Décision

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Société en commandite Immoca immobilier c. Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures

2024 QCCQ 637

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

 :

200-22-091107-219

 

 

 

DATE :

15 février 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHARLES G. GRENIER, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE IMMOCA IMMOBILIER

 

Demanderesse

c.

 

VILLE DE SAINT-AUGUSTIN-DE-DESMAURES

 

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]                Dans sa demande intitulée « Demande introductive d’instance en restitution de droits de mutations », la demanderesse, Société en commandite Immoca immobilier (ci-après : « Immoca »), une société d’investissement dans le domaine immobilier, requiert le remboursement par la défenderesse, Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures (ci-après : « Saint-Augustin » de la somme de 95 948,50 $, représentant le montant du droit de mutation exigé par elle à Immoca, à titre de cessionnaire, en application de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières LDMI »)[1], à la suite d’un transfert d’un immeuble situé sur son territoire, survenu le 18 décembre 2020, somme qu’elle lui a payée « sous protêt », le 29 octobre 2021.

[2]                Immoca allègue ne pas devoir de droit de mutation à la suite du transfert dudit immeuble dont la propriétaire et cédante était Société en commandite VeyLin (ci-après : « VeyLin »), et ce, en application de l’exonération de paiement du droit de mutation prévue à l’article 18 LDMI dont le texte est le suivant :

18. Il y a exonération du paiement du droit de mutation lorsque l’entreprise du cessionnaire consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles et que les conditions suivantes ont été remplies:

a)  le transfert d’un immeuble au cessionnaire doit résulter de l’exercice d’une prise en paiement ou avoir été fait de toute autre manière dans le but soit d’éteindre une dette assortie de la sûreté réelle, soit d’assurer la protection d’une telle sûreté ou d’une créance;

b)  le cessionnaire ne doit pas être une personne liée au cédant au sens de l’article 19 de la Loi sur les impôts (chapitre I3); et

c)  le cessionnaire ne doit pas avoir acquis l’immeuble à la suite d’une ou de plusieurs opérations faites principalement dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement du droit de mutation.

[3]                Immoca soutient qu’elle coche toutes les cases prévues à cet article 18 puisque lors du transfert de propriété survenu le 18 décembre 2020, elle était – et est encore – 1o  une entreprise consistant dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles, 2o que le transfert de l’immeuble de VeyLin à Immoca résultait d’une prise en paiement dans le cadre de la réalisation d’une hypothèque grevant l’immeuble, autorisée par un jugement de la Cour supérieure, 3o quImmoca, à titre de cessionnaire, n’était pas une personne liée à la cédante, VeyLin, au sens de l’article 19 de la Loi sur les impôts[2] et enfin, 4o que la cessionnaire qu’elle était n’a pas acquis l’immeuble à la suite d’opérations faites principalement dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement du droit de mutation.

[4]                Dans son exposé sommaire écrit de ses moyens de défense oraux, Saint-Augustin soutient tout le contraire. Selon elle, l’entreprise du cessionnaire, Immoca, ne consiste pas dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles selon le sens qu’il faut donner à la phrase liminaire de l’article 18 LDMI, qui, rappelle-t-elle, est une loi d’ordre public obligeant les municipalités à percevoir le droit de mutation et les cessionnaires d’immeubles à le payer, ce qui appelle une interprétation rigoureuse et restrictive des exonérations de paiement prévues par la loi.

[5]                De plus, fait-elle valoir, le prêt consenti par Immoca à VeyLin, le 20 février 2018, auquel l’hypothèque était reliée, n’était pas à l’origine assorti d’une telle hypothèque lors de sa conclusion; l’hypothèque en question n’ayant été souscrite de façon artificielle par VeyLin que 33 mois plus tard, soit le 11 novembre 2020, alors que VeyLin, de qui Immoca n’avait jamais exigé de paiements d’intérêts et de capital, était déjà en défaut de paiement aux termes du prêt depuis longtemps.

[6]                Le transfert de propriété résultant de la prise en paiement issue d’un tel procédé ne peut donc, selon elle, être considéré comme « résultant de l’exercice d’une prise en paiement » au sens de l’article 18, par. a) LDMI.

[7]                Enfin, elle soutient dans ses motifs que « l’ensemble des personnes et des sociétés détenant le contrôle réel de faits (sic) et de droit de VeyLin et celui de la demanderesse sont liées entre elles puisque leurs actionnaires et administrateurs sont liés par les liens du sang et du mariage (famille Poulin) » et que ce contrôle, Immoca et la famille Poulin le détenaient sur VeyLin – à l’origine Veylin était détenue à parts égales avec Société de placement  Forès inc. (ci-après : « Forès ») – depuis à tout le moins 2019, année où ils en ont pris le contrôle effectif en écartant, par diverses manœuvres juridiques, leur coactionnaire Forès.

[8]                En vertu du paragraphe b) de l’article 18 LDMI, Immoca ne peut donc, selon elle, à titre de personne liée, être exonérée du paiement du droit de mutation d’un montant de 95 948,50 $.

 

LA TRAME FACTUELLE

[9]                De l’ensemble de la preuve tant documentaire que testimoniale (les témoignages de monsieur Stéphane St-Onge, directeur général de Groupe Camada inc., et de monsieur David Poulin, vice-président de Groupe Camada inc. ainsi que celui de monsieur Jean-Michel Vachon, représentant Saint-Augustin) qui lui a été soumise par les parties, le Tribunal retient les faits qui suivent comme étant pertinents à la résolution du litige les opposant.

[10]           Immoca est une société en commandite instituée le 17 juillet 2015 (D-16), dont les commanditaires sont Groupe Camada inc. (ci-après : « Camada ») et Gestion Promada inc. (ci-après : « Promada ») qui sont des personnes morales détenues et contrôlées dans le cas de Camada par le Groupe Poulin (monsieur Placide Poulin et madame Pierrette Vachon et leurs enfants David, Marie-France et Catherine Poulin), une famille de la région de la Beauce qui a fondé en 1969 l’entreprise de fabrication d’équipements de salle de bain MAAX, une personne morale qui a été inscrite en bourse en 1987 pour être finalement vendue par la famille en 2004 (D-5, D-6).

[11]           Promada, elle, est la propriété de monsieur David Poulin et de la Fiducie Famille David Poulin.

[12]           Selon ce qu’indique le registre du Registraire des entreprises, aucun administrateur ou dirigeant n’a été désigné pour Immoca (D-2, D-4).

[13]           La commanditée d’Immoca est 9325-6634 Québec inc. (ci-après : « 9325 »), détenue par les commanditaires. Son président est monsieur David Poulin.

[14]           Au registre du Registraire des entreprises, Immoca se décrit comme une « société d’investissement » dont l’objet est « investissements dans des entités dont l’entreprise consiste principalement en le développement, l’exploitation, la gestion, la location ou la vente d’immeubles et tout autre type de placements » (P-1).

[15]           Monsieur St-Onge qui a occupé divers postes au sein du Camada, notamment celui de directeur des finances et de l’investissement avant den devenir le directeur général, a témoigné que le modèle d’affaires de Camada s’articulait autour de prises de participation dans diverses entreprises et d’investissements dans le secteur immobilier par l’entremise de sociétés en commandite, notamment Immoca, la plupart du temps sous forme de prêts garantis par hypothèque ou caution.

[16]           Ainsi, Immoca est spécialisée dans des prêts appelés « mezzanine », dans le jargon du milieu financier, consistant à prêter de l’argent à un développeur immobilier pour un projet spécifique, prêt assorti dans un premier temps d’une hypothèque de premier rang, le tout afin de permettre le lancement du projet, pour ensuite céder le premier rang hypothécaire à une institution financière qui devient la principale bailleresse de fonds, Immoca devenant alors créancière hypothécaire de deuxième rang.

[17]           Vingt-deux prêts mezzanine ont ainsi été consentis depuis 2015, l’année de la création d’Immoca, dans le cadre de divers projets d’investissement, dont seulement cinq n’étaient pas assortis d’une hypothèque.

[18]           Ces investissements sous la forme d’avances ou de prêts sont reflétés dans les états financiers d’Immoca pour les années 2017 à 2021 et déposés au dossier de la Cour (P-10).

[19]           Monsieur St-Onge estime à environ 90%-10% la proportion entre les prêts consentis dans le cadre de projets de développements immobiliers et les simples prêts « classiques »

[20]           Tout comme monsieur St-Onge, monsieur Poulin a témoigné qu’Immoca avait deux chapeaux : le secteur d’investissement et de prise de participation, et le secteur prêt. Lorsqu’un prêt était impliqué « [Immoca] se mettait alors dans la peau d’un banquier ».

[21]           Immoca a déposé au dossier de la Cour à titre d’exemples de prêts consentis de 2018 à 2022 par elle, reliés à des projets immobiliers et assortis d’hypothèques, quatre conventions de prêts mezzanine – Immoca était alors un prêteur parmi une quinzaine d’autres – concernant les projets de développement immobilier suivants (P-15) :

      Projet Radio-Canada (T1 Auguste Condo S.E.C. et Devinco immobilier inc., emprunteuses)

      La tour Tupper 2 (Société en commandite 2300 Tupper Tour 2, emprunteuse);

      Griffin Town II, phase III, bloc IV (Société en commandite Griffin Town II, emprunteuse);

      Maestria Condo (T1 Maestria Condo S.E.C. et Maestria Terrain inc., emprunteuses).

[22]           VeyLin, elle, est une société en commandite qui a été créée dans un premier temps le 31 mai 2016. Les commanditaires à parts égales dans VeyLin étaient Immoca, et Forès, dont les actionnaires et dirigeants sont monsieur Dominic Briand-Hudon et monsieur Hugues Harvey par l’entremise de 9177-5932 Québec inc. (ci-après : « 9177 ») (D-7).

[23]           Le 21 juin 2016, la convention de VeyLin a été amendée et refondue (D-13). Des conventions de souscription de la part d’Immoca et de Forès ont également été convenues à cette même date (D-14 et D-15).

[24]           La commanditée de VeyLin était 9342-0206 Québec inc. (ci-après : « 9342 »), également détenue à parts égales par les commanditaires Immoca et Forès. Les conseils d’administration de VeyLin et de 9342 étaient composés au début de deux membres – David Poulin pour Immoca et monsieur Harvey pour Forès – auxquels se sont ajoutés au fil du temps deux autres membres, soit madame Marie-France Poulin pour Immoca et monsieur Briand-Hudon pour Forès.

[25]           Au registre du Registraire des entreprises, monsieur Poulin est désigné comme président de 9342. Monsieur Harvey en est le secrétaire (D-3).

[26]           En ce qui a trait à VeyLin, il est indiqué au registre « [qu’] aucun administrateur n’a été déclaré » (D-1).

[27]           Monsieur St-Onge a expliqué que la mise sur pied de VeyLin tirait sa source dans le fait qu’en 2014, monsieur Harvey avait approché monsieur Poulin afin qu’il investisse dans un projet immobilier à Chicoutimi, mais que pour diverses raisons, monsieur Poulin n’était pas intéressé. Monsieur Poulin et lui, lorsqu’ils avaient rencontré monsieur Harvey, avaient tout de même remarqué et apprécié son esprit d’entreprise.

[28]           Monsieur Harvey est par la suite revenu à la charge auprès de monsieur Poulin en 2016 et Immoca s’est laissée convaincre de s’associer avec lui afin de développer et gérer quatre projets immobiliers que monsieur Poulin et monsieur St-Onge trouvaient intéressants, d’où la création de VeyLin pour investir dans les projets suivants :

      Un immeuble industriel situé à Saint-Augustin, immeuble dont le transfert de propriété est au cœur du litige opposant les parties;

      Un immeuble commercial situé à Saguenay;

      Un bâtiment industriel situé à Lévis;

      Un immeuble commercial situé à St-Honoré.

[29]           Le 7 juin 2016, Immoca a prêté 350 000 $ à VeyLin au taux de 14 % l’an, le tout garanti par une hypothèque à être souscrite par cette dernière (D-5). Le 22 septembre 2016, Immoca a prêté 1 000 000 $ à VeyLin aux mêmes conditions (D-6).

[30]           Le 8 décembre 2016, Veylin a consenti au bénéfice d’Immoca une hypothèque sur ses quatre immeubles d’un montant de 1 370 000 $ (D-6).

[31]           Le 1er avril 2017, une convention est intervenue entre VeyLin et la société de gestion 9303-5871 Québec inc. (ci-après : « 9303 »), une personne morale détenue par monsieur Harvey, en vertu de laquelle il allait assurer la gestion au quotidien des immeubles de VeyLin (D-31).

