Décision

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R. c. Moderie

2025 QCCQ 47

 

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

 :

500-01-246374-232

 

 

 

DATE :

22 janvier 2025

 

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE DUPRAS, J.C.Q.

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LE ROI

Poursuivant

 

et

 

SAMUEL MODERIE

Délinquant

 

 

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DÉCISION SUR DES PEINES

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CETTE DÉCISION EST L’OBJET D’UNE ORDONNANCE RENDUE EN VERTU DU PARAGRAPHE 486.4 (1) DU CODE CRIMINEL QUI INTERDIT DE PUBLIER OU DE DIFFUSER DE QUELQUE FAÇON TOUT RENSEIGNEMENT QUI PERMETTRAIT D’IDENTIFIER les victimes au dossier.

 

  1.                Dans le dossier en rubrique, le délinquant a plaidé coupable à 23 chefs d’accusation. Il a reconnu sa culpabilité à 9 chefs d’agression sexuelle (271 a) C.cr.) relativement à autant de victimes différentes, à 11 chefs de voyeurisme (162 (1) (5) a) C.cr.) au sujet des mêmes femmes en plus de deux autres, à deux chefs d’administration de soporifiques pour vaincre la résistance (246 b) C.cr.) et à un chef de possession de benzodiazépines (4 (1) (3) a) LRCDAS).
  2.                Les faits qui sous-tendent les déclarations de culpabilité seront exposés ci-dessous, précisons dès maintenant que les faits résumés sont tirés des énoncés soumis au moment des plaidoyers et du document P-1 intitulé « Description des vidéos et des photographies » préparé par les enquêteuses du SPVM. Le tribunal n’a pas visionné lui-même les images décrites et résumera les faits admis par les parties.

TRAME FACTUELLE

  1.                Les chefs 1 (271 a) C.cr.) et 2 (246 b) C.cr.) concernant N.R. Après des communications sur une application de rencontre, le délinquant et N.R. se voient dans un bar pour bientôt se retrouver chez elle. À un certain moment, elle a une perte de conscience[1] et elle ne se réveille que parce qu’elle n’arrive pas à respirer. Le pénis du délinquant est dans sa bouche tandis qu’il lui couvre le nez d’une de ses mains. Par la suite, elle se réveille de nouveau pour constater qu’il est en train de la pénétrer sans toutefois qu’elle ne ressente de sensation physique. Elle se réveillera une troisième fois pour voir M. Moderie dans un coin de sa chambre. Puis finalement, elle n’émergera complètement de ce sommeil que le lendemain.
  2.                Les chefs 3 (271 a) C.cr.) et 4 (246 b) C.cr.) concernant A.L. À la suite d’échanges sur une application de rencontre, le délinquant et A.L. se donnent rendez-vous chez elle. Assez rapidement, dit-elle, elle fait un blackout dont elle ne se réveillera que 36 heures plus tard, portant des vêtements différents. Mère monoparentale de 3 enfants, ils ont été laissés sans surveillance durant les 24 heures qui ont suivi leur réveil. Quand elle émerge finalement, elle a mal aux parties génitales. Elle communique avec la police et se rend à l’hôpital où on constatera la présence de benzodiazépines dans son sang. Le visionnement de caméras de surveillance installées chez un voisin révélera que le délinquant aura été chez elle durant 11 heures.
  3.                Les chefs 6 (271 a) C.cr.) et 8 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant G.M. Après une première rencontre convenue sur une application, G.M. et le délinquant se voient chez elle. M. Moderie y arrivera avec une glacière et de la nourriture; il prépare les consommations puis on mange et boit. Consentante pour des rapports sexuels, elle sera bientôt prise de vertiges. Le délinquant la reconduit à sa chambre et ensuite c’est le blackout. Elle rapporte cependant qu’à un certain moment, le délinquant l’embrasse et se retrouve par-dessus elle. Le lendemain, elle reçoit un texto de sa patronne qui lui demande pourquoi elle n’est pas rentrée au travail; elle se rendormira huit heures durant. De nouveaux textos vers 17 heures la réveillent et elle se rend compte qu’elle a été droguée. Elle ne portait plus les mêmes vêtements que la veille et avait des problèmes de mémoire. Elle portera plainte à la police.
  4.                Cependant, en ce qui concerne G.M., l’enquête subséquente révélera que le délinquant a filmé certains épisodes des abus qu’il lui a fait subir durant son inconscience. Des fouilles dans son téléphone cellulaire et dans son service iCloud vont révéler ce qui sera condensé dans les lignes qui suivent.
  5.                D’abord une première vidéo où la victime est inconsciente sur le dos portant un soutien-gorge découpé à la hauteur des mamelons alors que le délinquant est nu près d’elle et se masturbe. Il finira, lit-on dans le sommaire, par lui uriner sur les seins et dans la bouche. Puis, une seconde vidéo où après un changement de soutien-gorge alors qu’elle ne porte rien d’autre, il lui masse d’abord les seins pour ensuite placer le sous-vêtement de façon à les lui écarter. Durant tout ce temps, il est nu et en érection.
  6.                De nombreuses photos ont aussi été extraites de ces services liés à son appareil téléphonique. Sans qu’il ne soit utile de toutes les décrire, quelques-unes méritent qu’on s’y attarde. Celle-ci d’abord : elle représente la victime couchée dans le lit sur le dos, un chandail couvrant le haut de son visage. Elle ne porte qu’une culotte rose et bleu. Elle a un élastique autour du sein gauche. On voit l’inscription « Salope » écrite sur son ventre au crayon noir.
  7.                Une autre la montre sur le dos, la bouche ouverte, inconsciente. Elle ne porte qu’un soutien-gorge noir et on peut voir sa vulve. Sur un de ses bras, on remarque une enveloppe de condom déchirée.
  8.            Dans une série de quatre autres photographies, on note d’abord un changement de vêtements puis, qu’elle a maintenant trois tie wraps[2] noirs qui lui serrent le sein gauche et un autre autour du poignet gauche.
  9.            Pour finir, les enquêteuses qui ont visionné les enregistrements indiquent qu’il l’a rhabillée à au moins 3 reprises avec des vêtements différents dont l’un semblait appartenir à une autre victime.
  10.            Les chefs 9 (271 a) C.cr.) et 12 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant M.C. M.C. est […]. Fin août 2022, ils se rencontrent à l’extérieur et le délinquant apporte une glacière contenant de l’alcool. De retour chez elle avec M. Moderie, elle ne se sent pas bien, elle a nausées et vomissements. Quelqu’un viendra chercher ses enfants et elle reste seule avec le délinquant. Elle n’a aucun souvenir, aujourd’hui, de ce qu’il s’est passé de toute la soirée jusqu’au lendemain sinon qu’elle était attachée avec un objet dans la bouche. Confrontant M. Moderie, il lui dira que c’était un gag ball[3] et qu’elle y avait consenti.
  11.            Un autre épisode de même nature se produira environ deux semaines plus tard. Elle a ressenti les mêmes symptômes au point où, devant participer à une formation professionnelle le lendemain, elle ne se réveillera qu’au moment où elle sera jointe par un collègue. Elle a souvenir de la présence du délinquant qu’elle aura plus tard confronté une nouvelle fois et qui lui dira qu’elle était participative aux relations sexuelles.
  12.            De la même manière que celle évoquée plus haut, les enquêteuses au dossier ont découvert des images et vidéos dans le téléphone du délinquant qui dépeignent une autre réalité. Ainsi, une vidéo du 21 décembre 2022 montre la victime inconsciente couchée dans son lit, un loup sur les yeux. On peut y voir M. Moderie lui toucher les fesses, les lui écarter de façon à filmer son anus. Puis, il enfonce son pouce dans son anus en faisant des mouvements de va-et-vient.
  13.            Sur quelques photographies additionnelles, on voit la victime couchée sur le ventre et deux jouets sexuels sont insérés dans son anus. D’autres photos la montrent dans son lit, inconsciente, parfois nue, parfois habillée de différentes manières.
  14.            Les chefs 13 (271 a) C.cr.) et 15 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant N.P. Il s’agit ici […]. C’est la saisie des images dans le téléphone et dans l’iCloud qui vont révéler l’affaire; les scènes sont filmées dans la résidence du délinquant.
  15.            Ainsi, 3 vidéos filmées durant la même nuit illustrent-elles les sévices suivants infligés par le délinquant à N.P. Dans la première, la victime est couchée dans le lit du prévenu, inconsciente, elle porte un pyjama, mais on lui voit les seins. Le délinquant les lui touche bientôt et les pince. Plus loin, on voit son pénis sur son visage et il tente même de le lui introduire dans la bouche. À la seconde vidéo, la victime a maintenant des épingles à linge qui lui pincent les mamelons. Il tente à nouveau de placer son pénis dans sa bouche. Puis, durant la troisième, N.P. a des tie wraps noirs autour des seins qui sont serrés au point où ses seins sont devenus mauves. Durant ce temps, on l’observe parfois se masturbant.
  16.            Les photos saisies sont de la même eau et révèlent d’autres tranches, en apparence semblables, des mêmes scènes.

