- L’appelante Société en commandite Immoca immobilier se pourvoit contre un jugement de la Cour du Québec rendu le 15 février 2024 (l’honorable Charles G. Grenier) qui rejette sa demande introductive d’instance visant à obtenir la restitution d’un droit de mutation de 95 948,50 $ payé sous protêt à l’intimée Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures.
- Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Rancourt et Bachand, LA COUR :
- DÉCLARE irrévocable le paiement de 95 948,50 $ fait à l’intimée;
- REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| GUY GAGNON, J.C.A. |
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| JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A. |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. |
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Me Sophie Blanchet Me Olivier Boileau |
LAVERY, DE BILLY |
Pour l’appelante |
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Me Jean-Paul Morin |
TREMBLAY, BOIS |
Pour l’intimée |
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Date d’audience : | 8 mai 2025 |
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- L’appelante Société en commandite Immoca immobilier (« Immoca ») a payé sous protêt 95 948,50 $ à l’intimée Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures (la « Ville ») pour acquitter un droit de mutation découlant du transfert d’un immeuble à son nom au moyen d’une prise en paiement. Le juge de la Cour du Québec a rejeté l’argument d’Immoca selon lequel, à l’époque de ce transfert, elle n’était pas une personne liée à sa débitrice cédante Société en commandite VeyLin (« VeyLin »). En conséquence, Immoca s’est vu refuser l’exonération prévue à l’article 18 de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (« L.d.m.i. »)[1]. Ce revers est à l’origine du présent pourvoi[2].
- Ce litige repose principalement sur l’application par le juge des notions de « personne liée » et de « contrôle » d’une société au sens des articles 18 L.d.m.i. et 19 de la Loi sur les impôts (« L.i. »)[3].
- En appel, Immoca plaide n’avoir jamais détenu le contrôle de jure de VeyLin. Pour sa part, et sans surprise, la Ville défend le dispositif du jugement entrepris qui confirme son droit de percevoir un droit de mutation sur le transfert de l’immeuble devenu la propriété d’Immoca. La Ville ajoute que même si le juge avait appliqué la mauvaise norme pour décider de l’exigibilité d’un droit de mutation (contrôle de facto), la preuve révèle que la sûreté consentie par VeyLin à Immoca ne l’a pas été de façon contemporaine à la convention de prêt intervenue entre ces parties. À ses dires, il s’agit là d’une lacune privant Immoca de l’exonération prévue par la loi.
- De plus, la Ville reproche au juge de ne pas avoir poussé plus loin son analyse des règles énoncées à l’article 20 L.i., des documents internes de VeyLin, de ceux de sa commanditée, la société 9342-0206 Québec inc. (« 9342 inc. »), et des documents contractuels signés par les parties. L’eût-il fait qu’il aurait nécessairement conclu qu’Immoca, à un moment pertinent durant sa relation avec VeyLin, détenait un droit d’acquérir des actions du capital-actions de 9342 inc. (paragr. 20b) L.i.), d’en prendre le contrôle de jure, et d’assumer l’administration de la société en commandite[4].
- Les parties ont renoncé à produire la transcription de la preuve administrée en première instance, préférant s’en remettre au résumé exhaustif consigné dans le jugement entrepris. Pour la suite des choses, je m’en tiendrai donc au récit factuel du juge.
PRÉSENTATION DES ACTEURS CONCERNÉS ET RÉSUMÉ DU JUGEMENT
- Au départ, il convient de présenter les principaux belligérants impliqués directement et indirectement dans cette affaire et de résumer le jugement entrepris dont il me faut souligner l’excellente facture.
- D’un côté, se trouve Immoca, une société en commandite spécialisée dans le prêt d’argent à court terme pour les projets immobiliers en attente d’un financement institutionnel. Deux sociétés agissent comme commanditaire. Il s’agit de Groupe Camada inc. (« Camada inc. »), une société contrôlée par la famille Poulin[5], et de Gestion Promada inc. (« Promada inc. »), elle-même contrôlée par M. David Poulin et par Fiducie Famille David Poulin. La commanditée d’Immoca est 9325‑6634 Québec inc. (« 9325 inc. ») et ses administrateurs et actionnaires sont tous des personnes liées à la famille Poulin.
- Au regard de cette structure corporative, on peut affirmer, sans risque de se tromper, que la famille Poulin contrôle Immoca et sa commanditée 9325 inc.
- De l’autre côté, il y a la société en commandite VeyLin, une entreprise œuvrant dans le développement immobilier. Les commanditaires de VeyLin sont Immoca et la Société de placement Forès inc. (« Forès inc. ») détenue par M. Dominique Briand‑Hudon et par 9177-5932 Québec inc., dont l’unique actionnaire est M. Hugues Harvey. La commanditée de VeyLin, 9342 inc., est détenue à parts égales par Immoca et Forès inc. Son conseil d’administration se compose de M. David Poulin, de Mme Marie‑France Poulin, et de MM. Dominique Briand-Hudon et Hugues Harvey.
- VeyLin est donc détenue à parts égales par un groupe composé de la famille Poulin et par un autre groupe composé de M. Hugues Harvey et de M. Dominique Briand‑Hudon. Les deux groupes sont représentés dans la même proportion dans l’actionnariat et le conseil d’administration de la commanditée 9342 inc.
- Bien qu’indirectement, le présent litige trouve sa source dans un prêt d’argent consenti par Immoca à VeyLin. Le défaut par cette dernière de rembourser sa dette à échéance est à l’origine de la décision d’Immoca de réaliser sa sûreté réelle publicisée sur différents immeubles, propriétés de sa débitrice, dont l’un est situé sur le territoire de la Ville. Le transfert de propriété qui en a résulté est à l’origine de l’imposition par la Ville du droit de mutation contesté devant la Cour du Québec.
- Dans ses motifs, le juge précise que la L.d.m.i. est une loi fiscale d’ordre public et qu’un droit de mutation équivaut à une taxe. Il ajoute que l’interprétation de cette loi doit répondre aux règles ordinaires d’interprétation des lois et viser à atteindre l’objectif législatif sous-tendant la disposition étudiée.
- Ensuite, il se penche sur les conditions donnant ouverture à l’exonération du paiement du droit de mutation prévues à l’article 18 L.d.m.i. Dans un premier temps, le juge se dit d’avis qu’Immoca est une véritable entreprise de prêt d’argent puisqu’elle consent régulièrement des prêts, garantis par des sûretés réelles, à des entrepreneurs et promoteurs immobiliers. Il détermine aussi que la cession de l’immeuble de VeyLin résulte de l’exercice d’une prise en paiement par Immoca à la suite d’un jugement rendu par la greffière spéciale de la Cour supérieure le 20 avril 2021[6].