[32]           Le 7 septembre 2017, Immoca et 9342 ont convenu, au bénéfice de VeyLin, d’une mainlevée de toute hypothèque grevant ses immeubles(D-42).

[33]           Le 19 décembre 2017, Immoca a produit un cautionnement au bénéfice de la Banque de développement du Canada relativement aux obligations de VeyLin à l’endroit de celle-ci. L’acte de cautionnement était signé par monsieur Harvey pour Immoca en vertu d’une procuration (D-26).

[34]           Le 4 février 2018, VeyLin a emprunté 7 658 250 $ à Desjardins Entreprises (Québec-Portneuf). L’acte d’emprunt était signé par messieurs Harvey et Poulin, « dûment autorisés pour ce faire », tant pour VeyLin que pour 9342. (D-25).

[35]           Le 20 février 2018, Immoca représentée par son président, monsieur David Poulin, a prêté à VeyLin représentée par son secrétaire, monsieur Hugues Harvey, au taux de 14 % l’an – les intérêts étant payables annuellement – la somme de 3 350 000 $ (D-17). Il n’y avait pas d’échéance à l’emprunt car, selon monsieur Poulin : « on avait confiance quant au projet ».

[36]           Le contrat d’emprunt contenait les clauses suivantes en matière de sûretés et de défaut :


7. SÛRETÉS

7.1  En vue d’assurer le remboursement des sommes dues au Prêteur en vertu du Financement ainsi que de toute somme se rapportant à la mise en place du Financement ou pouvant devenir due relativement au Financement en capital, intérêts, frais et accessoires, pour le montant du prêt plus l’hypothèque additionnelle de vingt pour cent (20%), l’Emprunteur s’engage à consentir, signer et/ou maintenir en place la sûreté suivante : une hypothèque de premier rang grevant tout terrain excédentaire acquis par l’Emprunteur et qui ne serait pas hypothéqué en faveur de la Caisse Desjardins de Québec-Portneuf ou dautres prêteurs hypothécaires futurs.

8. CAS DE DÉFAUT

[…]

8.2  Dans tous les cas de défaut ci-devant mentionnés, le Prêteur pourra demander le paiement immédiat de tout montant prêté, demeuré impayé, et exercer tout droit lui bénéficiant aux termes des sûretés visées à l’article 7 ci-devant. Le Prêteur pourra également choisir de convertir une partie ou la totalité des intérêts et/ou du capital impayés en parts de l’Emprunteur à la juste valeur marchande au moment de la conversion. Cette option de conversion sera toutefois limitée de façon à ce que le Prêteur détienne un maximum de 70% des parts de l’Emprunteur.

[37]           VeyLin n’a jamais payé d’intérêts ou remboursé de capital aux termes de cet emprunt.

[38]           Selon monsieur St-Onge, le prêt consenti par Immoca à VeyLin visait à pallier un problème de liquidités.

[39]           À la fin de 2018 et au début de l’année 2019, monsieur Poulin et monsieur StOnge ont acquis la conviction, pour diverses raisons reliées à la gestion de VeyLin et de la commanditée 9342 par 9303 et monsieur Harvey, que ce dernier se rendait coupable à son profit personnel de diverses malversations de nature financière totalisant plus d’un million de dollars, ce qui affectait grandement la santé financière de VeyLin et de sa commanditée 9342 pour ne pas dire leur survie tout court.

[40]           Le 8 février 2019, le district judiciaire et l’adresse du siège de 9342 ont été modifiés pour devenir le district judiciaire de Beauce et le 1480, 3ième Avenue du Parc-Industriel à Sainte-Marie (Québec), soit l’adresse d’Immoca, au lieu du district judiciaire de Chicoutimi et le 2303, rue Sir-Wilfrid-Laurier, à Saguenay (Québec), et ce, par le biais de résolutions spéciales des actionnaires de la société 9342. Les résolutions spéciales ont été signées par monsieur David Poulin au nom de 9325 agissant elle-même pour Immoca (D-38). Personne n’a signé pour Forès.

[41]           Toujours le 8 février 2019, des résolutions spéciales ont été adoptées par le conseil d’administration de 9342 en sa qualité de commanditée de VeyLin, afin de procéder aux mêmes changements de district judiciaire et d’adresse concernant le siège social de VeyLin. Les résolutions uniquement signées par monsieur David Poulin et madame Marie-France Poulin spécifient « [qu’elles] sont dûment adoptées par les administrateurs de la société en sa qualité de commanditée de la société en commandite conformément aux dispositions de la Loi sur les sociétés par action » (D38).

[42]           Monsieur Poulin a reconnu qu’aucune réunion des actionnaires des sociétés concernées n’avait été tenue ni même convoquée préalablement aux modifications effectuées. Selon lui, messieurs Harvey et Briand-Hudon étaient cependant au courant des démarches entreprises.

[43]           Le 4 octobre 2019, Me Simon Clément du Cabinet Lavery Avocats, alléguant agir tant au nom d’Immoca et que de VeyLin, a transmis une lettre à Forès, monsieur Harvey et 9303, dans laquelle il leur transmettait une mise en demeure, un avis de défaut aux termes de la société en commandite VeyLin ainsi qu’un avis de résiliation du contrat de gestion de 9303[3].

[44]           Le 2 février 2020, Immoca, 9342, VeyLin, monsieur Harvey, Forès et 9303 (Gestion corporative Harvey) ont conclu une transaction et quittance afin de tenter de mettre fin à leur différend quant à la gestion de VeyLin (D40).

[45]           Cette transaction et quittance qui a été signée par monsieur Briand-Hudon pour Forès, et monsieur Harvey tant à titre personnel que pour 9303, visait, moyennant certaines concessions financières de part et d’autre, 1o à transférer les actions et parts de Forès dans VeyLin et 9342, 2o à faire en sorte que 9303 et monsieur Harvey reconnaissent une dette d’un montant de 901 468,54 $ à l’endroit de VeyLin, 3o à établir que la valeur des parts de Forès dans VeyLin et de ses actions dans 9342 se chiffrait à 1 855 416,59 $ et 4o à reconnaître que le paiement de la valeur de Forès consistait en la vente, la cession et le transport de créances et de l’immeuble Saint-Honoré à Forès.

[46]           Selon monsieur Poulin, monsieur Harvey et monsieur Briand-Hudon auraient par la suite « renié la transaction » et auraient refusé de la mettre en œuvre. Il a néanmoins décidé, compte tenu des importants enjeux financiers en cause, de maintenir un canal de communication, notamment avec monsieur Briand-Hudon, afin d’en arriver à une solution négociée.

[47]           Le 2 octobre 2020, constatant le peu de résultats obtenus par cette approche et l’absence totale de discussions entre les parties à compter de la fin août 2019, Immoca a sollicité auprès de la Cour supérieure l’homologation de la transaction et quittance, afin de lui conférer la valeur d’un jugement susceptible d’exécution[4].

[48]           Le 11 novembre 2020, devant la notaire Me Catherine Poulin, un acte de garantie hypothécaire immobilière grevant les quatre immeubles appartenant à VeyLin (Saint-Augustin, Lévis, Saguenay et St-Honoré) a été souscrit par cette dernière au bénéfice d’Immoca afin de garantir, en cas de défaut d’exécution de ses obligations en vertu de la Convention de prêt du 20 février 2018, le paiement de la somme de 3 350 000 $ prêtée par elle le 20 février 2008 avec les intérêts accumulés (D-18).

[49]           Le solde dû se chiffrait alors à 4 675 561,64 $ (3 350 000 $ en capital et 1 325 761,64 $ en intérêts impayés). Tel que mentionné plus haut, aucune somme n’avait été payée par VeyLin à Immoca – ou même exigée par celle-ci – en vertu de la Convention de prêt intervenue le 20 février 2018 (D-20).

[50]           Aux fins de la signature de l’acte d’hypothèque, tant Immoca que VeyLin étaient représentées par leur président, monsieur David Poulin. L’acte notarié mentionne dans les deux cas que ce dernier les représentait et agissait en leur nom, en étant « dûment autorisé tel qu’il le déclare ».

[51]           Questionné quant aux raisons qui justifiaient le délai de presque 33 mois entre la signature de la Convention de prêt le 20 février 2018 et celle de l’acte d’hypothèque, le 11 novembre 2020, monsieur Poulin a témoigné qu’Immoca avait décidé de donner un peu de marge de manœuvre à VeyLin, ce qui était dans son intérêt étant donné qu’elle possédait 50 % de VeyLin, et de ne rien réclamer en termes de remboursement de la somme de 3 350 000 $ prêtée, mais « [qu’] ils savaient qu’il fallait enregistrer l’hypothèque éventuellement ».

[52]           Le délai pour agir s’explique aussi, toujours selon lui, par le fait que malgré leur différence marquée de perception quant à la mauvaise gestion de VeyLin par monsieur Harvey : « il cherchait une solution », mais qu’en bout de ligne : « ils voulaient leur argent! ».

[53]           Il considère qu’il n’avait pas à fournir des documents d’autorisation pour signer l’acte d’hypothèque, car « [il] est le président ». « La notaire n’a rien demandé en termes d’autorisation ». Il confirme également qu’il n’y a eu aucune réunion préalable des conseils d’administration ou des actionnaires des deux sociétés concernées : « Il n’y avait jamais de réunion du CA, c’est une petite organisation! ». Aucune convocation pour de telles réunions n'a également été lancée. De toute façon, selon lui, messieurs Harvey et Briand-Hudon étaient au courant de la démarche entreprise.

[54]           Monsieur St-Onge a témoigné dans le même sens : « Il n’y avait jamais de réunions! ». Certaines décisions se prenaient avec madame Poulin. Ils ont cessé tout contact avec monsieur Harvey à partir de février 2020, ne maintenant qu’un canal de communication avec monsieur Briand-Hudon.

[55]           Le 23 novembre 2020, VeyLin agissant par l’entremise de 9342, dans le cadre de l’instance reliée à la demande d’homologation de la transaction et quittance initiée le 2 octobre 2020 par Immoca, a produit un « acte d’intervention volontaire à titre conservatoire et agressif » afin d’appuyer la demande d’Immoca et demander au Tribunal de prendre acte de la reconnaissance de dette des défendeurs Hugues Harvey et 9303 envers VeyLin et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 901 468,54 $ (D-32).

[56]           Le 2 décembre 2020, l’avocat d’Immoca, Me Clément, a fait parvenir à l’avocat de Forès, Me Maxime Savard, le courriel suivant (D-36) :

Cher confère,

Notre cliente, SEC Immoca nous a demandé de répondre à votre lettre de mise-en-demeure transmise à Me Catherine Poulin, notaire, le 27 novembre dernier.

Avant de répondre à vos demandes, il semble important de redresser les faits et préciser que votre cliente Société de Placement Forès inc. a déjà été détentrice de parts dans SEC Veylin et d’actions dans la Commandité 9342-0206 Québec inc. mais ne l’est plus depuis le 3 février 2020, date de signature de la Transaction et Quittance intervenue entre les parties.

Aux termes de cette Transaction et Quittance, notre cliente est l’unique détentrice des parts et actions dans SEC Veylin et sa commandité. Ceci étant dit, et sans préjudice et sous toutes réserves des droits de recours de notre cliente, nous vous transmettrons une copie de l’acte d’hypothèque et de la Convention de prêt intervenue.

Recevez, cher confrère, nos salutations,

 [Reproduction conforme]

[57]           Le 17 décembre 2020, Immoca a déposé à l’endroit de VeyLin une demande introductive d’instance en vertu de laquelle elle lui réclamait le paiement de la somme de 4 675 731,94 $ due en vertu de la Convention de prêt liant les parties, signée le 20 février 2018 (D-19).

[58]           Le 12 février 2021, un jugement par défaut lui accordant cette somme a été rendu par la Greffière spéciale de la Cour supérieure, Me Sandrine Carle (D-20).

[59]           Auparavant, soit le 8 décembre 2020, Immoca avait émis à l’endroit de VeyLin un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire de prise en paiement concernant les quatre immeubles détenus par VeyLin (D-22).

[60]           Selon ce qu’indiquent les procès-verbaux de signification, le préavis a été signifié par huissier le 10 décembre 2020 à 9342 et à VeyLin, au soin de David Poulin, par la remise des documents au 1480, 3e Avenue du Parc Industriel, Sainte-Marie, Canada, à madame Gabrielle Côté.

