M.L. c. P.Le. | 2024 QCCS 2885 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | TERREBONNE | |||||
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DATE : | 22 juillet 2024 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | DAVID E. ROBERGE, J.C.S. | ||||
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Dossier 700-17-015405-185 | ||||||
M… L… | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
P… LE… | ||||||
-et- | ||||||
D… LA… Défendeurs | ||||||
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Dossier 700-17-015798-183 | ||||||
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J… LA… | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
P… LE… | ||||||
-et- | ||||||
D… LA… | ||||||
Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Il s’agit de l’une de ces histoires familiales que la réalité ne devrait pas connaître. Pourtant, les parties l’ont vécue et ses conséquences ne peuvent être ignorées.
[2] Les demanderesses, M… L…[1] et J… La…, deux sœurs jumelles, poursuivent leurs parents en raison de maltraitance subie pendant l’enfance et dont elles gardent des séquelles. Plus particulièrement, dans le cadre de deux dossiers judiciaires réunis, les demanderesses allèguent avoir subi différentes formes de violence durant l’enfance, en lien avec du travail forcé de livraison de journaux, un climat familial violent, des propos et comportements déplacés incluant à caractère sexuel, ainsi que des abus physiques.
[3] De leur côté, les défendeurs D… La… et P… Le… contestent ces allégations et plaident également que le recours des demanderesses est prescrit. Au soutien de leur défense, les défendeurs font entendre au procès d’autres membres de la fratrie, frères et sœurs des demanderesses, dans l’objectif de réfuter les prétentions de ces dernières.
[4] Pour les motifs qui suivent, face aux circonstances particulières révélées par la preuve prépondérante, le Tribunal conclut que le recours des demanderesses n’est pas prescrit et qu’elles ont démontré avoir été victimes de certaines violences pendant l’enfance de la part des défendeurs, lesquelles méritent compensation.
[5] Afin de situer le débat, il convient tout d’abord d’effectuer un résumé de la preuve, que le Tribunal complémente de quelques commentaires eu égard à la crédibilité des témoins.
[6] M… et J… sont nées en […] 1988 et sont présentement âgées de 36 ans. Elles grandissent au sein d’une famille de sept enfants, incluant leur frère F… (34 ans), Ma… (32 ans) et A… (31 ans), ainsi qu’une demi-sœur G… (45 ans) et un demi-frère Jo… (43 ans), issus d’une relation antérieure de Monsieur La….
[7] Au procès, les demanderesses décrivent toutes deux un milieu familial dysfonctionnel, où leurs parents les contraignent à travailler dès l’âge de 8 ans pour l’entreprise familiale de livraison de journaux. Elles leur reprochent aussi un climat de terreur psychologique affectant leur sentiment de sécurité et leur développement.
[8] D’emblée, il faut souligner que les demanderesses témoignent avec nuances, donnant plusieurs exemples, sans exagération. Chacun des récits de M… et J… a ses particularités et bien qu’elles témoignent hors la présence l’une de l’autre dans leur dossier respectif, leurs versions convergent, sans toutefois constituer un copier-coller. Ceci leur confère une grande crédibilité, que les contre-interrogatoires n’arrivent pas à ébranler.
[9] À l’opposé, on ne peut en dire autant des défendeurs, dont la preuve montre une dénégation générale et des contradictions, et qui peinent à convaincre.
- La preuve en demande
[10] M… est particulièrement éloquente. Elle offre un témoignage où prédomine le volet du travail pour les défendeurs, ce qui l’a profondément marquée, ainsi que la violence psychologique. Elle reconnaît que l’aspect relatif aux abus physiques est moins important ou direct en ce qui la concerne, ayant néanmoins souffert d’un environnement familial invalidant et dénigrant.
[11] Tant M… que J… expliquent le travail de livraison de journaux et de catalogues avec leurs parents, à compter de l’âge de 8 ans. La distribution de journaux s’effectue la nuit et celle des catalogues, de jour. Il s’agit d’un travail de fin de semaine pendant la période scolaire et qui s’échelonne sur toute la semaine pendant l’été entre juin et septembre. Chacune des jumelles accompagne un parent sur ses trajets. M… débute avec son père mais demande éventuellement à faire les rondes avec sa mère à partir de l’adolescence, tandis que J… travaille généralement avec son père. Il y a environ 300 clients pour les journaux, dans les environs de Ville A. Les demanderesses décrivent un travail exigeant et difficile, surtout l’hiver.
[12] La preuve prépondérante permet de conclure qu’au sein de la famille, ce sont principalement M… et J… qui assistent les défendeurs pour la livraison des journaux pour la période en litige.
[13] Tel qu’il sera élaboré ci-après, les demanderesses estiment que le travail pour les défendeurs pendant leur enfance dépassait leurs capacités et a nui à leur développement. Elles travaillent de nuit, dans une cadence effrénée, alors que leurs parents ne leur offrent pas une tenue vestimentaire adéquate en hiver, les exposent à une conduite automobile imprudente, niant aussi certains besoins de base tels s’hydrater et uriner, pour compléter la tâche rapidement. Au surplus, elles plaident n’avoir reçu qu’une rémunération dérisoire.
[14] En marge de ceci, M… explique avoir grandi dans un milieu familial axé sur le contrôle et la peur. Son père est en colère pour un tout et pour un rien, frappant ses frères surtout. Elle accuse des commentaires violents et des insultes. Elle est également exposée à des propos sexuels et des contacts sexualisés entre ses parents. À l’adolescence, ceci devient plus direct, son père visionnant de la pornographie en sa présence et lui posant des questions sur sa sexualité.
[15] M… cesse le travail pour ses parents à l’âge de 22 ans, quand elle s’inscrit à l’Université A. Elle témoigne ne pas l’avoir tenté avant, étant dominée et aliénée par ses parents. Ne pouvant pas dire non à son père, elle aborde sa mère qui accepte qu’elle interrompe le travail dans le contexte où elle quitte la région.
[16] Avançant en âge, face à des rapports familiaux demeurant difficiles, M… revendique davantage que J….
[17] En novembre 2014, M… dénonce au niveau intrafamilial la conduite des défendeurs. La fratrie semble alors prendre la défense des parents. M… décide de couper les ponts avec les défendeurs, n’ayant cependant pas encore pris la pleine mesure des blessures de son enfance. Elle entame une thérapie en 2016 avec la psychologue Mme Marie-Josée Léger[2], qui l’amènera à prendre conscience des abus vécus pendant sa jeunesse.
[18] En 2017, M… demande au Directeur de l’état civil de changer son nom de famille[3], ce qui lui est accordé en août 2017[4].
[19] En octobre 2017, le médecin de famille de M… lui diagnostique une dépression majeure[5]. Un état de stress post-traumatique est soupçonné et sera éventuellement confirmé par voie d’expertise psychologique.
[20] Ayant fait des études littéraires et devenue écrivaine, M… publie en septembre 2019 un livre intitulé « […] »[6]. La narratrice y raconte par flashbacks, en fragments, des épisodes de son enfance. Il s’agit d’une « auto-fiction » et M… explique clairement à la Cour que ce n’est pas un témoignage mais de la littérature. Si M… s’est inspirée de son passé et dénonce la violence familiale, le roman contient des éléments inventés ou déformés. Elle explique que ce n’est pas une autobiographie, bien que la démarche littéraire lui a servi de catharsis pour « survivre à son enfance ».
[21] À ce sujet, le Tribunal est d’avis que ce livre, pas plus que la couverture médiatique à cet égard[7], ne contribue pas d’information pertinente pour décider des questions en litige. Comme M… le dit, il s’agit d’une « voix narrative construite dans l’imaginaire ». En contre-interrogatoire, M… admet sans ambages des extraits du livre n’ayant aucun lien avec sa situation familiale. Or, ce dossier n’est pas le procès du livre de M…, ni une cause en diffamation. Ce livre n’est pas un journal intime ni un témoignage et il serait vain de chercher dans cette œuvre littéraire la vérité des parties. Le témoignage qui compte est celui auprès du Tribunal. Le contre-interrogatoire n’a pas su remettre en doute la sincérité des affirmations de M… à la Cour.
[22] Pour ce qui est de J…, son témoignage corrobore en grande partie celui de sa sœur jumelle, tant sur les aspects relatifs au travail de livraison pour les défendeurs qu’au niveau des violences du climat familial pendant l’enfance.
[23] En ce qui a trait à la livraison des journaux, J… décrit un travail exténuant et ses inquiétudes de déambuler dans les rues à la noirceur, ainsi qu’en lien avec la conduite automobile non sécuritaire de ses parents. Tout comme M…, elle relate que l’odeur des journaux lui donnait des migraines et la faisait parfois vomir, se plaignant aussi d’avoir subi des engelures pendant l’hiver, n’étant pas convenablement vêtue.
[24] Au niveau de l’environnement familial, J… explique que son père interdisait à ses enfants de pleurer ou de lui dire non, sans quoi ils s’exposaient à des menaces, des colères ou des insultes. Elle vit alors également dans la crainte d’être frappée, apprenant donc à exister « entre le mur et la peinture »[8]. Avec l’adolescence, les commentaires d’ordre sexuel s’intensifient et son père visionne parfois des films pornographiques quand elle est présente.
[25] J… interrompt le travail pour les défendeurs entre 2009 et 2011, vu un état d’extrême fatigue, ayant trouvé un emploi à temps plein ailleurs. Sa mère accepte qu’elle cesse quoique son père exprime son mécontentement. Entre 2010 et 2014, J… réside dans un bloc-appartements détenu par ses parents, tout en payant un loyer. Elle recommence le travail de livraison vers 23 ans en septembre 2011, sans enthousiasme, dans un contexte de dépendance financière : elle débute son baccalauréat en travail social. Elle arrête ensuite le travail pour les défendeurs à la fin 2013 quand elle obtient un emploi auprès de la Direction de la protection de la jeunesse en 2014.
[26] J… accouche d’une petite fille en 2015 et elle constate un sentiment de surprotection à son endroit. Ceci l’amène à consulter en thérapie et prendre conscience, au fil des années suivantes, de la maltraitance qu’elle a subie.
[27] En mai 2016, J… dénonce des agressions sexuelles de tiers auprès du régime prévoyant l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). Elle dépose trois demandes en lien avec des épisodes distincts d’agressions sexuelles : une survenue en 2007 par un co-étudiant, d’autres relations sexuelles non consentantes en 2009 dans un contexte de violence conjugale, ainsi qu’un incident avec un cousin en 1996.
[28] La dénonciation de J… visant un membre de la famille jette un froid avec ses parents et sa fratrie, qui prennent une distance[9]. Ce sera le début d’une période trouble pour J…. À l’été 2016, J… entame un suivi avec la psychothérapeute Geneviève Gauthier[10]. Elle reçoit un diagnostic de trouble de personnalité limite en septembre 2017. J… poursuivra ensuite une thérapie avec Marie-Claude Gareau[11]. J… entreprend de départager les traumatismes de son passé. Ce n’est toutefois que vers octobre 2018 qu’elle mettra fin aux contacts avec les défendeurs.
[29] La poursuite civile contre les défendeurs est intentée par M… en août 2018 et celle de J… en décembre 2018.
- La preuve en défense
[30] Au procès, Monsieur La… et Madame Le… nient en bloc les allégations des demanderesses. Ils déploient un argumentaire qui verse parfois dans des stéréotypes regrettables en matière de violence, lesquels ont été maintes fois dénoncés par les tribunaux lorsque vient le temps d’évaluer le comportement des victimes.
[31] Les défendeurs témoignent après avoir fait entendre les autres membres de la fratrie, soit leurs enfants Ma…, F… et A…, ainsi que G… et Jo… qui sont nés d’une autre union de Monsieur La…. Pour beaucoup, les défendeurs formulent une dénégation générale des affirmations défavorables des demanderesses.
[32] À l’exception de témoignages de G… et Jo…, ceux des autres enfants sont plutôt scriptés : on décrit une famille « normale » où règnent les valeurs d’honnêteté et de respect. Dans les témoignages d’A…, F… et Ma…, on ressent l’influence des défendeurs, lesquels sont encore très présents dans leur vie.
[33] A…, la plus jeune, vivant avec un léger handicap intellectuel, habite encore avec les défendeurs. Elle décrit un climat « normal » pendant sa jeunesse. Elle a confiance en ses parents, qui administrent d’ailleurs la rente d’invalidité au travail qui lui est versée. Elle affirme n’avoir jamais été frappée par ses parents, sauf « quelques accrochages » çà et là. Elle indique qu’elle n’a jamais vu son père frapper qui que ce soit dans la maison. Elle a entendu une histoire quant à F…, mais n’était pas présente. Elle a parlé de son témoignage avec ses parents et considère que la procédure des demanderesses manque de respect envers eux.
[34] Selon F…, il y avait beaucoup d’humour et de respect dans la culture familiale. Il nie avoir jamais été empêché de vivre ses émotions, mais admet avoir été frappé par son père. Il estime avoir eu de très bons parents. Il reconnaît que c’était principalement M… et J… qui s’occupaient de la livraison des journaux : lui n’aimait pas ceci et ne le faisait pas, sauf exceptionnellement. Il mentionne qu’il n’était « pas vraiment proche » de ses sœurs pendant leur enfance et se sauvait des corvées à la maison, ce pour quoi elles le jalousaient. Il n’a pas lu le livre de M…, mais selon lui il s’agit d’un « ramassis de mensonges », selon ce qui a été verbalisé en famille. Il travaille comme mécanicien pour son frère Ma….
[35] Ma… relate un milieu familial enjoué. Tous les enfants pouvaient faire la livraison des journaux, mais lui l’a tenté vers 8 ans, n’a pas toléré l’expérience et n’est pas retourné avant l’âge de 12 ou 13 ans, en remplacement de ses sœurs. Il dit qu’il pouvait s’exprimer en famille, mais il se décrit comme un individu « renfermé » et il garde donc ses émotions pour lui. Il reconnaît que son père pouvait faire des « blagues de papa ». Il est père de cinq enfants, auprès desquels ses parents sont impliqués.
[36] Quant à G… et Jo…, dont Madame Le… n’est pas la mère, ils concèdent certains éléments et semblent avoir une meilleure impartialité et plus d’objectivité face aux défendeurs.
[37] G… est l’aînée de la famille. Elle parle d’une famille « normale », où son père travaille beaucoup. Vers 12 ans, elle débute la distribution des journaux avec lui, les fins de semaine, afin de faire un peu d’argent. Elle continue jusqu’à environ 20 ans. Elle décrit le travail comme amusant, lui offrant un moment « privilégié » avec ses parents. Après son départ du domicile familial, ses sœurs jumelles continuent ce travail. Elle admet qu’il y avait parfois de la chicane à la maison et que son père et Madame Le… pouvaient crier. Elle reconnaît que son père faisait des « jokes de cul ».
[38] Jo… évoque une enfance heureuse, quoiqu’il avait hâte de quitter la maison familiale pour obtenir plus d’intimité. Il a débuté la livraison des journaux vers 10 ans, les fins de semaine en période scolaire et ensuite l’été plus souvent. Il corrobore à plusieurs égards la version des demanderesses quant aux paramètres du travail de nuit, reconnaissant que cela était exigeant. Il admet avoir reçu des coups de la part de son père et indique que ses frères et sœurs en ont eu également.
[39] Pour sa part, Madame Le… a tendance à mettre l’accent sur les aspects positifs de la vie familiale, en déni d’une réalité plus complexe. Cela affecte la fiabilité de son témoignage.
[40] Elle décrit son conjoint comme une personne qui travaille beaucoup. Elle affirme qu’il s’adressait aux enfants de façon polie, sans insulte. Elle ajoute que c’est un homme doux, romantique, qui lui apporte toujours des fleurs à la Saint-Valentin. Cette image s’écaille cependant en contre-interrogatoire, quand elle doit reconnaitre qu’il hausse le ton et qu’elle est confrontée aux témoignages de ses fils relatant des coups, prétendant n’en avoir aucun souvenir. Elle est estomaquée quand M… leur achemine une mise en demeure en avril 2018[12]. Elle nie que son conjoint ait pu agir de façon répréhensible envers ses filles et déclare ne jamais avoir été en désaccord avec les gestes de son mari.