 

  1.            Les chefs 16 (271 a) C.cr.) et 18 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant C.B. Cette dernière […]. Les événements auront lieu à différents endroits dont chez elle et chez le délinquant. Le 22 mars 2022, elle narre qu’ils sont chez lui où ils auront des relations sexuelles. Puis, ils vont ensuite se coucher et elle prend un médicament. C.B. n’a aucune idée de la suite des événements et ne reprendra connaissance que le 23 en soirée. Il lui aurait fait croire qu’elle s’était trompée de médicament.

 

  1.            C’est la même chose pour la nuit du 16 au 17 avril 2022. Au matin, son fils, vers les 11 heures, lui signale qu’elle marche bizarrement. Elle n’a aucun souvenir de la nuit ni même d’une visite qu’elle aurait faite à l’hôpital.

 

  1.            Les images récupérées par la police dans les circonstances que l’on connaît maintenant, dénoncent ce qui suit : deux photographies du 18 janvier 2022 décèlent la victime inconsciente couchée sur le ventre dans un lit. Elle affiche des ecchymoses aux fesses et a une brosse à dents insérée dans l’anus. La main gauche du délinquant la touche aux fesses. Puis, trois vidéos du 22 mars présentent les éléments suivants, la première montre la victime couchée sur le dos inconsciente alors qu’on voit le délinquant, lui pincer les mamelons pour ensuite lui toucher la vulve. Ensuite, il lui écarte les paupières de l’œil droit pour lui cracher dans l’œil. Quelques secondes plus tard, il fait de même à l’œil gauche.

 

  1.            Dans la seconde vidéo, filmée quelques minutes plus tard, il lui rentre méticuleusement une partie de sa culotte dans la bouche pour ensuite lui pincer les mamelons. Ensuite, il prend une seringue de plastique et exerce une succion sur le mamelon gauche de façon telle que le mamelon entre dans le cylindre de la seringue. Dans la troisième séquence filmée, la seringue aspirant le mamelon, il est maintenant étiré dans celle-ci tant et si bien qu’elle tient seule en place, alors il va uriner sur la culotte qui est dans sa bouche et, aussi, à plusieurs reprises dans sa bouche.

 

  1.            Signalons, avant de conclure ce passage de notre rédaction, que durant ces épisodes, le délinquant se masturbait et a frotté son sexe dans le visage de C.B.

 

  1.            Les chefs 19 (271 a) C.cr.) et 21 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant F.G. Même modus operandi, une rencontre par l’entremise d’un site, des échanges de numéros et un premier rendez-vous au restaurant. Puis, une seconde rencontre aura lieu chez F.G. quelques jours plus tard. Voici ce que les images de cinq vidéos saisies dans un autre téléphone lié au délinquant ont dévoilé.

 

  1.            Dans la première, la victime est couchée sur le dos inconsciente, la bouche ouverte. Le délinquant lui touche les seins et lui pince les mamelons. Ensuite, il lui ouvre les deux yeux et la bouche.

 

  1.            Un peu plus tard, la seconde vidéo nous la montre maintenant nue du haut du corps. Elle a des élastiques autour des seins de façon à lui couper la circulation sanguine. Ses seins en sont devenus mauves. On y observe le délinquant tenter de lui mettre son pénis en érection dans la bouche.

 

  1.            La scène représentée à la quatrième vidéo est de la même nature. La victime a un tie wrap autour du sein gauche et plusieurs élastiques qui lui coupent la circulation au point où son sein gauche est toujours mauve. Plus tard, le délinquant se masturbe et pince les seins de F.G. Dans la dernière vidéo, la victime est maintenant nue et il la touche aux seins d’abord pour ensuite uriner à plusieurs reprises dans le visage de cette dernière y compris dans son oreille droite. Le visage, l’oreille, les cheveux et la poitrine de la victime sont couverts de l’urine du prévenu.

