Décision

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Gestion Jacques Poitras inc. c. Fonds d'assurance-responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec

2016 QCCS 6791

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

KAMOURASKA

 

N°:

 

250-17-001001-135

 

DATE :

2 décembre 2016

______________________________________________________________________

 

L’HONORABLE SUZANNE OUELLET, j.c.s.

______________________________________________________________________

GESTION JACQUES POITRAS INC., société par actions légalement constituée, ayant son siège social au 51, avenue de la Gare, St-Alexandre, province de Québec, G0L 2G0

 

Demanderesse

c.

 

FONDS D’ASSURANCE RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE DE LA CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, ayant son siège social au 1200, avenue Mc Gill College, bureau 1500, Montréal, province de Québec, H3B 4G7

-et-

 

RENÉ-MICHEL OUELLET, notaire exerçant sa profession au 646, rue Lafontaine, bureau 100, Rivière-du-Loup, province de Québec, G5R 3C8

 

Défendeurs conjoints et solidaires /

demandeurs sur mise en cause forcée et en garantie

 

c.

 

MUNICIPALITÉ DE SAINT-HONORÉ-DE-TÉMISCOUATA, corporation érigée en vertu de la Loi 18 Victoria, chapitre 100 intitulé « Acte des Municipalités et des Chemins du Bas-Canada », ayant son siège social au 99, rue Principale, Saint-Honoré, province de Québec, G0L 3K0

 

Défenderesse sur mise en cause forcée et en garantie


 

 

 

JUGEMENT

 

 

1.         Contexte

[1]          Gestion Jacques Poitras inc. (ci-après GJP) poursuit en responsabilité professionnelle le notaire René-Michel Ouellet et le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec. Le montant réclamé est de 325 000 $ avec intérêts au taux de 10% l’an.

[2]          Cette réclamation résulte d’un acte de prêt sous seing privé préparé par le notaire Ouellet et signé les 6 et 7 juin 2011 $[1]. Me René-Michel Ouellet et Me Pascal Ouellet signent comme témoins. La municipalité de Saint-Honoré-de-Témiscouata intervient à l’acte comme caution solidaire des obligations de Station Touristique Mont Citadelle à qui GJP prête le capital de 325 000 $ avec intérêts (10% l’an).

[3]          Le prêt n’a pu être remboursé à son échéance du 7 décembre 2011 et la station touristique a fait cession de ses biens le 3 décembre 2012[2].

[4]          La caution de la municipalité est sans valeur puisqu’elle n’a pas été approuvée au préalable par le ministère des Affaires municipales et de l’occupation du territoire.

[5]          GJP reproche au notaire René-Michel Ouellet le défaut de vérifier la validité du cautionnement fourni par la municipalité.

[6]          Le Fonds d’assurance responsabilité et Me Ouellet poursuivent la municipalité sur mise en cause forcée et en garantie. Sur la demande en mise en cause forcée, les défendeurs reprochent ce qui suit à la municipalité :

« [24] Contrairement aux résolutions PMC-2 et P-3, la résolution P-1 ne prévoit nullement la question de l’autorisation du MAMROT, malgré la connaissance de cette exigence par la municipalité et/ou ses préposés;

[25] En aucun temps la municipalité n’a soulevé la nécessité d’obtenir cette autorisation préalable dans le cas qui nous occupe, malgré leur connaissance de la Loi;

[26] Or, il appartenait à la municipalité d’adopter les mesures requises afin que ce représentant puisse signer un cautionnement valable. »[3]

[7]          Dans la demande en garantie, les mêmes reproches sont formulés à l’endroit de la municipalité et les défendeurs ajoutent :

« [31] Par son silence et/ou ses réticences et par le fait de lui remettre une résolution prétendument inappropriée, la municipalité a induit Me Ouellet en erreur et a commis une faute à son égard; »

2.         Analyse et décision

2.1       Les principes

[8]          Les principes suivants doivent guider le Tribunal dans l’analyse de la responsabilité professionnelle du notaire :

1.    « Le notaire exerce diverses fonctions dont celles d’officier public, de conseiller juridique et de mandataire »[4];

2.    Dans le cadre de sa mission d’officier public, le notaire a le devoir de conseiller toutes les parties à l’acte :

« 7. Le notaire doit agir comme conseiller désintéressé, franc et honnête de ses clients ou des parties. »[5]

(soulignements ajoutés)

3.    C’est « la nature et le contenu de son mandat exprès ou implicite qui trace les frontières de l’obligation de conseil »[6];

4.    Le notaire doit s’assurer des faits essentiels au soutien d’un acte et informer son client des formalités nécessaires à sa validité et à son efficacité[7];

5.    Le devoir de conseil qui incombe au notaire, officier public, consiste à « éclairer les parties, suivant leurs besoins respectifs et les circonstances particulières de chaque cas, sur la nature et les conséquences juridiques, parfois même économiques, de leurs actes et conventions ainsi que sur les formalités requises pour assurer à ceux-ci leur validité et leur efficacité »[8];

6.    Le notaire est généralement assujetti à une obligation de moyens et non de résultat, encore moins de garantie. Il a cependant le devoir de remplir cette obligation de moyens de manière prudente et diligente[9];

7.    Sa conduite doit être appréciée in abstracto;

8.    La responsabilité du notaire sera engagée s’il agit de manière incompatible avec la conduite d’un professionnel raisonnable[10];

9.    Le test applicable est celui du notaire avisé, de compétence ordinaire, raisonnablement prudent et diligent;

10. L’erreur n’emporte pas en soi la faute. Il appartient au demandeur de la prouver[11].

2.2       Le mandat du notaire Ouellet

[9]          Le président de la demanderesse, Jacques Poitras, est un homme d’affaires aguerri. Sa société finance notamment des entreprises en voie de redressement. Historiquement, les prêts accordés par GJP furent toujours assortis de garanties[12].

[10]       En mai 2011, monsieur Poitras est approché par Guy Bouchard, le directeur de la Station Touristique du Mont Citadelle.

[11]       Monsieur Poitras ne connaît pas Guy Bouchard. Ni lui ni sa société ne sont impliqués dans le projet de la station touristique.

[12]       Monsieur Bouchard lui explique que la station touristique a un urgent besoin de liquidités pour terminer certains travaux[13].

[13]       Suite aux discussions téléphoniques des 27 et 30 mai 2011[14], monsieur Poitras accepte de prêter 325 000 $ à la Station, à condition d’avoir une « très bonne garantie ». La confiance n’est pas au rendez-vous[15].