[41] Enfin, le témoignage de Monsieur La… présente une faible crédibilité : il est avare de détails, peu direct et contient des contradictions à certains égards.
[42] Dans un bref témoignage, concluant la preuve en défense, Monsieur La… indique qu’il a toujours cru que tous ses enfants aimaient livrer les journaux, sauf F…. Sa mémoire est peu précise. En contre-interrogatoire, il peine notamment à expliquer si J… faisait du travail « de remplacement » ou à toutes les fins de semaine, de 1998 à 2002. Il s’en remet à son épouse pour la question de la rémunération. Il mentionne que si F… a reçu quelques bonnes tapes, il s’agissait d’un incident isolé. Il nie avoir jamais visionné de la pornographie. Il nie en bloc l’existence d’un climat violent ou sexualisé au domicile familial.
- La preuve d’expertise
[43] Quant aux expertises, M… présente l’opinion du psychologue Othmane Barnis, tandis que J… offre celle du psychiatre Dr Christophe Nowakowski. Les défendeurs ne produisent aucune contre-expertise.
[44] En bref, les deux experts associent les séquelles des demanderesses à des traumatismes vécus dans l’enfance découlant des agissements des défendeurs, en marge d’autres événements vécus par les deux sœurs à l’âge adulte et impliquant des épisodes de violence conjugale et d’agressions sexuelles. De façon générale, le Tribunal estime que les demanderesses ont offert la preuve des faits essentiels au soutien de la description des événements retenue par les experts. Ces opinions ont donc une valeur probante, non-contredite.
[45] Au procès, le Tribunal a rejeté une objection à la qualification de l’expert Barnis, estimant que celui-ci pouvait témoigner bien que les défendeurs ont pointé qu’il n’était plus membre de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) et qu’il ait fait l’objet d’une décision disciplinaire emportant une radiation de son droit de pratique.
[46] En effet, un expert ne doit pas nécessairement être membre d’un ordre professionnel pour agir à ce titre. Un professionnel retraité ou démissionnaire peut posséder la formation et l’expérience nécessaires pour témoigner à titre d’expert, selon les circonstances[13]. Malgré la plainte déontologique retenue en 2021[14], Barnis était membre de l’OPQ lors de la signature de son rapport en 2018 et son curriculum vitae fait voir une expérience de longue date.
[47] Par ailleurs, à la lumière de la décision disciplinaire visant Barnis, les défendeurs attaquent la valeur de son opinion, ajoutant que l’expert aurait fait défaut d’utiliser le questionnaire approprié suivant l’Échelle de traumatisme de Davidson[15].
[48] Malgré ces éléments, le Tribunal conclut que la valeur probante de l’opinion de Barnis n’est pas affectée de façon à infirmer ses conclusions.
[49] Soulignons que Barnis a rencontré M… en novembre 2017, suite à la suggestion de son médecin de famille, pour vérifier l’existence d’un état de stress post-traumatique. Barnis a témoigné avoir vu M… à une dizaine de reprises pour effectuer des entrevues et il a administré le questionnaire de Davidson. Au final, Barnis retient la même impression que le médecin de famille, soit un état de stress post-traumatique, dont l’origine est ancrée selon l’expert dans les événements traumatiques vécus durant l’enfance[16].
[50] D’une part, la décision disciplinaire visant Barnis[17] s’inscrit dans un dossier où il n’avait pas obtenu le consentement d’un parent afin d’effectuer l’évaluation psychosociale d’un enfant mineur et avait utilisé des tests anciens, inadéquats pour une clientèle pédiatrique, ceci étant soutenu par une preuve d’expertise. Ce contexte diffère et n’a pas de lien direct avec les présentes circonstances.
[51] D’autre part, Barnis a témoigné que parmi la variété de tests offerts par l’équipe de Davidson, il a utilisé celui comportant 17 questions. Ce test fut acquis via Pearsons Clinical, une plateforme en ligne permettant l’achat de tests par des professionnels au Canada. Les défendeurs n’ont fourni aucune contre-expertise permettant de contredire les affirmations de l’expert. De surcroît – et surtout – les résultats du questionnaire ne sont qu’un élément de l’évaluation, dont les entrevues, Barnis ayant d’ailleurs indiqué que le diagnostic d’état de stress post-traumatique était évident chez M… au point de vue clinique[18].
[52] Bien que le témoignage de Barnis s’est révélé parfois un peu vague, son opinion est claire à l’effet que le diagnostic de stress post-traumatique est fondé sur les événements vécus dans l’enfance de M….
[53] Finalement, quant au psychiatre Dr Nowakowski, suivant une entente entre les parties, son rapport[19] fut déposé pour valoir témoignage selon l’article 293 C.p.c. Sa qualité d’expert en psychiatrie est admise et les défendeurs ont renoncé à leur droit de le contre-interroger.
[54] Il appert que Dr Nowakowski a rencontré J… à deux reprises en septembre 2019. Il a eu accès à ses dossiers médicaux, dont il reprend des extraits dans son rapport, avant de procéder à son évaluation et d’expliquer le diagnostic retenu, son origine et les séquelles qui en découlent. Dans son opinion, Dr Nowakowski retient un diagnostic de stress post-traumatique relié aux actes criminels de tiers dénoncés par J… en 2016, ainsi qu’un trouble de la personnalité limite en lien avec son passé familial.
[55] En somme, Dr Nowakowski conclut que le trouble de personnalité limite de J… est, de façon probable, causé par les carences et traumatismes vécus pendant son enfance des suites des agissements des défendeurs[20].
[56] Le Tribunal résume comme suit l’ensemble des questions soulevées par les deux dossiers réunis :
56.1. Quel est le cadre juridique du recours des demanderesses?
56.2. Les défendeurs ont-ils commis des fautes à l’endroit des demanderesses emportant un droit à une compensation?
a) Le travail forcé pour les défendeurs
b) Les abus physiques
c) La violence psychologique et sexuelle
56.3. Existe-t-il un lien de causalité entre les fautes des défendeurs et le préjudice allégué par les demanderesses?
56.4. Quels sont les dommages des demanderesses et leur quantum?
56.5. Le recours est-il prescrit, en tout ou en partie?
[57] Bien que, conceptuellement, il serait logique de débuter l’analyse par la question de la prescription, le Tribunal abordera cet aspect en dernier lieu, pour éviter la redite dans les faits pertinents à ce sujet.
A) Quel est le cadre juridique du recours des demanderesses?
[58] L’action des demanderesses relève de la responsabilité civile, s’appuyant sur la règle de prudence générale édictée à l’article 1457 C.c.Q., et certaines dispositions législatives spécifiques aux obligations parentales[21], à la Loi sur la protection de la jeunesse[22] (L.p.j.) et à la Loi sur les normes du travail[23] (L.n.t.) notamment.
[59] Dans le cadre du procès, une fois la preuve close, au moment de plaider, les défendeurs déposent une demande en rejet, faisant valoir que l’action des demanderesses est soumise au régime de responsabilité contractuelle prévu à l’article 1458 C.c.Q., vu certaines allégations relativement à leur travail auprès des défendeurs. Lors de l’audience, le Tribunal a entendu les arguments des parties à ce sujet et indiqué qu’il en disposerait dans le jugement au mérite.
[60] L’article 1458 C.c.Q. édicte que toute personne doit honorer les engagements qu’elle a contractés; son 2e alinéa interdit l’option de régime pour obtenir réparation en vertu des règles de la responsabilité civile[24].
[61] Or, en l’espèce, il n’y a pas de contrat d’emploi entre les parties, ni de lien employeur-employé, les demanderesses étant les enfants des défendeurs, bien qu’elles ont travaillé avec ces derniers. L’absence de lien d’emploi est reconnue par les défendeurs[25]. On ne saurait sérieusement prétendre que les demanderesses, alors des enfants, ont consenti tacitement à un contrat d’emploi[26]. La référence par les demanderesses à la L.n.t., afin de soutenir l’évaluation de l’indemnité recherchée à titre pécuniaire, ne transforme pas le rapport juridique entre les parties.
[62] En ce sens, la jurisprudence citée par les défendeurs n’a pas d’application directe au présent dossier, dans un cas où la Cour supérieure a décliné compétence au profit de la CNESST vu l’admission du statut d’employeur au sein d’une entreprise familiale[27].
[63] Par conséquent, la réclamation des demanderesses associée au travail forcé avec les défendeurs, lequel s’est terminé en 2010 pour M… et en 2014 pour J…, doit être appréciée dans le cadre de la dynamique familiale, sous l’angle de la responsabilité civile. L’article 1458 C.c.Q. alinéa 2 ne peut servir de fondement pour rejeter l’action des demanderesses.
[64] Cela dit, la question de la prescription se pose. L’argument soulevé par les défendeurs à ce sujet sera traité plus loin dans ce jugement.
B) Les défendeurs ont-ils commis des fautes à l’endroit des demanderesses emportant un droit à une compensation?
[65] Les demanderesses allèguent avoir subi de la maltraitance de la part de leurs parents pendant l’enfance. La violence qu’elles invoquent, entendue au sens large, se décline dans sa nature psychologique, verbale et sexuelle, mais aussi économique dans une certaine mesure.
[66] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la preuve prépondérante soutient l’existence d’une conduite fautive des défendeurs à cet égard.
- Principes juridiques
[67] L’article 1457 C.c.Q. énonce le critère fondamental de la responsabilité civile, soit l’existence d’une faute emportant le droit à une compensation pour le préjudice qui en résulte.
[68] La notion de faute civile a donné lieu à une abondante jurisprudence qui exige de démontrer un manquement au devoir général de prudence face à des circonstances comparables, apprécié du point de vue de la personne raisonnable[28]. En pratique, la faute peut se manifester par action ou omission.
[69] Le C.c.Q. ne prévoit pas de régime de responsabilité civile particulier à l’égard de l’exercice des devoirs familiaux et des conséquences susceptibles d’en découler entre les parents ou envers les enfants. Il faut donc s’en remettre au régime général.
[70] Afin de guider l’analyse de la responsabilité parentale, il faut rappeler que l’article 599 C.c.Q. édicte que les parents ont un devoir de surveillance, de garde, d’éducation et d’entretien à l’égard de leur enfant. Depuis 2022, cet article prévoit également que les parents « exercent leur autorité sans violence aucune ».
[71] En outre, l’article 39 de la Charte des droits et libertés de la personne[29] consacre que tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention de ses parents.
[72] La Cour d’appel, dans l’affaire Droit de la famille - 24915[30], a récemment remarqué qu’il fallait être prudent avant d’accueillir une réclamation en dommages-intérêts en lien avec l’exercice de l’autorité parentale dans le cadre d’une dynamique familiale dysfonctionnelle, pour éviter de judiciariser les rapports familiaux à outrance et entraîner des effets indésirables. Cet arrêt ayant été rendu public pendant le délibéré, le Tribunal a contacté les parties pour obtenir leurs commentaires à cet égard, avant de rendre le présent jugement.
[73] D’emblée, il faut souligner que la discussion de la Cour d’appel est axée sur une situation alléguée d’aliénation parentale et visait une réclamation entre ex-conjoints. Cela dit, les enseignements qui s’y retrouvent sont néanmoins utiles pour cerner les contours du concept de faute dans un contexte familial, avec les ajustements qui s’imposent au présent dossier impliquant un recours par des enfants majeurs contre leurs parents au motif de maltraitance.
[74] Bien que la dynamique familiale ne soit pas soustraite au régime prévu à l’article 1457 C.c.Q., et sans pour autant modifier le standard de preuve, le seuil de la responsabilité civile dans le cadre de relations familiales est élevé.
[75] Par conséquent, la Cour d’appel retient que la responsabilité parentale ne sera engagée que suivant la démonstration d’une faute civile du parent décrite comme « un comportement d’une gravité qui transcende la sphère familiale »[31], à des fins contraires à l’intérêt de l’enfant. Cette faute reposera « sur la preuve de gestes et de propos généralement nombreux et systématiques, s’inscrivant dans la durée »[32]. Un tel constat de faute devrait être limité à des situations exceptionnelles afin d’éviter que les tribunaux soient appelés à réguler « l’art d’être parent »[33], étant entendu que l’exercice de l’autorité parentale comporte une marge de discrétion.
[76] C’est donc à la lumière de ces commentaires, tout en reconnaissant les différences factuelles entre l’arrêt récent de la Cour d’appel et le présent dossier, que le Tribunal appréciera la preuve afin de déterminer si les défendeurs se sont comportés en parents raisonnables.
[77] En marge de l’article 1457 C.c.Q et de la notion de faute, dans leurs recours, les demanderesses font référence à d’autres normes législatives, comme celles de la L.p.j. et de la L.n.t. Il est reconnu que la violation de telles normes n’équivaut pas à une faute civile. Ces normes peuvent cependant indiquer les paramètres d’une conduite raisonnable, sans que les enfreindre n’emporte nécessairement responsabilité.
[78] La Cour suprême du Canada dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette[34] résume ainsi l’état du droit à ce sujet :
[34] En droit civil québécois, la violation d’une norme législative ne constitue pas en soi une faute civile (Morin c. Blais, [1977] 1 R.C.S. 570; Compagnie d’assurance Continental du Canada c. 136500 Canada inc., [1998] R.R.A. 707 (C.A.), p. 712; Jobin, p. 226). Il faut encore qu’une infraction prévue pour un texte de loi constitue aussi une violation de la norme de comportement de la personne raisonnable au sens du régime général de responsabilité civile de l’art. 1457 C.c.Q. (Union commerciale Compagnie d’assurance c. Giguère, [1996] R.R.A. 286 (C.A.), p. 293). La norme de la faute civile correspond à une obligation de moyens. Par conséquent, il s’agira de déterminer si une négligence ou imprudence est survenue, eu égard aux circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet d’un litige. Cette règle s’applique à l’évaluation de la nature et des conséquences d’une violation d’une norme législative. […]
[36] Au Québec, l’art. 1457 C.c.Q. impose à chacun le devoir général de respecter les règles de conduite qui s’imposent en tenant compte des lois, usages ou circonstances. Par conséquent, le contenu d’une norme législative pourra influer sur l’appréciation de l’obligation de prudence et diligence qui s’impose dans un contexte donné. Dans le cadre d’une action en responsabilité civile, il appartiendra au juge de déterminer la norme de conduite applicable eu égard aux lois, usages et circonstances, dont la teneur pourrait se refléter dans les normes législatives pertinentes.
[Soulignements ajoutés]
[79] Comme dans toute affaire civile, le fardeau de prouver une faute revient à celle ou celui qui l’invoque[35], cette démonstration devant satisfaire le critère de la prépondérance des probabilités[36].
- Application circonstanciée
a) Le travail forcé pour les défendeurs
[80] La preuve prépondérante confirme que les demanderesses ont travaillé pour distribuer des journaux et des catalogues pour l’entreprise des défendeurs, pendant de nombreuses années. Dans le cas de M…, ce travail s’est échelonné de 1996 à 2010 (entre l’âge de 8 et 22 ans), tandis que pour J… ce fut le cas de 1996 à 2014 (de 8 à 25 ans, avec une période d’interruption entre 2009 et 2011).
[81] Les demanderesses reprochent essentiellement aux défendeurs de les avoir contraintes à effectuer un travail au-delà de leurs capacités dans des conditions inappropriées, en contrepartie d’une faible rémunération.
[82] Les demanderesses estiment avoir travaillé en moyenne environ 1 200 heures par année. De septembre à juin, elles livraient des journaux les samedi et dimanche, la nuit entre 1h30 et 9h00, tandis que la distribution de catalogues s’effectuait une fin de semaine sur deux, entre 13h00 et 16h30. Pendant l’été, la livraison de journaux avait lieu de 1h30 à 9h00, cinq nuits par semaine, alors que la distribution de catalogues se faisait une semaine sur deux, entre 13h00 et 16h30.
[83] Il n’y a pas de preuve directe relativement à la rémunération versée aux demanderesses, en l’absence de livres comptables.