- De plus, le juge accepte les versions de M. Stéphane St-Onge (directeur général de Camada inc.) et de M. David Poulin (vice-président de Camada inc.), venus dire que l’écart entre le droit de mutation exigé par la Ville (95 948,50 $) et la créance d’Immoca (plus de 4 000 000 $) démontre à lui seul que la prise en paiement de l’immeuble de VeyLin ne repose sur aucune intention d’évitement.
- Il ne reste donc qu’une condition à satisfaire pour qu’Immoca se mérite l’exemption prévue à l’article 18 L.d.m.i., en l’occurrence, la nécessité d’établir l’absence de lien entre elle et la cédante VeyLin. Sur cette question, le juge conclut que même si Forès inc. et Immoca détiennent à parts égales Veylin et 9342 inc., dans les faits, la famille Poulin exerce le contrôle effectif de ces deux entités depuis février 2019.
- Il me faut ouvrir ici une parenthèse et revenir en arrière pour mieux comprendre cette dernière conclusion du juge. Le 20 février 2018, Immoca, représentée par M. David Poulin, consent à VeyLin, alors représentée par M. Hugues Harvey, un prêt de 3 350 000 $ au taux annuel de 14 %[7]. La preuve au dossier nous apprend que VeyLin n’a effectué aucun remboursement sur cet emprunt.
- Au début de l’année 2019, pour diverses raisons liées à la gestion de VeyLin, M. David Poulin acquiert la conviction que des actes frauduleux sont posés par M. Hugues Harvey. Trois initiatives unilatérales sont alors lancées par M. David Poulin en vue de protéger le prêt d’Immoca contre les effets inhérents d’une malversation réelle ou appréhendée.
- La première survient le 8 février 2019. Pour le compte des actionnaires de 9342 inc., M. David Poulin, pour 9325 inc. au nom d’Immoca, signe deux résolutions spéciales des actionnaires dans lesquelles il est décidé de changer le district judiciaire et l’adresse postale de VeyLin pour que désormais ces informations officielles correspondent à celles d’Immoca. M. David Poulin et Mme Marie-France Poulin signent aussi une résolution du conseil d’administration de 9342 inc. qui va dans le même sens[8].
- Je rappelle que Forès inc. détient 50 % du capital-actions de 9342 inc., alors que la famille Poulin ne possède aucun droit dans la première société.
- La deuxième initiative survient le 11 novembre 2020. Dans le but de garantir le prêt consenti le 20 février 2018, VeyLin accorde à Immoca une hypothèque de premier rang sur quatre de ses immeubles, le tout consigné dans un acte notarié. M. David Poulin signe l’acte notarié pour 9325 inc. au nom d’Immoca et il signe à nouveau pour 9342 inc. au nom de VeyLin[9].
- Le dossier d’appel ne fait pas voir que les autres membres du conseil d’administration de 9342 inc., MM. Hugues Harvey et Dominique Briand-Hudon, sont intervenus d’une quelconque façon dans la décision de VeyLin de consentir une sûreté réelle en faveur d’Immoca.
- La troisième initiative se décompose en plusieurs démarches qui vont ultimement conduire au transfert de l’immeuble de VeyLin à Immoca. Le 10 décembre 2020, Immoca, dont le siège social est situé au 1480, 3e Avenue du Parc-Industriel, Sainte-Marie, signifie au siège social de VeyLin situé au 1480, 3e Avenue du Parc-Industriel, Sainte-Marie, un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire[10]. Ce préavis est publié quelques jours plus tard, le 18 décembre[11].
- Le même jour, Immoca signifie à la même adresse une demande introductive d’instance dans laquelle elle allègue détenir contre VeyLin une créance de 4 675 761,64 $. Cet acte de procédure est appuyé de la déclaration assermentée de Mme Marie‑France Poulin[12].
- Encore une fois, le dossier d’appel ne fait pas voir que Forès inc. et ses actionnaires ont été informés de ces démarches. D’ailleurs, le 12 février 2021, Immoca obtient un jugement par défaut de la Cour supérieure pour le même montant[13]. Le 24 février suivant, Immoca demande par voie judiciaire le délaissement forcé des immeubles détenus jusque-là par VeyLin, une autre demande qui demeure incontestée par la principale intéressée, probablement en raison du fait qu’elle est signifiée à l’adresse courriel « [...] »[14]. L’ordonnance recherchée sera accordée intégralement par un jugement de la Cour supérieure rendu le 20 avril 2021[15].
- Je referme ici la parenthèse pour revenir au jugement entrepris. Le juge n’ignore pas que la norme du contrôle de jure est celle admise par la jurisprudence pour apprécier la question du contrôle effectif d’une personne morale. Il estime toutefois que les circonstances de l’espèce et l’atteinte des objectifs législatifs permettent de faire primer le contrôle de facto sur celui de jure. Il détermine que les gestes de M. David Poulin n’ont été rendus possibles qu’en raison du contrôle de la famille Poulin exercé sur VeyLin et 9342 inc. Dans ces circonstances, Immoca ne peut bénéficier de l’exonération prévue par la L.d.m.i.
- Même si le juge considère ne pas avoir à recourir à l’article 20 L.i. pour interpréter l’article 19 L.i., il ajoute en obiter que, de toute façon, il ne peut considérer la première disposition pour trancher le débat dont il est saisi, car l’article 18 L.d.m.i. ne renvoie qu’à la seconde. À ses dires, dans un contexte de droit fiscal, un renvoi indirect n’est pas envisageable.
QUESTIONS EN LITIGE
- En appel, chacune des parties propose ses propres moyens :
- le qualificatif « assorti » énoncé aux syntagmes « prêt d’argent assorti de sûretés réelles » et « dette assortie de la sûreté réelle » utilisés à l’article 18 L.d.m.i. suppose une certaine contemporanéité entre le prêt et la création de la sûreté, ce que le juge a refusé de considérer à tort (argument de la Ville);
- le juge erre en droit en concluant qu’Immoca est une personne liée à VeyLin au sens de l’article 19 L.i. (moyen d’appel d’Immoca);
- le renvoi à l’article 19 L.i. énoncé au paragraphe b) de l’article 18 L.d.m.i. n’exclut pas les règles énoncées à l’article 20 L.i. (argument de la Ville).
- Les arguments soulevés par la Ville ne nécessitent pas qu’elle se porte appelante incidente, puisqu’elle les invoque dans le seul but de soutenir en appel le maintien du dispositif du jugement entrepris[16]. Cela dit, les questions b) et c) seront traitées ensemble, car chacune d’elles comporte en quelque sorte la réplique d’une partie à la position de l’autre.
