Décision

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Ville de Beauceville c. Bourassa Sport Technologie inc.

2018 QCCQ 5141

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUCE

LOCALITÉ DE

SAINT-JOSEPH-DE-BEAUCE

« Chambre civile »

N° :

350-22-000111-149

 

 

 

DATE :

6 juillet 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHRISTIAN BRUNELLE J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

VILLE DE BEAUCEVILLE

Demanderesse-défenderesse reconventionnelle

c.

BOURASSA SPORT TECHNOLOGIE INC.

Défenderesse-Demanderesse reconventionnelle

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]   La demanderesse, Ville de Beauceville (« Ville »), réclame à la défenderesse, Bourassa Sport Technologie (« BST inc. »), la somme de 77 599,50 $. Elle soutient que les travaux exécutés par l’entreprise, à la suite d’un appel d’offres visant l’aménagement de terrains de tennis extérieurs, ne sont pas conformes aux règles de l’art.

[2]   En défense, BST inc. avance que les difficultés rencontrées dans l’exécution du contrat sont plutôt attribuables à la négligence de la Ville et de ses préposés. Par sa demande reconventionnelle, l’entreprise plaide que le recours exercé contre elle est abusif et empreint de mauvaise foi et réclame ainsi à la Ville une somme de 43 484,69 $ pour couvrir les coûts supplémentaires qu’elle dit avoir engagés.

I)          CONTEXTE

[3]   En 1988, la Ville de Beauceville offrait à sa population de nouveaux terrains de tennis, sur fond asphalté. À partir de 2002, des fissures pointent à la surface, puis augmentent en nombre et en élévation dans les années qui suivent.

Le projet de réfection des terrains de tennis

[4]   Monsieur Paul Morin est directeur des loisirs de la Ville. À partir de 2006, il entreprend des recherches et recueille progressivement des informations auprès de divers fournisseurs et d’autres municipalités en prévision d’un projet de réfection de la surface existante.

[5]   Il travaille de concert avec monsieur Michel Mercier, technicien en loisirs et responsable des sports à la Ville. Les deux hommes visitent plusieurs terrains de tennis et sont séduits par une membrane nommée Prosurface installée sur un terrain de tennis privé de St-Michel-de-Bellechasse.

[6]   Leur « réseau de contacts » les mène vers monsieur Roland Bourassa qui se présente comme « consultant » en aménagement, construction et réfection de terrains de tennis, sa carte d’affaire précisant qu’il agit comme « directeur technique » pour BST inc.[1]

[7]   Les services de monsieur Bourassa sont retenus par la Ville comme « personne-contact pour trouver des solutions », mentionne monsieur Morin, « il avait de l’expérience ».

[8]   Le 3 décembre 2008, après s’être rendu voir les terrains de tennis de la Ville, monsieur Bourassa écrit à monsieur Morin et détaille trois solutions possibles :

-           Solution A : Réfection avec asphalte

-           Solution B : Réfection avec membrane Prosurface

-           Solution C : Réfection avec tapis synthétique

[9]   Messieurs Morin et Mercier privilégient la Solution B : « Ça me semble un bon choix », témoigne le directeur des loisirs.

[10]        En août 2009, les deux hommes préparent un document qui fait la synthèse de leurs démarches, analyses et propositions.[2] Ils décrivent ainsi leur « Choix de surface » :

Membrane synthétique « pro-surface » de +/- ½ pouces d’épaisseur, de couleur bleue et verte (avec recouvrement acrylique).

Garantie Pièces-Main d’œuvre : 5 ans

Durée de vie : 20 ans minimum

[11]        Sous la rubrique « Éléments principaux », ils précisent notamment :

-           On maintient les terrains au même endroit en améliorant le drainage et en solidifiant les contours

-           On corrige et/ou remplace les éléments de la clôture et les systèmes d’ancrage et de filets

-           […]

-           On prépare la surface actuelle afin de recevoir une surface synthétique de type « Pro-Surface »

-           On laisse l’asphalte

-           On la recouvre d’une surface compactable, on corrige les pentes, on pose la membrane synthétique

[12]        Le document est présenté au conseil municipal le 24 août 2009. Par résolution, celui-ci convient : « De donner suite au projet de rénovation des terrains de tennis prévu au printemps 2010 ».[3]

[13]        Le 21 mai 2010, en réponse à un appel d’offres[4], BST inc. dépose une soumission pour la fourniture et l’installation d’un revêtement (« Système Pro-Surface ») destiné à servir de terrains de tennis pour la population.

[14]        Monsieur Alexandre Valiquette, directeur des travaux chez BST inc., témoigne s’être rendu sur place avant que l’entreprise ne fasse sa soumission et avoir constaté que la vieille surface existante était « pas mal maganée ».

Le contrat conclu avec BST inc.

[15]        Le 7 juin 2010, par résolution de son conseil, la Ville autorise les travaux de rénovation de ses terrains de tennis et accepte l’offre de BST inc. « pour la surface des terrains au montant de 69 300 $, excluant les taxes ».[5]

[16]        Monsieur Morin est chargé du projet et assure la supervision de l’ensemble des travaux de préparation de la surface effectués par le service des travaux publics de la Ville.

[17]        Une couche de poussière de pierres - le consultant Bourassa parle de « poussière de mine » du fait que « c’est fin, fin, fin » - est étendue par une niveleuse sur la surface asphaltée existante et mise à niveau au moyen d’un laser.

[18]        Ces travaux de préparation sont complétés en août 2010.

[19]        BST inc. entreprend alors ses travaux à partir de la surface préparée par la Ville.

[20]        Les précipitations retardent l’avancement des travaux : « C’est dame Nature qui décidait pas mal », remarque monsieur Morin.

[21]        Le revêtement de caoutchouc est complété en septembre. À ce moment, monsieur Morin se dit préoccupé par le fait que les contours du terrain ne sont pas convenablement arrimés aux clôtures.

[22]        Vu les conditions climatiques automnales qui sévissent, il est convenu de reporter la fin des travaux au printemps 2011.

Les constats du printemps 2011

[23]        À la fonte des neiges, l’état des terrains de tennis est préoccupant : « La peinture écale », « Ça décalottait », dit monsieur Morin, « un peu partout sur l’ensemble de la surface ». Selon l’expression de monsieur Mercier, la surface est « injouable et impraticable ».

[24]        « On a un problème », reconnaît alors monsieur Valiquette de BST inc.

[25]        En mai 2011, son équipe se mobilise et travaille à gratter la surface, devenue friable et lézardée, afin de la remettre en état : « C’était quand même très affectée », observe monsieur Morin.