[61]           Le 8 février 2021, monsieur Briand-Hudon, qui avait eu vent des démarches judiciaires entreprises par Immoca à l’endroit de VeyLin, a fait parvenir à madame Marie-France Poulin, le courriel de protestation suivant (P-37) :

Bonjour Marie-France,

J’ai été informé qu’Immoca avait entrepris des démarches pour saisir et vendre des biens de Veylin. Il est clair que Veylin a les sommes nécessaires pour effectuer les paiements à Immoca et vous le savez très bien. Vous ne pouvez d’ailleurs pas ignorer que la meilleure chose à faire en tant qu’administrateur de Veylin est de refinancer avec des prêts conventionnels le prêt d’Immoca. Vous êtes en gros conflit d’intérêt, surtout avec le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire que vous venez de publier.

Depuis le début du litige, nous avons essayé tous les deux de trouver une solution et je n’ai pas arrêté, encore aujourd’hui. La dernière fois que je t’ai contactée, tu m’as ordonné de ne plus communiquer avec toi.

Par courtoisie, j’ai décidé de t’informer des démarches que j’ai entreprises pour faire valoir mes droits. Considérant que :

-          À plusieurs reprises, tu m’as refusé accès aux documents qui concernent la gestion de Veylin.

-          Vos actions dans Veylin nuisent à l’entreprise et favorisent Immoca.

-          Vos actions dans Veylin nuisent aux relations avec les prêteurs.

-          Vos actions dans Veylin affectent sa valeur et j’en suis toujours légalement co-propriétaire.

-          Je suis toujours actionnaire et administrateur.

-          Je suis toujours caution pour les prêts de Veylin.

-          Je n’ai jamais rien fait à l’encontre de vous ou de Veylin.

-          Le fait que nous ayons un litige ne vous autorise pas à me causer les préjudices actuels.

-          Je considère que vos derniers agissements sont de mauvaise foi évidente.

-          Tu as toujours mentionné être la personne qui prends les décisions.

La limite de ce que je peux accepter à mon encontre par vos actions est atteinte. Ton silence et tes actes me forcent à prendre action pour te rappeler tes responsabilités.

Malgré le respect que j’ai pour toi, je prépare actuellement un dossier pour demander l’aide auprès du Collègue des Administrateurs, afin qu’un tiers indépendant te rappelle tes obligations.

Merci,

 [Reproduction conforme]

[62]           Le 24 février 2021, Immoca a déposé à l’endroit de VeyLin une « Demande introductive d’instance en délaissement forcé et prise de paiement » des quatre immeubles détenus par VeyLin (D-24).

[63]           Le procès-verbal de signification par voie électronique de la demande par lhuissier, le 25 février 2021, mentionne que cette dernière et les pièces l’accompagnant ont été transmises à VeyLin par courriel à l’adresse « d.poulin@camada.ca ».

[64]           Lorsqu’en contre-interrogatoire, il a été demandé à monsieur Poulin s’il était conscient qu’en agissant pour les deux parties concernées par les démarches judiciaires entreprises, il pouvait être en conflit d’intérêt, il a répondu que ce n’était pas sa perception des choses, car « [il] considérait avoir les autorisations nécessaires » et « [qu’] il avait une équipe de professionnels pour le conseiller ».

[65]           Il allègue également le fait que monsieur Briand-Hudon était parfaitement au courant des démarches à l’endroit de VeyLin et qu’il ne s’est jamais formellement opposé aux dites procédures. Il se sentait d’autant plus autorisé à agir de la façon dont il le faisait que messieurs Harvey et Briand-Hudon « avaient renié la transaction! », « ils ne l’ont jamais honorée! ».

[66]           Le 20 avril 2021, la Greffière spéciale de la Cour supérieure, Me Sandrine Carle, a rendu un jugement faisant droit aux conclusions recherchées par Immoca dans sa demande introductive d’instance en délaissement forcé et prise de paiement (D-37).

[67]           Elle a ainsi ordonné le délaissement des quatre immeubles visés par la demande, notamment l’immeuble situé à Saint-Augustin-de-Desmaures (P-4) :

Désignation des Immeubles

[…]

Immeuble 2

Un immeuble connu et désigné comme étant le lot numéro 2 814 764 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Portneuf.

Avec toutes les bâtisses dessus construites et toutes les constructions et ouvrages à être réalisés sur cet immeuble, le cas échéant, circonstances et dépendances, portant le numéro civique : 60, rue d’Anvers, à Saint-Augustin-de-Desmaures, province de Québec, G3A 1S4.

[…]

[68]           Son jugement comportait également les conclusions suivantes :

[11]  DÉCLARE la Demanderesse seule et unique propriétaire des Immeubles rétroactivement à l’inscription des Préavis le 18 décembre 2020, sans qu’elle ne soit tenu à aucune restitution des sommes perçues et sans qu’il ne soit tenu de payer quelque indemnité à qui que ce soit pour impenses ou améliorations faites aux Immeubles;

[12]  DÉCLARE que le jugement à être rendu sur la présente demande est et constitue le titre de propriété de la Demanderesse sur les Immeubles rétroactivement à l’inscription du préavis d’exercice, soit le 18 décembre 2020;

[13]  ADVENANT le défaut de la Défenderesse de délaisser les Immeubles dans le délai imparti :

a) ORDONNE l’expulsion immédiate de la Défenderesse et de toute personne présente sur les lieux ou ayant accès à ceux-ci;

b) AUTORISE la Demanderesse à faire procéder, par l’entremise d’un huissier, à l’expulsion de la Défenderesse et de toute personne présente sur les lieux ou ayant accès à ceux-ci;

LE TOUT avec tous les frais de justice, y compris les frais d’expulsion.

[69]           Questionné quant au fait que toutes ces démarches juridiques visant à récupérer au bénéfice d’Immoca les immeubles appartenant à VeyLin pouvaient avoir été faites dans le but de ne pas avoir à payer à Saint-Augustin un droit de mutation lors du transfert de propriété de l’immeuble, monsieur Poulin a précisé que cela n’avait eu aucun poids dans sa décision de récupérer les immeubles en question compte tenu de l’importante disparité entre le montant des dettes de VeyLin à l’endroit d’Immoca plus de 4 000 000 $ – et celui du droit de mutation – une centaine de milliers de dollars. Cela ne lui a même pas effleuré l’esprit.

[70]           Monsieur St-Onge, qui était au courant des démarches entreprises par Immoca, a témoigné dans le même sens.

[71]           Le 1er juin 2021, un certificat de non-appel a été signé par Me Carle afin de confirmer que le jugement qu’elle avait rendu le 20 avril n’avait pas été porté en appel, qu’aucune demande de nullité n’avait été déposée et qu’aucune demande de rétractation n’avait été présentée à l’encontre dudit jugement (P-4).

[72]           Le 28 juin 2021, Immoca s’est désistée de sa demande en homologation de la transaction et quittance conclue le 2 février 2021. Monsieur Poulin a affirmé que les parties avaient tout de même par la suite poursuivi des négociations pour en arriver à une entente.

[73]           Le 28 juillet 2021, Forès a intenté une action contre Immoca, Camada, Promada, 9325, Société en commandite Immoca Industriel, 9442-9313 Québec inc. et madame Marie-France Poulin, avec comme mises en cause VeyLin et 9342 (D-33).

[74]           Dans les conclusions recherchées par Forès dans sa demande introductive d’instance, celle-ci demande au Tribunal de constater qu’elle est détentrice de 50 % des parts de VeyLin et de 9342, d’ordonner à Immoca et Société en commandite Immoca Industriel de transférer à VeyLin , à leurs frais, la propriété des quatre immeubles qui lui ont déjà appartenu, de déclarer abusif le comportement des défenderesses envers elle et de les condamner à lui payer des dommages-intérêts compensatoires et punitifs totalisant 300 000 $.

[75]           De façon subsidiaire, elle demande au Tribunal de constater que Forès est toujours détentrice de 50 % des parts de VeyLin et 9342 et de condamner solidairement les défenderesses à lui payer la somme de 4 773 444,17 $, tout en déclarant abusif leur comportement à son endroit, d’où sa réclamation de dommages-intérêts compensatoires punitifs d’un montant de 300 000 $.

[76]           Le 16 septembre 2022, en réponse à l’action intentée contre elle par Forès, les demanderesses ont produit par écrit leurs moyens de défense orale en vertu desquels elles demandent le rejet de la demande introductive d’instance (D-39).

[77]           Ces moyens de défense sont essentiellement les suivants :

Toutes les demandes de Forès sont irrecevables. D’emblée, Forès n’a pas l’intérêt juridique donnant ouverture à ses demandes. En ce qui concerne la demande de transfert des Immeubles, elle est irrecevable puisqu’Immoca Immobilier est devenue propriétaire des Immeubles aux termes d’un jugement rendu le 20 avril 2021 (P-46) de la Cour supérieure qui ordonne le délaissement des Immeubles. Immoca Immobilier a, par la suite, cédé ses immeubles à Immoca Industriel (P51);

Forès tente par son recours d’infirmer et renverser le dispositif du jugement final de la Cour supérieure et annuler la cession P-51. Les Défenderesses n’ont commis aucune faute et leurs agissements n’ont pas été faits illégalement, au contraire, elles ont exercé leurs droits publiquement et à la connaissance de Forès;

Tel qu’il appert du courriel du 8 février 2021, pièce D-1, Forès connaissait la publication du Préavis dexercice (P-44) et, à cette date, le délai du Préavis n’était pas expiré et le défaut pouvait être remédié. Cette information était connue des administrateurs et des procureurs de Forès;

Malgré ce qui précède entre le 8 février 2021 et le jugement du 20 avril 2021 (P46), plus de 70 jours se sont écoulés sans que Forès n’intervienne pour remédier au défaut et/ou empêcher le délaissement des Immeubles;

Conséquemment, toutes les allégations de Forès à l’effet que les Défenderesses ont agi de façon illégale, frauduleuse, abusive, sournoise et en catimini, par un recours hypothécaire mal fondé sont clairement irrecevables tant en fait qu’en droit et consistent en des allégations fausses, diffamatoires et hautement préjudiciables envers toutes les Défenderesses;

Pour ce qui est du montant réclamé de façon subsidiaire, il est grossièrement surévalué en raison notamment de la valeur établie par les parties à la pièce P-26;

[78]           La défenderesse, madame Marie-France Poulin, a, elle, ajouté les moyens de défense suivants :

Marie-France Poulin n’a commis aucune faute envers la demanderesse pouvant engager sa responsabilité personnelle ou pouvant permettre à la demanderesse de demander au tribunal de lever le voile corporatif.

Bien au contraire, en tout moment pertinent, Marie-France Poulin a agi correctement et la demanderesse savait pertinemment au plus tard le 8 février 2021 que le lien de communication était rompu, que Marie-France Poulin ne souhaitait plus avoir de discussion avec la demanderesse et qu’un Préavis d’exercice avait été signifié et publié.

[79]           Les défenderesses se sont également portées en demande reconventionnelle à l’endroit de Forès afin de lui réclamer des dommages-intérêts totalisant 100 000 $ en raison de ses procédures abusives à leur endroit et les troubles et inconvénients subis en raison de ses agissements, le tout accompagné d’une demande d’intervention forcée pour appel en garantie visant monsieur Hugues Harvey et 9303 (Gestion corporative Harvey).

[80]           Le 1er octobre 2021, les défenderesses, Camada et Promada., ont demandé au tribunal de déclarer irrecevable à leur endroit l’action entreprise par Forès (D-34).

[81]           Le 15 octobre 2021, Forès a produit une demande introductive d’instance amendée afin de préciser ses allégations quant aux fautes commises à son endroit par Camada et Promada (D-35).

[82]           Le 20 octobre 2021, Saint-Augustin a fait parvenir à Immoca son « compte des droits de mutations immobilières » no 2021-000552, d’un montant de 95 948,50 $ concernant l’immeuble situé au 60, rue d’Anvers acquis de VeyLin par Immoca. À la section « Détail des droits de mutations immobilières », il est mentionné : Enregistrement 26 445 471, date de la vente, 18 décembre 2020, valeur marchande 4 500 000 $ (P-2).

[83]           Le représentant de Saint-Augustin, Me Jean-Michel Vachon, notaire et directeur adjoint de l’urbanisme, a expliqué que tout transfert de propriété est examiné par une technicienne afin de vérifier s’il y a paiement ou non d’un droit de mutation en application de la LDMI. Au besoin, si la situation n’est pas claire, il y a consultation auprès du Greffe.

[84]           En l’espèce, la technicienne chargée du dossier avait effectivement un doute. Elle a donc vérifié avec le Greffe qui a fait un suivi historique des actes inscrits au Registre foncier et consulté un organigramme des entités juridiques du Groupe Poulin. Le Greffe a également cru bon de consulter un fiscaliste de Raymond Chabot.