[14]       Monsieur Poitras impose des conditions strictes :

« R- […] j’ai dit : le prêt c’est trois cent vingt-cinq mille dollars (325 000 $), dix pour cent (10%) d’intérêt, c’est pas négociable, garanti par la municipalité. Ça c’est mes conditions. Puis les délais, bien entendu les délais de remboursement puis ainsi de suite, là… […] qui ont été fixés, là. […] Mais c’était des… comme des… c’était des conditions non négociables. […] Puis c’est toujours comme ça que je fais ça. »[16]

[15]       Monsieur Bouchard dit pouvoir convaincre la municipalité de St-Honoré-de-Témiscouata de cautionner le prêt[17].

[16]       Dès lors, monsieur Poitras appelle Me René-Michel Ouellet, son notaire depuis plusieurs années. Il lui donne verbalement le mandat suivant :

« […] - J’ai dit : René-Michel, j’ai dit, je veux que tu me fasses un dossier blindé là-dessus, parce que j’ai vraiment pas confiance plus qu’il le faut, mais si la municipalité de Saint-Honoré me cautionne, ça me sécurise. Ça fait que prépare les documents, mais je sais qu’ils sont pressés, mais… arrange-toi. Quand le document sera prêt, j’ai dit, moi, je débourserai l’argent en temps et lieu. » [18]

« […] Me Ouellet avait des ordres très clairs de ma part puis ça me prenait un dossier blindé. […] » [19]

[17]       Interrogé sur la nature de son mandat, Me Ouellet admet ce qui suit :

« Q. Alors, j’ai bien compris - parce que monsieur Poitras a déjà témoigné - il nous avait dit qu’il vous avait demandé de… qu’il voulait un contrat « blindé ».

R- Hum hum.

Q- C’est bien ça?

R- Absolument. 

[…]

R- […] Et ce qu’il m’avait dit là, ce qui avait été négocié, là, avec la municipalité c’était un cautionnement de la municipalité.

[…]

R- Pour venir garantir le prêt.

Q. Ah, c’était effectivement une condition essentielle du prêt?

R. Absolument. » [20]

[18]       Le 6 juin 2011, le notaire Ouellet transmet un courriel à monsieur Poitras avec le projet de contrat.

[19]       Ce courriel fait état notamment de l’hésitation de la municipalité à s’engager comme caution. Me Ouellet résume à monsieur Poitras la teneur de ses représentations à la municipalité :

« Je leur ai indiqué que s’ils ne signaient pas, il n’y aurait pas de prêt. Donc, ils ont finalement accepté de signer. Ils vont se rendre à notre bureau de Cabano ce matin avec les gens du Mont Citadelle. Il faudrait que Jacques vienne signer que demain, car je n’aurai l’original que demain matin, vu que la signature se fait à Cabano aujourd’hui. »[21]

[20]       Cet extrait démontre que Me Ouellet connaissait les paramètres de son mandat.

[21]       Il ressort de la preuve que le mandat confié au notaire était exprès, clair et précis.

2.3       La responsabilité du notaire Ouellet

[22]       L’article 9 du Code municipal du Québec[22] prévoit :

9. Toute municipalité peut se rendre caution d’une institution, d’une société ou d’une personne morale vouée à la poursuite de fins mentionnées au deuxième alinéa de l’article 8, au paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 91 ou au premier alinéa de l’article 93 de la Loi sur les compétences municipales (chapitre C-47.1).

Toutefois, une municipalité de moins de 50 000 habitants doit obtenir l’autorisation du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire pour se rendre caution d’une obligation de 50 000 $ et plus et une municipalité de 50 000 habitants et plus doit obtenir une telle autorisation si l’obligation qui fait l’objet de la caution est de 100 000 $ et plus.

Le ministre peut, dans les cas où son autorisation est requise, exiger que la résolution ou le règlement autorisant le cautionnement soit soumis à l’approbation des personnes habiles à voter sur les règlements d’emprunt, selon la procédure prévue pour l’approbation de ces règlements.

(soulignement ajouté)

[23]       La municipalité de Saint-Honoré-de-Témiscouata compte moins de 1 000 $ habitants.

[24]       La clause 9 de l’acte de prêt signé les 6 et 7 juin 2011 stipule ce qui suit :

« 9. Cautionnement

Aux présentes intervient Municipalité de Saint-Honoré-de-Témiscouata, corporation érigée en vertu de la Loi 18 Victoria, chapitre 100 intitulé « Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada », ayant son siège social au 99, rue Principale, Saint-Honoré (Québec), G0L 3K0, ici représentée par monsieur Marin Lebel, maire, et par Lucie April, directrice générale, en vertu d’une résolution de ladite municipalité adoptée à une séance tenue le trente et un mai deux mille onze (31 mai 2011);

Copie de ladite résolution demeure annexée aux présentes. 

Laquelle déclare avoir pris connaissance des présentes et se porter caution de toutes et chacune des obligations ci-dessus contractées par le débiteur, notamment du remboursement de la somme due et des intérêts sur icelle, s’engage à cet effet solidairement avec le débiteur, faisant du tout son affaire personnelle et renonçant, par conséquent, aux bénéfices de division et de discussion.

De plus, l’obligation de la caution sera indivisible au sens de l’article 1520 du Code civil du Québec. »[23]

[25]       Malgré ses 32 ans de pratique notariale[24] à l’époque des événements, il s’agissait d’un premier mandat dans le cadre duquel Me Ouellet préparait un acte de prêt cautionné par une municipalité : un corps public :

« Q- Est-ce que c’était la première fois que vous receviez un cautionnement, là, d’une municipalité…

R- Oui.

Q- … pour garantir un prêt, oui?

R- Oui.

Q- Ç’a jamais arrivé auparavant?

R- Non. Parce que je dirais, dans les cas où on intervient avec les municipalités, c’est souvent des cessions de rue, et caetera, mais qu’une municipalité cautionne… - Quand ils font des prêts, les municipalités, ça passe jamais devant nous autres, devant les notaires - Alors, c’est sûr que c’était la… je vous dirais que c’était la première. C’était la seule fois, là, à ma souvenance de mes trente-cinq (35) ans de pratique, là, que c’est arrivé, là. »[25]

[26]       Le notaire Ouellet admet qu’il ignorait la règle prescrite à l’article 9 du Code municipal. Il déclare ce qui suit :

« R- …plus que ça, là. Parce que, pour moi, ce qui était important c’était la caution entre la municipalité et la station touristique, pour garantir le prêt de mon client.

Q- Vous agissiez là-dedans, vous avez mentionné, comme mandataire de monsieur Poitras?

R- Oui.

Q- Et conseiller juridique?

R- Oui.

Q- On s’entend pour dire que ça faisait partie de votre devoir, de connaître les règles légales juridiques applicables à un tel prêt…

R- Hum hum.

Q- …pour que monsieur Poitras soit protégé adéquatement?

