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Gabarit EDJ

École musulmane de Montréal c. Benhabib

2016 QCCS 6067

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

N° :

500-17-072432-126

 

 

 

DATE :

13 décembre 2016

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CAROLE HALLÉE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

ÉCOLE MUSULMANE DE MONTRÉAL

Demanderesse

 

c.

 

DJEMILA BENHABIB

Défenderesse

 

 


 

TABLE DES MATIÈRES

I....... INTRODUCTION.. 3

II...... CONTEXTE.. 3

Entrevue radiophonique. 5

III..... POSITION DES PARTIES.. 17

IV.... DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES.. 17

V..... QUESTIONS EN LITIGE.. 19

a)     Les propos tenus par Djemila Benhabib sont-ils diffamatoires?. 19

b)     La réputation de l’EMM est t-elle atteinte suite aux propos de Djemila Benhabib?. 19

c)      Dans l’affirmative, l’EMM a-t-elle droit à des dommages suite à l’atteinte à sa réputation?  19

VI.... OBJECTIONS PRISES SOUS RÉSERVE.. 19

VII... ANALYSE.. 20

a)     Les propos tenus par Djemila Benhabib sont-ils diffamatoires?.. 20

Liberté d’expression et droit à la réputation. 24

L’importance du contexte. 26

L’identité de l’auteur des propos en litige. 26

La qualification des propos en litige. 27

La notion d’intérêt public et la protection de la liberté d’expression. 29

Analyse des propos tenus par Djemila Benhabib. 30

Application des principes de droit au cas en l’espèce. 32

b)      La réputation de l’EMM est-elle atteinte suite aux propos de Djemila Benhabib   36

Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir 36

Témoignage de Ahmed Khebir 39

c) Dans l’affirmative, l’EMM a-t-elle droit à des dommages suite à l’atteinte à sa réputation?   41

La réclamation pour dommages moraux. 41

La réclamation pour dommages punitifs. 42

VIII.. CONCLUSION.. 43

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

I       INTRODUCTION

[1]          Après avoir critiqué en ondes l’École Musulmane de Montréal (« EMM »), de quel côté de la frontière s’est retrouvée Djemila Benhabib[1], celui de la diffamation ou de la liberté d’expression?

[2]          Djemila Benhabib est écrivaine, chroniqueuse, blogueuse, conférencière, militante et féministe. Depuis plusieurs années, elle critique sévèrement certains aspects de la pratique de la religion musulmane.

[3]          L’EMM est un organisme qui administre et opère une école confessionnelle musulmane de niveaux primaire et secondaire à Montréal.

[4]          L’EMM reproche à Djemila Benhabib d’avoir tenu le 8 février 2012 des propos diffamatoires à l’émission radiophonique Dutrizac, diffusée en semaine de midi à 15 h, sur la station 98,5 FM Cogeco.

[5]          L’EMM recherche une condamnation de 95 000 $ contre Djemila Benhabib :

Ø  60 000 $ pour dommages moraux;

Ø  35 000 $ pour dommages punitifs.

[6]          Ce litige met en cause la liberté d’expression à l’égard des comportements religieux au Québec.

II      CONTEXTE

[7]          Au mois de février 2012, une résidente de Montréal communique avec Djemila Benhabib afin de lui faire part de préoccupations relativement à l’enseignement prodigué par l’EMM qu’elle estime incompatible avec les valeurs d’intégration sociétales.

[8]          Cette interlocutrice transmet à Djemila Benhabib un dépliant promotionnel[2] reçu de l’EMM.

[9]          Djemila Benhabib note qu’on y cite le message religieux du Prophète (Saaws): «Vous êtes tous responsables et chacun sera interrogé sur sa responsabilité»[3].

[10]       Elle constate que la mission de l’EMM est décrite ainsi : « éduquer et inspirer toute une génération de jeunes qui atteignent l’excellence au plan scolaire tout en développant leur personnalité islamique et en établissant une relation solide avec Allah »[4].

[11]       Intéressée par le sujet soulevé, Djemila Benhabib visionne le site Internet de l’EMM[5] et parcourt les différentes rubriques. Elle lit cette fois que : « La mission des Écoles Musulmanes de Montréal est d’éduquer et inspirer une génération de jeunes femmes et de jeunes hommes pour atteindre l’excellence en éducation tout en développant leur personnalité islamique en établissant un rapport ferme avec Allah ».

[12]       Elle observe, tant sur le site Internet que dans le dépliant promotionnel de l’EMM, que les photos montrent des élèves arborant le voile islamique, et ce, quel que soit leur âge.

[13]       Toujours en naviguant sur le site Internet, Djemila Benhabib lit que l’EMM enseigne aux étudiants les sourates « L’Événement (Al-Waqi’a »)[6] et « Le Tout Miséricordieux (Ar-Rahman) » [7] qui selon elle ont un contenu sexuellement explicite, discriminatoire et violent.

[14]       Elle estime qu’il s’agit d’un enseignement inapproprié pour de jeunes enfants.

[15]       Djemila Benhabib connaît la technique de mémorisation et considère inacceptable que l’EMM expose des enfants au Québec à une telle littérature en 2012.

[16]       C’est dans ce contexte que le 7 février 2012 Djemila Benhabib écrit, sur son blogue publié dans le Journal de Montréal, un article sur l’enseignement islamique et le mandat des écoles religieuses[8].

[17]       Cet article reprend la page couverture du dépliant de l’EMM où on y décrit sa mission en établissant la relation avec Allah.

[18]        Le lendemain 8 février, une recherchiste de l’émission Dutrizac communique avec Djemila Benhabib afin de participer à une tribune téléphonique laquelle porterait sur son article.

[19]       Pour une meilleure compréhension, il convient de reproduire intégralement l’entrevue radiophonique[9] en y soulignant les passages litigieux. Une partie de cette entrevue inclut une conversation téléphonique entre la recherchiste de Dutrizac, madame Alexandra Marcoux, et la réceptionniste de l’EMM.

ENTREVUE RADIOPHONIQUE

 

8 FÉVRIER 2012

 

 

DUTRIZAC

98,5 FM

 

 

Les écoles musulmanes de Montréal recrutent.

 

Djemila Benhabib vient nous en parler

 

 

INTERVENANT

 

Benoît Dutrizac

 

 

INVITÉE

 

Djemila Benhabib

 

 

ÉMISSION DUTRIZAC SUR 98.5 FM

 

 

 

En ce huitième (8e) jour du mois de février, en l’an deux mille douze (2012) :

 

Les écoles musulmanes de Montréal recrutent.

 

Djemila Benhabib vient nous en parler.

 

(DÉBUT DE L’ENTREVUE)

 

PAR MONSIEUR BENOÎT DUTRIZAC

Ah! C’est un sujet, vous savez, ça me tente pas, mais il faut revenir là-dessus. Ce matin, je suis allé voir le blog de Djemila Benhabib qui a écrit Ma vie à contre-coran et les Soldats d’Allah de l’Occident. Djemila est avec nous. Bonjour, Djemila.

 

PAR MADAME DJEMILA BENHABIB

Bonjour.

 

PAR MONSIEUR BENOÎT DUTRIZAC

Bonjour. Alors là, je suis allé voir votre blog… ton blog plutôt, je veux pas te vouvoyer, ça me tente pas. C’est-tu correct?

 

PAR MADAME DJEMILA BENHABIB

C’est correct.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Okay. Merci. Et sur ton blog, Djemila, il y avait… tu parles des écoles musulmanes de Montréal…

 

PAR MADAME BENHABIB

Um-hum.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

... première école musulmane au Québec, et c’est une lectrice qui t’a envoyé ça?

 

PAR MADAME BENHABIB

Oui.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Comment… d’abord, pourquoi elle t’a… elle t’a appelée à commenter ou à regarder ce qui se passait à cette école musulmane?

 

PAR MADAME BENHABID

Bien, en fait, c’est une dame qui habite à Saint-Léonard et qui voit son environnement changer depuis quelques années. Et donc, elle m’a témoigné, en fait, de cette inquiétude qui la ronge depuis un certain nombre d’années. Et donc, parmi les éléments dont elle m’a parlé, il y avait cette école. Donc, je suis allée faire un tour sur le site Internet, puis, bon, j’ai découvert des petites surprises, euh, bon, qui se cachaient derrière le… derrière cette école, en fait…

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Et ces surprises, ça ressemble à quoi?

 

PAR MADAME BENHABIB

Bien, ces surprises, euh… ça ressemble à un endoctrinement digne d’un camp, euh, d’un camp militaire en Afghanistan ou au Pakistan. Je veux dire, il y a pas vraiment une grande différence à mon avis entre l’endoctrinement qu’on fait dans ces écoles à Montréal ou… ou que … ou que les écoles se passent, que ce soit au Pakistan ou en Afghanistan. Donc, c’est ça que c’était en soi.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Mais là, tu exagères un peu?

 

PAR MADAME BENHABIB

Bien écoute, ouais, bon, peut-être que je… que je force le trait, mais eu… les sourates, en fait, qui sont imposées aux enfants, et ce, dès … dès les premières années de l’école primaire, ont un caractère extrêmement violent et ont un caractère misogyne et sexiste. Donc…

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Parce que cette école, Djemila, il faut le préciser, s’adresse aux enfants d’âge préscolaire, primaire et secondaire. C’est ici à Montréal. Et il y avait des portes ouvertes le 22 janvier 2012. Et quand tu dis les sourates, d’abord les sourates, c’est quoi, c’est des…

 

PAR MADAME BENHABIB

Bon, c’est les… en fait, c’est les versets coraniques…

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Oui.

 

PAR MADAME BENHABIB

… c’est les versets coraniques qui constituent l’entité du Coran, donc voilà. Donc, le Coran, donc, est composé de versets coraniques et parmi tous ces versets coraniques, bon, il y en a qui sont extrêmement haineux, par exemple, à l’égard des non-croyants. Et parmi ces sourates-là qui sont extrêmement haineuses à l’égard des non-croyants, on en retrouve une qui se trouve justement sur le site et qui est enseignée aux enfants.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Et qui dit quoi?

 

PAR MADAME BENHABIB

Bien, qui dit, grosso modo, que, bon, les personnes qui ne croient pas en la résurrection vont être ébouillantées avec de l’eau chaude, ils vont être mis dans une fournaise, ils vont brûler.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Um - hum.

 

PAR MADAME BENHABIB

Enfin, que ces égarés ne méritent pas de … ne méritent pas le paradis. Et, par ailleurs, on décrit également le paradis, donc il est question de djinns, de houris, de défloration.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Hou!