 

  1.            Dans une série de 42 photographies saisies de la façon que l’on sait, on voit des scènes semblables, mais ce qui retient l’attention du Tribunal, à ce stade-ci, c’est que le délinquant a changé les vêtements que porte F.G. en au moins trois occasions suivant ce qu’ont écrit les enquêteuses.
  2.            Les chefs 25 (271 a) C.cr.) et 27 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant K.V. Rencontre par les mêmes voies, ils discuteront longtemps et se verront quelques fois. Un soir, en particulier, elle s’est crue intoxiquée au point où elle a arrêté de boire, elle n’a aucun souvenir de l’événement. Le dévoilement a eu lieu de la même façon, c’est-à-dire que les enquêteuses ont découvert dans l’iCloud et dans un cellulaire de M. Moderie une vidéo et des photos qui représentent K.V. inconsciente, nue et qui sera victime des abus suivants.

 

  1.            Dans la vidéo en question, on voit le délinquant d’abord lui prendre le pouls, pour ensuite lui pincer un mamelon. Plus loin, il place son pénis sur ses lèvres et tente de le faire entrer dans sa bouche. Les 7 photographies découvertes la montrent de la même façon, nue et inconsciente.

 

  1.            Les chefs 28 (271 a) C.cr.) et 29 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant une première femme jusqu’ici inconnue. La saisie d’images des appareils et services de stockage du délinquant a permis de découvrir des représentations dépeignant l’agression de femmes jusqu’ici inconnues des services policiers. Ainsi des images du 2 août 2022 ont-elles dépeint l’agression d’une jeune femme que le délinquant a soumise aux sévices décrits ci-dessous.

 

  1.            Dans une première de quatre vidéos, le délinquant retire un loup que porte cette jeune femme manifestement inconsciente. Ensuite, il se sert des mains de la victime pour lui caresser la vulve par-dessus sa culotte, on le voit alors nu et en érection. Après l’avoir pincée de différentes façons, il tire sa culotte de façon qu’elle lui entre dans la vulve. Puis, il lui ouvre les yeux pendant une dizaine de secondes comme pour montrer son inconscience. Dans la seconde vidéo, le délinquant frotte son pénis avec la main de la jeune femme puis tente ensuite de lui placer dans la bouche alors qu’elle n’a aucune réaction.

 

  1.            La troisième vidéo nous montre le délinquant qui, encore, tente de mettre son pénis dans la bouche de la victime. Il essaiera même de faire entrer la langue de la jeune femme dans sa propre bouche malgré son inconscience. Dans le dernier des enregistrements, il urine sur elle dans son cou, dans son visage, dans sa bouche et sur sa poitrine.

 

  1.            Les photographies de cette journée illustreront, quant à elles, la victime sans culotte, la camisole baissée laissant voir ses seins serrés par des tie wraps; sa culotte est en boule dans sa bouche. Dans une autre photographie, elle est couchée sur le dos, les jambes écartées et on voit sa vulve en gros plan; elle a un spéculum[4] inséré dans le vagin et on voit un liquide blanc opaque couler de l’instrument. Les tie wrap sont toujours autour de ses seins.

 

  1.            Une animation de type GIF[5] a aussi été retrouvée dans son Cloud. On y voit la victime couchée sur le côté face au délinquant. Il prend sa main droite et la frotte sur son pénis. L’animation crée l’illusion que la main de la victime le masturbe.

 

  1.            Le chef 32 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant V.P. Même scénario, une rencontre sur un site et un premier rendez-vous suivi d’un second chez elle le 8 octobre 2022. Après avoir consommé alcool et café, c’est le blackout. Cependant, elle se réveillera par trois fois pour constater la présence du délinquant qui est à côté d’elle dans son lit.

 

  1.            L’enquête révélera neuf photographies prises cette nuit-là où on voit V.P. inconsciente dans son lit, couchée dans plusieurs positions, parfois complètement nue, parfois non.

 

  1.            Le chef 35 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant S.C.-L. La victime invite le délinquant chez elle deux fois. Selon elle tout s’était bien passé, toutefois le SPVM a dû lui révéler les fruits de son enquête et c’est alors qu’elle apprend ce qu’il s’est passé.

 

  1.            Dans un cellulaire Samsung du délinquant, on a retrouvé des photos d’elle dans son lit, manifestement inconsciente. On y voit une camisole descendue sous les seins tandis qu’un chandail lui recouvre le visage. Le délinquant l’avait déshabillée et rhabillée, car les vêtements sont différents de ce qu’elle portait au moment où elle a perdu conscience.

 

  1.            Le chef 38 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant M.-E.D. Dans le cas de  M.-E.D., la situation diffère de celles que nous avons observées plus tôt en ce qu’en l’occurrence les rapports sexuels étaient consentis. Toutefois, la victime a d’abord été filmée à son insu et ensuite malgré son refus de l’être. Tout du long, elle aurait été semi-consciente.

 

  1.            Le chef 40 (162 (1) (5) a) C.cr.) concernant une seconde femme jusqu’ici inconnue. Au moment de la fouille d’un cellulaire utilisé par le délinquant, on a retrouvé une photographie d’une jeune femme inconnue indiscutablement inconsciente; on y voit ses seins et son corps au complet.

 

  1.            Le chef 42 (4 (1) (3) a) de la LRCDAS. Ce chef, sans surprise, concerne la possession simple de benzodiazépines par le délinquant le jour de sa mise en détention.

 

PREUVE À L’AUDIENCE DU 24 OCTOBRE 2024

  1.            Les audiences sur la peine ont eu lieu le 24 et le 25 octobre dernier. Le premier de ces deux jours a vu la présentation de plusieurs témoignages et documents.
  2.            Ainsi, huit des femmes ont-elles choisi de venir déposer et lire des déclarations dites de victimes et une neuvième déclaration sera-t-elle lue par le procureur de la couronne en lieu et place de son autrice. Nous reviendrons un peu plus loin au contenu de ces déclarations au moment de l’analyse de la preuve.
  3.            Par la suite, le ministère public a déposé un rapport prépénal[6], une expertise psychiatrique présententielle[7] et une expertise confectionnée afin de déterminer le statut de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler de M. Moderie[8].
  4.            En défense, le délinquant a brièvement pris la parole d’abord pour s’excuser ensuite pour expliquer que le décès de son fils l’avait bouleversé au point où il s’était remis à consommer des stupéfiants comme des amphétamines. Il a ajouté qu’il avait besoin d’aide pour ne plus recommencer.