DISCUSSION
- Je suis d’avis de confirmer le dispositif du jugement entrepris, mais en suivant un chemin différent de celui emprunté par le juge de première instance. Après avoir présenté les articles de loi applicables à ce pourvoi, je répondrai sommairement à l’argument de la Ville basé sur l’interprétation des termes « prêt d’argent assorti de sûretés réelles » contenus au paragraphe introductif de l’article 18 L.d.m.i. pour ensuite discuter des notions de « personnes liées » et de « contrôle » applicables à la présente affaire.
Les dispositions applicables
- Comme je m’apprête à l’expliquer, ce pourvoi soulève principalement une question d’interprétation législative qui obéit aux règles ordinaires d’interprétation axées principalement sur l’objet de la loi et l’intention législative[17]. Il s’agit d’une question de droit qui interpelle la norme de la décision correcte[18].
- D’un point de vue législatif, les prétentions de la Ville reposent sur l’application des articles 2 et 4 L.d.m.i. qui prévoient l’assujettissement du transfert d’un immeuble au paiement d’un droit de mutation :
2. Toute municipalité doit percevoir un droit sur le transfert de tout immeuble situé sur son territoire, calculé en fonction de la base d’imposition établie conformément au deuxième alinéa, selon les taux suivants : […] […] | 2. Every municipality must collect duties on the transfer of any immovable situated within its territory, computed in relation to the basis of imposition established in accordance with the second paragraph, according to the following rates: […] […] |
4. Le cessionnaire de l’immeuble dont il y a transfert est tenu au paiement du droit de mutation à la municipalité. […] | 4. The transferee of the immovable transferred shall be liable for payment of the transfer duties to the municipality. […] |
- Ces énoncés de principe comportent toutefois des exceptions. Ainsi, l’article 18 L.d.m.i. exempte aux conditions suivantes certains créanciers hypothécaires de l’application des articles 2 et 4 de la même loi :
18. Il y a exonération du paiement du droit de mutation lorsque l’entreprise du cessionnaire consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles et que les conditions suivantes ont été remplies : a) le transfert d’un immeuble au cessionnaire doit résulter de l’exercice d’une prise en paiement ou avoir été fait de toute autre manière dans le but soit d’éteindre une dette assortie de la sûreté réelle, soit d’assurer la protection d’une telle sûreté ou d’une créance; b) le cessionnaire ne doit pas être une personne liée au cédant au sens de l’article 19 de la Loi sur les impôts (chapitre I‐ 3); et c) le cessionnaire ne doit pas avoir acquis l’immeuble à la suite d’une ou de plusieurs opérations faites principalement dans le but d’éviter ou d’éluder le paiement du droit de mutation. | 18. There shall be an exemption from the payment of transfer duties where the business of the transferee consists in the lending of money on the security of real property and the following conditions have been fulfilled: (a) the transfer of an immovable to the transferee must result from the exercise of a right to take in payment or must have been effected in any other manner for the purpose of extinguishing a debt secured by real property or ensuring the protection of such security or of any claim; (b) the transferee must not be a person related to the transferor within the meaning of section 19 of the Taxation Act (chapter I-3); and (c) the transferee must not have acquired the land pursuant to one or more transactions made mainly for the purpose of avoiding or evading the payment of transfer duties. |
- Le juge considère qu’Immoca satisfait à trois des quatre conditions prévues par la loi : 1) cette société est une entreprise qui fait principalement dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles; 2) le transfert de l’immeuble de VeyLin à Immoca est le résultat d’une prise en paiement; et 3) les démarches entreprises par Immoca ne constituent pas de l’évitement fiscal.
- Il estime toutefois qu’Immoca et VeyLin sont des personnes liées au sens des articles 18b) L.d.m.i. et 19 L.i. Il parvient à cette conclusion sur la base d’une analyse strictement factuelle, d’où sa détermination selon laquelle la famille Poulin avait le contrôle de facto de VeyLin et de sa commanditée 9342 inc. lors du transfert de l’immeuble.
- Comme le fait voir le paragraphe 18b) L.d.m.i., la loi a recours à la notion de « personnes liées » pour décider de la question de l’exonération du paiement du droit de mutation. Cette disposition est complétée par un renvoi à l’article 19 L.i. :
19. 1. Aux fins de la présente partie, sont des personnes liées ou des personnes liées entre elles : a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l’adoption; b) une société et i. la personne qui contrôle cette société; ii. une personne membre d’un groupe lié qui contrôle la société; ou iii. une personne liée à celle visée au sous-paragraphe i ou ii; c) deux sociétés quelconques i. si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes; ii. si chacune d’elles est contrôlée par une personne et si la personne contrôlant l’une est liée à celle contrôlant l’autre; iii. si l’une d’elles est contrôlée par une personne liée à un membre d’un groupe lié qui contrôle l’autre; iv. si l’une des sociétés est contrôlée par une personne liée à chaque membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre; v. si l’un des membres d’un groupe lié contrôlant une des sociétés est lié à chaque membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre; ou vi. si chaque membre d’un groupe non lié contrôlant une des sociétés est lié à au moins un membre d’un groupe non lié qui contrôle l’autre. 2. Deux sociétés liées à une même société en vertu du paragraphe 1 sont réputées, aux fins du paragraphe 1 et de l’article 18, être liées entre elles. […] | 19. (1) For the purposes of this Part, related persons or persons related to each other are (a) individuals connected by blood relationship, marriage or adoption; (b) a corporation and i. a person who controls that corporation, ii. a person who is a member of a related group that controls the corporation, or iii. a person related to the person contemplated by subparagraph i or ii; (c) any two corporations i. if they are controlled by the same person or group of persons, ii. if each of them is controlled by a person and that person who controls one of the corporations is related to the person who controls the other corporation, iii. if one of them is controlled by a person related to any member of a related group that controls the other, iv. if one of the corporations is controlled by a person related to each member of an unrelated group that controls the other, v. if any member of a related group that controls one of the corporations is related to each member of an unrelated group that controls the other, or vi. if each member of an unrelated group that controls one of the corporations is related to at least one member of an unrelated group that controls the other. (2) Two corporations related to the same corporation under subsection 1 are deemed, for the purposes of subsection 1 and section 18, to be related to each other. […] |
- Cet article a recours à la notion de « contrôle » d’une société pour l’application de la notion de « personnes liées ». Or, la détermination de ce qu’est une situation de « contrôle » au sens de l’article 19 L.i. est elle-même soumise aux règles d’application de l’article 20 L.i. :
