- L’appelante se pourvoit contre un jugement prononcé le 17 janvier 2024 et rectifié le 12 février 2024 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Carl Lachance), lequel rejette sa demande de pourvoi en contrôle judiciaire d’une décision rendue le 7 février 2023 par le Tribunal administratif du travail (« TAT »).
Pour les motifs de la juge Dutil et les motifs concordants de la juge Bich, la COUR :
- ACCUEILLE l’appel;
- INFIRME le jugement de la Cour supérieure;
- ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;
- INFIRME la décision du TAT;
- DÉCLARE que le décès de M. Ottoniel Lares Batzibal est une lésion professionnelle;
- RETOURNE le dossier à la CNESST pour qu’elle statue sur le montant de l’indemnité;
- AVEC les frais de justice tant en première instance qu’en appel;
- Pour d’autres motifs, la juge en chef Savard aurait rejeté l’appel, avec les frais de justice.
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| MANON SAVARD, J.c.Q. |
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| JULIE DUTIL, J.C.A. |
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| MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
Me Laurence Martin Me Julien Thibault |
melançon, marceau |
Pour l’appelante |
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Me Pierre-Luc Thibault |
beauvais, truchon |
Pour l’intimée |
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Me Yves Lavallée Me Isabel Sioui |
laroche avocats cnesst |
Pour la mise en cause CNESST |
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Date d’audience : | 7 janvier 2025 |
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- La question au cœur du litige est de déterminer si le TAT a rendu une décision déraisonnable en concluant que M. Ottoniel Lares Batzibal, un travailleur agricole, n’est pas décédé d’un accident survenu à l'occasion de travail, au sens de l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« Latmp »)[1].
- Le TAT a confirmé la décision du 28 janvier 2022 de la Direction de la révision administrative de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST »), qui a déterminé que le décès de M. Batzibal n’est pas une lésion professionnelle[2]. La Cour supérieure a rejeté le pourvoi en contrôle judiciaire[3].
- Je suis d’avis qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi. Le TAT n’a en effet pas respecté les règles d’interprétation qui s’appliquent à la Latmp. Pour en arriver à la conclusion que l’accident subi par M. Batzibal n’est pas survenu à l’occasion du travail, il a recherché un lien direct avec les fonctions exercées, plutôt qu’un « lien plus ou moins étroit à l’exercice de la profession de la victime »[4], ignorant ainsi une contrainte essentielle à l’interprétation et à l’application de la Latmp, au sens de l’arrêt Vavilov[5]. Si le TAT avait respecté ces contraintes, il aurait conclu que les circonstances entourant cet accident établissent sans équivoque une connexité et l’utilité relative de la réparation tentée par M. Batzibal pour l’accomplissement de son travail.
- Avant de passer à l’analyse des principes juridiques applicables, il est important de bien décrire les faits de ce drame. Tant le TAT que la Cour supérieure n’en ont proposé qu’un résumé très succinct.
LE CONTEXTE
- M. Batzibal, originaire du Guatemala, travaillait depuis plusieurs années pour l’intimée, Les Cultures Fortin inc. (« l’Employeur »), comme travailleur agricole saisonnier.
- M. Batzibal était autorisé à conduire les véhicules de l’Employeur. Il le faisait dans le cadre de ses fonctions aux champs, mais également pour conduire ses compatriotes guatémaltèques à l’épicerie ou aux parties de soccer.
- La journée de l’accident, le dimanche 18 juillet 2021, M. Batzibal travaille aux champs à des travaux d’irrigation. Une crevaison survient sur le véhicule Caravan qu’il utilise pour transporter les outils afin d’effectuer cette tâche. M. Nicolas Fortin, un actionnaire de l’Employeur, répare le pneu. Il mentionne d’ailleurs lors de son témoignage avoir fait la réparation du pneu avec M. Batzibal, avant d’ajouter que ce dernier était à ses côtés puisqu’il utilisait le véhicule pour son travail[6].
- Vers 17 h, M. Batzibal et ses compagnons de travail quittent la ferme pour aller jouer au soccer au village voisin situé à environ 5 kilomètres. M. Batzibal est au volant du véhicule dont la crevaison a été réparée l’après‑midi même. Avant d’arriver à destination, il constate que le pneu est de nouveau dégonflé. Il laisse ses compagnons sur les lieux et retourne seul à la ferme pour, selon ce que ces derniers expliquent devant le TAT, revenir avec un autre véhicule.
- Dans le rapport d’intervention de la CNESST[7], il est indiqué que lorsque M. Batzibal arrive au garage de la ferme, il décide d’enlever le pneu crevé et d’installer le pneu de secours accroché sous le véhicule, entre les sièges avant. Pour ce faire, il utilise un « cric » brisé qui se trouve dans le garage de l’Employeur[8]. Le rapport de la CNESST indique d’ailleurs qu’avec les efforts déployés par M. Batzibal pour déloger le pneu, le cric a cédé et le véhicule est tombé sur lui, entraînant son décès[9].
- Lorsqu’ils reviennent à la ferme après leur partie de soccer, les compagnons de M. Batzibal le retrouvent coincé sous le véhicule.
LA DÉCISION DU TAT
- Le TAT rappelle d’abord que la présomption de lésion professionnelle ne s’applique pas en l’espèce. La seule question en litige est de déterminer si l’événement imprévu et soudain qui a entraîné le décès de M. Batzibal est survenu « à l’occasion du travail »[10]. Il conclut que ce n’est pas le cas puisque « l’activité exercée à ce moment n’est pas connexe au travail d’ouvrier agricole »[11].
- Le TAT analyse les critères élaborés par la jurisprudence pour déterminer la connexité avec l’activité exercée au moment de l’accident[12]. Il conclut que le garage, où a eu lieu l’accident, est situé sur les terrains de l’Employeur. Il peut donc être considéré comme inclus dans le milieu de travail[13]. L’accident est toutefois survenu après la journée de travail, alors que M. Batzibal n’était pas rémunéré[14]. Le TAT constate par ailleurs que l’Employeur ne lui avait pas demandé d’effectuer cette réparation puisque ce type de travail était toujours fait par des garagistes professionnels. Il retient que le jour de l’accident, M. Fortin, un actionnaire de l’Employeur, avait tenté de faire une réparation pendant que M. Batzibal l’attendait pour repartir avec le véhicule dans les champs[15].
- Le TAT considère également que la finalité de l’activité de réparation de la crevaison ne peut être qualifiée d’incidente ou facultative au travail exercé par M. Batzibal. Il ne s’agissait pas d’une activité « implicitement ou accessoirement attendue par l’employeur ou en raison des responsabilités d’ouvrier agricole ou de chauffeur désigné de ce dernier »[16]. Il rejette l’argument de l’appelante (« Succession ») que les chauffeurs changent généralement eux‑mêmes les pneus crevés et que M. Batzibal n’en était pas à sa première réparation. Pour le TAT, cette tâche était dissociable de la conduite d’un véhicule et de l’obligation de l’Employeur de fournir ou d’assurer un moyen de transport[17].
- Enfin, selon le TAT, il n’y a aucun lien d’utilité relative entre la tentative de réparation de la crevaison et l’accomplissement du travail[18]. Il souligne qu’aucune demande n’a été formulée par l’Employeur et que ce dernier n’avait aucune attente envers M. Batzibal ou envers tout autre employé à ce sujet. Ce type de travail était effectué à l’extérieur de l’entreprise et il n’existait aucune coutume ni habitude à cet égard. Le TAT ajoute que « la preuve prépondérante ne démontre pas non plus que cette activité a été effectuée par nécessité, comme dans le but d’éviter un accident ou un préjudice ou des dommages imminents aux biens de l’employeur, dans le contexte où […] le travailleur avait comme intention première de changer de véhicule et que cette option était disponible »[19].
- Le TAT conclut sur la question de l’utilité relative qu’il « n’y a donc pas de raison apparente, en lien avec son travail ou ses obligations, justifiant le travailleur de procéder au changement du pneu crevé plutôt que de prendre un autre véhicule pour retourner au village »[20].
- Par ailleurs, l’intention bienveillante de M. Batzibal s’inscrivait dans le cadre d’une initiative personnelle qui n’était pas liée à son travail malgré une interprétation large de la notion « à l’occasion du travail »[21].
- Le TAT rejette donc la contestation de la Succession.
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
- Le juge de la Cour supérieure retient que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable[22]. Il faut donc faire preuve de déférence à l’égard de la décision du TAT. Il conclut que cette dernière est raisonnable[23]. En effet, elle est « intelligible, logique et défendable sur la base des principes et critères jurisprudentiels d’analyse des termes “à l’occasion du travail” »[24]. Pour le juge, la Succession ne démontre pas de lacunes fondamentales dans la décision du TAT[25].
- En ce qui concerne le critère de subordination, cette décision, selon le juge, se justifie en raison des circonstances de l’accident. En effet, ce dernier est survenu en dehors des heures de travail, alors que M. Batzibal n’était pas rémunéré, même s’il se trouvait sur un lieu de travail[26].
- Quant à l’analyse du critère de la finalité de l’activité exercée par M. Batzibal, il est d’avis que la décision du TAT est logique et trouve appui dans la preuve[27]. En outre, selon le juge, il « n’y a pas d’erreur qui saute aux yeux ou qui compromette la logique de la décision de dissocier à partir de la preuve la tâche de conduire un véhicule de celle de réparer un pneu et d’ajouter qu’il y a absence de lien entre la tâche du conducteur et l’obligation de Fortin de fournir un transport à ses travailleurs »[28].
- Sur la question de l’utilité relative de l’activité pour l’Employeur, le juge conclut qu’il n’y a pas d’erreur capitale dans le raisonnement du TAT. Il n’y avait aucune attente de l’Employeur pour le changement de pneus ni aucune coutume à ce sujet[29].
- Le juge ne retient pas non plus l’argument de la Succession selon lequel le TAT aurait utilisé un critère erroné, soit celui de la nécessité plutôt que celui de l’utilité, et ce, pour écarter le critère de la connexité. En effet, le TAT ne fait que démontrer qu’il a pris en considération la jurisprudence qui reconnaît que, dans certaines circonstances, un accident survenu alors que le travailleur prend une initiative personnelle en raison d’impératifs de sécurité, le critère de nécessité permet d’établir un caractère de connexité suffisant pour qualifier l’accident comme survenu « à l’occasion du travail »[30].
- Le juge reconnaît cependant que le TAT commet une erreur lorsqu’il indique que « les témoins ont tous affirmé qu’à leur arrivée sur les lieux du drame, il y avait d’autres fourgonnettes »[31]. Toutefois, il est d’avis qu’il s’agit là d’une erreur mineure qui ne justifie pas d’intervenir, et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, la preuve établit que l’Employeur mettait à la disposition des travailleurs d’autres véhicules. En outre, le fait que d’autres véhicules étaient disponibles ne constitue pas l’assise de la décision. Celle‑ci est plutôt fondée sur l’absence de connexité entre le changement de pneu et le travail de M. Batzibal, de même que sur l’absence de lien entre le fait d’agir comme chauffeur et de changer un pneu, selon la preuve[32].
- Enfin, le juge rejette l’argument de la Succession selon lequel le TAT aurait adopté une approche restrictive dans son interprétation de la notion « à l’occasion du travail ». Il estime que ce qu’elle demande, c’est la réévaluation du dossier[33].
- Le juge rejette la demande de pourvoi en contrôle judiciaire.
LES QUESTIONS EN LITIGE
- La Succession soulève deux questions :
- La Cour supérieure a-t-elle erré en analysant la démarche du TAT quant à l’évaluation de la connexité requise pour conclure à la survenance d’un accident de travail au sens de l’article 2 de la Latmp?