[84] M… et J… ont témoigné et préparé des tableaux[37] pour résumer les montants reçus en lien avec le travail de livraison pour le compte de l’entreprise familiale. En bref, elles estiment avoir touché de l’argent seulement à compter de 9 ans, soit de 3$ à 10$ par nuit pour la livraison de journaux jusqu’à l’âge de 15 ans vers 2003. Ensuite, elles reçoivent graduellement un peu plus, jusqu’à culminer à 40$ par nuit pour M… ou 50$ pour J… en 2013. Il n’y avait aucune rémunération pour la distribution de catalogues de jour.
[85] Au contraire, les défendeurs soutiennent que les heures de travail alléguées par les demanderesses sont exagérées et que leur rémunération était supérieure à leurs prétentions. Dans le cadre de leur Exposé sommaire des moyens de défense[38], ils allèguent que les demanderesses n’ont débuté le travail de distribution de journaux de façon régulière qu’à compter de 1998, alors qu’elles avaient 10 ans. L’horaire de travail la nuit s’échelonnait entre 2h30 et 7h00 environ. La rémunération aurait été de 20$ par fin de semaine entre 1998 et 2002, pour augmenter à 30$ jusqu’en 2004, et à 80$ entre 2005 et 2008. J… aurait gagné davantage pour la période entre 2011 et 2013.
[86] Le Tribunal aborde dans cette section l’aspect qualitatif du travail et reviendra sur la question de la rémunération dans la section sur les dommages.
[87] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que le travail forcé invoqué par les demanderesses résulte d’un comportement fautif de la part des défendeurs et d’une forme de violence économique, en ce qu’il traduit une mise à profit pour les parents des services des enfants au détriment des capacités et intérêts de ces derniers.
[88] Le travail des enfants est un sujet sérieux et est encadré par des dispositions d’ordre public incluses dans la L.n.t.[39] Bien que cette loi n’a pas d’application directe ici, car les demanderesses n’étaient pas employées des défendeurs, les paramètres qui s’y retrouvent sont utiles pour déterminer la norme de prudence qui s’impose et décider si les défendeurs ont manqué à leurs obligations parentales.
[89] La L.n.t. édicte une interdiction de faire effectuer par un enfant[40] « un travail disproportionné à ses capacités ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique ou moral »[41]. Il est prévu qu’il est interdit à un employeur de faire effectuer un travail par un enfant de moins de 14 ans, sans avoir obtenu le consentement écrit du titulaire de l’autorité parentale[42]. La L.n.t. interdit également de faire travailler un enfant entre 23h00 et 6h00 le lendemain, sauf s’il n’est plus assujetti à l’obligation de fréquenter l’école ou pour des exceptions tel le cas de la livraison de journaux[43].
[90] Selon le Tribunal, la preuve prépondérante démontre que le travail effectué par les demanderesses est exigeant et dépasse leurs capacités, du moins durant la période de l’enfance se terminant à 18 ans.
[91] M… décrit que lors de la livraison des journaux, de nuit, la voiture est remplie jusqu’au plafond. Alors que le parent conduit le véhicule, elle court de la voiture aux maisons. Parfois on la laisse sur un coin de rue et elle distribue à plusieurs maisons avant de rejoindre l’automobile plus loin. Le processus de distribution des catalogues est semblable. La cadence est intense et il n’y a pas de pause, sauf exception[44], les parents voulant terminer rapidement pour éviter les plaintes de clients. La conduite automobile est imprudente, son père brûlant des lumières rouges et sa mère faisant des « stops à l’américaine », M… relatant aussi des tours à 360 degrés sur l’autoroute et même que la voiture est tombée dans un fossé d’où la remorqueuse doit la sortir.
[92] Dès l’âge de 8 ans, ayant un horaire de sommeil coupé, M… explique qu’elle est tout le temps fatiguée, souffrant d’étourdissements et de saignements de nez. La forte odeur de l’encre des journaux l’amène aussi parfois à vomir[45].
[93] Lors du travail l’été, M… a droit à peu d’eau, pour éviter qu’elle ait envie d’uriner, et s’en trouve donc déshydratée et avec des migraines. L’hiver est extrêmement difficile : elle subit des engelures aux orteils et aux cuisses; elle porte plusieurs chandails mais pas de manteau d’hiver, car ses parents ne veulent pas qu’il se tache au contact de l’encre des journaux; ses bottes de feutre sont rapidement mouillées et ses pieds sont gelés.
[94] J… décrit des conditions de travail similaires. Elle aussi se dit constamment fatiguée, avec des vomissements et des maux de tête. En hiver, s’ajoutent les engelures, qui la font trembler quand elle revient à la maison et peut finalement se réchauffer. J… explique que son père refuse d’augmenter la température dans la voiture, car lui a trop chaud. Faute de pouvoir uriner, elle ressent sa vessie pleine qui fait mal. Le travail de nuit est aussi une source d’inquiétudes pour l’enfant qu’elle est, ainsi que les accidents ou accrochages sur la route lui font craindre le pire.
[95] Les défendeurs nient avoir forcé les demanderesses à effectuer un tel travail. Ils contestent que le travail dépassait leurs capacités et ils affirment n’avoir « jamais »[46] : laissé les demanderesses seules dans les rues, la nuit; empêché leurs enfants de se vêtir convenablement pendant l’hiver; eu d’accident de la route; empêché d’utiliser les toilettes ou de prendre une pause.
[96] Les affirmations des défendeurs ne résistent pas à l’analyse de la preuve prépondérante.
[97] Tout d’abord, les défendeurs peinent à situer le travail des demanderesses dans le temps, n’ayant que de vagues souvenirs sur l’âge auquel elles ont débuté le travail avec eux et sa fréquence, incluant durant la période scolaire[47].
[98] De plus, la preuve ne soutient pas que le travail de livraison des journaux suscite de l’engouement chez la fratrie. F… déclare qu’il n’aimait pas remplacer ses sœurs car « c’était la nuit et c’était long »; Ma… n’y participe pas, sauf occasionnellement, car il n’est « pas réveillable »; Jo… explique qu’il s’y pliera, même si cela ne le tente pas. On doit conclure que c’est sous la manipulation des défendeurs que les demanderesses continuent ce travail régulier qui a peu d’attraits pour un enfant.
[99] En effet, le Tribunal retient de la preuve prépondérante que, durant la période scolaire, du moins jusqu’à ce qu’elles atteignent l’âge de la majorité, les demanderesses travaillent en moyenne au moins 14 heures les fins de semaine pour la livraison de journaux et catalogues, tandis que pendant l’été, elles cumulent plus de 35 heures de travail par semaine pour ces mêmes tâches. À l’époque pertinente, il y a environ 300 clients pour les journaux[48]. Tel que mentionné, la distribution de journaux se fait la nuit et celle des catalogues, de jour. Afin d’effectuer le travail de livraison des journaux la nuit, les demanderesses doivent être éveillées entre 1h30 et 8h30 environ, afin de compléter les rondes et revenir à la maison.
[100] M… commence la livraison des journaux à 8 ans, quand G…, qui a alors 20 ans, cesse de le faire lorsqu’elle quitte le domicile familial. M…indique qu’elle n’avait aucune motivation de faire un tel travail, mais elle s’y plie dans un climat familial où son père est contrôlant, voulant éviter sa colère.
[101] De même, J… remarque en discutant avec ses camarades de classe que d’autres font des activités pendant qu’elle travaille. Elle n’aime pas le travail la nuit, mais elle n’ose pas manifester son refus à son père à qui dire non n’est pas chose permise. N’ayant pas le droit de pleurer, elle essuie ses larmes et continue. Lorsque l’horaire de travail pose conflit avec ses cours de peinture, ses parents mettent fin à ceux-ci.
[102] Les défendeurs rétorquent qu’ils croyaient que les demanderesses aimaient la tâche de livraison, mais cette affirmation est peu crédible. On peine d’ailleurs à comprendre qui des enfants « se chicanaient pour y aller et avoir de l’argent »[49], alors qu’après que G… ait quitté, F…, Jo… et Ma… ne sont pas intéressés, et A… est trop jeune. Quant aux circonstances dans lesquelles G… fait ce travail à partir de 12 ans, ce qu’elle décrit comme un « moment privilégié » avec ses parents, elles diffèrent de celles des demanderesses[50].
[103] À cet égard, il faut souligner que la preuve soutient que les défendeurs ont instauré un phénomène de « contrôle coercitif »[51] envers les demanderesses, afin d’affirmer leur emprise sur celles-ci et les amener à effectuer le travail de livraison et les y maintenir pendant des années. Le Tribunal reviendra sur ce sujet au moment de discuter le climat de violence psychologique.
[104] On doit donc conclure qu’en astreignant les demanderesses à un tel travail exigeant[52] pendant leur enfance, pour plusieurs années, les défendeurs ont enfreint le devoir général de prudence et qu’ils ont donc commis une faute civile.
[105] Ce constat s’appuie également sur les conséquences psychologiques du travail nocturne au niveau du développement d’un enfant.
[106] Pour effectuer la livraison de journaux la nuit, lors des fins de semaine, les demanderesses doivent se coucher tôt le vendredi, ainsi qu’en semaine pendant l’été, alors que ce sont des périodes où les enfants ont intérêt à avoir un répit. Par ailleurs, la preuve confirme que le nombre d’heures de travail, la cadence et l’horaire de sommeil coupé (incluant l’alternance entre le travail de nuit pour les journaux et de jour pour la distribution des catalogues), entraînent une grande fatigue chez les demanderesses[53].
[107] De plus, tant M… que J… expliquent leurs craintes de travailler la nuit, dans des endroits peu éclairés, où elles sont laissées sur un coin de rue pour distribuer les journaux à plusieurs maisons. Bien que les défendeurs les récupèrent plus loin, les demanderesses ont peur. M… relate avoir trouvé un homme mort dans une rue et J… craint un chien qui finira par l’attaquer et lui déchirer son chandail.
[108] Ces conditions de travail ne s’accordent pas avec l’intérêt supérieur des enfants, leur sécurité et leur développement.
[109] Tel que mentionné, l’article 39 de la Charte québécoise reconnaît que tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention de ses parents. Quant à la L.p.j., elle énonce que le développement d’un enfant est considéré comme compromis, entre autres s’il est forcé à faire « un travail disproportionné par rapport à ses capacités »[54]. Il est également précisé qu’il y aura négligence suivant la L.p.j. si les parents ne répondent pas à des besoins fondamentaux sur le plan physique, notamment au niveau alimentaire, vestimentaire ou d’hygiène[55].
[110] Or, la preuve prépondérante confirme que les défendeurs exposent les demanderesses à des risques d’accident, vu leur conduite non sécuritaire. Ils ignorent aussi certains besoins physiologiques essentiels, tel celui de boire, uriner et prendre des pauses. Enfin, ils n’offrent pas une tenue vestimentaire appropriée en hiver.
[111] En effet, la plupart confirment que les enfants ne sont pas attachés en voiture pendant la livraison[56], sauf pendant les changements de secteurs, afin de ne pas en ralentir la cadence. La voiture est remplie de journaux, nuisant à la visibilité. Même si les accidents[57] ne causent pas de blessures physiques, les demanderesses décrivent qu’il en résulte une peur de mourir.
[112] Quant aux conditions de livraison en hiver, la preuve[58] soutient les allégations des demanderesses quant à l’absence de manteaux et de bottes adéquates afin d’effectuer un travail prolongé au froid, le tout causant des engelures.
[113] L’ensemble de ces circonstances, combinées avec les maux physiques dont se plaignent les demanderesses comme la fatigue et les vomissements, lesquels ne pouvaient être ignorés des défendeurs, mène à la conclusion que les parents n’ont pas répondu aux besoins fondamentaux de leurs enfants.
[114] Cette conclusion prend également appui dans la preuve d’expertise. Entre autres, Barnis relate que l’intensité, la cadence et les conditions du travail ont empêché M… de « profiter de son enfance » [59]. De son côté, Dr Nowakowski explique que l’horaire de travail dès un âge précoce est incompatible avec un développement psychologique et physiologique normal, exposant J… à des situations potentiellement dangereuses et niant certains besoins de base, tel celui de s’hydrater et d’uriner[60].
[115] En concluant à l’existence d’une faute des défendeurs quant au travail forcé, il faut souligner que la description des inconvénients par les demanderesses porte surtout sur la période de l’enfance, soit avant 18 ans.
[116] Cependant, la preuve à ce sujet est moins explicite quant à l’âge adulte. Les demanderesses n’ont pas convaincu que le travail après 18 ans était au-delà de leurs capacités ou compromettait leur santé. De plus, on retient que le travail après la majorité dans un contexte familial s’exerçait avec une plus grande autonomie, faisant l’objet de certains arrangements et pouvant représenter des avantages de flexibilité au niveau de l’horaire. Par exemple, il appert que les défendeurs ont acheté un véhicule à J… et que Monsieur La… a pu « dépanner » celle-ci en faisant ses rondes, quand elle était en période d’examens, etc.
[117] En bref, le Tribunal est d’avis que le travail effectué par les demanderesses durant l’enfance, pendant de nombreuses années, pour des centaines d’heures, était disproportionné avec leurs capacités[61] et bien au-delà des tâches ménagères auxquelles les enfants peuvent raisonnablement contribuer. En astreignant les demanderesses à ce travail, de façon insouciante quant à l’impact sur la santé et le sentiment de sécurité des demanderesses, les défendeurs ont été négligents.
[118] À cet égard, il faut souligner que le présent dossier est fort éloigné du scénario de l’adolescent qui choisit d’agir comme camelot pour gagner un peu d’argent de poche, en livrant les journaux dans son secteur. En l’espèce, l’ampleur du travail des demanderesses et les conditions dans lequel il fut effectué est d’un autre ordre.
[119] Par conséquent, le travail imposé par les défendeurs aux demanderesses et les circonstances dans lesquelles il s’effectuait ne s’accorde pas avec les obligations parentales et constitue une faute civile, pour la période jusqu’à la majorité.
[120] Au fil des années, les demanderesses ont travaillé avec chacun des défendeurs, J… demeurant plutôt avec son père et M… éventuellement avec sa mère. Vu la participation active des deux défendeurs, la conclusion vaut pour les deux, la preuve ne révélant que peu de différences entre les conditions de travail avec l’un ou l’autre des parents.
b) Les abus physiques
[121] Les abus physiques constituent la forme la plus manifeste de violence, supposant un contact direct envers la victime. Les conséquences de ce genre de violence peuvent être plus ou moins graves, selon la forme et la force du contact impliqué.
[122] La preuve prépondérante ne soutient pas que les défendeurs ont commis des abus physiques graves envers les demanderesses. Il appert qu’il existait un climat où certains gestes de Monsieur La… envers ses enfants ont pu impliquer l’usage de force, à titre de punition. Toutefois, de l’aveu même des demanderesses, la violence physique n’est pas l’aspect les ayant le plus affectées personnellement.
[123] M… explique avoir reçu certains coups de la part de son père jusqu’à l’âge de 14 ans, le plus souvent sur les fesses, avec vigueur, mais ne s’attribue pas le mot « battue ». Elle reconnaît d’emblée que sa situation était bien moindre que celle de ses frères, F… en particulier. Elle mentionne que leur père leur avait dit que la fessée était considérée légale pour corriger un enfant. Par ailleurs, elle a souvenir d’un épisode vers l’âge de 13 ou 14 ans, où elle reçoit ce type de correction alors qu’elle s’estime « trop vieille » à cet égard.
[124] J… n’a pas de souvenir que son père l’aie frappée, quoique ses parents lui ont fait le récit qu’un trou dans un mur, de la grosseur de sa tête, aurait été causé suite à un épisode où elle n’aurait pas obéi aux consignes parentales. J… explique avoir été témoin de scènes où F… et Ma… ont été frappés par leur père, les ayant même déjà entendu hurler dans leur chambre, précisant qu’elle n’a pas reçu de « vrais coups » mais de petites tapes.
[125] Monsieur La… admet avoir corrigé son fils F…, mais dit qu’il s’agissait d’un événement isolé justifié par les circonstances. Autrement, selon son exposé sommaire de défense, il n’aurait « jamais » frappé ses enfants[62].
[126] La majorité des enfants des défendeurs minimisent la violence physique survenue dans le contexte familial. F… reconnaît avoir reçu « quelques claques au cul » de son père, étant d’avis qu’elles étaient « bien méritées », sans toutefois se souvenir des circonstances exactes. Il précise que, pour lui, « bousculer » quelqu’un n’équivaut pas à de la violence. M… nie avoir jamais été « battu » par son père et selon G…, « corriger » un enfant en le tapant n’est pas de la violence.