[85]           Monsieur Vachon ne saurait dire exactement pourquoi, car il ne le sait pas, mais le Greffe en est arrivé à la conclusion que le transfert de propriété survenu n’était pas la conséquence d’une véritable prise de paiement au sens de la LDMI (art. 18, paragraphe a)), d’où l’absence d’exonération de paiement. Par la suite, la Trésorerie a pris le relais.

[86]           Le 29 octobre 2021, les avocats d’Immoca ont fait parvenir « sous protêt » un chèque d’un montant de 95 948,50 $ en faisant valoir à la Greffière de Saint-Augustin que la réclamation de la Ville n’était pas fondée (P-3) :

[…]

Vous retiendrez cependant, comme il est incidemment indiqué sur le chèque qui vous est transmis ce jour en paiement (vu la mention « Paiement sous protêt » qui apparait), que notre cliente soutient que cette réclamation est non-fondée parce que, nommément, contraire à la loi.

[…]

Notre cliente a pris possession de l’immeuble en cause (le 60, rue D’Anvers) à la suite d’une prise en paiement accueillie par la Cour supérieure le 20 avril 2021 (dossier no 200-17-032053-217, lequel jugement est joint à la présente pour votre information) faisant en sorte, vu la loi, qu’elle a été déclarée propriétaire de l’immeuble rétroactivement au 18 décembre 2020, soit la date d’inscription de son préavis d’exercice d’un droit hypothécaire (tel qu’indiqué au paragraphe 8 du jugement joint). Il n’y a eu aucun appel de ce jugement, de sorte que notre cliente est devenue incontestablement propriétaire de cet immeuble.

[…]

Toujours est-il que lorsque notre cliente (Société en commandite Immoca Immobilier) est devenue propriétaire de l’immeuble en cause, ce fut en raison de l’exercice par elle d’une prise en paiement, alors que notre cliente est une entreprise dont les activités principales consistent dans le prêt d’argent.

Par ailleurs, la Société en commandite Veylin, soit l’entreprise entre les mains de laquelle notre cliente a réalisé sa prise en paiement, n’est pas une personne qui lui est liée au sens de l’article 19 de la Loi sur les impôts (c. I-3); par surcroît, il n’y a rien dans le présent dossier qui supporterait une thèse à l’effet que cette prise en paiement ferait partie « d’une ou de plusieurs opérations faite(s) principalement dans le but d’éviter ou d’élider le paiement des droits de mutations ».

Bref, en raison de l’article 18 de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières  LDMI », ce transfert du droit de propriété en cause n’est pas assujetti à cette loi.

 [Reproduction conforme]

[87]           Le 14 octobre 2022, l’avocat des défenderesses et demanderesses reconventionnelles dans le cadre de l’action intentée par Forès contre elles en Cour supérieure, Me Clément, a confirmé par écrit à l’avocat de Forès que ses clientes renonçaient à plaider qu’une transaction était intervenue entre les parties[5].

[88]           Enfin, le 28 août 2023, l’honorable Éric Hardy, de la Cour supérieure, maintenant à la Cour d’appel, a rejeté la demande de Forès visant la nomination par le Tribunal d’un avocat pour représenter les intérêts de VeyLin, tout en prenant acte de l’historique du dossier ayant mené au retrait par Immoca de sa requête en homologation de la transaction et quittance, et de sa renonciation à plaider qu’une transaction était intervenue, tout en represcrivant une démarche à être suivie par les parties pour arriver à une telle nomination par elles. Il a également tranché certaines objections à la suite de l’interrogatoire hors de cour de madame Marie-France Poulin[6].

[89]           Enfin, en plus des états financiers d’Immoca pour les années 2017 à 2021 (P-10), le Tribunal a eu accès à ceux de VeyLin pour les mêmes années (P-9), aux états financiers de 9342 pour les années 2018 à 2021 (P-11), à ceux de 9325 pour 2017 à 2021 (P-12) ainsi qu’aux déclarations de revenus de 9325 et 9342 pour les années 2018 à 2021 (P-13 et P-14).

 

LA LÉGISLATION APPLICABLE

[90]           En plus de l’interprétation de l’article 18 LDMI, le Tribunal doit également se pencher sur celle à être donnée à l’article 19 de la Loi sur les impôts (LI) puisque le paragraphe b) de l’article 18 LDMI réfère spécifiquement à cet article.

LDMI

18. Il y a exonération du paiement du droit de mutation lorsque l’entreprise du cessionnaire consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles et que les conditions suivantes ont été remplies:

a)  le transfert d’un immeuble au cessionnaire doit résulter de l’exercice d’une prise en paiement ou avoir été fait de toute autre manière dans le but soit d’éteindre une dette assortie de la sûreté réelle, soit d’assurer la protection d’une telle sûreté ou d’une créance;

b)  le cessionnaire ne doit pas être une personne liée au cédant au sens de l’article 19 de la Loi sur les impôts (chapitre I3); et

c)  le cessionnaire ne doit pas avoir acquis l’immeuble à la suite d’une ou de plusieurs opérations faites principalement dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement du droit de mutation.

LI

19. 1.  Aux fins de la présente partie, sont des personnes liées ou des personnes liées entre elles:

a)  des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption;

b)  une société et

i.  la personne qui contrôle cette société;

ii.  une personne membre d’un groupe lié qui contrôle la société; ou

iii.  une personne liée à celle visée au sous-paragraphe i ou ii;

c)  deux sociétés quelconques

i.  si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes;

ii.  si chacune d’elles est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l’une est liée à celle contrôlant l’autre;

iii.  si l’une d’elles est contrôlée par une personne liée à un membre d’un groupe lié qui contrôle l’autre;

iv.  si l’une des sociétés est contrôlée par une personne liée à chaque membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre;

v.  si l’un des membres d’un groupe lié contrôlant une des sociétés est lié à chaque membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre; ou

vi.  si chaque membre d’un groupe non lié contrôlant une des sociétés est lié à au moins un membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre.

2.  Deux sociétés liées à une même société en vertu du paragraphe 1 sont réputées, aux fins du paragraphe 1 et de l’article 18, être liées entre elles.

3.  Lorsqu’il y a eu fusion ou unification de plusieurs sociétés données pour former une nouvelle société, et que cette dernière aurait été liée à l’une des sociétés données immédiatement avant la fusion ou l’unification si, à ce moment, la nouvelle société avait existé et avait eu les mêmes actionnaires que ceux qu’elle avait immédiatement après la fusion ou l’unification, la nouvelle société et cette société donnée sont réputées avoir été des personnes liées entre elles.

4.  Lorsqu’il y a eu fusion ou unification de plusieurs sociétés données qui, immédiatement avant la fusion ou l’unification, étaient liées entre elles autrement qu’en raison d’un droit visé au paragraphe b de l’article 20, la nouvelle société issue de la fusion ou de l’unification et chacune des sociétés données sont réputées avoir été des personnes liées entre elles.

[91]           De plus, le Tribunal pourra être appelé à examiner l’article 20 LI puisque cet article peut servir à l’application de l’article 19 LI.

20. Pour l’application des articles 19 et 21.19, les règles suivantes s’appliquent:

a)  un groupe lié qui est en mesure de contrôler une société est réputé être un groupe lié qui la contrôle, qu’il fasse ou non partie d’un groupe plus vaste qui contrôle en fait la société;

b)  une personne qui, à un moment quelconque, a, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non:

i.  soit à des actions du capital-actions d’une société, ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne était propriétaire des actions à ce moment, sauf lorsque le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier;

ii.  soit d’obliger une société à racheter, acquérir ou annuler des actions de son capital-actions qui appartiennent à d’autres actionnaires, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si les actions étaient ainsi rachetées, acquises ou annulées par la société à ce moment, sauf lorsque le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier;

iii.  soit aux droits de vote rattachés à des actions du capital-actions d’une société, ou de les acquérir ou de les contrôler, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne pouvait exercer les droits de vote à ce moment, sauf lorsque le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier;

iv.  soit de faire réduire les droits de vote rattachés à des actions du capital-actions d’une société qui appartiennent à d’autres actionnaires, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si les droits de vote étaient ainsi réduits à ce moment, sauf lorsque le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier;

c)  un actionnaire de deux ou plusieurs sociétés est réputé, à ce titre relativement à l’une de ces sociétés, être lié à lui-même à titre d’actionnaire relativement à chacune des autres sociétés.

 

LES PRÉTENTIONS JURIDIQUES DES PARTIES

Immoca

[92]           Par l’entremise de son avocat, Me Olivier Boileau, Immoca fait tout d’abord valoir, jurisprudence à l’appui, que la LDMI, comme toutes les lois de nature fiscale, doit faire l’objet de la part du Tribunal d’une interprétation large et libérale, notamment en ce qui a trait aux situations d’exonération prévues à son article 18, faisant en sorte qu’en cas de doute, celui-ci puisse jouer en faveur de la personne de qui on veut percevoir une taxe ou un droit équivalant à une taxe.

[93]           En ce qui a trait à l’application comme telle de l’article 18 LDMI, elle plaide que la preuve documentaire qu’elle a administrée démontre que dans un premier temps, elle est bel et bien une entreprise qui, dans le cadre de ses activités d’investissement, et ce, de façon organisée et répétitive, consent des prêts d’argent assortis de sûretés réelles au sens de la phrase liminaire dudit article 18 et que ses activités consacrées à de tels prêts n’ont pas à être exclusives par rapport à d’autres activités qu’elle exerce, tel qu’une jurisprudence constante en la matière l’a reconnu à maintes reprises.

[94]           Elle considère également avoir clairement démontré que le transfert de l’immeuble à la source de l’imposition du droit de mutation par Saint-Augustin, résultait de l’exercice d’une prise en paiement en exécution d’une hypothèque garantissant le remboursement d’un prêt consenti par elle à VeyLin, et ce, au sens du paragraphe a) de l’article 18 et que, rien dans le libellé de cet article n’obligeait les parties à un prêt à conclure, au même moment, un acte de garantie hypothécaire, en autant que l’emprunteur se soit engagé dans la Convention de prêt à souscrire éventuellement une telle hypothèque à la demande du prêteur, ce qui était le cas en l’espèce.

[95]           Elle soutient aussi que tant les témoignages des dirigeants d’Immoca, qu’en soi l’importante disparité entre le montant du droit de mutation et celui de la dette de VeyLin à l’endroit d’Immoca, rendent plus que crédibles leurs affirmations voulant que l’acquisition par Immoca de l’immeuble n’ait pas résulté de diverses opérations faites dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement d’un droit de mutation, tel que prévu au paragraphe c) de l’article 18 LDMI.

[96]           Il ne reste donc, selon elle, comme question à être tranchée par le Tribunal, que celle de l’application du paragraphe b) de l’article 18 LDMI qui édicte la règle voulant que pour bénéficier de l’exonération de paiement du droit de mutation, la cessionnaire, Immoca, ne doit pas être une personne liée au cédant, VeyLin, au sens de l’article 19 LI.

[97]           À cet égard, Me Boivin plaide avoir démontré qu’Immoca n’était pas une personne liée à VeyLin au sens de l’article 19 LI et ce, pour les raisons suivantes :

      Tout d’abord l’article 19. 1. LI spécifie « [qu’] aux fins de la présente partie, sont des personnes liées ou des personnes liées entre elles : c) deux sociétés quelconques i. si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes ».

      Or, VeyLin et 9342 dont les propriétés sont divisées à 50-50 entre Forès et Immoca, sont toujours en existence sur le plan légal;

      Forès a d’ailleurs institué un recours contre Immoca en Cour supérieure pour obtenir la confirmation de sa copropriété, à parts égales avec Immoca, de VeyLin et de 9342;

      La renonciation par Immoca d’homologuer la transaction conclue avec Forès et messieurs Harvey et Briand-Hudon, ou même d’en plaider l’existence, a rendu encore plus probante l’existence légale de VeyLin et de 9342, telles qu’elles ont été constituées;

      Plusieurs arrêts émanant de la Cour d’appel et de la Cour suprême ont établi que lorsque vient le temps pour un Tribunal de décider par rapport à une situation donnée qui contrôle quoi et qui, une situation de contrôle de fait doit céder le pas à celle résultant d’un contrôle de jure caractérisé par la détention majoritaire des actions d’une société permettant la nomination des administrateurs de la personne morale visée;

      Or, Immoca n’ayant pas le contrôle de jure de VeyLin et de 9342, caractérisé par la détention majoritaire d’actions, il ne peut être considéré qu’elle avait le contrôle de celles-ci le 18 décembre 2020 au moment du transfert de propriété à la source du droit de mutation;

      Immoca dénonce aussi la tentative de Saint-Augustin d’appeler l’article 20, paragraphe b) LI à sa rescousse afin de donner plus de mordant au texte du paragraphe c) de l’article 19.1. LI en rappelant, jurisprudence à l’appui, que le renvoi par le Législateur à l’article 19 LI dans le libellé du paragraphe b) de l’article 18 LDMI, est une référence fermée – un univers délibérément voulu par celui-ci comme étant délimité et autonome – et que ledit article 19 LI ne peut être interprété aux fins de l’application de la LDMI en faisant appel à un autre article de la Loi sur les impôts, cette dernière étant un univers législatif parallèle par rapport à la LDMI;

      Enfin, Me Boileau met en garde le Tribunal quant à la possibilité que ses conclusions quant à la propriété de VeyLin et de 9342 puissent contredire celles à venir de la Cour supérieure dans le cadre du litige opposant Forès et Immoca et l’appelle donc à une certaine prudence à cet égard.

