[1] L’appelante se pourvoit contre un verdict prononcé le 12 septembre 2019 par l’honorable Carl Thibault de la Cour supérieure, district de Québec, lequel infirme la décision de la Cour municipale commune de la MRC de la Côte-de-Beaupré[1] et acquitte les intimées de l’ensemble des chefs d’accusation[2].
[2] Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrivent les juges Rancourt et Cotnam, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel;
[4] LE TOUT avec frais de justice.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[5] Le règlement municipal de l’appelante contient-il une infraction de nuisance par omission ou tolérance, pouvant être reprochée à un propriétaire d’immeuble en lien avec les actes des occupants à qui l’on reproche le bruit? Voilà la question que soumet l’appelante, aux prises avec un problème récurrent de bruit émanant des locataires à court terme des immeubles appartenant aux intimées.
[6] Pour les motifs qui suivent, j’estime que le règlement en cause ne crée pas une infraction de nuisance par omission ou par tolérance.
Le contexte
[7] Les intimées sont propriétaires d’immeubles comprenant seize parties privatives faisant l’objet de location à court terme. Chacune de ces unités a une capacité de recevoir seize occupants. Les immeubles sont situés dans un secteur touristique et la location à court terme fait partie des usages autorisés.
[8] L’appelante a reçu plusieurs plaintes des voisins pour le bruit excessif causé par les locataires des unités, particulièrement lorsqu’en soirée, ils utilisent les spas installés à l’extérieur. Malgré des discussions entre les parties et les mesures instaurées par les intimées, la problématique a perduré.
[9]
En 2016, afin de contrer le problème, l’appelante modifie son Règlement
no. 00-405 concernant les nuisances et applicable par la Sûreté du
Québec[3]
(« le Règlement ») dans le but d’imputer la responsabilité pénale de
l’infraction au propriétaire dont le nom est inscrit au rôle d’évaluation,
pour une infraction de nuisance commise sur sa propriété. Voici les
dispositions réglementaires en cause :
Article 2 - BRUIT / GÉNÉRAL
Constitue une nuisance et est prohibée le fait de faire, de provoquer ou d’inciter à faire, de quelque façon que ce soit, du bruit susceptible de troubler la paix et/ou la tranquillité du voisinage.
Article 13 - DISPOSITION PÉNALE - AMENDES
Quiconque contrevient à l’une des dispositions de ce règlement commet une infraction et est passible, en plus des frais, d’une amende de :
[…]
Le propriétaire dont le nom est inscrit au rôle d’évaluation peut être déclaré coupable des articles 2, 3, 4, 5 et 6 du présent règlement pour toute infraction commise sur la propriété.
Les délais pour le paiement des amendes et des frais imposés en vertu du présent article, et les conséquences du défaut de payer lesdites amendes et les frais dans les délais prescrits sont établis conformément au Code de procédure pénale du Québec (L.R.Q., c. C-25-1).
Si une infraction dure plus d’un jour, l’infraction commise à chacune des journées constitue une infraction distincte et les pénalités édictées pour chacune des infractions peuvent être imposées pour chaque jour que dure l’infraction, conformément au présent article.
[10] Les intimées ont reçu trois constats d’infraction[4] dont la teneur est la suivante :
Le ou vers le 9 septembre 2016, a, en sa qualité de propriétaire de l’immeuble situé au 11, rue de la Tourbe fait, provoqué ou incité à faire du bruit susceptible de troubler la paix et/ou la tranquillité du voisinage commettant ainsi une infraction à l’article 2 du règlement numéro 00-405, concernant les nuisances et applicable par la Sûreté du Québec. Le propriétaire se rend passible de la peine prévue à l’article 13 (A-2) de ce même règlement soit une amende minimale de 500 $ et maximale de 2 000 $.[5]
[11]
Ayant reçu ces constats d’infraction fondés sur le Règlement et se
prévalant de l’article
[12] Le 17 mai 2017, le juge Pierre Bellavance, a décidé que le Règlement est intra vires des pouvoirs de la municipalité et ne contrevient pas à la Charte[6].