- La Cour supérieure a-t-elle erré en concluant que le TAT s’est conformé au principe d’interprétation large et libérale qui s’imposait à lui compte tenu du caractère hautement social et de l’objectif réparateur de la Latmp?
L’ANALYSE
La norme
- Les parties reconnaissent que la norme de contrôle qui s’applique à la décision du TAT est celle de la décision raisonnable[34]. Le juge n’a commis aucune erreur en retenant cette norme. Pour satisfaire à celle-ci, la décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »[35]. Elle doit posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité »[36].
- Il est donc bien établi qu’une cour de révision doit examiner les motifs de la décision qui lui est soumise avec « une attention respectueuse » et chercher à comprendre le raisonnement qui a mené à la conclusion[37].
- En ce qui concerne les contraintes juridiques et factuelles que le décideur doit respecter, la Cour suprême, dans Vavilov, indique entre autres le régime législatif applicable, les principes d’interprétation des lois, la preuve portée à la connaissance du décideur, les faits dont il peut prendre connaissance d’office, les observations des parties, les pratiques et décisions antérieures de l’organisme administratif et l’impact potentiel de la décision sur l’individu qui en fait l’objet[38]. Ces éléments ne servent pas de liste de vérification, mais permettent « d’insister sur certains éléments du contexte pouvant amener la cour de révision à perdre confiance dans le résultat obtenu »[39].
- Mon collègue le juge Hardy, alors qu’il était à la Cour supérieure, a écrit qu’une lacune est fondamentale si elle a « une incidence importante sur l’évaluation globale et contextuelle des motifs de la décision attaquée »[40]. Ainsi, une justification manquante ne rend pas une décision déraisonnable dans tous les cas, mais si son incidence est importante sur la conclusion à laquelle est parvenu le tribunal, il peut y avoir intervention par la cour de révision.
- Quant au fardeau de démontrer le caractère déraisonnable d’une décision, il revient à celui qui la conteste[41].
* * *
- Je vais aborder les questions soulevées par la Succession, mais dans un ordre différent de celui qu’elle propose. Je vais commencer par un bref historique de la Latmp et par l’interprétation que cette loi doit recevoir.
L’historique de la législation et son interprétation
- Dans l’arrêt Béliveau St‑Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc.[42], le juge Gonthier, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, retrace l’historique de la législation[43]. Dès 1909, le législateur québécois adopte la première loi régissant l’indemnisation des accidents du travail[44]. Cette loi était devenue une nécessité puisqu’avec l’industrialisation, les recours de droit commun étaient inadaptés au monde du travail[45]. Dès le début, il s’agit d’un régime sans égard à la faute, laquelle est remplacée par la notion de risque professionnel[46]. Cette loi est par la suite modifiée maintes fois, mais toujours dans la même perspective[47].
- Une réforme majeure survient en 1985 alors que la Loi des accidents du travail de 1931[48] est remplacée par la Latmp. Toutefois, les principes à la base de ce régime d’indemnisation subsistent, soit la responsabilité sans égard à la faute et la consécration de la notion de risque professionnel[49].
- En ce qui concerne l’interprétation qui doit être donnée à cette loi, la Cour suprême s’y intéresse dès 1920 dans l’arrêt Montreal Tramways. Cet arrêt demeure très pertinent aujourd’hui quant à l’interprétation de l’expression « à l’occasion de son travail », que l’on retrouve maintenant dans la définition d’accident du travail à l’article 2 de la Latmp et qui figurait déjà dans l’article 1 de la loi de 1909.
- Dans cette affaire, le travailleur avait subi un accident en glissant sur le plancher glacé d’un tramway appartenant à son employeur et qu’il pouvait utiliser gratuitement pour se rendre et revenir du travail. Le juge Anglin, citant un commentateur français, retient « [qu’] il n’est pas nécessaire que (l’accident) survienne par le fait même du travail de la victime; il suffit qu’il se produise à l’occasion de ce travail : […] que l’accident se rattache par un lien plus ou moins étroit à l’exercice de la profession de la victime »[50]. Le juge Brodeur renchérit en soulignant que « [l]a loi des accidents du travail (art. 7321 S.R.Q.) ne couvre pas seulement l’accident survenu par le fait du travail mais aussi à l’occasion du travail, c’est-à-dire celui qui sans avoir pour cause directe le travail de la victime a été déterminé par un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement »[51]. La Cour suprême rejette le pourvoi de l’employeur qui contestait la décision d’indemniser le travailleur.
- On constate que la Cour suprême adopte dès lors une interprétation large et libérale de la loi visant à indemniser les travailleurs victimes de lésions professionnelles. Pour qu’il y ait lésion professionnelle « à l’occasion du travail », l’accident n’a pas à être étroitement relié aux tâches du travailleur. Il est suffisant que le lien soit « plus ou moins étroit à l’exercice de la profession de la victime » ou que l’activité soit « un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement »[52]. Le message de la Cour suprême est clair, il faut favoriser une interprétation large et libérale afin d’accomplir l’objectif réparateur de cette loi qui possède un caractère éminemment social. Il s’agit d’une loi d’ordre public[53].
- La Cour suprême a adopté la même approche pour l’interprétation de la Loi sur l’assurance automobile (« LAA »)[54]. Dans l’arrêt Westmount (Ville) c. Rossy[55], la Cour était saisie d’un pourvoi dont la principale question en litige concernait la portée de la LAA. Il s’agissait en effet de déterminer si le préjudice avait été causé par une automobile, par son usage ou par son chargement au sens de l’article premier de la LAA.
- Les faits sont les suivants. En août 2006, un arbre situé dans la Ville de Westmount tombe sur le véhicule dans lequel se trouvait M. Rossy et le tue. La famille de ce dernier intente alors un recours en dommages-intérêts contre la Ville en se fondant sur la responsabilité civile qui lui incombait, selon leurs prétentions, au terme du Code civil du Québec.
- Le juge LeBel, pour la Cour suprême, reprend la position du juge Baudouin, alors de notre Cour, que cette « Loi doit recevoir une interprétation large et libérale compte tenu des objectifs qu’elle poursuit, de la nature remédiatrice et du caractère social du régime qu’elle crée, de même que de son libellé »[56]. Le juge LeBel cite également les auteurs Baudouin et Deslauriers, lesquels insistent sur la nature remédiatrice du régime législatif. Compte tenu de celle-ci, ce qui est considéré comme un « accident » au sens de la LAA doit recevoir une interprétation large[57].
- La Cour conclut que l’accident subi par M. Rossy était un accident au sens de la LAA.
- L’interprétation large et libérale de ce type de lois, tant la Latmp que la LAA, est d’ailleurs consacrée à l’article 41 de la Loi d’interprétation :
41. Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage. Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin. | 41. Every provision of an Act is deemed to be enacted for the recognition of rights, the imposition of obligations or the furtherance of the exercise of rights, or for the remedying of some injustice or the securing of some benefit. Such statute shall receive such fair, large and liberal construction as will ensure the attainment of its object and the carrying out of its provisions, according to their true intent, meaning and spirit. [58] [Soulignements ajoutés] |
- En outre, l’article 351 Latmp indique que les décisions doivent être rendues suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas. Ma collègue la juge Bich, dans l’arrêt Syndicat du préhospitalier (FSSS‑CSN) c. Corporation d’Urgences‑santé, écrit que cette disposition « ne permet pas de créer des droits que la loi ne donne pas, mais […] établit un cadre général à l'intérieur duquel entre deux interprétations raisonnables, le décideur peut choisir celle qui penche davantage du côté de l'équité et de la justice »[59].
L’accident du travail et la lésion professionnelle
- En l’espèce, c’est la définition d’accident du travail que l’on retrouve à l’article 2 de la Latmp dont l’interprétation est à la base du litige. Elle est ainsi rédigée :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par: | 2. In this Act, unless the context requires otherwise, […] |
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle | “industrial accident” means a sudden and unforeseen event, attributable to any cause, which happens to a person, arising out of or in the course of his work and resulting in an employment injury to him |
| [Soulignements ajoutés] |
- Cette définition de l’« accident du travail » est elle-même liée à celle de lésion professionnelle, que l’on trouve dans le même article :
[…] | […] |
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation | “employment injury” means an injury or a disease arising out of or in the course of an industrial accident, or an occupational disease, including a recurrence, relapse or aggravation [Soulignements ajoutés] |
- La lésion professionnelle doit donc survenir du fait ou à l’occasion d’un accident du travail, qui peut lui-même survenir par le fait ou à l’occasion du travail.
- Pour déterminer si l’accident est survenu à l’occasion du travail, il faut analyser toutes les circonstances entourant celui-ci, et ce, afin de favoriser l’objectif réparateur de la Latmp et en considérant qu’elle doit recevoir une interprétation large et libérale.
- Le TAT, dans son analyse, utilise les six critères élaborés par la jurisprudence pour faire cette détermination. Ce sont les suivants :
- le lieu de l'événement accidentel;
- le moment de l'événement accidentel;
- la rémunération de l'activité exercée par le travailleur au moment de l'événement accidentel;
- l'existence et le degré d'autorité ou de subordination de l'employeur lorsque l'événement accidentel ne survient ni sur les lieux ni durant les heures du travail;
- la finalité de l'activité exercée par le travailleur au moment de l'événement accidentel, qu'elle soit incidente, accessoire ou facultative à ses conditions de travail;
- le caractère de connexité et d'utilité relative de l'activité du travailleur au regard de l'accomplissement du travail.[60]
- Ces critères constituent des outils qui facilitent le travail d’analyse du tribunal, mais ils ne sont pas limitatifs et ne doivent pas être pris isolément, car cela pourrait mener vers un résultat erroné.
- En l’espèce, plusieurs critères ne posent pas de problème devant notre Cour : a) l’accident a eu lieu sur les lieux du travail; b) après les heures de travail; c) alors que M. Batzibal n’était pas rémunéré; et d) que M. Fortin, son supérieur, n’était pas présent. La décision du TAT repose plus particulièrement sur les critères e) et f) qui l’ont amené à conclure que l’accident a eu lieu dans la sphère d’activités personnelles de M. Batzibal.
- Je précise immédiatement que je ne retiens pas l’argument de la Succession sur le fait que le TAT lui aurait imposé un critère nettement plus onéreux que l’existence d’un simple lien de connexité, soit celui de la nécessité. Le TAT écrit :
[20] Quant à l’utilité relative de cette activité en regard de l’accomplissement du travail, encore là, le Tribunal ne peut y voir un lien. Même si la réparation d’un équipement ou d’un de ses véhicules peut être utile pour un employeur, aucune demande n’a été formulée de la part de celui‑ci dans le présent dossier et il n’avait par ailleurs aucune attente envers le travailleur ou tout autre employé à ce sujet. Ce type de travail n’était pas exécuté dans l’entreprise. Il n’y avait aucune coutume ni habitude ni aucun précédent à cet égard. La preuve prépondérante ne démontre pas non plus que cette activité a été effectuée par nécessité, comme dans le but d’éviter un accident ou un préjudice ou des dommages imminents aux biens de l’employeur, dans le contexte où, rappelons-le, le travailleur avait comme intention première de changer de véhicule et que cette option était disponible.[61]
[Soulignement ajouté; renvois omis]
- Lorsque le TAT mentionne la « nécessité », il fait référence à un critère supplémentaire qui a été considéré par la jurisprudence pour établir un lien de connexité dans certaines circonstances particulières.
- En l’espèce, l’essence de la décision du TAT sur « l’utilité relative » ne repose pas sur le critère de la nécessité. Il conclut plutôt que même si la réparation d’un équipement ou d’un véhicule pouvait être utile à l’Employeur, son représentant, M. Fortin, n’avait fait aucune demande à cet effet et l’accident ne pouvait donc être survenu à l’occasion du travail. Il ajoute d’ailleurs que ce genre de travail n’était pas fait dans l’entreprise. Cela dit, pour les raisons que j’expliquerai maintenant, ces deux constats me paraissent déraisonnables.
