la Cour suprême opère un certain bouleversement en droit administratif, plus particulièrement en matière de contrôle judiciaire de même qu’en ce qui concerne les « appels » des décisions d’instances administratives spécialisées comme celle en l’espèce. Alors que ces appels procédaient jusqu’alors en suivant les normes applicables en matière de contrôle judiciaire[22], la Cour suprême détermine que ces appels seront désormais assujettis aux règles ordinaires d’appel établies dans l’arrêt Housen[23] en ayant recours à la norme de la décision correcte à l’égard des questions de droit et à celle de l’erreur manifeste et déterminante à l’égard des questions de fait ou mixtes de droit et de fait, à moins que le législateur ne le prévoie autrement.
- Ce changement mène à l’adoption par le législateur québécois en juin 2020 de la Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières[24], qui a pour effet de modifier plusieurs lois de la province, dont la LCI et son article 43, ainsi que la LTJ par l’ajout de l’article 83.1. Par ce dernier article, le législateur précise les modalités d’intervention de la Cour du Québec en matière d’appel de décisions rendues dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle ou de contestation de décisions administratives et les règles applicables, comme suit :
83.1. Dans les cas où la loi lui attribue une compétence en appel d’une décision rendue dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle, ou en contestation d’une décision prise dans l’exercice d’une fonction administrative, la Cour rend sa décision sans qu’il y ait lieu à déférence à l’égard des conclusions portant sur les questions de droit tranchées par la décision qui fait l’objet de l’appel ou sur toutes questions concernant la décision qui fait l’objet de la contestation. Cette compétence est exercée par les seuls juges de la Cour que désigne le juge en chef en raison de leur expérience, leur expertise, leur sensibilité et leur intérêt marqués dans la matière sur laquelle porte l’appel ou la contestation. À moins de disposition contraire et compte tenu des adaptations nécessaires, l’appel est régi par les articles 351 à 390 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) et le recours en contestation l’est par les règles du livre II de ce code. | 83.1. In cases where the law confers jurisdiction on the Court over an appeal of a decision made in the exercise of an adjudicative function, or over a contestation of a decision made in the exercise of an administrative function, the Court shall render its decision without being required to defer to the conclusions on issues of law ruled on by the decision under appeal or on any issues regarding the decision being contested. Such jurisdiction shall be exercised exclusively by the judges of the Court designated by the chief judge on the basis of their notable experience, expertise, sensitivity and interest regarding the matter that is the subject of the appeal or the contestation. Unless otherwise provided and with the necessary modifications, the appeal is governed by articles 351 to 390 of the Code of Civil Procedure (chapter C-25.01) and the proceeding to contest is governed by the rules of Book II of that Code. | |
- Discussion
- Comme déjà souligné, l’appelante s’appuie sur cet article 83.1 LTJ – et plus particulièrement sur son troisième alinéa – pour réclamer l’application des règles du livre II du Code de procédure civile à son recours en contestation. Selon elle, seuls certains articles de la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV C. prof. à laquelle renvoie le premier alinéa de l’article 43 LCI doivent trouver application. Il s’agit des articles 182.2 et 182.5 C. prof. qui concernent les formalités du dépôt de la contestation. Quant aux autres articles de cette sous-section qui pourraient s’avérer incompatibles avec les règles du livre II du Code de procédure civile, ils ne s’appliqueraient tout simplement pas.
- De l’avis de la Cour, c’est à bon droit que la juge de première instance a écarté ces prétentions, lesquelles doivent également être rejetées en appel.
- Il convient d’abord de signaler que les débats parlementaires sur lesquels s’appuie l’appelante ne portent que sur l’article 83.1 LTJ et ne s’attardent pas sur la notion de « disposition contraire » prévue au troisième alinéa de cet article, laquelle permettrait de faire échec à l’application des règles prévues pour l’appel et la contestation.
- Les débats parlementaires entourant l’adoption de l’article 43 LCI n’apportent pas davantage d’éclairage sur les motivations du législateur dans son choix de remplacer les mots « Tout appel d’une décision […] est interjeté devant la Cour du Québec/Any appeal from a decision […] is brought before the Court of Québec » par « Toute contestation d’une décision […] est déposée devant la Cour du Québec/Any contestation of a decision […] is filed with the Court of Québec ». Ils ne traitent pas non plus de la portée du renvoi à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV C. prof. Or, il convient de signaler que les dispositions de cette sous-section n’ont pas été modifiées en 2020 et qu’elles prévoient toujours un appel des décisions énumérées au premier alinéa de l’article 182.1 C. prof., alors qu’il s’agit de décisions prises dans l’exercice d’une fonction administrative qui portent sur des objets pratiquement identiques à ceux des décisions rendues par le Comité de l’OACIQ visées par l’article 43 LCI.
- La juge de première instance a tenté d’expliquer la modification apportée par le législateur à l’article 43 LCI par le fait que les décisions visées par l’article 43 LCI sont celles prises par le Comité en lien avec la délivrance, la révocation ou la suspension de permis (articles 37, 38 ou 38.1), soit des décisions semblables à celles visées par le régime d’appel prévu aux articles 182.1 à 182.9 C. prof. (qui composent la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV C. prof.). Par ailleurs, selon elle, en substituant la contestation à l’appel, autrefois prévu à l’article 43 LCI, le législateur a simplement voulu dicter une norme d’intervention qui écarte toute obligation de déférence envers la décision du Comité.
- À son avis, un tel choix n’a pas pour effet d’assujettir cette contestation aux règles du livre II du Code de procédure civile applicables en matière de procédure contentieuse et mentionnées au troisième alinéa de l’article 83.1 LTJ.
