S.N. c. Miller | 2025 QCCS 85 | |||||
COUR SUPÉRIEURE (Chambre des actions collectives) | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-06-001225-230 | |||||
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DATE : | 14 janvier 2025 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CATHERINE PICHÉ, J.C.S. | ||||
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S.N. | ||||||
et | ||||||
B.N. (Madame 42) et | ||||||
V.R. (Madame 13) | ||||||
Demanderesses | ||||||
c. | ||||||
ROBERT GERALD MILLER et HELMUT LIPPMANN et RAYMOND POULET et FUTURE ELECTRONICS INC. et SAM JOSEPH ABRAMS | ||||||
Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT (autorisation D’ACTION collective) | ||||||
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I. APERÇU................................................................3
II. CONTEXTE LÉGISLATIF.................................................5
III. CONTEXTE FACTUEL..................................................11
IV. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES...........................................18
A. LA Demande de MILLER de produCTION comme preuve appropriée DE la Déclaration du 19 septembre 2008 EST REJETÉE 18
B. LES 46 déclarations anonymes signées, mais NON ASSERMENTÉES DES MEMBRES POTENTIELLES DU GROUPE SONT INCORPORÉES PAR RÉFÉRENCE AUX ALLÉGUÉS DE LA SIXIÈME DEMANDE D’AUTORISATION 21
V. ANALYSE..............................................................25
A. Le droit à l’autorisation d’action collective – principes généraux............25
B. Les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées (575(2) C.p.c.) 27
1. Le cadre juridique applicable à l’examen du paragraphe 575(2) C.p.c......28
2. Les causes d’actions des codemanderesses ne sont pas prescrites à leur face même 30
3. La suffisance des allégations quant à la faute, au dommage et au lien de causalité 35
a) Introduction.......................................................35
b) L’existence d’une cause défendable envers Miller......................40
c) L’existence d’une cause défendable envers Abrams....................43
d) L’existence d’une cause défendable envers Poulet.....................44
e) L’existence d’une cause défendable envers Lippmann..................46
f) L’existence d’une cause défendable envers Future.....................47
4. La suffisance des allégations relatives aux dommages punitifs...........50
5. La suffisance des allégations de solidarité des dommages...............52
6. Conclusion....................................................53
C. Les questions communes en vertu de l’article 575(1) C.p.c.................54
1. Les principes juridiques.............................................54
2. Les questions communes...........................................56
D. La composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester ou sur la jonction d’instances en vertu de l’article 5757(3) 63
E. La représentation par les trois codemanderesses est adéquate en vertu de l’article 575 (4) C.p.c. 65
VI. DEMANDES EN ABUS DE PROCÉDURE..................................68
A. Principes applicables.................................................68
B. APPLICATION AUX FAITS............................................69
CONCLUSION..............................................................74
[1] La présente demande d’autorisation d’agir sur une base collective est présentée par trois codemanderesses qui prétendent avoir été victimes d’un système de prostitution juvénile organisé pour le bénéfice sexuel de Robert G. Miller (« Miller [1]») par certains employés de la compagnie Future Electronics Inc. (« Future »), que Miller dirigeait alors. Ces agissements extrêmement graves se seraient déroulés sur plusieurs années, alors qu’elles avaient entre 11 ans et 17 ans.
[2] Précisément, les codemanderesses allèguent que les défendeurs Miller, Future, Sam Joseph Abrams (« Abrams »), Raymond Poulet (« Poulet ») et Helmut Lippmann (« Lippmann ») sont responsables de manière solidaire des fautes civiles découlant d’actes criminels d’exploitation sexuelle, d’incitations à des contacts sexuels, et d’actes de prostitution. Elles prétendent que Miller a fait de même avec environ cent (100) mineures, entre les années 1994 et 2006, toujours avec l’assistance de plusieurs employés de Future qui auraient participé au réseau de recrutement de mineures au bénéfice de Miller. Ces dernières étaient initialement « choisies » pour Miller, invitées à venir le rencontrer sur promesse de gain, des chambres d’hôtel étant louées pour les fins de les accueillir et de permettre la relation sexuelle, et de généreux cadeaux leur étant offerts en argent, vêtements, bijoux ou voyages, parfois avant la relation sexuelle, et systématiquement après cette dernière.
[3] La Cour suprême du Canada ces dernières années a sanctionné sévèrement
la violence sexuelle envers les femmes et les enfants. Selon cette haute Cour, l’éradication de la violence sexuelle envers les femmes est « l’un des défis les plus urgents auxquels est confrontée notre société »[2]. Pour ce qui est des enfants, cette Cour affirme que leur protection est « l’une des valeurs les plus fondamentales de la société canadienne. La violence sexuelle contre des enfants est particulièrement répréhensible parce qu’elle représente tout le contraire de cette valeur par la gravité des allégations.[3]»
[4] L’action collective vise à rendre la justice accessible à certaines personnes, des groupes souvent marginalisés, vulnérables. Moyen de procédure original et exceptionnel, instrument de justice sociale[4], l’action collective reflète le fonctionnement de la société.[5] C’est ainsi que depuis son introduction en droit québécois, elle ne cesse de se déployer dans de nouveaux domaines du droit, y inclus pour faire valoir les droits de victimes d’infractions de nature sexuelle.
[5] Au-delà des émotions vives que le présent dossier suscite, de même que de l’attention médiatique qui l’entoure, il s’agit ici précisément et uniquement de déterminer si l’action collective est le véhicule procédural approprié dans le cas d’un individu poursuivi avec des acolytes pour violences sexuelles envers des mineures pendant une longue période.
[6] Il faudra donc, en outre, déterminer si la présente demande invoquant des violences sexuelles soulève au moins une question identique, similaire ou connexe permettant l’exercice d’une action collective. En effet, les codemanderesses cherchent à faire autoriser l’action collective pour le compte du groupe suivant :
“ All persons who, while under the age of 18 years, performed sexual services in exchange for consideration with and/or were victims of sexual exploitation and/or were victims of sexual interference by Robert G. Miller or any other group to be determined by the Court.”
« Toutes les personnes qui, alors qu’elles étaient âgées de moins de 18 ans, ont fourni des services sexuels à Robert G. Miller en échange d’une rétribution, et/ou ont été victimes d’exploitation sexuelle, et/ou ont été victimes de contacts sexuels de la part de Robert G. Miller ou tout autre groupe à être déterminé par le Tribunal. »
Notre traduction
[7] C’est la deuxième fois qu’un tribunal québécois doit décider d’une demande comme celle-ci. La première fois, la Cour suprême du Canada a rejeté la permission d’en appeler de la Cour d‘appel du Québec de ne pas autoriser l’action collective des Courageuses, au nom de toutes les personnes harcelées et/ou agressées par Gilbert Rozon, magnat déchu de l’humour[6]. Comme il en sera fait état ci-après, le présent dossier se distingue nettement du cas de Rozon, de telle sorte à justifier l’exercice du véhicule procédural d’action collective dans ce dossier de violence sexuelle envers des mineures.
[8] Ainsi, pour les motifs qui suivent, l’action collective est autorisée contre tous les défendeurs, pour le compte du groupe suivant :
« Toutes les personnes qui, alors qu’elles étaient âgées de moins de 18 ans, ont fourni des services sexuels en échange d’une rétribution, et/ou ont été victimes d’exploitation sexuelle, et/ou ont été victimes d’incitation à des contacts sexuels de la part de Robert G. Miller, Raymond Poulet, Sam Joseph Abrams, Helmut Lippmann et/ou Future Electronics Inc. »
[9] Les quatre critères de l’article 575 C.p.c. sont donc remplis et les codemanderesses sont autorisées à agir de manière collective contre Miller, Poulet, Abrams, Lippmann et Future, puisque :
[10] Par la présente Demande, les codemanderesses invoquent, au nom d’un groupe de personnes défini, une série de contraventions à plusieurs dispositions du Code criminel (« C.cr. »), lesquelles imposent des normes de conduites qui auraient été violées de telle sorte à constituer une faute en vertu de l’article 1457 C.c.Q., et de 1463 C.c.Q. quant à Future. Puisque les faits en cause se sont déroulés entre 1996 et 2006 (environ), et que les articles pertinents du C.cr. ont été amendés durant cette période, il est utile de reproduire l’historique législatif suivant :
[11] Pour ce qui est du crime d’« Obtention de services sexuels moyennant rétribution — personne âgée de moins de dix-huit ans », avant d’être remplacé par l’article 286.1(2) en 2014, l’article 212(4) du C.cr. se lisait comme suit :
De 1996[7] au 1997-05-25 | (4) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient ou tente d’obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans. |
1997-05-26[8] au 1999-04-30 | (4) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient ou tente d’obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne qui est âgée de moins de dix-huit ans ou qu’il croit telle. |
1999-05-01[9] au 2005-10-31 | (4) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d’obtenir, moyennant rétribution, de tels services. |
2005-11-01[10] au 2014-12-05 | (4) Quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d’obtenir, moyennant rétribution, de tels services est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, la peine minimale étant de six mois. |
Depuis 2014 … l’article 286.1(2) se lit : | (2) Quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d’obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une telle personne est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant : a) de six mois, dans le cas d’une première infraction; b) d’un an, en cas de récidive. |
[Les soulignements visent à montrer l’évolution législative]
[12] Pour ce qui est du crime de « Contacts sexuels », en tout temps avant les amendements de 2008, l’article 152 C.cr. se lisait ainsi :
De 1996[11] au 2005-10-31 : | 152 Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un enfant âgé de moins de quatorze ans à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet. |
2005-11-01[12] au 2008-04-30 : | 152 Toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un enfant âgé de moins de quatorze ans à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de quarante-cinq jours; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours. |
2008-05-01[13] au 2012-08-08 : | 152 Toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un enfant âgé de moins de seize ans à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de quarante-cinq jours; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours. |
2012-08-09 au 2015-07-16 : | 151 Toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, touche directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de seize ans est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de un an;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatre-vingt-dix jours. |
2015-07-17 au 2024-11-26 : | 151 Toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, touche directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de seize ans est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de quatre-vingt-dix jours. |
Version actuelle : | 151 Toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, touche directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de seize ans est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de quatre-vingt-dix jours. |
[Les soulignements visent à montrer l’évolution législative]
[13] Pour ce qui est du crime d’« Exploitation sexuelle », l’article 153 C.cr. se lit comme suit :
De 1996[14] au 2005-10-31 : | 153 (1) Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’un adolescent ou à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance et qui, selon le cas : a) à des fins d’ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l’adolescent; b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet. (2) Pour l’application du présent article, adolescent s’entend d’une personne âgée de quatorze ans au moins, mais de moins de dix-huit ans. |
2005-11-01[15] au 2008-04-30 : | 153 (1) Commet une infraction toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’un adolescent, à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l’adolescent et qui, selon le cas : a) à des fins d’ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l’adolescent; b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet. (1.1) Quiconque commet l’infraction visée au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de quarante-cinq jours; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours. (1.2) Le juge peut déduire de la nature de la relation entre la personne et l’adolescent et des circonstances qui l’entourent, notamment des éléments ci-après, que celle-ci est dans une relation où elle exploite l’adolescent : a) l’âge de l’adolescent; b) la différence d’âge entre la personne et l’adolescent; c) l’évolution de leur relation; d) l’emprise ou l’influence de la personne sur l’adolescent. (2) Pour l’application du présent article, adolescent s’entend d’une personne âgée de quatorze ans au moins, mais de moins de dix-huit ans. |
2008-05-01[16] au 2012-08-08 : | 153 (1) Commet une infraction toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’un adolescent, à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l’adolescent et qui, selon le cas : a) à des fins d’ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l’adolescent; b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet. (1.1) Quiconque commet l’infraction visée au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, la peine minimale étant de quarante-cinq jours; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours. (1.2) Le juge peut déduire de la nature de la relation entre la personne et l’adolescent et des circonstances qui l’entourent, notamment des éléments ci-après, que celle-ci est dans une relation où elle exploite l’adolescent : a) l’âge de l’adolescent; b) la différence d’âge entre la personne et l’adolescent; c) l’évolution de leur relation; d) l’emprise ou l’influence de la personne sur l’adolescent. (2) Pour l’application du présent article, adolescent s’entend d’une personne âgée de seize ans au moins, mais de moins de dix-huit ans. |
Version actuelle : | 153 (1) Commet une infraction toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’un adolescent, à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l’adolescent et qui, selon le cas : a) à des fins d’ordre sexuel, touche, directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps de l’adolescent; b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet. Peine (1.1) Quiconque commet l’infraction visée au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de quatre-vingt-dix jours. Déduction (1.2) Le juge peut déduire de la nature de la relation entre la personne et l’adolescent et des circonstances qui l’entourent, notamment des éléments ci-après, que celle-ci est dans une relation où elle exploite l’adolescent : a) l’âge de l’adolescent; b) la différence d’âge entre la personne et l’adolescent; c) l’évolution de leur relation; d) l’emprise ou l’influence de la personne sur l’adolescent. Définition de adolescent (2) Pour l’application du présent article, adolescent s’entend d’une personne âgée de seize ans au moins, mais de moins de dix-huit ans. |
[Les soulignements visent à montrer l’évolution législative]
[14] Enfin, les articles 21(1)(b) et 23(1) du C.cr. C.cr. sont également invoqués pour ce qui est de la complicité de certains des défendeurs :
Version actuelle de 21(1)(b) : | Participants à une infraction 21 (1) Participent à une infraction : a) quiconque la commet réellement; b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre; c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre. Intention commune (2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.
|
Version actuelle de 23(1) : | Complice après le fait
23 (1) Un complice après le fait d’une infraction est celui qui, sachant qu’une personne a participé à l’infraction, la reçoit, l’aide ou assiste en vue de lui permettre de s’échapper. |
[Les soulignements visent à montrer l’évolution législative]
[15] Je reprends pour fins pratiques l’exposé des faits allégués à la Demande d’autorisation initiale, tels que résumés par l’honorable juge Christian Immer, précédent gestionnaire du dossier :
« [18] La demande d’autorisation originale a été déposée en février 2023. Elle était dirigée contre Future Electronics Inc. et Robert Gerald Miller, son fondateur, président et chef de la direction. Il y est allégué, entre autres, ce qui suit :
18.1. Des émissions de la série Enquête et du Fifth Estate sont diffusées le 2 février qui relatent que six femmes ont eu des relations sexuelles avec Miller lorsqu’elles étaient mineures et qu’elles ont toutes décrit des expériences semblables impliquant des faveurs sexuelles rémunérées à coups de milliers de dollars, de voyages et de sacs de hockey remplis de cadeaux. Un récit semblable était aussi relaté dans la The Gazette.
18.2. Le lendemain, Miller démissionne et Future met fin à la relation d’emploi de Sam Abrams, Vice-président exécutif et de Raymond Poulet, un conseiller privé de Miller et aux services de la société National Criminal Investigation Service (« NCIS »).
18.3. Née en 1978, la demanderesse (S.N.) a répondu à une annonce cherchant à recruter des « accessory models » à laquelle elle a donné suite en se rendant à un hôtel du centre-ville où un homme a pris une photo d’elle et lui a fait signer un contrat. Ensuite, Miller, s’identifiant comme Bob Abrams, un homme d’affaires de New York, l’a contacté par téléphone et ils se sont entretenus à plusieurs reprises.
18.4. Il lui a envoyé un autre homme pour l’aider à louer un appartement pour la demanderesse et pour payer le dépôt.
18.5. Peu de temps après cela, alors qu’elle n’avait que 17 ans, elle a rencontré Miller pour une durée de deux heures et ils se sont embrassés. Lors d’une deuxième rencontre qui a eu lieu dans la première moitié de 1996, elle a eu une première relation sexuelle avec Miller. Ils ont continué à se voir et d’avoir des relations sexuelles jusqu’en 1999, à sept ou dix reprises. Il lui versait 1 000$ à 2 000$ en espèces à chaque occasion et à une reprise, 3 000$.
18.6. À la dernière occasion, elle a réalisé qu’il ne s’appelait pas Bob Abrams lorsqu’il lui a exhibé un certificat de détection du SIDA négatif qui ne portait pas ce nom.
18.7. La demanderesse allègue que la responsabilité de Future est engagée à titre de commettant pour les actes de plusieurs de ses employés qui ont aidé Miller à commettre ses actes fautifs. Par ailleurs, les liens étroits (close ties) entre les défendeurs les rend solidairement responsables.
18.8. Abrams a œuvré pour Future pendant 45 ans, gravissant les échelons de manutentionnaires à vice-président exécutif. Connu par le nom « Joseph » par les membres putatives, il louait les chambres d’hôtel, approuvait la sélection des jeunes filles, organisait les voyages et remettait des enveloppes d’argent supplémentaire à certaines d’entre elles.
18.9. Poulet agit comme entremetteur en présentant des jeunes filles et en les accueillant dans sa chambre d’hôtel avant qu’elles ne se rendent dans celle de Miller.
18.10. Au départ les filles étaient rencontrées dans des hôtels, mais ensuite au [...] à Westmount.
18.11. Helmut Lippman [l’orthographe varie] acquiert le [...] en 2004 alors qu’il est à l’emploi de Future. En fait, il a œuvré pour Future pendant 40 ans et était notamment directeur général du magasin de Toronto.
18.12. En 2004, Lippman transfère la maison à la société 4306805 Canada Inc. L’adresse de cette société est située, de 2007 à 2021, aux bureaux du siège social de Future et son unique actionnaire, officier et administrateur de l’entreprise est à l’origine un avocat de l’étude Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L. et au moment de l’institution des procédures, par un autre avocat de l’étude Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L.
18.13. La demanderesse allègue que cette expérience a un effet psychologique délétère sérieux. Cela a porté atteinte à son estime d’elle-même. Elle s’est sentie honteuse, coupable et elle était déprimée; elle a consommé de la drogue et de l’alcool.
18.14. Elle n’a pas fait le lien entre « these paid sexual encounters and her negative feelings toward herself ». Elle n’en a parlé à personne jusqu’à ce qu’elle voie l’épisode de l’émission du Fifth Estate. Tous les sentiments négatifs sont alors réapparus et elle en a été « re-traumatized ».
18.15. Elle n’avait pas l’état d’esprit requis pour entreprendre une poursuite avant aujourd’hui. Elle ne connaissait pas le nom de Miller et elle avait subi « too much emotional scarring and repression ».
18.16. Elle réclame 1 million$ à titre de préjudice moral et 1,5 million $ comme dommage punitif.
18.17. Puisque les événements se sont déroulés de 1994 à 2006, « it is safe to estimate that the number may be fairly significant, though still modest ». Elle espère que plusieurs femmes se manifesteront.
[19] La demanderesse allègue que les questions de faits et de droit similaires sont les suivantes :
a) Did Defendant Robert G. Miller obtain for consideration the sexual services of persons who were under the age of 18 years in contravention of section 286.1 of the Criminal Code?
b) Did Defendant Robert G. Miller sexual exploit young persons in contravention of section 153 of the Criminal Code?
c) Did Defendant Robert G. Miller unlawfully interfere with Class Members’ dignity, inviolability, and honour in contravention with articles 1 and 4 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms? If so, was such unlawful interference intentional under article 49 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms?
d) Did Defendant Robert G. Miller commit a civil fault under article 1457 C.C.Q.?
e) Did any of Defendant Future Electronics’ subordinates commit any wrongful acts engaging the vicariously liability of its principal in accordance with article 1463 C.C.Q.?
f) Has prescription been interrupted for Class Members due to psychological inability to act or impossibility in fact to act in accordance with article 2904 C.C.Q.?
g) When, if at all, would prescription begin to run against Class Members in accordance with article 2926.1 C.C.Q.?
[20] À partir d’août 2023, la demanderesse a déposé quatre modifications de la demande, la dernière telle modification étant en date du 31 octobre 2022. [17]»
[16] Plusieurs modifications ont été faites à la Demande d’autorisation initiale.
Le 27 mars 2024, le juge Immer approuve une quatrième modification (la Fourth Amended Application to Authorize the Bringing of a Class Action & to Appoint the Applicants as Representative Plaintiffs), laquelle vise à ajouter B.N. comme requérante.
[17] Précisons que contrairement à S.N. qui allègue avoir été âgée de 17 ans au moment des faits impliquant Miller, B.N. (Madame 42) avance qu’elle n’avait que 11 ans lorsqu’elle a eu sa première relation sexuelle avec lui. Elle explique qu’elle a eu des « ongoing sexual relations with him starting while she was 11 and it lasted until she was 20 years old. In total, the Applicant B.N. saw Defendant Miller at least 30 times, at a frequency of sometimes a few times per month and other times many months apart ».