 

PAR MADAME BENHABIB

Voilà. Donc, je ne pense pas que ce soit réellement un message… un message d’égalité, un message d’amour et un message d’humanité.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Pas tellement, non.

 

PAR MADAME BENHABIB

Voilà, qu’on transmet aux enfants surtout. Je vous le répète encore, ce sont des enfants extrêmement jeunes. Donc, parler de défloraison, je sais pas, moi, à un enfant qui six (6) ans ou qui a sept (7) ans, bon, je me demande si c’est convenable.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Hum. On va… nous, ce matin, Alexandra, ma recherchiste, a téléphoné à l’école. On va vous faire jouer l’entrevue, qui est tout à fait cordiale, et j’aimerais ça, Djemila que tu nous décodes ce qu’on a entendu. Voici l’extrait de l’appel de ce matin :

 

(DÉBUT DE L’ÉCOUTE DE LA CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE)

PAR LA RÉCEPTIONNISTE DE L’ÉCOLE

 

Écoles musulmanes… (inaudible)…

 

PAR ALEXANDRA MARCOUX

Oui, bonjour. J’appelle pour avoir de l’information à propos de votre école.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Votre enfant, il a quel âge?

 

PAR MADAME MARCOUX

C’est pas pour tout de suite. Ma file, elle a quatre (4) ans.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Um-hum.

 

PAR MADAME MARCOUX

On regardait peut-être pour l’année prochaine ou…

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui. Parce qu’elle doit avoir cinq (5) ans au mois de septembre.

 

PAR MADAME MARCOUX

Je voulais savoir qu’est-ce que vous offrez, parce que je suis un petit peu découragée des écoles dans mon quartier.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

…(rires) … Comme programme, c’est le programme du ministère, on suit le programme du ministère.

 

PAR MADAME MARCOUX

Um - hum.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

C’est-à-dire, tout ce qui a trait… il font beaucoup d’activités, c’est pas la maternelle… c’est pas juste des dodos et des activités de jeux, là.

 

PAR MADAME MARCOUX

Il y a de l’enseignement?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Il y a de l’enseignement. Et en plus, on a de l’arabe, on a de l’étude islamique et on a du Coran.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. À partir de la maternelle?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui, l’étude islamique et l’arabe.

 

PAR MADAME MARCOUX

À partir de la maternelle?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui, oui. C’est ça.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Parfait. Parce que ma fille ne parle pas arabe encore.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Il n’y a pas de problème. Elle va apprendre avec nous. Ça, c’est pas un obstacle.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Est-ce qu’il y a du temps pour la prière?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

À partir de la première année, à chaque jour, ils font la prière. Parce qu’on a une mosquée ici.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Parfait.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

À chaque jour, la prière. Puis avant qu’on fasse la prière de dohr, il y a une séance d’apprentissage de Coran par niveau.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Et ça, c’est fait par l’enseignant ou par…

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Ça, c’est pas… en classe. C’est par l’enseignant, bien sûr, mais à la mosquée, il y a le imam puis il y a les surveillants, les enseignants, on est tous là. On prend groupe par groupe.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Ils sont séparés par groupe.

 

PAR MADAME MARCOUX

Est-ce qu’il y a des activités à l’extérieur de l’école?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui. Ah oui, oui. On a des activités parascolaires, ils font des activités sportives, des… des fois des activités avec d’autres écoles, des matchs de soccer, de… vous voyez? On a beaucoup.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Même des activités, euh… la dernière fois, c’est comme des concours d’épellation, de maths, à travers d’autres écoles musulmanes aussi.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Et est-ce que les garçons et les filles sont séparés durant les activités sportives, s’il y a des…

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui. Oui.

 

PAR MADAME MARCOUX

Oui. Il y a combien d’étudiants?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Bien, on est à cent trente (130)

 

PAR MADAME MARCOUX

Ça, c’est pour le niveau primaire ou c’est jusqu’au secondaire?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Ça, c’est juste primaire, là.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Parfait.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Secondaire, c’est autre chose. Alors, on a du secondaire 1 à secondaire 5.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Et est-ce qu’il y a un code vestimentaire?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

À partir de la première année, ils ont un uniforme.

 

PAR MADAME MARCOUX

Okay. Et l’uniforme pour les filles, c’est quoi?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Bien, c’est une tunique bleue avec des… avec un chandail blanc puis des bas puis… En tout cas, c’est… c’est une tunique.

 

PAR MADAME MARCOUX

C’est comme les écoles privées. Est-ce qu’il y a un voile?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

À partir de la quatrième année.

 

PAR MADAME MARCOUX

La quatrième année?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui. Mais ils doivent avoir un voile à partir de la première année, bien sûr, par ce que quand ils rentrent à la mosquée, ils doivent avoir un voile.

 

PAR MADAME MARCOUX

Oui. Évidemment.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

C’est ça pour la prière.

 

PAR MADAME MARCOUX

Il y a des frais, j’imagine, par année?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Pour? Oui, oui, bien sûr. C’est pas gratuit, c’est une école privée. C’est deux mille trois cent vingt (2 320 $) par année.

 

PAR MADAME MARCOUX

Si, mon enfant, on n’est pas musulman, on n’est pas Arabe, est-ce qu’on peut l’envoyer pareil? Parce que…

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui, Madame. On avait déjà.. on avait déjà des non-musulmans ici qui fréquentaient notre école aussi. Oui, oui, il n’y a pas…

 

PAR MADAME MARCOUX

Ils suivent les cours comme les autres?

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

… de problème. Moi, j’en ai vu, là, des non-musulmans puis ils apprenaient l’arabe. Ils ont appris l’arabe mieux que … les Arabes.. (rires)…

 

PAR MADAME MARCOUX

Ah! C’est super. Bon, bien merci beaucoup.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Mais c’est vrai, j’en ai vu, là, deux (2) cas, c’était exceptionnel.

 

PAR MADAME MARCOUX

Ah! C’est parfait. Merci beaucoup.

 

PAR LA RÉCEPTIONNISTE

Oui, Okay. Ça fait plaisir, Madame.

 

PAR MADAME MARCOUX

Bye.

 

(FIN DE LA CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE DE RETOUR EN STUDIO)

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Alors, tout le monde est cordial, tout le monde est poli. Mais là, Djemila Benhabib, qu’est-ce que ça te dit, ça, ce programme ? On suit le programme du ministère, il y a des études islamiques, on apprend l’arabe. Il y a des séances d’apprentissage du Coran il y a aussi un code vestimentaire.

 

PAR MADAME BENHABIB

Bien écoutez, ça me dit qu’en est en train de … de fabriquer des militants intégristes qui vont revendiquer, d’ici quelques années, des accommodements et toutes sortes de choses farfelues; qu’on n’est pas en train de construire les citoyens de demain, bien au contraire. On est extrêmement loin de la citoyenneté, on est loin de toutes les valeurs qui sont propres à notre société. On est, comme je vous le disais tout à l’heure, peut-être quelque part en Afghanistan ou au Pakistan. Donc, je considère que, bon c’est extrêmement inquiétant. D’autant plus que, bon, il y a une très, très grande rigidité, il y a une séparation des sexes, il y a un apartheid sexuel. Il y a l’imposition du voile islamique. Enfin, ça ne me dit finalement rien de bon de ce qui se fait dans cette école.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Et il y a aussi, tu dis qu’on prépare la prochaine génération, mais il y a rien sur la citoyenneté, sur l’intégration, sur la société dans laquelle on vit. C’est comme si cette école était complètement à part et vivait à part au Québec.

 

PAR MADAME BENHABIB

Oui. Absolument. C’est une… c’est une excellente observation parce que, finalement, cette école est totalement désincarnée. Elle ne s’inscrit surtout pas dans le paysage politique québécois, elle n’a aucun ancrage dans la société québécoise. Elle est extrêmement loin des valeurs de notre société. Cette école, elle a pour modèle une autre société, c’est-à-dire une société où la séparation des sexes est de mise, où les femmes doivent baisser la tête et marcher derrière les hommes, où les enfants sont obligés de… d’apprendre des versets coraniques, et où probablement les hommes vont commettre des crimes d’honneur contre.. contre leur soeur. Donc, voilà de quelle façon, euh.. Tout le travail est fait en amont dans les écoles pourpour créer des catastrophes ambulantes dans les années à venir.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Et tout ça, c’est… quand on les prend jeunes comme ça, on coupe leur capacité de penser par eux-mêmes, d’analyser ce qu’on leur enseigne et de les ouvrir au monde?

 

PAR MADAME BENHABIB

Oui, bien sûr, parce que la mission principale de l’école, c’est précisément d’amener l’enfant à devenir élève, c’est-à-dire à avoir une capacité de discernement et surtout de devenir libre. C’est-à-dire, libre, c’est-à-dire qu’il pourra, demain, choisir; choisir entre les options qui vont s’offrir à lui et développer un esprit critique, un esprit également ouvert, de tolérance et ainsi de suite. Alors, vous voyez, dans cette conjoncture-là particulière qui existe dans cette école, il n’y a point de place à la critique, il n’y a point de place à la réflexion, il n’y a point de place au partage entre les hommes et les femmes, bien au contraire. On est en train de dresser des murs de séparation entre les sexes, des murs qui sont absolument abominables, des murs dans lesquels on entretient et à travers lesquels on entretient la haine des femmes et la détestation des femmes.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Hum. Bon. Bien, mettons-nous à ce phénomène mondial et amenons nos enfants à se convertir à cette… aux saines valeurs…

 

PAR MADAME BENHABIB

…(rires)…

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

…qui ne sont pas les nôtres, de toute évidence. Madame Benhabib, à la prochaine. Merci beaucoup de nous avoir parlé.

 

PAR MADAME BENHABIB

Merci beaucoup, Benoît. Au revoir.