[13] Il précise que : 1) la municipalité a le pouvoir d’intervenir sur les nuisances; 2) elle peut adopter un règlement visant toute personne ou catégorie de personnes; et 3) il est possible pour le propriétaire de faire valoir qu’il n’est pas l’auteur de telles nuisances.
[14] Le juge Bellavance ajoute tout de même :
[19] Cela dit, une telle conclusion n’enlève en rien bien sûr la possibilité pour le propriétaire d’un immeuble visé par un constat d’infraction de faire valoir devant la Cour municipale qu’il n’est pas l’auteur de telles nuisances, qu’il ne les a pas provoquées ou qu’il n’a pas incité à les faire. Il reviendra au juge de la Cour municipale, compte tenu de la preuve, de décider si le propriétaire poursuivi est effectivement un contrevenant au sens de la réglementation pour ce qu’il a fait ou n’a pas fait.
[20] En effet, il n’est pas impossible de penser que le juge, qui sera appelé à entendre cette affaire à la Cour municipale, pourrait conclure qu’en laissant des locataires faire du bruit incommodant pour les voisins, le propriétaire a contrevenu lui aussi à la réglementation et qu’il devient par la même occasion, un « contrevenant ».
[…]
[22] En résumé, le Tribunal conclut que la question de savoir si le propriétaire d’un immeuble peut être un contrevenant à une réglementation concernant les nuisances n’est pas une question de droit, mais bien une question de faits, qui doit être tranchée par le juge saisi de l’affaire en Cour municipale.
[23] Le Tribunal ne retient donc pas l’argument
des demanderesses, qui s’appuie sur une définition du dictionnaire Larousse du
mot « contrevenant » que l’on retrouve à l’article
[15] En ce qui concerne l’argument de nature constitutionnelle, le juge précise ce qu’il comprend de la réglementation municipale :
[29] Encore ici, il apparait [sic] que les demanderesses présentent leurs arguments comme si on voulait leur faire des reproches pour des gestes posés par leurs locataires.
[30] Or, comme nous l’avons vu précédemment, il faut plutôt comprendre la réglementation municipale comme créant une infraction pour des gestes ou des omissions posés par le propriétaire des lieux où se sont produits des nuisances par le bruit.
[31] Dans cette perspective, on ne peut pas dire comme les demanderesses le soutiennent que la réglementation crée ici une infraction pour des actes accomplis par un tiers et que le règlement irait à l’encontre du principe selon lequel la responsabilité du fait d’autrui n’existe pas en droit pénal.
[16] C’est dans ce contexte que le procès devant la Cour municipale est tenu.
Jugement de la Cour municipale
[17] Le juge de la Cour municipale conclut qu’aux dates indiquées aux constats d’infraction, l’intensité du bruit provoqué par les occupants des unités locatives est telle qu’elle a troublé la paix et la tranquillité du voisinage au sens du Règlement.
[18] À la lumière du jugement Bellavance, le juge estime « […] que rien n’empêche dans la réglementation municipale de déclarer les propriétaires des lieux responsables non pas pour des gestes qui auraient été commis par un locataire, mais plutôt pour ses propres faits, gestes ou omissions qui pourraient faire d’eux des contrevenants, comme le mentionne le juge Bellavance ».
[19] Il décide aussi que les mesures prises par les intimées afin d’atténuer le bruit fait par les locataires sont insuffisantes pour constituer une défense valable de diligence raisonnable.
[20] En conséquence, il déclare les intimées coupables quant aux trois chefs d’accusation et impose une amende de 500 $, plus les frais pour chacun d’eux.