[18] B.N. réitère dans la demande d’autorisation le contenu complet de sa Déclaration anonyme signée non assermentée (nous y reviendrons) en pièce R-60, et ajoute qu’elle a parlé au téléphone 5 à 6 fois avec Abrams, après que les rendez-vous sexuels se déplacent de l’Hôtel Reine Élizabeth aux maisons de Westmount au début des années 2000. Spécifiquement, elle explique que les rencontres étaient organisées avec une certaine S.G., mais qu’elle recevait également occasionnellement un appel d’un certain « Joseph », soit Abrams, 24 à 48 heures avant la rencontre, pour lui préciser les détails de ladite rencontre.
[19] Pour ce qui est de l’impact psychologique des évènements, elle indique s’être sentie sale et triste, avoir eu des problèmes d’estime de soi, de culpabilité et d’agressivité. En plus de cauchemars et d’insomnie, elle a dû suivre une thérapie dès ses 18 ans et est devenue dépendante aux drogues.
[20] B.N. ajoute à sa déclaration sur l’incapacité d’agir (par. 38 à 41) un rapport d’expert d’un psychologue produit en pièce R-76.
[21] Elle prétend que ses dommages sont la cause directe des agissements des défendeurs et qu’elle est donc justifiée de réclamer 5 millions de dollars en dommages compensatoires et 1,5 million de dollars en dommages punitifs.
[22] Par le biais d’une cinquième demande de modification de leur demande d’autorisation, les codemanderesses S.N. et B.N. demandent d’ajouter V.R. comme codemanderesse. Cette dernière était initialement demanderesse au recours intenté en août 2023 dans le dossier numéro 500-06-001256-235, mais s’en désiste[18]. La demande de modification est approuvée le 9 septembre 2024, donnant lieu à la Fifth Amended Application to Authorize the Bringing of a Class Action & to Appoint the Applicants as Representative Plaintiffs (la « Cinquième Demande »).
[23] V.R. réitère dans la Cinquième Demande le contenu de sa déclaration anonyme signée et non assermentée produite en R-29. Elle ajoute qu’elle a rencontré Miller à 16 ans à travers S.G. et a commencé à avoir des relations sexuelles avec lui à ce moment. S.G. lui a alors expliqué qu’un homme riche prénommé « Bob » lui donnerait de l’argent et des cadeaux si elle acceptait de le rencontrer.
[24] V.R. rencontre donc Miller dans une chambre de l’Hôtel Reine Élizabeth. Ils discutent de ses études en secondaire 4, de ses ambitions et de ses rêves. Miller lui promet de l’aider à les réaliser.
[25] Il lui demande alors d’aller prendre un bain et de le rejoindre à la chambre. Ils ont une relation sexuelle complète non protégée. Elle reçoit une enveloppe de 3 000 $ en quittant et remet 500 $ à S.G.
[26] V.R. continue d’avoir des relations sexuelles avec Miller environ deux fois par mois pendant la prochaine année et demie, et chaque fois elle reçoit la même somme, en plus de cadeaux en vêtements et sacs luxueux.
[27] Après un certain temps, c’est Joseph (Abrams) qui devient la personne contact pour organiser les rencontres. Elle fréquente Miller plus régulièrement, soit 4 fois par mois. Miller organise une visite au médecin pour qu’elle passe qu'elle effectue un test de dépistage de maladie sexuellement transmissible.
[28] Les rencontres prennent fin lorsque la mère de V.R. apprend les évènements et l’expulse de la maison familiale. Au même moment, Miller se désintéresse d’elle. V.R. a alors 18 ans.
[29] L’expérience vécue avec Miller a eu un profond impact psychologique sur V.R., entre autres sur ses relations avec sa mère, son frère et son conjoint de l’époque qui rompt avec elle et l’insulte de tous les noms. Par la suite, elle commence à consommer des drogues, perd complètement confiance en elle, et est profondément affectée dans ses relations intimes. Elle se sent sale, honteuse et dépressive. Elle réussit à compléter ses études à 29 ans.
[30] V.R. réprime ses sentiments et son expérience pendant de nombreuses années et ce n’est que lorsqu’elle visionne le reportage d’Enquête intitulé « Le Système Miller – des jeunes filles, de l’argent, des hôtels » qu’elle réussit à en partager son expérience vécue, pour « obtenir justice » pour elle-même et pour d’autres. Elle réclame 2 millions de dollars en dommages compensatoires et 1,5 million de dollars en dommages punitifs.
[31] Les codemanderesses proposent, le troisième matin de l’audience sur l’autorisation, la modification suivante à la Cinquième Demande:
“ h) Are one or all Defendants liable, whether solidarily or not, to Class Members for compensatory damages (…)?
h.1) What is the quantum of damages that can be established collectively and what damages must be established at the stage of individual claims,
if applicable?”
[32] Cette dernière modification fut approuvée le jour même par la soussignée (la « Sixième Demande »).
[33] En somme, par leur Sixième Demande, les codemanderesses reprochent aux défendeurs les points suivants :
En ce qui concerne Miller :
En ce qui concerne Abrams :
En ce qui concerne Poulet :
En ce qui concerne Lippmann :
En ce qui concerne Future :
[34] Les défendeurs contestent tous les critères de l’article 575 C.p.c., en plus de prétendre que la demande est contraire au principe de proportionnalité et que les codemanderesses doivent être condamnées à des dommages pour abus de procédure découlant de la seconde demande de sauvegarde qu’elles ont présentée.
[35] Au début février 2024, la demanderesse initiale S.N. dépose une demande d’autorisation d’exercer une action collective contre Miller.
[36] Le 2 février 2024, les demandeurs déposent leur quatrième demande modifiée pour permission d'autoriser une action collective et désigner les demanderesses en qualité de représentantes. Cette demande modifiée vise à inclure B.N. en tant que codemanderesse à l’action collective.
[37] Le 27 mars 2024, le juge Christian Immer autorise les modifications apportées par la quatrième demande modifiée.
[38] Comme indiqué ci-haut, la Cinquième Demande est subséquemment déposée le 19 août 2024, souhaitant ajouter V.R. comme représentante désignée. Le 9 septembre suivant, les modifications demandées sont autorisées.
[39] Le même jour, Miller annonce son intention de présenter une demande de preuve appropriée en lien avec les allégations avancées par V.R.
[40] Le 20 septembre 2024, Miller notifie sa Demande de type « Wagg » visant la communication de documents en la possession d’un tiers et donc l’autorisation de pouvoir utiliser une partie de la preuve qui a été divulguée à ses avocats par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (« DPCP ») dans le cadre des dossiers en Cour du Québec portant les numéros 500-01-257044-243 et 500-01-266714-242. J’ai accueilli cette demande et reporté à l’audience sur l’autorisation la demande de preuve appropriée en vertu de l’article 574 C.p.c.[19]
[41] Il s’agit donc de déterminer si la déclaration sous serment de V.R., laquelle est datée du 19 septembre 2008 et comprend 10 pages de questions et réponses recueillies par une dénommée Leeanne Bastos Couto, devant témoin, est admissible à ce stade des procédures (la « Déclaration du 19 septembre 2008 »).
[42] Il est désormais acquis qu'au stade de l’autorisation, une preuve n'est appropriée que si elle est pertinente et utile à la vérification des critères de l'article 575 C.p.c. et qu'elle respecte les principes des articles 18 et 19 C.p.c.
[43] Les critères applicables à toute demande de preuve appropriée en vertu de l’article 574 C.p.c. sont clairement énoncés par la Cour d’appel dans Durand c. Subway Franchise Systems of Canada:
« [51] Cette preuve doit […] être essentielle, indispensable et limitée à ce qui permet de démontrer sans conteste que les faits allégués sont invraisemblables ou faux. Elle ne doit pas avoir pour effet de forcer la tenue d’un débat contradictoire sur une question de fond ou, dit autrement, entraîner la tenue d’un procès avant le procès.
[52] Si la preuve déposée est susceptible d’être éventuellement contredite par le requérant, le juge de l’autorisation doit faire preuve de prudence et ne pas tenir pour acquis qu’elle est vraie. Il doit se rappeler qu’il ne doit tenir pour avérés que les faits allégués par le requérant et non pas ceux allégués par l’intimé, même lorsque la preuve produite par ce dernier démontre prima facie l’existence de ces faits.
[53] À ce stade, le fardeau du requérant en étant un de logique (également qualifié de fardeau de démonstration) et non de preuve, il n’a d’ailleurs pas à offrir une preuve prépondérante de ce qu’il avance, mais bien, tout au plus, une « certaine preuve » et n’a pas l’obligation de contester la preuve que l’intimé dépose, ni d’y répondre. D’ailleurs, il n’est souvent pas en mesure de le faire puisqu’il n’a pas toujours toute la preuve en main, une bonne partie de celle-ci pouvant être en possession de l’intimé.
[54] Bref, la preuve déposée par un intimé au soutien de sa contestation ne change pas le rôle du juge de l’autorisation qui peut, certes, trancher une pure question de droit et interpréter la loi pour déterminer si l’action collective projetée est frivole, mais qui ne peut, pour ce faire, apprécier la preuve comme s’il y avait eu un débat contradictoire ou encore présumer vraie celle déposée par l’intimé alors qu’elle est contestée ou simplement contestable. »[20]
Références omises
[44] Il faut ajouter à ces considérations les critères de l’arrêt Homsy c. Google relativement au critère de l’apparence de droit à l’autorisation d’exercer une action collective (art. 575(2) C.p.c.)[21]:
• Quant à l’apparence de droit, le requérant n’a qu’un fardeau de démonstration et non de preuve. Il doit démontrer l’existence d’une « apparence sérieuse de droit », d’une « cause défendable »;
• Les faits qui ne sont pas à la connaissance personnelle du demandeur n’ont pas à être appuyés d’une « certaine preuve » si les allégations qui les décrivent ne sont pas vagues et imprécises. La Cour d’appel explique que la jurisprudence québécoise (dont la sienne) avait mal lu et interprété la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Le test de l’apparence de droit est donc le suivant : si les faits allégués sont suffisamment clairs, précis et spécifiques, la partie en demande est dispensée de fournir une « certaine preuve » au soutien de ce qu’elle allègue;
• Le Tribunal ne doit pas, à ce stade, se pencher sur le fond du litige et il doit prendre les faits pour avérés, sauf s’ils apparaissent invraisemblables ou manifestement inexacts. Le Tribunal doit prêter une attention particulière, non seulement aux faits allégués, mais aussi aux inférences ou présomptions de fait ou de droit qui sont susceptibles d’en découler et qui peuvent servir à établir l’existence d’une « cause défendable »;
• Il faut garder à l’esprit qu’avant le jugement d’autorisation, le recours n’existe pas sur une base collective. C’est donc à la lumière du recours individuel de la personne demanderesse qu’il sera déterminé si les conditions de l’article 575 C.p.c. sont remplies. »
Références omises; Nos soulignements
[45] Le défendeur Miller prétend que la Déclaration du 19 septembre 2008 doit être admise en preuve puisqu’elle permet de démontrer la fausseté et l’absence de plausibilité des faits allégués par V.R. à la Demande d’autorisation. Les codemanderesses s’opposent à ladite demande, pour des raisons évidentes, en outre, parce que la déclaration ne serait ni crédible ni fiable, la déclaration ayant été prise à un moment où V.R. ne souhaitait pas collaborer en partageant son expérience et en dénonçant les faits.
[46] Cette preuve n’est pas autorisée, pour les raisons qui suivent.
[47] D’abord, bien qu’elle puisse être pertinente aux fins de détermination de la cause d’action de V.R. et des critères de l’article 575 C.p.c., le défendeur Miller ne peut mettre en preuve des éléments qui relèvent de la nature d’un moyen de défense au mérite. La preuve appropriée ne doit pas avoir pour effet de forcer la tenue d’un débat contradictoire sur une question de fond ou, autrement dit, entraîner la tenue d’un procès avant le procès[22].
[48] Or, c’est bien ce que cette déclaration contribue à faire, puisque, comme le révèle d’ailleurs le plan d’argumentation du défendeur Miller, elle viendrait contredire, à six égards, les allégations de V.R. à la Sixième Demande (voir par. 19 du Plan).
Cette déclaration atteste que V.R. n’aurait jamais rencontré
le défendeur Miller, n’aurait jamais eu de relation sexuelle avec lui ou été rémunérée pour de tels rapports, ne connaitrait pas l’hôtel Reine Élizabeth ni le défendeur Abrams, faits qui apparaissent contraires à ceux invoqués à la demande d’autorisation.
[49] Or, je rappelle qu’il ne s’agit pas ici de tenir un débat contradictoire.
[50] La Cour d’appel dans Asselin[23], a d’ailleurs statué que l’admission de preuve appropriée doit être faite avec modération et être réservée à l’essentiel et l’indispensable; l’essentiel et l’indispensable, du côté de la défense, limite la preuve à ce qui permet d’établir sans conteste l’invraisemblance ou la fausseté de la demande.
[51] Or, même s’il est difficile d’apprécier la teneur ou le portrait complet des circonstances de cette déclaration du 19 septembre 2008, en l’espèce, et qu’il n’est pas non plus approprié à ce stade d’en faire l’exercice, je souligne qu’elle n’établit pas à mon sens « sans conteste » l’invraisemblance ou la fausseté de la demande. En effet, la déclarante a pu livrer une version faussée sous l’emprise de la crainte de livrer sa version des faits à un moment trop précoce où sa fragilité perdure.
[52] Si la preuve déposée est contradictoire et susceptible d’être éventuellement contredite, la juge de l’autorisation doit faire preuve de prudence et ne pas tenir pour acquis qu’elle est vraie. Elle doit tenir les faits de la demande pour avérés.
[53] Ainsi, l’exercice auquel je suis tenue à l’autorisation en est un d’examen sommaire des faits allégués de la Demande d’autorisation, tel que pris pour avérés. Il n’est donc pas approprié ici de considérer, à ce stade, la Déclaration de V.R. du 19 septembre 2008.
[54] Les défendeurs s’objectent à « l’admission en preuve » des quarante-six (46) déclarations anonymes signées, mais non assermentées, produites par les codemanderesses au soutien de leur Sixième Demande. Ils prétendent que puisque ces déclarations constituent des témoignages d’individus (chacune des déclarations référant à une différente « Madame ») qui ne sont pas parties au litige, leur admission en preuve au stade de l’autorisation implique qu’ils puissent avoir droit de déposer une preuve pour les contredire. Les défendeurs auraient donc voulu voir la Déclaration du 19 septembre 2008 considérée en preuve pour contredire la déclaration de V.R. en pièce
R-29.
[55] Je souligne ici que c’est le précédent juge gestionnaire Immer qui a eu à déterminer, lors d’une audience du 2 novembre 2023, s’il y avait lieu de décider de la troisième demande de modifications de la demande d’autorisation et du rejet des déclarations en cause parce qu’elles étaient assermentées, mais que les défendeurs n’avaient pas eu droit de contre interroger les déclarantes.
[56] À cette audience, le juge a mentionné son inquiétude relativement à la présence au dossier de déclarations sous serment anonymisées de victimes qui pourraient être des membres potentielles du groupe. Les défendeurs s’opposaient alors au droit de la demanderesse de déposer des déclarations sous serment anonymes et annonçaient vouloir interroger les déclarantes, invoquant leur droit strict de ce faire, autant en vertu de l’article 85 C.p.c. que dans une perspective plus large de leur droit à une défense pleine et entière. Le juge Immer s’inquiétait alors du dérapage procédural et du manque de proportionnalité que ces mesures engendreraient.
[57] Le juge rappela alors les enseignements de la Cour d’appel, particulièrement dans l’arrêt Homsy, à l’effet que l’autorisation ne doit pas servir de forum pour débattre du fond du dossier, et que les allégations doivent être tenues pour avérées dans la mesure où « les faits allégués sont suffisamment clairs, précis et spécifiques, la partie en demande [étant] dispensée de fournir une « certaine preuve » au soutien de ce qu’elle allègue »[24]. Il précisa que ce principe est aussi vrai pour la demande que pour la défense.
[58] Référant à l’arrêt Haroch, il précisa que la partie demanderesse ne dépose pas les pièces « en preuve à proprement parler, car son fardeau en est un de démonstration et non de preuve » et qu’« il est désormais acquis qu’elle n’est pas limitée à invoquer des pièces qui seraient recevables en preuve lors de l’instruction au fond »[25].
[59] Le juge Immer statuait que :
« [44] […] le fait que ces déclarations soient signées n’en fait pas un témoignage, ni ne rehausse, leur crédibilité. Le Tribunal considère qu’elles ne servent qu’à alléger la demande qui autrement devrait contenir les 51 récits relatés dans les déclarations et que leur contenu est donc incorporé par référence pour fins de commodité. Le Tribunal les traitera donc comme des allégations.
[45] Or, ces déclarations ne sont pas de la preuve à proprement parler, la demanderesse n’ayant qu’un fardeau de démonstration. La partie demanderesse n’est pas limitée « à invoquer des pièces qui seraient recevables en preuve lors de l’instruction au fond ». Le Tribunal devra, à l’audience sur l’autorisation, leur donner « plus ou moins de poids selon leur utilité dans l’analyse du caractère soutenable du syllogisme juridique proposé ». Comme l’explique la Cour d’appel dans Haroch :
[15] Il s’ensuit logiquement que, lorsque le tribunal est invité à rejeter une pièce à l’étape de l’autorisation d’exercer une action collective, la question qui doit le guider sur le plan substantiel n’est pas de savoir si la pièce en question satisfait aux conditions de recevabilité posées par le droit de la preuve. La question est plutôt de savoir si cette pièce est susceptible d’être d’une quelconque utilité dans l’appréciation du caractère soutenable du syllogisme juridique proposé par la partie demanderesse. »[26]
[Références omises; Nos soulignements]
[60] Finalement, le juge Immer accorda à la demanderesse un délai supplémentaire pour déposer une nouvelle demande remodifiée ainsi que de nouvelles pièces, précisant que le contenu des déclarations anonymes non assermentées devait notamment être intégré dans la procédure pour en faire des allégations.
[61] Je reproduis ci-après un extrait de l’arrêt Haroch qui met l’emphase sur l’usage des pièces en demande au stade de l’autorisation pour appuyer simplement le syllogisme juridique proposé, sans que ne soit véritablement appréciée leur force probante :
« [8] […] l’audience relative à une demande d’autorisation d’exercer une action collective ne saurait être assimilée à l’instruction au fond, car l’étape de l’autorisation ne constitue qu’un simple mécanisme de filtrage dans le cadre duquel le fardeau de la partie demanderesse n’en est pas un de preuve, mais simplement « de “démonstration” du caractère soutenable du “syllogisme juridique” proposé ». La partie demanderesse n’a donc pas à prouver que son recours repose sur un fondement factuel suffisant, et le tribunal doit analyser le caractère soutenable du syllogisme juridique qu’elle propose en tenant pour avérés les faits allégués dans sa demande. Il s’ensuit que, lorsque, comme en l’espèce, la partie demanderesse choisit de joindre à sa demande certaines pièces, elle ne le fait pas dans le but de les produire en preuve au sens strict du terme : elle n’invoque pas ces pièces dans le but de convaincre le tribunal de tirer quelque conclusion de fait que ce soit — le tribunal devant d’ailleurs se garder de se prononcer sur leur force probante; elle le fait seulement afin d’appuyer ses prétentions quant au caractère soutenable du syllogisme juridique qu’elle propose.
[…]
[14] […] la partie demanderesse qui choisit d’invoquer des pièces au soutien de sa demande d’autorisation ne cherche pas à les produire en preuve à proprement parler, car son fardeau en est un de démonstration et non de preuve. Voilà pourquoi il est désormais acquis qu’elle n’est pas limitée à invoquer des pièces qui seraient recevables en preuve lors de l’instruction au fond. Le juge autorisateur est généralement tenu de prendre en considération tous les éléments invoqués en demande, et il lui revient de faire la part des choses, en leur accordant plus ou moins de poids selon leur utilité dans l’analyse du caractère soutenable du syllogisme juridique proposé. » [27]
[Références omises; Nos soulignements]
[62] Ainsi, de la même manière, les présentes déclarations anonymes signées, mais non assermentées, serviront à appuyer le syllogisme juridique des codemanderesses, sans que leur force probante ne soit appréciée.