20. Pour l’application des articles 19 et 21.19, les règles suivantes s’appliquent : a) un groupe lié qui est en mesure de contrôler une société est réputé être un groupe lié qui la contrôle, qu’il fasse ou non partie d’un groupe plus vaste qui contrôle en fait la société; b) une personne qui, à un moment quelconque, a, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non : i. soit à des actions du capital-actions d’une société, ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne était propriétaire des actions à ce moment, sauf lorsque le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier; ii. soit d’obliger une société à racheter, acquérir ou annuler des actions de son capital-actions qui appartiennent à d’autres actionnaires, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si les actions étaient ainsi rachetées, acquises ou annulées par la société à ce moment, sauf lorsque le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier; […] | 20. For the purposes of sections 19 and 21.19, (a) a related group which is in a position to control a corporation is deemed to be a related group which controls it, whether or not it is part of a larger group which in fact controls the corporation; (b) where at any time a person has a right under a contract or otherwise, either immediately or in the future and either absolutely or contingently, i. to, or to acquire, shares of the capital stock of a corporation or to control the voting rights of such shares, the person is, except where the right is not exercisable at that time because the exercise thereof is contingent on the death, bankruptcy or permanent disability of an individual, deemed to have the same position in relation to the control of the corporation as if the person owned the shares at that time, ii. to cause a corporation to redeem, acquire or cancel any shares of its capital stock owned by other shareholders of the corporation, the person is, except where the right is not exercisable at that time because the exercise thereof is contingent on the death, bankruptcy or permanent disability of an individual, deemed to have the same position in relation to the control of the corporation as if the shares were so redeemed, acquired or cancelled by the corporation at that time, […] |
- En bref, tout transfert d’immeuble à l’intérieur des limites d’une municipalité est assujetti à un droit de mutation payable à cette municipalité (art. 2 L.d.m.i.). Toutefois, le cessionnaire peut être exonéré du paiement d’un droit de mutation dans le cas d’une prise en paiement si son entreprise consiste à effectuer des prêts d’argent assortis de sûretés réelles (art. 18 L.d.m.i.). Pour ce faire, ce cessionnaire est soumis aux autres conditions énumérées à cette disposition, dont celle de ne pas être lié au cédant au sens où l’entend l’article 19 L.i. (paragr. 18b) L.d.m.i.). Or, la notion de « personnes liées » intègre celle de « contrôle » définie selon les règles d’application mentionnées à l’article 20 L.i., lesquelles énoncent des présomptions irréfragables qui participent à identifier, au sens de la loi, la personne en situation de contrôle de la société.
La qualification de l’entreprise d’Immoca
- La Ville plaide que les mots « prêt d’argent assorti de sûretés réelles » utilisés à l’article 18 L.d.m.i. suggèrent une certaine contemporanéité entre la conclusion d’un prêt et la constitution de la sûreté qui en garantit le remboursement. Or, l’hypothèque constituée sur les immeubles de VeyLin a été consentie 33 mois après le versement du prêt, alors que cette société était déjà en défaut de paiement envers Immoca.
- Le juge note qu’au Registre des entreprises, Immoca se décrit comme une société d’investissement[19]. Le directeur général de Camada inc. explique que la mission première d’Immoca est d’investir dans des projets immobiliers au moyen de prêts garantis par hypothèque ou caution[20]. Depuis la création de cette société en 2015, elle aurait consenti pas moins de 17 prêts comportant ces caractéristiques.
- Cette preuve a conduit à cette autre détermination du juge :
[132] Même si Immoca n’est pas une institution prêteuse classique, comme une banque ou une caisse Desjardins, il reste que la preuve soumise au Tribunal démontre, de façon prépondérante, qu’elle effectue bel et bien des prêts assortis de sûretés réelles, et ce, d’une façon importante, organisée et régulière, au sens donné par la jurisprudence à la notion d’entreprise, et ce, à partir de la définition énoncée par le Code civil du Québec à son article 1525, troisième alinéa.
- Je n’ai rien à redire sur cette conclusion fondée sur l’appréciation de la preuve, une question de fait qui échappe au pouvoir de révision de la Cour.
- Quant à la question de la contemporanéité entre le prêt accordé à VeyLin et la sûreté dont il est assorti, le juge écrit :
[137] Pour les mêmes raisons que celles énoncées précédemment, le Législateur n’ayant pas cru bon de préciser que l’acte d’hypothèque devait avoir été conclu en même temps que le contrat de prêt pour qu’il puisse être considéré que le prêt d’argent était assorti « d’une sûreté réelle », le sens général des mots employés milite en faveur d’Immoca.
- Les « raisons […] énoncées précédemment » sont les suivantes :
[133] Dans un contexte où le Législateur a délibérément opté pour les termes généraux et quasi-génériques pour décrire le type d’entreprise visé dans cette phrase liminaire, soit « consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles », sans juger bon au cours des années de préciser, dans le but d’en restreindre la portée, ce qui doit être inclus ou non dans les termes généraux employés, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de conférer à ceux-ci, en application des principes doctrina[ux] reproduits plus haut, un sens général favorable à la personne de qui on exige le paiement du droit de mutation.
- Je suis d’accord avec cette interprétation à laquelle j’ajoute cette autre considération.
- Les mots « entreprise […] consist[ant] dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles » utilisés dans le préambule de l’article 18 L.d.m.i. ne visent qu’à cibler les entreprises qui exercent cette activité économique de façon régulière et organisée. D’ailleurs, il est généralement entendu que ce type d’entreprise ne consent pas des prêts sur une base commerciale sans une garantie suffisante. Il s’agit là d’une caractéristique générale propre à toute société de prêt organisée qui a pignon sur rue. La mention dont il est ici question contribue, avec d’autres facteurs, à distinguer le prêteur occasionnel du prêteur professionnel, le second étant le seul visé par l’exception prévue à l’article 18 L.d.m.i.
- Ce qui précède permet de rejeter le premier argument de la Ville.
Immoca et Veylin, des sociétés liées selon les termes de la L.i.
- En appel, les observations des parties se sont surtout concentrées sur les notions de « personnes liées » et de « contrôle ».
- Pour Immoca, ni elle ni Forès inc. n’avaient le contrôle effectif de VeyLin au moment du transfert de l’immeuble, puisque cette société en commandite est administrée par la commanditée 9342 inc., elle-même détenue à parts égales par Immoca et Forès inc., ces deux actionnaires détenant un droit équivalent d’élire le même nombre d’administrateurs au sein du conseil d’administration.
- Pour la Ville, le juge a eu recours implicitement à la notion de contrôle de jure pour décider de la question du contrôle de VeyLin et de sa commanditée 9342 inc. Elle ajoute qu’en appliquant aux faits de l’espèce l’article 20 L.i. en sus de l’article 19 L.i., le juge pouvait également conclure qu’Immoca avait le contrôle de jure de VeyLin à l’époque de la constitution d’une sûreté sur son immeuble et lors de sa mise en œuvre.