Saint-Augustin

[98]           Saint-Augustin plaide, elle, par la voix de son avocat, Me Jean-Paul Morin, qu’en matière d’interprétation législative, contrairement aux prétentions d’Immoca, la LDMI étant une loi d’ordre public, ordonnant aux municipalités à son article 2 de percevoir un droit de mutation sur le transfert de tout immeuble et à son article 4, au cessionnaire de la payer, elle doit à ce titre recevoir une interprétation stricte et rigoureuse, notamment par rapport aux exonérations de paiement de droit de mutation qu’elle prévoit afin que sa finalité soit réalisée telle qu’elle a été voulue par le Législateur.

[99]           Elle rappelle également que le fardeau de démontrer qu’elle avait droit à l’exonération prévue à l’article 18 LDMI, incombait à Immoca et qu’en conséquence, sa preuve en ce sens ne devait comporter aucune ambiguïté, ce qu’elle considère ne pas être le cas.

[100]       En ce qui a trait à l’application comme telle de l’article 18 LDMI, elle considère que l’ensemble de la preuve recueillie par le Tribunal démontre que :

      Immoca qui réalise 90 % de ses prêts dans le cadre de projets d’investissement immobilier commerciaux n’est pas une entreprise dont l’activité consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles, au sens commun qu’il faut donner à cette notion qui vise plutôt les institutions financières prêteuses qu’on peut qualifier de « classiques » comme les banques et le mouvement Desjardins;

      Le fait qu’une période de 33 mois se soit écoulée entre la Convention de prêt liant Immoca et VeyLin et la signature d’un acte d’hypothèque, ne permet pas de considérer que la Convention de prêt liant Immoca et VeyLin, datée du 20 février 2018 était, au moment de sa conclusion, « assortie d’une sûreté réelle » au sens de la phrase liminaire de l’article 18 LDMI;

      Le comportement d’Immoca par rapport aux obligations de VeyLin envers elle en vertu de la Convention de prêt du 20 février 2018 – aucune exigence de remboursement de capital ou d’intérêts, inscriptions aléatoires quant au prêt dans les états financiers d’Immoca, 9325, VeyLin et 9342 etc. – permet au Tribunal d’en arriver à la conclusion que le transfert de l’immeuble au cessionnaire, le 18 décembre 2020, ne peut être considéré comme résultant d’un véritable exercice d’une prise en paiement au sens du paragraphe a) de l’article 18 LDMI;

      Par ailleurs, le transfert de propriété de l’immeuble de VeyLin à Immoca est le produit d’une prise de contrôle totale de VeyLin et 9342 par monsieur Poulin et Immoca, par l’entremise de diverses manœuvres juridiques – changement des adresses de leur siège social, absence de convocation de réunions des CA impliqués, ou aucune réunion des administrateurs, signification des procédures devant la Cour supérieure à monsieur Poulin, et ce, au nom des deux parties en cause, qui ont permis à monsieur Poulin d’évincer les coactionnaires d’Immoca dans VeyLin et 9342 quétaient Forès, monsieur Harvey et monsieur Briand-Hudon;

      C’est cette prise de contrôle unilatérale qui a fait en sorte qu’Immoca a pu obtenir une hypothèque de VeyLin qui a été suivie par une prise de paiement autorisée par la Cour supérieure;

      Cette prise de contrôle de fait, par ailleurs confirmée par Immoca dans des aveux tant judiciaires qu’extrajudiciaires, doit l’emporter aux yeux du Tribunal sur toute situation de droit résultant du partage à parts égales des actions de VeyLin et de 9342 maintenant invoquée par Immoca à son avantage après le retrait de sa requête en homologation de la transaction et quittance devant la Cour supérieure et sa renonciation à même plaider l’existence de ladite transaction et quittance;

      Le cessionnaire, Immoca, était donc une personne liée au cédant, VeyLin, au sens de l’article 19.1., paragraphe c) LI auquel réfère l’article 18, paragraphe b) LDMI.

[101]       Enfin, Me Morin soutient que l’article 20 LI qui prévoit de façon liminaire que les règles qu’il énonce servent à l’application de l’article 19 de cette même Loi, peut être invoqué au soutien de l’interprétation de l’article 18, paragraphe b) LDMI et soutenir la prétention de Saint-Augustin, qu’en vertu de l’article 20 LI, paragraphe b), Immoca était « une personne qui, à un moment quelconque, a, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non, dans les actions de [VeyLin] », et ce, en vertu de la Convention de création de Veylin et de 9342 qui permettait à Immoca et 9325 de devenir acquéreurs, à certaines conditions, de 100 % des actions de VeyLin et de 9342.

[102]       En ce qui a trait à la prudence qu’on requiert du Tribunal relativement à la possibilité que son jugement contredise celui de la Cour supérieure à être éventuellement rendu dans le cadre de l’action initiée par Forès, il signale que Saint-Augustin n’est aucunement concernée par l’action en Cour supérieure et que la question que la Cour du Québec a à trancher, en vertu de sa compétence exclusive en la matière, concerne l’application ou non de la LDMI à un transfert de propriété ponctuel.


L’ANALYSE ET LES MOTIFS

[103]       La LDMI est une loi qui peut être qualifiée « d’ordre public » en ce qu’elle prévoit à son article 2 que « toute municipalité doit percevoir un droit sur le transfert de tout immeuble situé sur son territoire », calculé selon les taux d’imposition prévus à cet article et à son article 4 que « le cessionnaire de l’immeuble dont il y a transfert est tenu au paiement du droit de mutation ».

[104]       De plus, l’article 12.2 LDMI prévoit que le droit de mutation est assimilé à une taxe municipale aux fins de son recouvrement. Quant à l’article 27 LDMI, il spécifie que pour l’application de l’article 678.01 du Code municipal du Québec et des articles 196 et 250.1 de la Loi sur la fiscalité municipale, le droit de mutation est assimilé à une taxe municipale.

[105]       Il n’y a donc pas de marge de manœuvre possible de part et d’autre : si un transfert de propriété d’un immeuble survient sur son territoire, le corps public qu’est la municipalité doit percevoir le droit de mutation au bénéfice économique et financier de l’ensemble de ses citoyens et le cessionnaire, lui, est tenu de s’acquitter de son obligation de paiement à la collectivité locale, représentée par la municipalité, et ce, tel que l’a voulu le Législateur.

[106]       La seule façon pour le cessionnaire de l’immeuble de ne pas avoir à payer le droit de mutation, est de faire valoir qu’il se trouve dans une des situations d’exonération de paiement dudit droit prévues aux articles 17 à 20 LDMI.

[107]       Dans le cadre du litige opposant les parties, c’est l’article 18 LDMI qui doit être analysé et interprété par le Tribunal.

[108]       En vertu de cet article 18, il y a exonération du paiement du droit de mutation lorsque l’entreprise du cessionnaire consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles (phrase liminaire) et que :

-          le transfert résulte de l’exercice d’une prise en paiement (paragraphe a);

-          le cessionnaire n’est pas une personne liée au cédant au sens de l’article 19 LI (paragraphe b);

-          le cessionnaire n’a pas acquis l’immeuble à la suite d’une ou de plusieurs opérations faites principalement dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement du droit de mutation (paragraphe c).

[109]       Par ailleurs, la LDMI, puisqu’elle prévoit la perception obligatoire par une municipalité d’un droit de mutation sur les transferts de propriété d’immeubles situés sur son territoire, droit qu’elle assimile à une taxe, – la Cour du Québec exerce une compétence exclusive dans ce domaine spécifique en vertu de l’article 36 du Code de procédure civile (C.p.c). – , peut certainement être qualifiée de loi fiscale.

 

Les principes d’interprétation applicables

[110]       De quelle façon le Tribunal doit-il interpréter l’article 18 LDMI?

[111]       Immoca a plaidé qu’en matière fiscale, cette interprétation devait être libérale et que tout doute raisonnable dans l’application d’une loi de cette nature devait bénéficier au contribuable ou à la personne de laquelle on voudrait percevoir une taxe ou un droit.

[112]       Saint-Augustin a fait valoir au contraire que toute exonération du paiement d’un droit découlant d’une loi fiscale, d’ordre public, devait être traitée de façon restrictive par le Tribunal afin que la finalité de cette loi, telle que prévue par le Législateur, puisse pleinement s’accomplir.

[113]       Au soutien de sa position quant à l’approche restrictive des exceptions et exonérations prévues dans une loi fiscale, Saint-Augustin a référé le Tribunal à Gagné c. Montréal (Ville de)[7] qui reprenait à son compte les principes dégagés par la Cour d’appel dans Complexe future inc. c. Vaudreuil-Dorion (Ville de)[8], Laval (Ville de) c. Polyclinique médicale Fabreville, s.e.c.[9], reprenant un passage d’un arrêt précédent, Doucet c. St-Jean-sur-Richelieu (municipalité de)[10].

[114]       Immoca a soumis, elle, à l’appui de sa vision quant à la façon libérale dont devait être interprété l’article 18 LDMI, Complexe sportif intérieur de Granby c. Ville de Granby[11], jugement rendu par l’honorable Martin Tétreault de notre Cour, dans lequel il analyse les arrêts de la Cour suprême Buanderie centrale de Montréal inc. c. Montréal (Ville)[12] et Partagec inc. c. Québec (Communauté urbaine)[13] ainsi que les arrêts de la Cour d’appel dans les affaires Polyclinique médicale Fabreville et Doucet précitées[14].

[115]       Tous ces arrêts et jugements sont intéressants et plein d’enseignements de diverses natures pour un Tribunal qui, à la lumière de la preuve qui lui a été soumise par les parties, doit exercer le pouvoir d’appréciation qui reste le sien. Cependant les règles d’interprétation d’une loi fiscale ont tellement évolué au cours des 30 dernières années, qu’il n’est pas nécessairement facile à la lecture de chacun des arrêts ou jugements cités par les avocats des parties, d’en arriver à un portrait clair de la ligne de conduite qui doit être suivie, chacune des parties au litige pouvant se servir d’un ou de plusieurs extraits desdits arrêts et jugements, au soutien de ses prétentions et vice versa.

[116]       Heureusement, les auteurs, Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, dans leur ouvrage « Interprétation des lois »[15], ont pris la peine de mettre un peu d’ordre dans ce méli-mélo – on pardonnera au soussigné l’utilisation de cette expression – et ainsi énoncer ce qui constitue, pour reprendre l’expression anglaise, le « state of the art » ou les « règles de l’art » en matière d’interprétation des lois fiscales :

1603. La méthodologie des tribunaux en matière d’interprétation des lois fiscales a connu, en droit canadien, une évolution importante qui reflète un changement notable dans la perception qu’ils ont entretenue de cette catégorie de lois. Les lois fiscales ont traditionnellement fait l’objet d’une interprétation distincte des autres lois, en raison, notamment, des considérations de sécurité juridique et « [traduction] des restrictions à la jouissance des biens » que ces textes engendraient. Les tribunaux leur réservaient ainsi une lecture qui mettait l’accent sur le texte, au détriment de l’objet, en prônant une interprétation restrictive, le plus souvent favorable au contribuable. Aujourd’hui, il est acquis que les lois fiscales sont soumises, de manière générale, aux règles ordinaires d’interprétation.