 

PAR MONSIEUR DUTRIZAC

Au revoir. Djemila Benhabib qui est auteur de Ma vie à contre-coran et les Soldats d’Allah de l’Occident. Moi je pensais que l’école servait à intégrer les jeunes dans la société, à leur apprendre à vivre en société, à vivre avec les autres, à vivre avec les différences des autres, ne pas se réfugier. Et ça, ces écoles privées religieuses, eh bien, je vais vous dire une chose, le ministère de l’Éducation n’a rien à dire là-dessus. Ça ne les intéresse pas. J’ai envoyé un mot au ministère de l’Éducation, on dit oui, on m’aime bien, tout va bien. Line Beauchamp et moi, on est de bons amis, on s’aime beaucoup. Sauf que, sur les écoles privées - et madame Courchesne m’avait promis d’intervenir - que ce soit les écoles catholiques, juives ou musulmanes, on n’a pas le droit d’endoctriner des enfants dans une religion avant de leur apprendre à avoir du discernement et du jugement. On peut pas faire ça. Mais semble-t-il, nous, on préfère fermer les yeux puis dire « Bien, ils sont de même, ils vivent comme ça puis c’est bien correct ». Moi, je trouve que c’est dangereux pour ces enfants-là, et allons voir ce qu’ils vont devenir, s’ils vont s’ouvrir au reste de la société. Pas sûr! On s’arrête et on revient après la pause.

 

(Le Tribunal souligne)

[20]       Le Tribunal reproduit également certains passages des sourates en soulignant les extraits évoqués par Djemila Benhabib :

            L’événement

27. Et les gens de la droite; que sont les gens de la droite?

28. [Ils seront parmi] des jujubiers sans épines,

29. et parmi des bananiers aux régimes bien fournis,

30. dans une ombre étendue

31. [près] d’une eau coulant continuellement,

32. et des fruits abondants

33. ni interrompus ni défendus,

34. sur des lits surélevés,

35. C’est Nous qui les(3) avons créées à la perfection,

36. et Nous les avons faites vierges,

37. gracieuses, toutes de même âge,

38. pour les gens de la droite,

39. une multitude d’élus parmi les premières [générations],

40. et une multitude d’élus parmi les dernières [générations].

41. Et les gens de la gauche; que sont les gens de la gauche?

42. ils seront au milieu d’un souffle brûlant et d’une eau bouillante,

43. à l’ombre d’une fumée noire

44. ni fraîche, ni douce.

(…)

88. Si celui-ci est du nombre des rapprochés (d’Allah),

89. alors (il aura) du repos, de la grâce et un Jardin de délices.

90. Et s’il est du nombre des gens de la droite,

91. il sera [accueilli par ces mots]: «Paix à toi» de la part des gens de la droite.

92. Et s’il est de ceux qui avaient traité de mensonge (la résurrection) et s’étaient égarés,

93. alors, il sera installé dans une eau bouillante,

94. et il brûlera dans la Fournaise.

95. C’est cela la pleine certitude.

96. Glorifie donc le nom de ton Seigneur, le Très Grand!

 

            Le Tout Miséricordieux

51. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

52. Ils contiennent deux espèces de chaque fruit.

53. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

54. Ils seront accoudés sur des tapis doublés de brocart, et les fruits des deux jardins seront à leur portée (pour être cueillis).

55. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

56. Ils y trouveront [les houris] aux regards chastes, qu’avant eux aucun homme ou djinn n’aura déflorées.

57. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

58. Elles seront [aussi belles] que le rubis et le corail.

59. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

60. Y a-t-il d’autre récompense pour le bien, que le bien?

61. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

62. En deçà de ces deux jardins il y aura deux autres jardins.

63. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

64. Ils sont d’un vert sombre.

65. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

66. Dans lesquelles il y aura deux sources jaillissantes.

67. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

68. Ils contiennent des fruits, des palmiers, et des grenadiers.

69. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

70. Là, il y aura des vertueuses et des belles.

71. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

72. Des houris cloîtrées dans les tentes,

73. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

74. qu’avant eux aucun homme ou djinn n’a déflorées.

75. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

76. Ils seront accoudés sur des coussins verts et des tapis épais et jolis.

77. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous?

78. Béni soit le Nom de ton Seigneur, Plein de Majesté et de Munificence!

(Le Tribunal souligne)

[21]       Le 27 février 2012, Benoît Dutrizac invite à nouveau Djemila Benhabib à participer à une entrevue de suivi[10] suite à une campagne de dénigrement contre elle. Cet entretien n’est pas en litige.

[22]       Le 16 mars 2012, l’EMM envoie à Benoît Dutrizac une mise en demeure[11] de se rétracter de certains propos tenus lors de l’émission du 8 février 2012. L’animateur n’y donne pas suite.

[23]       Le 20 mars 2012, l’EMM adresse une mise en demeure[12] à Djemila Benhabib lui demandant de se rétracter et de présenter des excuses sincères en ondes à l’émission de Dutrizac, ce qu’elle n’a pas fait.

[24]       En mai 2012, l’EMM intente les présentes procédures. Le radiodiffuseur et Benoît Dutrizac ne sont pas poursuivis.

III    POSITION DES PARTIES

[25]        L’EMM soutient que l’entrevue radiophonique a entaché sa réputation et occasionné des dommages entraînant une baisse des inscriptions.

[26]        De son côté, Djemila Benhabib affirme que bien que ses propos aient été sévères et aient pu blesser, ils ne sont toutefois pas fautifs suivant notre système de responsabilité au Québec. Ils trouvent leur place dans une société démocratique comme la nôtre.

IV   DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Charte canadienne des droits et libertés[13]

2.      Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

   (…)

b)   liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

Charte des droits et libertés de la personne[14]

3.      Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

4.      Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

44.    Toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi.

49.    Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

Code civil du Québec[15]

1457.    Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

1611.    Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé.

On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu’il est certain et qu’il est susceptible d’être évalué.

1621.    Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

2803.    Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.    La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

2805.    La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n’exige expressément de la prouver.

V     QUESTIONS EN LITIGE

[27]       À la lumière des principes applicables, les questions suivantes se posent en l’espèce :

a)        Les propos tenus par Djemila Benhabib sont-ils diffamatoires?

b)        La réputation de l’EMM est t-elle atteinte suite aux propos de Djemila Benhabib?

c)         Dans l’affirmative, l’EMM a-t-elle droit à des dommages suite à l’atteinte à sa réputation?

VI   OBJECTIONS PRISES SOUS RÉSERVE

Ø  Articles de journaux

[28]        Le procureur de l’EMM s’oppose à la production de deux articles de journaux voulant qu’ils ne font pas preuve de leur contenu.

[29]        Le premier est un article du Journal de Montréal du 19 janvier 2015[16], signé par Hugo Joncas, intitulé Des Mosquées et des écoles entre les mains des islamistes.

[30]        Le second est un article de Marie Allard, publié le 10 octobre 2009 dans La Presse[17], laquelle relève le palmarès des collèges privés perdant le plus d’élèves au Québec, compilé d’après des données du ministère de l’Éducation.

[31]        Selon cette enquête, l’EMM était respectivement la troisième et la cinquième école secondaire privée du grand Montréal et de la province de Québec à avoir perdu le plus d’élèves pour les années 2003 à 2008.

[32]        Il est reconnu en jurisprudence qu’un article de journal ne fait pas preuve de son contenu.

[33]        Le procureur de Djemila Benhabib demande la production de ces articles de journaux simplement pour démontrer que l’EMM était déjà connu pour des faits de société.

[34]        Par ailleurs, bien que l’EMM s’oppose à la production de ces deux articles de journaux, elle s’opposait également à la production d’un troisième article publié dans Poste de veille. Or, ce billet avait déjà été produit par elle.

[35]        Bien que ces articles ne relèvent qu’indirectement du débat et qu’ils ne font pas preuve de leur contenu, ils sont tout de même pertinents pour situer le contexte.

[36]        Pour ces motifs, l’objection est rejetée et la production des pièces D-21 et D-23 est permise.

Ø  Conseil de presse du Québec

[37]        Le procureur de l’EMM désire produire une décision du Conseil de presse du Québec du 22 janvier 2016 relativement à un grief déposé contre Djemila Benhabib soutenant qu’elle aurait plagié ou reformulé des passages de différentes sources dans des articles écrits par elle, en omettant de les citer.

[38]        Le procureur de l’EMM demande la production de cette décision afin d’affaiblir ou attaquer la crédibilité de Djemila Benhabib.

[39]        Le procureur de la défenderesse s’y oppose au motif de la pertinence.

[40]        Une preuve de mauvaise réputation est en principe admissible lorsque la réputation est directement en litige[18].

[41]        L’objection est rejetée.

Ø  Extrait de livres écrits par Djemila Benhabib

[42]        Le procureur de l’EMM demande de produire quatre pages extraites de deux livres écrits par Djemila Benhabib soit Ma vie à contre-coran et Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident.

[43]        Bien qu’un extrait de deux pages d’un livre pouvant en contenir plus de 250 n’ait aucune valeur probante aux fins du présent litige, l’objection est rejetée, car Djemila Benhabib a témoigné quant à la signification des lignes écrites dans ses pages. Or, cela n’a rien apporté de plus au débat.

VII  ANALYSE

a)        Les propos tenus par Djemila Benhabib sont-ils diffamatoires?

[44]        Le recours en diffamation est régi par les règles de la responsabilité civile de l’article 1457 du Code civil du Québec (C.c.Q.). Selon une jurisprudence[19] bien établie, la demanderesse a donc le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et du lien de causalité, comme pour toute autre action en responsabilité civile :

« (…)

[22]       Il n’existe pas, au Québec, de recours particulier pour sanctionner la diffamation. Le recours en diffamation s’inscrit dans le régime général de la responsabilité civile prévu à l’art. 1457 C.c.Q. Le demandeur a droit à une indemnisation si une faute, un préjudice et un lien causal coexistent. La détermination de la faute suppose l’examen de la conduite de l’auteur de celle-ci, celle du préjudice requiert l’évaluation de l’incidence de cette conduite sur la victime et celle de la  causalité exige que le décideur conclue à l’existence d’un lien entre la faute et le préjudice. C’est un domaine du droit où il importe de bien distinguer faute et préjudice. La preuve du préjudice ne permet pas de présumer qu’une faute a été commise.  La démonstration de la commission d’une faute n’établit pas, sans plus, l’existence d’un préjudice susceptible de réparation (…) ».

(Le Tribunal souligne)

[45]        Dans un récent jugement[20], la Cour d’appel brosse un tableau des principaux arrêts de la Cour suprême en matière de diffamation :

« (…)

[70]    Dans Prud’homme c. Prud'homme, la Cour suprême, sous la plume des juges L'Heureux-Dubé et LeBel, décrit ainsi les règles de la responsabilité civile en matière de diffamation :

[33]     Pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires. Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables » (Radio Sept-Îles, précité, p. 1818).