[63] Or, au paragraphe 7.1 de la Sixième Demande, les codemanderesses incluent un tableau des victimes indiquant leur âge au moment de la première relation sexuelle avec Miller, les années de fréquentation sexuelle avec Miller, les sommes reçues de Miller, et le numéro de pièce qui détaille ces informations. Elles ajoutent que “Most of these women have signed anonymous declarations detailing their personal experiences, which are produced as if recited at full-length herein”.
[64] Je souligne que ce type de tableau des victimes a servi à soutenir l’autorisation du recours collectif dans L’Oratoire[28]. La Cour suprême statuait que le tableau servait à déterminer la « cause défendable », puisqu’il exposait des faits « précis et palpables » qui soutenaient en eux-mêmes la prétention du demandeur selon laquelle
la congrégation avait connaissance des agressions qui auraient été commises par ses membres sur des enfants, et faisait en sorte qu’il était « possible de soutenir, au stade de l’autorisation, qu’il y aurait lieu lors de l’audition de l’action sur le fond d’en tirer l’inférence que la Congrégation savait ou ne pouvait ignorer que certains de ses membres se livraient à des agressions sur des enfants »[29].
[65] Ainsi, pour les fins des présentes, je considèrerai toutes les pièces au dossier,
y inclus les déclarations anonymes signées, mais non assermentées, lesquelles sont intégrées par référence aux allégations de la Sixième Demande. Ces déclarations sont utiles à la détermination du syllogisme proposé en demande.
[66] Les allégations de la demande sont considérées pour avérées et
les 46 déclarations serviront à éclairer l’examen des critères de l’art. 575 C.p.c., à ce stade préliminaire du dossier.
[67] L’action collective est un moyen procédural permettant à une personne d’agir en demande, sans mandat, pour le compte de tous les membres d’un groupe dont elle fait partie et de les représenter, en vertu de l’art. 571 C.p.c.
[68] Ce véhicule procédural poursuit plusieurs objectifs dont ceux de faciliter l’accès à la justice, de modifier des comportements préjudiciables et d’économiser les ressources judiciaires[30].
[69] L’article 575 du Code de procédure civile (« C.p.c. ») prévoit les quatre (4) critères applicables aux fins de l’autorisation de l’exercice d’une action collective:
575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que: 1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes; 2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées; 3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance; 4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.
| 575. The court authorizes the class action and appoints the class member it designates as representative plaintiff if it is of the opinion that (1) the claims of the members of the class raise identical, similar or related issues of law or fact; (2) the facts alleged appear to justify the conclusions sought; (3) the composition of the class makes it difficult or impracticable to apply the rules for mandates to take part in judicial proceedings on behalf of others or for consolidation of proceedings; and (4) the class member appointed as representative plaintiff is in a position to properly represent the class members. |
[70] Ces conditions sont exhaustives, de sorte que si elles sont toutes satisfaites, la juge d’autorisation doit autoriser l’action collective. Celle-ci exerce une certaine forme de discrétion dans l'appréciation de la satisfaction des conditions d'autorisation. Ainsi, si l'une des conditions énoncées à l'article 575 C.p.c. n'est pas satisfaite, elle doit rejeter la demande d’autorisation.
[71] Le droit applicable à l’étape de l’autorisation fut maintes fois réitéré, et est clairement énoncé par la juge Marie-France Bich dans l’arrêt Tessier[31]:
« [25] Conformément à l’enseignement de la Cour suprême, ces quatre conditions doivent être interprétées de façon libérale, souple, généreuse, en vue de faciliter l’exercice de l’action collective, véhicule d’accès à la justice et « moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes ».
[26] C’est ainsi qu’une seule question commune peut suffire à satisfaire l’exigence du paragr. 575(1), si elle permet de faire avancer le débat ou de favoriser son règlement d’une manière non négligeable, sans qu’on doive nécessairement y apporter une réponse commune.
[27] Aux fins du paragr. 575(2), les allégations factuelles de la demande d’autorisation (à distinguer des allégations de nature juridique) doivent être tenues pour avérées à moins qu’elles ne soient génériques ou générales, vagues, imprécises, manifestement inexactes ou autrement contredites par la preuve de la partie demanderesse elle-même ou qu’elles ne relèvent de l’opinion, de l’hypothèse ou de la spéculation. Les faits ainsi tenus pour avérés doivent justifier les conclusions recherchées en offrant un syllogisme juridique non pas certain, mais simplement défendable, soutenable, qui ne soit ni frivole ni nettement mal fondé, la partie demanderesse n’ayant qu’à « établir une simple “possibilité” d’avoir gain de cause sur le fond, pas même une possibilité “réaliste” ou “raisonnable” ».
[28] Quant au paragr. 575(3), les juges autorisateurs doivent simplement se demander s’il existe un groupe et si sa composition rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui (art. 91 C.p.c.) ou sur la jonction d’instance (210 C.p.c.), ce qui est habituellement le cas des demandes visant un grand nombre de personnes dont l’identité n’est pas facilement déterminée. L’action envisagée n’a par ailleurs pas à être le meilleur recours possible pour les intéressés, sauf l’exception particulière de l’action déclaratoire de droit public.
[29] Finalement, le paragr. 575(4) exige que la personne destinée à représenter les membres puisse assurer cette fonction de manière adéquate, ce qui suppose qu’elle ait elle-même un intérêt (juridique) à poursuivre, qu’elle ne soit pas en conflit d’intérêts avec les autres membres du groupe et qu’elle soit minimalement compétente (elle doit ainsi s’intéresser, au sens ordinaire du terme, à l’affaire, en avoir une compréhension générale et être en mesure de prendre, au besoin, les décisions qui s'imposent au bénéfice de l'ensemble du groupe, étant entendu qu’elle sera assistée et conseillée dans ces tâches par l’avocat·e au dossier).
[30] La partie qui demande l’autorisation d’exercer une action collective a donc un fardeau de démonstration léger, qui ne lui impose pas le fardeau de preuve (par prépondérance) qui lui incombera au stade du fond de l’affaire, si elle est autorisée. Comme le rappelle la Cour suprême dans Vivendi, « [l]’étape de l’autorisation permet l’exercice d’une fonction de filtrage des requêtes, pour éviter que les parties défenderesses doivent se défendre au fond contre des réclamations insoutenables », et rien de plus. »
[Références omises; Nos soulignements]
[72] Je souligne l’opinion fournie par les auteures et professeures Nathalie Des Rosiers et Louise Langevin sur la question de l’opportunité
du véhicule procédural de l’action collective dans le domaine des infractions de nature sexuelle, lesquelles soulignent le caractère de grande vulnérabilité des victimes :
« […] si le recours collectif est dirigé contre un établissement, fréquenté par plusieurs personnes et pour des gestes posés sur une longue période de temps, il nous apparaît que le nombre possiblement élevé de victimes potentielles, bien qu’inconnu au début des procédures, justifie pleinement l’exercice d’un recours collectif. Il se peut qu’une seule victime se manifeste, et qu’elle décide d’exercer un recours collectif en son nom et celui de toutes les autres victimes. Si un enseignant ou un prêtre l’a agressée pendant un an, et qu’il a œuvré auprès de l’établissement pendant quelques années, n’est-il pas logique de conclure que d’autres enfants ont pu subir le même sort? Il importe peu à notre avis que cinq, dix, cinquante ou cent victimes se joignent au recours collectif une fois qu’il est autorisé. Bien qu’au départ, ce nombre ne puisse être déterminé, le recours collectif devrait être autorisé pour favoriser l’accessibilité à la justice aux victimes de violence sexuelle, qui doivent déjà surmonter d’énormes difficultés dans l’exercice de leurs recours individuels. D’ailleurs, certains tribunaux canadiens ont même conclu que le recours collectif est susceptible d’aider les victimes, qui sont particulièrement vulnérables.[32]»
[ Nos soulignements ]
[73] Ainsi, quoique la question ultime demeure strictement procédurale, il faut souligner que le débat se présente en contexte de personnes vulnérables se disant victimes d’abus sexuels qui ne souhaitent pas que leur identité soit dévoilée, insistant toutefois pour faire valoir leurs droits en justice plusieurs années après les faits.
[74] Selon les défendeurs, les codemanderesses avancent un syllogisme insoutenable, les faits allégués étant de simples affirmations vagues, non fondées et contredites par d’autres preuves. Miller oppose, en outre, la Déclaration du 19 septembre 2008 aux allégués de la Sixième Demande pour affirmer que les faits de la demande ne sont pas plausibles, de telle sorte à ce que le deuxième critère de l’article 575 ne puisse être rempli. Cette déclaration a déjà été écartée.
[75] Les codemanderesses, au contraire, prétendent que les syllogismes qu’elles proposent sont soutenables, au stade de l’autorisation.
[76] Seront abordés dans cette section : (1) le cadre juridique applicable à l’examen du paragraphe 575(2) C.p.c.; (2) la question de la prescription des recours; et (3) la suffisance des allégations quant à la faute, au dommage et au lien de causalité; (4) la suffisance des allégations relatives aux dommages punitifs ; (5) la suffisance des allégations de solidarité des dommages; et (6) la conclusion sur le critère de l’article 575(2) C.p.c.
[77] Les faits allégués par les codemanderesses paraissent-ils justifier les conclusions recherchées? Autrement dit, chacune établit-elle une cause défendable envers
l’un ou l’autre des défendeurs? Cette question est la première en importance dans le présent dossier, ayant été plaidée en premier par chacune des parties en l’instance.
[78] La juge d’autorisation examine d’abord le recours individuel et la situation propre de la personne désignée pour conclure si sa demande remplit le critère du paragraphe 575(2) C.p.c.[33]
[79] L’analyse de la question de l’apparence de droit en vertu de l’article 575(2) C.p.c. se fait selon un fardeau de démonstration « léger » et moindre. L’exercice de filtrage à l’autorisation vise à éviter que les parties défenderesses ne soient confrontées à des réclamations insoutenables[34]. Comme le résume l’honorable juge Frédéric Bachand dans l’arrêt Benjamin, « le demandeur n’a qu’à établir une simple “ possibilité ˮ d’avoir gain de cause sur le fond, pas même une possibilité “réalisteˮ ou “raisonnableˮ »[35].
[80] Ainsi, la juge autorisatrice doit donc respecter les limites inhérentes à son rôle de filtrage, qui se résume à « écarter les demandes frivoles, sans plus »[36].
[81] Puisque le fardeau en demande en est un de logique et non de preuve[37], il s’agit de prêter attention non seulement aux faits allégués, mais aussi aux inférences ou aux présomptions de fait ou de droit qui sont susceptibles d’en découler[38], sans se prononcer sur la valeur probante de la preuve[39].
[82] Les allégations de la demande sont tenues pour avérées, dans la mesure où elles sont suffisamment précises ou, si ce n’est pas le cas, dans la mesure où elles sont accompagnées d’une certaine preuve[40]. Elles peuvent être « imparfaites », sans qu’elles contiennent « le menu détail de la preuve qu’un demandeur entend présenter
au mérite »[41]. Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt L’Oratoire :
« […] il est possible que la preuve présentée au soutien de la demande contienne des faits « concrets », « précis » ou « palpables », lesquels sont susceptibles d’établir l’existence d’une cause défendable, et ce, en dépit du caractère apparemment « vague », « général » ou « imprécis » des allégations de la demande. Il est d’ailleurs bien établi que le tribunal appelé à décider si le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombe, à savoir démontrer l’existence d’une « cause défendable », doit étudier les allégations
de la demande d’autorisation à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve documentaire, déclarations sous serment ou transcriptions déposés
au dossier […]. »[42]
[Références omises]
[83] De plus, il faut apprécier le contexte entourant des « événements [de nature sexuelle] survenus il y a de nombreuses années » lorsque l’on considère le caractère en apparence vague, général ou imprécis des allégations[43].
[84] Pour ce qui est des pièces au soutien de la demande d’autorisation, elles visent seulement à « étayer le caractère soutenable des prétentions et ne servent aucunement à établir – en clair, à prouver – l’existence d’un fait quelconque »[44]. Ainsi, la prudence est de mise à l’examen du deuxième critère, pour « se garder d’apprécier la preuve contradictoire soumise, de tenir pour avérés les faits et la preuve allégués par la partie défenderesse ou encore de se prononcer sur les moyens soulevés par cette dernière.[45]» Les défendeurs ont tenté d’introduire la déclaration du 19 septembre 2008 pour discréditer les faits exposés par la demanderesse V.R. J’ai disposé de cette question ci-haut, refusant l’admission en preuve de cette déclaration.
[85] Il convient d’entrée de jeu de constater que les causes d’action des codemanderesses ne sont pas prescrites à leur face même.
[86] La Cour d’appel a bien établi dans l’arrêt Godin c. Société canadienne de la Croix-Rouge[46] qu’au stade de l’autorisation d’une action collective, si la prescription apparaît à la face même des procédures, la Cour peut rejeter la demande d’autorisation d’exercer une action collective sur cette base. Ce n’est pas le cas ici.
[87] Soulignons aussi que la question de la prescription est prématurée au stade de l’autorisation. De la même manière que la prudence est de mise dans l’application de l’article 2926.1 C.c.Q., particulièrement au stade préliminaire d’une demande d’irrecevabilité[47], les allégations des codemanderesses à l’effet que leurs causes d’actions ne sont pas prescrites sont suffisantes.
[88] La Demande d’autorisation initiale fut déposée le 22 février 2023.
[89] Or, le 12 juin 2020, une version amendée de l’article 2926.1 C.c.Q. entrait en vigueur, rendant du coup imprescriptibles les réclamations en dommages découlant d’un préjudice corporel résultant d’une agression à caractère sexuel.
[90] L’article se lit comme suit :
2926.1. L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Cette action est cependant imprescriptible si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint. Toutefois, l’action contre l’héritier, le légataire particulier ou le successible de l’auteur de l’acte, ou contre le liquidateur de la succession de celui-ci, doit être intentée dans les trois ans du décès de l’auteur de l’acte, sous peine de déchéance, sauf si le défendeur est poursuivi pour sa propre faute ou à titre de commettant. De même, l’action exercée en raison du préjudice subi par la victime doit être intentée dans les trois ans du décès de celle-ci, sous peine de déchéance. [Notre soulignement] | 2926.1. An action for damages for bodily injury resulting from an act which could constitute a criminal offence is prescribed by 10 years from the date the victim becomes aware that the injury suffered is attributable to that act. Nevertheless, such an action cannot be prescribed if the injury results from a sexual aggression, violent behaviour suffered during childhood, or the violent behaviour of a spouse or former spouse. However, an action against an heir, a legatee by particular title or a successor of the author of the act or against the liquidator of the author’s succession must, under pain of forfeiture, be instituted within three years after the author’s death, unless the defendant is sued for the defendant’s own fault or as a principal. Likewise, an action brought for injury suffered by the victim must, under pain of forfeiture, be instituted within three years after the victim’s death. |
[91] Cette modification étend le champ d’application de l’article 2926.1 C.c.Q. en offrant dorénavant l’imprescriptibilité du recours à la victime d’un préjudice corporel résultant d’une agression à caractère sexuel. En effet, l’art. 2926.1 a été introduit dans le Code civil du Québec afin de « faciliter l’accès à la justice civile aux personnes victimes d’actes pouvant constituer une infraction criminelle »[48].
[92] De plus, l’article 4 de la loi modificatrice[49], dans la section des Dispositions transitoires et finales, prévoit ce qui suit:
L’article 2926.1 du Code civil, modifié par l’article 2 de la présente loi, s’applique à toute action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint, et ce, sans égard à tout délai de prescription applicable avant l’entrée en vigueur de la présente loi. [Notre soulignement] | Article 2926.1 of the Civil Code, amended by section 2, applies to all actions for damages for bodily injury resulting from an act which could constitute a criminal offence if the injury results from a sexual aggression, violent behaviour suffered during childhood, or the violent behaviour of a spouse or former spouse, regardless of any prescriptive period applicable before the coming into force of this Act. |
[93] Madame Sonia LeBel a d’ailleurs expliqué, lors des débats de l’Assemblée nationale précédant ces modifications, que l’abolition rétroactive du délai de prescription vise à « faciliter les recours civils contre les agresseurs ou toute autre personne dont la responsabilité pourrait être invoquée dans les cas d'agression sexuelle, de violence conjugale et de violence contre les enfants[50]», et que « de manière exceptionnelle, les actions passées qui ont été rejetées parce que le délai de prescription était déchu, pour le seul motif que le délai de prescription était déchu, pourront être intentées à nouveau par les victimes, et ce, pour une période de trois ans à partir de l'entrée en vigueur
de la loi. »
[94] Le 8 juin 2022, un amendement subséquent à l’article 2926.1 C.c.Q. substitue la phrase « agression à caractère sexuel » pour « violence sexuelle »[51]. Ainsi, l’article 2926.1 C.c.Q., tel qu’aujourd’hui en vigueur, se lit comme suit :
2926.1 L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la personne victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Cette action est cependant imprescriptible si le préjudice résulte de la violence subie pendant l’enfance, de la violence sexuelle ou de la violence conjugale. Constitue une violence subie pendant l’enfance au sens du présent article, une thérapie de conversion, telle que définie par l’article 1 de la Loi visant à protéger les personnes contre les thérapies de conversion dispensées pour changer leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leur expression de genre (chapitre P-42.2).
Toutefois, l’action contre l’héritier, le légataire particulier ou le successible de l’auteur de l’acte, ou contre le liquidateur de la succession de celui-ci, doit être intentée dans les trois ans du décès de l’auteur de l’acte, sous peine de déchéance, sauf si le défendeur est poursuivi pour sa propre faute ou à titre de commettant. De même, l’action exercée en raison du préjudice subi par la personne victime doit être intentée dans les trois ans du décès de celle-ci, sous peine de déchéance. [Notre soulignement] | 2926.1 An action for damages for bodily injury resulting from an act which could constitute a criminal offence is prescribed by 10 years from the date the person who is a victim becomes aware that the injury suffered is attributable to that act. Nevertheless, such an action cannot be prescribed if the injury results from violent behaviour suffered during childhood, sexual violence or spousal violence. Conversion therapy, as defined by section 1 of the Act to protect persons from conversion therapy provided to change their sexual orientation, gender identity or gender expression (chapter P-42.2), constitutes violent behaviour suffered during childhood within the meaning of this article.
However, an action against an heir, a legatee by particular title or a successor of the author of the act or against the liquidator of the author’s succession must, under pain of forfeiture, be instituted within three years after the author’s death, unless the defendant is sued for the defendant’s own fault or as a principal. Likewise, an action brought for injury suffered by the person who is a victim must, under pain of forfeiture, be instituted within three years after the death of the person who is a victim. |
[95] Le terme « violence sexuelle » inclut toutes les formes de violence sexuelle, y inclus l’exposition à des « gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique »[52], et sans nécessité que l’agissement constitue une infraction criminelle.
[96] Il s’agit donc ici de déterminer si la Sixième Demande est formulée de manière suffisamment large pour rendre soutenables les allégations des codemanderesses qu’un acte de « violence sexuelle » leur a été infligé par les défendeurs au sens de 2926.1 C.c.Q. et qu’elles en ont subi un dommage. Je suis d’avis que cela est bien le cas.
[97] Dans leur Sixième Demande, les codemanderesses allèguent notamment ce qui suit :
- Pour ce qui est de B.N., elle prétend avoir eu des relations sexuelles régulières et nombreuses (environ 30 rencontres) avec Miller entre l’âge de 11 et 20 ans, entre 1999 et 2008, en échange desquelles elle a reçu de l’argent de sa part[53];
- Pour ce qui est de S.N., elle prétend avoir eu des relations sexuelles régulières avec Miller entre l’âge de 17 et 19 ans, entre 1996 et 1998, et avoir reçu en échange, de sa part, des sommes variant entre 1 000 et 3 000 $[54];
- Pour ce qui est de V.R., elle prétend avoir eu des relations sexuelles régulières et nombreuses (au moins 20 rencontres) avec Miller entre l’âge de 16 et 18 ans, entre 2000 et 2002, en échange desquelles elle a reçu des compensations monétaires de ce dernier de 3 000 $ en plus de cadeaux occasionnels;
[98] Il est donc soutenable que le comportement décrit dans ces allégations relativement à Miller constitue de la « violence sexuelle » au sens de l’article 2926.1 C.c.Q., puisque ces agissements constitueraient une infraction criminelle, précisément en regard des articles 151, 152, 153 et 212(4) du C.cr..