[127] Par ailleurs, Jo… reconnaît avoir reçu des tapes et des fessées, et que ses frères et sœurs en ont eu également.
[128] Au procès, Monsieur La… vient nuancer l’affirmation de son exposé de défense, où il niait avoir « jamais » frappé les enfants sauf F…. Il doit admettre que cela est sûrement arrivé avec J…, mais que c’est vague. Il ne saurait dire pour les autres enfants, les événements remontant à trop longtemps. Alors que dans son interrogatoire au préalable, il affirme que donner « une petite tape » aux enfants est « inacceptable »[63], il indique au procès ne pas se souvenir, puisque donner la fessée ne serait pas un événement marquant.
[129] Madame Le… n’a aucun souvenir, hormis l’épisode impliquant F….
[130] De ces témoignages, le Tribunal retient comme plus probable la preuve d’un climat où certains gestes violents furent posés par Monsieur La… envers la fratrie des demanderesses, principalement les garçons[64].
[131] À ce sujet, rappelons que la Cour suprême a eu l’occasion d’énoncer en 2004[65] les paramètres selon lesquels les parents peuvent utiliser la force pour corriger un enfant. En somme, il doit s’agir d’une force légère, ne dépassant pas la mesure raisonnable selon les circonstances, dont l’effet sera transitoire ou insignifiant.
[132] La preuve prépondérante ne démontre pas que les défendeurs ont dérogé à ce cadre juridique à l’endroit des demanderesses.
[133] Il ne s’agit évidemment pas de banaliser la situation des demanderesses, étant reconnu que même des attouchements légers non consensuels peuvent avoir de lourdes conséquences pour les victimes[66]. Tout est affaire de contexte et de circonstances. De fait, en l’espèce, les demanderesses se plaignent plutôt de l’impact du climat de violence au niveau psychologique, ce que le Tribunal aborde ci-après.
c) La violence psychologique et sexuelle
[134] La violence psychologique est généralement utilisée pour obtenir ou maintenir le contrôle sur un individu. Elle est caractérisée par une absence de respect envers l’autre. Elle peut survenir entre individus de statut équivalent mais aussi entre personnes dont l’une est en position d’autorité par rapport à l’autre.
[135] Ce type de violence peut être difficile à reconnaître, pouvant être banalisée ou ignorée par certains.
[136] Pour les motifs suivants, le Tribunal conclut que la preuve prépondérante confirme l’existence de violence psychologique des défendeurs envers les demanderesses, répétée dans la durée, et axée sur le contrôle, le dénigrement et la peur.
[137] M… décrit son père comme rigide et contrôlant, alors que sa mère était plutôt soumise à l’autorité de ce dernier. Il y avait plusieurs règles à suivre dans la maison, occasionnant des menaces ou la colère de Monsieur La… si elles n’étaient pas respectées. M… explique qu’il était interdit de répondre ou dire non à son père. D’ailleurs, lors de son témoignage, M… s’excuse fréquemment et spontanément quand elle évoque ses émotions.
[138] Elle relate être témoin de la violence physique envers ses frères et, même si elle se considère épargnée au niveau des coups, elle encaisse des commentaires durs et désobligeants très fréquemment. Son père la menace avec des termes tels « je vais te bûcher » ou « ferme ta gueule », et il l’insulte en la traitant de « conne » ou de « niaiseuse ». Il y a une interdiction de pleurer à la maison, sans quoi son père mentionne qu’il va lui donner « une bonne raison de pleurer ». Elle se souvient d’un épisode où son père jette de vaisselle par terre et lui demande d’en ramasser les débris. Lorsqu’elle refuse, son père s’emporte.
[139] J… explique, elle aussi, qu’elle doit contenir ses émotions, ne pas pleurer et toujours sourire à la maison. Tout comme M…, elle a souvenir que son père lui adresse des menaces et l’insulte, à partir de l’âge de 7 ans jusqu’à l’adolescence. Il se fâche souvent. Le dénigrement se fait sur une base régulière et elle subit parfois ses explosions de colère sans raison. À un certain point, elle apprend à ne pas pleurer et ne pas dire non. Étant désormais mère, J… estime que son père faisait des colères face à des comportements qu’elle qualifie de « normal » pour un enfant.
[140] Selon J…, ses parents crient et lancent parfois des objets. Elle décrit un environnement sexiste où les filles font des tâches ménagères plus que les garçons. À compter de 2016, elle se confie à ses thérapeutes quant au climat dysfonctionnel[67].
[141] La L.p.j. énonce que le développement d’un enfant est considéré comme compromis en cas de mauvais traitements psychologiques, tels des comportements qui se traduisent notamment par « de l’indifférence, du dénigrement, du rejet affectif, du contrôle excessif, de l’isolement, des menaces »[68]. Tel qu’expliqué ci-dessus[69], une telle norme peut indiquer les paramètres d’une conduite raisonnable, aux fins d’évaluer la responsabilité civile aux termes de l’article 1457 C.c.Q.
[142] Selon le Tribunal, la preuve confirme que les demanderesses ont été victimes de nombreux gestes ou propos marqués de violence psychologique pendant l’enfance, se manifestant par le contrôle des émotions, l’invalidation via des commentaires inappropriés et la menace de violence physique de la part des défendeurs.
[143] Ce sont là quelques-uns des mécanismes de contrôle coercitif par lesquels les défendeurs ont maintenu les demanderesses sous leur emprise, le tout constituant une faute civile et une contravention à l’article 39 de la Charte québécoise.
[144] En effet, les défendeurs nient de façon peu convaincante avoir eu une conduite inappropriée, en cherchant à minimiser les comportements leur étant attribués. Madame Le… affirme que son conjoint peut « parler fort » et « hausser le ton » mais qu’il ne crie pas, ne pouvant cependant donner d’exemple concret, invoquant une mémoire déficiente. Dans son bref témoignage au procès, Monsieur La… ne réfute pas les interdits ou les insultes qu’on lui reproche.
[145] Quant aux témoignages des frères et sœurs des demanderesses, ils comportent plusieurs généralités qui ne font pas contrepoids aux affirmations détaillées des demanderesses. F… est d’avis que les punitions qu’il a reçues sont justifiées, Ma… croit que le climat n’était pas particulièrement violent, et G… reconnait que les parents vont parfois crier.
[146] Sans reprendre ce qui a été décrit dans la section du jugement sur le travail forcé, certains éléments à ce chapitre constituent aussi de la violence psychologique envers les demanderesses : par exemple, ne pas pouvoir porter de manteau ou de gants en hiver; ne pas être en mesure de se réchauffer dans la voiture; se retrouver seule dans les rues la nuit; le déni des parents face à certains besoins physiologiques tels boire ou uriner, etc. Il en va de même de l’exposition à des situations dangereuses dont les enfants ont peur : le travail la nuit ou la conduite imprudente des parents, sans être attaché.
[147] La conclusion que la responsabilité des défendeurs est engagée s’appuie également sur la preuve d’expertise, tant Barnis que Dr Nowakowski reconnaissant dans leurs rapports de telles violences envers les demanderesses.
[148] Plus particulièrement, Barnis décrit que M… est encore prisonnière de son passé familial, n’ayant « jamais réussi à déraciner la routine de son quotidien »[70] du contexte de violence psychologique dans lequel elle a baigné depuis l’enfance. Il nomme que M… a tendance à se replier sur elle-même et ne pas parler de ses émotions, afin d’éviter l’intimidation et les colères de son père, dont la présence engendre un fort sentiment d’insécurité, de peur et de malaise[71]. Le travail de livraison, la nuit, génère aussi pour M… une détresse psychologique, dont la crainte d’accidents d’automobile pour elle ou ses parents[72].
[149] M… témoigne d’ailleurs que sa fatigue, ses étourdissements ou ses migraines ne mènent à aucune consultation médicale par ses parents, afin d’en comprendre la cause.
[150] Quant à Dr Nowakowski, il explique que J… a souffert de l’attitude invalidante de son père[73]. La violence physique envers ses frères est « une forme de torture psychologique »[74] pour elle, craignant d’en subir à son tour. Les seules émotions permises étaient la joie et le rire, car autrement la violence paternelle était déclenchée[75]. Pour éviter les réactions, J… a ainsi appris à passer « entre le mur et la peinture »[76]. La crainte d’être laissée seule sur les rues la nuit et quant à la conduite non sécuritaire de ses parents s’ajoute au portrait[77].
[151] Il est certes possible que les enfants d’une même fratrie n’aient pas vécu la même réalité, selon leur âge et le moment où ils ont quitté le domicile familial, chacun ayant par ailleurs sa personnalité. Il est toutefois improbable qu’un parent raisonnable n’ait pas constaté, au fil des années, les souffrances d’ordre psychologique imposées aux demanderesses, sauf par aveuglement volontaire des défendeurs. S’il appert que Monsieur La… est la source principale de contrôle excessif et de dénigrement envers les demanderesses, Madame Le… n’est pas intervenue pour faire cesser ou modifier ce climat.
[152] La preuve prépondérante établit donc une violence psychologique fautive de la part des défendeurs envers les demanderesses au long terme.
[153] Dans un autre ordre d’idées, les demanderesses allèguent aussi avoir subi de la violence sexuelle de la part des défendeurs. Cette violence déstabilise la victime dans ce qu’elle a de plus d’intime. Elle ne requiert pas nécessairement de contact et peut se manifester par l’exposition d’une personne à des propos et des comportements sexuels, sans son consentement.
[154] La L.p.j. énonce que le développement d’un enfant est considéré comme compromis en cas d’abus sexuels, définis comme l’exposition à des « gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique » de la part de ses parents ou de tiers sans que les parents prennent les moyens nécessaires pour y mettre fin[78].
[155] La preuve prépondérante soutient que M… et J… ont été exposées à des propos et comportements sexuels déplacés de la part des défendeurs, de façon répétée.
[156] Tant M… que J… témoignent qu’elles sont confrontées dès l’enfance à des propos sexuels de leur père et des comportements sexualisés de leurs parents en leur présence. À l’adolescence, avec la puberté, les insultes de leur père laissent place à des commentaires sexuels à leur endroit, bien qu’elles n’ont pas subi d’agression sexuelle dans le sens le plus fort du terme.
[157] M… explique que lorsqu’elle est enfant, elle voit Monsieur La… s’adonner à des attouchements sexuels envers Madame Le…, comme glisser sa main dans ses pantalons ou sous son chandail, se frotter contre ses fesses ou lui toucher la poitrine. À compter de 12 ans, Monsieur La… parle à M… de ses seins, s’enquiert de quel type d’amante elle sera, lui demandant si elle sera « cochonne » plus tard et donnera des fellations aussi bien que sa mère. Vers le même âge, alors qu’ils sont en camping, son père lui chuchote ses préférences sexuelles avec sa mère de façon crue. De façon plus générale, il lui dit qu’il aurait aimé « sortir avec elle » et qu’elle pourra devenir une prostituée, si elle le souhaite.
[158] M… se souvient d’un épisode où c’est Noël, alors qu’elle a entre 12 ans et 14 ans, où Monsieur sélectionne un film de « Super Écran » où on voit de la pénétration vaginale. Elle fige, dans un mélange de honte et de peur. Sur le coup, sa mère commente : « Franchement, D…! » Il est arrivé à d’autres reprises que son père visionne des films pornographiques, avant de débuter une ronde de travail de livraison la nuit, mais elle ne peut confirmer un nombre précis.
[159] Ce climat sexuel induit chez M… une hypervigilance, où elle cherche à cacher sa féminité dans des vêtements larges. Plus tard, à l’âge adulte, lorsqu’elle invite son premier copain à la maison vers 22 ans, son père poursuit le harcèlement sexuel en posant des questions sur leur vie intime, causant un malaise chez elle.
[160] J… relate une expérience semblable. En plus de subir, dès son enfance, des blagues à caractère sexuel de son père qui touche sa mère de manière sexualisée, à partir de 12 ans les propos d’ordre sexuel deviennent plus fréquents et sont plus directs. Son père commente sur son corps, sa poitrine, compare son physique à celle d’une prostituée, pose des questions sur sa vie sexuelle avec son conjoint éventuel. Lors des blagues sexuelles, J… ne dit rien, tandis que M… réprouve son père, ce qui mène ce dernier à pousser celle-ci. Ses frères participent parfois aux propos sur son corps, affectant la perception de J… du rapport entre les hommes et les femmes.
[161] De plus, J… témoigne que son père a visionné des films pornographiques en sa présence une dizaine de fois. Elle se souvient d’une fois, vers l’âge de 12 ans, où son père change de chaîne télévisée à la fin d’un match de hockey qu’elle regardait avec lui : elle voit des seins et un malaise l’envahit. Lors d’un autre épisode du même type survenu à Noël, sa mère demande alors à son conjoint de changer de poste.
[162] Dans son exposé sommaire de défense, Monsieur L… nie s’être touché ou avoir touché son épouse de façon inappropriée devant les demanderesses, ni décrit des actes sexuels. Il nie avoir jamais visionné de film pornographique en leur présence, ni entretenu des propos déplacés d’ordre sexuel à leur endroit.
[163] Au procès, Monsieur La… nie de façon générale avoir eu un comportement sexuel envers son épouse en présence des enfants, sans égard aux propositions factuelles précises des demanderesses. Il nie avoir jamais regardé de pornographie « dans sa vie »[79], pour ensuite admettre que oui mais seulement avant 18 ans, donc avant « sa vie avec son épouse ». Il cherche aussi à minimiser les commentaires sexuels en famille, finissant par reconnaître qu’il pouvait lui arriver de faire une blague sexuelle « par erreur » avec ses adolescents. Ce ne sont là que quelques contradictions qui affectent la crédibilité de son témoignage.
[164] D’ailleurs, M… et G… admettent que leur père faisait des « blagues de papa » dont certaines à saveur sexuelle[80]. G… laisse même transparaître un malaise lors de son témoignage à ce sujet, ce qui porte à conclure que les commentaires de son père étaient déplacés dans les circonstances, étant entendu qu’exposer un enfant à des propos sexuels n’est jamais approprié.
[165] Dans ce contexte, la dénégation de Madame Le… quant à toute conduite inappropriée ne convainc pas, son témoignage n’étant pas franc et direct. Elle tente d’imputer les blagues à caractère sexuel aux garçons lors de l’adolescence, malgré la preuve entendue. Elle nie qu’il y ait pu avoir de pornographie « dans la maison », sans démentir qu’il ait pu y avoir visionnement de films de ce type à la télévision. Quand M… lui dit que son père lui a chuchoté des propos sexuels à l’oreille en camping, Madame Le… n’y prête « aucune crédibilité » car son mari le nie. Monsieur La… ajoute au procès qu’il est impossible qu’il ait pu dire ceci à M…, car c’est J… qui était assise « toujours à sa gauche ». De telles affirmations laissent le Tribunal perplexe et sont peu probantes.
[166] Bien que la preuve révèle que Monsieur La… est à l’origine de l’essentiel de la violence sexuelle envers les demanderesses, il appert que Madame Le… en est consciente mais banalise les gestes de son conjoint, encore aujourd’hui, sans intervenir pour y remédier à l’époque sauf marquer sa désapprobation par quelques commentaires. Son inaction est négligente, ce qui engage aussi sa responsabilité civile.
[167] En fait, les demanderesses témoignent que le seul interdit sexuel n’ayant pas été transgressé par leur père au fil des années est celui des abus physiques. À ce sujet, elles estiment que Madame Le…, en leur demandant ouvertement de les informer si leur père touchait leurs parties intimes, a pu les protéger de cette forme de violence. Même si Madame Le… cherche à généraliser cette affirmation qu’elle aurait dite à tous ses enfants, le Tribunal retient qu’elle était vraisemblablement consciente du milieu familial sexualisé.