- La Cour partage cet avis. Il convient d’ajouter que le troisième alinéa de l’article 83.1 LTJ permet précisément de s’écarter de ces règles en prévoyant expressément la possibilité de déroger à l’application des règles du livre II du Code de procédure civile, par l’ajout de la formule : « À moins de disposition contraire et compte tenu des adaptations nécessaires ». Ainsi, puisque le législateur a pris le soin de préciser à l’article 43 LCI que la contestation doit être déposée « conformément à la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV du [C. prof.], tenant compte des adaptations nécessaires […] » et que certaines des dispositions comprises dans cette sous-section, dont l’article 182.4 et l’article 182.6, sont incompatibles avec les règles applicables du livre II du Code de procédure civile, il y a lieu de conclure qu’il s’agit là de dispositions contraires qui permettent de faire exception aux règles autrement prévues à l’article 83.1 LTJ en matière de contestation.
- À cet égard, la Cour estime qu’il est opportun de distinguer la jurisprudence invoquée par l’intervenant pour soutenir les prétentions de l’appelante, notamment l’affaire Institut de l’oeil des Laurentides[25]. En effet, cette affaire met en cause l’article 22.01 de la Loi sur l’assurance maladie, lequel ne comporte pas de renvoi analogue à celui du premier alinéa de l’article 43 LCI qui puisse constituer une « disposition contraire » aux règles autrement prévues à l’article 83.1 LTJ. De la même façon, les propos du juge Forlini dans l’affaire Dufault[26], que la juge de première instance a correctement qualifiés d’obiter, n’ont qu’une valeur relative dans la mesure où ils ne s’inscrivent pas dans une démarche visant à déterminer les règles applicables en matière de déroulement d’instance et d’administration de la preuve.
- Au surplus, l’interprétation mise de l’avant par l’appelante suppose que le législateur ait voulu accorder plus de droits aux courtiers immobiliers qu’aux professionnels qui souhaitent contester des décisions qui concernent leur droit de pratique. En effet, pour contester ces décisions énumérées à l’article 182.1 C. prof., figurant dans la sous-section intitulée « Appel au Tribunal des professions », à laquelle renvoie l’article 43 LCI, les professionnels doivent se soumettre aux règles énoncées dans cette sous-section : ils n’ont pas recours aux règles du livre II du Code de procédure civile mentionnées à l’article 83.1 LTJ et ne peuvent réclamer une audience de novo. Ainsi, la proposition de l’appelante se heurte au principe de cohérence reconnu par notre Cour dans l’arrêt Lebel c. Kanafani[27], principe qui doit prévaloir entre les recours réservés aux professionnels et ceux accordés aux membres d’associations reconnues comme quasi professionnelles telles que l’OACIQ.
- De l’avis de la Cour, la contestation de l’appelante aux termes de l’article 43 LCI est plutôt régie par la sous-section 1 de la section VIII du chapitre IV C. Prof. à laquelle cet article renvoie. Comme le conclut la juge de première instance, cette contestation « doit se faire à la lumière de la preuve administrée devant le Comité, sous réserve d’une autorisation d’introduire une preuve nouvelle dans les conditions prévues à l’article 169 du Code des professions »[28], conformément à la sous-section à laquelle renvoie l’article 43 LCI, comprenant le deuxième alinéa de l’article 182.1 C. prof. En effet, celui-ci prévoit que d’autres dispositions de ce même code s’appliquent à l’appel des décisions énumérées au premier alinéa, dont l’article 169, selon lequel « le tribunal peut aussi, en raison de circonstances exceptionnelles et lorsque les fins de la justice le requièrent, autoriser la présentation d’une preuve nouvelle indispensable, documentaire ou verbale ». C’est donc dire que l’appelante n’est pas privée de faire une preuve, mais devra pour ce faire demander une autorisation à la Cour du Québec aux conditions prévues par cet article.
- Ceci nous amène à traiter brièvement du second argument qui concerne le déni de justice que prétend avoir subi l’appelante. Les intimés soulignent à juste titre que l’avis transmis à l’appelante en prévision de l’audience du 10 novembre 2022 précisait les infractions qu’était appelé à examiner le Comité à l’audience afin de déterminer s’il y avait un lien entre ces infractions et l’exercice des opérations de courtage pouvant le mener à refuser de lui délivrer le permis ou à l’assortir de restrictions ou de conditions. L’avis lui donnait l’occasion de compléter son dossier, ce qu’elle semble d’ailleurs avoir fait en soumettant des observations écrites avant l’audience et en formulant des observations à l’audience elle-même à laquelle elle a choisi d’assister sans se faire représenter par avocat. Les arguments que soulève l’appelante en lien avec l’évaluation de sa situation contemporaine pourront être examinés par la Cour du Québec au fond à la lumière de la décision du Comité et des faits retenus par celle-ci. Ce second argument échoue donc à convaincre la Cour qu’une intervention s’impose.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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| GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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| LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A. |
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Me Yassir Madih |
MADIH & ASSOCIÉ AVOCAT |
Pour l’appelante |
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Me Stéphanie Bouchard |
CONTENTIEUX DE l’OACIQ |
Me Martin Côté, avocat-conseil |
Me Juliana Boutot, avocate-conseil |
ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO |
Pour les intimés |
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Me Damarys Abigail Pineda Machado |
DEVEAU DUFOUR MOTTET AVOCATS |
Pour l’intervenant |
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Date d’audience : | 15 mai 2024 |
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