 

POSITION DES PARTIES

  1.            Le réquisitoire du ministère public a débuté par la présentation de ses suggestions quant aux peines à imposer. La proposition, très détaillée, mérite qu’on en reproduise la ventilation. Le sommaire que nous en ferons suivra l’ordre dans lequel elle nous a été présentée.
  1. Concernant N.R., 3 ans de détention sur le chef no 1 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention consécutifs sur le chef no 2 concernant l’administration de soporifiques.
  2. Concernant A.L., 1 an de détention sur le chef no 3 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention consécutifs sur le chef no 4 relatif à l’administration de soporifiques.
  3. Concernant G.M., 3 ans de détention sur le chef no 6 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 8 relatif au voyeurisme.
  4. Concernant M.C., 3 ans de détention sur le chef no 9 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 12 relatif au voyeurisme.
  5. Concernant K.V., 2 ans de détention sur le chef no 25 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 27 relatif au voyeurisme.
  6. Concernant N.P., 3 ans de détention sur le chef no 13 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 15 relatif au voyeurisme.
  7. Concernant C.B., 5 ans de détention sur le chef no 16 relatif aux agressions sexuelles et 3 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 18 relatif au voyeurisme.
  8. Concernant F.G., 3 ans de détention sur le chef no 19 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 21 relatif au voyeurisme.
  9. Concernant la première victime jusqu’ici inconnue, 4 ans de détention sur le chef no 28 relatif à l’agression sexuelle et 2 ans de détention à être purgés concurremment sur le chef no 29 relatif au voyeurisme.
  10. Concernant V.P., 2 ans de détention pour le chef no 32 relatif au voyeurisme.
  11. Concernant S.C-L., 1 an de détention sur le chef no 35 concernant le voyeurisme.
  12. Concernant M-E.D., 1 an et demi de détention sur le chef no 38 relatif au voyeurisme.
  13. Concernant la seconde victime jusqu’ici inconnue, 6 mois de détention sur le chef no 40 relatif au voyeurisme.
  14. Aucune suggestion n’a été formulée en ce qui concerne le chef no 42 et la possession de benzodiazépine.
  1.            Le ministère public calculant la somme de ces peines, les peines concurrentes associées au voyeurisme n’étant ainsi qualifiées que lorsqu’elles accompagnent des peines d’agression sexuelle, en arrive à un total de 36 ans de détention. Puis, conscient de l’importance du résultat et du principe de la globalité[9], propose de ramener la peine globale à 25 ans.
  2.            En outre, dans des procédures antérieures, il avait annoncé son intention de requérir du Tribunal une déclaration qui qualifierait M. Moderie soit de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler.
  3.            La défense modulant la proposition, surtout en ce qui concerne C.B., avance qu’une peine globale de 15 ans serait de nature à satisfaire les fins de la justice dans nos circonstances.

PRINCIPES ET CONSIDÉRATIONS

  1.            Le prononcé des peines est un délicat exercice de pondération qui a été balisé par le législateur. Ainsi, a-t-il pour objectifs de protéger la société, de contribuer au respect de la loi, et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes.
  2.            Ces objectifs se déclinent, plus précisément, de la façon suivante à l’article 718 du Code criminel : dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité ; dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions ; isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société ; favoriser la réinsertion sociale des délinquants ; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la société ; susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé.
  3.            D’autres considérations et principes doivent aussi guider la démarche du Tribunal dans l’exercice de la détermination de la peine à infliger à un délinquant : la peine doit être adaptée aux circonstances atténuantes et aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant ; puis le principe de l’harmonisation des peines intervient aussi pour assurer l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ; l’obligation d’éviter les excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives ; l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité d’imposer des sanctions moins contraignantes et l’examen de toutes les sanctions substitutives raisonnables dans les circonstances.
  4.            Finalement, sous ce rapport, il est un principe dit fondamental où sont subsumés tous ces objectifs, principes et considérations et qui énonce que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
  5.            C’est en ayant ces facteurs d’appréciation à l’esprit que nous allons maintenant aborder la question de la sanction juste dans les circonstances de cette affaire ; une sanction qui tiendra en compte, faut-il le rappeler, les circonstances de la commission des infractions et la situation du délinquant.

ANALYSE

  1.     Les rapports soumis
  1.            Le rédacteur du rapport prépénal formule des commentaires d’importance qui ont le mérite de nous aider à cerner la réalité du délinquant, ainsi :

Nous laisserons aux experts de l’Institut national en psychiatrie légale Philippe-Pinel le soin de déterminer si la dynamique du justiciable répond ou non à la définition stricte du trouble de sadisme sexuel. Néanmoins, quel que soit l’avis des professionnels susmentionnés, nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’une érotisation de la violence et de la domination imprègne profondément sa vie fantasmatique. La rencontre des pulsions sexuelles et agressives a eu lieu vraisemblablement à l’adolescence alors qu’un justiciable humilié et rabaissé a trouvé refuge dans la sexualité et la pornographie pour liquider sa colère et ses sentiments désagréables. Cependant, ce qui aurait pu demeurer de l’ordre du fantasme ou du jeu a mué en véritable problématique des années plus tard, lorsque […], qu’il trouvait exigeante et frustrante, est devenue le terrain d’expérimentation de ses fantaisies déviantes. Nous ne pourrions dire par quel mécanisme exactement le sujet est passé du jeu sexuel au passage à l’acte, mais à la lumière de son passé, il y a lieu de croire que la présence d’un ressentiment caché, d’un manque d’empathie, d’un problème de toxicomanie et d’un manque de limites, furent impliqués dans l’équation. Nous retenons ensuite de sérieux indices de planification et de prédation dans les récits délictueux actuels et passés du justiciable. Nous avons affaire vraisemblablement à une agressivité froide, réfléchie, cherchant par la tromperie et la manipulation un contrôle total sur la victime. […][10]

[…]

Considérant la gravité des crimes et la peine encourue dans le présent dossier, nous ne nous prononcerons pas sur les programmes ou thérapies à préconiser dans ce dossier, sinon pour mentionner que les délits sont survenus après des démarches thérapeutiques. Or, loin d’assister à une diminution des comportements sexuels problématiques, nous avons assisté au contraire à leur multiplication. Cela interroge forcément la pertinence et l’efficacité des mesures psychothérapeutiques pour contenir et abaisser le risque de récidive avec un individu tel que le contrevenant. […][11]

  1.            De surcroît, à la lecture de ce rapport détaillé, on note que l’auteur signale en deux occasions que son analyse l’amène à conclure à un risque élevé de récidive.
  2.            Dans la même veine, voici quelques observations extraites du document intitulé « Expertise psychiatrique présentencielle »[12] :