[34]     La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective (Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, [1998] R.J.Q. 131 (C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.)). Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. Dans l’affaire Beaudoin c. La Presse Ltée, [1998] R.J.Q. 204 (C.S.), p. 211, le juge Senécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos revêtent un caractère diffamatoire : […]

[35]     Cependant, des propos jugés diffamatoires n’engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur. Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l’auteur des propos a commis une faute. Dans leur traité, La responsabilité civile (5e éd. 1998), J.-L. Baudouin et P. Deslauriers précisent, aux p. 301-302, que la faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduites, l’une malveillante, l’autre simplement négligente : […]

[36]     À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes. La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui. La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers. (Voir J. Pineau et M. Ouellette, Théorie de la responsabilité civile (2e éd. 1980), p. 63-64.)

[…]

[38]     Dans tous les cas, l’appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances. À cet égard, il importe de rappeler que le recours en diffamation met en jeux deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation. […]

[Soulignements dans le texte]

[71]    Dans Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., la juge Deschamps, écrivant au nom des juges majoritaires, cerne pour sa part comme suit les notions de faute et de préjudice en matière de diffamation :

[24]    De manière générale, la faute correspond à une conduite qui s’écarte de la norme de comportement qu’adopterait une personne raisonnable (Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, 2008 CSC 64, [2008] 3 R.C.S. 392, par. 21). Il importe de signaler que le concept de personne raisonnable a un caractère normatif plutôt que descriptif. Il s’agit du comportement qu’une personne informée adopterait dans les circonstances. Malgré toute l’importance accordée par la Charte québécoise à la protection des droits individuels, un comportement attentatoire à un droit qu’elle garantit ne constitue pas nécessairement une faute civile (Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 116; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789 (« Larocque »)). En effet, encore faut-il que l’atteinte constitue une violation de la norme objective prévue par l’art. 1457 C.c.Q. qui est celle du comportement de la personne raisonnable et qu’aucun autre motif ne limite la conclusion concernant la faute, par exemple, l’existence d’une immunité (Larocque et Prud’homme) ou la prise en considération de droits concurrents, comme celui de la liberté d’expression.

[25]    Dans un recours en diffamation, la définition ou les contours de la faute reflètent l’importance croissante accordée à la liberté d’expression (Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.), p. 1818). Cependant, un comportement de nature diffamatoire peut procéder d’une simple négligence. La véracité du message ne sera qu’un des facteurs à considérer pour évaluer le caractère fautif du comportement. Bien que vrais, des propos peuvent néanmoins avoir été tenus fautivement. La médisance, tout autant que la calomnie, est sanctionnée (Prud’homme, par. 38; Néron, par. 59).

[…]

[26]    Le préjudice qui définit la diffamation est l’atteinte à la réputation. Dans notre droit, l’atteinte à la réputation est appréciée objectivement, c’est-à-dire en se référant au point de vue du citoyen ordinaire (Néron, par. 57; Prud’homme, par. 34; Métromédia C.M.R. Montréal inc. c. Johnson, 2006 QCCA 132, [2006] R.J.Q. 395, par. 49).

[27]    Ce niveau d’analyse se justifie par le fait qu’une atteinte à la réputation se traduit par une diminution de l’estime et de la considération que les autres portent à la personne qui est l’objet des propos. Il n’y a donc pas que l’auteur et la personne qui fait l’objet des propos qui entrent en scène. Une personne est diffamée lorsqu’un individu donné ou plusieurs lui renvoient une image inférieure à celle que non seulement elle a d’elle-même, mais surtout qu’elle projetait aux « autres » dans le cours normal de ses interactions sociales. Dans notre société, toute personne peut légitimement s’attendre à un traitement égal sur le plan juridique. L’atteinte à la réputation se situe à un autre niveau. Diffamer quelqu’un, c’est attenter à une réputation légitimement gagnée. Par conséquent, l’effet de la diffamation n’est pas tant l’incidence sur la dignité et le traitement égal reconnus à chacun par les chartes, mais la diminution de l’estime qui revient à une personne à la suite de ses interactions sociales.

[28]    C’est l’importance de ces « autres » dans le concept de réputation qui justifie le recours à la norme objective du citoyen ordinaire qui les symbolise. Un sentiment d’humiliation, de tristesse ou de frustration chez la personne même qui prétend avoir été diffamée est donc insuffisant pour fonder un recours en diffamation. Dans un tel recours, l’examen du préjudice se situe à un second niveau, axé non sur la victime elle-même, mais sur la perception des autres. Le préjudice existe lorsque le « citoyen ordinaire estim[e] que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation » de la victime (Prud’homme, par. 34). Il faut cependant se garder de laisser glisser l’analyse du préjudice vers un troisième niveau et de se demander, comme semble l’avoir fait la majorité de la Cour d’appel (par. 73), si le citoyen ordinaire, se portant lui-même juge des faits, aurait estimé que la réputation de la victime a été déconsidérée aux yeux d’un public susceptible d’ajouter foi aux propos de M. Arthur. C’est plutôt ce citoyen ordinaire qui est observé par le juge et qui incarne les « autres ».

[…]

[31]    Le juge chargé de l’évaluation de la faute impose à l’auteur des propos le comportement qu’une personne raisonnable aurait eu dans les circonstances. En matière de diffamation, le juge tient compte du droit à la liberté d’expression de l’auteur des propos. Il tolérera même, dans certains cas, que celui-ci ait émis des opinions exagérées. Lorsqu’il évalue le préjudice, le juge tient également compte du fait que le citoyen ordinaire a bien accepté la protection de la liberté d’expression et que, dans certaines circonstances, des propos exagérés peuvent être tenus, mais il doit aussi se demander si le citoyen ordinaire voit diminuer l’estime qu’il porte à la victime. En conséquence, bien qu’il s’agisse d’une norme objective dans les deux cas, il est préférable de conserver deux vocables distincts — personne raisonnable et citoyen ordinaire — parce qu’ils correspondent à des concepts visant deux situations distinctes : l’évaluation du comportement et l’évaluation de l’effet de ce comportement du point de vue de la société. Les questions posées aux deux étapes sont différentes.

[32]    Le recours à une norme comme celle du citoyen ordinaire en tant que critère de détermination d’une atteinte à la réputation présente un avantage pratique indéniable. Une telle norme constitue un repère rationnel et objectif. Elle permet de faciliter la preuve du préjudice, étant donné que cette preuve peut s’avérer difficile. Très souvent en effet, le préjudice ne peut être établi qu’indirectement. Un exemple d’une telle situation est l’affaire Néron, où les propos ont entraîné une perte d’occasions d’affaire qui ne pouvait qu’être reliée aux propos litigieux. Dans d’autres cas, les faits qui auront permis de conclure qu’une personne raisonnable n’aurait pas prononcé les propos reprochés permettront d’inférer que, à la suite de ceux-ci, le citoyen ordinaire a moins d’estime envers la victime. Il ne s’agit toutefois pas d’une présomption légale découlant de la conclusion qu’une faute a été commise, mais seulement d’une inférence que le juge peut tirer des faits mis en preuve. [...] »

[Soulignements dans le texte et références omises]

(Le Tribunal met l’emphase)

[46]        Dans tous les cas, l’appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances.

[47]        Elle tient compte ici de deux valeurs fondamentales qui s’opposent, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation [21].

Liberté d’expression et droit à la réputation

[48]        La liberté d’expression est protégée par l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés[22] et par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne[23].

[49]       En 1986, la Cour suprême[24] définissait la liberté d’expression ainsi :

« (…)

La liberté d'expression n'est toutefois pas une création de la Charte. Elle constitue l'un des concepts fondamentaux sur lesquels repose le développement historique des institutions politiques, sociales et éducatives de la société occidentale. La démocratie représentative dans sa forme actuelle, qui est en grande partie le fruit de la liberté d'exprimer des idées divergentes et d'en discuter, dépend pour son existence de la préservation et de la protection de cette liberté. (…) » 

(Le Tribunal souligne)

[50]       Les tribunaux ont énoncé maintes fois le rôle essentiel et inestimable que joue la liberté d’expression dans une société démocratique. La Cour suprême[25] ajoutait qu’elle : « permet aux individus de s’émanciper, de créer et de s’informer, elle encourage la circulation d’idées nouvelles, elle autorise la critique de l’action étatique et favorise l’émergence de la vérité »

[51]       À ce sujet le juge Jean-Louis Baudouin[26], alors à la Cour d’appel, écrivait:

« (…)

 

Une société libre et démocratique comme la nôtre doit nécessairement faire preuve d'un haut degré de tolérance pour l'expression de pensées, d'opinions, d'attitudes ou d'actions qui, non seulement ne font pas l'unanimité ou ne rallient pas les vues de la majorité des citoyens, mais encore peuvent être dérangeantes, choquantes ou même blessantes pour certaines personnes ou pour certains groupes.  La liberté d'expression ne doit pas être couchée dans le lit de Procuste du «political correctness».  Ce n'est que dans l'hypothèse d'abus clairs et donc de danger pour le caractère libre et démocratique de la société, qu'au nom de la protection de certaines valeurs fondamentales, alors non négociables, on peut imposer l'intervention légitime de la loi. (…) ».

(Le Tribunal souligne)

[52]       Cependant, la liberté d’expression n’est pas absolue. Elle peut parfois être confrontée à d’autres libertés, tel le droit à sa réputation. Le droit à la sauvegarde de la réputation est garanti par l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[53]       Il y a lieu de rappeler les principes jurisprudentiels avant de les appliquer au cas en l’espèce.

[54]        L’appréciation de la faute de l’auteur des propos doit s’effectuer selon une norme objective et tenir compte de différents éléments dont l’importance du contexte, l’identité de l’auteur des propos en litige, la qualification des propos en litige ainsi que la notion d’intérêt public et la protection de la liberté d’expression.

L’importance du contexte

[55]       La jurisprudence[27] reconnaît l’importance du contexte dans lequel sont tenus les propos comme un élément central de l’analyse de la faute en matière de diffamation. La Cour d’appel[28] s’exprime ainsi à ce sujet :

« (…)

[38]       Par ailleurs, comme le mentionne le juge Senécal, cité avec approbation par la Cour suprême dans Prud'homme, l'analyse des propos reprochés doit se faire dans la globalité de l'émission où ils ont été exprimés et non en examinant des phrases, chirurgicalement extraites de l'ensemble, comme l’ont fait les intimés tant devant nous que devant le juge de première instance. De même, il faut tenir compte de l’occasion qui suscite le commentaire. Bref, il faut tenir compte de tout le contexte entourant la tenue des propos pour déterminer s'ils constituent une faute (…) »

(Le Tribunal souligne)

L’identité de l’auteur des propos en litige

[56]       L’identité de l’auteur constitue également un facteur important dans l’appréciation de la faute.