[26]        Nouvellement en fonction comme directeur général de la Ville, monsieur Félix Nunez confirme que le terrain était « loin d’une finition acceptable ».

[27]        BST inc. peine à expliquer ce qui se produit et suggère à la Ville d’obtenir une expertise d’une firme d’ingénierie sur la source de la problématique.

[28]        Jugeant que l’entreprise cherche ainsi à refiler à la Ville une responsabilité qui lui échoit aux termes du contrat, le conseil municipal refuse d’agréer à cette demande.

[29]        BST inc. se résout donc à retenir les services de l’ingénieur Steven Duquette, expert en sol, pour l’assister.

Un problème de drainage?

[30]        Le 29 juin 2011, des représentants de la Ville et de BST inc. tiennent une rencontre sur le chantier afin de constater l’état des lieux.

[31]        De l’avis de l’ingénieur Duquette, qui est présent, le système est à ce moment « saturé d’eau ». Selon lui, un problème de drainage explique le piètre résultat obtenu.

[32]        Les courts étant plus bas que le pourtour des terrains, l’eau stagne sur les côtés, sans pouvoir être évacuée efficacement. Il faut donc abaisser le niveau du sol autour des terrains.

[33]        Par ailleurs, il y a présence d’un « mur de roc » à proximité des lieux, lequel décline en partie sous les terrains. L’eau de surface qui coule sur le roc termine ainsi sa course sous l’asphalte. Comme le roc ne constitue pas une surface uniforme et présente des cavités, des « pochettes d’eau » sont susceptibles de se former sous la surface. Par l’effet du gel, une pression hydraulique verticale s’exerce sous les courts. Puis, quand l’eau finit enfin par se retirer, la surface tend à se fissurer ou à s’affaisser, conclut l’expert.

L’entente du 7 juillet 2011

[34]        Le 7 juillet 2011, les parties concluent un « Accord de continuation des travaux ».[6]

[35]        Monsieur Nunez témoigne qu’à ce moment, « la pression sociale est très forte » du fait que la population est privée de la jouissance de ses terrains de tennis pour un deuxième été consécutif.

[36]        La Ville s’engage ainsi à effectuer divers travaux, dont la mise en terre d’un drain de contour sur les côtés est et nord du terrain.[7] Les services de l’entreprise Les excavations Jean-Louis Mathieu inc. sont retenus à cette fin.

[37]        Monsieur Morin assure la surveillance de ces travaux : « On en fait plus que prévu », affirme-t-il, disant même avoir rajouté des drains supplémentaires au sud et à l’ouest, par mesure préventive.[8]

[38]        Ces travaux, « très intenses » selon ses dires, commencent vers le 21 juillet 2011 et se terminent à la fin du mois.[9]

[39]        BST inc. reprend ses travaux de réfection de la surface par la suite. Monsieur Mercier en assure la surveillance, pendant les vacances de monsieur Morin.

[40]        Le 5 août 2011, madame Carole Bourassa, présidente de BST inc., adresse un courriel au directeur général de la Ville et se fait rassurante : « Tout se déroule selon les règles de l’art ».

L’insatisfaction de la Ville

[41]        Le 20 août 2011, monsieur Mercier écrit un courriel à madame Bourassa et lui signale que la peinture verte appliquée sur la surface ne présente pas un fini uniforme.[10]

[42]        Le 30 août 2011, madame Bourassa considère qu’il y a « MISSION ACCOMPLIE! » de la part de son entreprise après l’application des deux dernières couches de revêtement vert foncé.[11]

[43]        Ce même jour, l’avocat de la Ville met BST inc. en demeure :

[…] de faire le nécessaire afin de corriger les lacunes importantes au niveau de la surface acrylique des terrains de tennis que vous avez apposée. En effet, il est manifeste que les travaux réalisés ne rencontrent pas les standards en la matière et il est inconcevable, pour notre cliente, de livrer à la population des terrains de tennis dans un tel état. […][12]

[44]        Monsieur Morin est de retour au travail en septembre 2011. Il constate, avec monsieur Mercier, que certaines portions de la surface sont affaissées, d’autres souffrent de décoloration ou présentent des irrégularités.

[45]        Une nouvelle rencontre réunissant six représentants de la Ville et deux représentants de BST inc. se tient sur le terrain de tennis, le 14 septembre 2011, et mène à des discussions « très animées », selon monsieur Morin.

L’entente du 14 octobre 2011

[46]        Le 14 octobre 2011, les parties concluent un nouveau « Projet d’entente et de continuation des travaux ».[13] BST inc. s’engage alors « à effectuer les travaux suivants au printemps 2012 » :

•           L’ancrage devra être détectée et ressortie;

•           Diminuer la bosse par une pression sans briser la surface;

•           La mini-fissure sera remplie et repeinte;

•           Les petites « chips » sur la peinture seront remplies et repeintes;

•           Les petites bosses seront diminuées par une pression en surface;

•           Le logo de Desjardins sera refait à l’endroit tel qu’indiqué dans le devis

[47]        Aux yeux de madame Bourassa, « c’était des retouches ».

Des problèmes qui perdurent en 2012

[48]        Au printemps 2012, le revêtement d’acrylique se détache par « galettes » et des fissures sont apparentes : « C’est pas amélioré », tranche monsieur Mercier, le terrain n’est « pas praticable ». Pour faire image, monsieur Nunez assimile l’état de la surface - « plus que dégradée », précise-t-il - à une « peau de crapaud ».[14]

[49]        Le 25 mai 2012, la Ville achemine une nouvelle mise en demeure à BST inc. afin qu’elle procède, dans un délai de 5 jours, « à l’entièreté des travaux tel que convenu entre les parties », faute de quoi elle entend « faire exécuter les travaux par un tiers », puis réclamer à BST inc. « tous les frais découlant de [son] inexécution »[15]

[50]        Le 31 mai 2012, madame Bourassa invoque le manque de main-d’œuvre qualifiée à sa disposition, l’attente de matériel en commande et les incertitudes de la température pour expliquer que BST inc. n’est pas en mesure d’agir dans le court délai exigé par la Ville. « On ne peut pas », dit-elle, « il pleuvait, c’était tout détrempé », « j’avais pas les effectifs ».