- Pour ce qui est de S.N., elle aurait subi des infractions de violence sexuelle entre 1996 et 1998, alors qu’elle avait entre 16 et 18 ans;
- Pour ce qui est de V.R., elle aurait subi des infractions de violence sexuelle entre 2000 et 2002, alors qu’elle avait entre 16 et 18 ans;
- Pour ce qui est de B.N., elle aurait subi des infractions de violence sexuelle entre les années 1999 et 2007, entre ses 11 et 18 ans;
[99] Ainsi, quant à Miller, les causes d’action des codemanderesses ne sont pas prescrites à leur face même, car elles seraient imprescriptibles en vertu de l’article 2926.1 C.c.Q.
[100] Pour ce qui est des autres défendeurs, les causes d’action des codemanderesses pour violences sexuelles n’apparaissent pas non plus prescrites à leur face même puisqu’elles seraient imprescriptibles en vertu de l’article 2926.1 C.c.Q.
[101] En effet, les codemanderesses allèguent être victimes de violence sexuelle en ce qu’il y aurait eu, quant aux défendeurs Poulet, Abrams, Lippmann et Future : 1) incitation d’un enfant âgé de moins de 14 ans à le toucher, à se toucher ou à toucher un tiers (Miller), directement ou indirectement, le tout en vertu de l’ancien article 212(1) du C.cr., 2) contacts sexuels, soit directement ou indirectement, en complicité avec Miller, 3) l’exploitation sexuelle, directement ou indirectement en complicité avec Miller, 4) la prostitution d’une personne mineure, soit directement ou indirectement en complicité avec Miller (en vertu des articles 21(1)(b), 21(1)(c) et 23(1) C.cr.. pour ce qui est des allégations de complicité).
[102] En somme, les dommages moraux et punitifs réclamés des acolytes sont liés aux rôles individuels et collectifs des défendeurs lorsqu’ils ont contribué à permettre et/ou n’ont pas empêché Miller de commettre les infractions en cause, et négligé de le déclarer aux autorités.
[103] La question de la prescription impliquant l’interprétation formelle de l’article 2926.1 C.c.Q. ainsi que son application à la preuve, cette question mixte de faits et de droit sera traitée au mérite, en considération du contexte factuel complet.
[104] Dans leur Sixième Demande d’autorisation, les codemanderesses reprochent aux défendeurs ce qui suit:
• Il y aurait eu incitation à des contacts sexuels par Miller, Poulet, Abrams et Lippmann auprès de personnes âgées de moins de 14 ans (et 16 ans, selon l’ancien régime), violant ainsi l’article 152 du C.cr.;
• Il y aurait eu obtention illégale par Miller de services sexuels moyennant rétribution auprès de personnes âgées de moins de 18 ans, violant ainsi l’article 212(4) du C.cr. (Art. 286.1 sous l’ancien régime);
• Il y aurait eu exploitation sexuelle de personnes mineures par Miller, Poulet, Abrams et Lippmann, violant ainsi l’article 153 du C.cr.;
• Ce faisant, Miller, Poulet, Abrams et Lippmann auraient commis une faute extracontractuelle en vertu de l’article 1457 C.c.Q. envers les codemanderesses et les membres du groupe, lesquelles auraient subi des dommages psychologiques dont Miller Poulet, Abrams et Lippmann seraient responsables;
• Miller, Poulet, Abrams et Lippmann seraient également tenus de payer des dommages compensatoires et punitifs aux codemanderesses et aux membres du groupe pour violation du droit à l’intégrité de la personne et du droit de la personne à la sauvegarde de sa dignité et de son honneur, le tout en vertu des articles 1, 4 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne;
• Future serait responsable de façon directe et indirecte, de même que solidairement avec Miller, Poulet, Abrams et Lippmann, pour tous les dommages compensatoires et punitifs réclamés, les employés de Future ayant aidé à organiser le réseau de prostitution de mineures et ayant facilité les actes de violence sexuelle, le tout en vertu de l’article 1463 C.c.Q.
[105] Le syllogisme proposé par les codemanderesses s’articule donc autour des violences sexuelles commises par les défendeurs, entre autres des services sexuels pour rétribution rendus à Miller, avec la contribution des trois défendeurs employés de Future et de la responsabilité directe et indirecte de cette dernière, laquelle aurait contribué en payant pour les lieux servant de refuge pour les infractions de nature sexuelles, de même qu’en engageant sa responsabilité à titre de commettant. Les membres du groupe auraient donc subi des dommages par suite des agissements des défendeurs, lesquels seraient responsables en vertu, d’une part, des anciens articles 214(4), 152 et 153 du C.cr. et de l’autre, des articles 1457, 1463, 1480 et 1526 C.c.Q.[55].
[106] Il faut donc déterminer si les allégations des trois codemanderesses de la Sixième Demande, tenues pour avérées, sont suffisamment précises et palpables pour supporter l’exercice de l’action collective sur la base d’une faute commise en vertu des articles cités, soit directement, pour les défendeurs Miller, Poulet, Lippmann et Abrams, soit directement et indirectement pour Future.
[107] Je rappelle ici qu’à l’étape de l’autorisation, la juge autorisatrice ne se penche pas sur le fond du litige et doit prendre les faits pour avérés, sauf s’ils apparaissent invraisemblables ou manifestement inexacts, en examinant attentivement les faits allégués, de même que les inférences ou présomptions de fait ou de droit qui peuvent en découler et servir à établir l’existence d’une « cause défendable ».
[108] Les inférences, selon la Cour suprême, doivent pouvoir être tirées « de manière raisonnable et logique à partir d’un fait avéré qui a été établi par une preuve directe (ou qui a été admis d’office) », quoique celles « ne découlant pas logiquement et raisonnablement de faits établis » est « proscrite en tant que supposition
et conjecture »[56]. Il faudra donc s’en tenir à un raisonnement qui est fondé sur les faits établis par la preuve pour ne pas tomber dans le « spéculatif »[57].
[109] En l’espèce, chacune des codemanderesses présente à la Sixième demande une séquence de faits claire entourant la commission de violences sexuelles, établissant sa cause défendable envers chacun des défendeurs.
[110] Les codemanderesses allèguent que les médias, dont un reportage à l’émission Enquête, ont révélé que de nombreuses femmes avaient témoigné avoir participé à un schème orchestré par Miller dans le cadre duquel elles ont eu des relations sexuelles avec Miller alors qu’elles étaient mineures et ont reçu des cadeaux et/ou une rémunération en contrepartie. Tel que rapporté à la Sixième Demande, le reportage relevait que :
« Une dizaine de femmes ont confié leurs histoires à Enquête; six d’entre elles affirment avoir eu des relations sexuelles avec Robert Miller lorsqu’elles étaient mineures. Toutes nous ont décrit des expériences semblables impliquant des faveurs sexuelles rémunérées à coups de milliers de dollars, de voyages et de sacs de hockey remplis de cadeaux. Selon nos sources, il s’agissait d’un système bien rodé, dans lequel seraient passées de nombreuses adolescentes et de jeunes femmes entre 1994 et 2006. »[58]
[111] Les codemanderesses allèguent des faits s’étant déroulés durant deux phases significatives. La première période débute autour de l’année 1996, période durant laquelle les mineures sont recrutées par Raymond Poulet et les rencontres sexuelles avec Miller ont lieu principalement dans des hôtels (InterContinental, Four Seasons, Reine Élizabeth). La deuxième période qui commence vers l’année 2006 en est une où
le recrutement est plutôt effectué par une certaine S.G. (ainsi qu’une dénommée Audrey qui, elle, débute vers l’année 2000), et les rencontres sexuelles sont organisées par Abrams et se tiennent à Westmount dans les maisons de la rue A. Durant cette période, Lippmann s’implique en louant les maisons de la rue A où se tiennent les rencontres et en contractant pour louer des appartements pour le bénéfice de certaines mineures.
[112] La Sixième Demande allègue que Robert Miller se faisait appeler « Bob Adams », durant les années en cause, tel qu’en fait foi une fausse carte d’affaires à ce nom, produite comme R-45. Sur cette carte, on aperçoit une adresse qui suggère que Miller habite aux États-Unis. Un numéro de téléphone cellulaire portant l’indicatif régional de Montréal y est toutefois indiqué. Le défendeur Raymond Poulet, pour sa part, semble aussi utiliser un pseudonyme, soit « Sébastien Tremblay », avec une adresse à Hollywood, en Californie. Ces pièces permettent d’inférer l’usage de pseudonymes par Miller et Poulet.
[113] À titre de mise en contexte, la Sixième Demande indique que le 30 mai 2024, Miller est arrêté, sous peine de 21 accusations criminelles impliquant 10 femmes, dont plusieurs mineures, pour des évènements ayant eu lieu entre 1994 et 2016. Les accusations sont relatives aux infractions suivantes : agression sexuelle, obtention de services sexuels moyennant rétribution, proxénétisme sexuel, incitation à la prostitution, contacts sexuels, relations sexuelles avec un mineur moyennant rétribution.
[114] La Sixième Demande décrit les parties impliquées en détail. Elle explique que tel qu’il l’a été rapporté dans le reportage d’Enquête, « Pour mettre en place son système, Miller s’est entouré d’hommes payés pour organiser et dissimuler ses activités illégales. Plusieurs avaient un lien direct avec Future Electronics.[59]» Ainsi, les codemanderesses allèguent que Poulet, Lippmann et Abrams auraient été incités par Miller à effectuer diverses actions, dans le cadre de leur emploi, ayant contribué au schème sexuel de Miller.
[115] Toujours selon la Sixième Demande, Abrams est identifié comme ayant travaillé pour Miller pendant plus de cinquante ans et ayant eu des tâches connexes au sein de la compagnie, telles la location de chambres d’hôtel, la sélection de jeunes filles, l’organisation de voyages et la remise d’enveloppes d’argent aux victimes.
Poulet, quant à lui, est identifié comme un intermédiaire de Miller qui a été impliqué dans le recrutement de jeunes filles. Lippmann, enfin, aurait participé au schème en louant des appartements et maisons afin de permettre la tenue des relations sexuelles en toute discrétion.
[116] Quarante-six femmes visées ont signé des déclarations anonymes, détaillant leur expérience personnelle, qu’elles ont produites au soutien de la Sixième Demande.
Le récit de leur témoignage est résumé dans un tableau reproduit au paragraphe 7.1 de la Demande, lequel sert à appuyer la cause d’action des codemanderesses.
[117] Du tableau, on remarque que toutes les mineures sans exception ont été payées pour avoir des relations sexuelles avec Miller, ayant reçu des sommes variant entre 500 $ et 10 000 $. Concernant Madame 42, c’était pour la première fois à l’âge de 11 ans. Pour la majorité des femmes, elles avaient 16 ou 17 ans lors des rencontres sexuelles avec Miller. Deux avaient 12 ans, deux autres 14 ans.
[118] Même si je considère les allégations de la Sixième Demande comme étant claires, les déclarations et le tableau contribuent aussi à établir l’existence de la cause défendable des codemanderesses en ce qu’ils permettent d’inférer l’existence du schème orchestré par Miller et ses acolytes permettant la prostitution juvénile au profit de Miller, impliquant la présence d’acteurs précis avec des rôles établis, des processus prédéterminés, des critères de sélection des victimes, des habitudes sexuelles de Miller, des lieux et des contextes hautement similaires et des habitudes communicationnelles précises.
[119] C’est ainsi que les allégués de la Sixième Demande, éclairés des 46 déclarations anonymes signées, pris pour avérés, montrent l’existence du schème organisé allégué, du modus operandi impliquant les mineures et les défendeurs. Les faits avérés qui reviennent sur une base systématique sont les suivants :
- Le recrutement de mineures dans des écoles secondaires et des bars permettant la présence de mineurs, ou encore à travers d’autres amies mineures;
- Les appels de recrutement ou l’organisation de rencontres effectués par S.G., Poulet, Abrams, ou encore Miller lui-même;
- L’usage de pseudonymes – « Bob Adams » ou « the Radioman » pour Miller; « Sébastien Tremblay » pour Poulet, et « Joseph » pour Abrams;
- Les rencontres dans des lieux pré-identifiés pour les rencontres sexuelles de Miller, soit de grands hôtels du Centre-ville de Montréal (InterContinental, Reine Élizabeth, surtout), soit des maisons sur la rue A (également certains condominiums);
- L’alcool offert systématiquement à l’arrivée des mineures;
- La discussion ayant lieu entre Miller et les mineures, sur les thèmes de l’école, de leurs rêves et ambitions, du fait qu’il les protègera et les aidera à les réaliser;
- Les cadeaux offerts aux mineures avant ou après la relation sexuelle avec Miller. Les types de cadeaux sont : des vêtements, montres et sacs griffés, des bijoux en or, des cellulaires, des CD, du maquillage, des sous-vêtements de marque Victoria Secret commandés par les victimes elles-mêmes;
- La demande formulée aux mineures de se laver minutieusement avant la relation sexuelle, et l’invitation à le faire après. Le lavage se faisant généralement dans un bain moussant, avec produits disponibles sur place;
- La demande faite aux mineures de se raser complètement;
- L’offre par Miller de montrer aux mineures son test de dépistage négatif;
- La distribution par Miller aux mineures de pastilles à la menthe pour la bonne haleine;
- La demande de Miller aux mineures en début de relation sexuelle de se faire sucer la langue;
- La relation sexuelle complète non protégée de Miller avec les mineures , parfois accompagnée de cunnilingus;
- L’enveloppe remise aux mineures après l’acte sexuel, montrant des pastilles de différentes couleurs, et contenant des sommes d’argent variant en moyenne entre1 000 $ et 1 500 $;
- La promesse de Miller de revoir les mineures « à condition » qu’elles emmènent une amie avec elles la prochaine fois;
- La nécessité pour les mineures de remettre une portion de l’argent reçu à S.G. ou Poulet.
[120] Ces allégations des codemanderesses, appuyées des déclarations et du tableau, soutiennent leur cause défendable.
[121] Considérons maintenant chacun des défendeurs séparément pour les fins d’analyse de l’article 575 (2) C.p.c.
[122] Pour ce qui est de la responsabilité extracontractuelle directe de Miller, les codemanderesses présentent des allégués suffisamment clairs quant à ses fautes, au préjudice causé et au lien de causalité, de telle sorte à justifier les conclusions recherchées en offrant un syllogisme défendable.
[123] D’abord, soulignons que les fautes alléguées par S.N. se seraient produites entre 1996 et 1999, celles alléguées par B.N. se seraient produites entre 1999 et 2008, et celles alléguées par V.R. se seraient produites entre 2000 et 2002. Les allégations de faute visant Miller s’appuient sur la trame factuelle sous-jacente, laquelle consiste en des violences sexuelles commises régulièrement sur une période de plusieurs années et envers plusieurs victimes alors qu’elles étaient mineures.
[124] Les actes de violence sexuelle allégués parce que contraires au Code criminel engageraient alors la violation d’une règle de conduite de telle sorte à constituer une faute civile en vertu de l’article 1457 C.c.Q.[60]
[125] S.N. allègue qu’elle a eu des relations sexuelles avec Miller dès l’âge de 17 ans, pour un total de 7 à 10 fois, 2-3 fois par année, et que chaque fois elle recevait une enveloppe avec 1 000 à 2 000 $ d’argent comptant, sauf une fois où elle a reçu 3 000 $. B.N., pour sa part, explique qu’elle a commencé à avoir des relations sexuelles avec Miller à 11 ans, relations qui ont duré jusqu’à ses 20 ans, par moments plusieurs fois par mois, jusqu’à au moins 30 fois. Elle recevait alors des paiements de 5 000 $ et d’autres cadeaux après chaque relation. V.R., enfin, allègue qu’elle a commencé à avoir des relations sexuelles à l’Hôtel Reine Élizabeth avec Miller à 16 ans, jusqu’à 18 ans, et qu’elle a toujours reçu de l’argent et/ou des cadeaux en considération de la relation sexuelle.
[126] Miller, de même que les autres défendeurs, prétendent que les allégations sont tellement vagues qu’elles doivent être écartées.
[127] Non seulement je ne partage pas cette opinion, mais je suis d’avis que même
en tant qu’allégations de victimes d’agressions sexuelles survenues il y a de nombreuses années[61], celles-ci sont claires et contribuent à démontrer la simple possibilité de succès au fond.
[128] Deux groupes de fautes sont attribuables à Miller: une conduite contraire au
Code Criminel, ce qui, en soi, est constitutif d’une faute sous l’article 1457 C.c.Q., et le fait d'avoir orchestré un système de recrutement et d'exploitation de mineures. Ces fautes peuvent être qualifiées de violence sexuelle et donc non prescrites, comme énoncé ci-haut.
[129] Les codemanderesses réfèrent bien sûr aux reportages médiatiques ayant eu lieu à Radio-Canada à l’émission Enquête et à CBC à l’occasion d’épisodes de The Fifth Estate. Ces reportages servent à introduire le schème de prostitution juvénile organisé par Miller et ses acolytes. Prima facie, elles font état d’une expérience malheureuse commune et fortement similaire.
[130] En ce qui concerne le préjudice que les codemanderesses, agissant au nom de l’ensemble du groupe, allèguent avoir subi en raison des fautes de Miller et le lien causal entre les fautes et le préjudice, je suis d’avis que les allégations des codemanderesses sont précises et concrètes. Ces dernières affirment avoir subi un préjudice à la suite des agissements fautifs de Miller, ce qui constitue alors une cause défendable en responsabilité extracontractuelle à son égard. Les codemanderesses plaident leur incapacité d’agir comme victime pendant de nombreuses années, de même que des préjudices causés de la nature de la honte, du traumatisme, de la perte de confiance et d’estime de soi, de la dépression, et du développement de dépendances.
[131] Je souligne ici que la Cour suprême dans l’arrêt L’Oratoire a établi que toute agression sexuelle est une faute qui conduit automatiquement à un préjudice sérieux[62]. Dans d’autres causes, la Cour suprême a également reconnu les effets dévastateurs des agressions sexuelles envers les enfants[63].
[132] De plus, il faut souligner que depuis le 4 décembre 2024, le Code civil du Québec est modifié par l’insertion, après l’article 2858, de l’article suivant :
« 2858.1. Lorsqu’une affaire comporte des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale, sont présumés non pertinents:
1° tout fait relatif à la réputation de la personne prétendue victime de la violence;
2° tout fait relié au comportement sexuel de cette personne, autre qu’un fait de l’instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité;
3° le fait que cette personne n’ait pas demandé que le comportement cesse;
4° le fait que cette personne n’ait pas porté plainte ni exercé un recours relativement à cette violence;
5° tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée;
6° le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l’auteur allégué de cette violence.
Tout débat relatif à la recevabilité en preuve d’un tel fait constitue une question de droit et se tient à huis clos, malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12). »
[133] Ainsi, il n’y a plus lieu de considérer quelque mythe ou stéréotype dans les dossiers civils de violences sexuelles au Québec.
[134] Les allégations de S.N. révèlent les préjudices psychologiques significatifs et irréparables qu’elle a subis. Elle prétend que suite aux agissements fautifs de Miller,
elle a “feel bad about herself and self-worth, shameful, anxiety, guilty, she was depressed, she self-medicated with drugs and alcohol (substance abuse), and she suffers from post-traumatic stress – though she had never been able to make the connection between these paid sexual encounters and her negative feelings toward herself.[64]” Elle réclame le paiement de 1 million de dollars pour dommages psychologiques et
1,5 million de dollars en dommages punitifs. Cette allégation claire suffit prima facie pour soutenir une cause défendable à l’égard de Miller.
[135] Pour ce qui est de B.N., qui a commencé à avoir des relations sexuelles avec Miller alors qu’elle n’avait que 11 ans, elle soutient avoir subi des dommages psychologiques importants découlant de ces épisodes, de l’ordre de cauchemars et d’insomnie, de problèmes d’estime de soi et d’agressivités, de culpabilité, et de dépendance aux drogues[65]. Un rapport d’expert produit principalement pour témoigner de l’incapacité d’agir de B.N. indique que la victime a eu peur et a senti une très grande culpabilité par suite des années passées à fréquenter Miller[66]. Elle avait honte et gardait le secret, de peur d’être perçue comme une « dévergondée ». Elle réclame 5 millions de dollars en dommages psychologiques et 1,5 million de dollars en dommages punitifs. Ces allégations suffisent, prima facie, pour appuyer le lien de causalité et les dommages subis par B.N. par suite des agissements des défendeurs, en outre considérant son très jeune âge lorsque les faits se sont déroulés[67]. Ces allégués soutiennent la cause défendable de B.N. envers Miller.