R- Oui, et pour moi il était protégé adéquatement par la garantie, donc par la caution et par une résolution du conseil municipal qui venait appuyer ça. Pour moi, là, les règles étaient accomplies puis, dans mon esprit, c’est la recherche de l’objectif de monsieur Poitras, qu’il soit « blindé, » pour prendre les termes que maître Moreau me mentionnait tout à l’heure, était atteint.

Q- Sauf que depuis, vous avez eu l’occasion de vérifier qu’il existait une règle juridique, selon un article…

R- Absolument!

Q- …du Code municipal à l’effet…

R- Oui, je peux vous dire qu’on a changé nos…

Q- …que le cautionnement nécessitait…

R- On a changé nos règles à l’interne.

Q- Mais vous êtes d’accord avec ça, il existait une de ces règles que, malheureusement pour vous, à l’époque, vous ignoriez?

R- Absolument! Je suis conscient que oui, il y a une règle, là, du… qui est énoncée dans les documents, là, au niveau du Code municipal.

Q- Et normalement, vous auriez dû mettre monsieur Poitras à l’abri de la situation en vous assurant que le ministère avait approuvé le cautionnement?

R- Bien pour… - là c’est sûr que ce que vous me mentionnez c’est hypothétique - dans mon esprit à ce moment-là, si je me mets en juin deux mille onze (2011), pour moi c’était… c’était complet puis que la… J’étais allé chercher les exigences minimales qu’on avait besoin pour que le prêt puisse se faire.

Q- Sauf que c’était une erreur sur le plan juridique - de bonne foi, comprenez-moi bien - mais c’était une erreur?

R- Mais c’est ça, je pourrais… Je vous dirai pas que j’ai fait une erreur à ce moment-là, ça s’avère que, après, peut-être que oui, mais…

Q- Vous pensiez pas que c’était une erreur?

R- Dans mon esprit, non. Dans mon esprit non, parce qu’on avait fait ce qu’il fall… […] »[26]

[27]       Pour le notaire Ouellet, ce qu’il « fallait faire » se limitait à obtenir une résolution confirmant l’acceptation du cautionnement par la municipalité. Au cours de la discussion du 2 juin 2011 avec la directrice générale, il ne fut question que de l’exigence du cautionnement.

[28]       À cette époque, la municipalité est dans l’attente de l’autorisation du MAMOT pour un prêt de 1 000 000 $[27].

[29]       Préalablement à la signature de l’acte, le notaire Ouellet a reçu, par courriel, la résolution du 31 mai 2011 de la municipalité :

« […] Résolution numéro

11-05118 Caution prêt temporaire

Considérant la caution pour le prêt de 1 000 000 $ au bénéfice de Parc Aventure Mont Citadelle (résolution numéro 11-05118);

Considérant que cette caution ne sera effective que d’ici quelques semaines, puisqu’elle requiert l’approbation du ministère des Affaires municipales et de l’occupation du territoire;

Considérant que monsieur Jacques Poitras accepte de faire un prêt temporaire (bridge) au profit de Parc Aventure Mont Citadelle pour le montant de 325 000 $;

Considérant que monsieur Jacques Poitras demande une caution temporaire, soit jusqu’au remboursement de son prêt de 325 000 $ par le prêt de 1 000 000 $;

Considérant que ces deux prêts et cautions ne sont pas additifs mais que le prêt de 325 000 $ sera éliminé lorsque le prêt de 1 000 000 $ sera débloqué;

Sur la proposition de Reno Malenfant, appuyé par Carole Desbiens, il est résolu unanimement que la municipalité de Saint-Honoré-de-Témiscouata cautionne le prêt de 325 000 $ que monsieur Jacques Poitras fera au profit de Parc Aventure Mont Citadelle, lequel sera remboursé lorsque le prêt de 1 000 000 $ déjà cautionné sera déboursé. (sous réserve de l’approbation du procès-verbal)

Adopté à Saint-Honoré-de-Témiscouata, le 31e jour du mois de mai 2011. »[28].

[30]       Le notaire Ouellet déclare ce qui suit relativement au deuxième alinéa de la résolution du 31 mai 2016 :

« Q- Puis le deuxième (2e) alinéa, n’a pas non plus suscité chez vous de méfiance :« et considérant que cette caution ne sera effective… - attendez un peu…- bon!

Q- ne sera effective que d’ici quelques semaines puisqu’elle requiert l’approbation du ministère. »

Donc, la caution requiert l’approbation du ministère. Ça, ç’a pas soulevé…

R- Ben…

Q- …chez vous de doute, ou d’interrogation?

R- Ben, la seule interrogation que je voyais, que entre la… que pour la munici… pour que le un million (1 M$) soit déboursé - puis ça monsieur Bouchard me l’avait dit qu’il y avait un délai d’environ trois (3) mois avant qu’ils obtiennent les fonds du ministère - et que en attendant, c’est ça, c’est que la munici… oui, j’ai bien vu que la municipalité, oui, avait comme un lien avec le ministère puis fallait attendre.

Q- Mais qu’elle avait besoin de l’approbation pour que la caution soit effective…

R- Pour le prêt de …

Q- C’est ça que je lis, là?

R- Oui, je comprends que c’était écrit, mais je veux dire… - moi, non, ç’a pas… pour moi, dans le cadre de mon dossier ça a pas fait de signal d’alarme, là… »[29]

[31]       Pourtant, il ressort clairement de la résolution accompagnant l’acte du 7 juin 2011, qu’une autorisation ministérielle est requise. Le notaire Ouellet aurait dû conseiller à toutes les parties d’attendre cette autorisation.

[32]       Il est un professionnel du droit ayant plus de 30 ans d’expérience au moment des événements.

[33]       Le Code municipal est une loi générale dont l’existence est connue de la plupart des juristes.

[34]       De plus, la nature du mandat confié par GJP commandait une attention et des précautions accrues (« contrat blindé »). Le texte de la résolution du 31 mai 2011 était suffisamment clair pour qu’un questionnement surgisse et qu’une investigation plus complète soit effectuée par le notaire.

[35]       Une prudence accrue s’imposait également en raison de la nature de l’acte.

[36]       La vérification s’imposait pour un juriste raisonnablement diligent qui prépare un acte dans lequel un corps public s’engage en vertu d’une résolution que l’on peut qualifier de conditionnelle à l’autorisation de l’autorité gouvernementale :

« Il doit […] s’assurer que les faits sur lesquels reposent certains actes sont véridiques et, en présence d’un doute, pousser plus loin ses vérifications. »[30]

[37]       De plus, le devoir de conseil du notaire « consiste à aviser complètement les parties de la nature des actes, authentiques ou sous seing privé, qu’il doit leur faire signer et des conséquences juridiques qui en découlent »[31].

[38]       Cela fait partie de l’obligation de moyens du notaire.