Monsieur a fait l’objet d’une évaluation sexologique en juillet 2019 par Mme Iris Cruz, sexologue au Centre d’intervention en délinquance sexuelle (CIDS). Celle-ci retient comme opinion la présence d’une problématique d’abus sexuels envers […] ainsi que des intérêts sexuels marqués concernant le voyeurisme. Monsieur a également fait l’objet d’une évaluation spécialisée en délinquance sexuelle en septembre 2019 au Centre régional de réception. Un test phallométrique des préférences sexuelles réalisé dans le cadre de cette évaluation a révélé un profil d’intérêts sexuels valide et déviant avec un intérêt préférentiel pour l’agression sexuelle et humiliation d’une femme adulte. Dans une autre évaluation psychologique du risque produite en novembre 2019 par Mme Johanne Bergeron, psychologue, toujours au Centre régional de réception, on retient des diagnostics de trouble lié à l’usage de substances (cannabis et méthamphétamines) ainsi que des troubles paraphiliques, plus précisément voyeurisme et sadisme sexuel.[13]

  1.            L’impression diagnostique retenue par l’autrice du rapport se résume par l’identification d’un « trouble paraphilique de voyeurisme et de sadisme sexuel »[14] et d’un trouble sévère lié à l’usage des amphétamines. Elle conclut, après un recours aux instruments bien connus que sont le Statique-99R et le STABLE-2007, à l’existence d’un risque de récidive élevé en matière sexuelle.
  2.            Finalement, dans cette séquence, il faut aussi prendre en compte les observations qui ressortissent de l’expertise demandée pour déterminer le statut de M. Moderie en vue, le cas échéant, d’une déclaration de délinquant à contrôler ou de délinquant dangereux :

IMPRESSION DIAGNOSTIQUE SUR LE PLAN PSYCHIATRIQUE

Voyeurisme

Sadisme sexuel

Trouble lié à l’utilisation du cannabis, en rémission en milieu protégé

Trouble lié à l’utilisation des amphétamines (speed), en rémission en milieu protégé

Trouble lié à l’utilisation du GHB, en rémission en milieu protégé

Jeu pathologique, en rémission

Trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, amélioré sous traitement de Wellbutrin et Seroquel

OPINION SUR LE RISQUE DE RÉCIDIVE

En plus d’avoir utilisé l’échelle de psychopathie de Hare, j’ai également utilisé le Sex offender risk appraisal guide (SORAG) qui a été publié dans le livre Violent offenders : Appraising and managing risk (3rd Ed.) de Harris et collaborateurs en 2015. À cette échelle, monsieur a eu un score de 24, ce qui le place dans la catégorie 7 de risque. Il y a neuf catégories de risque qui vont de manière croissante jusqu’à la catégorie 9, qui est la catégorie la plus élevée de risque. Les personnes qui se retrouvaient dans la catégorie 7 avaient 51 % de risque de récidive violente incluant la violence sexuelle après 5 ans et de 76 % après 12 ans. Afin de parfaire mon évaluation, j’ai également utilisé un guide d’évaluation structuré du jugement clinique pour les délinquants sexuels, soit le SVR-20 version 2 de Boer et collaborateurs en 2017. Les facteurs de risque qui ont été identifiés comme présents et pertinents sont les suivants :

Monsieur présente de claires déviances sexuelles, soit le voyeurisme et le sadisme

Il a été victime d’abus dans son enfance, soit par une négligence de sa belle-mère et avoir été témoin de la violence envers sa mère

M. Moderie a un clair problème d’abus de multiples substances

Il a déjà commis des actes délictuels non sexuels

Les délits sexuels sont chroniques et diversifiés

Il a causé des douleurs physiques à ses victimes d’actes sexuels

On note une escalade dans les agressions sexuelles qui se sont multipliées avant sa période d’incarcération

Il a eu certaines difficultés à bien collaborer avec la supervision, en particulier avec son intervenante communautaire après la mort de son fils.

  1.            Du reste, les conclusions du Dr Dumais deviendront-elles, faut-il le préciser, essentielles au moment de nous prononcer sur le statut du délinquant pour l’avenir.
  1.     La déclaration de contrôle
  1.            Puisqu’en des circonstances comme les nôtres, le Tribunal doit se prononcer sur la déclaration de contrôle avant de déterminer la peine appropriée[15], nous allons aborder cette question sans plus tarder.
  2.            D’abord, signalons immédiatement que dans ses conclusions le Dr Dumais recommande que M. Moderie soit déclaré délinquant à contrôler pour une période de 10 ans.
  3.            Tant la couronne que la défense se sont dites d’accord avec cet énoncé, qui est d’ailleurs le seul point de convergence dans leurs propositions respectives.
  4.            Cela étant, les prescriptions du Code étant par ailleurs, on le verra,  respectées, le Tribunal ne voit aucune raison d’écarter la recommandation du Dr Dumais fondée sur une démarche et une logique à l’évidence fiables. Aussi, le Tribunal entend-il y donner suite pour ce qui concerne, pour l’instant, la qualification du statut du délinquant c’est-à-dire de délinquant à contrôler. Pour ce qui concerne la durée de la surveillance, ce sujet sera abordé plus loin après que nous aurons eu fixé la peine, par ailleurs, appropriée[16].

 

  1.     Quelques observations tirées de la jurisprudence
  1.            D’abord au sujet des peines en matière d’agression sexuelle, voici un premier élément de considération :

[61]      Dans l’arrêt Bergeron, la Cour d’appel a cité avec appui, au chapitre de la considération de l’harmonisation des peines, l’ouvrage de Parent et Desrosiers[17], pour son étude comportant une fourchette des peines en matière d’abus et d’agression sexuelle. Elle cite notamment le passage suivant :

 

i)            i) Les sentences de 12 mois à 23 mois de détention ferme : Ces sentences sanctionnent des gestes sexuels de peu de gravité et/ou survenus en de rares occasions et/ou sur une courte période de temps, commis sur une seule victime. Les arrêts récents de la Cour d’appel du Québec indiquent clairement que des gestes de la nature d’attouchements, même lorsqu’ils sont perpétrés au cours d’un incident unique et isolé, peuvent mener, voire mènent généralement à l’emprisonnement ferme. Les sentences imposées ou confirmées en appel pour ce genre de délit peuvent aller jusqu’à 23 mois d’incarcération.