[168] En résumé, le tableau de violence psychologique mis en place ou toléré par les défendeurs pendant de nombreuses années permet de conclure à une faute civile et une violation de l’article 39 de la Charte québécoise. Des parents raisonnables n’auraient pas imposé de telles conditions de vie à leurs enfants, sur une base répétée, sans reconnaître les risques sur leur développement. Les conséquences sont ici suffisamment graves pour mériter une compensation, en marge des simples contrariétés[81].
d) Conclusion sur la faute
[169] Tel que précédemment décrit, il se dégage de la preuve prépondérante un constat que les demanderesses ont subi de la maltraitance de façon récurrente pendant leur enfance de la part des défendeurs, en lien avec le travail forcé et le climat de violence psychologique incluant une connotation sexuelle.
[170] De l’avis du Tribunal, ce portrait démontre un environnement familial nocif au développement, à la santé et la sécurité de M… et J…, en contravention aux obligations qui s’imposaient aux défendeurs en tant que parents raisonnables.
[171] Il ne s’agit pas ici de condamner la moindre incartade d’un parent, soumis à une obligation de moyens, étant entendu que personne n’est à l’abri d’une parole ou d’un geste regrettable, dans un moment de fatigue ou d’égarement. Or, en l’espèce, les mauvais traitements, répétés sur plusieurs années, mènent à la conclusion que les défendeurs ont transgressé leur devoir de prudence à l’endroit des demanderesses pendant l’enfance, jusqu’à l’âge de la majorité.
[172] Il faut souligner qu’une accumulation de facteurs contribue à la conclusion que les défendeurs ont eu une conduite fautive à l’endroit des demanderesses, ouvrant la voie à une compensation monétaire pour les inconvénients associés. Si certains éléments pris isolément auraient pu être insuffisants, la conjugaison de ceux-ci dans la durée fonde la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal.
C) Existe-t-il un lien de causalité entre les fautes des défendeurs et le préjudice allégué par les demanderesses?
[173] Tout d’abord, rappelons que la notion de préjudice corporel, en droit, peut inclure l’atteinte à l’intégrité physique ou psychologique[82].
[174] La preuve du lien de causalité est une question essentiellement factuelle qui n’exige pas de certitude scientifique, mais qui répond à la règle de la prépondérance des probabilités[83]. Les présomptions de fait peuvent aussi servir à établir le lien de causalité[84].
[175] En l’espèce, l’analyse du lien causal requiert de déterminer si le préjudice dont se plaignent les demanderesses découle de la maltraitance attribuée aux défendeurs, ou à d’autres événements traumatiques vécus par celles-ci dont des épisodes de violence ou même d’agressions sexuelles.
[176] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les demanderesses ont démontré un lien de causalité entre les fautes des défendeurs et le préjudice allégué, par une preuve prépondérante incluant le témoignage des experts.
[177] Dans le cas de M…, le préjudice corporel est établi plus particulièrement via l’expertise de Barnis, lequel indique que l’état de stress post-traumatique est ancré dans les événements vécus lors de son enfance[85]. Même si cette évaluation est datée de 2017, le témoignage de M… permet au Tribunal de conclure que son préjudice est encore présent aujourd’hui.
[178] M… estime que le « noyau de sa souffrance » provient de son enfance dans un milieu dysfonctionnel. Elle reconnaît avoir subi d’autres événements traumatiques dans sa vie adulte, comme une agression dans le métro montréalais qui fera remonter à la surface des souvenirs d’enfance « enfermés dans une cage de son cerveau », ou de la violence conjugale vers 22 ans qu’elle décrira comme un « symptôme de l’abus vécu dans l’enfance ». Elle explique au procès qu’ayant appris le langage de la violence transmis par les défendeurs, elle a en quelque sorte un « mauvais baromètre émotif », ayant de la difficulté à mettre ses limites face à des situations abusives.
[179] Il est d’ailleurs éloquent qu’en 2017, M… décide de changer son nom de famille, « qui représente la chose qui la lie le plus à la source de ses nombreux problèmes »[86]. En contre-interrogatoire, M… ne nie pas les conséquences des agressions vécues à l’âge adulte, mais indique qu’elle les a abordées en thérapie et que sa souffrance demeure en lien avec les abus vécus dans l’enfance.
[180] L’expert Barnis confirme le diagnostic d’état de stress post-traumatique en lien avec les traumatismes successifs subis par M… aux mains des défendeurs, par l’entremise d’une évaluation clinique et du questionnaire de Davidson. Tel que mentionné[87], ce questionnaire est un outil d’évaluation, Barnis ayant par ailleurs rencontré M… une dizaine de fois, alors que les étapes des entrevues « se chevauchent et s’entrecroisent avec des observations et des questions »[88]. Le Tribunal écarte l’argument simpliste des défendeurs sur la valeur du questionnaire, qui déforme la réalité d’un domaine aussi complexe que celui de la psychologie. La valeur probante de l’opinion de Barnis est donc établie.
[181] Tel que l’explique Barnis, même si l’expression de certains symptômes de M… a été retardée, par un processus de dissociation et de dépersonnalisation, le lien avec les événements traumatiques de son enfance n’en est pas moins présent.
[182] Plus particulièrement, Barnis témoigne que les parents de M… ne lui ont pas fourni ce dont elle avait besoin comme enfant, en l’exposant à de la maltraitance, de l’intimidation et des propos sexualisés. Avec l’âge, le sentiment de peur et d’insécurité s’est généralisé à d’autres sphères de sa vie, causant des problèmes d’anxiété, de sommeil et d’hypervigilance, avec reviviscence des événements, engendrant un évitement face à des situations similaires et des réactions disproportionnées[89]. Dans son rapport, l’expert décrit les séquelles de l’enfance et les modifications négatives de la cognition qui persistent chez M…[90].
[183] Notamment, Barnis souligne la peur intense de M… face au noir et aux endroits peu éclairés et froids, liée au travail de livraison la nuit pendant l’hiver. Il note l’hypervigilance dans ses relations nouvelles afin d’éviter une situation de danger potentiel, en particulier face aux hommes. Il mentionne que M… évite de parler de ses émotions, par crainte de se sentir insultée, ridiculisée, humiliée. Il en résulte une anxiété sociale, des problèmes relationnels avec les hommes, des enjeux à gérer ses émotions, un manque de confiance et des difficultés à mettre ses limites[91].
[184] Tout en étant au courant du vécu de violence conjugale et d’agressions de M…, dont celle dans le métro montréalais, Barnis conclut que l’état de stress post-traumatique est relié aux événements traumatiques vécus dans l’enfance suivant la conduite des défendeurs[92]. Il écarte la prise de médicaments ou d’autres troubles de santé comme pouvant expliquer sa perturbation fonctionnelle.
[185] Cette preuve d’expertise, non contredite par les défendeurs, convainc de l’existence d’un lien causal entre le préjudice allégué par M… et la conduite des défendeurs.
[186] Les défendeurs ont tenté d’attaquer l’opinion de Barnis car il n’avait pas effectué de contre-vérification des événements décrits par M…. Ce reproche est mal fondé. Un expert peut se baser sur du ouï-dire, par voie d’exception à la règle générale[93]. Il faut cependant que les faits considérés par l’expert soient prouvés, sans quoi la valeur probante de l’opinion pourra être affectée.
[187] En l’espèce, Barnis a témoigné avoir consulté le dossier médical fourni et a rencontré M… à plusieurs reprises. Le Tribunal est d’avis que pour l’ensemble, les faits essentiels au soutien de l’opinion de Barnis ont été prouvés et, même en écartant certains éléments, leur globalité est suffisante pour soutenir les conclusions de l’expert. Le fait que Barnis concède que son opinion est axée sur les symptômes, dans une période contemporaine à l’évaluation, n’invalide pas non plus ses conclusions, la preuve de fait soutenant la persistance du préjudice de M… encore aujourd’hui.
[188] Dans le cas de J…, le préjudice corporel est établi plus particulièrement par l’expertise du psychiatre Dr Nowakowski, qui retient un diagnostic de trouble de personnalité limite en lien avec la conduite des défendeurs. Ce constat est aussi appuyé par les rapports des thérapeutes, Mme Gauthier et Mme Gareau[94].
[189] Rappelons qu’en mai 2016, J… rassemble son courage et présente trois demandes de prestations à l’IVAC, en lien avec des épisodes distincts d’agressions sexuelles[95]. Les trois demandes sont acceptées et l’IVAC paiera une thérapie.
[190] Le suivi avec la psychothérapeute Mme Gauthier débute en août 2016[96]. J… y aborde en vrac les traumas associés à des agressions sexuelles passées, mais aussi le sujet de son enfance au sein d’une famille dysfonctionnelle. Comme on le verra plus loin, ce n’est qu’avec le temps que J… départagera ces enjeux. À compter de janvier 2017, elle est en arrêt de travail et elle fera une tentative de suicide en septembre 2017. C’est à ce moment qu’on lui diagnostique un trouble de la personnalité limite, alors que les professionnels de la santé parlaient auparavant d’un état de stress post-traumatique.
[191] Sans nier les impacts des agressions dénoncées à l’IVAC, la plupart survenues alors que J… était adulte, celle-ci estime que le processus de dénonciation et de consultation auprès de thérapeutes l’a aidée à gérer les symptômes associés. Selon J…, c’est le trouble de personnalité limite qui demeure jusqu’à ce jour la principale source de ses limitations fonctionnelles.
[192] Dans son rapport d’expertise, produit pour valoir témoignage, Dr Nowakowski départage entre les actes criminels indemnisés par l’IVAC, pour lesquels il retient un diagnostic de stress post-traumatique[97], et les fautes commises par les défendeurs suite auxquelles l’expert conclut à un diagnostic de trouble de la personnalité limite. Tel que mentionné, Dr Nowakowski retient que le trouble de personnalité limite de J… découle de façon probable des carences et traumatismes vécus dans son milieu familial et des agissements des défendeurs à son endroit pendant l’enfance[98].
[193] Dr Nowakoswki explique fort bien dans son rapport[99] que le trouble de personnalité limite est causé par des carences au niveau de l’attachement, vu une absence de sentiment de sécurité et de stabilité affective au sein du milieu familial. L’enfant n’étant pas reconnu comme individu à part entière, il se perçoit comme un être inutile, sauf s’il répond aux besoins des autres. Ce sentiment se poursuivant dans la vie adulte, il s’ensuit une recherche effrénée pour combler ce vide et des difficultés de régulation affective.
[194] D’un point de vue fonctionnel, le témoignage de J… sur ses séquelles va de pair avec les symptômes soulignés par Dr Nowakowski comme découlant du trouble de la personnalité limite, tels : un sentiment de vide intérieur, une peur exagérée face à l’abandon, de l’évitement public, une tendance à s’automutiler, des idées suicidaires et de l’impulsivité[100].
[195] Ici aussi, l’expertise de Dr Nowakowski ne fut pas contredite par les défendeurs. Le Tribunal retient la valeur probante de cette opinion, estimant qu’elle prend appui dans une preuve prépondérante.
[196] Les défendeurs ont pointé que Dr Nowakowski a peu questionné J… sur ses agressions sexuelles dénoncées auprès de l’IVAC, cherchant à minimiser la portée des conclusions de l’expert imputant aux défendeurs le préjudice allégué. Or, Dr Nowakowski indique dans son rapport s’être assuré que la description des événements contenue au dossier reflétait la version de J…[101], et on peut comprendre qu’il n’était pas utile pour l’expert de revenir sur le détail de ces événements vu la difficulté pour J… de les revivre. Cet argument des défendeurs n’affecte pas les conclusions de l’expert.
[197] En bref, le Tribunal conclut que les demanderesses ont relevé leur fardeau de prouver le lien causal entre leur préjudice et les fautes des défendeurs.
D) Quels sont les dommages des demanderesses et leur quantum?
[198] Un préjudice corporel peut entraîner des dommages non pécuniaires, comme des souffrances et inconvénients, ainsi que des dommages pécuniaires comme une perte de salaire ou des frais découlant de la faute alléguée.
[199] Dans son recours, M… réclame une compensation de 150 000$ à titre de dommages non pécuniaires et 50 000$ en dommages punitifs. Elle demande aussi à titre de dommages pécuniaires une somme d’environ 92 000$ pour une perte de revenus entre 1996 et 2020, ainsi que des frais reliés à sa thérapie et aux procédures en changement de nom.
[200] En ce qui a trait à J…, elle demande un montant de 125 000$ à titre de dommages non pécuniaires et 50 000$ en dommages punitifs. Elle réclame également près de 100 000$ pour perte de revenus entre 1996 et 2014, ainsi que les frais reliés à l’expertise de Dr Nowakowski.
[201] S’agissant de l’octroi de dommages non pécuniaires, il convient de rappeler que leur valeur est déterminée suivant une évaluation personnalisée du préjudice subi, en fonction des approches dites conceptuelle, personnelle et fonctionnelle[102], mettant en équilibre la gravité objective du préjudice selon les inconvénients d’un individu donné, afin de lui fournir une consolation appropriée dans les circonstances. Il s’agit d’un exercice essentiellement discrétionnaire.
[202] Faisant écho aux propos récents de la Cour d’appel dans l’affaire Droit de la famille - 24915[103], l’évaluation du préjudice découlant d’une faute civile commise dans un contexte familial comporte certaines particularités.
[203] En effet, il est de l’essence des relations entre parents et enfants, ou entre autres membres d’une famille, qu’elles peuvent générer des tensions, des contrariétés voire des disputes, lesquelles n’emportent pas de responsabilité civile et ne donnent pas droit à des dommages-intérêts sans qu’un certain seuil soit franchi.
[204] Cela dit, une fois la faute civile démontrée, les demanderesses ont droit à une compensation intégrale pour le préjudice prouvé. Les commentaires de la Cour d’appel dans l’arrêt précité, relativement au caractère modique[104] de l’indemnisation pouvant être accordée en chambre familiale, se conçoivent dans un contexte où les dommages contre un parent ne doivent pas se répercuter négativement sur les intérêts de l’enfant encore à charge. Or, une telle considération n’est pas pertinente dans le présent dossier de nature civile où des enfants devenus adultes poursuivent leur parents.
[205] En l’espèce, l’analyse doit s’effectuer pour chacune de M… et J…, en distinguant les dommages vécus durant l’enfance de ceux qui persistent encore aujourd’hui.
[206] Tel que mentionné, la preuve des dommages associés au travail forcé porte surtout sur la période de l’enfance, soit avant 18 ans. Quant à la violence psychologique et sexuelle, la preuve indique qu’elle s’est poursuivie au-delà, dans les jeunes années de la vie adulte des demanderesses.
[207] Sans réitérer tout ce qui a été décrit auparavant, rappelons que tant M… que J… souffrent pendant l’enfance de fatigue et de migraines en lien avec le travail de livraison des journaux avec les défendeurs. Elles ont des horaires de sommeil brisés, subissent des engelures l’hiver, voient certains besoins de base brimés. Elles craignent d’être laissées seules dans les rues la nuit et d’être impliquées dans un accident d’automobile, vu la conduite imprudente de leurs parents. À la maison, les deux jumelles sont également affectées par le climat de violence psychologique, de dénigrement et de peur instauré par les défendeurs, ainsi que les propos sexuels qui s’intensifient lors de leur puberté.
[208] Si ces inconvénients vécus pendant l’enfance se ressemblent, M… et J… en conservent aujourd’hui des séquelles se manifestant un peu différemment.
[209] Pour M…, tel que l’explique le psychologue Barnis[105], elle demeure avec un haut sentiment d’insécurité face à plusieurs situations. Ses relations interpersonnelles sont difficiles, plus particulièrement avec les hommes, ayant internalisé qu’être une femme la soumet à des dangers accrus. Elle évite certaines situations, comme être passagère en voiture, les endroits peu éclairés ou sans accès facile aux toilettes au cas où elle devrait uriner, ainsi que les activités hivernales par crainte d’engelures. Tout ceci lui cause de l’anxiété pouvant même s’incarner dans des idées suicidaires.
[210] Après un diagnostic de dépression en 2017 et un arrêt de travail, M… a depuis choisi de faire des études à temps plein (suivant une charge allégée), poursuivant présentement un doctorat en études littéraires. Elle précise que les études et la littérature ont été sa « ligne de vie ». Elle continue une psychothérapie aujourd’hui, cherchant à contrer une tendance héritée de l’enfance qui la mène à « normaliser » une certaine forme de violence dans son quotidien.