[51]        Le 1er juin 2012, la Ville informe BST inc. de sa décision « d’entamer des recherches afin de trouver une autre entreprise qui sera en mesure d’effectuer les correctifs requis ».[16]

[52]        Le 6 juin 2012, la société Jopat inc. spécialisée en construction et réfection de surfaces sportives, offre de refaire à neuf les terrains de tennis de la Ville pour la somme de 43 000 $ (taxes en sus).[17]

[53]        Le même jour, BST inc. se dit désormais « en mesure d’être sur place à Beauceville pour terminer les travaux le 15 juin et les jours qui suivent ».[18]

[54]        Le 7 juin 2012, la Ville exige un engagement ferme de l’entreprise « à débuter les travaux le 15 juin », d’une part, et demande à « connaître en détail la nature des travaux qui seront réalisés », d’autre part, étant entendu « que le seul impondérable pouvant survenir seront les conditions météorologiques ».[19]

[55]        Le 14 juin 2012, BST inc. fait savoir à la Ville qu’elle n’est pas en mesure « d’avoir une équipe disponible précisément le 15 juin 2012 pour aller faire les travaux à Beauceville » et reporte sa prestation de service « durant la semaine du 18 au 22 juin ».[20]

[56]        Le 18 juin 2012, le conseil municipal mandate ses avocats afin de poursuivre BST inc. « pour le non-respect de son contrat ».[21] « On a perdu confiance à l’entreprise », tranche monsieur Nunez.

[57]        Le 19 juin 2012, l’avocat de la Ville avise BST inc. de la décision de sa cliente « de confier la réparation de la surface des terrains de tennis à une autre entreprise ».[22]

[58]        Ce même jour, l’avocat de BST inc. demande à son vis-à-vis de n’« entreprendre aucune démarche […] jusqu’au 21 juin 2012 »[23], afin qu’il puisse conseiller valablement l’entreprise.

[59]        Le 22 juin 2012, BST inc. fait connaître sa position et soutient finalement qu’« un mauvais drainage du terrain » explique son incapacité à livrer une surface satisfaisante.[24]

[60]        Le 29 juin 2012, la Ville maintient sa position, tout en exprimant son étonnement en ces termes :

[…] Les travaux de drainage du terrain ont déjà été réalisés par la Ville et ce, suite aux recommandations de votre expert. Ainsi, il est pour le moins étonnant que votre expert conclu (sic) aujourd’hui à un problème de drainage alors que les travaux ont été réalisés selon ses directives. […][25]

La reprise à neuf des travaux

[61]        Pendant l’été 2012, des employés municipaux retirent le revêtement endommagé et la poussière de mine, puis en disposent. Ce travail, fait « en régie interne », permet ainsi de réduire les coûts, précise monsieur Nunez.

[62]        La société Jopat inc. réalise ensuite les travaux de lavage à pression, de réparation de la surface, de pose d’une membrane et d’application d’un nouveau revêtement d’acrylique pour la somme totale de 47 128,25 $.[26]

[63]        L’ouverture officielle des terrains de tennis sera faite au printemps 2013.

L’exercice des recours contractuels

[64]        Le 20 juin 2014, la Ville dépose sa demande en justice, qu’elle modifie ensuite le 5 décembre 2017. Elle réclame à BST inc. :

-           la somme de 35 113,71 $ qu’elle lui a payée pour des travaux qui ont finalement dû être repris en entier;

-           la somme de 37 485,79 $ qu’elle a versée directement au fournisseur Sports Surface Quatre Saisons inc.[27] pour le système Pro-Surface;

-           la somme de 5 000 $ pour « troubles ennuis et inconvénients ».

[65]        Par sa défense et demande reconventionnelle, BST inc. nie toute faute contractuelle de sa part et réclame à la Ville la somme de 43 484,69 $ pour :

[…] les nombres d’heures de travaux supplémentaires effectuées pour toujours tenter de corriger les défauts apparaissant sur la surface de jeu des terrains de tennis, les matériaux supplémentaires utilisés, les frais afférents ainsi que la mobilisation.

II)         POSITION DES PARTIES

[66]        La Ville soutient que BST inc. avait envers elle une obligation de résultat.[28] En sa qualité d’entrepreneur spécialisé, l’entreprise avait le libre choix des moyens d’exécution[29] afin de parvenir au résultat attendu par sa cliente.

[67]        Si la surface préparée par la Ville n’était pas adéquate ou si le sol sur lequel elle reposait était vicié, il revenait à BST inc. de l’en informer immédiatement[30], faute de quoi l’entreprise doit être tenue responsable de la perte de l’ouvrage[31] et des préjudices en résultant.

[68]        Quant à la demande reconventionnelle, elle doit être rejetée pour cause de prescription[32] puisque les frais réclamés par BST inc. ont été encourus à l’été 2011, soit plus de trois ans avant le dépôt de cette demande.

[69]        De son côté, BST inc. plaide que la Ville a fait preuve de négligence en ne s’assurant pas de l’existence d’un système de drainage efficace sous les terrains destinés à recevoir le système Prosurface.

[70]        Le contrat conclu avec la Ville n’en étant pas un dit « clé en main », l’entreprise ne s’est pas contractuellement engagée à garantir la qualité du fond de terrain fourni par sa cliente.[33] La Ville a manqué à son obligation d’informer l’entrepreneur que la vérification du drainage n’avait pas été faite, faussant ainsi son évaluation des risques.[34]

[71]        Quant à l’argument de prescription que la Ville oppose à sa demande reconventionnelle, BST inc. le réfute. Elle souligne que le point de départ du délai triennal coïncide plutôt avec le dépôt de l’expertise de l’ingénieur Duquette, le 29 décembre 2014, lequel conclut que la Ville a fourni un terrain dont le système de drainage « a été installé de manière inappropriée ».

III)        QUESTIONS EN LITIGE

[72]        Le litige appelle à trancher les trois questions suivantes :

A)        En fonction de la nature du contrat, BST inc. avait-elle l’obligation de s’assurer que le terrain préparé par la Ville afin d’accueillir le système Pro-Surface était suffisamment bien drainé?

B)        Dans la réalisation de leurs prestations respectives, BST inc. et la Ville se sont-elles conformées aux règles de l’art de manière à satisfaire chacune à leurs obligations contractuelles?

C)        À défaut, quelle est la réparation qui s’impose dans les circonstances, le cas échéant ?

IV)       ANALYSE ET DÉCISION

[73]        Les parties conviennent qu’elles sont liées par un contrat d’entreprise au sens de l’article 2098 du Code civil du Québec[35] (« C.c.Q. ») :

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

[74]        Le contrat conclu initialement en est un « à forfait »[36], par lequel BST inc. s’engage, envers la Ville, « pour la fourniture et l’installation d’un revêtement Système Pro-Surface sur [les] terrains de tennis dont la base a été ou sera faite avant l’application dudit revête[ment] ».[37]

[75]        Il est entendu que c’est la Ville qui assumait seule la responsabilité de préparer la base.