- Cela dit, le juge ne paraît pas avoir été impressionné par l’argument d’Immoca. Il retient notamment que M. David Poulin, par l’entremise de la commanditée 9325 inc., a eu, à un moment ou à un autre, la capacité juridique de changer unilatéralement l’adresse du siège social de la commanditée 9342 inc., de consentir au nom de VeyLin une hypothèque à Immoca et, après s’être signifié à lui-même des procédures judiciaires, d’obtenir le transfert de l’immeuble de VeyLin à Immoca sans le secours de Forès inc.
- Au regard de ce qui précède, on ne saurait blâmer le juge de s’être fié au poids de la preuve avant de convenir d’une prise de contrôle de facto de VeyLin par Immoca. Même les avocats de cette dernière ont opposé aux avocats de Forès inc. cette prise de contrôle dans un courriel du 2 décembre 2020 qu’il convient de citer in extenso :
Cher confrère,
Notre cliente, SEC Immoca nous a demandé de répondre à votre lettre de mise‑en‑demeure transmise à Me Catherine Poulin, notaire, le 27 novembre dernier.
Avant de répondre à vos demandes, il semble important de redresser les faits et préciser que votre cliente Société de Placement Forès inc. a déjà été détentrice de parts dans SEC Veylin et d’actions dans la Commandité 9342-0206 Québec inc. mais ne l’est plus depuis le 3 février 2020, date de signature de la Transaction et Quittance intervenue entre les parties.
Aux termes de cette Transaction et Quittance, notre cliente est l’unique détentrice des parts et actions dans SEC Veylin et sa commandité. Ceci étant dit, et sans préjudice et sous toutes réserves des droits de recours de notre cliente, nous vous transmettrons une copie de l’acte d’hypothèque et de la Convention de prêt intervenue.
Recevez, cher confrère, nos salutations,[21]
[Soulignement ajouté]
- Les termes de ce courriel renvoient à un document intitulé « Transaction et Quittance » daté du 2 février 2020 dont les parties prenantes sont VeyLin, Immoca, leurs commanditées respectives et les deux groupes intéressés. Ce document contractuel contient notamment ce paragraphe :
5. Forès s’engage irrévocablement par les présentes à céder et à transférer avec effet en date de sa signature de la présente Transaction et Quittance i) à Veylin, toutes ses parts dans Veylin et ii) toutes ses actions dans 9342 en considération du paiement de la Valeur Forès selon les modalités et conditions prévues aux présentes;[22]
- Immoca n’explique pas véritablement la contradiction entre sa position défendue en appel et celle révélée par le courriel de ses avocats. À ce jour, on ignore quel traitement les parties ont réservé à ce contrat. Chose certaine, selon sa clause 5, dès le 2 février 2020, Immoca et 9325 inc. sont en mesure de revendiquer le contrôle effectif de VeyLin, comme le confirme l’avocat d’Immoca dans son courriel du 2 décembre 2020.
- Je suis d’avis que la preuve soutient largement la conclusion du juge selon laquelle VeyLin était sous le contrôle de facto d’Immoca au moment où son immeuble situé dans les limites de la Ville a été transféré à cette dernière. Cependant, et cela dit avec égards, il ne s’agit pas du critère applicable à la situation de l’espèce.
La notion de « contrôle » à l’article 19 L.i.
- La jurisprudence ne souffre d’aucune ambiguïté quant à l’approche à suivre pour déterminer si une situation donnée correspond au contrôle effectif d’une société, et ce, aux termes de l’article 19 L.i.[23]. Les propos du juge Iacobucci dans l’arrêt de la Cour suprême rendu dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada sont clairs à ce sujet :
Ainsi, le contrôle de jure est devenu la norme canadienne, et le critère généralement admis à cet égard consiste à se demander si la partie qui détient le contrôle a, en vertu des actions qu’elle possède, la capacité d’élire la majorité des membres du conseil d’administration. […][24]
- Pour décider s’il y a contrôle de jure d’une société, il faut donc déterminer si son actionnaire majoritaire exerce un « contrôle effectif » sur ses affaires et sa mission. Cette question est habituellement tranchée en fonction de la propriété d’un nombre d’actions suffisant conférant à son détenteur la majorité des voix pour l’élection des administrateurs[25].
- Pour décider de l’existence ou pas du « contrôle effectif » d’une société, il faut s’en remettre à la teneur de ses documents internes. On parle ici des statuts de la société qui peuvent révéler l’existence de restrictions sur le pouvoir des actionnaires de contrôler l’élection du conseil d’administration. La convention unanime des actionnaires fait aussi partie des documents internes d’une société. Une entente de cette nature est, par définition, susceptible de prévoir certaines conditions relatives à la gestion de l’entreprise[26]. Finalement, l’acte de fiducie peut également être pertinent pour identifier la personne qui exerce le contrôle effectif d’une société[27].
- L’étendue des éléments dont il est permis de tenir compte afin de déterminer qui détient le contrôle effectif d’une société est ce qui distingue le contrôle de jure du contrôle de facto, critère retenu dans d’autres dispositions de la L.i.[28]. Dans le cas du contrôle de facto, un concept plus large, des conventions externes peuvent être aussi considérées[29]. À ce sujet, je note que l’arrêt Duha Printers reconnaît que la distinction entre le contrôle de jure et celui de facto continue de relever de la souveraineté parlementaire[30].
La détention réputée d’actions prévue à l’article 20 L.i.
- Comme je l’ai mentionné précédemment, l’article 20 L.i. prévoit entre autres que « [p]our l’application [de l’article 19 L.i.], […] une personne qui, à un moment quelconque, a, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non […] à des actions du capital-actions d’une société, ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne était propriétaire des actions à ce moment ».