- En effet, le TAT n’a pas respecté les contraintes juridiques et factuelles auxquelles il est assujetti[62]. Il expose bien le test applicable, soit celui élaboré par la jurisprudence[63], mais son analyse se limite à chercher un lien direct entre l’accident et les fonctions exercées par M. Batzibal.
- Comme mentionné, la Latmp commande une interprétation large et libérale. Or, ce principe n’a pas été suivi. Le TAT a conclu que M. Batzibal agissait dans sa sphère personnelle et que l’événement au cours duquel il a perdu la vie n’avait aucun lien avec ses fonctions, ce qui n’est pas le cas. Le véhicule qu’il tentait de réparer était utilisé pour exercer ses tâches. Comme le souligne la Cour suprême dans Montreal Tramways, le lien avec les tâches peut être plus ou moins étroit. Or, le témoignage de M. Fortin, bien qu’évasif à certains moments, permet de constater que les travailleurs, incluant M. Batzibal, ont participé à certaines réparations du matériel agricole utilisé pour le travail. Il a également mentionné qu’il les formait pour le futur. En outre, la réparation effectuée aurait certes été utile à l’Employeur si M. Batzibal avait réussi à la compléter.
- À la lumière des faits mis en preuve, il est bien établi que M. Batzibal était un chauffeur désigné des véhicules de l’Employeur, et ce, tant durant les heures de travail que pour conduire ses compagnons à l’épicerie ou aux parties de soccer. En outre, quelques heures avant l’accident, il a assisté M. Fortin pour la réparation du pneu ou il était tout au moins présent. Il est difficile de déterminer exactement son rôle, mais M. Fortin mentionne clairement, lors de son témoignage, qu’il a réparé le pneu avec M. Batzibal, avant de nuancer son propos :
Q Qui a réparé ce pneu-là cette journée-là?
R Moi et Ottoniel.
Q Donc, c’est vous et Ottoniel dans l’après-midi qui avez réparé le pneu en question?
R Bien, il était à côté, il était avec moi vu qu’il utilisait une voiture, en attendant.
Q O.K. Donc, cet après-midi-là, il y a eu une réparation au pneu en question, c’est ça?
R Oui.[64]
[Soulignements ajoutés]
- M. Fortin témoigne que la réparation de la crevaison visait à permettre à M. Batzibal de retourner aux champs pour effectuer les travaux d’irrigation[65]. Ce dernier a d’ailleurs été présent tout au long de la réparation, qui a consisté à boucher le trou avec une « suce »[66]. M. Fortin mentionne d’ailleurs qu’il faisait à la ferme de petites réparations comme celle-là, sur un véhicule :
Q Donc, il y a eu une réparation?
R Oui. Une simple réparation, oui. Celle-là, on en fait ça, on peut en faire.
Q O.K.
R, Mais, comme des fois des suces, ça marche ou ça marche pas.
Q Ça, je comprends l’histoire de la suce là. Donc, ce que je comprends, c’est qu’il se fait de la réparation, petites réparations, je suis d’accord avec vous, mais il se fait de la réparation sur les véhicules?
R Oui.[67]
[Soulignement ajouté]
- M. Fortin parle également de la formation de ses travailleurs agricoles pour faire de petites réparations mécaniques sur le matériel. Son témoignage est peu précis, mais il fournit tout de même un éclairage important sur la situation. Il mentionne d’abord qu’il s’occupe lui‑même de la petite mécanique et qu’il ne se fait pas nécessairement aider par des travailleurs agricoles, à moins d’un besoin exceptionnel. Il ajoute ensuite que des travailleurs voulaient l’aider à faire les réparations :
Q La petite mécanique comme vous dites, c’est vous qui la faites cette petite mécanique-là?
R Oui.
Q Est-ce que vous vous faites aider par des travailleurs pour faire cette mécanique-là aussi?
R Pas nécessairement.
Q, Mais quand vous dites « pas nécessairement »?
R Bien non, à moins que j’aie vraiment un exceptionnel, mais…
Q En général il n’y a aucun travailleur qui fait de la mécanique avec vous, c’est ça?
R En général, c’est moi qui la fais, oui. C’est moi qui la faite [sic] toute là.
Q Est-ce que c’est déjà arrivé que vous avez demandé de l’aide à des travailleurs pour faire de la mécanique?
R Bien, non, pas tant, non.
Q Bien…
R Bien des fois, ça arrivait qu’ils passaient là puis ils avaient envie de m’aider, mais…[68]
[Soulignements ajoutés]
- Par la suite, M. Fortin souligne qu’il est arrivé qu’il forme les travailleurs agricoles à la mécanique sur de la machinerie agricole. Il mentionne ceci :
Q Donc, de votre témoignage, de ce que je comprends, c’est qu’il n’y avait pas de mécanique faite par les travailleurs, c’est bien ça?
R Oui.
Q O.K. Est-ce qu’il y a déjà eu…
R Quand ils en font, c’est tout le temps avec moi, puis sur ma demande, au pire c’est juste peut-être pour essayer de les former pour que dans le futur…
Q Donc, de ce que je comprends de votre témoignage…
R Puis, dans le futur, si jamais il m’arrive quelque chose, ils pourraient toujours…
Q O.K. Donc, de ce que je comprends de votre témoignage, c’est qu’ils travaillent avec vous dans la mécanique?
R Non, non, mais c’est déjà arrivé, mais… c’est déjà arrivé une fois…
Q, Mais de votre témoignage, vous dites que vous voulez les former. Former à la mécanique?
R Oui. Pas vraiment, c’est juste comme ça aussi, mais c’est juste, quand ils m’aident, mais je ne les forme pas vraiment à la mécanique là, mais quand ils m’aident, c’est sûr qu’ils sont curieux, c’est juste ça.[69]
[Soulignements ajoutés]
- Ces passages du témoignage de M. Fortin sont importants pour comprendre le contexte dans lequel M. Batzibal a tenté d’effectuer la réparation qui a mené à son décès. Par ailleurs, bien que le TAT retienne que le type de réparation tentée par M. Batzibal était généralement effectuée par des garagistes professionnels, ce constat est étranger à la recherche d’un lien de connexité avec le travail. Il ne démontre que l’absence de lien direct. Il ressort en outre clairement de la preuve que de petites réparations, par exemple celle effectuée l’après-midi même sur la Caravan par M. Fortin, pouvaient être faites à la ferme[70].
- Comme le plaide la Succession, le TAT, au paragraphe 21 de la décision, commet effectivement une erreur en indiquant que les témoins ont tous affirmé qu’il y avait d’autres camionnettes sur les lieux du drame. Ils n’ont pas fait cette affirmation. Toutefois, il ressort de la preuve que l’Employeur possède plusieurs véhicules (dont quatre véhicules Caravan[71]) et il est raisonnable de déduire, comme le fait le juge de la Cour supérieure[72], qu’il y en avait d’autres sur les lieux au moment du drame. L’erreur du TAT est plutôt, à mon avis, de conclure, sur l’utilité relative de l’activité, qu’il n’y avait « pas de raison apparente, en lien avec son travail ou ses obligations, justifiant le travailleur de procéder au changement du pneu crevé plutôt que de prendre un autre véhicule pour retourner au village »[73].
- Cette approche est erronée et n’est pas conforme à l’interprétation large et libérale que doivent recevoir la Latmp et son article 351. Le TAT a cherché un lien direct avec le travail, ce qui était une erreur. Il devait plutôt déterminer si l’accident est survenu « à l’occasion du travail », « c’est-à-dire celui qui sans avoir pour cause directe le travail de la victime a été déterminé par un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement »[74]. Dans cette recherche du lien direct, le TAT a fait de son hypothèse sur les raisons apparentes ayant amené M. Batzibal à effectuer la réparation, une certitude, ce qui était également une erreur.
- En recherchant un lien direct, le TAT ne tient pas compte de la preuve qui lui aurait permis de conclure que les raisons à l’origine de la décision de M. Batzibal pouvaient être autres. En effet, il travaillait pour l’Employeur depuis plusieurs saisons. Il était un des conducteurs désignés et c’est lui qui conduisait le véhicule l’après‑midi même, alors que la première crevaison est survenue. Il a assisté, ou a tout au moins été témoin de la réparation effectuée sur le pneu. Il est ensuite retourné immédiatement aux champs pour poursuivre le travail d’irrigation. Plutôt que d’aller rejoindre ses compagnons sans délai à la partie de soccer, il a pu décider d’effectuer immédiatement la réparation afin de s’assurer que le véhicule serait prêt pour le travail le lendemain, et ce, au bénéfice de l’Employeur pour lequel il travaillait depuis plusieurs années. Si son intention avait plutôt été d’aller rejoindre ses compagnons sans délai, il aurait pu le faire en utilisant un des autres véhicules de l’Employeur dont les clés étaient à bord, selon la preuve.
- Je veux également signaler un fait important que le TAT passe sous silence. Le rapport d’intervention de la CNESST indique clairement que le véhicule s’est effondré sur M. Batzibal en raison d’un cric défectueux qui se trouvait dans le garage[75]. C’est donc en utilisant un outil appartenant à l’Employeur pour réparer le pneu d’un de ses véhicules sur les lieux du travail que l’accident est survenu.
- Si le TAT avait fait une interprétation large et libérale de la Latmp et de son article 351, il aurait conclu que les circonstances, lorsqu’analysées globalement et dans leur contexte, établissent un lien suffisant entre l’accident et le travail de M. Batzibal pour conclure que l’accident est survenu à « l’occasion du travail »[76].
- Il existe des exemples dans la jurisprudence qui illustrent l’interprétation large et libérale que la Latmp doit recevoir pour accomplir son caractère hautement social et son but réparateur[77]. Les tribunaux recherchent le lien de connexité non pas en morcelant l’analyse des différents critères, mais en examinant toutes les circonstances pertinentes qui peuvent établir un lien de connexité avec le travail. En voici trois.
- Le TAT, dans Emballages LM inc. et Corriveau[78], confirme une décision de la CNESST qui a accepté la réclamation d’un travailleur. Alors qu’il se dirige vers la sortie du stationnement de l’employeur, le travailleur rebrousse chemin et se rend au poste de travail de son collègue afin de l’aider à procéder au changement des courroies d’un dépoussiéreur. C’est une initiative personnelle du travailleur puisque l’employeur ne lui a pas demandé d’effectuer cette tâche. Le travailleur se coince un doigt entre la poulie et l’une des courroies. Il souffre de séquelles permanentes puisqu’il a dû subir une amputation du doigt au niveau de la troisième phalange.
- Dans cette affaire, l’employeur plaidait que le travailleur était dans sa sphère personnelle lorsque l’accident est survenu. Le TAT rejette cet argument et conclut plutôt qu’il y a une connexité entre l’accident et les tâches du travailleur. Cette concordance s’apprécie en fonction de la nature des tâches exercées et du bénéfice que l’employeur en retire[79]. En ce qui concerne la finalité de l’activité ayant mené à la lésion professionnelle, le TAT écrit ceci :
[17] De même, l’activité à l’origine de la blessure du travailleur n’est pas une activité purement personnelle, non reliée au travail. Sa finalité consiste à la maintenance d’un équipement servant au fonctionnement de l’usine. Il est également indéniable que l’employeur retire des bénéfices de celle‑ci, qui s’avère être utile pour le fonctionnement de son entreprise. Finalement, l’employeur exerce un contrôle sur une activité de ce type; celle‑ci concerne la maintenance d’une machinerie située sur son terrain.