[57]       La Cour suprême écrit ce qui suit quant au polémiste André Arthur[29] :

« (…)

[89]       Au surplus, M. Arthur était un polémiste connu de la région où était diffusée son émission. Il s’était fait connaître pour son langage disgracieux et provocateur. L’émission de radio dans le cadre de laquelle les propos litigieux ont été diffusés adoptait un style pamphlétaire, cherchant le sensationnalisme. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur sur la radio-provocation, mais le contexte de telles émissions a une incidence sur l’effet réel des propos qui y sont tenus. Une personne ne saurait certes s’autoriser de sa tendance générale à verser dans le mauvais goût pour diffamer autrui sur les ondes, mais il faut reconnaître que le caractère vraisemblable des propos tenus par M. Arthur dans un tel contexte est très faible du point de vue du citoyen ordinaire.

[90]       Tenant compte de ces facteurs, je suis d’avis que le citoyen ordinaire aurait compris l’extravagance des propos. Les allégations de M. Arthur étaient assurément graves et exaspérantes, mais le citoyen ordinaire y aurait tout de même reconnu une généralisation excessive formulée par l’animateur à partir d’une expérience personnelle déplaisante. Ce citoyen n’aurait pas ajouté foi aux allégations offensantes et il n’aurait pas considéré M. Arthur comme caution du bien-fondé de ses insultes racistes et méprisantes. Il n’aurait sûrement pas associé les allégations d’ignorance, d’incompétence, de malpropreté, d’arrogance et de corruption à chacun des chauffeurs de taxi de langue maternelle arabe ou créole individuellement.(…) ».

(Le Tribunal souligne)

La qualification des propos en litige

[58]       Pour apprécier la faute, la qualification des propos en cause est indispensable puisque les moyens de preuve ne seront pas nécessairement les mêmes si les propos relatent des faits ou s’ils constituent des commentaires, des opinions ou des critiques.

[59]       Dans l’affaire Lafferty, Harwood & Partners[30] où monsieur Lafferty, analyste financier, avait par écrit comparé Jacques Parizeau et Lucien Bouchard à Hitler, la Cour d’appel nuançait entre les faits et l’opinion en ces termes :

«(…)

[136]  (…) S’agit-il d’un énoncé de fait, de l’expression d’une opinion ou d’un subtil mélange des deux?

[137] Dans le premier cas, l’exactitude ou la fausseté du propos pourra se révéler d’un grand poids pour déterminer s’il y a eu négligence ou témérité.  L’analyse du contexte et des circonstances portera alors non seulement sur l’opportunité de la diffusion de l’énoncé de fait, qu’il soit vrai ou faux, mais aussi sur la nature des précautions prises par l’auteur pour vérifier l’exactitude de ses dires lorsque ceux-ci se révèlent faux.

[138] À l’opposé, dans le deuxième cas, le caractère vrai ou faux du propos n’interviendra pas à proprement parler puisque, par définition, l’opinion est une attitude de l’esprit qui répond peu à la qualification de vraie ou de fausse.  Une opinion est difficilement exacte ou inexacte.  Tout au plus peut-on conclure à son caractère non fondé en raison des faiblesses qui jalonnent le cheminement intellectuel du penseur. L’analyse du contexte et des circonstances de l’expression d’une opinion portera davantage sur le caractère opportun de la tenue du propos plutôt que sur sa véracité ou sa fausseté. (…)».

(Le Tribunal souligne)

[60]       Dans une affaire récente[31], la Cour d’appel signalait à nouveau l’importance de distinguer entre le reportage journalistique et le commentaire d’événements :

«(…)

[27]    Dans un contexte journalistique, l’appréciation de la faute se rapproche généralement de celle des professionnels et comporte l’évaluation du respect des normes journalistiques. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une chronique, qui s’avère plutôt un mélange d’éditorial et de commentaire qui permet l’expression d’opinions, de critiques et de prises de position, et peut même parfois faire place à l’humour et la satire, le comportement du journaliste ne relève pas des normes journalistiques. Le juge Dalphond signalait d’ailleurs cette distinction dans l’affaire Genex communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo :

[29]       Dans WIC Radio, précité, la Cour suprême a eu l'occasion de se prononcer sur la nature de l'équilibre à établir entre la liberté d'expression d'un animateur de radio et le droit à la dignité de la personne qui fait l'objet de commentaires (paragr. 14). Elle y mentionne l'importance de distinguer en matière de diffamation entre le reportage journalistique qui présente des faits et le commentaire d'événements (paragr. 26), lequel peut prendre plusieurs formes : éditorial, émission-débat radiophonique, tribune radiophonique, caricature, émission satirique. Elle souligne aussi que les règles régissant la défense de commentaire loyal accordent une grande latitude aux commentateurs (paragr. 25). Elle retient ensuite qu'il est permis à l'égard de questions d'intérêt public d'exprimer un commentaire diffamatoire, si une personne, si entêtée soit-elle dans ses opinions et ses préjugés, pouvait honnêtement exprimer ce commentaire vu les faits prouvés, ajoutant qu'il s'agit d'un critère objectif qui n’est pas très exigeant (paragr. 49-50). Cependant, l'auteur du commentaire diffamatoire perdra cette protection si la victime prouve qu'il a agi avec malveillance (paragr. 52-53). Elle conclut que si les commentaires de l'animateur de la station WIC étaient diffamatoires et peuvent être considérés d'une virulence malsaine (paragr. 56), ils sont néanmoins permis dans une société libre et démocratique.

[30]       Dans une opinion concurrente, le juge Le Bel rappelle que même s'il est parfois difficile de distinguer un fait (reportage journalistique) d’un commentaire, cette distinction a son importance, car la nature subjective du commentaire atténue généralement l’atteinte à la réputation d’autrui par rapport à un énoncé de fait objectif, ce dernier étant plus susceptible d’influencer le public qu’un commentaire (WIC Radio, paragr. 71) (…)».

(Le Tribunal souligne)

La notion d’intérêt public et la protection de la liberté d’expression

[61]       La Cour suprême[32] définit comme suit la notion d’intérêt public :

«(…)

[105]     Pour être d’intérêt public, une question doit être soit de celles qui éveillent l’attention publique de façon démontrable ou qui préoccupent sensiblement le public parce qu’elles concernent le bien-être de citoyens, soit de celles qui jouissent d’une notoriété publique considérable ou qui ont créé une controverse importante. (…)».

(Le Tribunal souligne)

[62]       Au cours des dernières années, les tribunaux ont rehaussé l’importance de la liberté d’expression dans le cadre de débats portant sur des sujets d’intérêt public.

[63]       Bien qu’il soit difficile de déterminer le point d’équilibre entre le droit à la réputation et la liberté d’expression, la juge Deschamps, alors à la Cour suprême[33], constate  l’évolution du droit de la diffamation afin de protéger la liberté d’expression relativement aux questions d’intérêt public :

« (…)

[19]       Bien entendu, il n’existe pas d’instrument de mesure précis pour déterminer le point d’équilibre entre la protection de la réputation et la liberté d’expression. La conciliation de ces deux droits reposera sur le respect des principes qui servent de fondement à une société libre et démocratique. Le point d’intersection varie suivant l’évolution de la société. Ce qui était une limite acceptable à la liberté d’expression au 19e siècle peut ne plus l’être aujourd’hui. D’ailleurs, au cours des dernières décennies particulièrement, on observe une évolution du droit de la diffamation afin de protéger plus adéquatement la liberté d’expression à l’égard des questions touchant l’intérêt public. En common law par exemple, notre Cour a réévalué la défense du commentaire loyal (WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, [2008] 2 R.C.S. 420, par. 49 et suiv.) et reconnu l’existence d’une défense de communication responsable concernant des questions d’intérêt public (Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640). (…)».

(Le Tribunal souligne)

[64]       En 2015, la Cour d’appel[34] écrit ce qui suit quant au contexte dans lequel les paroles litigieuses sont prononcées et quant à la notion d’intérêt public :

« (…)

[43]       (…) L’appréciation de la faute doit être guidée par l’impression générale qui se dégage de l’ensemble du discours en cause. L’exactitude de l’information et l’intérêt public doivent être pris en considération : « la notion d’intérêt public est certainement un des instruments de mesure permettant de déterminer le point d’équilibre entre la protection de la réputation et la liberté d’expression (…)».

(Références omises)

(Le Tribunal souligne)

Analyse des propos tenus par Djemila Benhabib

[65]        L’émission radiophonique à laquelle a participé Djemila Benhabib est une tribune favorisant l’expression d’opinions et de critiques sur des sujets d’intérêt public. Dutrizac est une émission d’information qui accueille des invités variés dans le but de stimuler des débats d’idées et des discussions sur des sujets d’actualité.

[66]        Lors de son témoignage, Djemila Benhabib a expliqué sa pensée et ce que signifiaient les termes utilisés.

[67]        Or, le paragraphe 10 de la Requête introductive d’instance est ainsi libellé :

[10]       More precisely, Defendant said that Plaintiff is similar to a Afghani-Pakistani terrorist training camp, Defendant says «à un endoctrinement digne d’un camp militaire en Afghanistan ou au Pakistan, en fait, je veux dire il n’y a pas une grande différence à mon avis entre l’endoctrinement qu’on fait dans ces écoles à Montréal ou les écoles, que ce soit au Pakistan ou en Afghanistan»

(Le Tribunal souligne)

[68]        L’EMM écrit que Djemila Benhabib l’aurait comparée à un camp d’entraînement terroriste. Or, elle n’a jamais employé le mot terroriste lors de l’entrevue.

[69]        Pour Djemila Benhabib, lorsqu’elle parle d’endoctrinement et de camp militaire, elle réfère à la rigidité et la discipline des camps militaires. Elle n’a pas utilisé les mots «camps d’entraînement» contrairement à ce qui est indiqué à la procédure de l’EMM.

[70]        Djemila Benhabib ajoute que lorsqu’elle invoque l’endoctrinement, elle réfère autant aux écoles à Montréal ou ailleurs dans le monde qui ont les mêmes méthodes d’enseignement quant à la prière, au Coran et au voile.