1604. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce changement profond. Tout d’abord, l’interprétation exclusivement littérale a été largement désavouée par les tribunaux, qui reconnaissent dorénavant que les mots n’ont de sens que lorsqu’ils sont lus en tenant compte de leur contexte global. Ensuite, le rôle attribué aux lois fiscales, par les juristes, a sensiblement changé On ne peut plus dire, aujourd’hui comme on l’a dit jadis, que les lois fiscales n’ont d’autre objet que la perception de revenus : elles sont considérées comme un moyen courant d’intervention sociale et économique, au service des intérêts collectifs de la communauté. À l’ère de l’État Providence, la fonction des lois fiscales n’est donc plus perçue d’une manière aussi négative qu’autrefois :

« [I]l fait voir dans le fisc une exigence de la vie en société et de la justice distributive. Il semble donc que la technique d’interprétation littérale des lois fiscales ait perdu sa raison d’être, car si elle convenait au temps du laissez-faire, elle s’accorde mal avec la conception moderne de l’impôt. »

1605. D’une part, la Cour suprême a formellement abandonné l’interprétation restrictive des lois fiscales dans Stubart Investments Ltd c. La Reine ([1984] 1 R.C.S. 536), rendue en 1984. D’autre part, dans l’affaire Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame du Bon-Secours ([1994] 3 R.C.S. 3), le juge Gonthier a énoncé, au nom de la Cour, des principes d’interprétation des lois fiscales qui se ramènent à trois propositions généralement admises par les tribunaux, à savoir : 1) «[l]’interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d’interprétation »; 2) le choix entre le sens large et le sens étroit des textes doit être guidé non par des présomptions favorables au fisc ou au contribuable, mais par référence au but qui sous-tend la disposition à interpréter; 3) « [s]eul un doute raisonnable et non dissipé par le recours aux règles ordinaires d’interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable ».

Paragraphe 1 : Application des règles ordinaires d’interprétation

1606. Les lois fiscales doivent s’interpréter, non pas de manière strictement littérale, mais selon les règles ordinaires d’interprétation, comme toutes les autres lois : l’objectif doit être la découverte de l’intention du législateur par l’étude de la formule dans son contexte d’énonciation. Cela suppose que l’objet de la disposition en cause doit être pris en considération, au même titre que les autres considérations contextuelles. Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd c. La Reine ([1984] 1 R.C.S. 536), le juge Estey a énoncé le principe par la suite repris de manière constante par les tribunaux, selon lequel les lois fiscales étaient soumises aux mêmes principes d’interprétation que les autres lois :

« Bien que les remarques de E.A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes ne visent pas uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de façon brève :

« Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. »

[…]

1608. L’interprète d’une loi fiscale est ainsi tenu, comme les lois d’interprétation l’y invitent, de lui donner, si possible, un sens qui permet la réalisation de son objet manifeste ou qui tient compte du contexte global.

[]

1613. Plus précisément, les passages suivants, rédigés par le juge LeBel, semblent exprimer le principe selon lequel l’objet d’un texte législatif ne peut servir à contredire un texte qui ne soulève pas de difficultés d’interprétation :

« Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer. La mention de l’objet de la disposition [TRADUCTION] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit […] » Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë. »

[…]

1618. Ce passage signifie, notamment, que l’interprétation des dispositions d’exemption ou d’imposition n’ont plus, comme c’était le cas, à être guidée par une présomption favorable au fisc ou au contribuable. On cherchera plutôt à leur donner leur plein sens, en accord avec les objectifs recherchés par le législateur

Paragraphe 3 : La présomption résiduelle en faveur du contribuable

1619. Même si elle obéit aux règles ordinaires d’interprétation, la loi fiscale doit être appliquée en faveur du contribuable lorsque le recours à ces règles laisse subsister un doute raisonnable. Dans ces circonstances, la Cour suprême a confirmé que l’interprète doit adopter l’interprétation qui profite au contribuable.

1620.Tel que l’a écrit le juge LeBel : « Bien qu’il existe une présomption résiduelle en faveur du contribuable, elle demeure seulement résiduelle et ne s’applique donc que dans le cas exceptionnel où les principes d’interprétation ordinaires ne permettent pas de régler la question en litige […] Tout doute concernant le sens d’une loi fiscale doit être raisonnable et la présomption ne peut être invoquée que si l’application des règles d’interprétation habituelles n’a pas permis de déterminer le sens de la disposition en cause. »

[…]

1622. Le juge Gonthier a ainsi énoncé le caractère subsidiaire de la présomption favorable au contribuable, présomption qui s’applique, rappelons-le, même aux dispositions prévoyant des exemptions ou des déductions :

« Seul un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d’interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable. »

 [Références omises]

[117]       Le Tribunal mettra donc à profit dans le cadre de son analyse ce résumé doctrinaire fort utile de la part des auteurs Côté et Devinat par rapport à « où on n’en est rendu en matière d’interprétation des lois fiscales », tout en rappelant cependant que peu importe le chemin suivi par celle ou celui qui a à interpréter une loi – fiscale ou non – , il est primordial que l’intention profonde derrière toute loi et la finalité qu’on a voulue lui conférer, soient fondamentalement respectées.

[118]       Il faut aussi rappeler que le fardeau de démontrer l’existence des critères permettant de bénéficier de l’exemption à l’application d’une loi, repose sur les épaules de la personne qui en réclame le bénéfice, soit en l’espèce, Immoca, ce qui a été admis par cette dernière[16].

[119]       Il ne peut par ailleurs être considéré que la personne qui réclame l’exemption se soit déchargée de son fardeau de preuve qu’en présence d’une preuve clairement prépondérante et convaincante.

 

Risque d’un jugement contradictoire

[120]       Avant de commencer l’exercice consistant à examiner paragraphe par paragraphe l’application ou non des critères d’exonération de paiement du droit de mutation énoncés à l’article 18 LDMI, le Tribunal juge utile de disposer de la question reliée au fait que les conclusions de son jugement pourraient s’avérer être contradictoires par rapport à celles du jugement de fond à être éventuellement rendu par la Cour supérieure dans le dossier no 200-17-032630-212, opposant Forès, monsieur Hugues Harvey et 9303 à entre autres la défenderesse Immoca.

[121]       C’est l’article 212 C.p.c. qui trace la voie à suivre lorsqu’il y a effectivement un risque de jugement contradictoire par rapport à des jugements émis par la Cour du Québec et la Cour supérieure.

212. La Cour du Québec saisie d’une demande ayant le même fondement juridique ou soulevant les mêmes points de droit et de fait qu’une demande introduite en Cour supérieure peut, même d’office, suspendre l’instance, pourvu qu’aucun préjudice sérieux n’en résulte pour les autres parties.

L’ordonnance de suspension vaut jusqu’au jugement de la Cour supérieure passé en force de chose jugée; elle peut être révoquée si des faits nouveaux le justifient.

[122]       Les avocats des parties n’ont pas demandé au Tribunal de suspendre l’instance en attendant le jugement de la Cour supérieure. Ils se sont limités à l’inciter à faire preuve de prudence dans son analyse des faits et les conclusions qu’il pouvait en tirer. Saint-Augustin, de plus, a fait valoir que les parties à l’instance n’étaient pas exactement les mêmes que celles devant la Cour supérieure.

[123]       Il est vrai que la trame factuelle est similaire; par contre, compte tenu des conclusions recherchées tant en demande principale qu’en demande reconventionnelle et en intervention forcée en garantie devant la Cour supérieure – certaines reposent sur l’application de principes de responsabilité civile – , la preuve qui sera amenée de part et d’autre devra forcément être beaucoup plus étoffée, diverse et détaillée sur une multitude de points qui seront forcément étrangers à la question de l’exigibilité ou non d’un droit de mutation. Il s’agit donc de deux univers juridiques, certes parallèles, mais tout de même assez distincts.

[124]       Toujours en prenant connaissance des actes de procédure devant la Cour supérieure, il y a également pleinement à boire et à manger dans les diverses conclusions – principales ou subsidiaires – recherchées par les parties, notamment en matière de compensation pour des fautes qu’on allègue avoir été commises de part et d’autre par l’octroi de dommages-intérêts compensatoires et punitifs, pour faire en sorte que la Cour supérieure puisse s’adapter s’il lui fallait tenir compte du paiement ou non par Immoca d’un droit de mutation à Saint-Augustin, en vertu du présent jugement.

[125]       En résumé, peu importe l’analyse et les conclusions du soussigné dans la présente affaire, celles-ci viseront à résoudre un litige d’une dimension suffisamment particulière et pointue concernant l’application d’une loi fiscale du domaine municipal pour que le Tribunal ne se sente pas le besoin de suspendre d’office la présente instance comme il pourrait le faire en vertu de l’article 212 C.p.c.

[126]       Tout ceci écrit, qu’en est-il de l’application comme telle de l’article 18 LDMI?

 

Immoca : une entreprise de prêts d’argent?

[127]       L’entreprise d’Immoca consiste-t-elle « dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles », tel que le prévoit la phrase liminaire de l’article 18 LDMI? On sait qu’il s’agit là de la pierre d’assise de toute prétention à une exonération, les critères d’exonération prévus par les paragraphes subséquents de l’article 18 ne pouvant s’appliquer si l’entreprise n’est pas à la base une entreprise de prêts au sens de la loi.

[128]       Au registre du Registraire des entreprises, Immoca se qualifie comme étant « une société d’investissement » dont l’objet est « investissements dans des entités dont l’entreprise consiste principalement dans le développement, l’exploitation, la gestion, la location ou la vente d’immeubles et tout autre type de placements ».

[129]       Monsieur St-Onge a témoigné qu’Immoca intervenait à titre d’investisseur dans à peu près 90 % de ses activités, dans des projets de développements immobiliers ou commerciaux, et ce, par l’entremise de prêts dits « mezzanine » selon les termes employés dans ce secteur d’activités, prêts assortis d’hypothèques ou de cautionnements. Immoca a déposé au dossier de la Cour quatre exemples documentés à l’aide de contrats où Immoca, entre 2018 et 2022, était – et est encore – un prêteur parmi d’autres de sommes d’argent destinées à des promoteurs immobiliers, le tout garanti par des hypothèques.

[130]       Tant monsieur Poulin que monsieur St-Onge ont affirmé qu’en pareil cas, Immoca protégeait ses prêts comme toute institution bancaire le fait, en semblables circonstances.

[131]       Dans 9181-3212 Québec inc. (Excavation G.G. Laroche) c. Ville de Sherbrooke[17], l’honorable Martin Tétreault, J.C.Q., a statué que le prêt hypothécaire pouvait n’être qu’une composante de l’entreprise du cessionnaire d’un immeuble, reprenant ainsi les principes établis à cet égard par la Cour d’appel dans Assurance-vie Desjardins c. Québec (ville)[18], repris à plusieurs reprises par des jugements de la Cour du Québec :

[24]        Comme la Loi ne définit pas ce que constitue une « entreprise consistant dans le prêt d’argent », il faut se référer à la définition du Code civil du Québec pour déterminer ce que constitue l’exploitation d’une entreprise :

« Constitue l’exploitation d’une entreprise l’exercice, par une ou plusieurs personnes, d’une activité économique organisée, qu’elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services. »

[25]        Selon la doctrine et la jurisprudence majoritaire, il n’est pas nécessaire que l’activité du cessionnaire consiste exclusivement dans le prêt d’argent ou que celui-ci ait effectué plusieurs prêts antérieurement pour bénéficier de cette exonération.

Application du droit en l’espèce

[26]        D’emblée, il convient d’écarter l’argument de la Ville à l’effet que l’absence de mention au registre des entreprises d’une activité de prêts ferait en sorte qu’un cessionnaire ne pourrait se prévaloir de l’exonération prévue à l’article 18 de la Loi.

[27]        En effet, selon la Loi sur la publicité légale des entreprises, seules les deux principales activités de l’assujettie doivent être mentionnées dans la déclaration d’immatriculation, et ce, par ordre d’importance. Il est donc possible qu’une entreprise puisse avoir d’autres activités que celles indiquées au registre.

[28]        Par conséquent, il faut s’en remettre à la preuve des véritables activités de 9181 pour déterminer si l’une d’elles est effectivement le « prêt d’argent assorti de sûretés réelles ».

 [Références omises]

[132]       Même si Immoca n’est pas une institution prêteuse classique, comme une banque ou une caisse Desjardins, il reste que la preuve soumise au Tribunal démontre, de façon prépondérante, qu’elle effectue bel et bien des prêts assortis de sûretés réelles, et ce, d’une façon importante, organisée et régulière, au sens donné par la jurisprudence à la notion d’entreprise, et ce, à partir de la définition énoncée par le Code civil du Québec à son article 1525, troisième alinéa.