[18] Pour ces motifs, le Tribunal réfute l’argument de l’employeur selon lequel la tâche effectuée par le travailleur est partie intégrante de sa sphère personnelle, puisqu’elle ne concerne pas son travail de préposé à la maintenance du bâtiment, qu’elle est exécutée de son propre chef, sans autorisation préalable et à l’extérieur des heures habituelles de son travail.[80]
[Soulignement ajouté; renvoi omis]
- Dans une autre affaire, Ouellet et Coffrages Daniel Lampron inc.[81], le TAT est saisi de la contestation d’une décision de la CNESST qui a refusé la réclamation d’un travailleur qui s’est blessé alors qu’il se trouvait dans le stationnement le plus près de son chantier de construction, en attente du début de son quart de travail 45 minutes plus tard. En tentant de réparer avec un couteau un dévidoir à broche accroché à sa ceinture, il se coupe au doigt[82]. L’employeur plaide que l’accident n’est pas survenu à l’occasion du travail.
- Cette affaire présente plusieurs similitudes avec celle dont la Cour est saisie, en particulier concernant la finalité et l’utilité relative à l’activité exercée. Le TAT écrit ceci :
[37] Dans le présent dossier, l’activité exercée au moment où survient l’événement, soit celle de réparer un outil que le travailleur utilise dans son travail est évidemment reliée à celui‑ci. L’employeur soutient que cette réparation n’est pas à son bénéfice exclusif. Avec égards, le Tribunal ne partage pas ce point de vue. L’employeur a tout autant intérêt que le travailleur que les outils de ce dernier soient adéquats et prêts à être utilisés pour le travail à réaliser. Il bénéficie également du fait que le travailleur effectue cette réparation alors qu’il n’est pas sur son temps de travail. Bien sûr que le travailleur en bénéficie également puisque la réparation lui permet de rendre sa prestation de travail, mais on ne peut nier que c’est à son seul bénéfice et la jurisprudence n’exige pas que l’activité qui cause la lésion soit au bénéfice exclusif de l’employeur.[83]
[Soulignement ajouté]
- Comme dans ces deux affaires, je souligne par ailleurs qu’en l’espèce, la finalité de l’activité, soit la réparation du pneu crevé, était également la maintenance d’un équipement servant à l’exploitation de l’entreprise de l’Employeur. Elle était utile à ce dernier et il pouvait en tirer des bénéfices.
- Enfin, dans la décision Commission scolaire au Cœur‑des‑Vallées et Charlebois[84], il s’agissait d’une travailleuse occupant diverses fonctions pour l’employeur depuis 2002. Elle était préposée auprès d’une élève handicapée, surveillante de dîner et du départ en autobus des élèves, en plus d’agir comme accompagnatrice pédagogique auprès d’élèves. Il était connu que cette travailleuse restait sur les lieux du travail entre ces périodes de travail. Alors qu’elle était non rémunérée, elle offrait régulièrement son aide à la secrétaire, pour faire des photocopies ou du classement, ou encore aux professeurs pour préparer du matériel didactique. L’employeur connaissait ces faits, les tolérait et même les encourageait. Cependant, le 19 novembre 2012, la travailleuse a pris cette fois l’initiative d’aller fermer des tables pliantes à la cafétéria afin de faciliter la tâche du concierge lors du lavage du plancher. C’est à ce moment qu’elle s’est blessée.
- La Commission des lésions professionnelles a reconnu que l’activité au cours de laquelle la travailleuse s’est blessée n’était pas totalement étrangère à ses tâches[85]. Elle a reconnu un lien entre cette activité, qui avait comme finalité la propreté du plancher de la cafétéria et ses tâches de surveillante de dîner. Le but était de tenter d’améliorer le résultat de son travail[86]. En outre, l’activité au cours de laquelle la travailleuse s’est blessée « pouvait s’avérer utile ou bénéfique à l’employeur puisque le but était qu’il en résulte un état de propreté du plancher de la cafétéria »[87]. Elle était donc dans sa sphère professionnelle, même si elle n’était pas rémunérée ou sous l’autorité de l’employeur à ce moment[88].
- Ces décisions illustrent l’interprétation large et libérale qui doit être donnée à l’expression « à l’occasion du travail ».
CONCLUSION
- Le TAT n’a pas respecté les principes d’interprétation de la Latmp en recherchant un lien direct entre le travail de M. Batzibal et la tentative de réparation du pneu, ce qui a fait en sorte qu’il n’a pas tenu compte de toute la preuve permettant d’établir le lien plus ou moins étroit de connexité. Quant à l’impact de la décision pour la succession de M. Batzibal, il est aisé de conclure qu’il est important. Ce dernier venait chaque année au Québec pour travailler aux champs comme travailleur agricole saisonnier, alors que sa famille demeurait au Guatemala. Son décès a certainement entraîné d’importantes conséquences pour cette famille[89].
- Le TAT a donc commis des erreurs révisables en rejetant la contestation de la Succession et la Cour supérieure aurait dû accueillir le pourvoi en contrôle judiciaire.
- Je suis également d’avis que le renvoi du dossier pour un nouvel examen par le TAT ferait échec au souci de résolution rapide et efficace de la présente affaire. Le renvoi ne servirait à rien car le résultat serait de reconnaître que l’accident de M. Batzibal a eu lieu « à l’occasion du travail »[90].
- Je propose d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure, d’infirmer la décision du TAT, d’accueillir la contestation de la Succession contre la décision de la CNESST du 28 janvier 2022, de déclarer que le décès de M. Batzibal est une lésion professionnelle et de retourner le dossier à la CNESST pour qu’elle statue sur le montant de l’indemnité, avec les frais de justice.
- Selon l’enseignement majoritaire de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, le contrôle de la décision prononcée par le TAT le 7 février 2023 doit se faire selon la norme de la décision raisonnable, ce que personne ne conteste, du reste. Toujours selon cet enseignement, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, paragr. 85). C’est là l’essence de ce que doit vérifier la cour saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire, qui se demandera donc, réitère cet arrêt, « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, paragr. 99).
- Cet exercice doit être mené avec un considérable degré de déférence envers le décideur administratif, que ce soit sur le plan du droit (Vavilov, paragr. 85) ou, plus encore, celui des faits (Vavilov, paragr. 125). L’intervention ne sera en effet justifiée qu’en présence d’une lacune capitale et importante dans la logique interne du raisonnement (Vavilov, paragr. 100 et 101) ou « d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, paragr. 101). Au chapitre de ces contraintes, la cour de révision doit ainsi s’assurer que la décision contestée respecte les principes directeurs du régime législatif en cause. S’agissant des faits et de l’appréciation de la preuve, « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, paragr. 126) : il revient également à la cour de révision de s’assurer que tel n’est pas le cas.
- Qu’en est-il en l’espèce? Avec beaucoup d’égards, la décision du TAT, quoique ses motifs soient transparents et intelligibles, me semble néanmoins receler des erreurs fondamentales justifiant une intervention.
- D’une part, cette décision fait peu de cas du libéralisme interprétatif propre à la Latmp, qui est la pierre angulaire du régime de réparation établi par cette loi, ce que reflète d’ailleurs son art. 351 al. 1. Certes, le TAT n’ignore pas ce principe (que mentionne brièvement le paragr. 22 de sa décision), mais il ne l’applique pas à la question de savoir si l’incident dont le travailleur Ottoniel Lares Batzibal a été victime chez l’intimée, le 18 juillet 2021, est un « accident du travail » au sens de l’art. 2 Latmp, survenu en l’occurrence à l’occasion de son travail. Comme le rappelle la juge Dutil, la Cour suprême, il y a plus d’un siècle, a décidé que cette expression doit être lue d’une manière généreuse, vu la vocation sociale de la Latmp, et qu’elle n'exclut pas – comme on le voit des faits de l’arrêt Montréal Tramways – un accident survenu dans la vie personnelle du travailleur, pour autant que l’affaire ait un lien « plus ou moins étroit »[91] avec le travail ou soit « plus ou moins utile à son accomplissement »[92].
- Or, à l’opposé de ce principe interprétatif reconnu, la décision du TAT fait une lecture étroite et de la loi et de la situation qui lui est présentée. Même si elle décline les différents critères développés par la jurisprudence au cours des ans pour déterminer l’existence de pareil lien ou de pareille utilité, son analyse est ciblée sur la recherche d’un lien direct entre l’accident et les tâches spécifiquement dévolues au travailleur dans l’exercice de ses fonctions[93] ou celles qui auraient été requises par l’employeur. Cela ressort particulièrement de ses paragraphes 17 et 20. Or, ce ne peut être là le test applicable, puisqu’il efface presque entièrement l’idée de l’événement se produisant à l’occasion du travail, qui ne saurait évidemment se réduire à des circonstances inattendues survenues pendant l’accomplissement des tâches usuelles du travailleur ou celui de tâches qui, hors ce cadre, lui sont demandées par l’employeur, explicitement ou implicitement, ou rémunérées par lui[94]. Enfin, le fait que l’accident se soit produit hors des heures de travail, à l’occasion d’un événement de la vie personnelle de l’individu, ne suffit pas pour écarter la possibilité que l’accident soit néanmoins survenu à l’occasion de son travail. C’était d’ailleurs précisément le cas dans Montreal Tramways, alors que l’employé, autorisé à emprunter gratuitement le réseau de transport de son employeur après la fin de sa journée de travail, se blesse en chutant sur le plancher glacé du tramway qu’il emprunte pour rentrer chez lui. La Cour suprême conclut qu’il s’agit bel et bien d’un accident du travail, survenu à l’occasion de celui‑ci. Notons au passage que cet arrêt fait montre d’une vision remarquablement large de la notion d’utilité pour l’employeur, critère que la jurisprudence contemporaine du TAT avalise toujours, mais qui fut ici appliqué parcimonieusement.
- D’autre part, comme le montrent les motifs de la juge Dutil, la décision du TAT ignore aussi une partie significative de la preuve et, en particulier, elle n’accorde aucune importance aux faiblesses frappantes du témoignage du représentant de l’Employeur, qui est flou, fluctuant et hésitant sur certains points cruciaux. La décision ne répond pas non plus aux contradictions entre ce témoignage et celui des deux autres travailleurs qui ont comparu devant le TAT : elle refuse plutôt de résoudre cette contradiction, qui ne lui paraît pas pertinente[95], alors que celle-ci affecte au contraire substantiellement la crédibilité générale du représentant de l’employeur. Ce sont là, avec égards, deux lacunes fatales à la logique justificative de la décision.
- En outre, le TAT n’a pas tenu compte du contexte propre à la situation d’emploi de la personne qui réside en raison de cet emploi sur les lieux du travail ou à proximité de ceux-ci, dans un logement fourni par l’Employeur, à l’instar de M. Batzibal (travailleur agricole étranger)[96]. Ce contexte engendre une certaine mainmise (même involontaire) de l’employeur sur plusieurs des aspects de la vie privée du travailleur (particulièrement lorsqu’il s’agit d’un travailleur étranger) et peut brouiller la ligne qui existe entre ce qui relève strictement de cette vie privée et ce qui relève strictement de la vie professionnelle, la distinction ne pouvant être fondée uniquement sur le fait que l’événement accidentel se produit hors les heures de travail ou pendant celles-ci. Ce contexte doit nécessairement être considéré en vue de déterminer l’existence du lien « plus ou moins étroit » caractéristique de l’expression à l’occasion du travail (ou plus exactement de son travail, pour reprendre les mots de la loi). Or, le TAT l’a ignoré, excluant ainsi la finalité de l’activité, c’est-à-dire que la réparation entreprise hors les heures de travail pour remédier à une crevaison survenue pendant un événement personnel – réparation dont il reconnaît cependant l’utilité en quelque sorte « objective » pour l’employeur[97] – ait pu avoir un quelconque rapport avec l’accomplissement des tâches du travailleur appelé à conduire la fourgonnette en cause dans l’exercice de celles‑ci.