[136] Enfin, V.R. allègue qu’elle a subi des impacts psychologiques négatifs sérieux découlant du schème organisé par Miller et de ses agissements fautifs. Sa mère l’a expulsée de la maison, son frère a arrêté de lui parler, son copain a rompu avec elle en l’interpellant de noms offensants. Son attitude face à l’argent fut également irrémédiablement faussée. Elle commença à se médicamenter par le biais de drogues. Ayant une piètre opinion d’elle-même et de sa valeur, elle perdit confiance en elle, et ses relations intimes en furent affectées. Elle se sentit sale, honteuse et dépressive. Elle dut consulter un psychologue durant de nombreuses années. Elle ne réussit à graduer de l’école qu’à 29 ans, plusieurs années plus tard.
[137] V.R. réclame 2 millions de dollars en dommages psychologiques et 1,5 million de dollars en dommages punitifs. Ces allégations suffisent, prima facie, pour appuyer le lien de causalité et les dommages subis par V.R. par suite des agissements de Miller.
[138] Les codemanderesses ont donc démontré l’existence d’une possible cause défendable envers Miller.
[139] Abrams est présenté par les codemanderesses comme un employé de Future qui a participé de manière tangible et réelle à l’organisation du schème de prostitution en cause.
[140] Pour ce qui est de B.N., elle prétend avoir parlé à Abrams au téléphone à cinq ou six reprises entre 2000 et 2008, dans l’objectif d’organiser les rendez-vous un ou deux jours avant sa venue aux maisons sur la rue A pour les fins des relations sexuelles avec Miller. Abrams s’identifiait alors comme « Joseph ».
[141] V.R., pour sa part, allègue qu’au départ elle fut introduite à Miller par une certaine S.G., pour que celle-ci soit ensuite remplacée par « Joseph ». Ce dernier s’est donc mis à l’appeler pour organiser le « rituel » de rencontres sexuelles avec Miller, et ce, trois à quatre fois par mois[68]. Les appels se terminèrent lorsque Joseph l’appela pour lui dire que Miller n’était plus disponible pour la voir.
[142] Les allégués de la Sixième Demande, de même que l’éclairage fourni par 15 déclarations de victimes, pris pour avérés, mentionnant leurs contacts avec un certain « Joseph », pour les fins de recrutement, d’organisation de rendez-vous, de présence physique aux rencontres initiales des filles avec Miller, d’organisation de voyages pour les victimes notamment à New York, en Thaïlande et dans des Clubs Med, de même que les épisodes des émissions Enquête et CBC The Fifth Estate identifiant Abrams et la déclaration, tout comme le rapport sous scellés de l’enquêteur privé John Westlake identifiant Abrams comme entrant et quittant les maisons sur la rue A[69], me permettent de tirer l’inférence logique que « Joseph » et « Sam Joseph Abrams » sont la même personne. De plus, ces allégations soutiennent la cause d’action défendable quant à Abrams pour le compte d’un grand nombre de victimes.
[143] Pour ce qui est de la nature des infractions commises par Abrams, les codemanderesses prétendent qu’il a enfreint les articles 152 et 153 du C.cr., l’ancien article 212(4) du C.cr., les paragraphes 21(1) (b) et (c) du C.cr., et l’article 23(1) du C.cr..
[144] Dans l’ensemble, V.R. et B.N. avancent une cause défendable en vertu de l’article 575(2) C.p.c de faute extracontractuelle de violence sexuelle au sens de l’article 1457 C.c.Q.
[145] Pour ce qui est des préjudice et lien causal invoqués par B.N. et V.R.
quant à Abrams, je considère que les allégations de la Sixième Demande sont claires et précises et doivent être considérées comme avérées de telle sorte à appuyer la cause défendable de ces dernières envers ces défendeurs. L’agression sexuelle, en soi, constitue une faute qui cause automatiquement un préjudice sérieux, selon la Cour suprême dans L’Oratoire[70].
[146] Ici, il est plutôt question d’une responsabilité d’Abrams en tant qu’agent du schème de prostitution juvénile. Les codemanderesses montrent une cause défendable à l’effet que la participation d’Abrams principalement dans le recrutement et la sélection de nombreuses victimes, et dans l’organisation des rencontres entre les victimes et Miller pour des fins de violence sexuelle, leur ont fait subir un préjudice sérieux.
[147] Les allégations des codemanderesses quant à Abrams sont suffisamment claires et précises et permettent de conclure à l’existence d’une cause défendable à son égard.
[148] Poulet est présenté par les codemanderesses à leur Sixième Demande comme un « middleman », soit un intermédiaire entre Miller et les victimes, ayant aidé à les recruter pour les fins du réseau de prostitution en cause. Précisons ici que les codemanderesses ne prétendent pas que Future est indirectement responsable sur une base extracontractuelle de la faute de Poulet.
[149] S.N. prétend qu’elle a initialement connu Poulet lorsqu’elle a répondu à une annonce de journal sollicitant des mannequins vers 1996. Elle le rencontra dans une suite d’hôtel au centre-ville de Montréal. Poulet lui indiqua alors qu’elle avait été « choisie », lui fit signer un contrat de mannequinat et lui dit qu’il lui donnerait des nouvelles.
Elle débuta dans les mois suivants une relation sexuelle avec Miller et fut compensée financièrement en échange[71].
[150] B.N., pour sa part, allègue qu’elle a rencontré Miller par l’entremise d’une certaine Audrey, qui organisa la rencontre initiale à l’hôtel Reine Élizabeth alors qu’elle était âgée de 11 ans. B.N. rencontra « Raymond » dans une chambre d’hôtel à cette première occasion. Ce dernier l’a alors conduite à la chambre de Miller[72]. Cette explication des faits est également donnée à l’expert psychologue qui a rencontré B.N.[73]
[151] Pour ce qui est de la référence à « Raymond », et parfois à « Sébastien », je me permets de tirer l’inférence des faits tels que présentés prima facie que ces noms réfèrent bien au défendeur Raymond Poulet. En effet, les reportages d’Enquête et de la CBC, de même que le rapport de l’enquêteur privé, mis ensemble et considérés de manière contextuelle, me permettent de conclure prima facie qu’il s’agit de la même personne. J’ajoute à ces éléments la pièce R-45 qui montre une carte d’affaires au nom de « Sébastien Tremblay ». De plus, Poulet est mentionné par 15 des déclarantes comme étant un véritable intermédiaire pour Miller, recrutant les victimes, organisant les rencontres, conduisant les filles à la chambre de Miller et percevant un pourcentage de l’argent reçu par ces dernières.
[152] Quant à la nature des infractions commises par Poulet, les codemanderesses prétendent qu’il a enfreint l’article 152 du C.cr., l’ancien article 212(1) du C.cr. et l’article 21(1)(b) du C.cr. Ces allégations sont tenues pour avérées et sont claires.
[153] Les codemanderesses S.N. et B.N. allèguent également que les fautes de Poulet leur ont causé un préjudice important, de telle sorte à entraîner la responsabilité extracontractuelle de Poulet. Les allégations doivent être tenues pour avérées. Rappelons également que l’agression sexuelle est considérée comme une faute causant automatiquement un dommage sérieux[74].
[154] Dans l’ensemble, S.N. et B.N. avancent une cause défendable en vertu de l’article 575(2) C.p.c. quant à Poulet, impliquant sa responsabilité extracontractuelle pour violence sexuelle au sens de l’article 1457 C.c.Q.
[155] S.N. allègue que Lippmann l’a rencontrée sur les instructions de Miller afin de lui remettre les sommes d’argent nécessaires pour payer le dépôt de location
d’un appartement à Westmount qu’elle n’aurait pu autrement se permettre de louer[75]. Elle prétend que ce paiement fut fait à la demande de Miller dans le contexte de la relation d’exploitation sexuelle qu’elle entretenait avec lui. Elle allègue la responsabilité extracontractuelle de Lippmann suivant ses fautes d’avoir assisté Miller à commettre une infraction, en outre d’exploitation sexuelle, en vertu de l’article 21(b)(1) du C.cr., et d’avoir été le complice de Miller en vertu de l’article 23(1) du même Code.
[156] Selon S.N., ces allégations sont supportées par la preuve documentaire suivante :
- Lippmann a loué la maison du [...] en son nom propre, le loyer étant payé par Future (pièce R-48);
- Lippmann a acheté le [...] et revendu la maison à Miller (pièces R-12 et
R-13);
- Lippmann a été observé par l’enquêteur Westlake entrant et quittant les maisons de la rue A (pièce R-50);
- Lippmann a loué des appartements pour deux filles mineures en utilisant un entête de lettre personnelle mentionnant l’adresse du [...] (pièce R-49).
[157] Ces informations sont suffisantes pour montrer, prima facie, que Lippmann devait être au courant des activités d’exploitation et de violence sexuelle qui s’y déroulaient et qu’il peut donc être tenu responsable d’une faute en découlant.
[158] Le défendeur Lippmann prétend qu’il n’est que purement hypothétique de tirer
cette conclusion. Je ne suis pas de cet avis. Je souligne ici que même en cas de doute, les tribunaux penchent en faveur de l’autorisation, sauf si les allégations « s’avèrent des conclusions juridiques, de pures hypothèses ou du ouï-dire, ou si ces allégations sont manifestement contredites par les éléments de preuve versés au dossier de la cour, le cas échéant. [76]»
[159] Ce n’est pas le cas ici. Les allégations ne sont pas de pures hypothèses; elles sont supportées par « une certaine preuve », constituée notamment du rapport d’enquête de Westlake et des reportages, qui montrent prima face l’implication de Lippmann dans le schème en cause.
[160] J’ajoute à cette preuve la mention par deux déclarantes[77] du fait que Lippmann aurait loué un condominium pour elles (Madame 15 et son amie M.H.), et qu’elles auraient eu une relation sexuelle avec Miller dans un appartement loué par Lippmann.
[161] À mon sens, ces allégations[78], ainsi que la preuve à l’appui, sont suffisantes pour avancer une cause défendable à l’égard de Lippmann, que ce dernier était impliqué dans le schème et aurait enfreint les articles 21(b) (1) et 23(1) du C.cr., de manière à entraîner sa responsabilité extracontractuelle au sens de l’article 1457 C.c.Q.
[162] Le fait que seule S.N. ait une cause d’action contre Lippmann n’est pas par ailleurs limitatif à ce stade d’autorisation de la demande. Depuis l’arrêt Banque de Montréal c. Marcotte, il n’est pas nécessaire que chaque membre du groupe possède une cause d’action personnelle contre chacun des défendeurs[79].
[163] Enfin, je souligne ici que pour ce qui est des préjudices causés et du lien de causalité, les allégations de S.N. quant à Lippmann sont claires et précises, et doivent être tenues pour avérées. Je considère donc que la cause défendable est établie à ce stade quant à Lippmann.
[164] Les codemanderesses demandent également de conclure à la responsabilité de Future, indirectement et à titre de commettante, pour les violences sexuelles qui auraient été commises par ses employés Abrams et Lippmann. Pour étayer le syllogisme juridique requis afin de pouvoir soutenir l’existence d’une responsabilité pour le fait d’autrui, elles devaient alléguer – et c’est bien ce qu’elles ont fait – que des employés de Future étaient des préposés ayant commis des fautes dans l’exécution de leurs fonctions, en vertu de l’art. 1463 C.c.Q.
[165] Future est une compagnie que Miller a fondée en 1968 et dirigée jusqu’à février 2023. Elle est spécialisée dans la distribution de composantes électriques et électromécaniques. Le 14 septembre 2023, la société WT Microelectronics, dont le siège social est à Taïwan, annonce qu'elle a acheté 100 % des actions de Future pour
3,8 milliards de dollars[80].
[166] Les codemanderesses réfèrent, dans la Sixième Demande, au reportage d’Enquête qui explique que pour mettre en place son système, Miller se serait entouré d’un groupe d’hommes payés pour l’organiser et dissimuler ses activités illégales. Selon les journalistes, « Plusieurs avaient un lien direct avec Future Electronics ».
Elles allèguent également que Abrams et Lippmann étaient employés par Future durant toutes les années pertinentes[81].
[167] S.N. allègue que les rendez-vous qu’elle a eus avec Miller ont eu lieu dans des hôtels de Montréal et que Lippmann l’a aidée à louer un appartement à la demande de Miller. B.N. prétend, quant à elle, que les rendez-vous ont eu lieu à l’hôtel Reine Élizabeth et au [...], période durant laquelle cette maison aurait été louée par Lippmann aux frais de Future[82]. Ces faits sont pris pour avérés.
[168] Les codemanderesses prétendent que Future a fourni de l’argent et des ressources et/ou a payé pour des lieux ayant permis de tenir les actes de violence sexuelle, en outre des chambres d’hôtel et la maison du [...]. Elles ajoutent que puisque Miller n’a pas de compte bancaire, il est inévitable que le paiement pour ces lieux ait été fait par Future.
[169] Elles allèguent que Miller a impliqué plusieurs des employés de Future dans la commission de ses activités illégales. Selon elles, ces employés recevaient des instructions directes de leur patron, Miller, dans le cadre de leurs fonctions. Abrams et Lippmann, entre autres, auraient été mandatés par Miller comme employés de Future pour l’assister dans la réalisation des actes reprochés. De plus, leur carrière aurait été promue au sein de la société par suite de leur participation aux activités en cause, et à cause de leur loyauté à Miller[83]. Ainsi, Future serait responsable comme commettant en vertu de l’article 1463 C.c.Q.
[170] L’article 1463 C.c.Q. prévoit que le commettant est « tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions ». L'établissement de la responsabilité du commettant requiert la preuve, par la victime, de trois conditions essentielles: la faute du préposé, un lien de préposition entre celui-ci et le commettant et le fait que la faute ait été commise dans le cadre de l'exécution de ses fonctions[84]. Une fois ces conditions réunies, le Code civil du Québec établit une présomption irréfragable de responsabilité fondée sur l'attribution du risque de l'activité du commettant[85]. J’ajoute que le caractère criminel ou illégal de la faute commise n’exempte pas nécessairement la présomption de responsabilité du commettant[86]. L’analyse du concept dans l’exécution de ses fonctions focalise donc sur cette question: dans l’intérêt de qui le préposé agit-il alors qu’il fait faute et cause le dommage[87]?
[171] Comme l’explique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt L’Oratoire :
« Est un préposé celui qui agit pour le compte d’un autre, sous sa direction […] L’un des éléments essentiels à l’établissement d’une telle forme de responsabilité est l’existence d’un lien de préposition entre le préposé et le commettant. Le critère prépondérant qui est reconnu à cet égard et permet d’appuyer cette détermination est celui du contrôle, de la surveillance et de la direction par le commettant du préposé et des activités qu’il exécute […] »[88]
[172] Je suis d’avis qu’il existe un support factuel pour la responsabilité de Future comme commettant dans les allégations des codemanderesses, appuyées des pièces
à leur soutien.
[173] Les fautes de Abrams, alors Vice-président exécutif de Future, et de Lippmann, également alors Vice-président exécutif de Future, sont établies prima facie, tel qu’énoncé ci-haut. Il suffisait, au stade de l’autorisation, d’alléguer qu’ils suivent les instructions de Miller, le patron de Future. C’est ce que les codemanderesses ont fait.
[174] À la Sixième Demande et dans les pièces, les codemanderesses allèguent que Abrams et Lippmann ont agi ainsi « because the boss asked ».
[175] Même s’il faut distinguer la personnalité juridique de Future de celle de Miller[89],
il en reste que Miller était le grand patron de Future, tel qu’en font foi les allégations
et les pièces à leur soutien. Il est soutenable que Abrams et Lippmann agissaient sous les dictées de Miller et étaient contrôlés par leur employeur.
[176] Cette question, d’ailleurs, en est une de faits mixtes et de droit qui ne doit pas être tranchée au stade de l'autorisation[90].
[177] Les allégués de liens d’implication de Future dans le schème en cause découlant des paiements faits par Future et des transactions immobilières sur la rue A,
de même que ceux relatifs à l’organisation du schème par Abrams et Lippmann sous les ordres de Miller, et à l’avancement de carrière subséquent de ces employés sont suffisants pour constituer une cause défendable à l’égard de Future.
[178] Considérant le seuil bas, je conclus qu’il est franchi.
[179] Dans leur Sixième Demande, les codemanderesses incluent des conclusions en dommages punitifs aux montants de 1,5 million de dollars chacune, pour violation au droit à la dignité, l’intégrité et l’honneur de la personne, en vertu des articles 1, 4 et 49 la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte québécoise »). Ces articles prévoient qu’une atteinte illicite et intentionnelle à ces droits peut donner lieu à des dommages punitifs.
[180] Les codemanderesses demandent le recouvrement collectif des dommages punitifs. L’une des questions identiques, similaires ou connexes qu’elles proposent porte sur l’octroi de dommages punitifs en vertu de la Charte québécoise.
[181] Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[91], la Cour suprême du Canada, sous la plume de l’honorable juge Claire L’Heureux-Dubé, définit comme suit les termes « atteinte illicite et intentionnelle » prévus à l’article 49 de la Charte québécoise:
« [121] […], il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »
[182] En matière d’autorisation d’action collective invoquant des dommages punitifs, la Cour d’appel établit que la juge doit s’assurer que la demande d’autorisation énonce les faits qui justifient les conclusions recherchées, tout « en gardant à l’esprit le critère établi par la Cour suprême dans Vivendi, c’est-à-dire le fardeau peu onéreux de démontrer l’existence d’une cause défendable. [92]» Il s’agit donc, à ce stade, d’être « satisfait que la procédure comporte suffisamment d’allégations de faits pour donner ouverture aux conclusions recherchées en dommages punitifs.[93]»
[183] Précisément, il s’agira de valider que les deux éléments fondant une atteinte à un droit protégé par l’article 49 de la Charte québécoise sont présents : 1) l’atteinte illicite à un droit ou une liberté de la Charte – soit ici, le droit à la dignité, à l’intégrité et à l’honneur (arts. 1 et 4) et 2) la nature intentionnelle de l’atteinte illicite, telle qu’appréciée en fonction des conséquences immédiates et probables du comportement.
[184] Dans les circonstances, les reproches détaillés par les codemanderesses dans leur Sixième Demande rendent soutenable la réclamation en dommages punitifs.
[185] Les codemanderesses allèguent de manière précise et claire que les actes
de violence sexuelle perpétrés à leur égard à travers le schème orchestré par Miller, avec l’assistance de Poulet, Abrams, et Lippmann, de même que l’implication de Future, ont violé leurs droits à l’intégrité, à la dignité, à l’honneur, en vertu des articles 1 et 4 de la Charte québécoise.
[186] La Cour suprême a établi que « les infractions d’ordre sexuel visent à protéger l’autonomie personnelle et l’intégrité sexuelle de la personne »[94], de telle sorte à rattacher, à tout le moins, les allégations des codemanderesses à la violation du droit à l’intégrité, codifié à l’article 1 de la Charte québécoise. La Cour d’appel a aussi reconnu que la violence sexuelle porte atteinte au droit à l’honneur et à la dignité[95].
[187] D’ailleurs, une allégation de conduite illicite et intentionnelle qui se rapporte à la faute spécifique suffit, dans la mesure où les autres allégations de fait de la demande d’autorisation permettent au tribunal de déduire que l’auteur de la faute devait savoir que sa conduite pouvait mener à une violation d’un droit protégé par la Charte[96].
En effet, il serait prématuré d’exiger davantage puisque l’octroi de dommages punitifs dépend du comportement global de la partie fautive.
[188] Pour ce qui est de la nature intentionnelle de l’atteinte illicite, la Cour d’appel
a reconnu qu’en matière de violence sexuelle, « les agresseurs ne peuvent ignorer les conséquences graves de leurs gestes sur leurs victimes »[97]. Ce critère paraît donc rempli.
[189] Ainsi, les allégations de la Sixième Demande, dans l’ensemble, sont suffisantes et donnent ouverture à la réclamation de dommages punitifs.
[190] Par ailleurs, ce n’est qu’après avoir entendu la preuve que sera apprécié
le comportement des défendeurs et l’étendue des dommages punitifs causés,
le cas échéant[98].
[191] Les codemanderesses demandent que les dommages punitifs soient ordonnés sur une base solidaire. Je suis d’avis que dans l’ensemble, les énoncés de faute visant les défendeurs, appuyés éventuellement d’une preuve probante – au mérite, pourraient possiblement mener aux conclusions recherchées. Il est prématuré de disposer de cette question de solidarité dès maintenant, surtout en considération du seuil peu élevé requis à l’autorisation, à savoir que le syllogisme proposé paraît soutenable. La prochaine sous-section aborde plus en détail la suffisance des allégations de solidarité des dommages.