- C’est donc dire que le législateur a choisi d’élargir le corridor réservé à l’analyse de la question du contrôle de jure d’une société en permettant d’aller au-delà de sa documentation interne pour aussi considérer « les droits juridiques des parties » et « ceux découlant des contrats », comme l’indique le juge Rowe dans l’arrêt de la Cour suprême rendu récemment dans Deans Knight Income Corp. c. Canada :
[96] Le paragraphe 256(8) prévoit que le contrôle est réputé avoir été acquis lorsque, pour contourner certaines dispositions, un contribuable obtient, entre autres, le droit : d’acquérir des actions; d’obliger une société à racheter, à acquérir ou à annuler des actions; d’acquérir ou de contrôler les droits de vote; ou de faire réduire les droits de vote d’autres actionnaires (voir l’al. 251(5)b)). Si le droit prévu, lorsqu’il est exercé, confère au contribuable le contrôle de jure de la société, le par. 256(8) prévoit que ce contrôle est réputé avoir été acquis lorsque le droit a été acquis. Ce paragraphe mérite notre attention puisque, même s’il traite principalement des droits relatifs aux actions, il va au-delà de la documentation habituelle considérée pour l’analyse fondée sur le critère du contrôle de jure. En effet, il prévoit l’évaluation des droits juridiques, y compris ceux découlant de contrats. Le paragraphe 256(8) comble une lacune qui aurait permis aux sociétés d’acquérir un droit contractuel qui, s’il était exercé, leur aurait permis de contrôler la société (Fiscal Statement (1980), p. 40; G. W. Flynn, « Tax Planning for Corporations with Net Capital and Noncapital Losses », dans Corporate Management Tax Conference, Current Developments in Measuring Business Income for Tax Purposes (1982), 208, p. 209). Plus généralement, il démontre que le critère du contrôle de jure prévu au par. 111(5) ne vise pas, à lui seul, l’éventail complet des situations que le Parlement souhaitait viser; il doit plutôt être interprété comme un indicateur visant à donner effet aux objectifs plus larges du Parlement tout en offrant un certain degré de clarté et de stabilité dans la plupart des cas.[31]
[Soulignement ajouté]
L’applicabilité de l’article 20 L.i. dans le contexte du renvoi à l’article 19 L.i. figurant au paragraphe 18b) L.d.m.i.
- Le jugement entrepris n’aborde pas la question du « contrôle effectif » de VeyLin et de sa commanditée 9342 inc. sous l’angle préconisé par l’arrêt Duha Printers, pas plus qu’il ne se réfère à l’article 20 L.i. pour décider de cette question.
- Le juge considère que le recours à cette dernière disposition aux fins d’application de l’article 18 L.d.m.i. constitue un renvoi indirect dont il ne doit pas être tenu compte dans l’interprétation de l’article 19 L.i.[32]. Avec égards, je ne souscris pas à ce raisonnement.
- Les dispositions dont il s’agit ici relèvent toutes de l’ordre des lois fiscales. Il est maintenant bien établi que ces lois s’interprètent selon les règles modernes d’interprétation, c’est-à-dire en lisant « les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[33]. Cette règle d’interprétation a été ainsi rappelée par ma collègue la juge Marcotte dans l’arrêt Agence du revenu du Québec c. Larocque :
[35] L’approche traditionnelle littérale et restrictive, autrefois privilégiée en matière d’interprétation des lois fiscales, est révolue. Les lois fiscales sont désormais interprétées comme toute autre loi et ce n’est qu’en cas de doute raisonnable qu’elles le seront en faveur du contribuable.
[36] Les principes applicables ont été résumés par la Cour suprême dans l’affaire Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon‑Secours, dans un jugement unanime, sous la plume du juge Gonthier :
˗ L’interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d’interprétation;
˗ Qu’une disposition législative reçoive une interprétation stricte ou libérale sera déterminé par le but qui la sous-tend, qu’on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l’objet de celle-ci et de l’intention du législateur; c’est l’approche téléologique;
˗ Que l’approche téléologique favorise le contribuable ou le fisc dépendra uniquement de la disposition législative en cause et non de l’existence de présomptions préétablies;
˗ Primauté devrait être accordée au fond sur la forme dans la mesure où cela est compatible avec le texte et l’objet de la loi;
˗ Seul un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d’interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable.[34]
[Renvois omis]
- Il est vrai que le paragraphe 18b) L.d.m.i. se contente d’un renvoi à l’article 19 L.i. pour déterminer si le cessionnaire est une personne liée au cédant. Cette dernière disposition participe à définir ce qu’est une « personne liée », une notion qui inclut la dimension de « contrôle » lorsqu’il est question de sociétés (sous-paragr. 19(1)b)i. L.i.).
- Le législateur aurait pu décider de s’en tenir aux règles de l’article 19 L.i. pour cerner la notion de contrôle, mais il a plutôt choisi de compléter cette disposition par une série de présomptions irréfragables énoncées à l’article 20 L.i.[35], en exigeant, aux fins d’application de l’article 19, d’aller au-delà de la seule documentation interne d’une société pour décider de la question du contrôle de jure.
- En effet, l’article 20 L.i. vient cerner la notion de « contrôle » en énonçant sous forme de règles applicables à l’article 19 L.i. les situations qui conduisent à une conclusion de contrôle. En somme, le législateur a choisi de mettre en rapport la notion de « contrôle » (art. 20 L.i.) avec celle de « personnes liées » (art. 19 L.i.) de sorte à en situer le contexte et la portée.
- Il serait pour le moins incohérent que ce rapport disparaisse sous prétexte que le paragraphe 18b) L.d.m.i. ne renvoie qu’à l’article 19 L.i., alors que cette dernière disposition est déjà soumise aux règles impératives d’application énoncées à l’article 20 L.i. En ce sens, rien ne permet de croire que le législateur ait voulu une interprétation différente de l’article 19 L.i. selon qu’il s’agisse de l’application de la L.d.m.i. ou de la L.i. La cohérence entre les lois fiscales milite contre une telle interprétation, au risque de nuire à la prévisibilité de ces lois tout en empêchant d’anticiper convenablement leurs effets.
- Pour ces raisons, je suis d’avis que les articles 19 et 20 L.i. sont complémentaires et indissociables. Le renvoi contenu au paragraphe 18b) L.d.m.i. exige d’en prendre acte.
L’application des articles 19 et 20 L.i. aux faits de l’espèce
- Maintenant, regardons de plus près les articles 19 et 20 L.i. pour vérifier comment ils trouvent application en l’espèce.
- Le sous-sous-paragraphe 19(1)b)i. L.i. prévoit qu’une société est liée à la personne qui la contrôle. Pour sa part, le sous-paragraphe 20b)i. L.i. contient la présomption irréfragable suivante : « une personne qui, à un moment quelconque, a, en vertu d’un contrat ou autrement, un droit immédiat ou futur, conditionnel ou non […] à des actions du capital-actions d’une société, ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne était propriétaire des actions à ce moment […] » [soulignements ajoutés].
- Pour examiner les droits découlant des contrats, comme le prévoit cette disposition, il faut prendre en compte certaines des conventions produites en première instance, dont la convention de prêt intervenue entre Immoca et VeyLin le 20 février 2018[36], la convention de société en commandite signée par les commanditaires de VeyLin (Immoca et Forès inc.) le 21 juin 2016[37], la convention des actionnaires de 9342 inc. (Immoca et Forès inc.) signée le même jour[38] et la transaction et quittance signée le 2 février 2020 par différents intervenants, dont Immoca et VeyLin[39].