[133]       Dans un contexte où le Législateur a délibérément opté pour les termes généraux et quasi-génériques pour décrire le type d’entreprise visé dans cette phrase liminaire, soit « consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles », sans juger bon au cours des années de préciser, dans le but d’en restreindre la portée, ce qui doit être inclus ou non dans les termes généraux employés, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de conférer à ceux-ci, en application des principes doctrinaires reproduits plus haut, un sens général favorable à la personne de qui on exige le paiement du droit de mutation.

[134]       Pour toutes ces raisons, Immoca, quant à ce point, franchit donc cette étape essentielle lui permettant d’aspirer à une exonération de paiement du droit de mutation.

[135]       Il a été par ailleurs plaidé par Saint-Augustin que lors du prêt de la somme de 3 350 000 $ consenti le 20 février 2018 par Immoca à VeyLin, le prêt en question n’était pas « assorti d’une sûreté réelle » au sens de la phrase liminaire de l’article 18 LDMI, puisque l’acte d’hypothèque comme tel n’est intervenu entre les parties que le 11 novembre 2020, soit près de 33 mois plus tard.

[136]       Ledit acte de prêt prévoyait à ses articles 7 et 8 le consentement de l’emprunteur VeyLin à souscrire une hypothèque à la demande du prêteur Immoca pour garantir l’exécution du prêt. Même si la preuve démontre qu’au cours de cette période de 33 mois, Immoca n’a jamais réclamé à VeyLin le remboursement des intérêts prévus ou même du capital – c’était une décision d’affaires selon monsieur Poulin – , rien n’oblige dans le libellé général de la phrase liminaire de l’article 18 LDMI que l’acte d’hypothèque soit conclu de façon concomitante avec l’acte d’emprunt. Certes, la situation voulue par Immoca sort de l’ordinaire – il faut cependant rappeler qu’elle possédait 50 % de VeyLin – , mais ne s’écarte pas pour autant des exigences prévues à l’article 18 LDMI

[137]       Pour les mêmes raisons que celles énoncées précédemment[19], le Législateur n’ayant pas cru bon de préciser que l’acte d’hypothèque devait avoir été conclu en même temps que le contrat de prêt pour qu’il puisse être considéré que le prêt d’argent était assorti « d’une sûreté réelle », le sens général des mots employés milite en faveur d’Immoca.

 

Le transfert résulte-t-il d’une prise de paiement?

[138]       Maintenant, le transfert de l’immeuble qui appartenait à VeyLin résultait-il de l’exercice d’une prise en paiement, tel que mentionné au paragraphe a) de l’article 18 LDMI?

[139]       Dans ce cas, il n’y a pas l’ombre d’un doute. Malgré les circonstances, gestes et manœuvres juridiques qui ont fait en sorte que VeyLin a consenti une hypothèque d’une valeur 3 350 000 $ en faveur d’Immoca afin de protéger la créance de cette dernière à la suite du prêt de cette somme le 20 février 2018 – il en sera question plus loin – , le transfert de propriété en prise de paiement découle bel et bien du jugement rendu par la Greffière spéciale de la Cour supérieure, Me Carle, le 20 avril 2021, dans lequel celle-ci, après avoir accordé les conclusions recherchées dans la requête et autorisé cette prise en paiement, en a fixé la date au 18 décembre 2020, ce qui a enclenché l’envoi du « compte de droits de mutations » par Saint-Augustin d’un montant de 95 948,50 $, le 20 octobre 2021.

[140]       À partir du moment où aucune demande de rétractation du jugement de la part d’une personne tierce affectée par un jugement rendu dans le cadre d’une instance où elle n’était pas partie (art. 349 C.p.c.) n’a été déposée par VeyLin ou Forès à l’encontre du jugement de Me Carle, ledit jugement fait loi et il s’impose tant à l’ensemble des protagonistes dans toute cette affaire qu’au Tribunal lui-même.

[141]       Saint-Augustin ne peut donc soutenir avec succès qu’en raison 1o de la volonté d’Immoca de ne pas chercher à être remboursée par VeyLin de quelque somme que ce soit due en vertu du prêt intervenu le 20 février 2018, 2o du délai de 33 mois entre l’acte d’hypothèque et l’acte de prêt ainsi que 3o du traitement comptable aléatoire du prêt consenti à VeyLin, il ne s’agissait pas d’une véritable prise en paiement dans le but d’éteindre une dette assortie d’une sûreté réelle au sens de l’article 18 LDMI.

[142]       Tel que mentionné précédemment, ces prétentions sont emportées par le jugement de la Cour supérieure qui fait foi de tout.

 

Une manœuvre afin d’éluder le paiement du droit?

[143]       Peut-on conclure qu’Immoca, à titre de cessionnaire, aurait acquis l’immeuble de VeyLin à la suite d’opérations faites principalement dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement du droit de mutation, tel que le prévoit le paragraphe c) de l’article 18 LDMI?

[144]       Le Tribunal juge crédibles[20] les témoignages de monsieur St-Onge, le directeur général de Camada, et de monsieur Poulin, le président d’Immoca, qui ont tous deux affirmé qu’au regard de la très importante disparité entre le montant du droit de mutation qui pouvait être dû à la suite du transfert de propriété, 95 948,50 $, par rapport à celui des sommes d’argent qu’Immoca estimait lui être dues par VeyLin, soit plus de 4 000 000 $, l’idée d’éluder le droit en question ne les avait même pas effleurés.

[145]       Lavocat de Saint-Augustin n’a d’ailleurs que très peu insisté sur ce point, et avec raison, car le Tribunal se convainc finalement du fait que compte tenu de la preuve testimoniale soumise et de l’écart important entre les montants des deux sommes qu’il peut lui-même constater, le paiement ou non de l’éventuel droit de mutation d’une centaine de milliers de dollars, n’a rien eu à voir dans toute cette affaire pour dicter la façon dont Immoca s’est comportée. Le paragraphe c) de l’article 18 LDMI ne s’applique donc pas.

Immoca et VeyLin : des personnes liées?

[146]       Tout ceci nous mène au critère d’exonération prévu au paragraphe b) de l’article 18 LDMI que les avocats des parties ont rapidement identifié dans leurs plaidoiries comme étant le véritable nerf de la guerre dans le cadre du litige les opposant, soit que le cessionnaire Immoca ne devait pas être une personne liée au cédant, VeyLin, au sens de l’article 19 LI, en l’occurrence, tel qu’identifié par les avocats, le paragraphe c) de cet article qui énonce que « sont des personnes liées ou des personnes liées entre elles », « deux sociétés quelconques i. si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes ou ii. si chacune d’elles est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l’une est liée à celle contrôlant l’autre ».

[147]       Saint-Augustin fait aussi appel, au soutien de ses prétentions, quant au contrôle de VeyLin par Immoca en tant que personne liée, à l’article 20 LI qui énonce que : « pour l’application des articles 19 et 21.19, les règles suivantes s’appliquent » :

d) une personne qui, à un moment quelconque, a, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non :

i. soit à des actions, ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote […] est réputé occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne était propriétaire des actions à ce moment […]

ii. soit d’obliger une société à remettre, acquérir ou annuler des actions qui appartiennent à d’autres actionnaires, est réputé occuper la même position relativement au contrôle de la société que si les actions étaient ainsi acquises ou annulées à ce moment […]

[148]       Immoca s’oppose à l’utilisation de l’article 20 LI dans le cadre du renvoi à l’article 19 LI par l’article 18 b) LDMI.

[149]       Il sera traité de cette question plus loin.

[150]       La preuve soumise au Tribunal lui démontre qu’alors qu’Immoca et Forès, en vertu des actes constitutifs de ces deux entités, détenaient à parts égales VeyLin et sa commanditée 9342 et que les conseils d’administration de celles-ci étaient formés de quatre administrateurs, soit deux personnes désignées par Immoca et deux désignées par Forès, et ce, sans que, dans le cas de VeyLin, des officiers n’aient été formellement désignés, monsieur Poulin, qui considérait que VeyLin avait fait l’objet de malversations de la part de monsieur Harvey qui auraient engendré des pertes financières de plus d’un million – ce qui allait finir par provoquer entre autres l’envoi d’une mise en demeure à monsieur Harvey et la résiliation, le 4 octobre 2019, du contrat de gestion de VeyLin et 9342 par 9303 – , a décidé de prendre les choses en main et, prétendument conseillé en cela par des professionnels qu’il consultait, de faire en sorte qu’Immoca prenne le contrôle effectif de VeyLin et de 9342.

[151]       Le 8 février 2019, sans qu’aucune réunion des conseils d’administration n’ait été tenue ni au préalable, ni postérieurement, ni même convoquée, monsieur Poulin a fait en sorte que les adresses et districts judiciaires des sièges de VeyLin et de 9342 soient modifiés pour être transférés à l’adresse d’Immoca. Il en a été de même pour les inscriptions portées au registre du Registraire des entreprises.

[152]       Monsieur Poulin a reconnu avoir agi de façon unilatérale, mais il « cherchait des solutions », il « voulait son argent! », et il « considérait qu’il était autorisé et légitimé à agir de cette façon compte tenu des malversations que monsieur Harvey avaient commises et que de toute façon, tant monsieur Harvey que monsieur Briand-Hudon étaient au courant des démarches entreprises ».

[153]       Cette prise de contrôle effective de VeyLin et de 9342 par monsieur Poulin s’est accentuée par la suite, après la conclusion, le 3 février 2020, d’une transaction et quittance impliquant entre autres VeyLin, 9342, Forès et monsieur Harvey, en vertu de laquelle et compte tenu de diverses considérations consenties de part et d’autre, Immoca devenait la seule propriétaire des actions de VeyLin et de 9342.

[154]       On sait qu’une requête en homologation de ladite transaction et quittance dans laquelle Immoca alléguait être la seule propriétaire des actions de Forès, a été déposée en Cour supérieure par Immoca, le 30 septembre 2020.

[155]       C’est cette transaction et quittance dont la validité a été contestée par Forès et que tant monsieur Harvey qu’elle n’ont jamais appliquée, accompagnée de la requête en homologation, qui allait permettre à l’avocat d’Immoca, Me Clément, d’affirmer dans son courriel du 2 décembre 2020 à l’avocat de Forès qui protestait contre les agissements unilatéraux d’Immoca, que celle-ci était la seule détentrice des actions de VeyLin depuis la date de transaction, soit le 3 février 2020.

[156]       Par la suite, les choses ont déboulé rapidement :

      Le 11 novembre 2020, VeyLin a consenti une hypothèque de 3 350 000 $ à Immoca, en garantie de ses obligations à l’égard de celle-ci, en vertu du prêt de cette somme d’argent par elle, le 20 février 2018;

      Monsieur Poulin a signé pour les deux parties à l’acte d’hypothèque. Il a été inscrit à la page frontispice de l’acte notarié, qu’il était, aux fins de la représentation des parties et de la signature, « dûment autorisé tel qu’il le déclare », selon ce qu’il affirme avoir déclaré à la notaire instrumentante qui, elle, ne lui aurait rien demandé de plus;

      Il a concédé lors de son témoignage qu’aucune réunion des conseils d’administration visés n’avait eu lieu et qu’aucune convocation pour une réunion n’avait été émise. Toujours conseillé par ses professionnels, il considérait agir à bon droit pour les deux entités et détenir les autorisations nécessaires pour ce faire;

      Le 18 décembre, le préavis d’exercice d’un droit hypothécaire de prise en paiement initié par Immoca à l’endroit de VeyLin a été signifié à monsieur Poulin, à titre de représentant de VeyLin;

      Le 17 décembre 2020, une demande introductive d’instance d’un montant de 4 675 761,64 $ a été introduite à l’endroit de VeyLin par Immoca. La demande a été signifiée à monsieur Poulin pour VeyLin. Un jugement par défaut a été rendu par la Greffière spéciale de la Cour supérieure, Me Carle, le 12 février 2021;

      Le 24 février 2021, une demande introductive d’instance en délaissement forcé et prise de paiement a été déposée par Immoca en Cour supérieure à l’endroit de VeyLin concernant entre autres l’immeuble situé à Saint-Augustin qui est au cœur du litige. La demande a été signifiée à VeyLin par courriel en utilisant l’adresse de monsieur Poulin;

      La Greffière spéciale a rendu son jugement par défaut, le 20 avril 2021, en vertu duquel elle autorisait la prise en paiement et fixait la date du transfert de propriété de l’immeuble situé à Saint-Augustin, appartenant à VeyLin, au 18 décembre 2020;

      Tel que mentionné plus haut, aucun appel, demande d’annulation ou de rétractation de jugement n’a été logé à l’endroit du jugement de Me Carle, le tout tel que confirmé dans le certificat de non-appel émis par elle le 1er juin 2021;

      Le 28 juin 2021, Immoca a retiré sa requête en homologation et comme mentionné par l’honorable Éric Hardy, aux paragraphes [21] et [22] de son jugement daté du 28 août 2023[21], déposé par les parties, elle a même renoncé à soutenir qu’une transaction est intervenue;

      Le 16 septembre 2022, dans les motifs écrits de sa défense orale produite dans le cadre de l’instance l’opposant à Forès devant la Cour supérieure, Immoca a soutenu qu’elle avait été en droit, compte tenu des fautes commises à son endroit par Forès et monsieur Harvey, d’agir comme elle l’avait fait au nom de VeyLin.