Jugement entrepris
[21] Le juge d’appel conclut qu’une lecture conjuguée du préambule et des articles 2 et 13 du Règlement ne permet pas de déclarer les intimées coupables d’une infraction par omission. Il estime qu’il n’existe aucune preuve que les intimées ont « fait, provoqué ou incité à faire du bruit », soit par un acte ou une omission. Selon lui, le second alinéa de l’article 13 du Règlement ne permet pas d’engager la responsabilité pénale du propriétaire, n’est pas constitutif d’une infraction distincte et autonome d’omission et n’a pas pour effet de transformer l’article 2 en infraction d’omission en ce qui concerne le propriétaire. Ainsi, on ne peut engager la responsabilité pénale du propriétaire en l’absence d’une preuve le reliant directement ou indirectement à la commission de l’infraction. Il ajoute que si l’appelante souhaitait prohiber l’omission d’agir du propriétaire, elle aurait dû l’exprimer clairement en insérant par exemple les termes « a permis, autorisé ou toléré ».
[22] Contrairement au juge d’instance, le juge d’appel se dit d’avis que les intimées ont fait preuve de diligence raisonnable en procédant à l’élaboration d’une série de mesures nécessaires et raisonnables pour enrayer la problématique de bruit sur leur propriété, concluant qu’elles ont pris toutes les précautions nécessaires faisant en sorte qu’elles auraient dû être acquittées pour ce motif également.
Analyse
[23] L’appelante soutient que le juge d’appel commet une erreur de droit en concluant à l’inexistence d’une infraction d’omission, allant à l’encontre du jugement Bellavance.
La portée du jugement Bellavance
[24] Ce que l’on constate du jugement Bellavance, c’est qu’il répond aux questions telles que posées par les intimées, dont celle de savoir si le Code municipal habilite la municipalité à adopter une disposition réglementaire imposant une sanction pénale à un propriétaire foncier pour une infraction commise sur sa propriété par ses locataires ou occupants.
[25] La question ici est plutôt celle de savoir si c’est ce qu’elle a fait. Il s’agit donc de déterminer la portée et l’interprétation du règlement municipal. L’imbroglio provient de la façon dont le règlement a été rédigé. Comme l’a admis d’emblée le procureur de l’appelante, celle-ci n’a pas voulu alourdir son fardeau de preuve en rédigeant une disposition lui imposant de démontrer que le propriétaire a « permis, autorisé ou toléré » le bruit.
[26] Il est vrai que les deux jugements de la Cour supérieure peuvent sembler contradictoires, en ce que le juge Bellavance laisse entendre à son paragraphe 20, sans le dire expressément, que la combinaison des articles 2 et 13 pourrait créer une infraction d’omission.
[27] Or, le juge d’appel écarte cette possibilité :
[58] Il va sans dire que l’article 2 doit aussi être interprété à la lumière des autres dispositions du Règlement, dont l’article 13 alinéa 2. L’Intimée plaide que cette disposition permet d’engager la responsabilité pénale du propriétaire « lorsqu’il omet d’agir aux fins d’empêcher la commission sur sa propriété d’une infraction prévue à l’article 2 du Règlement » et non seulement lorsqu’il fait, provoque ou incite à faire du bruit. Le Tribunal estime que l’article 13 du Règlement n’est pas constitutif d’une infraction distincte et autonome d’omission.
[…]
[62] Par ailleurs, l’article 13 n’a pas pour effet de transformer l’infraction prévue à l’article 2 en infraction d’omission en ce qui concerne le propriétaire. Interpréter ainsi l’article 2 serait faire abstraction du libellé même de l’article qui requiert expressément une preuve du fait « de faire, de provoquer ou d’inciter à faire ». Cette interprétation aurait pour effet d’engager la responsabilité pénale du propriétaire, même en l’absence d’une preuve le reliant directement ou indirectement à l’infraction.