 

ii)          ii) Les sentences de 2 ans moins un jour à 6 ans, avec une concentration importante des 3 à 4 ans : Selon le juge Sansfaçon, la ligne médiane des peines pour crimes sexuels se situerait autour de 3 ans et demi. (…). Les trames factuelles des affaires soumises tendaient donc naturellement à s’approcher des faits de l’affaire Cloutier : pas de casier judiciaire, abus de confiance, de pouvoir et d’autorité, mais absence de violence directe (autre que celle inhérente à la nature de l’infraction). Dans ce contexte, les jugements de la Cour d’appel confirment ce seuil.

iii)          iii) Les sentences de 7 à 13 ans : Le juge Sansfaçon note que « les sentences de 7 à 13 ans ont été imposées en raison de circonstances particulières de violence, au-delà des gestes sexuels et/ou de la présence d’antécédents judiciaires et évidemment en relation avec des infractions comportant une gravité objective [élevée] ». La revue jurisprudentielle postérieure à l’affaire Cloutier indique que ces peines sanctionnent des situations d’abus prolongé, qui débutent généralement lorsque la victime ou les victimes sont de jeunes enfants, et qui comportent des relations sexuelles complètes, soit dans un contexte d’intimidation et de violence, soit en incitant des enfants à avoir des relations sexuelles entre eux.[18] 

  1.            Puis, dans notre dossier, il y a aussi ces chefs relatifs à la soumission chimique abordée à l’article 246 b) du Code. Remarquons que si l’infraction d’agression sexuelle moulée à l’article 271 a) du Code rend passible de dix ans d’incarcération ceux qui s’en rendent coupables, la peine maximale pour l’administration de drogues ou de soporifiques en vue de faciliter la commission d’un acte criminel, quant à elle, est de l’emprisonnement à perpétuité et pour cause quand on considère les dangers inhérents à ce type de crime.
  2.            Une décision de la Cour d’appel de l’Alberta semble faire autorité à ce sujet tant elle a été reprise par d’autres décideurs. Il s’agit de l’arrêt Lemmon[19] dont voici les extraits idoines :

[27] Parliament’s recognition of the inherent dangerousness of rendering a person unconscious to facilitate the commission of another offence is reflected by the maximum penalty prescribed for that offence: life imprisonment. Put in context, that is a significantly greater sentence than could have been imposed for the underlying offence in this case, the sexual assault, which carries a maximum penalty of ten years imprisonment. In other words, what is usually seen as the “incidental” offence, carries a much greater penalty than the one it facilitates. The only other related offences of personal violence subject to such a serious penalty are attempted murder and aggravated sexual assault.

 [28] A moment’s reflection will reveal the reason for that. Rendering a person unconscious, whether by choking, strangulation or suffocation, is an inherently dangerous act that is easily capable of causing death, or brain injury with devastating lifelong consequences. See R v Horvath (1982), 2 CCC (3d) 196 (Ont CA), R v Wallin, 2003 BCSC 809, and R v Muckle, (unreported. July 28, 2006, Alt. P.C.). The difference in the outcome, between unconsciousness, brain damage and death, may be only a matter of a few additional seconds of pressure. In the final analysis, this is an act of cruel domination met by sheer horror and often accompanied by serious physical and psychological 2012 ABCA 103 (CanLII) Page: 6 harm.

 [29] In short, although this crime is typically employed as a means to achieve another, it is often the more serious and life-threatening. Accordingly, it would be wrong to treat the offence of choking, suffocation or strangulation, where the victim has been rendered unconscious, as merely a particular or detail of the underlying offence. To do so would fail to hold the offender responsible for what is often the more serious offence, and in the process marginalizes extremely dangerous conduct. I do not mean to suggest that every act of applied force to a victim’s throat will warrant a significant additional sentence. However, such a sentence is appropriate when the victim is rendered unconscious or suffers bodily harm.

[30] That may be achieved by imposing either a consecutive sentence, a concurrent sentence that is greater than that imposed for the underlying offence, or a sentence for the underlying offence that has been significantly increased because it was accompanied by the choking. […]

[…]

[33] Although the matter is not before us now, I will take this opportunity to indicate that in my opinion, the companion offence described in s. 246(b) - administering a stupefying or overpowering drug to another person to facilitate the commission of an indictable offence, should be treated in like manner. I see little difference between the offences; they both carry the same maximum penalty of life imprisonment, which reflects Parliament’s view that both are equally serious and dangerous. That is to say, both involve an attempt to exercise total dominion over another with potentially life threatening consequences.

[34] To illustrate, drugs with the ability to overpower do not come with prescribed dosages that advise that, for example, one pill is therapeutic, two will induce unconsciousness, and three or more may be fatal. Non-prescription or homemade drugs, such as the so-called date rape drug, are even more dangerous, as the offender will have no idea as to the amount that may be administered without leaving the victim brain damaged or dead.

[35] I would also note that administering an overpowering drug to another person will almost always involve a high degree of planning and preparation.

[36] In terms of proportionality, both strangulation and administering a stupefying or overpowering drug that renders the victim unconscious, will inevitably be a most serious offence and one where the offender’s degree of responsibility is very high.

 [37] In my opinion, where unconsciousness or bodily harm results, whether by strangulation or the administration of a drug, a penitentiary sentence is appropriate for that offence alone. As noted above, that may be expressed as a consecutive sentence to any underlying offence that the act was intended to facilitate, or as a greater sentence to that otherwise appropriate for the underlying offence, to be served concurrently.[20]