[157]       Il découle de tous ces gestes posés par monsieur Poulin, et ce, que la requête en homologation ait finalement été retirée ou non et même que la transaction ne soit plus reconnue par Immoca, que celle-ci avait, depuis le 8 février 2019, pris le contrôle à 100 % des opérations de VeyLin et de 9342 – monsieur Poulin ne se cache même pas pour l’admettre puisque de son point de vue, c’était la seule façon pour Immoca de récupérer son argent – et qu’en conséquence l’acte d’hypothèque concernant VeyLin et Immoca était littéralement une transaction qu’on peut qualifier, sous l’angle de monsieur Poulin, comme étant « de moi à moi! ».

[158]       Par la suite, toujours en raison de ce même contrôle de VeyLin par Immoca et monsieur Poulin, tout ce qui se rapportait aux poursuites judiciaires intentées par Immoca contre VeyLin, dans le cadre de l’acte d’hypothèque conclu, a été signifié par monsieur Poulin (Immoca) à monsieur Poulin (VeyLin).

[159]       Il a été soutenu par Immoca que Forès, monsieur Harvey et monsieur Briand-Hudon, étaient au courant de ce qui se tramait – on pense par exemple à la lettre de monsieur Briand-Hudon à madame Marie-France Poulin datée du 8 février 2021 – , mais rien n’autorisait pour autant monsieur Poulin à mener son putsch à l’endroit de VeyLin et de 9342, et ce, à compter du 8 février 2019, soit bien avant la transaction et la requête en homologation, en agissant de façon unilatérale, sans autorisation formelle des conseils d’administration concernés, ni avant ni après, et sans même d’avis de convocation acheminés à quiconque.

[160]       Immoca et monsieur Poulin devront donc assumer les gestes qu’ils ont posés et qui ont fait en sorte qu’Immoca s’est comportée comme une entité contrôlant VeyLin et 9342, minimalement du 8 février 2019 au 28 juin 2021, date du retrait de la requête en homologation de la transaction et quittance.

[161]       En conséquence, lors du transfert de propriété de l’immeuble situé sur le territoire de Saint-Augustin, le 18 décembre 2020, découlant de la prise en paiement autorisée par la Cour supérieure, le 20 avril 2021, VeyLin et 9342, d’une part, et Immoca, d’autre part, étaient des personnes liées, à titre respectivement de cédant et de cessionnaire, au sens de l’article 18 b) LDMI puisque les sociétés impliquées étaient contrôlées par les mêmes personnes, soit, dans le cas d’Immoca, par Camada et Promada ainsi que monsieur David Poulin, et, en ce qui a trait à VeyLin, par Immoca et monsieur David Poulin, et ce, au sens de l’article 19. 1. LI, paragraphe c).

[162]       Il a été plaidé par l’avocat d’Immoca qu’en matière de droit fiscal, la notion de contrôle est fondamentalement reliée à la capacité d’élire la majorité des membres du conseil d’administration d’une personne morale et que par conséquent, puisque VeyLin et 9342 existent toujours dans leurs formes originales – le juge Hardy dans son jugement a constaté qu’aucun actionnaire n’avait le contrôle de ces entités puisqu’Immoca et Forès les détenaient à parts égales – , il ne peut être considéré qu’Immoca avait le contrôle de jure de VeyLin lors du transfert de propriété.

[163]       Il a produit au soutien de son argument l’arrêt de la Cour suprême Duha Printers (Western) Ltd c. Canada[22], repris par la Cour du Québec (jugement confirmé par la Cour d’appel) dans ARTV inc. c. Agence du revenu Québec[23].

[164]       De son côté, l’avocat de Saint-Augustin a référé le Tribunal à l’arrêt de la Cour suprême Sa Majesté La Reine c. Imperial General Properties Ltd[24] et à celui de la Cour d’appel Godcharles c. Agence du Revenu du Québec[25] où la notion de contrôle de jure d’une personne morale est relativisée par rapport à celle de son contrôle de fait.

[165]       Le Tribunal a deux réactions concernant cette façon de présenter les choses de la part de l’avocat d’Immoca.

[166]       Premièrement, oui, lorsqu’il faut établir qui a vraiment le contrôle de qui et quoi au sein d’une personne morale, et ce, à des fins fiscales, lorsque différentes conventions ont été signées par certains actionnaires ou le conseil d’administration visant à définir qui avait bel et bien le contrôle des décisions à prendre en vertu de certaines transactions, comme c’était le cas dans l’affaire Duha, il est tout à fait pertinent de revenir au jeu de base, consistant en ce que peu importe les ententes particulières ou parallèles conclues par des dirigeants ou des actionnaires d’une personne morale – parfois pour éluder des charges fiscales – c’est toujours en définitive l’actionnaire qui détient le pouvoir d’élire les membres du conseil d’administration qui doit être défini comme ayant le véritable contrôle de l’entreprise.

[167]       Cependant, comme en ont traité les arrêts Imperial General Properties et Godcharles, il ne s’agit pas d’une règle à ce point absolue qu’elle finirait par produire l’effet contraire recherché, en enlevant à un tribunal la possibilité d’établir à partir de la preuve dont il dispose, qu’en certaines circonstances, c’est le contrôle de fait qui doit l’emporter sur le contrôle de jure, afin d’assurer en bout de ligne, l’accomplissement des objectifs recherchés par le Législateur dans une loi de nature fiscale, ce qui est le cas en l’espèce.

[168]       Deuxièmement, le Tribunal ne peut accepter qu’Immoca et monsieur Poulin qui ont prétendu dans leurs lettres, courriels, et procédures judiciaires, et ce, à maintes reprises, qu’ils étaient les propriétaires de VeyLin et 9342, et qui se sont comportés comme tel pour en arriver à leurs fins, puissent maintenant soutenir à leur avantage que puisque la requête en homologation de la transaction a été retirée, qu’ils ont renoncé à en plaider même l’existence, et qu’un litige à propos de Forès, Harvey et Immoca les oppose en Cour supérieure, que rien n’étant réglé quant au statut légal de ces compagnies, VeyLin et 9342 ont toujours existé telles qu’instituées à l’origine.

[169]       En conséquence, selon le raisonnement d’Immoca, elle ne contrôle pas VeyLin actuellement et ne la contrôlait pas plus au moment du transfert. Elle aurait donc droit, en l’absence d’un contrôle de jure, à l’application en sa faveur de l’exonération prévue à l’article 18 b) LDMI.

[170]       Ce transfert de propriété était clairement le produit des agissements d’Immoca et de monsieur Poulin qui se comportaient comme possédant l’ensemble des actions de VeyLin et 9342 mais soudainement, en vertu de la thèse soutenue par Immoca, il devient commode pour elle de plaider de façon quasi-rétroactive que monsieur Poulin et elle n’exerçaient pas – et n’ont jamais exercé – dans les faits, le contrôle de VeyLin.

[171]       En résumé, Immoca a toujours prétendu être la propriétaire de VeyLin et de 9342 et qu’elle était justifiée d’acquérir le contrôle de ces deux personnes morales 1o en raison des malversations alléguées et commises à l’endroit de monsieur Harvey et 2o de la transaction conclue avec Forès – et elle plaide toujours en cela en Cour supérieure – mais voilà, que pour les fins du présent dossier, elle affirme qu’elle ne contrôle plus VeyLin et 9342, qu’elle ne les a jamais contrôlées et qu’en conséquence, il ne peut être considéré qu’elle les contrôlait au moment du transfert de propriété.

[172]       Le contrôle de jure – ou son absence, en l’espèce – l’emporterait donc sur le contrôle de fait.

[173]       D’une certaine façon, comme l’a mentionné le soussigné à l’avocat d’Immoca lors de sa plaidoirie, elle se trouve à plaider une chose et son contraire ou en langage populaire chercher à avoir le beurre et l’argent du beurre, et se servir, bien commodément d’une position juridique qu’elle ne soutenait absolument pas à l’origine et qu’elle ne soutient toujours pas devant la Cour supérieure.

[174]       Sa position est intellectuellement habile, mais beaucoup trop spécieuse et contraire au simple bon sens au regard des faits mis en lumière par la preuve quant à qui contrôlait qui dans cette affaire, pour être retenue.

[175]       En conséquence, Immoca n’ayant pas réussi à démontrer de façon prépondérante qu’elle avait droit à l’exemption de paiement du droit de mutation en vertu des critères énoncés par l’article 18 LDMI, sa demande sera rejetée avec les frais de justice.

L’application de l’article 20 LI

[176]       En ce qui a trait, à l’article 20 LI et à l’utilisation de cet article en renfort de l’interprétation de l’article 19 LI auquel l’article 18 b) LDMI renvoie, le Tribunal n’aura pas eu besoin de sen servir pour en arriver à ses conclusions puisque l’article 19 LI était suffisamment complet pour qu’il puisse servir de base à son analyse.

[177]       Immoca a produit des autorités pour faire valoir son point de vue sur ce sujet. Le soussigné a en pris connaissance[26].

[178]       Le Tribunal considère que le renvoi à l’article 19 LI prévu à l’article 18 b) LDMI est précis et circonscrit, mais qu’il ne s’agit pas pour autant d’un renvoi figé dans le temps, puisque le Législateur, qui est parfaitement au courant du libellé de l’article 18 b) LDMI, peut toujours venir modifier à loisir, en pleine connaissance de cause, le texte de l’article 19 LI qui s’appliquerait alors au critère d’exonération prévu audit paragraphe b).

[179]       Cependant, puisque le Législateur ne l’a pas expressément prévu dans cet article 18 LDMI, et ce, d’autant plus dans un contexte où il s’agit d’une loi fiscale, l’application de l’article 20 LI pour interpréter l’article 19 est un renvoi indirect et, à ce titre, il ne peut être tenu compte dudit article 20 LI dans l’interprétation de l’article 19 LI auquel renvoie l’article 18 b), LDMI.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la demande introductive d’instance de la demanderesse, Société en commandite Immoca Immobilier;

LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

__________________________________

CHARLES G. GRENIER, J.C.Q.

 

Me Olivier Boileau

Lavery, De Billy, S.E.N.C.R.L.

Avocats de la demanderesse

 

Me Jean-Paul V. Morin

Tremblay Bois Mignault Lemay S.E.N.C.R.L.

Avocats de la défenderesse

 

Dates d’audiences :

20 et 21 décembre 2023

 


[1]  Chapitre D-15.1.

[2]  Chapitre I-3.

[3]  Voir Société de placement Forès inc. c. Société en commandite Immoca Immobilier, 2023 QCCS 3295, par. [12] et suivants; j. Éric Hardy.

[4]  Code civil du Québec, art. 2631 et 2632.

[5]  Société de placement Forès inc. c. Société en commandite Immoca Immobilier, voir note 3, par. [22].

[6]  Id.

[7]  2015 QCCS 1138, par. [17] et [19].

[8]  [2000] R.D.I. 455.

[9]  2007 QCCA 426.

[10]  [1998] R.D.I. 533, par. [26].

[11]  2020 QCCQ 2004.

[12]  [1994] 3 R.C.S. 29, p. 52 et 53.

[13]  [1994] CanLII 60 (CSC).

[14]  Voir notes 9 et 10.

[15]  Les Éditions Thémis, 5e édition, 2021.

[16]  Assurance-vie Desjardins c. Québec (Ville de), 1987 CanLII 426 (QC CA); Gagné c. Montréal (Ville de), voir note 7.

[17]  2022 QCCQ 7962.

[18]  Voir note 16.

[19]  Supra, par. [133].

[20]  Code civil du Québec, art. 2845.

[21]  Voir note 3.

[22]  1998 CanLII 827 (CSC).

[23]  2016 QCCQ 8757.

[24]  [1985] 2 RCS 288.

[25]  2021 QCCA 1843.

[26]  Millette c. Comité de surveillance de l’Association des courtiers d’assurances de la province de Québec, 2006 QCCA 711, par. [26]; Complexe sportif intérieur de Granby c. Ville de Granby, 2020 QCCQ 2004.

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