A)        Le problème de drainage

[76]        Le Système Pro-Surface est présenté par le fabricant comme un « Système unique pour les réparations sur les terrains à surfaces dures détériorées ou fissurées ».[38] Ses caractéristiques principales sont ainsi décrites :

[…]

La base existante n’a pas à être remplacée pour l’installation de Pro-Surface, l’aménagement est faite sur la base existante. La structure de base n’a pas besoin d’être refaite ou pavée et on n’a pas à reconstruire le terrain de tennis. L’aménagement sert à ajuster les endroits qui peuvent se refissurer et les dénivellations. Dans plupart des cas, il est mieux de garder la sous-surface intacte. Le but est d’empêcher l’humidité et l’eau de pénétrer sous la surface. Pro-Surface devient imperméable et recouvre toute la structure.

[…]

Le Pro Surface n’est pas lié à la base du pavage ou de la surface existante. Il est flottant. La finition indépendante n’est pas fusionnée ou attachée à la base et les fissures trouvées dans la surface existante ne se transmettront pas à la nouvelle surface Pro-Surface. […][39]

(Reproduction fidèle à l’original; le Tribunal souligne)

[77]        Bien que le système Pro-Surface soit qualifié d’« imperméable », il se dégage de ces propos qu’il demeure important, à tout le moins, « d’empêcher l’humidité et l’eau de pénétrer sous la surface ».

[78]        D’ailleurs, monsieur Roland Bourassa, dont la Ville retient les services comme « consultant » à l’automne 2008, prend soin d’inscrire cette mention dans l’hypothèse où la « Solution B » (Réfection avec pro-Surface) est celle qui est privilégiée :

La ville vérifiera s’il y a un drain tel supposé sur le côté nord et est du terrain de tennis.[40]

[79]        En août 2009, dans le document que messieurs Morin et Mercier du Service des loisirs préparent à l’intention du conseil municipal, ils écrivent que l’« infiltration d’eau » figure parmi les « Quelques problèmes reliés à la présence de fissures » sur les terrains de tennis existants.[41]

[80]        Ceci dit, marquant leur préférence pour la « Membrane synthétique « Pro-surface », les deux hommes relèvent, parmi les « Éléments principaux », celui-ci :

-           On maintient les terrains au même endroit en améliorant le drainage et en solidifiant les contours

(Le Tribunal souligne)

[81]        Alors que monsieur Bourassa proposait d’assurer « la surveillance des travaux » pour la somme de 1 500 $[42], ses services ne sont finalement pas retenus pour cette phase.

[82]        L’ex-directeur général de la Ville confie plutôt cette tâche au directeur des loisirs. Or, de son propre aveu, monsieur Morin n’avait « aucune expérience » dans ce domaine.

[83]        Certes, il mentionne avoir consulté deux ingénieurs de la région après avoir reçu les trois solutions proposées par monsieur Bourassa en décembre 2008, mais il ne croit pas que ces professionnels avaient eux-mêmes de l’expérience dans la construction et l’aménagement de terrains de tennis.

[84]        Monsieur Mercier, qui assiste monsieur Morin dans la gestion du projet, n’a pas lui non plus de compétences techniques en la matière.

[85]        En somme, malgré toute la bonne volonté et la passion du tennis qui animent les deux hommes, ni l’un ni l’autre n’a l’expertise voulue pour assurer la surveillance des travaux de préparation de la base à partir de laquelle BST inc. doit implanter le système Pro-surface.

[86]        C’est ainsi que le drainage des terrains - dont il fallait pourtant vérifier l’efficacité selon monsieur Bourassa et la documentation du fabricant - ne retient pas toute l’attention requise. « C’est revenu souvent », confesse monsieur Morin, mais « c’est jamais apparu comme obligatoire ».

[87]        La preuve révèle que messieurs Morin et Mercier ont été rassurés par les propos du directeur de l’urbanisme de la Ville, monsieur Richard Longchamps, voulant qu’il ne servait à rien de refaire le drain, que le terrain « s’autodrainait ».

[88]        De l’avis du Tribunal, ces propos faussement rassurants émanant d’un préposé de la Ville - lequel, précise incidemment monsieur Morin, n’a pas de formation d’ingénieur[43] - expliquent en bonne partie pourquoi la recommandation de monsieur Bourassa n’a pas été suivie avec rigueur.

[89]        À l’audience, monsieur Morin admet qu’il ne sait pas si une vérification a effectivement été faite des drains avant de lancer les travaux : « Encore en 2017, je ne le sais pas », reconnaît-il.

[90]        Quoi qu’il en soit, il était bien au fait que les terrains existants se dégradaient un peu plus chaque année. D’ailleurs, les photographies qui accompagnent le document qu’il cosigne avec monsieur Mercier, en août 2009, laissent bien voir l’ampleur considérable des fissures qui étaient présentes sur la surface existante. Monsieur Mercier affirme même qu’il y avait « trois-cents pieds de fissures » sur le terrain.

[91]        À la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal juge qu’il y avait des signes évidents que le drainage du terrain pouvait être problématique et qu’il commandait ainsi une vérification diligente de la part de la Ville.

[92]        Compte tenu du partage des responsabilités respectives entre la Ville et l’entrepreneur qui ressort du contrat, le Tribunal juge que BST inc. n’a pas manqué à ses obligations contractuelles en n’éveillant pas davantage la Ville, en 2010, à l’importance d’un drainage adéquat.

[93]        Le défaut de drainage dont le bien fourni par la Ville était affecté n’en est pas un que l’entrepreneur « devait connaître »[44] compte tenu que la préparation de la base apte à recevoir le système Pro-Surface ne relevait pas de BST inc. mais bien plutôt de la Ville.

[94]        D’ailleurs, la Ville en convenait elle-même en signant l’entente du 7 juillet 2011 par laquelle elle acceptait d’exécuter, à ses frais, ces travaux de drainage :

Construire sur les deux côtés du terrain présentement fini en poussière de pierre, un drain de pierre propre de 20 mm de diamètre, d’une profondeur minimale de 60 cm en incorporant une conduite perforée de 100 mm de diamètre recouvert d’un géotextile. Étant donné le niveau élevé du roc, les coûts d’excavation du drain peuvent devenir dispendieux et même difficile, la municipalité pourra alors exécuter les travaux dans la mesure du possible. Pour contrer cette problématique, la municipalité pourra construire un drain d’une profondeur minimale de 15 cm plus profond que la couche de béton bitumineux existante sous le système Pro Surface.