- Bref, pour toutes ces raisons et comme la juge Dutil, je conclus que la décision du TAT ne respecte pas les contraintes juridiques et factuelles pertinentes.
* *
- Qu’en est-il du remède découlant de cette conclusion? La Cour doit-elle statuer elle-même sur la question de savoir si l’accident s’est produit à l’occasion du travail ou renvoyer l’affaire au TAT pour qu’elle y soit entendue de novo (ce qui est le remède usuel)[98]? Ainsi que la juge Dutil, j’estime que la situation est l’une de celles « dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter […]. L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va‑et‑vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens » (Vavilov, paragr. 142). Il est vrai que ce risque est afférent à bon nombre des cas où l’on remet le dossier entre les mains du tribunal administratif et se révèle rarement dirimant. Mais par exception, en l’espèce, un tel renvoi au TAT serait largement factice, et ce, pour deux raisons : 1° vu les motifs majoritaires de la Cour, le décideur administratif aurait une marge de manœuvre très restreinte, voire inexistante, tant au regard du droit que des faits[99] et 2° la possibilité bien réelle d’une indisponibilité d’une partie de la preuve testimoniale (celle des collègues du travailleur décédé) dans le cadre d’une audience de novo. La solution est sans doute inhabituelle, dans la mesure où l’affaire comporte une composante factuelle ou mixte, mais elle me paraît néanmoins s’imposer.
- En somme, je me rallie donc à la proposition de la juge Dutil et au paragraphe [87] de ses motifs.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
- La règle est connue : l’analyse à laquelle doit se livrer un juge saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire d’une décision rendue par un décideur administratif est fort circonscrite lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique. Elle s’intéresse d’abord et avant tout à la décision rendue et porte particulièrement sur les motifs du décideur. Le juge ne doit surtout pas se livrer à une analyse de novo de la question devant être tranchée ni se demander « ce qu’aurait été la décision correcte »[100]. L’exercice se résume à se demander si la décision est raisonnable, en s’attardant au raisonnement suivi et au résultat obtenu :
[83] Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles-mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. […] La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.
- À mon avis, le juge de première instance[101] a correctement appliqué ce cadre d’examen. Une analyse de novo du problème aurait peut-être pu mener à une solution différente, mais tel n’est pas l’exercice auquel le juge de première instance devait se livrer, pas plus d’ailleurs que la Cour dans le cadre de l’appel de son jugement. Je propose donc de rejeter l’appel, pour les motifs qui suivent.
ANALYSE
- Tous conviennent que le contrôle de la décision du TAT rejetant la réclamation de la succession de M. Batzibal[102] (« la Succession ») au motif que le décès de ce dernier n’est pas survenu à « l’occasion du travail » devait être exercé selon la norme de la décision raisonnable. Le débat devant la Cour porte donc uniquement sur l’application de cette norme par le juge de première instance.
- Le rôle de ce dernier consistait ainsi à déterminer si la décision du TAT, lue dans son ensemble, était raisonnable. Comme je l’écrivais en introduction, le cadre d’analyse que la cour de révision doit adopter pour répondre à cette question a été précisé dans l’arrêt Vavilov[103], à tout le moins sur le plan conceptuel, et n’a pas été remis en question depuis : une décision sera raisonnable si elle est « […] fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »[104]. Les motifs du décideur administratif sont donc au cœur de l’examen auquel se livre le juge réviseur, en ce qu’ils lui permettent de comprendre le raisonnement adopté par le décideur et de déterminer si sa décision souffre de l’une ou l’autre des « deux catégories de lacunes fondamentales » pouvant justifier une intervention, soit le manque de logique de son raisonnement et une justification déraisonnable à la lumière des contraintes juridiques et factuelles.
- À cette fin, le juge de première instance devait se rappeler le cadre limité de sa marge d’intervention énoncé dans Vavilov :
[75] […] les cours de révision doivent] respecter les décideurs administratifs et leur expertise spécialisée; ne [doivent] pas se demander comment elles auraient elles-mêmes tranché une question; et [doivent] se concentrer sur la question de savoir si la partie demanderesse a démontré le caractère déraisonnable de la décision […].
- Il n’est pas contesté que le juge de première instance a correctement énoncé le cadre d’analyse applicable, en plus de se mettre en garde, à juste titre, de ne pas substituer son opinion à celle du TAT, « [m]algré toute la sympathie que cette affaire soulève […] »[105]. Au terme de son analyse, le juge ne relève aucune lacune fondamentale dans la décision du TAT, ce qui, à mon avis, est le résultat d’une application correcte de la norme de la décision raisonnable. Ma lecture repose sur l’analyse suivante.
a. Le raisonnement intrinsèquement cohérent
- Dans Vavilov, les juges majoritaires écrivent que : « [p]our être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique »[106]. Le juge réviseur doit pouvoir comprendre le raisonnement qui justifie la décision du décideur administratif.
- En l’occurrence, le juge de première instance estime le raisonnement du TAT intelligible et logique[107]. Bien que cette conclusion ne soit pas remise en question devant la Cour, je me permets de dire quelques mots à ce sujet puisque la raisonnabilité d’une décision administrative ne peut être étudiée en isolant un seul aspect de celle-ci. Elle repose plutôt sur une lecture des motifs dans leur ensemble[108] et sur un examen de ceux‑ci effectué en corrélation avec la question à trancher.
- Les motifs du TAT font état d’une analyse cohérente en ce que celui-ci : (1) circonscrit le débat en reprenant la définition d’un « accident du travail » au sens de la Latmp sur laquelle le débat s’appuie vu la non-application de la présomption d’une lésion professionnelle aux faits de l’espèce (art. 28 Latmp); (2) dégage de cette définition les éléments qui ne sont pas contestés, soit l’existence d’un évènement imprévu et soudain – l’effondrement malheureux du véhicule sur M. Batzibal alors qu’il s’affairait à changer le pneu crevé – qui est la cause son décès; (3) précise qu’il doit dès lors déterminer si cet évènement est survenu « à l’occasion du travail », ce qui requiert, écrit‑il, « […] d’évaluer la connexité de l’activité exercée au moment de l’accident avec le travail »[109]; (4) énumère les éléments à considérer globalement pour statuer sur cette question; (5) procède à l’analyse de chacun d’eux, à la lumière de ses conclusions factuelles et des décisions rendues en semblables matières; et, finalement, (6) pondère le tout pour conclure que l’accident n’est pas survenu « à l’occasion du travail ».
- Je ne vois aucune faille dans la logique et la cohérence du raisonnement adopté par le TAT, à tout le moins dans sa structure[110]. Celui-ci respecte le cadre d’analyse imposé par la définition d’un « accident du travail » selon la Latmp et plus précisément par celle de la notion de « à l’occasion du travail ». Le juge de première instance a donc correctement conclu que la décision du TAT n’était pas affectée de cette « lacune fondamentale » que serait l’absence d’un raisonnement logique et cohérent.
b. Les contraintes juridiques et factuelles
- C’est plutôt en s’appuyant sur cette seconde catégorie de « lacunes fondamentales » que la Succession conteste la raisonnabilité de la décision du TAT. Son argumentaire s’articule autour de deux axes : d’une part, le TAT aurait « appliqué un critère nettement plus onéreux que l’existence d’un simple lien de connexité entre l’évènement accidentel et le travail »[111] en fondant plutôt son analyse sur celui de la nécessité et, d’autre part, il n’aurait pas respecté le principe suivant lequel la Latmp doit recevoir une interprétation large et libérale.
i) Le critère plus onéreux retenu : la nécessité
- L’existence, ou non, d’un lien de connexité entre l’évènement accidentel et le travail constituait, en fait, la seule question sur laquelle le TAT devait se prononcer. En effet, comme je l’indiquais préalablement, celui-ci devait déterminer si l’évènement imprévu et soudain ayant entraîné le décès de M. Batzibal (l’effondrement du véhicule sur ce dernier lors de la réparation de la crevaison) était survenu « à l’occasion du travail ». Or, puisque cette notion n’est pas définie à la loi, le TAT précise qu’il lui faut « […] évaluer la connexité de l’activité exercée au moment de l’accident avec le travail »[112]. Il utilise ainsi le critère repris de manière constante dans sa jurisprudence pour répondre à la question dont il est saisi et dès lors déterminer si la preuve lui permet de conclure à « […] l’existence d’un lien plus ou moins étroit entre l’activité par laquelle survient la lésion et le travail »[113]. J’ajoute que ce critère tire son origine de l’interprétation de la notion de « à l’occasion du travail » proposée par la Cour suprême dans l’arrêt Montreal Tramways c. Girard[114], tout en ayant été précisée par la suite par le TAT et ses prédécesseurs.
- Tous conviennent qu’à cette fin, le TAT a correctement énoncé le cadre juridique applicable déterminé par la jurisprudence. Il énumère les éléments pertinents[115] pour les besoins de son analyse et ajoute, toujours à juste titre, qu’aucun d’eux n’est à lui seul déterminant. Il complète en précisant que « [c]haque cas doit être apprécié globalement ou, autrement dit, en considérant l’ensemble des circonstances particulières »[116].
- C’est l’exercice auquel le TAT se livre. Suivant son analyse de la preuve, celui-ci conclut que : 1- au moment de l’évènement, la journée de travail de M. Batzibal était terminée et celui-ci n’était pas rémunéré (paragr. 15); 2- après avoir laissé ses amis près du parc où ils devaient jouer au soccer, il décide de revenir à la ferme « pour changer de véhicule », car l’un des pneus du véhicule utilisé s’était dessoufflé (paragr. 17); 3- le lieu où l’évènement est survenu (le garage situé sur les terrains de l’employeur) pouvait par extension être considéré comme étant le milieu de travail (paragr. 15); 4- au lieu de prendre un autre véhicule, M. Batzibal effectue plutôt la réparation de la crevaison, alors que « […] ce type de travail était toujours effectué par des garagistes professionnels » à l’extérieur de la ferme (paragr. 16); 5- la réparation de la crevaison ne peut être qualifiée d’incidente ou de facultative au travail exercé par M. Batzibal, que ce soit en regard de ses responsabilités de travailleur agricole ou même de chauffeur autorisé à conduire les véhicules de l’employeur (le changement de pneu étant une activité dissociable de la conduite d’un véhicule (paragr. 17 à 19)); et, finalement, 6- l’activité exercée au moment de l’évènement n’est d’aucune utilité relative « en regard de l’accomplissement du travail » puisque ce type de travail n’est pas effectué au sein de l’entreprise (paragr. 20‑21). En conclusion, le TAT estime que l’évènement n’est pas survenu à l’occasion du travail suivant son analyse de la preuve et des critères retenus par la jurisprudence pour répondre à cette question.
- Devant la Cour, parmi l’ensemble des éléments pertinents considérés par le TAT, la Succession conteste uniquement[117] la raisonnabilité de sa conclusion portant sur le dernier élément de l’analyse, soit celui de « l’utilité relative » de l’activité effectuée par le travailleur au moment de l’évènement, en regard de l’accomplissement de son travail. Selon elle, le TAT se serait écarté du critère juridique qu’il était chargé d’appliquer en fondant son analyse sur celui de la « nécessité » (et non de la connexité) et en imposant dès lors un fardeau plus onéreux au travailleur. Il s’agit là du seul argument plaidé par la Succession devant la Cour en lien avec la conclusion du TAT sur cet élément de l’analyse.
- Le juge de première instance rejette cet argument et s’en explique comme suit :
[77] Concernant le critère de l’utilité relative de l’activité pour l’employeur, le Tribunal estime qu’il n’y a pas d’erreur capitale dans le raisonnement du TAT.