[192] Les codemanderesses prétendent, au surplus, avoir avancé des causes défendables permettant d’engager la responsabilité solidaire des défendeurs, entraînant le paiement de dommages compensatoires pour les préjudices causés en raison de leurs fautes collectives sur une base extracontractuelle. Ainsi, S.N. a montré une cause d’action défendable envers Miller, Lippmann et Poulet. B.N. a montré une cause défendable envers Miller, Abrams et Poulet. V.R. a montré une cause d’action défendable envers Miller et Abrams. Une cause d’action défendable existe également envers Future.
[193] La Cour suprême du Canada a établi que les principes de responsabilité solidaire pour des fautes extracontractuelles sont soumis aux articles 1480 et 1526 C.c.Q.[99]
Elle explique que pour que s’appliquent ces articles, il faut être en présence d’un préjudice unique[100]. Ce régime ne vise d’ailleurs pas un objectif punitif. L’art. 1480 C.c.Q. n’impose la solidarité que dans le cas où il est impossible de déterminer quelle faute a causé le dommage. De plus, il faut qu’il y ait soit « un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice », soit « des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice »[101].
[194] La Cour y précise que l’application de l’article 1526 C.c.Q. est soumise à la condition suivante : « la faute de deux personnes ou plus doit avoir causé un préjudice unique. Il peut s’agir d’une faute commune ou de fautes contributoires »[102]. Les fautes seront contributoires lorsque, sans se concerter, deux personnes commettent des fautes distinctes dont la combinaison cause un préjudice unique[103].
Si toutefois chaque faute peut être reliée à un préjudice distinct, l’article 1526 ne s’applique pas[104]. La Cour suprême explique :
« … l’art. 1526 C.c.Q. prévoit la solidarité des auteurs d’une faute commune ou de fautes contributoires, et ce, même si la preuve révèle quelle personne a commis la faute qui a effectivement causé le préjudice. C’est donc en vertu de l’art. 1526 C.c.Q. que l’on obtient aujourd’hui la condamnation solidaire des auteurs de fautes communes ou contributoires, situations que la jurisprudence antérieure qualifiait parfois d’« aventures communes », et non par l’entremise de l’art. 1480 C.c.Q. »[105]
Notre soulignement
[195] La Cour d’appel a tenu pour responsables solidairement des défendeurs poursuivis pour violence sexuelle sur des mineurs dans l’affaire N.B. c. G.A., laquelle conclusion fut confirmée en appel[106].
[196] En l’espèce, les codemanderesses allèguent de manière suffisamment précise, claire et tangible que la responsabilité des défendeurs doit être solidaire, en fonction de fautes communes et contributives également alléguées[107]. Les faits allégués justifient donc les conclusions recherchées, entre autres, quant à la recherche de conclusions solidaires. À tout évènement, cette question de solidarité sera déterminée au mérite, au regard de la preuve[108].
[197] Les allégations des codemanderesses au stade de l’autorisation sont suffisamment concrètes, spécifiques et tangibles pour soutenir la « simple possibilité [109]» que leurs préjudices découlent directement des fautes de Miller, Abrams, Poulet, Lippmann et/ou Future, comme défendeurs[110]. Le critère de l’article 575(2) C.p.c. est donc rempli.
[198] Les défendeurs contestent l’application du premier critère de l’article 575(1) C.p.c. au prétexte qu’il n’existe aucune question commune qui permette d’avancer le sort du recours d’une manière non négligeable, considérant qu’une analyse individuelle et contextuelle de la situation de chaque codemanderesse sera requise. Ils prétendent que le groupe est défini trop largement, en fonction de critères subjectifs et hautement circonstanciels, comme la différence d’âge entre les victimes et Miller, de même que
le statut de ce dernier et l’évolution de la relation entre les parties.
[199] De plus, ils plaident que la définition n’est pas limitée dans le temps, le lieu des évènements ou encore le type de relation entre Miller et les victimes. Ainsi, selon les défendeurs, les allégations présentent des situations différentes, vécues à des époques éloignées dans le temps et dont les gestes reprochés ne s’apparentent pas. Ils plaident que les faits reprochés aux défendeurs devront faire l’objet d’une analyse individuelle.
[200] Les codemanderesses, au contraire, prétendent qu’il existe au moins une, sinon, plusieurs questions communes qui méritent d’être autorisées.
[201] Une seule question commune non négligeable doit être identifiée, laquelle ne conduit pas nécessairement à une réponse commune.
[202] Seront abordés dans cette section : (1) les principes juridiques applicables à l’examen du paragraphe 575(1) C.p.c., (2) les questions communes identifiables à ce stade.
[203] L’article 575(1) C.p.c. précise que l’exercice d’une action collective ne peut être autorisé que si le tribunal conclut que « les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ». La Cour d’appel résume comme suit ce critère dans l’arrêt Les Courageuses:
« [30] Premièrement, dans l’arrêt Vivendi, la Cour suprême rappelle que la prudence s’impose avant d’importer les principes énoncés dans les arrêts Dutton et Rumley à la procédure civile québécoise, quant aux questions dites communes. Plus récemment encore, la Cour suprême a réitéré le caractère large et flexible de l’approche québécoise. Je retiens de ces enseignements ce qui suit :
- La loi québécoise formule différemment le critère de la communauté de questions. En droit québécois, une question peut être simplement similaire ou connexe, sans être commune. L’analyse applicable est donc moins exigeante, et l’approche doit être plus large et flexible que celles des tribunaux des provinces de common law, de l’Angleterre et des États-Unis. Une conception souple de l’intérêt commun doit être envisagée, ce qui permet de faciliter l’exercice de l’action collective.
- […] il suffit que les réclamations des membres soulèvent certaines questions de droit ou de fait suffisamment similaires ou connexes pour justifier une action collective.
- Le recours peut être autorisé si certaines questions sont communes et si un aspect du litige se prête à une décision collective et qu’une fois cet aspect décidé, les parties auront réglé une part non négligeable du litige. Ainsi, la seule présence d’une question de droit ou de fait identique ou similaire suffit pour satisfaire au critère, sauf si cette question ne joue qu’un rôle négligeable quant au sort du recours. Autrement dit, il n’est pas requis que la question permette une résolution complète du litige.
- Une question commune n’amène pas nécessairement une réponse commune. Le critère est respecté même si des réponses nuancées doivent être apportées.
- En résumé, une question sera considérée commune si elle permet de faire progresser le règlement du litige pour l’ensemble des membres et ne joue pas un rôle négligeable quant au sort du litige.[111]»
[Références omises; Nos soulignements]
[204] Je précise aussi d’emblée que c’est sur ce point des questions communes que l’exercice de l’action collective a été refusé dans l’arrêt Les Courageuses, lorsque l’honorable juge Stephen Hamilton écrivait, au nom de la majorité, que « le recours ne présentait aucune question identique, similaire ou connexe qui permetait l’avancement du litige de façon non négligeable. » Selon lui, le modus operandi, central au litige, n’avançait pas le dossier de façon non négligeable et ne remplissait pas le premier critère de l’article 575 C.p.c. Il ajoutait que le véhicule procédural de l’action collective n’était pas approprié pour les actions collectives visant des abus sexuels.
[205] La première étape de l’examen du premier critère de l’art. 575 C.p.c. requiert d’identifier correctement le groupe proposé, considérant sa relation directe avec les questions communes. Les membres du groupe identifié doivent être dans une situation suffisamment commune pour que des questions communes soient identifiées.
[206] Les critères suivants, énoncés dans l’arrêt George c. Québec (Procureur général), sont utiles pour définir adéquatement le groupe:
« 1. La définition du groupe doit être fondée sur des critères objectifs;
2. Les critères doivent avoir un rapport rationnel avec les revendications communes à tous les membres du groupe;
3. La définition du groupe ne doit être ni circulaire ni imprécise;
4. La définition du groupe ne doit pas s’appuyer sur un ou des critères qui dépendent de l’issue du recours collectif au fond. »[112]
[207] La définition du groupe doit obligatoirement correspondre à la réalité et à l’ampleur du problème décrit dans la demande d’autorisation[113]. Elle pourra être modifiée afin de s’assurer que les exigences juridiques d’un fondement légal, objectif et rationnel soient respectées[114].
[208] Enfin, le professeur Pierre-Claude Lafond explique qu’il ne s’agit pas, dans l’examen du critère de 575(1) de rechercher l’homogénéité parfaite du groupe.
Selon lui, devient « commune » « une question dont la résolution est nécessaire pour
le règlement de la réclamation de chaque membre du groupe, et dont cette résolution dans le cadre d’un recours collectif permet d’éviter la duplication à de multiples reprises de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit.[115]»
[209] Pour satisfaire à la condition relative à la communauté des questions, il suffit à S.N., B.N. et V.R. de démontrer qu’une seule des questions posées est capable de faire progresser le règlement du litige d’une manière non négligeable pour l’ensemble des membres du groupe. Je suis d’avis que ce critère est pleinement rempli.
[210] D’abord, même si je modifie légèrement le groupe pour lequel l’action est autorisée pour le préciser, cela ne change pas le fait qu’à mon avis, le groupe proposé par les codemanderesses dans leur demande best clair et suffisamment précis; il correspond aux allégations sérieuses de la demande et permet aux victimes de s’y associer, dans la mesure où elles :
- ont subi des actes de violence sexuelle de la part de Miller et/ou de l’un des défendeurs alors qu’elles étaient mineures;
- ont fourni, moyennant rétribution, des services sexuels pour Miller et/ou ont communiqué avec une tierce personne dans le but de fournir de tels services; ou
- ont été victimes de contacts sexuels ou incitées à fournir des gestes sexuels de la part de Miller et/ou de l’un des défendeurs alors qu’elles étaient mineures;
[211] Ainsi, la définition est uniforme et non circulaire, même si certaines des questions devront être répondues sur une base individuelle. Entre autres, il faudra répondre à la question de l’âge et de la date des évènements pour identifier lequel des actes criminels a été commis. De plus, certains incidents impliquent, en plus de Miller, Poulet et/ou Abrams et/ou Lippmann et/ou Future uniquement.
[212] Le fait que certaines questions puissent trouver une réponse distincte ou individuelle ne change pas non plus la donne[116].
[213] En outre, le fait que la considération monétaire puisse varier pour chacune, de même que le lieu choisi pour la tenue des relations sexuelles, ou encore l’implication précise de l’un ou l’autre des défendeurs importe peu. À cet égard, la Cour suprême a rappelé qu’il n'est pas nécessaire pour chaque membre du groupe d’avoir une cause d’action contre tous les défendeurs[117].
[214] En identifiant les principales questions qui seront traitées collectivement et les conclusions recherchées, il ne m’appartient pas de me prononcer sur le mérite de ces questions et conclusions.
[215] Les questions communes, telles que proposées par les codemanderesses à leur Sixième Demande, sont les suivantes :
“ a. Did Defendant Robert G. Miller obtain for consideration the sexual services of persons who were under the age of 18 years in contravention of section 286.1 of the Criminal Code?
b. Did Defendant Robert G. Miller sexually exploit young persons in contravention of section 153 of the Criminal Code?
b.1 Did Defendant Robert G. Miller commit sexual interference with a person under the age of 14 years (up until April 30, 2008) or 16 years (from May 1, 2008, onwards) in contravention of section 151 of the Criminal Code?
c. Did Defendant Robert G. Miller unlawfully interfere with Class Members’ dignity, inviolability, and honour in contravention with articles 1 and 4 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms? If so, was such unlawful interference intentional under article 49 of the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms?
d. Did one or all of the Defendants commit a civil fault under article 1457 C.C.Q.?
e. Did any of Defendant Future Electronics’ subordinates commit any wrongful acts engaging the vicariously liability of its principal in accordance with article 1463 C.C.Q.?
f. Has prescription been suspended for Class Members due to psychological inability to act or impossibility in fact to act in accordance with article 2904 C.C.Q.?
g. When, if at all, would prescription begin to run against Class Members in accordance with article 2926.1 C.C.Q.?
h. Are one or all Defendants liable, whether solidarily or not, to Class Members for compensatory damages and in what amount?
i. Are one or all Defendants liable, whether solidarily or not, to Class Members for punitive damages and in what amount?[118]”
[216] Pour ce qui est de la question commune h), la modification suivante fut approuvée le troisième jour du procès sur l’autorisation:
“ h) Are one or all Defendants liable, whether solidarily or not, to Class Members for compensatory damages (…)?
h.1) What is the quantum of damages that can be established collectively and what damages must be established at the stage of individual claims, if applicable?”
[217] Les défendeurs prétendent que la faute n’est pas la même pour chacune et que les trois groupes représentés par les trois demanderesses n’ont pas les mêmes questions communes, se fondant sur le raisonnement du juge Hamilton dans l’arrêt Les Courageuses.
[218] Or, trois aspects centraux différencient le présent dossier de celui de l’affaire Les Courageuses : 1) des relations sexuelles interdites au criminel avec des mineures (peu importe le consentement) constitutives en soi de faute civile, 2) un stratagème mis en place pour les attirer et rendre leur consentement, déjà invalide[119], encore plus douteux, et 3) la responsabilité des autres défendeurs à titre de complices ou de facilitateurs et de Future.
[219] Je souligne également que la Cour d’appel a reconnu l’existence de questions communes dans un dossier d’action collective visant des élèves mineurs ayant été abusés par un ancien directeur d’une école reliée à une église, ainsi que des élèves mineurs ayant été abusés par ce même directeur au sein d’une école clandestine qu’il a subséquemment mise en place[120], de même que dans un dossier d’action collective visant des joueurs de hockey qui, depuis 1969, avaient subi des abus alors qu’ils étaient mineurs et évoluaient au sein de la Ligue de hockey junior majeur du Québec[121]. La Cour déterminait dans le premier qu’il existait au moins une question commune, soit celle de savoir si le défendeur Guillot avait commis des fautes en infligeant des châtiments corporels à des enfants et à des adolescents[122]. Dans le deuxième dossier, la Cour jugeait que l’une des questions communes était de savoir s’il existait une négligence systémique au sein des défenderesses quant aux abus subis par les membres du groupe[123].
[220] Dans le présent dossier, la description du groupe implique des questions communes. Ensuite, contrairement à l’affaire Les Courageuses, il existe plusieurs éléments du modus operandi ou du schème qui peuvent être déterminés de manière commune : l’objet des rencontres, le système et les conditions de recrutement, les étapes préliminaires aux rencontres, le type de lieu pour les rencontres, les conditions hygiéniques ou sanitaires aux rencontres, les modalités de l’acte sexuel avec Miller, le système de rétributions monétaires ou matérielles et le rôle des acteurs.
[221] Dans le présent dossier, il s’agit de relations sexuelles non protégées avec des mineures – 46 filles, au moins –, pour rétribution, durant une période d’environ dix ans (généralement entre 1996 et 2006)[124].
[222] Les rencontres avec les mineures sont organisées par des acolytes de Miller. Celles-ci sont recrutées dans des écoles, à travers des connaissances ou des amies, ou encore par le biais d’annonces de mannequinat. Elles sont ensuite invitées à se rendre à un hôtel du Centre-Ville de Montréal, ou encore à l’une des maisons de la rue A.
[223] Sur place, Miller se présente aux filles sous un pseudonyme, « Bob Adams », montre sa fausse carte d’affaires, offre une boisson alcoolisée et discute avec elles de leurs études, de leurs rêves. Il les invite ensuite à se diriger vers la salle de bain pour se laver minutieusement dans un bain moussant et se raser, en préparation à la relation sexuelle.
[224] Miller demande qu’on lui suce longuement la langue et qu’il puisse ensuite pénétrer vaginalement les mineures sans protection. À la suite de l’acte sexuel, les jeunes victimes reçoivent une enveloppe avec une pastille de couleur selon le montant d’argent contenu, variant généralement entre 1 000 $ et 5 000 $. Miller leur demande d’emmener une amie à la prochaine rencontre.
[225] Miller et ses acolytes offrent aux mineures des vêtements, sacs ou bijoux de luxe, ou encore des voyages ou des téléphones cellulaires, et ce, avant l’acte sexuel et/ou après.
[226] Pour ce qui est des acolytes Poulet, Abrams et Lippmann, ils participent, d’une manière ou d’une autre, à organiser le schème de prostitution juvénile. Le premier recrute les jeunes filles, le deuxième les sélectionne, les appelle et les paie, et le troisième organise les logements où se dérouleront les rencontres avec Miller.
[227] Tous ces indices de schème sont communs aux membres et soulèvent au moins une question commune, soit la faute civile commise par suite de la violation de normes criminelles.
[228] Ainsi, la première question commune en importance est la d), qui traite de la faute civile. On se demandera donc si le fait de violer les articles du Code criminel est constitutif d’une faute au sens de l’article 1457 C.c.Q., en ce qui concerne chacun des défendeurs.
De plus, la question e), à savoir si Abrams et/ou Lippmann ont commis des actes répréhensibles en tant qu’employés de Future de telle sorte à engager sa responsabilité en vertu de l’article 1463 C.c.Q., se pose de manière commune pour toutes les victimes.
[229] Par ailleurs, la participation à un schème d’exploitation se posera également de manière commune, de manière à entraîner la faute de certains ou de tous les défendeurs. Cette question sera ajoutée à la liste des questions communes.
[230] La première question a), soit celle de savoir si Miller a obtenu, moyennant rétribution, des services sexuels de mineurs, ou encore communiqué avec quelqu’un en vue d’obtenir de tes services, est commune. La réponse sera possiblement distincte, pour les victimes, selon l’expérience vécue par chacune, mais cela importe peu, au stade de l’autorisation. Les questions b) et c) sont également communes, pour les mêmes raisons que la question a).
[231] Pour ce qui est de l’argument invoqué en défense voulant que l’âge de chaque personne doive être démontré de manière individuelle pour tous les actes criminels invoqués, empêchant donc l’existence de quelque question commune, cet argument est écarté. Il est vrai que les victimes devront au mérite démontrer leur âge au moment des évènements, et que cet âge impliquera l’application de l’un ou l’autre des articles du Code criminel. Mais au stade de l’autorisation, savoir si Miller a obtenu des services sexuels auprès de mineures pour rétribution est une question commune significative qui fera avancer le litige de manière non négligeable. Les défendeurs tentent de confondre le présent exercice d’autorisation avec celui du mérite qui exige de faire la preuve de l’existence de l’infraction pénale. Au stade de l’autorisation, il faut seulement démontrer l’existence d’une question commune.
[232] Pour ce qui est des questions de prescription et de la nécessité de prouver individuellement l'impossibilité d'agir, relativement aux questions f) et g), ces questions ne constituent pas un obstacle au stade de l'autorisation du recours. Elles sont également communes. L’imprescriptibilité des violences sexuelles sera aussi ajoutée aux questions communes.
[233] Pour ce qui est de la question h), il est vrai que la Cour d’appel a statué dans l’arrêt Les Courageuses que les dommages compensatoires doivent faire l’objet d’une question individuelle, et qu’ils ne se prêtent donc pas à une détermination collective, en raison des nombreux facteurs subjectifs à considérer, de telle sorte que plusieurs mini-procès seront requis pour décrire les dommages subis par chacun[125].
[234] Néanmoins, je considère que la présente situation se distingue de celle de l’arrêt Les Courageuses en ce qu’ici, la nature des gestes posés ne varie pas véritablement d’une victime à l’autre; le contexte du recrutement, des préliminaires, de l’acte sexuel et de la rétribution étant presque identique et la question du consentement ne se posant pas systématiquement, vu l’âge des victimes lors des évènements. Les fautes alléguées ont une trame factuelle commune, menant à une évaluation commune de la nature de la faute et de sa gravité. Même si certains aspects individuels pourront demeurer,
il reste que, sur plusieurs aspects, la question des dommages compensatoires est collective. Il appartiendra au juge du mérite d’en décider.
[235] J’ajoute que le fait d’avoir séparé la question h) en deux questions rend l’identification de l’aspect « commun » plus aisée. D’abord, il s’agira de savoir si des dommages compensatoires sont appropriés, sur une base commune. Ensuite, il s’agira de déterminer combien les victimes peuvent espérer obtenir, sur une base commune.