[39]       Le passage suivant de l’ouvrage de l’auteur Vincent Karim[32] prend tout son sens :

« La jurisprudence récente contient d’abondantes illustrations sur la portée du devoir de conseil et son corollaire, le devoir de renseignement. Pour l’exécuter convenablement, le notaire doit, comme l’avocat, dans certaines circonstances, procéder à des recherches pour vérifier l’état du droit applicable et éviter de se fier à des informations superficielles. »

[40]       Le notaire devait savoir que les corporations publiques sont régies par des règles particulières souvent impératives :

« [9.34] Les personnes qui veulent faire affaires avec une municipalité doivent être très prudentes car celle-ci ne peut se lier que par résolution ou par règlement et à la condition que toutes les formalités requises soient respectées rigoureusement. »[33]

[41]       Cet énoncé s’applique, à plus forte raison, à la personne qui agit comme professionnel.

[42]       Le professeur Paul-Yvan Marquis écrit d’ailleurs ce qui suit relativement aux personnes morales de droit public :

« […] Nos conclusions antérieures relatives aux corporations privées, et concernant le fond du document, sa forme, et l’exécution des formalités requises, doivent être plus sévères ici, le notaire n’étant pas justifié d’ignorer les lois qui régissent les corporations publiques telles les corporations municipales et scolaires : […]

C’est pourquoi, le notaire pourrait difficilement éviter le blâme, s’il consentait à instrumenter en vertu d’un document qui lui révèlerait ou lui laisserait soupçonner le non-accomplissement des formalités requises. » [34]

[43]       Dans l’édition plus récente de son ouvrage, le professeur Marquis reprend l’énoncé en des termes différents mais de même portée :

« 524. […] Par conséquent, la personne qui contracte avec une telle personne morale est censée connaître la loi qui la régit, son document constitutif et ses règlements. Même s’il est possible de soutenir, d’une manière générale, ce principe à l’égard des tiers, il reste, toutefois, que le spécialiste du droit, le conseiller juridique, c’est le notaire. Aussi, tant à l’égard du contenu de ces lois et documents que des formalités imposées, le notaire aura à conseiller ses clients sur les vérifications opportunes à faire et, s’il y a lieu, à les effectuer lui-même. Il importe principalement que soient atteintes la validité et l’efficacité des actes. C’est un domaine du droit où il faut se conformer entièrement à la loi et aux règlements et où l’on ne saurait « […] plaider ignorance, renonciation ou ratification, etc. […] » [35]

[44]       Rappelons aussi que l’acte de prêt est reçu partiellement à Cabano le 6 juin 2011 par Me Pascal Ouellet, notaire. Il n’a alors que quelques années de pratique notariale[36].

[45]       Comme notaire délégué, il reçoit les représentants de la station touristique, le maire et la directrice générale pour la signature de l’acte. La séance est relativement brève. Elle consiste en la remise de la résolution, des explications sur le contrat et de la signature.

[46]       Contre-interrogé à l’instruction, Me Pascal Ouellet déclare ce qui suit :

« Q- La résolution qui accompagne la pièce P-1 là, la résolution du 31 mai 2011…

R- Oui.

Q- …de la municipalité. Je comprends que vous nous dites : j’ai vérifié est-ce qu’elle était signée, maintenant l’avez-vous lue?

R- Ben comme j’expliquais dans le fond… hum… au début des résolutions, ben par habitude là, on les lit grosso modo là qu’est-ce qui est le point important à ce moment-là c’est toujours les derniers paragraphes à ce moment-là, à savoir si les représentants sont autorisés à signer. Donc c’est notre rôle à ce moment-là à savoir si la capacité des parties était là.

Q- Ok. Maintenant, je comprends que…

R- Parce que ça arrive souvent que les résolutions… présentement on travaille avec… notre bureau travaille souvent avec la ville de Trois-Rivières… parle de résolutions de 4-5 pages…

Q- Oui. Maintenant, hormis de vérifier si les personnes étaient autorisées à la signer cette résolution-là…

R- Oui.

Q- …est-ce que vous avez lu les paragraphes, là, les énoncés.

R- À voix haute? Non.

Q- Non, à voix haute ou pas.

R- Ben comme je vous l’ai dit, à ce moment-là… heu… le point important c’était le dernier paragraphe à ce moment-là. Est-ce que j’ai lu les quatre premiers paragraphes ou les cinq premiers paragraphes…

Q- Oui.

R- …je dirais en diagonale.

Q- En diagonale. Ok. »[37]

[47]       Dans sa défense en garantie, la municipalité allègue ce qui suit :

« 44. Ils ont d’ailleurs informé le notaire Pascal Ouellet que la Municipalité attendait l’autorisation du ministre à l’égard du cautionnement d’un million de dollars; le notaire n’a alors passé aucune remarque particulière; »

[48]       En effet, le maire Lebel signale ce qui suit à la fin de cette séance de signature :

« R- La résolution on a dit… - parce que moi je me rappelle l’avoir dit - « une résolution, c’est conditionnel… » - ben moi, je dis tout le temps « conditionnel », parce que moi dans mon terme, « approuvé » ou « conditionnel » c’était la même affaire…

Q- O.k.

R- Que le MAMROT accepte. T’sais, je me rappelle l’avoir dit au notaire.

Q- Ça vous avez dit ça à Pascal Ouellet?

R- Oui, oui.

Q- Puis qu’est-ce qu’il vous a répondu à ce moment-là?

R- D’après moi, rien.

Q- Il a rien dit?

R- Non.

Q- Est-ce que c’est les seuls mots que vous avez dits : « c’est conditionnel à l’approbation du MAMROT » ou …

R- Oui. »[38]

[49]       Me Pascal Ouellet dit ne pas se souvenir de cette mise en garde du maire. Il déclare ce qui suit :

« Q- Par rapport à cet allégué là qui vous concerne, qu’est-ce que vous avez à dire?

R- J’ai aucun souvenir de cet allégué-là… je peux vous dire par contre que… à mon souvenir, personne ne m’a fait mention que le cautionnement n’était pas encore valide parce qu’on n’avait pas encore reçu l’autorisation du Ministère. Autrement, j’aurais certainement appelé le notaire Ouellet pour avoir d’autres… pour avoir… d’autres renseignements à ce moment-là sur le sujet pis pour qu’il me donne d’autres instructions à ce moment-là. » [39]

[50]       Le Tribunal retient la version du maire qui est affirmatif. De toute façon, une lecture attentive de la résolution du 31 mai 2011 permettait de déceler une problématique amenant un notaire prudent à éclairer toutes les parties sur les conséquences juridiques de l’acte et sur les formalités requises pour assurer à celui-ci sa validité et son efficacité[40].

[51]       Monsieur Poitras a mandaté Me René-Michel Ouellet, un professionnel du droit, officier public, pour se protéger et ainsi s’assurer d’un contrat « blindé ». Celui-ci a failli à son mandat.