[211] Quant à J…, le trouble de personnalité limite affecte encore sa vie relationnelle et sociale, puisque la maltraitance subie durant l’enfance a altéré ses mécanismes adaptatifs. Les symptômes persistants de J… sont documentés dans la preuve : sentiment de vide et de détachement, anxiété, tendances suicidaires ou à l’automutilation, difficultés relationnelles, évitement des lieux publics[106]. La détresse de J… culminera par une tentative de suicide en septembre 2017 qui mènera à son hospitalisation[107], auquel moment le diagnostic de trouble de personnalité limite est posé par l’équipe médicale.
[212] De tout ceci, le psychiatre Dr Nowakowski retient les limitations fonctionnelles suivantes pour J…[108] : des craintes face aux endroits achalandés, une incapacité d’être impliquée dans des dossiers d’agression sexuelle (limitant ses possibilités dans son domaine d’emploi à titre de travailleuse sociale), et une difficulté à travailler à temps plein vu des moments d’instabilité affective.
[213] Dans les faits, J… n’a pas retravaillé depuis 2017 et elle complète un baccalauréat en sciences comptables, avec des accommodements. Au moment de l’évaluation de Dr Nowakowski en septembre 2019, la condition de J… n’était pas encore consolidée et elle avait toujours besoin de psychothérapie[109], qu’elle poursuit à ce jour. Il est à noter que le pourcentage d’incapacité attribué par l’expert est d’une utilité relative ici vu le diagnostic retenu[110], ce facteur n’étant par ailleurs qu’un outil pour aider à apprécier le montant des dommages, dans le respect de la subjectivité des individus tout en ayant à l’esprit les paramètres de la jurisprudence.
[214] En marge de ces dommages non pécuniaires, les demanderesses réclament aussi une perte de revenus pour les heures travaillées auprès des défendeurs, étant d’avis que la rémunération reçue était dérisoire par rapport au travail effectué.
[215] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis qu’il faut plutôt inclure dans le quantum des dommages non pécuniaires les inconvénients associés à ce travail.
[216] Rappelons que M… et J... ont préparé des tableaux[111] pour résumer les montants reçus en lien avec le travail de livraison pour le compte de l’entreprise familiale, entre 1996 à 2010 pour la première, et de 1996 à 2014 pour la seconde. En résumé, les demanderesses estiment avoir touché de l’argent à compter de 9 ans, soit de 3$ à 10$ par nuit pour la livraison de journaux jusqu’à l’âge de 15 ans vers 2003. Entre 15 et 22 ans, elles reçoivent entre 10$ et 40$ par nuit (l’essence est à leurs frais lorsqu’elles utilisent le véhicule acheté par leurs parents vers 17 ans). J… obtiendra par la suite 50$ par nuit jusqu’à la fin 2013. Il n’y avait aucune rémunération pour la distribution de catalogues de jour, ce que M… cesse vers 18 ans et J… vers 20 ans.
[217] Partant de ces informations, les demanderesses ont calculé des pertes de revenus, selon un manque à gagner établi en fonction des heures travaillées, de l’historique du salaire minimum[112] applicable à chaque époque pertinente et des sommes reçues. À ce sujet, M… réclame une indemnité d’environ 92 000$ et J… un montant de près de 100 000$.
[218] Tout en reconnaissant qu’il ne s’agit pas d’un calcul exact, faute d’une preuve précise en l’absence de livres comptables, les demanderesses sont d’avis qu’il s’agit d’une illustration adéquate de leurs pertes de revenus, invoquant aussi la théorie de l’enrichissement injustifié pour réclamer cette somme aux défendeurs.
[219] Avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal estime que la preuve et les circonstances ne permettent pas de compenser les demanderesses pour une perte pécuniaire de la façon suggérée.
[220] Même si la description des demanderesses quant aux paramètres du travail de livraison est généralement plus fiable que celle suggérée par les défendeurs[113], il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une preuve secondaire, qui ne se prête pas à un calcul mathématique.
[221] Par ailleurs, le parallèle avec le salaire minimum prescrit par les normes du travail s'arrime mal à la situation des parties, qui n’étaient pas dans une relation employeur-employé, mais membres d’une famille où l’apport de chacun ne peut se monnayer aussi simplement. À ce sujet, les défendeurs ont expliqué qu’il y avait en marge de la rémunération aux demanderesses, certains « bonis » distribués lors de la période des fêtes à même les pourboires reçus pendant l’année et, de façon générale, des cadeaux pour la famille tel une console de jeu Nintendo. Enfin, le travail après la majorité s’accompagnait de certains arrangements particuliers, tel l’achat d’un véhicule par les parents ou un horaire de travail flexible.
[222] Dans ce contexte, la preuve n’est pas suffisamment précise pour déterminer l’existence d’un enrichissement injustifié, requérant de prouver un enrichissement, un appauvrissement corrélatif et l’absence de justification à ce sujet[114].
[223] Par conséquent, puisqu’il n’est pas possible de faire une adéquation directe entre le travail effectué par les demanderesses dans le contexte de l’entreprise familiale, les normes salariales et le prétendu manque à gagner à titre de perte de revenus, le Tribunal est d’avis qu’il faut plutôt octroyer une indemnité pour compenser les inconvénients associés à ce travail à titre de dommages non pécuniaires. Tel que mentionné, la période couverte à ce sujet s’arrête à 18 ans, car le Tribunal conclut qu’il n’a pas été prouvé que le travail effectué après la majorité était au-delà des capacités des demanderesses ou compromettait leur santé[115].
[224] À la lumière de l’ensemble de ces considérants et de la jurisprudence soumise[116], étant conscient que l’attribution d’une indemnité monétaire est un exercice imparfait comportant une part de subjectivité, le Tribunal estime qu’un montant de 100 000$ constitue, pour chacune de M… et J…, une compensation appropriée pour les dommages non pécuniaires étant reconnus par le présent jugement.
[225] Les défendeurs seront condamnés à payer ces montants solidairement. En effet, l’obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, en matière de responsabilité civile[117]. À ce sujet, il est reconnu que la solidarité ne se limite pas à une faute commune mais s’étend aussi aux fautes contributoires, dans la mesure où les actes fautifs distincts entretiennent tous un lien causal avec le préjudice[118].
[226] En l’espèce, l’autorité parentale appartenant d’office aux deux parents[119], qui ont ici contribué à la dynamique familiale fautive, la responsabilité des défendeurs est engagée solidairement. Même si la preuve révèle une contribution prépondérante de Monsieur La… aux événements ayant causé préjudice aux demanderesses, Madame Le… a participé activement dans l’aspect du travail forcé (plus particulièrement avec M…) et son défaut d’intervenir pour faire cesser le climat de violence psychologique alors qu’elle était responsable de la sécurité des enfants justifie une condamnation solidaire.
[227] En outre, le Tribunal condamne Monsieur La… à payer 10 000$ à chacune de M… et J…, à titre de dommages punitifs.
[228] Les dommages punitifs ont un caractère exceptionnel et visent à dénoncer et à prévenir un comportement fautif particulièrement répréhensible[120]. Il est bien établi en jurisprudence que leur octroi exige de démontrer une atteinte illicite et intentionnelle[121]. Par ailleurs, on ne peut octroyer des dommages punitifs sur une base solidaire[122], lesquels exigent une condamnation individualisée pour chaque défendeur.
[229] Les demanderesses invoquent plus particulièrement une violation à l’article 39 de la Charte québécoise[123], qui édicte que tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention de ses parents.
[230] Pour les motifs détaillés exprimés ci-avant, la preuve soutient l’existence d’une atteinte à l’article 39 de la Charte québécoise. En ce qui concerne Monsieur La…, le Tribunal est également d’avis que la preuve prépondérante signale une « atteinte intentionnelle », soit un état d’esprit qui dénote un désir de causer les conséquences ou agir en toute connaissance de celles-ci[124]. En effet, un parent raisonnable ne pouvait ignorer que le climat de violence psychologique avec des accents sexuels, maintenu par Monsieur La… pendant plusieurs années, aurait des répercussions néfastes sur le bien-être des demanderesses. La gravité et la répétition des gestes envers les enfants qu’étaient alors les demanderesses justifient des dommages punitifs.
[231] Par contre, bien que la conduite de Madame Le… démontre une insouciance face aux conséquences vraisemblables du climat familial, le critère exigeant de l’atteinte intentionnelle n’est pas satisfait en ce qui la concerne.
[232] Malgré l’absence de preuve sur la situation patrimoniale précise de Monsieur La…, il n’y a aucune indication que le montant de 10 000$ par demanderesse serait disproportionné. Bien que cette somme puisse paraître modeste, il faut rappeler que l’octroi de dommages punitifs, en droit, doit se faire avec prudence, notamment dans un contexte de nature familiale. Cela dit, le montant accordé ne diminue en rien le signal de réprobation judiciaire quant aux actes posés par le défendeur.
[233] Finalement, la réclamation de M… pour les procédures en changement de nom (364,76$[125]) est bien fondée et est accueillie. Par ailleurs, en ce qui a trait à la demande de remboursement pour les frais reliés à la thérapie de M… auprès de la psychologue Mme Léger entre 2016 et 2022 (8 419$[126]), le Tribunal y fait droit seulement à hauteur de 5 000$, la preuve révélant que les consultations visaient aussi des agressions dans un contexte de violence conjugale n’étant pas directement attribuable aux défendeurs.
[234] Quant à J…, elle poursuit une thérapie dont elle ne réclame pas les frais, recevant une rente de l’IVAC et bénéficiant des assurances de son conjoint. Sa seule réclamation pécuniaire est en lien avec les frais de l’expert Dr Nowakowski. La facture associée à l’expertise psychiatrique de celui-ci dans le dossier civil s’élève à 2 000$ et celle pour l’IVAC à 720$[127]. Seul le montant en lien avec le présent dossier sera accordé, à être comptabilisé dans les frais de justice.
E) Le recours est-il prescrit, en tout ou en partie?
[235] Les défendeurs plaident que la poursuite civile intentée par M… en août 2018, et celle de J… notifiée en décembre 2018, sont toutes deux prescrites. Les demanderesses contestent une telle conclusion, en droit et en faits.
- Principes juridiques
[236] Règle générale, l’action qui tend à faire valoir un droit personnel se prescrit par trois ans[128].
[237] Le point de départ du délai de prescription est le moment à partir duquel une personne a connaissance de tous les éléments essentiels à sa cause d’action : la faute, le dommage et le lien entre les deux[129]. Dans le cas d’un préjudice corporel ou moral qui se manifeste graduellement ou tardivement, il est aussi prévu que le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois[130].
[238] Par ailleurs, selon l’article 2904 C.c.Q., la prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir. Ainsi, le délai de prescription peut être suspendu si une partie est en mesure d’établir que son inaction résulte d’une impossibilité d’agir, par exemple d’ordre psychologique.
[239] La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Gauthier c. Beaumont[131], a d’ailleurs consacré l’impossibilité d’agir de nature psychologique en ces termes :
[67] Partant de ces règles et principes du droit civil, il est logique qu’en matière délictuelle également, l’état psychologique de crainte suspende la prescription, lorsque cette crainte est causée par la faute du défendeur. La prescription repose notamment sur une présomption que le titulaire d’un droit renonce à son exercice en raison de son manque de diligence à le faire valoir. Si le demandeur n’est pas en mesure de renoncer librement et volontairement à l’exercice de son droit et est incapable d’agir en raison de l’emprise psychologique qu’a sur lui le défendeur par la crainte qu’il lui inspire, ni l’ordre, ni l’intérêt publics, ni même une légitime sécurité des rapports juridiques, que la prescription vise à favoriser, ne seront servis. Bien au contraire. […]
[73] […] Pour être une cause d’impossibilité d’agir, la crainte doit porter sur un mal objectivement sérieux, exister durant toute la période d’impossibilité d’agir et être subjectivement déterminante de cette impossibilité d’agir, c’est-à-dire subjectivement telle qu’il soit psychologiquement, sinon physiquement, impossible pour la victime d’intenter un recours en justice. […]
[Soulignements ajoutés]
[240] La Cour d’appel du Québec a repris ces principes en mentionnant que la preuve de l’impossibilité en fait d’agir, sans être absolue[132], doit être convaincante pour emporter suspension de la prescription[133].
[241] Enfin, il faut souligner que, depuis juin 2020, le législateur a modifié l’article 2926.1 C.c.Q. afin de rendre imprescriptibles les actions civiles alléguant un préjudice corporel résultant de la violence subie pendant l’enfance, de la violence sexuelle ou de la violence conjugale[134]. Cette disposition d’ordre public a un caractère déclaratoire et est applicable à toute action à ce sujet[135].
- Application circonstanciée
[242] Tout d’abord, rappelons que d’un point de vue légal, sauf exception notamment en cas d’émancipation, les enfants ne peuvent, avant d’atteindre 18 ans, agir en justice que via leurs tuteurs. En l’espèce il existait une impossibilité légale d’agir pour les demanderesses jusqu’à leur majorité survenue en 2006, considérant que leurs reproches impliquent les agissements de leurs propres parents, qui n’auraient pu intervenir contre eux-mêmes vu les circonstances.
[243] Les recours des demanderesses ayant été intentés en 2018, il faut déterminer s’ils sont prescrits.
- L’article 2926.1 C.c.Q.
[244] Le Tribunal est d’avis que les actions civiles de M… et J… sont imprescriptibles, puisque leur préjudice corporel entendu au sens large résulte de la « violence subie pendant l’enfance » au sens de l’article 2926.1 C.c.Q.
[245] Disposition de droit nouveau, l’article 2926.1 C.c.Q. n’a fait l’objet que de peu de jurisprudence à ce jour. La notion de « violence subie pendant l’enfance » n’est pas définie. En adoptant cette disposition, l’objectif du législateur était de lever des obstacles juridiques pour les victimes de certains types de violence, considérant la réalité particulière de situations où la prise de conscience du préjudice par le survivant peut prendre plusieurs années et le fait d’entreprendre des démarches contre l’agresseur est difficile à réaliser[136].
[246] La Cour supérieure dans l’affaire L. W. c. D. W. a eu l’occasion d’ébaucher les contours du concept de « violence subie pendant l’enfance » retrouvé à l’article 2926.1 C.c.Q. L’honorable juge Pierre-C. Gagnon y indique que la violence peut être de nature physique, psychologique, sexuelle et même économique[137]. Interprétant les termes « pendant l’enfance », il conclut qu’en principe, la violence subie pendant l’enfance au sens de l’article 2926.1 C.c.Q. est celle subie par une personne qui n’a pas encore atteint l’âge de la majorité, soit 18 ans[138]. Le juge précise qu’au-delà de cette période d’imprescriptibilité, une partie conserve la possibilité de plaider une suspension de la prescription au sens de l’article 2904 C.c.Q.[139]
[247] Le Tribunal souscrit à ces commentaires, en ajoutant que le législateur n’ayant pas restreint le concept de « violence subie pendant l’enfance », il faut lui donner une interprétation souple afin de favoriser l’accomplissement de l’objet de la loi[140].
[248] À ce sujet, il faut souligner qu’au courant des dernières années, la société a développé une sensibilité accrue face au problème de la violence familiale, incluant celle envers les enfants. La modification de la Loi sur le divorce[141] adoptée en 2021 a d’ailleurs introduit une définition à ce sujet ainsi que les facteurs à considérer. Parmi ceci, on retrouve la notion d’une conduite qui dénote, par son effet cumulatif, un comportement coercitif et dominant exposant un enfant à de mauvais traitements psychologiques ou à une crainte pour sa sécurité ou celle de son entourage, sans pour autant exiger un abus physique ou une infraction de nature criminelle[142].
[249] L’ensemble de ces considérants militent pour une interprétation large et libérale de l’article 2926.1 C.c.Q. rendant imprescriptibles les actions civiles alléguant un préjudice corporel résultant de la « violence subie pendant l’enfance ». En effet, il faut conclure que le législateur a souhaité offrir un meilleur accès à la justice pour toute situation de violence mettant en relief un abus par rapport aux intérêts de l’enfant, âgé de moins de 18 ans, lequel est alors par essence dans un état de vulnérabilité.