[78] Le fait de mentionner qu’il n’y avait aucune attente de l’employeur pour changer le pneu est assurément conforme à la preuve.
[79] Le TAT ajoute même, jurisprudence à l’appui, qu’il n’y avait aucune coutume chez Fortin à ce sujet.
[80] Concernant l’argument de Succession que le TAT aurait appliqué un critère erroné dans sa décision, soit celui de nécessité pour écarter la connexité, le Tribunal estime cette prétention non fondée.
[81] Comme le souligne avec justesse l’avocat de Fortin, le TAT ne fait que montrer qu’il a pris en considération la jurisprudence qui reconnait dans certaines circonstances telles celles de l’affaire Vermette qu’un accident survenant alors que le travailleur prend seul une initiative personnelle justifiée par des impératifs de sécurité peut revêtir un caractère de connexité suffisant avec les fonctions du travailleur.
[82] Selon la preuve, devant le TAT, aucune question de sécurité ou d’éviter un préjudice à l’employeur n’était présente le soir de l’accident.
[83] La phraséologie du TAT le confirme en ces termes :
« La preuve prépondérante ne démontre pas non plus que cette activité a été effectuée par nécessité comme dans le but d’éviter un accident ».
[Soulignement ajouté]
[84] Le raisonnement du TAT sur la nécessité dans le cadre de l’analyse du critère d’utilité est loin d’ajouter un nouveau critère, il démontre tout simplement que la connexité pourrait exister dans des circonstances ou la sécurité est en jeu comme la jurisprudence du TAT l’a reconnue dans Vermette.
[85] Il était raisonnable de traiter de cet élément de nécessité pour discuter du critère d’utilité.
[Renvois omis]
- La Succession ne démontre pas l’existence d’une erreur dans cette analyse, laquelle me convainc que le raisonnement du TAT n’est pas fondé sur « un critère juridique erroné »[118]. Tout au contraire.
- Le TAT reconnaît que la réparation d’une crevaison « peut être utile pour un employeur »[119], mais n’arrête pas son analyse à ce seul critère de « l’utilité relative » de cette activité en regard du travail de M. Batzibal, comme sa jurisprudence l’exige[120]. À cet égard, le TAT retient que l’activité ayant malheureusement mené au décès du travailleur ne faisait pas partie des fonctions exercées au sein de l’entreprise et n’avait fait l’objet d’aucune demande de la part de l’Employeur, que ce soit auprès de M. Batzibal ou de tout autre employé, même exceptionnellement, et que celui-ci n’avait aucune attente à cet égard. Il n’y avait même « aucune coutume ni habitude ni précédent à cet égard »[121], ou encore quelque raison apparente justifiant le travailleur d’avoir effectué la réparation du pneu. Cet évènement, conclut-il, « […] s’inscrit dans le cadre d’une initiative personnelle qui n’était pas liée au travail »[122], l’amenant dès lors à conclure à l’absence d’utilité relative de la réparation du pneu en regard de ses fonctions de travailleur agricole ou même de chauffeur.
- Cette analyse repose sur le bon critère juridique, en ce que le TAT s’attarde à déterminer l’existence ou l’absence d’utilité relative de l’activité. Il ne cherche pas à déterminer si l’activité effectuée par M. Batzibal était nécessaire pour son travail, comme le plaide la Succession. D’ailleurs, sur cette question, mes collègues et moi sommes du même avis.
- Par ailleurs, selon moi, le TAT n’a pas non plus exigé un « lien direct » entre l’accident et son travail, comme le soulèvent mes collègues. Pas plus d’ailleurs qu’il ne circonscrit son analyse aux seules tâches spécifiquement dévolues au travailleur dans l’exercice de ses fonctions ou qui auraient été requises par l’Employeur.
- Sur cette question, je précise d’abord que le TAT ne conclut pas que le travailleur agissait dans « sa sphère personnelle » au motif que l’accident se serait produit hors des heures de travail, alors que M. Batzibal n’était pas rémunéré. Son analyse va bien au-delà de ces considérants et tient d’une lecture globale de la situation. Comme je viens de le citer, le TAT retient plutôt, sur le seul critère ici en litige, que la décision du travailleur de changer le pneu constituait une initiative personnelle qui n’était pas liée à son travail, directement ou indirectement. En effet, dans son analyse, le TAT ne s’attarde pas seulement au travail effectué par le travailleur lui-même ou demandé par l’Employeur, mais considère également le travail effectué au sein de la ferme, les façons de faire au sein de l’entreprise (coutume, habitudes, précédents), les attentes de l’Employeur à l’égard de l’ensemble des employés, de même qu’aux différentes fonctions exercées à la ferme, par M. Batzibal ou tout autre employé. Il s’attarde ainsi aux différents éléments permettant de faire basculer l’activité dans la sphère « à l’occasion du travail », le facteur de l’utilité n’étant qu’un des indices considérés. Certes, il tient compte du milieu de travail et de la nature du travail effectué par le travailleur, mais pas exclusivement, puisque, comme la jurisprudence l’impose, il doit statuer sur la connexité de l’activité exercée au moment de l’accident avec le travail. Toutefois, avec égards, ce serait faire abstraction d’une partie de ses motifs et de son raisonnement que de prétendre que le TAT exige la preuve prépondérante d’un lien de causalité direct entre l’évènement imprévu – l’écrasement du véhicule – et les tâches dévolues à M. Batzibal ou une tâche qui aurait pu être demandée par l’Employeur. Il ne s’est aucunement demandé si l’accident était survenu par « le fait […] de son travail » au sens de la définition d’accident de travail à l’art. 2 Latmp, mais plutôt « à l’occasion de son travail » selon cette même définition. Son analyse ne laisse pas de doute à ce sujet.
- Une telle lecture globale de la situation est compatible avec la lecture retenue dans l’arrêt Montréal Tramways[123] où les juges qui se sont exprimés dans cette affaire se sont appuyés sur la « coutume » (terme également utilisé ici par le TAT) en place dans l’entreprise qui encourageait et autorisait son personnel à voyager à bord de ses tramways gratuitement pour se rendre et revenir du travail. Or, selon le TAT, un tel lien n'existait pas en l’espèce.
- Il était également tout à fait justifié de la part du TAT de tenir compte de ces éléments factuels lorsqu’on se rappelle que la Latmp vise à protéger les travailleurs, sans égard à la faute, contre les risques auxquels ils sont exposés en raison de leur travail[124] et qu’elle repose sur la notion de risque professionnel[125]. Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent d’ailleurs au sujet de la notion d’« accident à l’occasion du travail » :
I-1080 – Accident à l’occasion du travail – Le problème qui se pose évidemment est de déterminer dans quelle mesure l’activité marginale d’un travailleur peut être considérée comme partie intégrante de son travail. Il n’existe cependant pas de test applicable à l’ensemble des situations et chaque cas constitue un cas d’espèce. Le critère que les tribunaux semblent utiliser est de se demander si le travail de la victime a été le prétexte sans lequel l’accident ne serait pas survenu. Ils recherchent donc un lien direct entre l’incident au travail et le contrôle ou la subordination à l’employeur. […][126]
[Soulignements ajoutés]
En l’occurrence, sans se limiter à rechercher ce lien direct, le TAT s’est attardé à analyser « si le travail a été ce prétexte sans lequel l’accident ne serait pas survenu », à la lumière des facteurs identifiés par la jurisprudence.
- L’analyse du TAT s’inscrit d’ailleurs dans le respect de sa jurisprudence où, tout comme en l’espèce, le TAT refuse de reconnaître une réclamation lorsque l’évènement en litige n’a pas de lien avec le travail effectué dans l’entreprise[127]. Il faut ainsi distinguer les décisions du TAT citées par ma collègue la juge Dutil où les évènements en litige portaient sur des activités précisément exercées au sein de l’entreprise, par le travailleur concerné ou l’un de ses collègues[128]. Ces décisions ne peuvent s’appliquer ici, vu les faits de l’espèce.
- De même, l’analyse retenue par le TAT du critère de « l’utilité relative » se justifie également au regard de ses conclusions factuelles. Selon lui, la preuve démontre que le type de réparation en litige (réparation d’une crevaison par l’installation du pneu de secours) était toujours effectué par des garagistes professionnels[129], en dehors des lieux de l’entreprise[130], que ce travail n’était pas « […] implicitement ou accessoirement attendu par l’employeur ou en raison de ses responsabilités d’ouvrier agricole et de chauffeur désigné »[131], que l’employeur n’avait jamais demandé à M. Batzibal ou à un autre employé d’effectuer ce type de travail[132], qu’il n’y avait aucune attente à ce sujet envers lui ou tout autre employé, que M. Batzibal n’avait jamais été vu faisant de la mécanique[133] ou effectuant une telle réparation, qu’il n’y avait aucune coutume, ni habitude, ni précédent d’une telle activité dans l’entreprise et, finalement, que la réparation n’a pas été effectuée dans le but d’éviter un accident, un préjudice ou des dommages à des biens de l’employeur.
- On ne peut donc conclure que le caractère raisonnable de la décision du TAT est compromis au motif qu’il se serait « […] fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte »[134]. D’ailleurs, la Succession ne le prétend pas et elle n’invite pas la Cour à juger déraisonnables les conclusions factuelles du TAT. D’autant que celles-ci trouvent amplement appui dans la preuve. Certes, un autre décideur aurait pu accorder plus, ou moins, de poids à certains extraits pigés ici et là des témoignages entendus. Mais une cour de révision doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur »[135]. Sauf circonstances exceptionnelles (qui ne sont ni plaidées ni présentes en l’espèce), elle ne modifie pas les conclusions de fait du décideur administratif[136]. Il en est de même à l’égard de l’omission d’un décideur administratif de tenir compte d’un élément de preuve, sauf si celui-ci est déterminant[137]. Dans Vavilov, les juges majoritaires expliquent cette approche de la façon suivante :
[125] […] D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr. Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.
- La déférence, dont le seuil en ce domaine « est non seulement élevé, mais atteint le plus haut niveau possible »[138], s’impose tout autant pour une cour d’appel lorsque saisie de l’appel d’un jugement statuant sur un pourvoi en contrôle judiciaire, comme c’est le cas ici.
- À cet égard, je ne peux partager l’analyse voulant que le TAT aurait ici fait abstraction de la preuve devant lui, justifiant ainsi l’intervention de la Cour, ou omis de se prononcer sur la faiblesse du témoignage du représentant de l’Employeur. Comme c’est souvent le cas, les témoignages en l’occurrence n’étaient pas « parfaits », en ce qu’une réponse donnée pouvait donner lieu à des précisions lors des questions suivantes ou même lors des questions posées par le TAT lui-même. Ainsi, on ne peut dire qu’« il est difficile de déterminer exactement »[139] le rôle de M. Batzibal lorsque M. Fortin a installé une suce (sans enlever la roue) pour tenter de réparer temporairement le pneu mou : celui‑ci attendait à côté de M. Fortin et n’a pas touché au pneu[140]. De même, la conclusion du TAT voulant que le type de réparation effectué par M. Batzibal – changement de pneu – était toujours (et non généralement) confié à des garagistes professionnels est non contredite et même confirmée par les travailleurs appelés à témoigner à la demande de la Succession qui ajouteront n’avoir jamais vu un des leurs faire ce type de travail ou encore l’entretien des véhicules. Ils étaient d’ailleurs étonnés de constater que M. Batzibal avait tenté une telle démarche. Quant aux réparations sur la machinerie agricole[141], il s’agit d’un sujet sur lequel le TAT a jugé nécessaire d’obtenir des clarifications additionnelles de la part de M. Fortin pour bien comprendre que ce n’est que la « petite mécanique » sur les tracteurs, de la nature de changements d’huile ou d’une vérification des niveaux des liquides, qu’il faisait à l’interne, alors que la mécanique sur les pièces de la machinerie était faite par un garagiste de l’extérieur. Demeure la contradiction dans la preuve, qui portait sur l’existence ou non de l’autorisation d’utiliser la voiture pour aller à la partie de soccer. Le TAT ne l’a pas ignorée. Au contraire, il en discute et estime cette question non pertinente aux fins de la décision qu’il doit rendre. D’ailleurs, ma collègue la juge Dutil ne discute pas de cette question dans son analyse de la preuve.