[52]       La responsabilité professionnelle du notaire René-Michel Ouellet est engagée.

2.4       Les dommages

[53]       Le défendeur Ouellet devra payer le montant de 325 000 $ en capital prêté par GJP.

[54]       Le contrat de prêt garanti par un cautionnement frappé de nullité absolue par la faute du notaire prévoit un intérêt de 10% l’an.

[55]       Le notaire Ouellet est-il tenu de payer cet intérêt conventionnel sur le capital de 325 000 $?

[56]       Me Ouellet et son assureur ne sont pas poursuivis comme débiteurs contractuels du prêt. Le recours est fondé sur la responsabilité professionnelle du notaire dans l’exécution du mandat exprès confié par GJP.

[57]       La faute du notaire réside dans le fait d’avoir « donné le feu vert » au déboursé de 325 000 $ sans que l’autorisation du ministère n’ait été préalablement obtenue. Cette autorisation n’est jamais venue et le notaire ne pouvait l’obtenir à la place de la municipalité.

[58]       Or, pour déterminer le lien de causalité, c’est-à-dire le lien direct entre le préjudice et la faute du notaire, il faut « envisager la situation abstraction faite de l’erreur, comme si l’erreur n’avait pas eu lieu »[41].

[59]       La nullité absolue du cautionnement équivaut à l’absence de cautionnement de la municipalité.

[60]       La preuve révèle que M. Poitras n’aurait jamais consenti le prêt sans la garantie donnée par la municipalité :

«  […] C’est que je lui ai dit : r’garde, si t’as pas de garantie, oublie-moi.[…] »[42]

« […] Ça fait que c’est de là que j’ai dit, r’garde, là, j’ai dit : r’garde, je va le faire, je va le faire pour le Mont-Citadelle puis pour la région, là, mais j’ai dit, il va falloir que je sois blindé. Il va falloir que tu me donnes une très bonne garantie, sinon, moi, je ne prête pas sur c’te dossier-là, j’ai… J’ai pas confiance. »[43]

[61]       Dans ce contexte, si le notaire « avait respecté son obligation de conseil, la demanderesse n’aurait pas prêté et il faut en conclure que cette dernière n’aurait pas bénéficié » [44] d’un intérêt de 10% l’an.

[62]       Pour paraphraser la Cour suprême dans l’arrêt Parrot c. Thomson[45], le gain relatif à l’intérêt conventionnel que la demanderesse « pouvait espérer réaliser » n’est pas un « dommage résultant directement de l’erreur » du notaire[46].

[63]       C’est donc l’intérêt légal, accordé automatiquement[47], qui est applicable à la réclamation de 325 000 $, et ce, à compter de l’assignation, soit le 21 janvier 2013[48].

2.5       La demande sur mise en cause forcée

[64]       La mise en cause forcée implique l’ajout de la municipalité au litige comme codéfenderesse. Il s’agit de l’adjonction d’un nouveau défendeur[49] autorisée par l’Honorable Catherine La Rosa, j.c.s. dans un jugement du 10 décembre 2013.

[65]       Les défendeurs demandent que la municipalité soit condamnée à payer directement à la demanderesse les dommages réclamés.

[66]       La demande sur mise en cause forcée est fondée sur les allégations suivantes :

« 27. En l’espèce :

a)    Ou bien la Municipalité a demandé et obtenu l’approbation du MAMROT, ce qui ne semble toutefois pas le cas, auquel cas elle est responsable contractuellement en tant que caution envers la demanderesse;

b)    Ou bien la Municipalité n’a pas demandé l’approbation du MAMROT, auquel cas elle doit être tenue responsable extra-contractuellement de sa faute ou celle de ses préposés qui étaient parfaitement au courant des exigences de la Loi en semblable matière;

c)    Ou bien la Municipalité a demandé l’autorisation préalable du MAMROT, mais ne l’a pas obtenue, auquel cas elle doit être tenue responsable d’avoir cautionné illégalement, de mauvaise foi, de façon négligente, sous de fausses représentations et/ou vu son silence et réticence, le tout ayant conduit la demanderesse à débourser le prêt P-1; » (soulignements ajoutés)

[67]       En l’espèce, la municipalité n’a pas demandé l’autorisation au MAMOT pour le cautionnement du prêt de 325 000 $. Même si elle spécifie qu’il n’est pas additif au prêt de 1 000 000 $, celui-ci n’est pas plus autorisé par le MAMOT.

[68]       La municipalité n’est aucunement liée contractuellement au notaire Ouellet.

[69]       Clairement, sur la demande en mise en cause forcée, la responsabilité recherchée de la municipalité est extracontractuelle.

[70]       Se pose alors la question de la prescription.

 

[71]       L’article 1112.1 du Code municipal prévoit :

1112.1 Nulle action en dommages-intérêts n’est intentée contre la municipalité à moins qu’un avis préalable de 15 jours n’ait été donné, par écrit, de telle action au secrétaire-trésorier de la municipalité, et à moins qu’elle n’ait été intentée dans un délai de six mois après la date à laquelle la cause d’action a pris naissance. Cet avis peut être notifié par poste recommandée, et il doit indiquer les noms et résidence du réclamant, ainsi que la nature du préjudice pour lequel des dommages-intérêts sont réclamés, et il doit être donné dans les 60 jours de la cause d’action.

[72]       Tel que l’écrit la juge La Rosa, j.c.s. dans le jugement du 10 décembre 2013 :

« [33] Il est important de rappeler que le recours en intervention forcée ne peut pas faire revivre un recours prescrit et que la solidarité imparfaite, s’il en est une, entre les défendeurs et la municipalité ne peut avoir interrompu la prescription au sens de l’article 2900 C.c.Q., puisque l’obligation in solidum produit les effets principaux de la solidarité, mais non pas ses effets secondaires. »[50]

[73]       À ce sujet, l’auteure Chantal Massé écrit :

« À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’opinion qu’une municipalité qui n’est pas poursuivie en responsabilité civile pour une faute de nature extracontractuelle à l’intérieur des délais de prescription prévus à la Loi sur les cités et villes ou au Code municipal est libérée de toutes les obligations qui pourraient découler de sa faute.

Une fois ce droit éteint, il ne peut plus être question pour la municipalité d’être débitrice d’une obligation solidaire ou in solidum avec un ou des codébiteurs qui seraient poursuivis après l’expiration du délai de prescription de six mois. »[51]

[74]       Sur la notion de solidarité imparfaite, les auteurs Vézina et Langevin écrivent ce qui suit :

« Cette forme de solidarité, d’abord appelée « solidarité imparfaite » puis « obligation in solidum », offre la particularité de produire l’effet principal de la solidarité qui découle d’une unité d’objets et d’une pluralité de liens (d’obligations de chaque débiteur pour le tout) mais non ses effets secondaires liés à l’idée de représentation mutuelle (mise en demeure, interruption et suspension de prescription). »[52] (soulignement ajouté)

[75]       La demanderesse GJP sait depuis au moins le 29 février 2012 que le cautionnement donné par la municipalité est juridiquement invalide[53].