Une fois l’excavation du drain effectuée à la profondeur minimum désirée, une couche de pierre propre d’au moins 7,5 cm devra être posée comme fondation de la conduite perforée de 100 mm de diamètre et ensuite continuer le remplissage de la tranchée avec la pierre propre jusqu’à environ 24 mm de la surface du terrain de tennis. La surface finie autour du terrain de tennis devra avoir une pente minimum de 2 % vers le drain.

[…].[45]

(Le Tribunal souligne)

B)        L’obligation de résultat

[95]        L’article 2100 C.c.Q. prévoit la règle suivante :

2100. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu’ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure.

(Le Tribunal souligne)

[96]        Le contrat que confie une Ville à une entreprise en vue de pouvoir livrer à sa population des terrains permettant la pratique du tennis emporte une « obligation de résultat »[46].

Dans un contrat à forfait, l’entrepreneur est tenu à une obligation de résultat par rapport aux travaux qu’il exécute ou dont il supervise l’exécution par des sous-traitants. […] L’appelante avait l’obligation, non pas d’être prudente et diligente dans la réalisation des travaux, mais de fournir des travaux conformes aux règles de l’art. Si les travaux ne sont pas conformes, elle en est responsable, à moins de prouver la force majeure.[47]

(Le Tribunal souligne)

[97]        En l’espèce, BST inc. ne soutient pas qu’elle était confrontée à un cas de force majeure.

[98]        En principe, la Ville était en droit d’obtenir un « résultat précis et déterminé ».[48] Pour reprendre l’expression de monsieur Nunez, le directeur général, « lorsqu’on paye un contrat, on s’attend à avoir un livrable ».[49]

[99]        Au moment où les représentants des parties se rencontrent sur le chantier, le 29 juin 2011, l’ingénieur Duquette, qui agit comme expert pour BST inc., convainc les personnes présentes que le système de drainage doit être corrigé.

[100]     La Ville consent à effectuer les travaux correctifs et en confie la réalisation à son service des travaux publics et à un sous-entrepreneur local, Les Excavations Jean-Louis Mathieu inc. Signalons que rien dans la preuve ne permet de conclure que cette entreprise avait une expérience particulière dans le drainage des terrains de tennis.

[101]     Monsieur Morin est de nouveau appelé à superviser les opérations, même s’il admet candidement à l’audience : « Je connais rien dans les drains ».

[102]     Toutefois, les nombreuses photographies qu’il prend pendant la réalisation des travaux, du 21 au 28 juillet 2011, attestent à tout le moins de son suivi étroit de leur évolution.

[103]     Ceci dit, à compter du moment où la Ville s’engage à réaliser, à ses frais, les travaux de drainage, conformément aux recommandations de l’expert Duquette, elle assume également une obligation fondamentale envers BST inc.

[104]     À ce moment, la Ville sait - ou devrait savoir - que son défaut de livrer une base correctement drainée est de nature à compromettre la capacité de sa partenaire contractuelle de satisfaire elle-même sa propre obligation de résultat.      

[105]     « On se fiait à la bonne foi de la Ville »[50], affirme monsieur Valiquette de BST inc.

[106]     Celui-ci témoigne « que nombre de fois [les préposés de la Ville] ne pouvaient pas exécuter parce que le fond de leur terrain de tennis était sur le roc ».[51]

[107]     Ceci dit, après la fin des travaux effectués par la Ville, BST inc. tente une fois de plus, de bonne foi, d’honorer ses obligations contractuelles. Interrogé par l’avocat de la Ville, monsieur Valiquette confirme la chose :

Q          Vous, vous êtes en train de me dire qu’une fois que la Ville a fait ses travaux puis que ces travaux-là vous apparaissent non conformes, rendu à votre partie de l’entente, vous faites quand même vos travaux?

R          Bien, oui, parce qu’on a signé une entente, sauf que c’est… les travaux… au moment où ils ont exécuté les travaux, on a constaté une amélioration très très grandissante, très rapidement de la surface, au niveau du drainage. On l’a constatée, là, puis on l’a vue, donc on savait qu’on allait réussir à relivrer le terrain, ce qu’on a fait. […][52]

(Le Tribunal souligne)

[108]     Par ces propos, BST inc. ne niait évidemment pas qu’elle était tenue à une obligation de résultat.

[109]     Toutefois, les photographies mises en preuve témoignent qu’au printemps 2012, le résultat obtenu demeurait tout de même insatisfaisant.

[110]     En fait, la surface de jeu était si abîmée qu’à sa vue, aucune personne raisonnable n’aurait pu conclure que sa mise en place avait été faite en conformité avec les règles de l’art. 

[111]     Les terrains alors livrés à la Ville ne permettent tout simplement pas à la population d’y pratiquer raisonnablement le tennis en toute sécurité.

[112]     Or, dans son expertise technique du 29 décembre 2014, l’expert Duquette affirme que « [l]e système de drainage a amélioré un peu la situation », mais qu’« [i]l ne pourra jamais être comparé à un système de drainage complet fait en profondeur sous le terrain », si bien qu’« il est impossible d’éviter l’apparition de crevasses à la surface ».[53]

[113]     Ce constat amène à conclure que les travaux de drainage réalisés par la Ville et ses préposés en vertu de l’entente conclue par les parties, le 7 juillet 2011, n’ont manifestement pas donné les résultats escomptés.

C)        La réparation

[114]     L’état pitoyable dans lequel se trouvaient les terrains de tennis au printemps 2012 a suscité une vive réaction de la Ville.

[115]     Le 25 mai 2012, par mise en demeure, elle accorde à BST inc. un délai d’à peine 5 jours pour remédier à la situation.

[116]     L’article 1595 C.c.Q. énonce la règle suivante :

1595.  La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.

Elle doit accorder au débiteur un délai d’exécution suffisant, eu égard à la nature de l’obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l’exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande.

(Le Tribunal souligne)

[117]     Madame Bourassa, qui préside BST inc., explique qu’il s’agit d’une entreprise « familiale »[54], « saisonnière »[55], qui « n’est pas une super grosse entreprise »[56] et qui compte simplement quatre employés.[57] « On n’est pas dans les millions », dit-elle.