[63] En plus de douter de la validité d’une telle corrélation, le Tribunal est d’opinion que cette interprétation ne s’infère aucunement de la lecture de l’article 2.[7]
[Soulignements ajoutés]
[28] Par contre, le juge d’appel retient aussi que la municipalité pouvait démontrer une omission d’agir engendrant la responsabilité pénale, mais dans le cadre des éléments constitutifs de l’infraction prévus à l’article 2 :
[51] Il appert de ces définitions que l’infraction prévue à l’article 2 exige que l’Intimée fasse la preuve d’un acte positif de la part des Appelantes. De plus, le Tribunal est d’avis que l’Intimée pouvait également démontrer une omission d’agir engendrant la responsabilité pénale.
[52] Le fait « de faire, de provoquer ou d’inciter à faire, de quelque façon que ce soit, du bruit … » peut prendre plusieurs formes vu la mention « de quelque façon que ce soit ». Ainsi, toutes les manières de faire du bruit susceptibles de troubler la paix et/ou la tranquillité du voisinage, directes ou indirectes, sont prohibées.[8]
[Soulignements ajoutés]
[29] Conséquemment, tous deux estiment que la responsabilité du propriétaire d’un immeuble peut être retenue à l'égard des nuisances causées sur sa propriété, tout comme ils s’accordent pour dire qu’il peut néanmoins faire valoir qu’il n’est pas l’auteur de telles nuisances, qu’il ne les a pas provoquées ou qu’il n’a pas incité à les faire[9].
[30] Quoique le juge Bellavance semble retenir la possibilité que la combinaison des articles 2 et 13 du Règlement puisse créer une infraction d’omission, il établit clairement qu’il appartient au juge de la Cour municipale d’interpréter et d’appliquer le Règlement.
[31] Cela dit, les commentaires du juge Bellavance quant à la portée et l’interprétation de l’infraction prévue par les articles 2 et 13 du Règlement n’ont pas l’autorité de la chose jugée[10]. Lorsqu’il s’attarde davantage à l’article 2 du Règlement et à sa portée, il le fait de façon accessoire, en obiter[11], ce qui n’emporte pas l’autorité de la chose jugée[12]. Les paragraphes 20 et 24 du jugement Bellavance - le premier rédigé au conditionnel et avec beaucoup de précautions et le second qui ne sert qu’à présenter un exemple - ne sont ni essentiels à la conclusion de validité de l’article 13 du Règlement ni intimement liés à celle-ci, ce dernier n’ayant pas été saisi de la question de l’interprétation de l’infraction prévue à l’article 2 du Règlement.
[32] Le juge Bellavance semble d’ailleurs être bien conscient de ce qui lui est demandé et des limites qui en découlent, précisant à plus d’une occasion que la question de la culpabilité d’un propriétaire en vertu de la réglementation en cause, ce qui comprend forcément la définition des éléments constitutifs de l’infraction et de leur interprétation, revient au juge de la Cour municipale[13].
[33] Seules les conclusions relatives à la question de savoir si l’article 13 du Règlement est ultra vires et s’il contrevient à l’article 7 de la Charte[14] comportent l’autorité de la chose jugée.
[34] Le juge d’appel n’était donc pas lié par les commentaires du juge Bellavance à son paragraphe 20 et rien n’empêchait les intimées de se défendre et d’affirmer ne pas avoir commis les gestes qui leur sont reprochés.
Le règlement crée-t-il une infraction d’omission?
[35] Comme l’affirme la Cour suprême du Canada, le bruit touche depuis longtemps les citadins dans leur quotidien, faisant en sorte que les municipalités se sont intéressées à ce problème en adoptant des règlements sur les nuisances[15]. La Loi sur les compétences municipales accorde aux municipalités locales et régionales de comté « des pouvoirs leur permettant de répondre aux besoins municipaux, divers et évolutifs, dans l’intérêt de leur population »[16]. Les municipalités sont donc compétentes en matière de nuisance et peuvent prévoir des prohibitions[17]. Un règlement relatif aux nuisances peut viser autant le propriétaire de l’immeuble que l’occupant[18].