[236] Quant à la question i), relative aux dommages punitifs, les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Les Courageuses doivent être examinés. Le juge Hamilton y statuait que le caractère illicite et intentionnel de l’atteinte aux droits garantis par la Charte québécoise n’était pas une question commune justifiant l’autorisation de l’action collective, puisque les fautes alléguées commises sur une période d’environ 34 ans devaient être appréciées au cas par cas selon leur « propre trame factuelle », et qu’il serait donc difficile d’apprécier collectivement le caractère intentionnel des atteintes[126].
Il ajoutait que la détermination du quantum des dommages punitifs s’appréciait en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, une évaluation partiellement individuelle, partiellement commune[127]. Encore ici, je distingue pour les mêmes raisons l’affaire Les Courageuses de la présente et considère que les dommages punitifs peuvent être déterminés de manière commune.
[237] Je conclus donc que le recours soulève des questions communes qui permettent de faire avancer le recours de manière non négligeable et suffisent pour satisfaire ce critère. Le recours intenté n’est donc pas disproportionnel; cet argument invoqué par les défendeurs est également écarté.
[238] Les questions communes sont néanmoins réorganisées et précisées comme suit :
[239] Pour ce qui est du troisième critère, le requérant doit démontrer que le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui (86 et ss. C.p.c.) ou sur la jonction d’instance (143, 210 et 211 C.p.c.) est difficile ou peu pratique, non pas qu’il est impossible.
[240] Aux fins d’analyser l’existence de difficultés ou d’obstacles liés à la composition du groupe, les éléments suivants sont à considérer : « le nombre probable de membres; la situation géographique des membres; les coûts impliqués; et les contraintes pratiques et juridiques inhérentes à l’utilisation du mandat et de la jonction des parties en comparaison avec le recours collectif[128] ». L’analyse de ce critère doit s’effectuer de manière généreuse, souple et libérale, comme pour les autres critères de l’article 575 C.p.c.[129]
[241] Les codemanderesses allèguent qu’il est difficile d’évaluer combien de victimes peuvent être visées par le groupe proposé, même si les violences sexuelles ont eu lieu sur une longue période, il y a de cela plus de 8 ans. Le nombre de membres pourra être significatif, mais reste inconnu à ce jour.
[242] Les codemanderesses prétendent que l’Annexe A, le Tableau des victimes et des coupables (« Table of Victims and Perpetrators ») illustre que le groupe est raisonnablement estimé à 100 personnes. Elles précisent que 51 personnes se sont manifestées pour faire partie du groupe comme demanderesse ou déclarante. Plusieurs se sont présentées lors d’audiences pour assister en silence. Plusieurs des déclarantes mentionnent que Miller avait une préférence pour les relations sexuelles avec plus qu’une mineure, et plusieurs expliquent que Miller leur demandait d’emmener une prochaine fille à leur future rencontre. Ces faits supportent la prétention des demanderesses quant au nombre potentiel de victimes.
[243] Ainsi, le nombre de victimes énoncé au tableau paraît suffisant pour satisfaire le critère de l’article 575 3) C.p.c. D’ailleurs, même s’il ne s’agissait que d’environ quarante ou cinquante victimes envisagées, cela serait suffisant, car il n’existe pas de directive jurisprudentielle claire quant au nombre de membres potentiels suffisant pour répondre au critère, tout doute étant décidé en faveur de la demande[130].
[244] Les défendeurs plaident que le fait que l’avocat en demande ait déjà signé des mandats de représentation en faveur de 51 victimes potentielles[131] milite contre l’accomplissement de l’article 575 (3). De plus, il prétend que les codemanderesses n’ont pas allégué de raisons pour dire que le mandat ou la jonction seraient difficiles ou peu pratiques.
[245] Il faut impérativement contextualiser le litige et mettre l’emphase sur le fait que lorsque des actions collectives invoquant des abus sexuels sont intentées, le fait que les victimes soient nombreuses et ne se connaissent pas favorise l’autorisation.
L’action collective protège l’anonymat des victimes, contrairement au mandat et à la jonction d’actions[132]. Même si certaines victimes se connaissent désormais et que le procureur en demande a contacté environ cinquante d’entre elles, cela ne change pas le fait qu’il sera difficile ou peu pratique d’agir pour contacter toutes celles qui ne se sont pas encore manifestées.
[246] Enfin, l’action collective est un véhicule procédural idéal pour les victimes alléguées de ces abus afin de « briser le silence dont les [défendeurs] auraient imposé la culture. [133]» Ce critère est donc rencontré.
[247] Le critère de 575(4) exige que la personne qui souhaite représenter les membres puisse assurer cette fonction de manière adéquate, un seuil peu élevé. Cela implique qu’elle ait elle-même un intérêt (juridique) à poursuivre, qu’elle ne soit pas en conflit d’intérêts avec les autres membres du groupe et qu’elle soit compétente en ce sens qu’elle doit s’intéresser au dossier et en avoir une bonne compréhension de manière à pouvoir prendre, si nécessaire, des décisions au bénéfice de l'ensemble du groupe[134].
[248] Ces trois considérations à la représentation adéquate doivent être interprétées de manière « libérale »[135].
[249] Les défendeurs prétendent que ce critère n’est pas rencontré, précisément
quant à V.R., considérant la Déclaration du 19 septembre 2008. Or, cette déclaration ne fait pas partie de la preuve considérée, tel que cela en a été décidé ci-haut.
[250] Dans leur Sixième Demande, les codemanderesses allèguent des faits qui démontrent, selon elles, qu’elles satisfont pleinement aux trois conditions requises par l’article 575 (4) C.p.c.
[251] D’abord, elles prétendent satisfaire au critère de l’intérêt juridique à poursuivre puisqu’elles présentent chacune des causes défendables contre le défendeur Miller, que S.N. présente une cause défendable contre Miller, Lippmann, Poulet et Abrams, que B.N. présente une cause défendable contre Miller, Abrams et Poulet, et que V.R. présente une cause défendable contre Miller et Abrams, le tout en vertu de l’article 575(2) C.p.c. Une cause défendable existe aussi contre Future, tel qu’énoncé ci-haut.
[252] Les codemanderesses allèguent avoir un intérêt à poursuivre puisqu’elles sont victimes de violences sexuelles de la part de Miller, comme les autres membres du groupe proposé. Considérant leur situation personnelle et le fait qu’elles possèdent une cause défendable en vertu de l’article 575(2) C.p.c., les codemanderesses ont l’intérêt requis pour agir, et ce, même si ultimement les membres du groupe pourront avoir subi des dommages distincts imputables à l’un ou l’autre des défendeurs[136].
[253] De plus, les codemanderesses indiquent avoir effectué des recherches sur Internet sur leur cause d’action et avoir préparé le dossier avec leur avocat. Elles sont convaincues que d’autres femmes sont concernées également par leur Demande et sont déterminées à représenter leur cause. Elles semblent compétentes et intéressées au litige, dans la mesure où elles sont également assistées par l’avocat du groupe[137].
[254] Je rappelle ici qu’elles n’ont pas à être les meilleures représentantes possibles ni les représentantes idéales[138]. Néanmoins, leur bonne foi est alléguée et il n’y a aucune raison de croire qu’elles n’intentent pas le présent recours dans un objectif de compensation de leurs dommages et de ceux des membres du groupe.
[255] Ensuite, les codemanderesses allèguent être disposées à investir le temps nécessaire pour accomplir les formalités et les tâches requises à l’avancement d’une action collective, avoir été informées du cheminement d’une action collective et comprendre les démarches entreprises par leurs procureurs. Elles indiquent avoir la capacité et l’intérêt de protéger et représenter les intérêts des membres du groupe adéquatement et avec compétence.
[256] En outre, elles précisent qu’elles ont donné instruction à l’avocat du groupe de publiciser les informations sur l’action collective sur le site du cabinet, et de colliger
les coordonnées des membres potentielles du groupe qui souhaitent être informées et participer à la résolution du dossier, le tout de manière confidentielle.
[257] Je mentionne d’ailleurs que leur anonymat ne pose pas problème, puisque la Cour suprême statuait qu’il est « tout à fait normal […] que les victimes d’agressions sexuelles, y compris le représentant, bénéficient du droit à l’anonymat, et que les contacts avec les membres se fassent principalement par l’entremise des avocats du représentant.[139] ».
[258] Enfin, les codemanderesses allèguent qu’il n’existe aucun conflit d’intérêts entre elles et les membres du groupe proposé.
[259] Le critère 575(4) C.p.c. est donc rencontré.
[260] Miller prétend que la seconde demande de sauvegarde présentée par les codemanderesses était abusive et contraire aux objectifs mêmes d’une telle demande, soit de maintenir ou rétablir le statu quo entre les parties,
à des fins conservatoires, pour préserver un certain équilibre[140]. Il soutient qu’aucun statu quo ou équilibre n’était ici à maintenir ou rétablir. De plus, selon lui, aucune telle demande ne pouvait être présentée au stade préalable à l’autorisation, et les mêmes arguments y auraient été présentés par les codemanderesses. Cette demande n’avait donc aucune chance de réussir, toujours selon Miller. Plus largement, il prétend que la multitude de procédures présentées par les codemanderesses justifie l’attribution de dommages pour abus de procédure.
[261] Pour ce qui est des codemanderesses, elles abandonnent toute demande pour abus envers les défendeurs et répondent à l’argument présenté par les défendeurs qu’elles étaient justifiées de présenter leurs procédures et particulièrement, la seconde ordonnance de sauvegarde. Selon elles, les nouvelles quant à l’état de santé précaire de Miller, son patrimoine successoral important et son absence de compte bancaire, faisaient en sorte de susciter une crainte que l’exécution d’un jugement éventuel soit difficile.
[262] L’article 51 C.p.c. me permet de déclarer, même d’office, qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif. L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice.
[263] Un abus peut naître notamment d’une procédure qui, sans égard à l’intention et donc sans indices de mauvaise foi ou d’une intention de nuire, est manifestement mal fondée, en ce qu’elle ne présente aucune chance raisonnable de succès ou est au contraire vouée à l’échec. Ainsi, une déclaration d’abus peut résulter de la témérité dont fait preuve un demandeur en intentant un recours « alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où
elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement
pour cette procédure »[141]. La témérité susceptible d’entraîner une déclaration d’abus peut également s’exprimer à travers la formulation d’allégations qui ne résistent pas à une analyse attentive[142].
[264] Dans un cas d’abus, la demande peut être rejetée. De plus, lorsqu’il paraît y avoir un abus, la partie qui a introduit la demande en justice peut être ordonnée de verser
à l’autre partie, sous peine de rejet de la demande, une provision pour les frais de l’instance[143].
[265] En vertu de l’article 52 C.c.p., si une partie établit sommairement que la demande en justice peut constituer un abus, il revient à la partie qui l’introduit de démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit.
[266] Dans l’arrêt Biron., la Cour d’appel énonce que la barre de l’abus de procédure est « haut placée »[144] :
« [126] L’article 51 C.p.c. couvre une panoplie de situations et le spectre de ces situations est large, mais, dans tous les cas, la barre est haut placée et elle doit le demeurer au risque de banaliser ce qu’est une procédure abusive et de constituer un frein à l’accès à la justice. Les procédures manifestement mal fondées et celles qui ne visent qu’à faire taire l’autre partie doivent être sanctionnées. Il en va de même de la partie qui utilise la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui. Mais, je le répète, la barre de l’abus de procédure doit demeurer haut placée. »
[267] Il est utile de reprendre les principales étapes procédurales dans l’analyse du caractère abusif de la seconde demande de sauvegarde.
[268] Le 22 février 2023, la demanderesse S.N., dépose une Demande d’autorisation d’exercer une action collective initiale.
[269] À compter d’août 2023, la demanderesse déposera cinq modifications de la demande. Elle produira également une demande intitulée Application by the applicant for a pseudonym order sollicitant l’autorisation d’utiliser un pseudonyme, de même qu’une ordonnance visant à prévenir les défendeurs d’être informés de son identité. En somme, elle souhaite pouvoir employer « uniquement les initiales « S.N. » pour l’identifier et la désigner formellement dans le cadre des procédures, et ne pas avoir à dévoiler à quiconque son nom, son adresse, son numéro de téléphone ou tout autre renseignement personnel permettant de l’identifier.
[270] Le 26 avril 2023, la demanderesse dépose une demande intitulée Amended application by the applicant for a case management hearing & for a safeguard order [la « Première ordonnance de sauvegarde »], afin d’aviser les défendeurs ou leurs avocats de discuter ou de contacter les membres potentiels du groupe relativement à un évènement particulier arrivé au bureau des procureurs en demande.
[271] Le 28 juin 2023, le juge Donald Bisson accorde partiellement la demande d’utilisation d’un pseudonyme permettant à la requérante initiale d’utiliser ses initiales dans les procédures et rejetant la demande visant à prévenir les défendeurs d’être informés de son identité. Il rejette également la Première ordonnance de sauvegarde.
[272] Le 14 juillet 2023, les défendeurs déposent une demande en vertu des articles 51 ss. C.p.c. intitulée Application to dismiss.
[273] Le 2 août 2023, la demanderesse dépose une demande intitulée Application de bene esse for leave to appeal from a judgment rendered in the course of a proceeding, en appel du Jugement Bisson. Le même jour, elle dépose une demande intitulée Application for permission to present indispensable new evidence in the Court of Appeal file number 500-09-030658-231, ainsi qu’une demande intitulée Application by the Applicant for permission to examine defendant Robert G. Miller pre-trial [la « Demande Ad Futuram Memoriam »], visant à interroger le défendeur Robert G. Miller sur tous les sujets pertinents à l’action collective, considérant sa santé fragile et le fait qu’il pourrait décéder dans un avenir rapproché.
[274] Le 7 août 2023, la demanderesse dépose une demande intitulée Application by the applicant for a blanket pseudonym order for class members & to not disclose their full names to the defendants.
[275] Le 10 août 2023, la demanderesse dépose une première demande de modification de sa Demande d’autorisation pour ajouter les défendeurs Sam Joseph Abrams et Raymond Poulet.
[276] Le 31 août 2023, la demanderesse dépose une demande intitulée Application by applicant S.N. for the communication of documents and information relativement à certains documents d’un dossier judiciaire distinct impliquant Miller, portant le numéro 500-17-125722-234, dans lequel le juge Bisson avait émis une ordonnance de type Norwich. Le 6 septembre 2023, la Cour d’appel rejette l’appel du Jugement Bisson.
[277] Le 14 septembre 2023, Future Electronics dépose une Requête (…) pour obtenir des détails sur l’identité de la demanderesse S.N.
[278] Le 15 septembre 2023, la demanderesse dépose une deuxième Demande de modification de sa Demande d’autorisation [la « Deuxième demande de modification »] afin d’ajouter le défendeur Helmut Lippmann aux procédures. Le même jour, Miller dépose une demande intitulée Application for the identity of the applicant S.N.
[279] Le 29 septembre 2023, la demanderesse dépose une demande intitulée Re-amended application to authorize the bringing of a class action & to appoint the applicant as representative plaintiff.
[280] Le 17 octobre, la demanderesse dépose une Demande pour permission d’interroger Lippmann en vertu des articles 253, 257 et 661 C.p.c.
[281] Le 23 octobre 2023, la demanderesse dépose une demande de type Mareva, intitulée Application by the applicant for a provisional & interlocutory Mareva-type injunction order against defendants Miller and Future Electronics Inc., visant notamment à geler les actifs de Miller et Future Electronics. Le même jour, la demanderesse dépose une nouvelle demande d’autorisation modifiée, ajoutant quatre déclarations assermentées anonymes.
[282] Le 30 octobre 2023, Miller dépose une Demande visant à retirer toutes les déclarations assermentées anonymes ainsi que la pièce R-50, par laquelle il demande que la demanderesse fournisse son adresse, un permis de conduire et son acte de naissance.
[283] Le lendemain, la demanderesse dépose une Re-amended application to authorize the bringing of a class action & to appoint the Applicant as representative plaintiff.
[284] Le 2 novembre 2023, les parties participent à une conférence de gestion en présence du juge Immer.
[285] Le 23 novembre 2023, le juge Immer rend jugement sur la Demande d’anonymisation du groupe et ordonne en outre à S.N. de fournir une copie de son certificat de naissance aux défendeurs.
[286] Le 27 novembre 2023, la juge Eleni Yiannakis rejette la Demande Mareva, concluant notamment que la demanderesse n’a pas su démontrer un risque réel de dissipation des actifs des défendeurs.
[287] Le 4 décembre 2023, la demanderesse dépose une troisième Demande d’autorisation modifiée et demande de permission de modifier la procédure.
[288] Le 8 décembre 2023, la demanderesse dépose une Demande pour permission d’en appeler du Jugement Yannakis, et deux jours plus tard, la Cour d’appel rejette cette demande de permission d’en appeler.
[289] Le 17 janvier 2024, le juge Immer rend jugement sur les diverses demandes de modifications contenues à la Troisième demande de modification.
[290] Le 2 février 2024, la demanderesse dépose une quatrième Demande de modification de la Demande d’autorisation afin d’ajouter B.N. comme co-demanderesse.
[291] Le 8 février 2024, la demanderesse dépose une Demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada de la décision de la Cour d’appel confirmant le Jugement Yannakis. Cette demande d’appel sera rejetée le 2 mai 2024.
[292] Le 9 février 2024, le juge Immer rejette la demande d’interrogatoire ad futuram quant à Lippmann, et permet un interrogatoire écrit limité de Miller, considérant son état de santé fragile.
[293] Le 27 mars 2024, le juge Immer autorise la quatrième modification à la Demande d’autorisation, déclarant B.N. co-demanderesse à la présente action.
[294] Le 11 juillet 2024, les Demanderesses déposent une demande intitulée Application by the applicants with regard to defendant Robert Gerald Miller for: (a) safeguard measures; and (b) examination ad futuram memoriam; (c) both of which with provisional execution notwithstanding an appeal [la « Demande de sauvegarde »].
[295] Le 19 août 2024, les Demanderesses déposent une Sixième Demande pour permission de modifier la Demande d’autorisation. Cette demande de modification est entendue et accordée par la soussignée séance tenante.
[296] Une demande de directives présentée par le défendeur Miller concernant certaines considérations relatives à l’anonymat et la confidentialité des membres potentiels du groupe et de leurs informations est abandonnée le même jour.
[297] Le 16 septembre 2024, la soussignée rejette la Demande de sauvegarde et d’interrogatoire Ad Futuram Memoriam, et reporte la demande d’abus à l’autorisation.
[298] Dans ce jugement, je souligne ce qui suit :
« La Demande d’autorisation a été déposée le 22 février 2023. Depuis, les procédures ont été multiples et importantes, en l’instance, dont, avec égards, la responsabilité repose en grande partie sur la partie demanderesse. En outre, depuis août 2023, la partie demanderesse a déposé cinq modifications de la demande, dont la plus récente a été approuvée par la soussignée le 9 septembre dernier.
Comme l’exprime pertinemment le juge Immer, « Pendant tout ce temps, la Demande demeure dans les limbes. Cela est regrettable.29 » L’autorisation est présentement fixée pour les 28, 29 et 30 novembre prochain et il est hautement souhaitable que cette étape puisse être complétée, dans l’intérêt des membres du groupe et des parties en général.[145]»
[299] Il est vrai, comme le juge Immer et moi l’avons énoncé dans nos jugements respectifs, que les procédures ont été nombreuses de part et d’autre, et particulièrement, de la part de la partie demanderesse, de telle sorte à malheureusement retarder l’audience d’autorisation. Il est également vrai que l’énumération des procédures déposées à ce jour et des jours d’audience montre un volume important d’activité judiciaire dans le présent dossier.
[300] Cela étant dit, la barre est haute pour l’abus de procédures, et selon moi, elle n’est pas atteinte. Il n’y a pas d’abus de procédures de la part de la partie demanderesse.
[301] D’abord, il est clair que le présent dossier est complexe en droit et en faits, de telle sorte à justifier, de manière générale, les procédures intentées de part et d’autre.
Hélas, le domaine des actions collectives invite souvent des procédures intérimaires nombreuses et complexes. Le présent dossier, par sa nature d’action collective en matière de violences sexuelles, les nombreuses victimes visées, la nature particulièrement sensible des allégations et la gravité des fautes en cause, invite également à un grand niveau de précaution – entre autres, au niveau procédural, et ce, même au stade pré-autorisation.