[118]     Dans ce contexte, le 6 juin 2012, elle propose à la Ville un échéancier moins contraignant pour son entreprise :

On ne lui a pas conté d’histoire, là, on a dit c’est ça, c’est comme ça que… tu sais, on voulait donner le meilleur service possible, donc on disait nos conditions si vous voulez, là, tu sais. Puis, parlant de date, quinze (15) juin, là, c’est difficile de préciser une date dans ce métier-là, de dire on va être là le quinze (15) au matin. Si ça fait trois (3) jours qu’il pleut puis si ça… il a plu la semaine d’avant puis qu’on était sur un autre chantier qui n’est pas fini puis qu’il faut terminer puis avant de s’en aller sur un autre, souvent il y a des décalages qui font que les dates précises, on ne les garantit pas les dates précises. Même au téléphone, on va leur dire le ou vers le, tu sais, parce qu’on est dépendant de la température.[58]

[119]     À l’audience, madame Bourassa concède que la Ville a donné une certaine chance à BST inc. en acceptant, comme « seul impondérable » pouvant justifier un délai additionnel dans la finalisation des travaux, les « conditions météorologiques ».[59]

[120]     Toutefois, l’incapacité de BST inc. à se présenter sur le chantier avant la semaine du 18 au 22 juin 2012 lui sera fatale, le lien de confiance étant résolument rompu selon la Ville.

[121]     La société Jopat inc. prend alors le relais. Une fois que les employés municipaux complètent le retrait intégral du système Pro-Surface et de la poussière de mine, l’entreprise amorce ses travaux à partir de la surface asphaltée initiale : « …on a opté pour la solution la plus économique, qui semblait la plus viable, donc, le faire sur l’asphalte… »[60], admet le directeur général de la Ville.

[122]     Le 20 novembre 2012, la Ville verse à Jopat inc. une première somme de 40 059,02 $.[61]

[123]     L’entreprise complète les travaux au printemps 2013.[62]

[124]     Le 26 juin 2013, un dernier paiement de 7 069,24 $ est effectué par la Ville.[63]

[125]     Interrogé hors Cour le 7 octobre 2014, le directeur général de la Ville est appelé à qualifier le résultat obtenu à la suite des travaux effectués par Jopat inc. :

Q          Est-ce que les terrains sont toujours…

R          Oui, oui, c’est viable, là.

Q          Il n’y a aucun problème sur les terrains?

R          Non, non, c’est…

Q          Vous n’avez pas remarqué de fissures sur les terrains?

R          Non, non.

Q          De gonflements?

R         Non, ils ont fait de quoi d’intéressant, chose qui n’avait pas été faite dans le passé.[64] 

[126]     Pourtant, à l’audience, BST inc. produit plusieurs photographies récentes[65] qui, moins de cinq ans après la réalisation des travaux de la société Jopat inc., laissent notamment voir des traces de réparation déjà effectuées, certains affaissements où l’eau s’accumule et plusieurs fissures importantes sur la surface actuelle des terrains de tennis.

[127]     Contre-interrogé à partir de ces photographies, le directeur général persiste néanmoins à se dire « satisfait » du résultat, tout en reconnaissant ne pas être « très satisfait ».

[128]     De toute évidence, les problèmes de drainage identifiés en 2011 n’ont pas été entièrement résolus.

[129]      Dans son expertise technique du 29 décembre 2014, l’expert Duquette démontre que les obstacles de roc rencontrés lors des travaux de drainage effectués par la Ville, en juillet 2011, ont fait en sorte que le drain présente des sinuosités verticales qui ne permettent pas l’écoulement de l’eau, faute d’une pente régulière.

[130]     C’est ainsi que, le 31 juillet 2012, des vérifications aléatoires du niveau de profondeur d’implantation du drain, par rapport à la surface du sol, conduisent à des résultats aussi variés que 68, 58, 47, 37, 69, 59, 55, 45, 68, 58, 77, 67, 73 et 63 centimètres.

[131]     Certes, les travaux de drainage accomplis par la Ville et ses préposés ont pu contribuer à améliorer la situation - ce dont monsieur Valiquette de BST inc. convenait d’ailleurs - mais leur réalisation demeurait problématique, eu égard au non-respect de l’exigence suivante posée clairement par l’ingénieur de l’entreprise - et agréée par la Ville - dans l’entente du 7 juillet 2011 :

Le point haut du fond de ces drains sera le point de jonction des drains et ensuite une pente de 2 % sera donnée au drain pour se déverser à chaque extrémité. […][66]     

[132]     Le Tribunal retient ce constat fait par l’expert Duquette :

[…] La conduite a été installée de façon à provoquer des cuvettes de rétention empêchant les eaux de s’évacuer. Un système de drainage s’effectue d’un point haut à un point bas avec une pente uniforme, de façon à ce que les eaux s’infiltrant dans le drain puissent s’écouler au point bas. Le drainage comme construit dans un lit de roc et à différents niveaux, sera toujours inefficace et ne va pas aider à assécher la fondation du terrain de tennis.[67] 

[133]     En somme, si BST inc. a fait défaut de livrer des terrains de tennis qui soient conformes aux règles de l’art[68], la preuve prépondérante indique que c’est du fait de la Ville et de ses proposés, lesquels ont manqué à leur obligation contractuelle d’offrir un fond bien drainé et qui n’emprisonne pas l’eau et l’humidité.

[134]     Même tenu à une obligation de résultat, l’entrepreneur peut être exonéré si la faute ou « un manquement du client à ses propres obligations »[69] explique son incapacité à livrer un ouvrage conforme au contrat.[70]

[135]     Le Tribunal est d’avis que BST inc. ne saurait être tenue responsable du piètre résultat obtenu dans les circonstances.

[136]     Il ressort de la preuve que la Ville a cherché à réduire, par tous les moyens, les coûts inhérents au projet de réfection de ses terrains de tennis qu’elle a lancé en 2010.

[137]     Cette quête d’économie se vérifie notamment par les éléments suivants :

·        La Ville s’est réservée la tâche de préparer la base destinée à recevoir le système Pro-Surface, plutôt que de confier, par appel d’offres, la réalisation entière du projet à un entrepreneur, selon une formule dite « clé en main »;  

·        Une fois la soumission de BST inc. acceptée pour une somme de plus de 78 000 $ (taxes incluses), la Ville a voulu « la faire baisser par après ».[71] D’ailleurs, un escompte de 15 % lui sera exceptionnellement accordé par BST inc.[72], en contrepartie de son engagement à payer directement le fournisseur du système Pro-Surface[73];

·        La Ville refuse de confier à son consultant Roland Bourassa - une personne d’expérience dans le domaine de la construction des terrains de tennis - la surveillance des travaux, ce qui lui permet d’économiser une somme de 1 500 $;

·        Cette surveillance est plutôt confiée au directeur des loisirs, monsieur Morin, et, en son absence, au responsable des plateaux sportifs, monsieur Mercier. Or, ni l’un ni l’autre ne détient de compétences techniques en matière de construction;

·        Tandis que la Ville doit fournir la base apte à recevoir le système Pro-Surface, aucun professionnel n’est embauché pour vérifier l’état du sol et la qualité de son drainage. Deux ingénieurs auraient apparemment été consultés, selon monsieur Morin, mais la preuve est muette sur leur identité, leurs qualifications et la teneur précise de leurs avis ou recommandations, le cas échéant;