[36] Il est indéniable que la municipalité, qui souhaitait rendre un propriétaire d’immeuble imputable dans le cas où l’occupant enfreint le Règlement en causant une nuisance, a édicté son règlement de la façon la plus large possible, aux fins d’atteindre le but recherché.
[37] Or, une municipalité ne peut invoquer son intention pour demander aux tribunaux de transformer un libellé d’infraction de commission en un libellé d’infraction d’omission.
[38] Quelle que soit l’intention de la municipalité, elle ne peut faire fi des règles générales applicables en matière pénale. Or, une de ces règles veut que les lois pénales s’interprètent restrictivement[19]. Il y a lieu d’appliquer le principe fondamental voulant qu’il n’y a pas d’infraction sans texte.
[39] Par ailleurs, comme le juge Cournoyer le rappelle dans le Code de procédure pénale du Québec annoté, une infraction est une disposition par laquelle une personne se voit imposer une norme de conduite et qui est sanctionnée en cas de manquement. La norme de conduite peut s’extérioriser par un acte ou par une omission :
Une infraction est une disposition par laquelle une personne se voit imposer une norme de conduite et sanctionnée en cas de manquement à cette norme. La conduite s’extériorise par un acte ou une omission. Certains voient l’omission comme un acte, soit l’acte positif de ne rien faire.
Qu’il s’agisse d’un acte ou d’une omission, l’un et l’autre doivent être volontaires pour que l’actus reus de l’infraction soit commis. Il n’existe pas d’infraction si un des éléments constitutifs fait défaut.[20]
[40] La Commission de réforme du droit du Canada proposait déjà lors de ses travaux que l’omission soit punie uniquement et exceptionnellement dans deux cas, soit : 1) lorsque la loi elle-même la définit comme un crime; et 2) lorsqu’elle consiste à un manquement à un devoir d’agir[21]. Elle notait :
De façon générale, notre droit pénal punit l’action et non l’inaction. Aussi la plupart des textes d’incrimination exigent-ils l’accomplissement d’une action concrète. […]
L’inaction peut toutefois engager la responsabilité pénale de trois façons différentes. Premièrement, l’inaction peut en soi former un élément d’une action globale. Par exemple, le fait de ne pas surveiller la route est un élément de la conduite dangereuse. C’est au juge des faits qu’il appartiendra de déterminer dans chaque cas, suivant les circonstances, si la conduite de l’accusé doit être considérée comme une action ou une inaction. Deuxièmement, l’inaction peut être expressément incriminée, tel le fait de ne pas s’arrêter sur les lieux d’un accident (Code criminel, art. 236). Troisièmement, dans le cas de crimes consistant expressément ou implicitement dans le fait de causer un résultat comme, par exemple, la mort, un dommage ou un danger, ce résultat peut être causé par une omission, si l’accusé avait une obligation légale d’agir, on parle alors de « commission par omission ».[22]
[41] Le professeur Mario Naccarato reprend ces principes de droit criminel et exprime l’idée que la simple omission ne suffit pas à condamner un accusé d’une infraction de commission :
L'actus reus se caractérise par une conduite se manifestant au moyen d'un acte positif en matière d'infraction de commission ou par omission en matière d'infractions d'omission. Or, la simple omission ne saurait en principe suffire à condamner un accusé d'une infraction de commission. […]
À la lumière de ce qui précède, et « à moins d'une disposition législative expresse ou d'une situation incriminée par le droit criminel en vertu d'un devoir particulier, une simple omission n'engendre pas la responsabilité criminelle ». La difficulté résidera dans la qualification du comportement. Le comportement réprouvé est-il une omission ou un acte positif ?[23]
[42] Pour les auteurs Côté-Harper, Manganas et Turgeon, le libellé de la disposition est un indicateur probant de l’intention du législateur d’incriminer l’omission. Ils soulignent :
L’omission est nettement incriminée lorsqu’on retrouve des expressions telles que « omettre », « abandonner » ou « exposer », « causer volontairement », « permettre » quelque chose. Dans ce dernier cas, l’omission est sanctionnée dans le sens où quelqu’un a causé ou permis quelque chose en ne l’empêchant pas.[24]
[Renvois omis]
[43] Le droit public en général et le droit municipal qui trouvent leur source dans la tradition de la common law[25], font en sorte qu’une personne ne peut être reconnue coupable d’une omission en l’absence d’un devoir d’agir[26].