[76]       Une poursuite de GJP contre la municipalité intentée postérieurement au 29 août 2012 aurait donc été prescrite.

[77]       La demande pour mise en cause forcée est introduite le 12 avril 2013 et l’avis préalable obligatoire n’a pas été donné par la demanderesse.

[78]       À la lumière des principes applicables, l’adjonction de la municipalité comme codéfenderesse est tardive et la demande des défendeurs pour mise en cause forcée est prescrite.

2.6       La demande en garantie

[79]       Le recours en garantie des défendeurs contre la municipalité fut introduit le 27 janvier 2014 après la demande sur mise en cause forcée et le jugement l’autorisant. Ils demandent que la municipalité les indemnise de toute condamnation sur l’instance principale.

[80]       Les défendeurs reprochent à la municipalité ce qui suit :

« 29. En aucun temps la Municipalité n’a soulevé la nécessité d’obtenir cette autorisation au préalable dans le cas qui nous occupe, malgré leur connaissance de la Loi;

30. Or, il appartenait à la Municipalité d’adopter les mesures requises afin que ce représentant puisse signer un cautionnement valable;

31. Par son silence et/ou ses réticences et par le fait de lui remettre une résolution prétendument inappropriée, la Municipalité a induit Me Ouellet en erreur et a commis une faute à son égard;

32. La faute de la Municipalité à l’égard de Me Ouellet est la cause directe des dommages auxquels le F.A.R.P.C.N.Q. et Me Ouellet pourraient faire face sur l’instance principale; »

[81]       Le recours en garantie est également de nature extracontractuelle. Il n’est cependant pas prescrit puisque la prescription d’un recours récursoire ne commence à courir que du jour du jugement sur l’instance principale[54]. « Ainsi, le point de départ de l’action principale (action ordinaire) est différent de celui d’une action en garantie (action récursoire) et ils ne peuvent pas être intervertis; »[55].

[82]       Ils reprochent à la municipalité ce qui suit :

« 28. Contrairement aux résolutions PMC-2 et P-3, la résolution P-1 ne prévoit nullement la question de l’autorisation du MAMROT, malgré la connaissance de cette exigence par la Municipalité et/ou ses préposés;

29. En aucun temps la Municipalité n’a soulevé la nécessité d’obtenir cette autorisation au préalable dans le cas qui nous occupe, malgré leur connaissance de la Loi;

30. Or, il appartenait à la Municipalité d’adopter les mesures requises afin que ce représentant puisse signer un cautionnement valable;

31. Par son silence et/ou ses réticences et par le fait de lui remettre une résolution prétendument inappropriée, la Municipalité a induit Me Ouellet en erreur et a commis une faute à son égard; »[56]

[83]       Le passage suivant de la résolution du 31 mai 2011[57] fait échec aux allégations des paragraphes 28 et 29 de la requête en garantie :

« Considérant que cette caution [du prêt de 1 000 000 $ dont fait partie le montant de 325 000 $] ne sera effective que d’ici quelques semaines, puisqu’elle requiert l’approbation du ministère des Affaires municipales et de l’occupation du territoire; »

[84]       La municipalité fait expressément référence à l’exigence d’une autorisation préalable du MAMOT.

[85]       De plus, le maire a soulevé ce point au notaire délégué.

[86]       Par ailleurs, la pratique notariale au Québec n’oblige pas les parties au contrat à renseigner le professionnel qui le reçoit sur les règles juridiques applicables. GJP, pas plus que la municipalité n’ont à faire les frais de l’inexpérience des notaires en de tels contrats et de leur ignorance des règles juridiques applicables.

[87]       C’est au notaire d’informer les parties des formalités nécessaires à la validité et à l’efficacité de l’acte qu’il reçoit[58]. C’est à lui que revient l’obligation de conseiller toutes les parties[59].

[88]       Les parties au contrat sont justifiées de s’en remettre à lui. C’est là l’essence de la relation de confiance entre ces dernières et le professionnel du droit qui prépare un acte.

[89]       À ce titre, les déclarations de la directrice générale lors de son interrogatoire hors cour sont révélatrices :

« Q- O.K. Mais… okay. Mais vous, là, votre compréhension c’est trois cent vingt-cinq mille (325 000 $), là, je peux pas signer de cautionnement si j’ai pas l’approbation du MAMROT?

R- Non, parce que… ben, là on se demandait… T’sais, nous autres, nous autres on s’attendait peut-être… ou je le sais pas comment est-ce qu’on a pu voir ça, mais là y’ont dit : « Le document est prêt, allez le signer. » Mais là, on n’a pas eu l’approbation du MAM, c’est un notaire qui prépare le document, puis là il était prêt à signer. Puis là nous autres on a dit, ben là, ils vont attendre peut-être. On le savait pas nous autres là. En tout cas, on s’est posé beaucoup la question, mais c’était un notaire qui faisait le document.

Q- O.K.

R- Ça fait qu’on a dit, ils doivent savoir ce qu’ils font.

[…]

R- Ah oui oui, puis c’est ça. Ça fait que là on s’est dit, bien c’est un notaire qui prépare le document puis il était… On va aller le signer, coudon! On a une résolution qui nous autorise à le signer, puis c’est bien indiqué dessus, il le sait que ça peut être approuvé par le MAM, mais il le fait pareil, voyons donc, c’est un notaire qui l’a préparé. Ça fait qu’on va le signer quand même, là.

[…]

Q- Mais vous, une semaine après, quand vous allez le signer le cautionnement - puis on va revenir plus en détail sur toutes les discussions ou quoi que ce soit que vous avez pu avoir - mais pour vous, ce cautionnement-là, quand vous le signez, il est sans valeur?

R- Oui, il est sans valeur puis je me demande pourquoi un peu on le fait. Mais là, moi, je suis qui pour remettre ça en question puis… On le sait, mais on se dit, bien… C’est sûr que moi je l’aurais pas préparé, mais on a dit - c’est un notaire qui le fait, il doit savoir ce qu’il fait - puis monsieur Poitras, il est pas né de la dernière pluie, il signe; d’habitude c’est un homme d’affaires averti. Puis il accepte de le signer en sachant tout ce qu’on avait marqué dans la résolution. Ça fait que là, on trouvait ça un p’tit peu spécial, mais là on a signé quand même. J’avoue qu’on a été naïfs parce que c’est sûr que si ça serait à recommencer on… »[60]

[90]       Pour sa part, le maire Lebel déclare ce qui suit :

« R- […] On attendait la réponse du MAM, mais, on comprenait pas pourquoi qu’une résolution comme ça allait être acceptée chez le notaire.