·        Sur la foi d’une opinion émise par le directeur de l’urbanisme voulant que les terrains « s’autodrainaient », les travaux s’amorcent, sans que personne dotée des qualifications requises ne pousse plus loin la vérification du drainage;

·        Quand les premiers problèmes surviennent, au printemps 2011, la Ville refuse catégoriquement de payer les honoraires d’un professionnel qualifié apte à apporter un éclairage sur la situation, sous prétexte qu’il revient à BST inc. de le faire;

·        Une fois que l’ingénieur Duquette identifie une défaillance importante sur le plan du drainage, la Ville décide de réaliser les travaux correctifs en « régie interne », pour sauver des frais. Son personnel et un sous-entrepreneur local - dont l’expertise en matière de drainage de terrains de tennis n’est pas établie - sont mobilisés à cette fin, sous la surveillance de monsieur Morin;

·        Malgré la recommandation d’enfouir le drain quatre pieds sous la surface du sol - ce qui nécessiterait le recours à des procédés coûteux afin de faire éclater le roc présent dans certaines sections du pourtour - la Ville l’implante à une profondeur moindre « pour des raisons économiques »[74] :

[…] il fallait qu’ils fassent un drain, mais eux ne voulaient pas réaliser un drain comme on le demandait dès le départ, tout simplement pour une question économique.[75]      

[138]      Sans négliger l’importance, pour un corps public, d’assurer une saine gestion des sommes qu’il perçoit des contribuables, il ne peut faire l’économie de ses obligations contractuelles au point de compromettre la capacité de son partenaire de s’acquitter des siennes.       

[139]     Cet extrait de l’interrogatoire hors Cour du directeur des travaux chez BST inc. traduit bien la situation délicate dans laquelle se trouvait l’entreprise en août 2011 :

Q          Donc, selon vous, vous êtes en train de me dire que quand vous faites votre partie des travaux, vous savez que les travaux réalisés par la ville ne respectaient pas les recommandations de votre ingénieur?

R          Bien oui, mais qu’est-ce que… moi, mon client m’a dit qu’il ne le fera pas, donc il me place dans une impasse.[76]

[140]     Dans ces conditions, le Tribunal juge que la Ville n’a pas droit à la restitution des sommes qu’elle a versées à BST inc. afin d’obtenir des terrains de tennis qui soient, selon le vœu exprimé par monsieur Mercier, « LA RÉFÉRENCE AU QUÉBEC ».[77]

[141]     La Ville, malgré la bonne foi évidente de toutes les personnes qui se sont investies dans ce projet, n’est jamais parvenue à livrer une base suffisamment bien drainée pour que le Système Pro-Surface parvienne à donner le résultat escompté. La faute n’en est pas imputable à BST inc.[78]       

[142]     D’ailleurs, même après l’intervention de la société Jopat inc., selon un procédé de réfection différent, le problème de drainage demeure entier. L’ingénieur Duquette témoigne qu’on trouve actuellement plus de vingt-cinq fissures à colmater, dont certaines longues de trente pieds : « Le terrain travaille toujours », observe-t-il.

[143]     De fait, les photographies de l’état actuel des terrains[79], prises tard à l’automne 2017, mènent inexorablement à cette conclusion. 

[144]     Quant à la demande reconventionnelle de BST inc., elle doit également être rejetée.

[145]     La somme de 43 484,69 $ que l’entreprise réclame a principalement trait à des travaux supplémentaires qu’elle a librement accepté de réaliser à l’été 2011 - aux termes d’une entente consensuelle avec la Ville[80] - et aux coûts indirects assumés, à cette occasion, par l’entreprise (frais de location d’outils, d’essence, de repas, d’hébergement, etc.).[81]

[146]     À ce moment, l’entreprise sait - ou devait savoir - que le mauvais drainage est un défaut qui affecte la base et non la surface du terrain. Elle accepte pourtant de reprendre intégralement ses travaux, une fois que la Ville aura refait le drainage.

[147]     Comme l’affirme madame Bourassa dans un courriel du 31 mai 2012 destiné à l’avocat de la Ville :

[…] Nous avons été très coopératifs avec votre client car nous n’étions pas responsables de la base qui n’avaient pas de drain. Au lieu de nous désister, ce que nous aurions pu faire, nous avons coopérer à régler le problème en ne leur demandant pas de surplus pour les excédants que tout cela nous procurait. Nous avons perdu beaucoup de temps et d’argent en refaisant la surface acrylique au complet, nous aurions pu leur charger nos pertes mais nous avons agit de bonne foi et avec confiance avec la Ville de Beauceville.[82]

(Reproduction fidèle à l’original mais le Tribunal souligne)

[148]     Le Tribunal voit dans l’entente du 7 juillet 2011 et dans ces derniers propos de la présidente de BST inc. une renonciation[83] non équivoque, libre et volontaire de l’entreprise à réclamer quelque somme que ce soit en sus du montant forfaitaire convenu entre les parties.

[149]     BST inc. ne saurait maintenant être autorisée à répudier cet engagement du seul fait que la Ville a finalement décidé d’exercer un recours civil contre elle.

V)        CONCLUSION

[150]     Toute partie de tennis doit se conclure par une victoire d’un joueur sur l’autre, la notion de match nul étant étrangère à ce sport.

[151]     Mais les règles du tennis ne sont pas celles du débat judiciaire, là où il arrive parfois que chacune des parties impliquées dans un litige connaisse la défaite.

[152]     C’est le désolant constat qui s’impose en l’espèce.

[153]     La Cour supérieure du Québec rappelait encore tout récemment que « les travaux de réfection de terrains de tennis sont assujettis à des exigences particulières ».[84]

[154]     Ainsi, faute d’un drainage satisfaisant du fond de terrain que devait livrer la Ville, BST inc. a échoué, malgré au moins deux tentatives, à rendre une surface adéquate et qui permette la pratique du tennis dans des conditions à la fois satisfaisantes et sécuritaires.

[155]     Pour cette petite entreprise, cela s’est traduit par « une situation déficitaire importante sur ce contrat ».[85]

[156]     Pour la Ville, son défaut d’offrir une surface convenablement drainée aura placé BST inc. dans l’impossibilité d’atteindre le résultat attendu. Prétextant que cette impossibilité résultait du seul fait de sa partenaire contractuelle, la Ville engagera des coûts additionnels importants afin que le travail soit repris au complet, suivant une méthode différente, par une autre entreprise.