[44]
Dans l’arrêt Rochon c. R.[27],
bien que le litige portait sur la complicité au sens de l’article
[36] Traditionnellement, la common law ne cherche pas à punir les omissions, mais seulement les actes positifs pouvant nuire aux autres. Il n'est habituellement pas souhaitable de criminaliser les omissions, car cela reviendrait à imposer à un tiers témoin d'un crime l'obligation d'intervenir, ce qui restreindrait indûment la liberté individuelle dans une société qui se veut libre :
Second is a concern that criminalizing omissions has the effect of forcing people to engage in particular conduct, and this is not something the law does lightly. As Simester and Brookbanks have noted:
We value living in a society where citizens are respected as individuals—where they are free to live their own lives to act or intervene. The prohibition of omissions is far more intrusive upon individual's autonomy and freedom than is the prohibition of acts, which is why the systematic imposition of (criminal or civil) liability for failures to act is to be resisted.
[37] C'est pourquoi, en common law, on ne peut être coupable d'une omission en l'absence d'un devoir d'agir:
The common law has enforced the notion that omissions should not be punishable for centuries. For this reason, it remains correct to state as a general principle that an omission is not culpable unless it is specifically rendered liable either by the imposition of some sort of duty to act, or through the wording of a particular statutory provision. While the duties that exist cannot be classified quite so precisely, omissions tend to be punishable only where there is some form of obligation to act because of the nature of the relationship between the accused and the person at risk from an omission, or because of acts already performed by the accused that require him or her to account for future omissions.
[…]
The conclusion one can take from this is that the inclusion of the term "or omits to do anything" does not change the basics of the law of omissions. In other words, the accused will only be liable for such an omission as a party where he or she is under some type of duty to act, and the appropriate mens rea, discussed below, is present.
[…]
[39] L'auteur Kent Roach opine lui aussi qu'il n'est pas souhaitable de criminaliser la simple omission d'agir, en l'absence d'un devoir d'agir :
One possible exception to the trend to wide definitions of the criminal act is the traditional reluctance to use failure to act as an actus reus. Traditionally, the criminal law has prohibited harmful conduct; it has not required socially desirable conduct. An omission or failure to act will generally only form the actus reus of a criminal offence when an individual has a specific duty to act.
[Soulignements dans l’original]
[45]
L’appelante fait aussi reproche au juge d’avoir omis de se demander si
le Règlement constitue un avertissement suffisant pour les propriétaires
d’immeubles, au sens du Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al.
[46] Or, ce n’est pas le cas. La lecture du règlement ne permet pas à un propriétaire d’immeuble de comprendre qu’il sera tenu responsable du fait des occupants des lieux, en l’absence d’une disposition claire lui imposant un devoir d’agir.
[47] Aussi, l’affaire Karting Château-Richer[29] ne peut être d’aucun secours à l’appelante. Dans cette affaire, non seulement le règlement municipal semble rédigé différemment (au paragraphe 1 on indique que l’infraction était de « produire, provoquer ou tolérer un bruit »), mais le propriétaire des lieux a été reconnu coupable en raison du fait que dans le cadre de ses activités commerciales, il louait des karts et du temps de piste aux propriétaires de karts. Il a donc été décidé que ses opérations commerciales causaient le bruit. L’activité de karting en soi, est génératrice de bruit. Or, en l’espèce, il n’y a pas de preuve que l’activité de location de courte durée en soi cause du bruit, même si l’on considère que seize personnes peuvent se retrouver dans une unité louée.