- Mais quoi qu’il en soit, je ne peux me convaincre qu’il s’agit là des « contraintes factuelles » auxquelles la Cour suprême référait dans l’arrêt Vavilov pour justifier l’intervention du juge réviseur. Avec égards, une telle approche me semble plutôt relever d’une nouvelle appréciation de la preuve aux fins de l’analyse du critère de l’utilité relative pour permettre une conclusion différente, en ce qu’on met l’accent sur d’autres éléments que ceux retenus par le TAT, même si ces derniers trouvent amplement appui dans la preuve. Je ne peux y voir ici le « plus haut niveau de déférence » auquel le juge réviseur, et par conséquent la Cour, sont assujettis.
- De même, je ne peux considérer déraisonnable le fait que le TAT n’a pas tenu compte de l’argument avancé par ma collègue la juge Bich portant sur le contexte propre de la situation d’emploi de M. Batzibal, qui réside à proximité des lieux du travail, dans un logement fourni par l’Employeur et la « mainmise » de ce dernier sur la vie privée du travailleur[142]. Cet argument n’a pas été discuté devant le TAT, pas plus d’ailleurs que devant la Cour. Dans un tel contexte, on ne peut reprocher au TAT de ne pas en avoir discuté dans son analyse.
- Dès lors, à la lumière des constats de fait tirés par le TAT, à partir desquels la raisonnabilité de sa décision doit être examinée, j’estime, tout comme le juge de première instance, que son analyse du critère de « l’utilité relative » se justifie au regard du droit et des faits. Le TAT a pris « en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision »[143]. Il ne s’est pas mépris sur celle-ci.
ii) L’interprétation large et libérale de la Latmp
- La Succession fait également grief au TAT d’avoir adopté « une démarche restrictive d’analyse »[144] de l’art. 2 Latmp, laquelle l’aurait indûment mené à refuser de reconnaître le lien de connexité entre l’évènement et les responsabilités de M. Batzibal chez son employeur. Selon elle, une interprétation large et libérale de la Latmp militait pour « une seule issue possible à l’affaire »[145], soit l’admissibilité de la réclamation du travailleur, d’autant que « […] la situation des travailleurs migrants temporaires œuvrant dans le secteur agricole »[146] justifiait une interprétation généreuse de la loi, en raison de leur statut précaire et de leur vulnérabilité financière[147].
- À mon avis, cette thèse est sans fondement. Interpréter une disposition législative de façon large et libérale — notion qui s’oppose à une interprétation s’appuyant sur une lecture « étroite et formaliste »[148] — oblige le décideur à lui donner une portée qui permet de réaliser les objectifs du législateur[149]. Toutefois, cette règle ne permet pas au décideur d’aller au-delà de l’objet véritable de la disposition en question[150] ni de conférer aux bénéficiaires des droits qui vont au-delà du texte de la loi[151]. De même, elle ne lui impose pas l’obligation d’interpréter généreusement les faits de l’affaire de façon à accorder à un justiciable plus de droits que ce que la loi prévoit, même interprétée largement, et malgré toute la sympathie soulevée par un dossier.
- En l’occurrence, il est acquis que le régime de réparation et d’indemnisation des lésions professionnelles établi par la Latmp est à caractère social et remédiateur et qu’à ce titre, cette loi d’ordre public doit recevoir une interprétation large et libérale[152]. Comme l’écrivait la Cour, celle-ci « assure ses bénéficiaires contre les risques professionnels auxquels ils sont exposés par le fait ou à l’occasion de leur travail »[153]. Elle confère ainsi des droits aux travailleurs en lien avec la réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences, sans égard à la faute. Ces propositions, auxquelles je faisais brièvement référence un peu plus tôt, sont tellement bien établies dans la jurisprudence qu’il n’y a pas lieu de revoir leur genèse[154]. J’ajouterais simplement qu’il ne fait aucun doute que le TAT, à titre de tribunal administratif chargé de l’application et de l’interprétation de la Latmp, connaît et applique ces principes prépondérants dans ses analyses[155].
- C’est d’ailleurs en faisant appel à son expertise spécialisée[156] et en s’autorisant d’une interprétation large et libérale de la notion de « à l’occasion du travail » figurant à l’art. 2 Latmp que la jurisprudence du TAT a dressé la liste des éléments permettant de déterminer si un évènement se qualifie à titre d’« accident de travail », et donc de « lésion professionnelle », favorisant ainsi l’atteinte des objectifs du législateur.
- Or, ce sont ces mêmes éléments (à charge de redite), établis selon une interprétation large et libérale de l’art. 2 Latmp, que le TAT a appliqués pour déterminer si M. Batzibal avait été victime d’un « accident du travail » à « l’occasion du travail », ce qui aurait permis à sa succession de bénéficier des indemnités prévues à la Latmp. Dans un tel contexte, je ne peux retenir que le TAT n’a pas interprété la loi de manière large et libérable, les critères appliqués reposant sur une telle interprétation.
- Malgré le caractère dramatique de l’accident et la situation précaire des travailleurs agricoles, le fait que le TAT a par ailleurs rejeté la réclamation de la Succession ne signifie pas pour autant qu’il a fait fi de cette règle d’interprétation. Comme mentionné précédemment, la Latmp a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires (art. 1 Latmp). Elle vise ainsi à protéger tous les travailleurs, précaires ou non, victimes d’une lésion professionnelle. Elle n’a toutefois pas pour objet d’indemniser les travailleurs victimes d’un accident si celui-ci ne se qualifie pas à titre d’accident du travail, malgré toute la sympathie soulevée par un dossier ou encore la précarité de la situation dans laquelle se trouve un travailleur. Le TAT a bien appliqué cette notion lorsqu’il écrit, après avoir pondéré l’ensemble des facteurs :
[22] À l’instar de l’affaire Landry et Ari Vap Nettoyeur, l’intention bienveillante du travailleur s’inscrit dans le cadre d’une initiative personnelle qui n’était pas liée à son travail, malgré une interprétation large de la notion « à l’occasion du travail » en dépit de la compassion que suscite ce drame.
[Renvoi omis]
- L’article 351 Latmp, invoqué notamment par la Succession, ne lui est d’aucune aide. Cette disposition, qui rappelle que les décisions doivent être rendues « “[…] suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas” […] ne permet pas de créer des droits que la loi ne donne pas »[157]. Elle trouve plutôt sa pertinence lorsqu’une disposition peut donner lieu à deux interprétations raisonnables en ce qu’elle autorise le décideur à favoriser « […] celle qui penche davantage du côté de l’équité et de la justice »[158]. En l’occurrence, la question est tout autre, en ce que l’interprétation de l’art. 2 Latmp n’est pas contestée; c’est plutôt son application aux faits de l’espèce qui est au cœur du litige.
- De même, je ne peux considérer déraisonnable que le TAT n’ait pas discuté de l’argument avancé par ma collègue la juge Bich portant sur le contexte propre de la situation d’emploi de M. Batzibal, qui réside à proximité des lieux du travail, dans un logement fourni par l’Employeur et la « mainmise » de ce dernier sur la vie privée du travailleur. Cet argument n’a pas été discuté devant le TAT, pas plus d’ailleurs que devant la Cour. Dans un tel contexte, on ne peut reprocher au TAT de ne pas en avoir parlé.
- Je partage ainsi le point de vue du juge de première instance lorsqu’il écrit[159] :
[91] Concernant l’argument de Succession selon lequel l’interprétation large et libérale de la loi et la prise en compte de l’incidence de la décision sur l’individu visé devraient faire pencher la balance pour réviser la décision du TAT, le Tribunal ne voit pas comment à lui seul il devrait permettre de déclarer la décision déraisonnable.
CONCLUSION
- En définitive, pour toutes ces raisons, je propose de rejeter l’appel, avec les frais de justice.
[1] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A‑3.001 [Latmp].
[2] Succession de Batzibal et Cultures Fortin inc., 2023 QCTAT 597 [décision du TAT].
[3] Succession de Lares Batzibal c. Tribunal administratif du travail, 2024 QCCS 157 [jugement de la Cour supérieure].
[4] Montreal Tramways c. Girard (1920), 61 S.C.R. 12, 1920 CanLII 54 (SCC) [Montreal Tramways].
[5] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[6] Témoignage de M. Nicolas Fortin, 19 septembre 2022, p. 67‑68 et 71.
[7] Rapport d’intervention du 22 juillet 2021 rédigé par Yannick Boutin, p. 3.
[10] Décision du TAT, paragr. 5‑7.
[22] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 59‑62.
[31] Décision du TAT, paragr. 21; jugement de la Cour supérieure, paragr. 86.
[32] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 67 et 88‑90.
[34] Vavilov, paragr. 10 et 17.
[37] Id., paragr. 84 [Renvois omis].
[40] Syndicat des débardeurs du Port de Québec, section locale 2614, SCFP c. Provençal, 2023 QCCS 3025, paragr. 23. Voir aussi : Vavilov, paragr. 100‑101.
[41] Vavilov, paragr. 100.
[42] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345 [Béliveau St‑Jacques].
[43] Id., paragr. 108‑115.
[44] Loi concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, et la réparation des dommages qui en résultent (1909), S.Q., 9 Ed. VII, c. 66.
[45] Béliveau St-Jacques, paragr. 108‑109; Jean‑Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1 « Principes généraux », Montréal, Yvon Blais, 2020, no 1‑1049 et 1‑1053.
[46] Béliveau St-Jacques, paragr. 109; J.‑L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, no 1‑1055 et 1‑1056.
[47] Béliveau St-Jacques, paragr. 111; École du Barreau (dir.), Collection de droit 2024‑2025, vol. 9 « Droit du travail », Montréal, CAIJ, 2024, p. 293-294.
[48] Loi des accidents du travail (1931), S.Q., 21 Geo. V, c. 100.
[50] Montreal Tramways, p. 15 [Renvois omis].
[51] Id., p. 24 [Renvois omis].
[52] Id., p. 15 et 24 [Renvois omis].
[53] Art. 4 Latmp; Perron c. Gilles Veilleux ltée, 2024 QCCA 824, paragr. 24, citant Boissonneault c. Constructions Marquis Laflamme inc., 2017 QCCA 826, paragr. 28, Lapointe c. Québec (Commission des lésions professionnelles), J.E. 2004‑847, 2004 CanLII 19786 (C.A.), paragr. 23, Dallaire c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] R.J.Q. 2342, 1999 CanLII 13346 (C.A.), p. 12‑13. Voir aussi : Antenucci c. Canada Steamship Lines Inc., [1991] R.J.Q. 968, 1991 CanLII 3706 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 7 novembre 1991, no22509; Lajoie c. Commission des lésions professionnelles, J.E. 2002‑1922, 2002 CanLII 25457 (C.A.), paragr. 27.
[54] Loi sur l’assurance automobile, RLRQ, c. A‑25.
[55] Westmount (Ville) c. Rossy, 2012 CSC 30.
[57] Id., paragr. 30 [Renvois omis].
[58] Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 41.
[59] Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Corporation d'Urgences-santé, 2016 QCCA 266, paragr. 121.
[60] Plomberie & Chauffage Plombec Inc. et Deslongchamps, 1995 CanLII 14384 (QC CALP), C.A.L.P. no 51232-64-9305, 17 janvier 1995; Lajoie c. Commission des lésions professionnelles, supra, note 53, paragr. 31.