[71]        Le paragraphe 13 de la procédure introductive d’instance mentionne :

[13]       Moreover, Defendant unjustifyingly said that Plaintiff teaches extremist values excluding children from Quebec society, she says « qu’on est en train de fabriquer des militants intégristes qui vont revendiquer d’ici quelques années des accommodement (sic) et toutes sortes de choses farfelues, qu’on est en train de construire les citoyens de demain. Bien au contraire, on est extrêmement loin de la citoyenneté, on est loin de toutes les valeurs qui sont propres à notre société »

(Le Tribunal souligne)

[72]        Djemila Benhabib n’a pas employé les mots allégués ci-avant soulignés au paragraphe 13 de la procédure de l’EMM voulant que les professeurs enseignent des valeurs extrémistes.

[73]        Lorsque Djemila Benhabib mentionne qu’on fabrique des militants intégristes, elle témoigne qu’elle critiquait la méthode d’enseignement. Elle conclura l’entrevue en disant qu’elle considère cela inquiétant.

[74]        Lorsqu’elle s’exprime sur le Coran, elle critique les sourates, mais ne dit pas que l’EMM est haineuse. En référant aux sourates, elle débute son argumentaire en disant : « je ne pense pas que ce soit réellement un message… d’égalité, un message d’amour et un message d’humanité ». Plus tard dans l’entrevue, elle se demande si « c’est convenable ».

[75]        Le paragraphe 15 de la demande introductive d’instance énonce :

[15]       Furthermore, Defendant made the most shocking and appalling remarks about Plaintiff saying that Plaintiff teaches young boys to grow up to kill their sisters in honor killings : « Cette école est totalement désincarnée, elle ne s’incruste pas dans le paysage politique québécois… cette école a pour modèle une autre société, c’est-à-dire une société ou la séparation des sexes est démise, ou les femmes doivent baisser la tête et marcher derrière les hommes, ou les enfants sont obligés d’apprendre des versets coraniques et ou probablement les hommes vont commettre des crimes d’honneurs contre leur sœur. Donc voilà de quelle façon tout travail est fait… dans les écoles pour créer des catastrophes ambulantes »;

(Le Tribunal souligne)

[76]        Djemila Benhabib n’a pas exprimé dans l’entrevue radiophonique que les professeurs enseignaient à leurs jeunes de tuer leurs sœurs.

[77]        Lorsqu’elle parle des catastrophes ambulantes, elle témoigne que pour elle le travail est fait en amont (voile, sourates) référant ainsi aux accommodements qu’on demandera éventuellement.

[78]        Djemila Benhabib s’est attaquée aux choix pédagogiques, au dogme, mais ne s’en est pas pris aux enfants qui fréquentent l’EMM. Elle avait constaté, sur le site Internet de l’école, que les sourates étaient enseignées aux enfants de niveau primaire. Il en était de même pour le port du voile. Elle a exprimé son opinion.

Application des principes de droit au cas en l’espèce

[79]       Djemila Benhabib est issue d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien. Elle a grandi en Algérie dans une famille engagée dans les luttes politiques et sociales.

[80]       Depuis plusieurs années, elle lutte activement contre l’intégrisme et l’islam politique plus particulièrement quant à l’application traditionnelle et intégrale du Coran et contre le port du voile islamique pour les femmes.

[81]        Dans un article paru dans la revue Châtelaine[35] en avril 2013, elle déclare : « Les musulmans n’ont rien inventé. Dans l’histoire de l’humanité, la domination des femmes n’a cessé de se perpétuer. Le voile islamique exprime ce schéma de domination. Et philosophiquement, ce schéma, je le refuse et le récuse »[36].

[82]       Elle participe à des débats publics, publie des articles, des livres et tient un blogue. Elle est l’auteure de quatre ouvrages dont  Ma vie à contre-coran.

[83]        Djemila Benhabib considère que la mémorisation coranique est néfaste pour les enfants. Il s’agit pour elle d’une pratique révolue qui participe à une procédure d’endoctrinement. Depuis longtemps, Djemila Benhabib critique, détracte et blâme la mémorisation coranique et le port du voile par les jeunes filles musulmanes, symbole d’inégalité entre les sexes selon elle.

[84]       Après avoir pris connaissance du dépliant et consulté le site Internet de l’EMM, elle constate que cette dernière enseigne aux élèves deux sourates qui selon elle ont un contenu sexuellement explicite, discriminatoire et violent.

[85]       Voyant par ailleurs que les élèves de l’EMM portent le voile et estimant que personne n’avait discuté de cette question dans les médias, c’est dans ce contexte qu’elle estime avoir la légitimité d’en parler et écrit un article sur son blogue le 7 février 2012.

[86]       Le principe d’un blogue étant de faire réagir, c’est la station de radio qui contacte Djemila Benhabib le lendemain pour recueillir ses commentaires sur le sujet des écoles confessionnelles musulmanes au Québec.

[87]       Benoît Dutrizac a témoigné qu’il connaissait la position que Djemila Benhabib défendait dans ce débat et qu’il était au fait de ses convictions politiques et sociales avant de l’inviter à son émission. On connaît la suite.

[88]       Bien que l’EMM a fait parvenir à Benoît Dutrizac une mise en demeure au mois de mars 2012 et que ce dernier ne se soit pas excusé, aucune procédure judiciaire n’a été introduite contre lui. 

[89]       Selon Djemila Benhabib, ce choix de la poursuivre uniquement témoigne d’un acharnement injustifié, calculé et ciblé ayant pour but de la bâillonner en raison de sa pensée politique, perçue comme étant hostile et hautement critique face à l’islam et à la culture musulmane.

[90]       Bien que Djemila Benhabib laisse entrevoir une apparence d’abus de procédures, elle ne demande aucune conclusion en ce sens[37].

[91]       L’appréciation de la faute de Djemila Benhabib doit s’évaluer en fonction :

Ø  du contexte particulier de l’affaire et de l’information disponible au moment où les propos en litige ont été tenus le 8 février 2012;

Ø  de l’identité de Djemila Benhabib;

Ø  que celle-ci émettait des critiques et des opinions;

Ø  que les propos sont intervenus dans le cadre d’une émission d’actualité qui encourage les débats d’opinions divergentes.

[92]        La thématique de l’entrevue portait sur : l’enseignement religieux dans les écoles du Québec, la liberté de religion, le droit des femmes et des enfants à l’égalité ainsi que le port du voile islamique.

[93]       Il est incontestable que la question du port du voile par les femmes musulmanes fait l’objet de discussions et de débats publics dans plusieurs pays. On ne peut ignorer l’existence de ce débat public également au Québec.

[94]        Dans l’affaire Rosenberg, la Cour supérieure statue que « la religion est sans contredit un sujet d’intérêt public »[38] et que « [l]e sujet lié à l’éducation des jeunes Québécois est un sujet d’intérêt public »[39].

[95]       Dans cette affaire et en référant aux enfants hassidiques assujettis aux enseignements religieux, le défendeur avait écrit sur son blogue qu’il s’agissait là de « gaspillage de potentiel humain », que les cerveaux des enfants sont « lessivé[s] au nom de la religion pratiquée de façon intégriste et débilitante », et que « depuis plus d’un demi-siècle, la secte Satmar sacrifie au Québec des milliers d’enfants sur l’autel de l’ultra-orthodoxie religieuse, les estropiant socialement et les rendant inaptes à contribuer de quelque façon que ce soit au développement de la société québécoise ». Il avait également ajouté que les enfants avaient des « cerveaux assoiffés de connaissances qui ont été atrophiés, asphyxiés et réduits en bouillie pour les dieux »[40].

[96]       La Cour supérieure a rejeté l’action des demandeurs. Bien que les propos du défendeur étaient durs, la Cour a conclu que « le lecteur peut aisément comprendre qu’il s’agit de l’opinion du défendeur, qu’il est libre de suivre ou non »[41]

[97]       Djemila Benhabib est une personnalité publique connue pour la cause qu’elle défend depuis plusieurs années et pour ses opinions marquées en faveur de la laïcité et à l’encontre de l’application intégriste du Coran, du port du voile et de mémorisation coranique.

[98]       Elle est généralement invitée dans les tribunes médiatiques pour partager ses opinions sur ces sujets.

[99]       Avant d’émettre des commentaires et critiques lors de l’entrevue radiophonique, elle a pris connaissance du dépliant, du site Internet, constaté que les jeunes filles portaient le voile islamique et pris connaissance des sourates ayant, selon son opinion, un caractère sexiste et violent.

[100]    Le port du voile et la mémorisation coranique au niveau de l’enseignement primaire sont assurément des sujets d’intérêt public qui justifient une liberté d’expression. Il s’agit de sujets qui soulèvent un débat dans notre société et il faut permettre à chacun de s’exprimer le plus librement possible sur ces questions.

[101]    Djemila Benhabib participe activement à ce débat. Elle y tient une position ferme et défend un point de vue. Dans ce contexte, il est attendu et acceptable qu’elle prononce certains propos qui puissent déplaire.

[102]    Une personne raisonnable ne conclurait pas que les propos tenus en ondes par Djemila Benhabib sont diffamatoires. Cette personne comprendrait qu’elle y exprimait de bonne foi son opinion honnête et sa croyance sincère, qu’elle est libre de partager ou non.

[103]    L’entrevue ne constituait pas un reportage journalistique sur l’EMM, mais était plutôt un éditorial sur la question controversée de l’enseignement islamique dans les écoles confessionnelles du Québec.

[104]    En somme, les propos de Djemila Benhabib sont au cœur de la raison d’être de la liberté d’expression, soit de favoriser la participation active aux débats sur des sujets d’intérêt public ayant un impact sur la prise de décisions d'intérêt social et politique[42].

[105]    À défaut d’accorder autant de protection à la liberté d’expression dans un contexte de débat d’intérêt public, c’est la société qui subira un préjudice énorme en ce que plusieurs débats ne seront plus avancés, plusieurs sujets ne seront plus abordés et enfin, tous cesseront d’en parler.

[106]     Le Tribunal fait siens les propos retenus par la juge Claude Dallaire[43] dans un débat mettant en cause divers droits et libertés fondamentaux.