[49] L’article 2 du Règlement ne crée pas un devoir d’agir pour le propriétaire ni une infraction d’omission. Il crée une infraction de commission applicable à quiconque fait, provoque ou incite à faire, de quelque façon que ce soit, du bruit susceptible de troubler la paix ou la tranquillité du voisinage.
[50] Bien que la transgression à une infraction pourrait se manifester, en principe, autant par une action que par une omission, elle doit être prévue expressément au règlement portant sur les nuisances.
[51] Finalement, il n’est pas nécessaire de nous prononcer sur le bien-fondé de la conclusion du juge affirmant que les intimées ont offert une défense de diligence raisonnable.
[52] Je propose donc de rejeter l’appel, avec les frais de justice.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1]
Municipalité de Saint-Ferréol-les-Neiges c. Gestion immobilière Larouche
Martin inc.,
[2]
Gestion immobilière Larouche Martin inc. c. Municipalité de
Saint-Ferréol-les-Neiges,
[3] Règlement no. 00-405 concernant les nuisances et applicable par la Sûreté du Québec, Conseil municipal de Saint-Ferréol-les-Neiges, règlement no 00-405, adopté le 6 mars 2000, tel que modifié par le Règlement 16-699.
[4] Six autres constats sont en suspens.
[5] Les deux autres constats d’infraction reprennent le même libellé.
[6]
Gestion immobilière Larouche Martin inc. c. Municipalité de Saint-Ferréol-Les-Neiges,
[7] Jugement entrepris, paragr. 58 et 62-63.
[8] Jugement entrepris, paragr. 51-52.
[9] Jugement Bellavance, paragr. 19; jugement entrepris, paragr. 52 et 56.
[10]
Art.
[11] L’obiter dictum est défini ainsi : « Il peut s'agir d'une remarque ou d'une opinion qui ne porte pas directement sur la question à l'étude ou de la présentation d'un sujet qui ne fait pas l'objet de la décision qu'il est appelé à rendre et qu'il introduit en vue d'illustrer sa pensée, de la comparer avec d'autres ou d'en tirer un argument ». (Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 423).
[12]
Ghanotakis c. Expertises didactiques Lyons inc.,
[13] Jugement Bellavance, paragr. 19 et 22.
[14] Jugement Bellavance, paragr. 1 et 11.
[15]
Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc.,
[16] Loi sur les compétences municipales, RLRQ, c. C-47.1., art. 2.
[17] Loi sur les compétences municipales, RLRQ, c. C-47.1., art. 4(6) et 6(1).
[18] Loi sur les compétences municipales, RLRQ, c. C-47.1., art. 56-61.
[19] Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Thémis, 2009, no 1697.
[20]
Guy Cournoyer,
[21] Commission de réforme du droit du Canada, Rapport pour une nouvelle codification du droit pénal, édition révisée et augmentée, rapport no 31, Ottawa, 1987, p. 19-20.
[22] Commission de réforme du droit du Canada, Rapport pour une nouvelle codification du droit pénal, édition révisée et augmentée, rapport no 31, Ottawa, 1987, p. 20.
[23]
Mario Naccarato, « L'inaction en tant que modalité de l'actus reus en
droit criminel économique canadien »,
[24] Gisèle Côté-Harper, Antoine D. Manganas et Jean Turgeon, Droit pénal canadien, 3e éd., Cowansville, Yvon Bais, 1989, p. 213.
[25]
Doucet c. Ville de Saint-Eustache,
[26] Morris Manning, Peter Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff: criminal law, 4e éd., Markham, LexisNexis, 2009, p. 115.
[27]
Rochon c. R.,
[28]
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al.
[29] Karting Château-Richer inc. c. Ville de Château-Richer, 2003 CanLII 29642 (QC CS).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
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