[…]

R- Ça avait aucune valeur. »[61]

[91]       Tous se sont fiés au notaire Ouellet (et au notaire délégué par lui). Me René-Michel Ouellet ne peut maintenant jeter le blâme sur la municipalité, partie à l’acte, dont les représentants ne sont pas juristes.

[92]       Dans sa défense en garantie remodifiée, la municipalité allègue :

« 48. […]

- Quant aux faits, les représentants de Saint-Honoré n’ont jamais affirmé à Ouellet ou à son associé, Me Pascal Ouellet (notaire instrumentant), que le cautionnement qu’ils signaient avait préalablement été autorisé par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. 

- L’eurent-ils affirmé que le demandeur en garantie Ouellet aurait dû, de toute façon, en exiger la preuve; »

[93]       La municipalité a raison.

[94]       Enfin, les défendeurs ne peuvent réclamer à la municipalité les dommages qu’ils sont condamnés à payer sur la demande principale.

[95]       Les articles 1417 et 1418 C.c.Q. prévoient :

1417. La nullité d’un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu’elle sanctionne s’impose pour la protection de l’intérêt général.

1418. La nullité absolue d’un contrat peut être invoquée par toute personne qui y a un intérêt né et actuel; le tribunal la soulève d’office.

Le contrat frappé de nullité absolue n’est pas susceptible de confirmation.

[96]       La notion d’intérêt général « vise à la fois le respect du bien public et ce qui est à l’avantage de tous »[62].

[97]       La règle prévue à l’article 9 du Code municipal en est une de droit public. Elle relève de l’ordre public économique de direction qui assure ainsi la protection de l’intérêt général[63]. La violation de cette règle entraîne la nullité absolue du cautionnement[64].

[98]       Les auteurs Hétu et Duplessis spécifient « qu’une autorisation est un moyen de contrôle à priori et qui apparaît comme une condition intrinsèque de la validité de l’acte posé par l’autorité municipale. Sans l’autorisation préalable, l’acte ne peut être adopté. […] Le défaut d’autorisation emporte donc une nullité absolue. […]  »[65].

[99]       Ce faisant, la nullité absolue d’un acte juridique conclu avec une corporation publique en contravention d’une règle d’ordre public ne peut entraîner une condamnation à des dommages-intérêts. La Cour d’appel s’exprimait ainsi dans l’arrêt Repentigny (Ville de) c. Les Habitations de la Rive-Nord inc. :

« [32] Le contrat entre les parties sera résolu non pas parce que la ville a manqué à ses obligations contractuelles, mais plutôt à cause du caractère illicite de l’objet du contrat. La nuance est importante. Les intimées se sont vu accorder des dommages contractuels après que le premier juge eût conclu à la faute de la ville. La nullité du contrat conclu avec une corporation publique en contravention d’une règle d’ordre public ne peut entraîner une condamnation à des dommages-intérêts. Les intimées sont des promoteurs immobiliers professionnels. Elles ne sont pas sans savoir que les corporations publiques sont régies par des règles particulières souvent impératives. Le manquement à ces règles entraîne la nullité de la convention sans que le cocontractant ne puisse réclamer des dommages. […] » [66] (soulignements ajoutés)

[100]    Si les parties ne peuvent réclamer des dommages sur la base d’un acte frappé de nullité absolue[67], il en est de même pour les tiers qui poursuivent extracontractuellement :

« [37] En droit civil, en l’espèce, il n’y a pas de faute contractuelle. Je ne saurais pas non plus conclure à l’existence d’une faute extracontractuelle. Le respect des règles intéressant l’ordre public instaurées pour la protection de l’intérêt général incombe à toutes les parties contractantes. Les parties ne peuvent pas les ignorer et encore moins réclamer des dommages à la suite de leur violation. »

[101]    Certes, le notaire Ouellet n’est pas, en l’espèce, partie au contrat de prêt garanti par un cautionnement frappé de nullité absolue. Mais il est le professionnel du droit qui l’a instrumenté. Agissant à ce titre, « le respect des règles intéressant l’ordre public instaurées pour la protection de l’intérêt général »[68] lui incombe également et il ne peut, pas plus que les parties à l’acte, réclamer les dommages qui découlent du manquement aux règles qui entraîne la nullité absolue de cet acte juridique.

[102]    La demande en garantie des défendeurs est rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[103]    ACCUEILLE partiellement la demande introductive d’instance remodifiée;

[104]    CONSTATE la nullité du cautionnement contenu à l’acte P-1;

[105]    CONDAMNE les défendeurs à payer à la demanderesse la somme de 325 000 $ en capital, avec intérêts au taux légal depuis le 21 janvier 2013;

[106]    Avec frais de justice;

[107]    REJETTE la demande sur mise en cause forcée;

[108]    REJETTE la demande en garantie;

[109]    Avec frais de justice;

 

 

 

__________________________________

SUZANNE OUELLET, j.c.s.

 

Me Gilles Moreau

Moreau et associés

Procureurs de la demanderesse

 

Me Claude Desmeules

Siskinds, Desmeules avocats

Procureurs des défendeurs et

demandeurs sur mise en cause forcée et en garantie

 

Me Pierre Laurin

Tremblay Bois Mignault Lemay

Procureurs de la défenderesse sur mise en

cause forcée et en garantie

 

Date de l’instruction :

 

8 septembre 2016 / délibéré le 21 septembre 2016

 

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Rapport préliminaire du syndic du 19 décembre 2012, pièce P-2.

[3]     Demande sur mise en cause forcée; demande en garantie, par. 28, 29, 30.

[4]     Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 400.

[5]     Code de déontologie des notaires, RLRQ, c. N-3, r. 2, art. 7; Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec c. Couture, 2012 QCCA 49.

[6]     Vincent KARIM, Les obligations, vol. I, Montréal, Wilson et Lafleur, 2015, p. 157.

[7]     Code de déontologie des notaires, précité, note 5, art. 17.

[8]     Roberge c. Bolduc, précité, note 4, 400; Paul-Yvan MARQUIS, La responsabilité civile du notaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 122.

[9]     P.-Y. MARQUIS, précité, note 8, p. 120; Roberge c. Bolduc, précité, note 4, 438.

[10]    Roberge c. Bolduc, précité, note 4, 395.

[11]    Roberge c. Bolduc, précité, note 4, 427.

[12]    Interrogatoire avant défense de Jacques Poitras par Me Perrault du 22 mai 2014, p. 13.

[13]    Id., p. 18.

[14]    Id., p. 21.

[15]    Id., p. 19.

[16]    Id., p. 25.

[17]    Id., p. 19.

[18]    Interrogatoire avant défense de Jacques Poitras par Me Perrault du 22 mai 2014, p. 22-23.