« (…)

[468]     En terminant, même s’il a été tenu dans un contexte où il était question de discrimination, nous croyons pertinent de citer cet extrait de l’arrêt Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, car les principes qu’il dégage résument assez bien l’idée maîtresse de ce jugement :

 

[100]      … entre intégristes, agnostiques et athées, entre fidèles de confessions religieuses différentes et rivales, entre adhérents à des mouvements licites d'extrême gauche ou d'extrême droite, ou entre minorités raciales ou religieuses antagonistes, les relations peuvent manquer de cordialité. Il ne faudrait pas que, par le biais de ces dispositions, les tribunaux soient appelés à arbitrer selon une idée anormalement hautaine ou chatouilleuse de la dignité ou de l'honneur les rapports souvent conflictuels entre diverses tendances confessionnelles, idéologiques ou culturelles. La coexistence de ces diverses tendances, les tensions assez vives qui peuvent exister entre elles et les paroles peu amènes qu'elles inspirent parfois sur le compte d'autrui, sont justement la marque d'une

société ouverte, libérale et tolérante. D'ailleurs, la pratique des tribunaux québécois démontre que, de manière générale, ils ont résisté aux tentatives de les amener sur ce terrain. (…) ».

(Références omises)                                        (Le Tribunal souligne)

[107]     Les propos de Djemila Benhabib tenus lors de la tribune radiophonique de Benoît Dutrizac sur les ondes du 98,5 FM n’étaient ni fautifs ni de mauvaise foi.

[108]     Certes, ses propos sont sévères et ont certainement pu blesser. Toutefois, ils trouvent leur place dans une société démocratique comme la nôtre.

b)        La réputation de l’EMM est-elle atteinte suite aux propos de Djemila Benhabib

[109]    Pour faire la preuve de l’atteinte à sa réputation, l’EMM a fait entendre six témoins.

[110]     Depuis 2014, Ahmed Khebir est président du conseil d’administration de la Mosquée de Montréal, laquelle a comme premier secteur d’activités au Registre des entreprises du Québec les organismes religieux et comme deuxième secteur d’activités, l’enseignement maternel, primaire et secondaire[44]. Il fut vice-président de 2003 à 2014.

            Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir

[111]    Le Tribunal a pris connaissance de l’interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, représentant de la demanderesse, tenu le 17 janvier 2013.

[112]    Le Tribunal ne saurait passer sous silence les dénégations de Ahmed Khebir quant à plusieurs faits pourtant indéniables.

                         Mission de l’EMM

[113]    Ahmed Khebir a d’abord nié que la mission de l’EMM consistait notamment à établir une quelconque relation entre ses élèves et Allah[45]. Il s’est dit en désaccord avec cette définition[46].

[114]    Cette affirmation est plutôt étonnante puisque le dépliant promotionnel distribué par l’EMM[47] et consulté par Djemila Benhabib en 2012 mentionne que l’une des facettes de la mission de l’EMM est le développement de la personnalité islamique et l’établissement d’une « relation solide avec Allah ».

[115]    Il est surprenant que l’EMM reproche à Djemila Benhabib d’avoir tenu les propos en litige alors que son propre représentant est en désaccord avec la définition même de la mission de l’EMM référant à Allah et qu’il affirme au surplus que le site Internet est susceptible de contenir de l’information erronée alors que cette information se retrouve également dans le dépliant promotionnel.

Site Internet

[116]     Ahmed Khebir a déclaré dans ce même interrogatoire avant défense que la décision du conseil scolaire de rendre inaccessible le site Internet de l’EMM pour le rénover n’avait aucun lien avec l’institution du présent recours contre Djemila Benhabib[48].

[117]     Il a déclaré que le site Internet était principalement géré de façon bénévole par le comité de parents et non par des professionnels. Ainsi, il a expliqué que le site n’est pas pris au sérieux par l’EMM de telle sorte que son contenu ne fait l’objet d’aucune supervision régulière[49].

[118]     Pourtant, seulement dix jours après l’entrevue en litige, le site de l’EMM est devenu inaccessible au public, et ce, jusqu’au printemps 2013, soit environ un an après le début des procédures judiciaires intentées en mai 2012.

[119]     Aussi, après avoir déclaré que l’EMM accordait peu d’importance à son site Internet au cours des années, Ahmed Khebir a justifié la fermeture complète du site par le fait de vouloir désormais confier sa gestion à une entreprise sérieuse[50].

[120]     Il est permis de se questionner sur cette fermeture puisque le nouveau site Internet de l’EMM ne fait plus référence à Allah[51].

La prière

[121]    Lors de cet interrogatoire avant défense, Ahmed Khebir ne reconnaît pas que la prière constitue une partie importante de l’enseignement reçu par les élèves.

[122]     Pourtant le code de vie du campus et les horaires des cours de l’EMM énoncent que l’enseignement religieux islamique et la prière sont des composantes du programme éducatif[52].

[123]     Ahmed Khebir a également nié que la prière était obligatoire à l’école.

[124]     Les horaires de cours des élèves de niveau primaire le contredisent puisqu’elle est prévue à l’horaire[53].

Le voile

[125]    Ahmed Khebir a d’abord nié que le port du voile islamique chez les jeunes filles était obligatoire à l’école.

[126]    Or, la documentation et une partie de l’entrevue radiophonique entre la recherchiste et la réceptionniste de l’EMM prouvent incontestablement le port du voile obligatoire[54].

[127]    Ahmed Khebir est revenu sur sa position et admis que les jeunes filles étaient tenues de porter le voile islamique dès la première année du primaire pour aller à la mosquée[55].

Les sourates

[128]     Ahmed Khebir a également déclaré que les étudiants ne comprennent pas les mots des sourates mémorisés à l’école puisqu’ils sont faibles en langue arabe. Il a pourtant admis qu’à titre de vice-président de l’EMM au moment des faits en litige, il était très peu au courant des volets académiques et éducatifs qui relèvent davantage de la direction de l’école.

[129]     Toutefois, la preuve révèle que le programme d’enseignement de niveaux primaire et secondaire de l’EMM mise sur la compréhension des valeurs et des principes de l’islam tel qu’en fait foi le code de vie du campus et l’horaire de cours des étudiants[56].

Facebook

[130]     La crédibilité de Ahmed Khebir est grandement affectée lorsqu’il nie fermement avoir un compte Facebook personnel jusqu’à ce qu’il soit confronté avec sa propre page Facebook[57]. Il a finalement reconnu que personne d’autre que lui n’utilisait cette page Facebook.

[131]     Enfin, bien qu’une inscription indique que Ahmed Khebir a aimé «like» des commentaires publiés sur la page Facebook «Our Children Are Not Future Terrorists», ce dernier a maintenu de ne pas avoir eu connaissance de cette page avant son interrogatoire hors cour[58].

            Témoignage de Ahmed Khebir

[132]     Ahmed Khebir témoigne avoir été horrifié et humilié des propos tenus par Djemila Benhabib à l’émission de Benoît Dutrizac.

[133]    Ahmed Khebir affirme que les parents, enfants et professeurs ont souffert des propos en litige. Il reproche à Djemila Benhabib de ne pas avoir accompli de recherches suffisantes sur cette école avant de tenir de tels propos.

[134]    Par contre, il admet n’avoir jamais communiqué avec cette dernière pour l’inviter à venir visiter l’école et n’avoir pris part à aucune tribune médiatique afin de réfuter les propos de Djemila Benhabib.

[135]    Il témoigne que l’EMM a subi des dommages entraînant une baisse des inscriptions.

[136]     Les statistiques et pièces produites[59] ne démontrent d’aucune façon que les propos de Djemila Benhabib ont eu un impact sur les inscriptions.

[137]    Au contraire, au niveau maternel, il y a eu une constance entre les années 2007 à ce jour. Au niveau primaire, il y a eu une croissance des inscriptions entre les années 2010 et 2015. Au niveau secondaire, il y a une décroissance des inscriptions entre les années 2007 et 2011, soit avant la tenue de l’entrevue radiophonique.

[138]    Enfin, selon Ahmed Khebir, les professeurs ont dû accentuer leur surveillance à l’heure du lunch et des caméras ont été installées à l’école.

[139]    La preuve révèle que bien que des caméras aient été installées à l’EMM, elles l’ont été au début de l’année 2015, soit quelques jours, voire quelques semaines après l’attentat de Charlie Hebdo à Paris suite à des projectiles lancés dans une fenêtre de l’école.

[140]     Des articles de journaux ont rapporté les actes de vandalisme subis à l’EMM le ou vers le 9 février 2015[60]. Bien que ces articles suggèrent fortement que l’incident soit attribuable à l’attaque de Charlie Hebdo, Ahmed Khebir a maintenu sa position et laissé planer que l’incident pourrait être le fruit des propos de Djemila Benhabib tenus trois ans plus tôt.

[141]     Or, le directeur du Campus secondaire de l’EMM a déclaré avoir éprouvé certaines appréhensions à la suite de la diffusion des propos en litige, mais reconnu du même souffle que l’EMM n’a fait l’objet d’aucun acte de violence entre les mois de février 2012 et février 2015.

[142]    La preuve de dommages administrée par l’EMM démontre que l’incident de vandalisme et les mesures de sécurité instaurées font suite aux attentats de Charlie Hebdo survenus le 9 janvier 2015[61]. Ceux-ci n’ont aucun lien causal avec les propos en litige.

[143]    Quant aux autres témoins de la demande, bien qu’ils se soient dits horrifiés et attaqués par les propos tenus en ondes, un parent a reconnu ne pas comprendre le français et n’avoir jamais entendu l’entrevue, laquelle lui avait été rapportée par ses filles et l’EMM.

[144]    Un enseignant du Campus secondaire a témoigné qu’il avait été blessé des propos sans plus de détails. Il a également admis n’avoir jamais écouté intégralement l’entrevue de Djemila Benhabib et avoir lu seulement quelques passages qui lui ont été transmis par le représentant de l’EMM, Ahmed Khebir.

[145]    Cet enseignant a admis que les étudiantes portant le foulard à l’école reçoivent un avertissement lorsque celui-ci glisse et doivent le remettre immédiatement.

[146]    Deux étudiantes ayant terminé leurs études à l’EMM ont également témoigné.

[147]    La première a fréquenté le Campus secondaire dès 2007 et a gradué en 2012. Elle dit avoir écouté à plusieurs reprises l’entrevue de Djemila Benhabib et avoir été choquée, en colère et humiliée par les paroles de cette dernière. Elle affirme avoir retiré de son curriculum vitae le nom de l’EMM. Toutefois, ledit CV n’a pas été produit. Elle est actuellement étudiante à l’Université de Montréal.

[148]    En contre-interrogatoire, elle a confirmé que le port du foulard faisait partie intégrante de l’uniforme scolaire des filles et que celles-ci reçoivent un avertissement si elles ne le portent pas.