[157]      Ainsi, malgré la volonté ferme affichée par la Ville de contrôler les coûts inhérents au projet, son souci d’économie l’aura paradoxalement menée à devoir acquitter, seule, une facture infiniment plus lourde que prévue.

[158]     Quant à la population, la faute contractuelle commise par la Ville l’aura privée de l’usage de ses terrains de tennis pendant une période démesurément longue. De plus, la surface de jeu dont elle jouit maintenant n’est toujours pas exempte de fissures et d’imperfections.

[159]     Justice et tennis ne se confondent pas, certes, mais force est d’admettre que dans l’un et l’autre cas, il arrive qu’un mauvais service soit fatal…

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la demande principale, avec les frais de justice.

REJETTE la demande reconventionnelle, avec les frais de justice.

 

 

 

 

__________________________________

CHRISTIAN BRUNELLE J.C.Q.

 

 

 

Me Philippe Asselin

Morency avocats

Pour la demanderesse

 

Me Jean Denis

Cardinal Léonard Denis avocats

Pour la défenderesse

 

Dates d’audience :

6, 7 et 8 décembre 2017

 



[1]     Carte d’affaire, Pièce P-48.

[2]     Réfection des terrains de tennis de Beauceville, août 2009, Pièce P-32.

[3]     Résolution 2009-08-3571, 24 août 2009, Pièce P-50.

[4]     Appel d’offres public, Pièce D-1.

[5]     Résolution no 2010-06-3812 / Autorisation des travaux-terrain de tennis, Pièce P-2.

[6]     Pièce P-8.

[7]     Liste des travaux-réfection du drainage, P-37.

[9]     Photographies, Pièce P-38.

[10]    Pièce P-10.

[11]    Courriel de Carole Bourassa, 30 août 2011, Pièce P-40.

[12]    Mise en demeure de Me Philippe Asselin, Pièce P-12.

[13]    Pièce P-13.

[14]    Photographies, Pièce P-21.

[15]    Mise en demeure de Me Amélie Breton, Pièce P-15.

[16]    Lettre de Me Philippe Asselin, Pièce P-16.

[17]    Soumission de Jopat inc., P-17.

[19]    Courriel de Me Philippe Asselin, Pièce P-19 (Le Tribunal souligne).

[20]    Courriel de Carole Bourassa, Pièce P-20.

[21]    Résolution 2012-06-4450, Mandat à la firme Morency - Poursuite Bourassa Sport technologie Inc., Pièce P-22

[22]    Lettre de Me Philippe Asselin, Pièce P-23.

[23]    Lettre de Me Jean Denis, Pièce P-24.

[24]    Lettre de Me Jean Denis, Pièce P-25.

[25]    Lettre de Me Philippe Asselin, Pièce P-26.

[26]    Facture de Jopat inc., Pièce P-30.

[27]    Facture 20100656, 28 juin 2010, Pièce P-35.

[28]    Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 2100, al. 3.

[29]    Id., art. 2099.

[30]    Id., art. 2104.

[31]    Id., art. 2118.

[32]    Id., art. 2925.

[33]    Id., art. 2115.

[34]    9002-1205 Québec inc. (Antagon International) c. Agence métropolitaine de transport, 2017 QCCQ 9590, 2017EXP-2559 (C.Q.).

[35]    Précité, note 28.

[36]    Art. 2109 C.c.Q.

[37]    Pièce P-1.

[38]    Pièce P-33.

[39]    Ibid.

[41]    Pièce P-32, p. 2.

[42]    Pièce P-31, p. 3.

[43]    Dans son interrogatoire hors cour du 7 octobre 2014, en page 9, le directeur général de la Ville, monsieur Nunez, mentionne que le premier ingénieur embauché comme employé par la Ville l’a été au printemps 2014.

[44]    Art. 2104 C.c.Q.

[45]    Pièce P-8.

[46]    Construction Cogerex ltée c. Banque Royale du Canada, J.E. 96-497 (C.A.), 1996 CanLII 6262 (QC CA).

[47]    414-9098 Québec inc. c. Pasagard Development Corporation, 2017 QCCA 1515, 2017EXP-2829 (C.A.), par. 80.

[48]    9033-5985 Québec inc. c. Entreprises de construction Guy Bonneau ltée, 2017 QCCA 980, 2017EXP-1849 (C.A.), par. 13.

[49]    Interrogatoire hors cour de Félix Nunez, 7 octobre 2014, p. 31.

[50]    Interrogatoire hors Cour d’Alexandre Valiquette, 26 mars 2015, p. 73.

[51]    Ibid.

[52]    Id., p. 75

[53]    Pièce D-5, p. 9.

[54]    Interrogatoire hors Cour de Carole Bourassa, 26 juin 2015, p. 7.

[55]    Id., p. 11.

[56]    Id., p. 17.

[57]    Id., p. 33.

[58]    Interrogatoire hors Cour de Carole Bourassa, 26 juin 2015, p. 31.

[59]    Courriel de Me Philippe Asselin, Pièce P-19.

[61]    Pièce P-30.

[62]    Interrogatoire hors Cour de Félix Nunez, 7 octobre 2014, p. 71.

[63]    Pièce P-30.

[64]    Interrogatoire hors Cour de Félix Nunez, 7 octobre 2014, p. 72 (Le Tribunal souligne).

[65]    Pièce D-11.

[66]    Pièces P-8, p. 2, et P-37 (Le Tribunal souligne).

[67]    Pièce D-5, p. 9 (Le Tribunal souligne)

[68]    Art. 2100 C.c.Q.

[69]    Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, 2013, p. 674-675 (par. 2071).

[70]    Vincent KARIM, Contrats d’entreprise, contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, 2015, p. 139-140 (par. 338).

[71]    Interrogatoire hors Cour de Carole Bourassa, 26 juin 2015, p. 13.

[72]    Id., p. 16.

[73]    Id., p. 13.

[74]    Interrogatoire hors Cour d’Alexandre Valiquette, 26 mars 2015, p. 74.

[75]    Id., p. 71-72.

[76]    Id., p. 77 (Le Tribunal souligne).

[77]    Courriel de monsieur Michel Mercier, 20 août 2011, Pièce P-10.

[78]    Art. 2115 C.c.Q.

[79]    Pièce D-11.

[80]    Pièce P-8.

[81]    Pièces D-8 et D-9.

[82]    Pièce P-52.

[83]    Art. 8 C.c.Q.

[84]    Terrassement St-Louis inc. c. Ville de Saguenay, 2017 QCCS 2898, 2017EXP-2069 (C.S.), par. 19.

[85]    Pièce P-40.

AVIS :
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