[302] Pour ce qui est de la seconde demande de sauvegarde des codemanderesses, présentée en juillet 2024, particulièrement visée pour ce qui est de la demande d’abus, cette demande faisait suite à des faits particuliers, et surtout, des faits nouveaux dont les codemanderesses avaient eu connaissance. Celles-ci s’inquiétaient de la vente récente des actions de Future, de l’état de santé précaire de Miller – lequel serait extrêmement malade – et de la dissipation possible de ses actifs. Elles souhaitaient obtenir une copie de son testament et les coordonnées de son liquidateur successoral, un inventaire de ses dettes et liquidités, de même qu’une réserve de 200 millions de dollars et des informations sur les actifs provenant de la vente de Future. Cette demande n’était ni frivole ni mal fondée à sa face même, quoiqu’elle fut rejetée par la soussignée.
[303] Les codemanderesses n’utilisent pas la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui. La demande d’abus est donc rejetée.
[304] Je conclus que les faits allégués satisfont les quatre critères de l’article 575 C.p.c., de telle sorte à conduire à l’autorisation de la Demande à l’égard de tous les défendeurs.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[305] REJETTE la Demande de preuve appropriée du défendeur Robert Gerald Miller;
[306] REJETTE l’objection des défendeurs à l’admission en preuve des déclarations anonymes signées et non assermentées;
[307] ACCUEILLE, la Sixième Demande des codemanderesses d’autorisation d’exercer une action collective et pour être représentant (la Fifth Amended Application to Authorize the Bringing of a Class Action & to Appoint the Applicants as Representative Plaintiffs, modifiée une sixième fois le 29 novembre 2024);
[308] AUTORISE l'exercice de l’action collective ci-après décrite :
« Toutes les personnes qui, alors qu’elles étaient âgées de moins de 18 ans, ont fourni des services sexuels en échange d’une rétribution, et/ou ont été victimes d’exploitation sexuelle, et/ou ont été victimes d’incitation à des contacts sexuels de la part de Robert G. Miller, Raymond Poulet, Sam Joseph Abrams, Helmut Lippmann et/ou Future Electronics Inc. »
[309] ATTRIBUE aux codemanderesses le statut de représentantes aux fins d'exercer l’action collective pour le compte du groupe des personnes ci-après décrit :
« Toutes les personnes qui, alors qu’elles étaient âgées de moins de 18 ans, ont fourni des services sexuels en échange d’une rétribution, et/ou ont été victimes d’exploitation sexuelle, et/ou ont été victimes d’incitation à des contacts sexuels de la part de Robert G. Miller, Raymond Poulet, Sam Joseph Abrams, Helmut Lippmann et/ou Future Electronics Inc. »
[310] IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait et de droit qui seront traitées collectivement :
[311] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :
ACCUEILLIR l’action collective des codemanderesses et de chacun des membres du groupe ;
DÉCLARER les défendeurs solidairement responsables des dommages subis par les codemanderesses et chacun des membres du groupe ;
CONDAMNER les défendeurs à verser à chacun des membres du groupe une somme à être déterminée en réparation des préjudices subis, et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes ;
CONDAMNER les défendeurs à payer des dommages-intérêts punitifs à chacun des membres du groupe, et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes;
ORDONNER aux défendeurs de déposer au greffe de cette Cour la totalité des sommes qui font partie du recouvrement collectif, avec intérêts et dépens,
CONDAMNER les défendeurs à supporter les frais de la présente action, y compris les honoraires d’expert et de préavis ;
RENDRE toute autre ordonnance que cette honorable Cour déterminera et qui est dans l’intérêt des membres du groupe ;
[312] DÉCLARE qu'à moins d'exclusion, les membres du groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur l’action collective de la manière prévue par la loi;
[313] FIXE le délai d'exclusion à soixante (60) jours après la première date de publication de l’avis aux membres, délai à l'expiration duquel les membres du groupe qui ne se seront pas prévalus des moyens d'exclusion seront liés par tout jugement
à intervenir;
[314] ORDONNE la publication d’un avis aux membres à être déterminé par le tribunal et CONVIE les parties à une audience portant sur les modalités de cet avis, suivant l’article 579 C.p.c., incluant toute question éventuelle portant sur les frais de publication des avis aux membres;
[315] ORDONNE que l’action collective soit introduite devant la Cour supérieure siégeant dans le district judiciaire de Montréal;
[316] PERMET l’utilisation de pseudonymes pour l’identification des membres du groupe dans les procédures, pièces et tout autre document produit au dossier de la Cour, le tout afin de protéger leur identité;
[317] PREND ACTE du désistement de la demanderesse V.R. de sa Demande intitulée Application to Authorize the Bringing of a Class Action & to Appoint the Applicant as Representative Plaintiff dans le dossier 500-06-001256-235;
[318] LE TOUT frais à suivre, sauf quant aux frais de publication des avis aux membres qui sont à la charge des défendeurs. | ||
| __________________________________ CATHERINE PICHÉ, j.S.C. | |
Partie demanderesse | ||
Me Jeff Orenstein Me Lawrence. David Groupe de droit des consommateurs inc. Avocats des demanderesses | ||
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Partie défenderesse | ||
Me Karim Renno Me Ava Liaghati Renno Vathilakis inc. Avocats de Robert Gerald Miller | ||
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Me Neil G. Oberman Me Marie-Christine Sicard Spiegel, Sohmer, inc. Avocats de Helmut Lippman | ||
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Avocat de Raymond Poulet | ||
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Me William Marckety Berry Me Jean-Pierre Sheppard Me Alexandra Senécal | ||
Robinson Sheppard Shapiro sencrl Avocats de Future Electronics Inc. | ||
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Me Sylvain Deslauriers Me Frédérique Boulanger Deslauriers & Cie, Avocats s.a. Avocats de Sam Joseph Abrams | ||
| ||
Date d’audience : | 27, 28 et 29 novembre 2024 | |
[1] L’utilisation des noms de famille des parties vise à assurer une meilleure fluidité du texte et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’endroit de celles-ci.
[2] R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 RCS 579, par. 1.
[3] R. c. Friesen, 2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 RCS 424, par. 65.
[4] Pierre-Claude LAFOND, « Le recours collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale », 1999 29-1-2 Revue de Droit de l'Université de Sherbrooke 3, 1999 CanLIIDocs 113.
[5] H.P. GLENN, « À propos de la maxime “Nul ne plaide par procureur” » (1989) R.T.D. civ. 59 à la p. 69.
[6] Rozon c. Les Courageuses, 2020 QCCA 5 (demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée : Les Courageuses c. Gilbert Rozon, 2020 CanLII 88004 (CSC), 39115) [Ci-après : « Les Courageuses »].
[7] Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. 19 (3e suppl.), art. 9.
[8] Loi modifiant le Code criminel (prostitution chez les enfants, tourisme sexuel impliquant les enfants, harcèlement criminel et mutilation d’organes génitaux féminins), L.C. 1997, c. 16, art. 2(4), entrée en vigueur le 26 mai 1997 (décret), (1997) 131 Gaz. Can. II, 1692.
[9] Loi modifiant le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1999, c. 5, art. 8, entré en vigueur le 1er mai 1999 (décret), (1999) 133 Gaz. Can. II, 989.
[10] Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d’autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, L.C. 2005, c. 32, art. 10.1, entrée en vigueur le 1er novembre 2005 (décret), (2005) 139 Gaz. Can. II, 2550.
[11] Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, préc., note 7, art. 1.
[12] Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d’autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, préc., note 10, art. 3.
[13] Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, c. 6, art. 54, entrée en vigueur le 1er mai 2008 (décret), (2008) 142 Gaz. Can. II, 584.
[14] Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, préc., note 7, art. 1.
[15] Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d’autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, préc., note 10, art. 4.
[16] Loi sur la lutte contre les crimes violents, préc., note 13, art. 54.
[17] Jugement daté du 17 janvier 2024 par lequel le juge Immer autorise la troisième demande de modification de la demande d’autorisation, dont en outre l’inclusion d’un tableau énumérant sous forme écrite des renseignements recueillis par les avocats de la demanderesse auprès de 51 femmes incluant leur âge lors de leur première « sexual experience with Defendant Miller », les années durant lesquelles elles ont eu « des rapports sexuels »avec Miller, la période visée et le montant d’argent qu’elles ont reçu : S.N. c. Miller, 2024 QCCS 113.
[18] Le présent jugement prend acte de ce désistement dans ses conclusions.
[19] Voir S.N. c. Miller, 2024 QCCS 4413 et S.N. c. Miller, 2024 QCCS 4414.
[20] 2020 QCCA 1647, par. 51 à 54.
[22] Durand c. Subway Franchise Systems of Canada, préc., note 20.
[23] Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., 2017 QCCA 1673. [« Asselin »]
[24] Asselin, préc., note 23, par. 26.
[25] Haroch c. Toronto-Dominion Bank, 2023 QCCA 1282, par. 14 et 15.
[26] Voir S.N. c. Miller, 2024 QCCS 113.
[27] Haroch c. Toronto-Dominion Bank, préc., note 25, par. 8 et 14.
[28] L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 RCS 831., par. 23-24. [« L’Oratoire »]
[29] Idem.
[30] Idem, par. 6.
[31] Tessier c. Economical, compagnie mutuelle d'assurance, 2023 QCCA 688.
[32] Nathalie DES ROSIERS et Louise LANGEVIN, avec la collaboration de Marie-Pier NADEAU, L’indemnisation des victimes de violence sexuelle et conjugale, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 369, citée favorablement par la Cour d’appel (J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, 2017 QCCA 1460, par. 49; [« J.J. c. Oratoire »]) et la Cour suprême dans le dossier de L’Oratoire, (préc., note 28, par 69); Voir aussi : Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184, par. 39; Griffith c. Winter, 2002 BCSC 1219, 23 C.P.C. (5th) 336, par. 38, conf. par 2003 BCCA 367, 15 B.C.L.R. (4th) 390.
[33] L'Oratoire, préc., note 28, par. 82; voir aussi Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820.
[34] Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, par. 61; voir aussi Compagnie General Motors du Canada c. Décary-Gilardeau, 2024 QCCA 471, par. 8; L’Oratoire, préc., note 28, par. 56 à 58.
[35] Benjamin c. Crédit VW Canada inc., 2022 QCCA 1383, par. 27.
[36] Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, par. 27, [« Desjardins »] citant L’Oratoire, préc., note 28, par. 56.
[37] Allard c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 686, par. 28.
[38] L’Oratoire, préc., note 28, par. 24 et Desjardins, préc., note 35, par. 17.
[39] L’Oratoire, idem, par. 22.
[40] Idem, par. 59-60; Allard c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 686, par. 28.
[41] Desjardins, préc., note 36, par. 21, citant Transport TFI 6 c. Espar inc., 2017 QCCS 6311, par. 23. Voir aussi Charbonneau c. Location Claireview, 2022 QCCA 659, par. 12.
[42] L’Oratoire, préc., note 28, par. 59-60.
[43] Communauté des Soeurs de Charité de la Providence c. Maison des femmes sourdes de Montréal, 2024 QCCA 1306, par. 6, citant L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831, par. 64.
[44] Homsy c. Google, 2023 QCCA 1220, par. 17.
[45] Benjamin c. Crédit VW Canada inc., 2022 QCCA 1383.
[46] 1993 CanLII 3881 (QC CA), J.E. 93-1126 (C.A.) (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 23702) aux pages 2 et 3.
[47] S.A. c. Centre intégré universitaire de santé et services sociaux du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal (Centre jeunesse A), 2024 QCCS 4244, par. 13. Dans ce dossier, le défendeur est poursuivi pour les fautes commises par la DPJ et la victime est décédée. L’action des successibles et des proches de la victime a été intentée plus de trois ans après le décès de celle-ci. Le juge Luc Morin rejette le moyen préliminaire du défendeur fondé sur la déchéance du droit d’action, concluant que le recours à titre de successible est visé par le premier alinéa de cette disposition et qu’il est donc imprescriptible, tandis que le recours à titre personnel des victimes par ricochet est assujetti au régime général de la prescription extinctive de l’art. 2925 C.c.Q. Voir aussi Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale c. E.A., 2024 QCCA 1580.
[48] L’Oratoire, préc., note 28, par. 119, cité dans Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale c. E.A., 2024 QCCA 1580, par. 15.
[49] Loi modifiant le Code civil pour notamment rendre imprescriptibles les actions civiles en matière d'agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l'enfance et de violence conjugale, L.Q. 2020, c. 13, article 4.
[50] Québec, Assemblée nationale, « Projet de loi no 55 » Journal des débats, 42e législature, 1re session, Vol. 45, Fascicule n°116, 5 juin 2020, pages 8145-8151, entre 11 h 30 et 11 h 40, tel que cité dans Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania c. A, 2020 QCCA 1701, par. 29-30 [« Watch Tower Bible »].
[51] Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, LQ 2022, c. 22 (Projet de loi 2, sanctionné le 2022-06-08).
[52] M.L. c. P.Le., 2024 QCCS 2885, par. 154.
[53] Voir les paragraphes 42.1 et 42.2 de la Sixième Demande.
[54] Voir les paragraphes 27, 33, 34 et 35 de la Sixième Demande.
[55] « 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.
1463. Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux. »
[56] R. c. Kruk, 2024 CSC 7., par. 150.
[57] Idem.
[58] Sixième Demande, par. 3.
[59] Sixième Demande, par. 11.
[60] B. c. Frères Maristes, 2023 QCCS 3678, par. 26-30.
[61] Communauté des Sœurs de la Charité de la Providence c. Maison des femmes sourdes de Montréal, 2024 QCCA 1306, par. 6.
[62] L’Oratoire, préc., note 28, par. 24, 64.
[63] R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, par. 193; Friesen, préc., note 3, par. 118, 142.
[64] Sixième Demande, par. 37.
[65] Voir la Sixième Demande, par. 42.2.1 à 42.4, de même que la Déclaration R-60.
[66] Voir R-76.
[67] Voir X. c. Paquet, 2023 QCCS 1351, par. 124, relativement à l’impact de gestes de violence sexuelle sur les jeunes victimes.
[68] Voir paragraphe 42.23 de la Sixième Demande et pièce R-77.
[69] Pièce R-50.
[70] L’Oratoire, préc., note 28, par. 24 et 64.
[71] Voir paragraphes 28 à 35 de la Sixième Demande.
[72] Voir paragraphes 1 à 10 de la Sixième Demande.
[73] Voir R-76.
[74] L’Oratoire, préc., note 28, par. 24 et 64.
[75] Sixième Demande, par. 31.
[76] Shaun E. FINN, Recours singulier et collectif : redéfinir le recours collectif comme procédure particulière, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 64.
[77] Voir R-53 et R-32.
[78] Voir Sixième Demande, par. 19, 20, 24, 24.2 à 24.4, 31.
[79] 2014 CSC 55 (CanLII), [2014] 2 RCS 725, par 43. Voir aussi L’Oratoire, préc., note 28, par. 44.
[80] Pièce R-74.
[81] Sixième Demande, par. 13 à 15 et 19, 20, 24.
[82] R-48, R-60 et par. 42.2 de la Sixième Demande.
[83] Voir en outre P-16.
[84] Havre des Femmes inc. c. Dubé, 1998 CanLII 13167 (QC CA).
[85] Idem.
[86] Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, vol. 1,
8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, aux par. 1-899 et 1-904.
[87] Idem, par. 1-918.
[88] L’Oratoire, préc., note 28, par. 183.
[89] Arts. 298, 301 et 309 C.c.Q.
[90] Havre des Femmes inc. c. Dubé, 1998 CanLII 13167 (QC CA).
[91] 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 211, au par. 121.
[92] Union des consommateurs c. Bell Mobilité Inc., 2017 QCCA 504, au par. 42.
[93] Idem.
[94] R. c. Jarvis, 2019 CSC 10, par. 122.
[95] Succession de G.P. c. L.P., 2019 QCCA 863, par. 42.
[96] Levy c. Nissan Canada Inc., 2021 QCCA 682, par. 33 à 38.
[97] Succession, préc., note 95, par. 42.
[98] Bell Mobilité, préc., note 92, par. 42.
[99] Montréal (Ville) c. Lonardi, 2018 CSC 29 (CanLII), [2018] 1 RCS 104.
[100] Idem, par. 13.
[101] Idem, par. 19.
[102] Idem, par. 72.
[103] Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743, aux paragraphes 108 et 109
[104] Léonardi. préc., note 99, par. 81.
[105] Idem, par. 57.
[106] N.B. c. G.A., 2021 QCCS 3179, par. 241 à 252; appel rejeté dans G.A. c. N.B., 2023 QCCA 932.
[107] Sixième Demande, par. 25.
[108] M.L. c. Guillot, 2021 QCCA 1450, par. 9, 12 et 16. Voir aussi : Ligue canadienne de hockey c. Latulippe, 2024 QCCA 843, par. 14.
[109] L’Oratoire, préc., note 28, par. 58; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 RCS 600, par. 80, 100, 101, 136, 144. Voir aussi Guillot, préc., note 1080, par. 33-34.
[110] L’Oratoire, idem, par. 60.
[111] Les Courageuses, préc., note 6.
[112] George c. Québec (Procureur général), 2006 QCCA 1204, par. 40.
[113] Levy c. Nissan Canada Inc., préc., note 96, par. 41 à 42.
[114] Voir Ligue des Noirs du Québec c. Ville de Montréal, 2019 QCCS 3319, par. 1, 50 à 52; De Auburn c. Desjardins assurances générales inc., 2022 QCCS 3682, par. 7 et 8.
[115] Pierre-Claude LAFOND, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice : impact et évolution, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 92.
[116] Watch Tower Bible, préc., note 49, par. 45.
[117] L’Oratoire, préc., note 28, par. 44.
[118] Par. 55 de la Sixième Demande.
[119] La Cour suprême du Canada explique dans R. c. Friesen, préc., note 3, par. 148, que « Le législateur a fixé à seize ans l’âge de consentement à une activité sexuelle au Canada (voir le projet de loi C‑2, Loi sur la lutte contre les crimes violents, préc., note 13). Sous réserve des exceptions reposant sur la proximité d’âge prévues aux par. 150.1(2.1), (2.2) et (2.3) du Code criminel, les enfants âgés de moins de seize ans sont donc [traduction] « incapables de donner un consentement véritable à des relations sexuelles avec des adultes » (R. c. Hajar, 2016 ABCA 222, par. 40). »
[120] Guillot, préc., note 108.
[121] Ligue canadienne de hockey, préc., note 108.
[122] Guillot, préc., note 108, par. 20.
[123] Latulippe c. Ligue canadienne de hockey, 2024 QCCS 1207 (Cour supérieure), par. 24 et ss.
[124] À l’exception d’une victime ayant eu une relation sexuelle avec Miller en 1992 et d’une victime ayant eu une relation sexuelle avec Miller en 2012.
[125] Les Courageuses, préc., note 6, par 110-11.
[126] Les Courageuses, préc., note 6, par. 116-117.
[127] Idem.
[128] Les Courageuses, préc., note 6, par. 44; Brière c. Rogers Communications, 2012 QCCS 2733, par. 71 et 72; Yves LAUZON, Le recours collectif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 38, 39 et 42.
[129] Desjardins, préc., note 36, par. 16; Asselin, préc., note 23, par. 29.
[130] J.J. c. Oratoire, préc., note 32, par. 49.
[131] Voir paragraphe 297 du Plan d’argumentation des codemanderesses.
[132] Voir G.C. c. Frères de la Charité, 2023 QCCS 5209, par. 71-72.
[133] Watch Tower Bible, préc., note 50, par. 47.
[134] Tessier, préc., note 31, par. 29. Voir aussi : Desjardins, préc., note 36.
[135] L’Oratoire, préc., note 28, par. 32.
[136] Watch Tower Bible, préc., note 50, par. 49.
[137] Tessier, préc., note 31, par. 29.
[138] Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, 2017 QCCA 199, par. 57.
[139] A c. Frères du Sacré-Cœur, 2017 QCCS 34, par. 71 et 79
[140] Centre commercial Terrebonne ltée c. Jean Bleu inc., 2022 QCCS 1409, par. 7.
[141] Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915, par. 46 ; Parisien c. Hôtel du Lac Tremblant inc., 2018 QCCA 2217, par. 7.
[142] l-Hachem c. Décary, 2012 QCCA 2071, par. 9 ; Charland c. Lessard, 2015 QCCA 14, par. 191 ; Procureur général du Québec c. Lamontagne, 2020 QCCA 1137, par. 55 ; Syndicat de la copropriété de l’Île Bellevue Phase I c. Propriétés Belcourt inc., 2021 QCCA 92, par. 35.
[143] Art. 53 alinéa 5 C.c.p.
[144] Biron c. 150 Marchand Holdings inc., 2020 QCCA 1537, par. 126.
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