[19]    Interrogatoire avant défense de Jacques Poitras par Me Laurin du 22 mai 2014, p. 5.

[20]    Interrogatoire après défense du 9 octobre 2014 de Me René-Michel Ouellet dans le cadre de l’action en garantie par Me Moreau, p. 4, 5, 6.

[21]    Courriel du 6 juin 2011, pièce D-1.

[22]    RLRQ, c-27.1.

[23]    Acte de prêt, pièce P-1.

[24]    Me Ouellet est admis au Tableau de l’Ordre de la Chambre des notaires depuis 1979.

[25]    Interrogatoire après défense du 9 octobre 2014 de Me René-Michel Ouellet dans le cadre de l’action en garantie par Me Moreau, p. 22.

[26]    Interrogatoire de Me René-Michel Ouellet du 9 octobre 2014 par Me Laurin, p. 24-26.

[27]    Résolutions de la municipalité du 12 mai 2011, pièce P-3.

[28]    Résolution jointe à l’acte de prêt, pièce P-1.

[29]    Interrogatoire de Me René-Michel Ouellet du 9 octobre 2014 par Me Laurin dans le cadre du recours en mise en cause forcée, p. 23, 24.

[30]    Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec, service des sinistres c. Couture, 2012 QCCA 70, par. 49.

[31]    Id.

[32]    V. KARIM, précité, note 11, p. 157.

[33]    Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, Droit municipal, principes généraux et contentieux, vol. I, Brossard, Publications CCH, p. 8063 et p. 9056 (édition à feuilles mobiles à jour au 5 août 2016).

[34]    Paul-Yvan MARQUIS, La responsabilité du notaire officier public, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1977, p. 283.

[35]    P.-Y. MARQUIS, précité, note 7, p. 336.

[36]    Il est inscrit au Tableau de l’ordre depuis 2009.

[37]    Témoignage de Me Pascal Ouellet à l’instruction (contre-interrogé par Me Gilles Moreau).

[38]    Interrogatoire après défense du maire Marin Lebel du 2 avril 2015, interrogé par Me Caroline Perrault, procureure des défendeurs, p. 28, 29.

[39]    Interrogatoire de Me Pascal Ouellet à l’instruction (interrogé par Me Claude Desmeubles).

[40]    Roberge c. Bolduc, précité, note 4, p. 400; P.-Y. MARQUIS, précité, note 7, p. 122.

[41]    Parrot c. Thomson, [1984] 1 R.C.S. 57, 71.

[42]    Interrogatoire avant défense du 22 mai 2014 de Jacques Poitras par Me Perrault, p. 15.

[43]    Id., p. 18-19.

[44]    Serge Côté Family Trust c. Gilbert, 2016 QCCS 3163, par. 103.

[45]    Parrot c. Thomson, précité, note 44, 72.

[46]    Id., 72.

[47]    9148-8064 Québec inc. c. Mecka Nutraceutical inc., 2011 QCCA 33, par. 15.

[48]    Article 1618 C.c.Q. La mise en demeure du 29 février 2012 ne contient aucune mention quant au montant réclamé. C’est pourquoi le tribunal considère la date de signification de la demande introductive d’instance comme point de départ du calcul de l’intérêt légal : Vincent KARIM, Les obligations, volume 2, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, p. 859-860.

[49]    Allard c. Mozart Ltée, [1981] C.A. 612, p. 5; Kingsway General Insurance Co. c. Duvernay Plomberie et Chauffage inc., 2009 QCCA 926, par. 29-32.

[50]    Voir également Lapierre c. City of Montreal, [1959] R.C.S. 434, 438.

[51]    Chantal MASSÉ, « La prescription en droit municipal : Existe-t-il une seconde chance? », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en droit municipal (2016), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 135.

[52]    Nathalie VÉZINA et Louise LANGEVIN, Obligations et contrats, Collection de droit 2015-2016, École du Barreau, vol. 5, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 21-22; voir au même effet Zittrer, Sibelin, Caron, Bélanger, Ernst and Young c. Lapointe Rosenstein, REJB 2000-18484 (C.A.).

[53]    Avis écrit du 29 février 2012 adressé au défendeur, pièce P-6.

[54]    Céline GERVAIS, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 120; voir également Paterson & Sons Ltd c. St. Lawrence Corp. Ltd, [1974] R.C.S. 31, 39-40.

[55]    Édith LAMBERT, La prescription (art. 2875 à 2933 C.c.Q.), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 571; voir également S.D.V. Logistiques (Canada) inc. c. SDV Logistique Internationale, 2006 QCCA 750, par. 43.

[56]    Requête introductive d’instance en garantie, par. 28-31.

[57]    Pièce P-1.

[58]    Id.

[59]    Code de déontologie des Notaires, précité, note 5, art. 7.

[60]    Interrogatoire après défense de madame Lucie April par Me Perrault le 2 avril 2015, p. 69-70, 72, 75, 76.

[61]    Interrogatoire après défense de monsieur Marin Lebel par Me Perrault le 2 avril 2015, p. 22.

[62]    V. KARIM, Les obligations, précité, note 11, 644, par. 1534.

[63]    Id., par. 1536; voir également par analogie, Montréal (Ville de) c. St-Pierre (Succession de), 2008 QCCA 2329. Cet arrêt porte sur l’autorisation requise en vertu de l’article 496 de la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale (L.Q. 2001, c. 25). L’article 496 se lit comme suit :

« 496. Toute municipalité ou toute communauté urbaine visée, selon le cas, par l’article 5 de l’une des annexes I à V de la Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais (2000, chapitre 56), ainsi que tout organisme de l’une de celles-ci, doit, pour aliéner un bien d’une valeur supérieure à 10 000 $, obtenir l’autorisation du ministre des Affaires municipales et de la Métropole.

 

Le ministre peut, avant de se prononcer sur la demande d’autorisation, requérir l’avis du comité de transition qui a été constitué sur le territoire comprenant celui de la municipalité, de la communauté urbaine ou de l’organisme. »

      Sur l’effet de l’absence d’autorisation ministérielle, le Juge Morissette, j.c.a., écrit ce qui suit au paragraphe 34 de l’arrêt :

« La règle posée par l’article 496 en est une de droit public et d’ordre public de direction, relatif à l’intérêt général. »

[64]    Montréal (Ville de) c. Saint-Pierre (Succession de), 2008 QCCA 2329, par. 34; Repentigny (Ville de) c. Les Habitations de la Rive Nord inc., [2001] CanLII 10048 (QCCA), par. 31.

[65]    J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, précité, note 31, p. 8063, par. 8.48.

[66]    Repentigny (Ville de) c. Les Habitations de la Rive Nord inc., [2001] CanLII 10048 (QCCA), par. 32.

[67]    Id., par. 37

[68]    Id.

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