- Il n’est pas contesté qu’au moment où le prêt est contracté par VeyLin, la commanditée 9342 inc. est détenue à parts égales par Immoca et Forès inc. et que cette même commanditée « administre, contrôle et exploite seul[e] les affaires de [VeyLin] »[40].
- Toutefois, en cas de défaut de paiement de VeyLin, la convention de prêt stipule :
8.2 Dans tous les cas de défaut ci-devant mentionnés, le Prêteur pourra demander le paiement immédiat de tout montant prêté, demeuré impayé, et exercer tout droit lui bénéficiant aux termes des sûretés visées à l’article 7 ci-devant. Le Prêteur pourra également choisir de convertir une partie ou la totalité des intérêts et/ou du capital impayés en parts de l’Emprunteur à la juste valeur marchande au moment de la conversion. Cette option de conversion sera toutefois limitée de façon à ce que le Prêteur détienne un maximum de 70 % des parts de l’Emprunteur.
[Soulignement ajouté]
- Au regard de cette clause, Immoca détenait donc un droit futur et conditionnel l’autorisant à convertir en sa faveur une partie des parts de l’emprunteur détenues dans VeyLin pour satisfaire en tout ou en partie au paiement de sa créance en capital et intérêt.
- De plus, la clause 24.1 de la convention de société en commandite de VeyLin prévoit que :
24.1 Toute Cession de Parts effectuée conformément à la Convention obligera le cédant à céder au cessionnaire, concurremment à la Cession de Parts, toutes les actions qu’il possède du Commandité. Et toute Offre faite par un tiers de bonne foi devra inclure obligatoirement une Offre des actions que détient le Commanditaire dans le Commandité.
[Soulignement ajouté]
- On retrouve une disposition analogue dans la convention d’actionnaires de la commanditée 9342 inc., cette fois en cas de cession d’actions :
19.1 Toute Cession d’actions effectuée conformément à la Convention obligera le cédant à céder au cessionnaire, concurremment à la Cession d’actions, toutes les Parts qu’il possède de Société en commandite VeyLin. Et toute Offre faite par un tiers de bonne foi devra inclure obligatoirement une Offre des Parts que détient l’Actionnaire dans Société en commandite VeyLin.
[Soulignement ajouté]
- Il y a aussi cette autre clause de la même convention d’actionnaires qui stipule que l’actionnaire qui viendrait à détenir un pourcentage supérieur à 50 % du capital-actions de 9342 inc., aura le droit d’élire un représentant additionnel sur le conseil d’administration de la société :
6.1 Tant et aussi longtemps que les Actionnaires détiendront les Actions en parts égales, les Actionnaires devront faire en sorte que le conseil d’administration de la Société soit composé d’un minimum de deux (2) administrateurs, dont un (1) nommé par lmmoca et un (1) par Forès. Les Actionnaires reconnaissent que le droit de nommer les administrateurs du conseil d’administration de la Société est directement relié au pourcentage de détention des Actions et des parts de la Société en commandite VeyLin. En conséquence, dès qu’un Actionnaire détiendra un pourcentage supérieur à 50 % des Actions et des parts de la Société en commandite VeyLin, cet Actionnaire aura le droit d’élire un représentant de plus sur le conseil d’administration de la Société. Dans le cas où le pourcentage de détention des Actions et des parts de la Société en commandite VeyLin deviendra à nouveau égal, cet Actionnaire s’engage à obtenir la démission de l’un de ses représentants sur le conseil d’administration de la Société.
Dans le cas où l’un ou l’autre des Actionnaires détiendrait un pourcentage inférieur à 30 % de la totalité des Actions émises et en circulation de la Société, cet Actionnaire perdra automatiquement le droit de nommer un représentant sur le conseil d’administration de la Société et s’engage à obtenir la démission de son représentant sur le conseil d’administration.
[Soulignement ajouté]
- Lorsque l’on procède à une lecture intégrale de la convention régissant la société en commandite VeyLin, et en la superposant avec la convention d’actionnaires de sa commanditée 9342 inc., on réalise le souci de ses signataires de toujours maintenir une symétrie entre l’attribution des parts sociales parmi les commanditaires de VeyLin et la répartition des actions parmi les actionnaires de 9342 inc.
- Il s’ensuit qu’un mouvement dans les parts de VeyLin entraîne nécessairement un mouvement correspondant au sein des détenteurs d’actions de 9342 inc., avec comme conséquence la possibilité d’avoir une incidence directe sur la gestion des affaires courantes de la société, l’actionnaire majoritaire ayant la capacité de nommer la majorité des administrateurs.
- En l’espèce, advenant un défaut de paiement de la part de VeyLin, Immoca détient un droit de convertir en totalité ou en partie sa créance en parts de VeyLin, ce droit étant assorti du droit corollaire d’acquérir dans les mêmes proportions des actions de 9342 inc. Dans le cas où elle exercerait cette option de conversion, Immoca détiendrait alors le contrôle effectif de 9342 inc. et, en conséquence, celui de VeyLin.
- Le sous-paragraphe 20b)i. L.i. prévoit que toute personne se trouvant dans la situation que je viens de décrire « est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si cette personne était propriétaire des actions à ce moment ».
- Pour l’application de cette présomption, il n’est donc pas nécessaire que la personne ait choisi d’exercer son droit d’acquérir des actions. Il suffit que ce droit existe en temps opportun pour que son titulaire soit réputé être le propriétaire effectif des actions aux fins d’apprécier sa position relativement au contrôle de la société.
- En somme, selon les règles énoncées au sous-paragraphe 20b)i. L.i. et au sens où l’entend le sous-paragraphe 19b)i. L.i., Immoca est réputée contrôler VeyLin et y être liée à compter du 12 février 2021[41]. En conséquence, Immoca ne satisfait pas à la condition prévue au paragraphe 18b) L.d.m.i., soit celle de ne pas être une personne liée au cédant, et ne peut être exonérée du paiement du droit de mutation à la Ville.
- Mais il y a plus. La transaction et quittance intervenue 2 février 2020 entre Immoca et VeyLin prévoit expressément que le contrôle de cette dernière et celui de sa commanditée 9342 inc. passent directement aux mains de la première.
- Cette entente fait partie des « contrat[s] » mentionnés au paragraphe 20b) L.i. Elle permet d’évaluer les droits respectifs d’Immoca et de Forès inc. pour décider de la question du contrôle effectif de VeyLin et de celui de sa commanditée 9342 inc.