[149]    Elle a également reconnu avoir une page Facebook, mais nié avoir écrit le commentaire suivant dédié à Djemila Benhabib et apparaissant sur sa page Facebook : « Le GIA aurait dû te liquider avant que tu puisses mettre les pieds ici conasse »[62] dédié à Djemila Benhabib.

[150]    À la question, de savoir ce qu’était le GIA, elle a répondu qu’il s’agissait des Groupes islamiques armés, basés en Algérie, pays d’origine de Djemila Benhabib.

[151]    Elle se défendra voulant qu’elle aurait été victime d’usurpation d’identité sur sa page Facebook, mais avouera du même souffle n’avoir jamais dénoncé cette imposture.

[152]    Kathy Malas, ancienne étudiante de l’EMM, a témoigné puisqu’elle y a fréquenté les institutions primaire et secondaire et y a gradué en 1999. Elle a également affirmé avoir retiré de son curriculum vitae le nom de l’EMM suite à l’entrevue en litige. Le CV n’a pas non plus été produit.

[153]    Elle est aujourd’hui vice-présidente du Forum musulman canadien et a un certain historique de débats intellectuels avec Djemila Benhabib[63]. Elle reconnaît avoir une pensée politico-religieuse à l’opposé de Djemila Benhabib.

[154]    Elle admet avoir déjà qualifié le discours de Djemila Benhabib d’islamophobe.

[155]     La preuve ne soutient pas les propos de Ahmed Khebir ni des autres témoins. Aucun dommage n’a été prouvé.

[156]    Même si le tribunal avait conclu que Djemila Benhabib avait prononcé des propos diffamatoires ayant causé une faute, l’EMM n’a prouvé aucun dommage.

c) Dans l’affirmative, l’EMM a-t-elle droit à des dommages suite à l’atteinte à sa réputation?

[157]    Bien que le tribunal ait conclu que la réputation de l’EMM n’avait pas été atteinte suite aux propos de Djemila Benhabib, il y a lieu de faire les commentaires suivants.

[158]    Dans le présent dossier, ce ne sont pas les élèves ni leurs parents qui ont été visés par les propos de Djemila Benhabib. Elle n’a critiqué aucun individu, mais bien une école, soit une entité corporative ainsi qu’une méthode d’enseignement, dans un contexte de sujets d’intérêt public.

La réclamation pour dommages moraux

[159]    En matière de diffamation, la jurisprudence est unanime en ce que la fixation des dommages moraux est arbitraire[64].

[160]    Nos tribunaux se montrent peu généreux dans l’octroi de dommages moraux aux personnes morales, car ils estiment qu’elles n’ont pas de sensibilité, d’émotivité et de vie privée.

[161]     L’EMM ne peut avoir d’expectative de vie privée. D’ailleurs, l’EMM a créé un événement de financement sur une page Facebook, pour faire face à ce procès, intitulé Our children are not terrorists. En ce faisant, les attentes de l’EMM en matière de vie privée diminuent d’autant.

[162]    Par ailleurs et en aucun temps, Djemila Benhabib a utilisé le mot terroriste lors de l’entrevue radiophonique.

[163]    Considérant l’état de la jurisprudence actuelle[65], la réclamation de l’EMM de 60 000,00 $ pour dommages moraux s’avère excessive.

[164]    En l’espèce, l’EMM qui est une personne morale prétend qu’en raison des propos de Djemila Benhabib, sa réputation a été ternie, tant aux yeux de la population montréalaise générale qu’aux yeux de la communauté musulmane.

[165]    Amhed Khebir a témoigné voulant que les dommages moraux ont plutôt été subis par la communauté musulmane, laquelle est un tiers par rapport à la présente instance.

[166]    Il a déclaré lors de son interrogatoire avant défense, que la communauté musulmane se disait très fâchée et humiliée par les propos de Djemila Benhabib. Dans ce contexte, la communauté musulmane a enjoint l’EMM de faire quelque chose pour ses enfants, d’où l’institution du présent recours[66].

[167]    Quant à la communauté non-musulmane, Ahmed Khebir a témoigné ne pas avoir reçu de leur part de réaction ni avoir subi d’actes de violence dirigés contre l’EMM ni contre ses étudiants. Il a néanmoins mentionné anticiper à tout moment de telles représailles[67].

[168]    Près de cinq ans après l’entrevue radiophonique, force est de constater que les actes de violence appréhendés par Ahmed Khebir ne se sont pas produits.

[169]     Sans nier que l’EMM ait pu être choquée par les propos de Djemila Benhabib, ceux-ci, pris dans leur ensemble, n’ont pas entaché sa réputation, de sorte qu’elle est mal fondée de réclamer quelque somme que ce soit à ce chapitre.

La réclamation pour dommages punitifs

[170]    L’EMM réclame 35 000 $ en dommages punitifs. Rien n’aurait justifié l’octroi de dommages-intérêts punitifs en l’instance.

[171]    La réclamation pour dommages punitifs ne résiste pas à l’analyse et aux critères exigeants établis par la jurisprudence[68].

[172]    En effet, rien dans l’enchainement des faits mis en preuve ne démontre que Djemila Benhabib avait le désir et la volonté de causer un préjudice à la réputation de l’EMM ou qu'elle ait voulu expressément et de mauvaise foi atteindre à la réputation de celle-ci.

[173]    Il est manifeste que Djemila Benhabib n'a pas agi de manière intentionnelle au sens de la loi. Elle n’a fait qu’accepter une invitation de participer à une tribune radiophonique, comme elle a l’habitude de le faire, afin de discuter et de débattre sur l’un des sujets auxquels elle dédie sa vie professionnelle.

VIII CONCLUSION

[174]    La demanderesse a échoué et n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et du lien de causalité.

[175]    POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[176]    REJETTE la demande introductive d’instance de l’École Musulmane de Montréal;

[177]    Avec les frais de justice.

 

 

 

__________________________________

CAROLE HALLÉE, J.C.S.

 

Me Julius H. Grey

Me Cornelia Herta Zvezdin

GREY CASGRAIN

Procureurs de la demanderesse

 

Me Marc-André Nadon

Me Amélie Dupras

PRÉVOST FORTIN D’AOUST

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d’audience :

26, 27, 28, 29 et 30 septembre 2016

 



[1]     L'utilisation des seuls prénoms et noms dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et l'on voudra bien n'y voir aucune discourtoisie à l'endroit des personnes concernées.

[2]     Pièce D-3.

[3]     Id.

[4]     Id.

[5]     Pièce D-8.

[6]     Pièce D-6.

[7]     Pièce D-7.

[8]     Pièce D-9.

[9]     Pièce P-2.

[10]    Pièce P-18.

[11]    Pièce D-16.

[12]    Pièce P-3.

[13]    Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U.)]

[14]    R.L.R.Q., C. c-12.

[15]    L.Q. 1991, c. 64.

[16]    Pièce D-21.

[17]    Pièce D-23.

[18]    Fabricants de jeux et jouets Wrebbit inc. c. Benoît, EYB 1996-86828 (C.S.), paragr. 8.

[19]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214.

[20]    FTQ - Construction c. Lepage, 2016 QCCA 1375.

[21]    Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, paragr. 38; Proulx c. Martineau, 2015 QCCA 472, paragr. 26.

[22]    Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U.)]

[23]    R.L.R.Q., C. c-12.

[24]    SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd, [1986] 2 R.C.S. 573, p. 583.

[25]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., 2011 CSC 9, paragr. 17.

[26]    Montréal (Ville) c. Cabaret Sex Appeal inc., [1994] R.J.Q. 2133, p. 2-3. Voir également : Confédération des syndicats nationaux c. Jetté, 2005 QCCA 1238, paragr. 50, où la Cour d’appel reconnaît que la liberté d’expression protège les propos « incivils ».

[27]    Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663, paragr. 34 et 83; Société TVA inc. c. Marcotte, 2015 QCCA 1118, paragr. 40-41.

[28]    Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201.

[29]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214.

[30]    Lafferty, Harwood & Partners c. Parizeau et al., [2003] R.J.Q. 2758 (C.A.).

[31]    Proulx c. Martineau, 2015 QCCA 472

[32]    Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61.

[33]    Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214, paragr. 19

[34]    Société TVA inc. c. Marcotte, 2015 QCCA 1280.

[35]    Revue Châtelaine, 26 avril 2013 par Jean-Yves Girard.

[36]    Pièce D-29.

[37]    Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037.

[38]    Rosenberg c. Lacerte, 2013 QCCS 6286, paragr. 186.

[39]    Id., paragr. 349.

[40]    Id., paragr. 345.

[41]    Id., paragr. 349 (Appel rejeté sur requête, 2014 QCCA 557).

[42]    Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 976; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc. [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 74.

[43]    Rosenberg c. Lacerte, 2014 QCCA 557.

[44]    Pièce D-1.

[45]    Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 67, l. 13-24.

[46]    Id., p. 75, l. 3-7.

[47]    Pièce D-3.

[48]    Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 320, l. 21-25 et p. 321, l. 1-5.

[49]    Id., p. 72, l. 24-25 et p. 73, l. 1-5.

[50]    Id., p. 314, l. 14-15, 22-25 et p. 315, l. 1-2.

[51]    Pièces D-8 et D-10.

[52]    Pièce D-11, p. 61, 76-77, 80, 113 et 118.

[53]    Pièces D-11, p. 113-118; D-13, p. 133-144 et Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 63, l. 8-20.

[54]    Pièces P-2, p. 13; D-12 et Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 77, l. 8-21.

[55]    Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 125-126.

[56]    Pièce D-11, p. 80-111.

[57]    Pièce D-15 et Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 367, l. 9-25 et p. 368, l. 1-9.

[58]    Interrogatoire avant défense de Ahmed Khebir, 17 janvier 2013, p. 370, l. 16-17.

[59]    Pièces P-13 et P-13A.

[60]    Pièces D-25 et D-26.

[61]    Pièces P-13 et P-14.

[62]    Pièces D-27C, D-27B et D-27.

[63]    24 heures en 60 minutes, émission animée par Anne-Marie Dussault à Radio-Canada.

[64]    Hill c. L'Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, p.1175.

[65]    Voltec Ltée c. CJMF FM Ltée, paragr. 79; Genex Communications c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, paragr. 84.

[66]    Interrogatoire après défense de la défenderesse, tenu le 15 mai 2013, p. 337, l. 11-25, p. 338, l. 1-4.

[67]    Id., p. 338, l. 6-16.

[68]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, 1996 3 R.C.S. 211, paragr. 117-118; De Montigny c. Brossard (Succession), 2010 3 R.C.S. 64, paragr. 47-49.

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