[61] Décision du TAT, paragr. 20.
[62] Vavilov, paragr. 85.
[63] Décision du TAT, paragr. 8-9.
[64] Témoignage de M. Nicolas Fortin, 19 septembre 2022, p. 67.
[72] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 89.
[73] Décision du TAT, paragr. 21.
[74] Montreal Tramways, p. 24 [Renvois omis].
[75] Rapport d’intervention du 22 juillet 2021 rédigé par Yannick Boutin, p. 3.
[76] Montreal Tramways, p. 15 et 24 [Renvois omis].
[77] Dallaire c. Québec (Commission des affaires sociales), [1999] R.J.Q. 2342, 1999 CanLII 13346 (C.A.), p. 12.
[78] Emballages LM inc. et Corriveau, 2019 QCTAT 543.
[81] Ouellet et Coffrages Daniel Lampron inc., 2022 QCTAT 3520.
[84] Commission scolaire au Cœur-des-Vallées et Charlebois, 2015 QCCLP 2584.
[89] Vavilov, paragr. 99 et 105‑106.
[90] Id., paragr. 124 et 142.
[91] Montreal Tramways, p. 15 (motifs du j. Anglin).
[92] Id., p. 24 (motifs du j. Brodeur).
[93] Erreur que commet également l’inspecteur Yannick Boutin, dépêché sur les lieux de l’accident, dès le lendemain de la survenance de celui-ci (voir pièce P-5, Rapport d’intervention, 22 juillet 2021, p. 4 de 6).
[94] De ce point de vue, les critères élaborés par la jurisprudence du TAT et des entités juridictionnelles qui l’ont précédé doivent être configurés, interprétés et appliqués avec générosité, prudence et nuance, sauf à déformer le concept de l’accident survenu à l’occasion de son travail ou à le vider de son sens. Cela vaut bien sûr pour l’évaluation de la finalité de l’acte posé par le travailleur et de son utilité pour l’employeur autant que pour les autres critères. Par ailleurs, quant aux critères de « la rémunération de l’activité exercée au moment de l’événement » et de l’existence d’un « degré d’autorité ou de subordination de l’employeur » (critères repris par la décision du TAT, paragr. 8), je me permettrai de signaler qu’on peut s’interroger sur leur pertinence ou leur opportunité, dans la mesure où l’on pourrait généralement présumer (factuellement parlant, au sens de l’art. 2849 C.c.Q.) que l’accident survenu lors de l’exécution d’une tâche rémunérée par l’employeur ou demandée ou supervisée par lui advient non seulement à l’occasion de son travail, mais bien par le fait de celui‑ci, même si la tâche en question ne relève pas des fonctions habituelles du travailleur.
[95] Décision du TAT, paragr. 14.
[96] Selon le contrat unissant M. Batzibal à l’Employeur, le premier résidait dans un logement fourni par le second, en dehors de l’exploitation agricole (voir le contrat Batzibal-Cultures Fortin, pièce P-5, p. 21, point 4), mais à proximité de celui‑ci. Il en allait de même de ses collègues. Les travailleurs pouvaient se rendre aux champs en « deux (2) minutes de marche », selon le témoignage de M. Nicolas Fortin (interrogatoire du 19 septembre 2022, p. 43 in fine). Plus loin, M. Fortin ajoutera que les travailleurs pouvaient se rendre de leur logement à l’extrémité de la ferme en deux minutes de vélo au maximum (voir le même témoignage, p. 92 in fine-93).
[97] Décision du TAT, paragr. 20.
[98] Pepa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CSC 21, paragr. 121 (motifs majoritaires de la j. Martin); Vavilov, paragr. 141.
[99] Pepa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CSC 21, paragr. 125 (motifs majoritaires de la j. Martin).
[100] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 116 [Vavilov].
[101] Succession de Lares Batzibal c. Tribunal administratif du travail, 2024 QCCS 157 (modifié le 12 février 2024) [jugement de la Cour supérieure].
[102] Succession de Batzibal et Cultures Fortin inc., 2023 QCTAT 597 [décision du TAT].
[103] Ce cadre s’applique lorsque le décideur est tenu de motiver sa décision, comme c’est le cas en l’espèce.
[104] Vavilov, paragr. 85. Voir également : Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, paragr. 8; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, paragr. 2 et 31.
[105] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 64.
[106] Vavilov, paragr. 102.
[107] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 66.
[108] Vavilov, paragr. 116.
[109] Décision du TAT, paragr. 8.
[110] Dans la partie suivante, j’étudierai la raisonnabilité de la décision eu égard aux contraintes juridiques et factuelles. S’il devait y avoir une telle lacune dans l’analyse du TAT, cela pourrait affecter la cohérence de la décision.
[111] Argumentaire de l’appelante, paragr. 23 (soulignement dans l’original).
[112] Décision du TAT, paragr. 9 (italiques ajoutés).
[113] Voir notamment Hôpital Sacré-Cœur de Montréal et Viau, 2010 QCCLP 1489, paragr. 52.
[114] Montreal Tramways c. Girard (1920), 61 S.C.R. 12 [Montreal Tramways]. Les propos du TAT en l’occurrence s’inspire d’ailleurs grandement de ceux du juge Brodeur dans cette affaire alors qu’il écrivait que l’accident survenu à l’occasion du travail est « celui qui sans avoir pour cause directe le travail de la victime a été déterminé par un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement. » (p. 24).
[115] Au paragr. 8 de sa décision, le TAT énumère les éléments suivants : le lieu de l’évènement, le moment de l’évènement, la rémunération de l’activité exercée au moment de l’évènement, l’existence ou le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’évènement ne survient ni sur les lieux du travail ni durant les heures de travail, la finalité et l’utilité relative de l’activité du travailleur.
[116] Décision du TAT, paragr. 9.
[117] En première instance, la Succession soulevait plusieurs autres arguments qui ne sont pas repris devant la Cour.
[118] Argumentaire de l’appelante, paragr. 37.
[119] Décision du TAT, paragr. 20.
[120] Société de transport de Longueuil et Lefebvre, 2023 QCTAT 902, paragr. 77; Dupuis et Agence services frontaliers Canada, 2021 QCTAT 3407, paragr. 31; Lamer et Régie intermunicipale de police Thérèse-De-Blainville, 2021 QCTAT 3954, paragr. 25, citant avec approbation : Robillard et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2020 QCTAT 2933, paragr. 54.
[121] Décision du TAT, paragr. 20 [renvoi omis].
[122] Id., paragr. 22 [italique ajouté].
[123] Montreal Tramways, p. 13 (juge Idington), p. 14 et 19 (juge Anglin), p. 23-24 (juge Brodeur), p. 26-27 (juge Mignault).
[124] Workmen's Compensation Board v. C.P.R, [1952] 2 S.C.R. 359, 1952 CanLII 44 (SCC), p. 369.
[125] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, paragr. 109.
[126] Benoit Moore, Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1 « Principes généraux », Cowansville, Yvon Blais, 2020, no 1‑1080.
[127] Voir à titre d’exemples : Ouled-Abdallah et Centre de services scolaire de Montréal, 2022 QCTAT 5081, paragr. 19; Pelletier et Oly-Roby transformation, 2019 QCTAT 1800, paragr. 18; Borduas et Air Canada, 2017 QCTAT 1019, paragr. 28; Contreras et Autocars Orléans Express inc., 2016 QCTAT 5282, paragr. 11 et 25.
[128] Tel était le cas dans les décisions citées par ma collègue la juge Dutil aux paragr. [76] à [82] de ses motifs. Dans Emballages LM inc. C. Corriveau, 2019 QCTAT 543, le changement des courroies d’un dépoussiéreur était une activité effectuée par un collègue du travailleur au sein de l’entreprise (paragr. 14). Dans Ouellet c. Coffrages Daniel Lampron inc., 2022 QCTAT 3520, la réparation d’un outil que le travailleur utilise dans son travail était reliée à celui-ci (paragr. 37). Enfin, dans Charlebois et Commission scolaire au Cœur-des-Vallées, 2015 QCCLP 2584, l’activité en litige était reliée aux tâches de la travailleuse (paragr. 62 et s.).
[129] Décision du TAT, paragr. 16 [italique ajouté].
[134] Vavilov, paragr. 126.
[136] Ibid. Voir également : Ville de Saguenay c. Niobec inc., 2023 QCCA 1219, paragr. 113; Bombardier Aéronautique inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2020 QCCA 315, paragr. 26; Casper v. Canada (Attorney General), 2024 FCA 159, paragr. 4; Caron c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 196, paragr. 63.
[137] Bombardier Aéronautique inc. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2020 QCCA 315, paragr. 35.
[138] A. c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 599, paragr. 25. Dans Makivik Corporation c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 184, la Cour fédérale d’appel, après avoir rappelé les circonstances exceptionnelles justifiant l’intervention de la cour de révision sur des conclusions de fait, précise : « […] this is a high threshold » (paragr. 98).
[139] Motifs de la juge Dutil, paragr. [65].
[140] L’extrait du témoignage de M. Fortin cité au paragr. [66] des motifs de la juge Dutil se poursuit comme suit :
Q. Et cette journée-là, [M. Batzibal] avait réparé avec vous le pneu en question, c’est ça? C’est bien ça?
R. J’ai mis la suce, il était à côté de moi en attendant, en attendant le pneu là. En attendant la voiture et lui il repartait.
[141] Motifs de la juge Dutil, paragr. [68].
[142] Motifs de la juge Bich, paragr. [94].
[143] Vavilov, paragr. 126.
[144] Argumentaire de l’appelante, paragr. 44.
[145] Id., paragr. 52, renvoyant à Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Tribunal administratif du travail, 2023 QCCS 1831, paragr. 50-52.
[146] Argumentaire de l’appelante, paragr. 46.
[147] Je précise que l’argument de la Succession à cet égard repose uniquement sur leur précarité financière et sur le fait qu’ils constituent un groupe vulnérable et seraient « among the most economically exploited and politically neutralized individual in our society » (paragr. 46 de son argumentaire).
[148] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021, paragr. 1627.
[149] R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344.
[151] Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, paragr. 28; Chaput c. Montréal (Société de transport de la Communauté urbaine de), [1992] R.J.Q. 1774; AZ-92011799 (C.A.), p. 1785-1786.
[152] Antenucci c. Canada Steamphip Lines inc., [1991] R.J.Q. 968 (CA), p. 979. Voir aussi Trentway-Wagar inc. c. Cormier, 2021 QCCA 983, paragr. 38; F.S. c. Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2020 QCCA 1625, paragr. 38-40; Boissonneault c. Constructions Marquis Laflamme inc., 2017 QCCA 826, paragr. 28.
[153] Antenucci c. Canada Steamphip Lines inc., [1991] R.J.Q. 968 (CA), p. 979.
[154] Avec égards, l’arrêt Montreal Tramways n’est pas repris par la jurisprudence au soutien du principe voulant qu’il faille favoriser une interprétation large et libérale de la Latmp. Il énonce plutôt le principe voulant qu’un accident du travail ne couvre pas seulement l’accident survenu par le fait du travail mais aussi celui survenu à l’occasion du travail, c’est-à-dire « celui qui sans avoir pour cause directe le travail de la victime a été déterminé par un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement » (motifs du juge Brodeur, p. 24). C’est sur cette base que le TAT a élaboré les éléments permettant de définir la notion de « à l’occasion du travail ».
[155] Voir R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, paragr. 10-12.
[156] Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, paragr. 70, citant Vavilov, paragr. 119.
[157] Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Corporation d’Urgences-santé, 2016 QCCA 266, paragr. 121.
[159] Jugement de la Cour supérieure, paragr. 90-91.