- Que le changement de contrôle mentionné dans cette entente se soit réalisé ou pas a peu d’importance. Le libellé de la transaction doit être lu et compris au regard des règles énoncées à l’article 20 L.i. Celles-ci permettent de présumer qu’Immoca, en sa qualité de détentrice d’un droit immédiat ou futur était, à un moment quelconque, et de toute façon à un moment contemporain au transfert de l’immeuble de VeyLin, en situation de nommer la majorité des administrateurs de 9342 inc. puisqu’en principe, toutes les actions détenues par Forès inc. lui avaient été transférées.
- À moins d’être résiliée pour une cause légalement admissible, cette transaction a l’autorité de la chose jugée entre ses signataires même si l’éventualité d’une exécution forcée est suspendue jusqu’à son homologation[42].
- D’ailleurs, je ne puis voir en vertu de quel autre droit que celui conféré par cette transaction Immoca aurait pu s’autoriser d’agir unilatéralement pour changer le district du siège social de VeyLin et obtenir de la part de cette partie une sûreté qui va ultimement conduire au transfert de son immeuble en faveur de sa créancière. C’est d’ailleurs la position alléguée par les avocats d’Immoca dans leur courriel du 2 décembre 2020[43].
- De toute façon, comme je l’ai écrit précédemment, la seule existence de ce contrat suffit pour conclure qu’Immoca est une personne liée à VeyLin en raison du contrôle de jure exercé par la première sur la seconde au sens des arrêts Duha Printers[44] et Deans Knight[45] ainsi que des règles énoncées à l’article 20 L.i., applicables à l’article 19 de la même loi auquel renvoi l’article 18 L.d.m.i.
- Ce contrôle de jure est en quelque sorte corroboré par les initiatives unilatérales de M. David Poulin dont il a été question précédemment dans mes motifs.
- Bien que j’emprunte un chemin différent de celui du juge de première instance pour trancher ce pourvoi, comme lui, j’estime qu’Immoca n’a pas droit à l’exemption prévue à l’article 18 L.d.m.i. En conséquence, je propose de confirmer le dispositif du jugement entrepris, de déclarer valide et irrévocable le paiement d’Immoca fait à la Ville et de rejeter l’appel avec les frais de justice.
[1] Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, RLRQ, c. d-15.1.
[2] Société en commandite Immoca immobilier c. Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures, 2024 QCCQ 637 [Jugement entrepris].
[3] Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3.
[5] La famille Poulin se compose de M. Placide Poulin, de Mme Pierrette Vachon et de leurs enfants David, Marie-France et Catherine Poulin.
[6] Pièce P-4, Jugement rendu par la Cour supérieure du Québec, chambre civile, le 20 avril 2021.
[7] Pièce D-17, Convention de prêt.
[8] Pièce D-38, Résolutions des actionnaires et du conseil d’administration du commandité du 8 février 2019, en liasse.
[9] Pièce D-18, Hypothèque immobilière publiée sous le numéro 25 843 089.
[10] Pièce D-22, Préavis d’exercice daté du 8 décembre 2020 et procès-verbal de signification.
[11] Pièce P-7, Index des immeubles, cadastre du Québec, circonscription de Portneuf.
[12] Pièce D-19, Plumitif, dossier 200-17-031811-201; Pièce D-20, Jugement du 12 février 2021 rendu par Me Sandrine Carle, 200-17-031811-201.
[13] Pièce D-20, Jugement du 12 février 2021 rendu par Me Sandrine Carle, 200-17-031811-201.
[14] Pièce D-24, Demande en délaissement forcé, dossier 200-17-032053-217.
[15] Pièce P-4, Jugement rendu par la Cour supérieure du Québec, chambre civile, le 20 avril 2021.
[16] Voir : Segalovich c. CST Consultants inc., 2019 QCCA 2144, paragr. 20, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 28 mai 2020, no 39054, et la jurisprudence citée.
[17] Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, p. 20; Association québécoise des pharmaciens propriétaires c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2021 QCCA 699, paragr. 49-50.
[18] Chowieri c. Ville de Gatineau, 2022 QCCA 1104, paragr. 35.
[19] Jugement entrepris, paragr. 14.
[21] Pièce D-36, Courriel du 2 décembre 2020.
[22] Pièce D-40, Transaction du 2 février 2020 et courriels, en liasse (pièces P-26 et P-27, dossier 200‑17‑0032630‑212).
[23] Il s’agit de la jurisprudence interprétant l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), l’équivalent fédéral de l’article 19 L.i.
[24] Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, paragr. 36.
[26] Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1, « Les aspects juridiques », Montréal, Wilson & Lafleur, 2023 (feuilles mobiles, mise à jour no 114, octobre 2024), paragr. 27-38.6.
[27] Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, supra, note 24, paragr. 48-49.
[28] Voir en guise d’exemples les articles 21.01.1, 21.4.0.3, 21.19 et 21.20 L.i.
[29] Deans Knight Income Corp. c. Canada, 2023 CSC 16, paragr. 91-93; Bresse Syndics Inc. c. Canada, 2021 CAF 115, paragr. 22-24.
[30] Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, supra, note 24, paragr. 52.
[31] Deans Knight Income Corp. c. Canada, supra, note 29, paragr. 96. L’alinéa 251(5)b) est la disposition fédérale analogue à l’article 20 L.i.
[32] Jugement entrepris, paragr. 179.
[33] Stubart Investments Ltd. c. The Queen, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87. Voir aussi : Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, p. 540-547.
[34] Agence du revenu du Québec c. Larocque, 2016 QCCA 556, paragr. 35-36, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 novembre 2016, no 37043. Voir aussi, spécifiquement en matière d’interprétation de la L.d.m.i. : Carrière St-Eustache ltée c. Boisbriand (Ville de), 2014 QCCA 2233, paragr. 32.
[35] Voir article 2847 al. 2 C.c.Q
[36] Pièce D-17, Convention de prêt.
[37] Pièce D-13, Convention de société en commandite amendée et refondue.
[38] Pièce D-41, Convention d’actionnaires de 9342-0206 Québec inc.
[39] Pièce D-40, Transaction du 2 février 2020 et courriels, en liasse (pièces P-26 et P-27, dossier 200‑17‑0032630‑212).
[40] Pièce D-13, Convention de société en commandite amendée et refondue, article 7.1
[41] Pièce D-20, supra, note 13. Le jugement du 12 février 2021 (200-17-031811-201) prévoit des intérêts à compter du 7 janvier 2021, de sorte que le défaut de la débitrice pourrait même remonter à cette date.
[43] Pièce D-36, Courriel du 2 décembre 2020.
[44] Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, supra, note 24.
[45] Deans Knight Income Corp. c. Canada, supra, note 29.