[250] Appliquant ces principes au présent dossier, les défendeurs peuvent donc être poursuivis pour les diverses manifestations du préjudice corporel des demanderesses subi jusqu’à leur majorité, résultant du travail forcé ou de la violence psychologique et sexuelle reconnue en l’espèce comme des fautes par le Tribunal. Tel qu’expliqué ci-avant, la plupart de la violence subie par les demanderesses a eu lieu pendant cette période[143], quoique la prescription courrait à compter de 2006 quand elles sont devenues majeures.
[251] Il faut préciser que si l’imprescriptibilité de l’article 2926.1 C.c.Q. ne s’étend pas aux actes des défendeurs commis après que les demanderesses aient atteint 18 ans, les séquelles persistant à ce jour et découlant directement de la violence « pendant l’enfance » peuvent néanmoins faire l’objet d’une compensation.
- L’impossibilité en fait d’agir
[252] Or, en marge des arguments relatifs à l’article 2926.1 C.c.Q., les demanderesses bénéficient aussi d’une suspension de la prescription.
[253] En effet, même s’il fallait conclure que la cause d’action des demanderesses était assujettie au délai de prescription de trois ans, en tout ou en partie, le Tribunal estime que la preuve soutient l’existence d’une impossibilité en fait d’agir, minimalement jusqu’en 2016 pour M… et jusqu’en 2017 pour J…, de sorte que leurs recours respectifs intentés en 2018 ne sont pas prescrits.
[254] Cette conclusion est soutenue par la preuve prépondérante, dont l’opinion des experts.
[255] Avant d’élaborer à ce sujet, il convient d’ouvrir une parenthèse pour mentionner qu’il est plutôt difficile d’appliquer dans le présent dossier la règle de la première manifestation du préjudice prévue à l’article 2926 C.c.Q., car le préjudice corporel ou moral s’est exprimé ici sous plusieurs formes, dont certaines manifestations sont survenues dans l’enfance et d’autres subséquemment. Cela n’est pas surprenant, notamment pour le préjudice de nature psychologique, dont l’association à une faute et un défendeur peut prendre quelque temps à réaliser. À tout événement, il n’est pas utile de se livrer à l’exercice de découpage théorique des différents symptômes des demanderesses au fil du temps, vu la conclusion sur l’impossibilité en fait d’agir.
[256] Dans le cas de M…, le Tribunal conclut que sa condition psychologique ne lui permettait pas d’intenter un recours judiciaire envers les défendeurs avant la mi-2016, dans le scénario le plus favorable à ces derniers.
[257] C’est en février 2016 que M… débute une thérapie avec Mme Léger, dans un contexte de violence conjugale. Cet aspect est le premier motif de consultation et M… explique que bien qu’au fil des consultations la psychologue évoque la dysfonction familiale vécue dans l’enfance, elle n’est pas prête à discuter de ce sujet ni en mesure d’assimiler l’information. C’est environ six mois après le début des consultations qu’elle commence à faire des liens entre son enfance et ses difficultés[144].
[258] Cette prise de conscience graduelle aboutit avec une demande pour changer son nom de famille, qui sera acceptée en août 2017, M… ne voulant plus porter le nom de son père.
[259] Tel que le décrit Barnis dans son expertise, cette étape mène à un état de choc pour M…[145]. Même si elle se sent « validée » dans la démarche de changement de nom, cela emporte des symptômes psychologiques et un diagnostic de dépression majeure en octobre 2017[146], qui mènera à un arrêt médical.
[260] Dans son rapport et son témoignage, Barnis explique le phénomène par lequel, via un processus de dissociation et de dépersonnalisation, le début et l’expression de certains symptômes associés aux violences de l’enfance furent immédiats, tandis que d’autres ainsi que leur compréhension furent retardés dans le temps[147]. L’expert relate comment les mécanismes de défense de M… ont répondu à un « besoin d’oublier le cauchemar de son enfance »[148] pour lui permettre d’avancer dans la vie. Si certains symptômes étaient évidents dès l’enfance, comme la peur des accidents de la route, d’autres furent enfouis dans sa mémoire et ont resurgi par la suite.
[261] Autrement dit, c’est le contrôle exercé par les défendeurs pendant plusieurs années et la difficulté pour M… de déceler l’abus résultant d’une éducation marquée de violence, qui est à l’origine de cette emprise psychologique.
[262] Le Tribunal retient de l’ensemble de cette preuve que c’est la crainte inspirée par les défendeurs qui a maintenu M… dans un état psychologique d’impossibilité d’agir, jusqu’à ce que le processus de thérapie lui permette de prendre conscience de la maltraitance vécue dans l’enfance et de reconnaître les manquements des défendeurs à ce sujet.
[263] Il est vrai qu’en novembre 2014, M… avait dénoncé la conduite des défendeurs au sein de sa famille, décidant de rompre les contacts avec ses parents. Or, à cette période, la démarche de M… mène son frère F… à lui faire des menaces de mort. Bien que le message n’est pas produit en preuve, la situation est jugée suffisamment grave pour mener à une intervention policière envers F…[149]. Selon M…, son frère Ma… la somme de se taire quant aux gestes de ses parents. Dans ce contexte, M… craint des enjeux associés à une plainte criminelle.
[264] Le Tribunal estime que cette situation familiale pour le moins tendue a maintenu M… dans un état d’impossibilité en fait d’agir, alors qu’elle demeure dominée par la crainte inspirée par sa famille, dont ses frères qui sont fortement associés aux défendeurs, par osmose familiale. Ce n’est qu’éventuellement, après l’aide apportée par une thérapie à compter de 2016, que M… pourra vaincre cette crainte et prendre action contre les défendeurs.
[265] Certains éléments de la preuve suggèrent même que M… aurait pu être dans l’impossibilité d’agir jusqu’à la fin 2017 ou au début 2018[150], suivant sa dépression majeure laquelle, au moment de l’évaluation de Barnis, « l’empêche de fonctionner sur toutes les sphères de sa vie »[151].
[266] À tout événement, même en retenant que M… connaissait dès 2016 les éléments essentiels de sa cause d’action contre les défendeurs et aurait pu entreprendre un recours judiciaire dès ce moment, son action intentée en 2018 n’est pas prescrite.
[267] En ce qui concerne J…, le Tribunal conclut que la preuve démontre une impossibilité en fait d’agir minimalement jusqu’en 2017.
[268] Quand M… dénonce ses parents au niveau familial en novembre 2014, J… subit elle aussi des pressions de la part de ses frères. En particulier, F… lui dit que si elle reparle à M…, il va tuer son chien, mentionnant à J… qu’en tant que jumelles, sa sœur et elle sont « la même personne ». J… témoigne que cette situation anxiogène alimente la crainte de l’opprobre de ses parents, vu la façon dont M… fut écartée de la famille.
[269] En 2015, J… donne naissance à une petite fille et constate un sentiment de surprotection à son endroit. Ceci l’incite à consulter et à revivre, au fil des années, certains événements passés[152]. Tel que mentionné, après avoir présenté trois demandes de prestations à l’IVAC en lien avec divers épisodes d’agressions sexuelles, J… débute un suivi en psychothérapie avec Mme Gauthier en août 2016[153]. Initialement, le milieu familial dysfonctionnel n’est pas discuté, car J… ne se sent pas prête pour explorer ce sujet. Elle débute donc par l’aspect qu’elle qualifie de « moins souffrant », soit les agressions sexuelles.
[270] Tel que le souligne le psychiatre Dr Nowakowski, la peur de l’abandon est très présente chez J…[154], notamment face aux défendeurs. Entre janvier 2017 et août 2018[155], J… effectue des démarches graduelles dans le cadre d’un suivi thérapeutique pour venir à comprendre que la responsabilité de sa souffrance est en lien avec sa famille, ainsi que pour s’affranchir de la crainte de représailles si elle dénonce ses parents.
[271] À titre d’exemples, dans le cadre de sa thérapie avec Mme Gauthier, le dossier indique en janvier 2017 que J… mentionne avoir des « flashbacks » de son enfance, en précisant que son père était inadéquat[156]. Elle souhaite couper les ponts avec ses parents, mais s’en sent incapable et se dit en perte de contrôle. En mai 2017, elle fait plusieurs prises de conscience et elle a l’impression « de remettre ensemble les morceaux du casse-tête de sa vie »[157]. Elle vit encore beaucoup de souffrance en lien avec sa famille.
[272] Le cheminement psychologique est difficile pour J… et sa détresse la porte à faire une tentative de suicide en septembre 2017[158]. Dans le cadre de son hospitalisation, on note qu’elle fait des crises dissociatives où elle a l’impression d’être à côté de son corps[159].
[273] En novembre 2017, J… est référée aux psychologues Mme Gareau[160] et Mme Mongeau. Elle est alors submergée par des émotions conflictuelles, cherchant à distinguer la réalité des représentations faites par les défendeurs. Le dossier reflète que, par l’entremise de mécanismes de défense, J… a internalisé le discours critique de ses parents. Il est noté qu’elle n’a pas fait le deuil de sa famille et doit « intégrer au plan émotif la différence entre ce qu’ont dit ses parents à son sujet et la réalité »[161].
[274] L’ensemble de cette preuve mène le Tribunal à conclure que, jusqu’à la fin 2017 à tout le moins, J… est encore sous l’emprise psychologique des défendeurs, constituant une impossibilité en fait d’agir à leur encontre.
[275] Rappelons qu’entre 2010 et 2014, J… réside dans un bloc-appartements détenu par ses parents et, vu certaines contraintes financières, elle continue de travailler pour eux jusqu’en 2014. Les commentaires de la famille envers J…, après la dénonciation de M… à la fin 2014, provoquent la crainte qu’elle soit mise à l’écart. Quand J… rapporte à sa famille les gestes sexuels de son cousin survenus dans le passé, on refuse de la croire, Madame Le… lui suggérant même de pointer d’autres agresseurs potentiels. Ce n’est qu’à travers une thérapie de plusieurs mois que J… pourra se libérer de la peur de s’aliéner ses parents.
[276] La complexité psychologique de cette situation explique le délai que prendra J… avant de cesser tout contact avec ses parents, ce qu’elle fera finalement vers octobre 2018. D’ailleurs, en août 2018, lors d’une admission à un centre de crise en raison d’idéation suicidaire[162], on note que J… est toujours ambivalente sur l’idée de dénoncer ses parents.
[277] Vu ce qui précède, le Tribunal conclut que le recours judiciaire intenté par J… contre les défendeurs en décembre 2018 n’est pas prescrit.
[278] Le Tribunal précise que les conclusions sur l’impossibilité en fait d’agir s’appliquent sans aucun doute à la réclamation des demanderesses pour la violence psychologique et sexuelle reconnue par ce jugement, car par sa nature intrinsèque ce type de violence peut prendre plusieurs années à être identifiée par celles ou ceux qui l’ont vécue.
[279] Par ailleurs, il convient d’ajouter quelques commentaires sur l’aspect du travail forcé, vu ses particularités. En effet, les défendeurs suggèrent que puisque M… a cessé le travail pour les défendeurs en 2010, et J… en 2014, ceci relevant de faits aisément identifiables, leur réclamation à ce sujet est prescrite. Or, le Tribunal ne partage pas ce point de vue.
[280] D’une part, le Tribunal est d’opinion que la demande en lien avec les dommages associés au travail pendant l’enfance n’est pas prescrite, car cet aspect est inclus dans le préjudice corporel résultant de la « violence subie pendant l’enfance », entendue au sens large, rendant une telle action imprescriptible pour les événements survenus avant la majorité des demanderesses[163]. En effet, une telle conclusion s’impose, peu importe que l’on qualifie le travail forcé en l’espèce de violence économique comme une mise à profit au détriment des intérêts des enfants, ou plus généralement comme une forme de violence psychologique dépassant leurs capacités.
[281] D’autre part, en marge du raisonnement précédent, il faut rappeler que le travail terminé en 2010 pour M… et en 2014 pour J… fut longtemps perçu par les demanderesses elles-mêmes comme « normal », vu les idées véhiculées par les défendeurs, ceux-ci les gardant sous leur emprise par un contrôle coercitif[164]. Au procès, les défendeurs croient d’ailleurs toujours qu’il n’y avait pas de problématique à cet égard. Le travail forcé étant si intimement lié à la dynamique familiale, il est justifié de conclure que l’impossibilité d’agir incluait cet aspect jusqu’à ce que les demanderesses prennent conscience de son caractère abusif, via leur thérapie intentée en 2016, et puissent s’affranchir de la crainte de leurs parents afin d’entreprendre une action civile contre eux.
[282] En d’autres mots, l’emprise psychologique exercée par les défendeurs auprès des demanderesses, dont elles se sont libérées seulement en 2016 pour M… et au mieux en 2017 pour J…, mène à conclure que leurs recours entrepris en 2018 ne sont pas prescrits.
[283] Intenter des procédures judiciaires n’est pas une sinécure et cela entraîne son lot de défis et d’émotions, encore davantage pour une histoire comme celle-ci.
[284] La preuve a révélé que les demanderesses ont vécu une enfance dans un climat dysfonctionnel impliquant de la maltraitance. Le Tribunal réitère qu’il s’agit d’un cas particulier, où le contexte est primordial. Si des incidents regrettables peuvent parfois survenir dans la plupart des familles, il y a ici une accumulation de violences dans la durée qui justifie la conclusion de manquements fautifs de la part des défendeurs et qui appuie la compensation accordée. On devrait toutefois se garder de toute généralisation inappropriée, ce jugement étant ancré dans des faits précis.
[285] Si le passé ne peut être effacé, le Tribunal espère que ce jugement contribuera au besoin de réparation recherché par les demanderesses et leur permettra de continuer leur chemin avec courage.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dossier 700-17-015405-185
[286] ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance de la demanderesse M… L…;
[287] CONDAMNE les défendeurs à payer solidairement à la demanderesse M… L… la somme de 100 000$ à titre de dommages non pécuniaires, avec intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de l’assignation;
[288] CONDAMNE les défendeurs à payer solidairement à la demanderesse M… L… la somme de 5 364,76$ à titre de dommages pécuniaires, avec intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du présent jugement;
[289] CONDAMNE D… La… à payer la somme de 10 000$ à titre de dommages punitifs à la demanderesse M… L…, avec intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du présent jugement;
[290] LE TOUT avec frais de justice, y compris les frais d’expertise à préciser.
Dossier 700-17-015798-183
[291] ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance de la demanderesse J… La…;
[292] CONDAMNE les défendeurs à payer solidairement à la demanderesse J… La… la somme de 100 000$ à titre de dommages non pécuniaires, avec intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de l’assignation;
[293] CONDAMNE D… La… à payer la somme de 10 000$ à titre de dommages punitifs à la demanderesse J… La…, avec intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du présent jugement;
[294] LE TOUT avec frais de justice, y compris les frais d’expertise de 2 000$.
| __________________________________DAVID E. ROBERGE, j.c.s. | |
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Me Sabrina Rocheleau Me Vanessa Annunzi Le Palier Juridique Inc. | ||
Avocates de M… L… | ||
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Me Sarah-Jeanne Dubé-Mercure | ||
Le Cabinet M | ||
Avocate de J… La…
Me Guillaume Phaneuf Phaneuf Légal Inc. Avocat des défendeurs
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Dates d’audience : | Les 8, 9, 10 et 11 janvier 2024 (Derniers commentaires sur le jugement Droit de la famille – 24915 (2024 QCCA 767) reçus le 19 juillet 2024) | |
[1] Comme il sera expliqué ci-après, M… a légalement changé son nom de famille en 2017. Afin d’alléger la lecture du présent jugement, le Tribunal réfère aux parties par leur seul prénom, sauf pour les défendeurs; il ne faudrait y voir aucun manque de courtoisie.
[2] Pièce PF-9.
[3] Pièce PF-7.
[4] Témoignage de M….
[5] Pièce PF-5.
[6] Pièce D-9.
[7] Pièces D-1 à D-8.
[8] Témoignage de J….
[9] Pièce PZ-1, p. 44.
[10] Pièce PZ-2.
[11] Pièce PZ-5.
[12] Pièce PF-6.
[13] A.B. c. Leblanc, 2017 QCCS 1849.