  1.            Le Tribunal est conscient de la longueur de la citation qui précède, mais s’en justifiera en soulignant son incontournable à-propos pour ce qui concerne les dangers, à notre avis extraordinaires, de la soumission chimique et la façon par laquelle elle doit être traitée au chapitre de l’imposition de la peine.
  2.            Puis, pour ce qui concerne le voyeurisme, signalons que la peine maximale prévue au Code est un emprisonnement d’une durée de cinq ans.
  3.            Relevons que, comme les infractions en matière d’agression sexuelle, ces comportements criminels violent la dignité humaine de plusieurs façons surtout dans les cas où des enregistrements vidéo ou des photographies sont faits et où, au surplus, le risque de dissémination ne peut être écarté.[21]
  4.            Avant de passer à la prochaine rubrique, le Tribunal indique qu’il a aussi pris connaissance de l’ensemble des décisions soumises par les parties et que si elles ne sont pas toutes commentées dans cette rédaction, elles ont, évidemment, orienté notre réflexion.
  1.     Les déclarations des victimes
  1.            L’audience sur la peine, nous le disions plus haut, nous a donné le privilège de voir et d’entendre la très grande majorité des victimes et de mesurer l’impact que les comportements criminels du délinquant avaient eu sur elles. L’exercice s’est avéré empreint à la fois de gravité, d’émotion et de dignité. Le Tribunal a observé et compris la difficulté de témoigner en pareilles circonstances sur de pareils événements. Il tient à exprimer sa reconnaissance à celles qui ont pris la parole et à leur dire que sans cette ouverture, sans cet apport, si difficile qu’il eût été, le nécessaire portrait d’ensemble des circonstances dépeintes aurait été non seulement désincarné, bien sûr, mais aussi incomplet, inabouti.
  2.            Cela dit, ce qui ressort de la relecture des déclarations des victimes[22], c’est la honte que plusieurs d’entre elles ressentent à la suite d’événements qu’elles ont pourtant subis. La honte, la perte de confiance en elles-mêmes, en leur entourage masculin et la perte de leur joie de vivre. Il y a un effet rémanent à ces crimes que les victimes doivent gérer toutes et chacune à leur façon. Certaines sont médicamentées, d’autres ont recours à des thérapies; les effets à long terme sont, à ce stade-ci, difficilement commensurables.
  3.            Puis, toujours au chapitre des conséquences, il y a quelques situations qui ont retenu, plus particulièrement l’attention du Tribunal.
  4.            Une des victimes raconte qu’alors qu’elle se remettait d’une chirurgie d’urgence sous anesthésie générale et qu’elle avait perdu beaucoup de sang, le délinquant s’est présenté chez elle, soi-disant, pour la soutenir. Elle écrit que ce soir-là, le délinquant a mis sa vie en danger puisqu’il l’a quand même droguée malgré sa perte de sang importante et les médicaments qu’elle avait dans son système. Elle écrit « J’aurais pu ne pas survivre à cette soirée-là et j’ai eu très peur ».
  5.            Un peu plus tôt, nous avons évoqué la situation d’A.L. dont les enfants étaient restés sans surveillance plusieurs heures durant[23], une situation voisine s’est produite concernant une autre victime monoparentale, dont le fils est muet et qui était à la maison quand la sédation et l’agression se sont produites. La victime n’a de cesse de se demander s’il a pu se réveiller et ce qu’il aura pu voir, le cas échéant, « I’ll never know » écrit-elle.

 

  1.     Facteurs de considération
  1.            Nous en sommes arrivés à l’étape de l’inventaire des facteurs de considération dont l’énumération se présente comme suit :

Circonstances aggravantes quant à la commission des infractions

  1. La durée de la période infractionnelle;
  2. Le nombre de victimes;
  3. La soumission chimique érigée en système;
  4. Les conséquences colossales pour les victimes;
  5. Le mépris de la sécurité physique des victimes et dans certains cas de leurs enfants;
  6. La prédation;
  7. Dans le cas de certaines agressions sexuelles, un degré de violence qui transcende la violence inhérente à l’infraction elle-même;
  8. Dans certains cas d’agressions sexuelles, l’alinéa 718.2 a) (ii) et l’article 718.201 du Code cristallisent des facteurs aggravants qui doivent être considérés en rapport […] au sexe des victimes;
  9. Pour la plupart des chefs, le facteur aggravant d’abus de confiance codifié à l’alinéa 718.2 a) (iii) est aussi un élément qui doit être pris en compte.

Circonstances atténuantes quant à la commission des infractions

  1. Le Tribunal n’en voit aucune.

Circonstances aggravantes quant à la situation du délinquant

  1. Le délinquant a des antécédents judiciaires en semblable matière. En 2018, il a été condamné à deux ans de détention et à une probation de trois ans pour des chefs d’agression sexuelle, d’agression sexuelle armée, d’avoir vaincu la résistance à la perpétration d’une infraction et à trois chefs de voyeurisme.
  2. La victime de ces événements de 2018 se retrouve parmi celles qui ont témoigné devant le Tribunal.

 

Circonstances atténuantes quant à la situation du délinquant

  1. La mort tragique de son jeune fils.

DÉCISION

  1.            Compte tenu des enseignements de la jurisprudence qui situe la ligne médiane en matière d’agression sexuelle du deuxième groupe à 42 mois[24], des observations de la Cour d’appel de l’Alberta[25] relatives à l’application du paragraphe 246 b) du Code et des faits en preuve envisagés à travers les balises de l’arrêt R. c. L (J.J.)[26], la suggestion du ministère public nous apparaît, abstraction faite pour l’instant du principe de la globalité, parfaitement raisonnable.
  2.            Aussi, n’eût été de l’application de cette dernière règle et en conformité avec l’alinéa 725 (1) a) du Code, le Tribunal aurait-il adhéré à la proposition de la couronne et imposé pour chaque chef les peines qui sont décrites au paragraphe 47 de la présente.
  3.            En clair, dans des circonstances comme les nôtres ce sont, faut-il le préciser, les concepts de dénonciation et de dissuasion qui doivent se voir reconnaître un poids prééminent dans l’exercice de pondération auquel le Tribunal est convié. Dissuasion générale, bien sûr, mais aussi dissuasion spécifique qui, dans ce cas-ci, ne nous apparaît pas, tant s’en faut, acquise. Cette dernière remarque trouve son appui dans les différents rapports où le risque de récidive en matière sexuelle du délinquant est partout qualifié d’élevé.
  4.            Cela étant, suivant même la position finale du ministère public, cette peine de 36 ans n’est pas conforme aux principes de la globalité (art. 718.2 c) C.cr.) et de la proportionnalité (art. 718.1 C.cr.) puisqu’il suggère, tout compte fait, de la ramener à une peine globale de 25 ans.
  5.            Au cœur des principes de détermination de la peine, il y a, donc, cette obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction des peines consécutives, comme dans notre cas[27]. C’est-à-dire, que le Tribunal doit prendre en considération ce principe de la totalité afin que la peine cumulative prononcée ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant[28].
  6.            Au terme de cet exercice de pondération et de rééquilibrage, considérant l’ensemble des circonstances, le Tribunal décide qu’en application de ces principes, la peine globale imposée doit être ramenée à 25 années de détention pour l’ensemble des infractions qui sont devant nous. Les peines mentionnées au paragraphe 47 seront en conséquence modulées à la baisse afin d’obtenir la peine totale appropriée. Le Tribunal a, bien sûr, pris en compte la suggestion de la défense qui, à première vue, présente une peine globale importante, mais qui ne résiste pas à l’analyse qui doit être faite pour adapter la peine originalement calculée à cette peine globale juste. Au vrai, l’écart qui existe entre cette suggestion et la peine proportionnelle recherchée évacue, le mot est choisi, la gravité objective et le grand nombre des infractions en cause. Elle ne saurait être retenue.
  7.            Les adaptations conséquentes apparaîtront dans le dispositif qui conclura cette rédaction.
  8.            Puis, ces choses-là étant dites, revenant à la demande de la couronne concernant la détermination du statut du délinquant au regard de la partie XXIV du Code, le Tribunal constatant que les conditions énoncées au Code et commentées en jurisprudence, sont réunies[29] suivra la recommandation évoquée au paragraphe 63. Autrement formulé, le Tribunal constate (i) qu’une peine minimale de deux ans est ici justifiée pour de nombreuses infractions (ii) que hors de tout doute raisonnable, le délinquant représente un risque élevé de récidive (iii) que ce dernier a déjà été reconnu coupable d’une infraction en matière sexuelle (iv) qu’il a accompli des actes répétitifs permettant de croire qu’il causera des sévices ou des dommages psychologiques à d’autres personnes, (v) qu’il existe une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité.
  9.            Conséquemment, le Tribunal déclare M. Moderie délinquant à contrôler et fixe la période de surveillance à 10 années.

 

_____________________________________________________

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

IMPOSE les peines suivantes au délinquant :

  1. Concernant N.R., 24 mois de détention sur le chef no 1 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 2 concernant l’administration de soporifiques. (24 mois)
  2. Concernant A.L., 12 mois de détention sur le chef no 3 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 4 relatif à l’administration de soporifiques. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (48 mois)
  3. Concernant G.M., 24 mois de détention sur le chef no 6 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 8 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (72 mois)
  4. Concernant M.C., 24 mois de détention sur le chef no 9 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 12 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (96 mois)
  5. Concernant K.V., 24 mois de détention sur le chef no 25 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 27 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (120 mois)
  6. Concernant N.P., 24 mois de détention sur le chef no 13 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 15 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (144 mois)
  7. Concernant C.B., 36 mois de détention sur le chef no 16 relatif aux agressions sexuelles et 36 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 18 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (180 mois)
  8. Concernant F.G., 24 mois de détention sur le chef no 19 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 21 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (204 mois)
  9. Concernant la première victime jusqu’ici inconnue, 36 mois de détention sur le chef no 28 relatif à l’agression sexuelle et 24 mois de détention à être purgés concurremment sur le chef no 29 relatif au voyeurisme. Ces peines seront purgées consécutivement aux peines précédentes. (240 mois)
  10. Concernant V.P., 24 mois de détention pour le chef no 32 relatif au voyeurisme. Cette peine sera purgée consécutivement aux peines précédentes. (264 mois)
  11. Concernant S.C-L., 12 mois de détention sur le chef no 35 concernant le voyeurisme. Cette peine sera purgée consécutivement aux peines précédentes. (276 mois)
  12. Concernant M-E.D., 18 mois de détention sur le chef no 38 relatif au voyeurisme. Cette peine sera purgée consécutivement aux peines précédentes. (294 mois)
  13. Concernant la seconde victime jusqu’ici inconnue, 6 mois de détention sur le chef no 40 relatif au voyeurisme. Cette peine sera purgée consécutivement aux peines précédentes. (300 mois)
  14. Concernant le chef no 42 et la possession de stupéfiants, 6 mois de détention à être purgés concurremment à la peine précédente. (300 mois)

La peine globale est ainsi fixée à 25 années de détention en établissement carcéral. Ces 25 ans représentent, on l’a vu 300 mois ou (300 x 30,5) 9 150 jours. Or, le délinquant est détenu depuis le 1er février 2023, ce qui aujourd’hui représente 721 jours de détention provisoire. Une fois le facteur multiplicateur appliqué, il s’agira de défalquer (721 x 1,5) 1 081,5 jours ou 1 082 jours de la peine globale de 9 150 jours, ce qui laisse un reliquat à purger de 8 068 jours à compter d’aujourd’hui.

DÉCLARE Samuel Moderie délinquant à contrôler et fixe la période du contrôle à dix ans.

AUTORISE conformément au paragraphe 487.051 (1) du Code criminel le prélèvement du nombre d’échantillons de substances corporelles du délinquant jugé nécessaire aux fins d’analyse génétique.

ORDONNE à Samuel Moderie de se soumettre à ce ou ces prélèvements.

ORDONNE conformément au paragraphe 743.21 a) du Code à Samuel Moderie de s’abstenir, durant la période durant laquelle il sera détenu, de communiquer avec les victimes de ce dossier exception faite de N.P.

ENJOINT Samuel Moderie de se conformer à perpétuité à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.

INTERDIT à Samuel Moderie d’avoir en sa possession des armes à feu, des arbalètes, des armes à autorisation restreinte, de munitions et des substances explosives, et ce pour une période se terminant dix ans après sa libération de détention.

INTERDIT à Samuel Moderie d’avoir en sa possession des armes à feu prohibées, des armes à feu à autorisation restreinte, des armes prohibées, des dispositifs prohibés, des munitions prohibées, et ce à perpétuité.

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE DUPRAS, J.C.Q.

 

Me Jérôme Laflamme

Procureur du poursuivant

 

 

Me Robert Bellefeuille

Procureur de l’accusé

 

 

 

Date d’audience :            

24 et 25 octobre 2024

 


[1]   Elle a employé l’expression blackout.

[2]   Attaches autobloquantes.

[3]   Boulle de bâillon.

[4]     On a retrouvé 3 spéculums utilisés dans les effets du délinquant.

[5]    Courte animation présentée en boucle, réalisée à partir d’une succession d’images stockées dans un fichier de format GIF.

[6]   SP-11.

[7]   SP-12.

[8]   SP-13.

[9]   Cf. le paragraphe 718.2 c) du Code.

[10]   Cf. SP-11 à la page 14.

[11]   Ibidem à la page 16.

[12]   Cf. SP-12.

[13]   Ibidem à la page 2.

[14]   Ibidem à la page 5.

[15]    R. c. L.M., 2008 CSC 31 au paragraphe 41.

[16]    Ibidem au paragraphe 49.

[17]  Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, tome 3, La Peine, Montréal, Éditions             Thémis 2020,

[18]    DPCP c. Denis, 2023 QCCQ 4645 au paragraphe 61.

[19]   R. c. Lemmon, 2012 ABCA 103.

[20]    Ibidem aux paragraphes 27 à 30 et 33 à 37.

[21]    R. c. Law, 2018 BCSC 1683 au paragraphe 100, citant R. c. Berry, 2014 BCSC 284.

[22]    Cf. SP-2 à SP-10.

[23]   Cf. paragraphe 4 de cette rédaction.

[24]   Supra note 17.

[25]   Supra note 18.

[26]   R. c. L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QCCA).

[27]   Cf. le paragraphe 718.2 c) du Code.

[28]   R. c. Bertrand-Marchand, 2023 CSC 26.

[29]   Supra note 15 au paragraphe 40.

AVIS :
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