[14] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Barnis, 2021 QCCDPSY 13. Monsieur Barnis a indiqué avoir été radié pour une période de trois mois, après quoi il a choisi de ne pas se réinscrire à l’OPQ et a quitté le Canada.
[15] Pièce D-12.
[16] Pièce PF-4, p. 12.
[17] Supra note 14.
[18] Pièce PF-4, p. 3 et 12. Témoignage de Barnis.
[19] Pièce PZ-8. Il appert que Dr Nowakowski a également rédigé une expertise aux fins des réclamations de l’IVAC, dont le Tribunal n’a pas cependant obtenu copie.
[20] Pièce PZ-8, p. 30, paragr. 11-12 et p. 34.
[21] Art. 599 C.c.Q.
[22] RLRQ, c. P-34.1.
[23] RLRQ, c. N-1.1.
[24] Voir notamment : Hydro-Québec c. Surma, 2001 CanLII 16861 (QC CA), paragr. 41.
[25] Interrogatoire hors Cour de Monsieur La… (8 janvier 2020), pièce PZ-10, p. 35.
[26] L’adage « qui ne dit mot consent » n’a aucune valeur juridique, les tribunaux se montrant généralement exigeants avant de conclure à un consentement tacite : pour une illustration, voir Boudreault c. Grenon, 2014 QCCQ 13459, paragr. 47-48.
[27] L.W. c. D.W., 2022 QCCS 1728, paragr. 367-368, 431 et 461.
[28] Par exemple, voir Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, paragr. 21; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, paragr. 24.
[29] RLRQ, c. C-12 (ci-après la Charte québécoise).
[30] 2024 QCCA 767.
[31] Id., paragr. 78 et 111.
[32] Id., paragr. 79. Voir aussi le paragr. 111.
[33] Id., paragr. 80.
[34] Supra note 28.
[35] Art. 2803 C.c.Q.
[36] Art. 2804 C.c.Q.
[37] Pièces PF-3 et PZ-12.
[38] Exposé sommaire des motifs de défense oraux, daté du 11 décembre 2019.
[39] Droit de la famille - 20695, 2020 QCCS 1598, paragr. 52.
[40] La L.n.t. ne précise pas la notion d’ « enfant », mais selon l’interprétation courante, il s’agit d’une personne de moins de 18 ans.
[41] Art. 84.2 L.n.t. Le libellé actuel fut adopté en 1999, la version initiale datant de 1997.
[42] Art. 84.3 L.n.t. Cette règle dont la première mouture fut proposée en 1997 a été resserrée depuis juin 2023, pour ajouter que le travail d’un enfant de moins de 14 ans doit être limité aux « cas et conditions déterminés par règlement du gouvernement » et que doivent être précisés via un formulaire officiel les tâches principales et le nombre maximal d’heures de travail par semaine de l’enfant.
[43] Art. 84.6 et 84.7 L.n.t. Le Règlement sur les normes du travail (RLRQ, c. N-1.1, r. 3) prévoit aussi des exceptions pour le travail de nuit de l’enfant agissant à titre de créateur ou d’interprète dans le domaine artistique, ou celui qui effectue du travail dans une colonie de vacances.
[44] M… concède que sa mère arrêtait parfois au dépanneur pour qu’elle puisse uriner.
[45] Ma… a lui aussi témoigné que, lorsqu’il tente la livraison avec ses parents vers 8 ans, l’odeur d’encre lui donne la nausée et qu’il n’a plus répété l’expérience avant 12 ou 13 ans.
[46] Les termes “jamais” se retrouvent utilisés à plusieurs reprises dans l’Exposé sommaire des motifs de défense oraux, notamment aux paragr. 34 et 57.
[47] À titre d’illustration, Monsieur La… lors de son interrogatoire hors Cour du 8 janvier 2020 est particulièrement imprécis, expliquant son manque de souvenirs puisque « ça fait longtemps » (pièce PZ-10, p. 25-26).
[48] Témoignages des demanderesses, de Madame Le…, F… et Jo…. Ces mêmes témoins confirment aussi généralement les paramètres des heures de livraison des journaux.
[49] Témoignage de F….
[50] En marge du fait que G… est plus âgée, Madame Le… reconnaît qu’il y avait une centaine de portes à livrer au moment où G… débute le travail, ceci augmentant avec le temps, ce qui est en contraste marqué par rapport aux 300 clients à servir à l’époque des demanderesses.
[51] Pour un résumé récent de la notion de « contrôle coercitif » par la Cour supérieure, voir : Droit de la famille — 24291, 2024 QCCS 1392, paragr. 72-75.
[52] Jo… et Ma… reconnaîtront que le travail est exigeant.
[53] Entre autres, Jo… admet que la cadence de travail le fatiguait et Madame Le… reconnaîtra aussi en contre-interrogatoire que les enfants sont fatigués à la fin des livraisons.
[54] Art. 38 al. 2, paragr. c) L.p.j. Cette règle a été initialement adoptée en 1977, alors qu’on référait alors à « un travail disproportionné à ses forces »; le libellé actuel à ce sujet a été adopté en 1984.
[55] Art. 38 al. 2, paragr. b) L.p.j.
[56] En particulier, Madame Le… l’admet.
[57] Bien que F…, qui ne livre les journaux que rarement, affirme que son père a une conduite « exemplaire », Jo… reconnaît que son père conduit vite, fait des « stops » rapidement et qu’il survient des sorties de route (dont une où la voiture se retrouve prise dans le fossé).
[58] Jo…, qui aurait effectué le plus de livraisons après les demanderesses, témoigne de son expérience et corrobore l’habillement d’hiver et les engelures décrites par celles-ci.
[59] Pièce PF-4, p. 10.
[60] Pièce PZ-8, p. 29-30, paragr. 8-9.
[61] À titre d’illustration, la Cour supérieure a déjà conclu dans Droit de la famille - 20695, supra note 39, qu’une mère était bien fondée de s’opposer au travail de deux enfants de 11 et 13 ans imposé par le père sur une ferme, de jour, pendant l’été, tant que les enfants n’auraient pas atteint 14 ans.
[62] Exposé sommaire des moyens de défense, paragr. 47.
[63] Pièce PZ-11, p. 45.
[64] Bien que M… témoigne que son père pouvait aussi donner des coups à A…, dans ce qu’elle appelle « la traversée », J… ne semble pas avoir souvenir de cet aspect. La preuve ne permet pas d’établir de façon prépondérante l’existence de violence physique envers A….
[65] Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 RCS 76.
[66] Boisvert c. R., 2022 QCCA 469, paragr. 23.
[67] Par exemple, voir : pièce PZ-2; pièce PZ-4, p. 22; pièce PZ-5; pièce PZ-7, p. 2 et 7.
[68] Art. 38 al. 2, paragr. c) L.p.j.
[69] Paragr. 77-78 du présent jugement.
[70] Pièce PF-4, p. 2.
[71] Pièce PF-4, p. 5 et 7. Il est cependant inexact pour Barnis d’écrire que le père de M… la battait très souvent, celle-ci ayant reconnu que ce n’était pas le cas. La référence à de nombreux accidents de voiture porte aussi à confusion, M… ayant nuancé qu’il n’y avait pas eu de blessure corporelle.
[72] Pièce PF-4, p. 9.
[73] Pièce PZ-8, p. 23.
[74] Pièce PZ-8, p. 24.
[75] Pièce PZ-8, p. 27. Lors de son témoignage en présence de ses parents, A… s’exprimera à plusieurs reprises sur cette modalité, elle qui demeure encore avec les défendeurs.
[76] Pièce PZ-8, p. 24.
[77] Pièce PZ-8, p. 20.
[78] Art. 38 al. 2, paragr. d) L.p.j.
[79] Interrogatoire hors Cour de Monsieur La… (8 janvier 2020), pièce PZ-10, p. 41-42.
[80] Ma… précisera que son père avait l’habitude d’écouter le « Doc Mailloux » à la radio, lequel avait un discours « assez cru », et pouvait lui-même commenter le physique des femmes, avec des termes dérogatoires que le Tribunal n’estime pas utile de reprendre ici.
[81] Mustapha c. Culligan du Canada Ltée, 2008 CSC 27, paragr. 9.
[82] P. Deslauriers et E. Préville-Ratelle, « Le préjudice » dans Collection de droit 2023-2024, École du Barreau du Québec, vol. 5, Responsabilité, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2023, p. 201.
[83] Succession de G.P. c. L.P., 2019 QCCA 863, paragr. 27, citant Snell c. Farrell, [1990] 2 RCS 311.
[84] St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, paragr. 110.
[85] Pièce PF-4, p. 12.
[86] Pièce PF-4, p. 10.
[87] Paragr. 51 du présent jugement.
[88] Pièce PF-4, p. 3.
[89] Pièce PF-4, p. 5 à 11.
[90] Pièce PF-4, p. 9.
[91] Pièce PF-4, p. 10.
[92] Pièce PF-4, p. 12. Lors de son témoignage, Barnis indique que lorsqu’il tire sa conclusion face à M…, il considère « sa vie personnelle et familiale dans sa globalité ».
[93] R. c. Abbey, [1982] 2 RCS 24.
[94] Pièces PZ-2 et PZ-5. Des extraits des dossiers de Mme Gauthier et Mme Gareau sont d’ailleurs cités dans le rapport d’expertise de Dr Nowakowski.
[95] Paragr. 27 du présent jugement.
[96] Pièce PZ-2.
[97] Il appert que Dr Nowakowski a produit une expertise aux fins des réclamations de l’IVAC, dont le Tribunal n’a pas cependant obtenu copie.
[98] Pièce PZ-8, p. 30, paragr. 11-12 et p. 34.
[99] Pièce PZ-8, p. 31-32, paragr. 14-16.
[100] Pièce PZ-8, p. 23 et p. 30, paragr. 10.
[101] Pièce PZ-8, p. 22. La description de J… quant aux agressions dénoncées à l’IVAC se retrouve aux pages 2-3 de la pièce PZ-8.
[102] Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, paragr. 105-106 (Cinar Corporation).
[103] Supra note 30.
[104] Id., paragr. 108-110.
[105] Pièce PF-4, p. 9 à 11. Quant aux douleurs au dos dont se plaint M…, la preuve ne permet pas de les associer au travail de livraison fait pendant l’enfance.
[106] Voir notamment pièce PZ-8, p. 15, p. 23 et p. 30.
[107] Pièce PZ-3, p. 231 et suivantes.
[108] Pièce PZ-8, p. 35.
[109] Pièce PZ-8, p. 33, paragr. 22.
[110] Dr Nowakoswki rapporte que le barème de l’American Medical Association ne permet pas d’évaluer les troubles de personnalité. Selon le barème de la SAAQ, un résultat de 41-50 à l’Évaluation globale du fonctionnement (EGF) correspond à une gravité de classe 4, soit 35%.
[111] Pièces PF-3 et PZ-12.
[112] Pièce PF-1.
[113] En contre-interrogatoire, les défendeurs admettent que les montants décrits dans leur Exposé sommaire des moyens de défense du 11 décembre 2019 (résumés au paragr. 85 du présent jugement) l’ont été de mémoire, après discussion ensemble, en l’absence de fiche de salaires contemporaine aux événements. Pour leur part, les demanderesses ont effectué leurs estimations individuellement.
[114] Art. 1493 C.c.Q.
[115] Paragr. 115 et 116 du jugement.
[116] Il est à noter que la jurisprudence fournie par les demanderesses et qui accorde des montants plus élevés implique des agressions sexuelles par la partie défenderesse, un aspect absent du présent dossier.
[117] Art. 1526 C.c.Q.
[118] Montréal (Ville) c. Lonardi, 2018 CSC 29, paragr. 57 et 74.
[119] Art. 600 C.c.Q.
[120] Cinar Corporation, supra note 102, paragr. 126.
[121] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211.
[122] Cinar Corporation, supra note 102, paragr. 120; Boyer c. Loto-Québec, 2017 QCCA 951, paragr. 29
[123] Supra note 29.
[124] Fortier c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 1426, paragr. 97, citant Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, supra note 121.
[125] Pièces PF-7 et PF-8.
[126] Pièce PF-9. M… réclame seulement la portion des frais non remboursée par ses assurances.
[127] Pièce PZ-11. Dans le dossier de M…, le Tribunal n’a pas obtenu la facture de l’expert Barnis, dont les honoraires demeurent à déterminer à titre de frais de justice.
[128] Art. 2925 C.c.Q.
[129] Voir notamment : Laniel Supérieur inc. c. Régie des alcools, des courses et des jeux, 2019 QCCA 753, paragr. 41; Pelletier c. Demers, 2021 QCCA 252, paragr. 33.
[130] Art. 2926 C.c.Q.
[131] [1988] 2 RCS 3.
[132] L’article 2904 C.c.Q. ne reprend pas le qualificatif d’impossibilité « absolue », qui était prévu à l’article 2232 du Code civil du Bas-Canada.
[133] Catudal c. Borduas, 2006 QCCA 1090, paragr. 72-73 (demande d’autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême); Luft c. Greif (Succession de Magien), 2021 QCCA 1387, paragr. 33-35 (demande d’autorisation d’appel rejetée par la Cour suprême).
[134] Loi modifiant le Code civil pour notamment rendre imprescriptibles les actions civiles en matière d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale, L.Q. 2020, c. 13. Le texte de l’article 2926.1 C.c.Q. a été de nouveau quelque peu modifié en juin 2022, sans que cela ait une incidence sur les questions soulevées par le présent dossier.
[135] Ibid, art. 4.
[136] Communiqué du Cabinet de la ministre de la Justice et Procureure générale du Québec relativement à l’adoption du projet de loi no 55, daté du 12 juin 2020 : en ligne - Adoption du projet de loi n° 55 - Les victimes entendues : les actions civiles en matière d'agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l'enfance et de violence conjugale désormais imprescriptibles (newswire.ca).
[137] L.W. c. D.W., supra note 27, paragr. 277.
[138] Id., paragr. 278-288.
[139] Id., paragr. 289.
[140] Art. 41 de la Loi d’interprétation, RLRQ c. I-16.
[141] L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.).
[142] Articles 2(1) et 16(4) de la Loi sur le divorce, précitée.
[143] Paragr. 206 du présent jugement.
[144] Témoignage de M….
[145] Pièce PF-4, p. 10-11.
[146] Pièce PF-5.
[147] Pièce PF-4, p. 12.
[148] Pièce PF-4, p. 11.
[149] F… reconnaît en contre-interrogatoire avoir envoyé un message à M…, dont il cherche à banaliser la teneur, mais ayant toutefois mené les policiers à le rencontrer.
[150] M… explique qu’après son diagnostic de dépression majeure en octobre 2017, elle restera quatre mois dans son lit, incapable de faire quoi que ce soit.
[151] Pièce PF-4, p. 10.
[152] Dr Nowakowski reprend cet aspect dans son rapport : pièce PZ-2, p. 22.
[153] Pièce PZ-2.
[154] Pièce PZ-8, p. 31, paragr. 14.
[155] Pièce PZ-2 (janvier, mai et septembre 2017); pièce PZ-3, p. 60 (février 2017); pièce PZ-5, p. 1 (mars 2018); pièce PZ-6, p. 7 (août 2018).
[156] Extrait rapporté à la pièce PZ-8, p. 8.
[157] Extrait rapporté à la pièce PZ-8, p. 9.
[158] Pièce PZ-3, p. 230.
[159] Pièce PZ-8, p. 11.
[160] Pièce PZ-5.
[161] Extrait rapporté à la pièce PZ-8, p. 13.
[162] Pièce PZ-6.
[163] Vu les faits de ce dossier et la conclusion du Tribunal relativement à une impossibilité en fait d’agir des demanderesses, il n’est pas requis d’évaluer si la personne mineure de 14 ans et plus, autorisée à travailler selon les exigences de l’art. 84.3 L.n.t., et qui subit de la violence dans le cadre de son emploi, bénéficie de l’imprescriptibilité de l’article 2926.1 C.c.Q. Cette question demeure ouverte.
[164] Par exemple, J… a voulu arrêter la livraison mais vu les objections de son père, elle s’est sentie obligée de poursuivre, « en partie pour se faire aimer et en partie par peur de son père » : pièce PZ-8, p. 20.
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