Décision

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Ville de Notre-Dame-de-l'Île-Perrot c. A.M.

2025 QCCM 1

 

Cour municipale régionale

de Vaudreuil-SoulangeS

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUHARNOIS

 

 

 :

23-04193-0

 

 

DATE :

7 JANVIER 2025

 

___________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE SYLVAIN DORAIS, J.M.Q.

___________________________________________________________________

 

 

 

 

VILLE DE NOTRE-DAME-DE-L’ÎLE-PERROT

 

Poursuivante

c.

 

A.M., s.e.n.c.

 

Défenderesse

 

___________________________________________________________________

 

JUGEMENT

___________________________________________________________________

 

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

  1.    La défenderesse, A.M., propriétaire d’un immeuble abritant un atelier de peinture automobile, est accusée d’avoir autorisé l’utilisation d’une cabine de pulvérisation de peinture non conforme à la norme NFPA 33.
  2.    D’une part, le Règlement no. 567 concernant la prévention des incendies de la Ville de Notre-Dame-de-l’Île-Perrot (le « Règlement »), le constat d’infraction décerné à la défenderesse A.M. et la preuve documentaire déposée en poursuite, réfèrent à des normes externes, soit :

          le Code de sécurité du Québec (pièce P-3);

          la norme NFPA 13, « Standard for Installation of Sprinkler System » (pièce P-6);

          la norme NFPA 33, « Spray Application Using Flammable or Combustible Materials » (pièce P-5).

  1.    D’autre part, l’article 2 du Règlement intègre par référence certaines normes édictées par des tiers de la façon suivante :

Sous réserve des modifications prévues au présent règlement, est adopté comme réglementation applicable à l’ensemble du territoire de la Ville de Notre-Dame-de-l’Île-Perrot, le document intitulé « Code de sécurité du Québec, Chapitre VIII – Bâtiment et le Code national de prévention des incendies-Canada 2010 (modifié) », avec ses modifications, présentes et à venir, publié par le Conseil national de recherche du Canada. (Je souligne)

  1.    Cette disposition établit un cadre réglementaire général, mais elle ne mentionne pas explicitement la norme NFPA 33 ni son intégration par renvoi. La norme a été créée par la National Fire Protection Association (NFPA), un organisme américain fondé en 1896 pour prévenir les incendies. Au Québec, elle n’a aucun caractère contraignant à moins d’être intégrée conformément au mécanisme prévu par la Loi sur les compétences municipales[1] (LCM).
  2.    La poursuite a cependant allégué que cette norme était applicable et, pour en faire la preuve, elle a produit comme pièce P-6 un extrait d’un courriel échangé avec des responsables de deux municipalités (Pincourt et Châteauguay) et comme pièce P-7 un extrait d’un dépliant explicatif de la norme publié par la compagnie d’assurance Northbridge. Ces pièces sont en langue anglaise seulement.
  3.    Bien qu’indicatifs de l’existence de la norme, ces documents ne suffisent pas à établir son adoption formelle par la municipalité ou son caractère contraignant pour la défenderesse. Ainsi, le 28 octobre 2024, Tribunal a suspendu son délibéré et a soumis les questions suivantes aux parties qui ont été invitées à faire parvenir leurs observations au plus tard le 29 novembre 2024 :

(1) Est-ce que le mécanisme prévu par le sous-paragraphe 6 (6) de la Loi sur les compétences municipales s’applique à cette situation ?

(2) Dans l’éventualité où le Règlement no. 567 concernant la prévention des incendies ne respecte pas les conditions d’application du mécanisme prévu au sous-paragraphe 6 (6) de la LCM, quelle est la conséquence pour le constat d’infraction décerné à la défenderesse A.M. ?

  1.    La défenderesse a répondu et transmis des explications générales sur son entreprise ainsi que des détails sur la composition de sa cabine de peinture. Pour sa part, la poursuite s’en est remise à la décision du Tribunal.

ANALYSE & DISCUSSION

Mécanisme permettant l’importation de normes édictées par un tiers

  1.    Le principe delegatus non potest delegare interdit aux municipalités de déléguer leurs pouvoirs réglementaires à des tiers sans respecter les conditions prévues par une loi habilitante. Ce principe a été codifié à l’article 4 in fine LCM.
  2.    En revanche, selon le sous-paragraphe 6 (6) LCM, une municipalité pourra importer par référence des normes externes, à condition qu’elles soient clairement identifiées et incorporées de manière précise à la réglementation municipale. Ces principes, soutenus et reconnus par la doctrine[2], exigent donc une grande rigueur dans l’incorporation de normes externes.
  3.            Dans 9170-5921 Québec inc. c. Ville de Salaberry-de-Valleyfield[3], la Cour municipale avait à statuer sur la validité d’un règlement municipal faisant référence à des normes externes, notamment des dispositions du Code de gestion des pesticides. La défenderesse contestait la validité des constats d’infraction en prétendant que les normes invoquées n’étaient pas annexées ni clairement identifiées dans le règlement, et que leur incorporation par renvoi constituait une sous-délégation illégale du pouvoir de réglementation.
  4.            Dans cette affaire, le tribunal conclut que :
  1.      Une municipalité ne peut déléguer ses pouvoirs réglementaires à un tiers sans respecter les conditions prévues par le sous-paragraphe 6 (6) LCM.
  2.      Un règlement municipal doit inclure les normes invoquées ou préciser explicitement leur version et leur modalité d’application.
  3.      L’absence de clarté quant à la version ou aux modifications des normes externes constitue une sous-délégation illégale du pouvoir de réglementation et rend les dispositions réglementaires inopposables aux justiciables.
  1.                 L’article 8.2 du règlement a ainsi été déclaré inopérant en raison de références à des normes non annexées et susceptibles d’être modifiées unilatéralement par le tiers. De plus, les renvois ne pouvaient être validés par le sous-paragraphe 6 (6) LCM, car la poursuivante ne respectait aucune des conditions nécessaires à son application.
  2.            Ces conditions d’application se déclinent comme suit :

a) Le règlement municipal mentionne une norme adoptée par un tiers, tel qu’un organisme gouvernemental ou administratif externe, ou approuvée par cet organisme.

b) Le règlement municipal doit préciser, dans son texte, si toute modification apportée à la norme intégrée fera ou non partie intégrante du règlement, comme si elle avait été adoptée par le conseil municipal.

c) Toute modification apportée à la norme par le tiers ne peut entrer en vigueur qu’après l’adoption d’une résolution en bonne et due forme par le conseil municipal.

d) Une telle résolution du conseil municipal doit être précédée d’un avis public, conformément aux dispositions législatives encadrant la municipalité.

  1.            Lorsque la norme importée est susceptible de changer au bon vouloir de son auteur et à l’insu de la municipalité, il s’agit d’une sous-délégation illégale du pouvoir de réglementer qui doit être sanctionnée par les tribunaux[4].

Application de ces principes au cas à l’étude

  1.            Dans ce cas précis, la norme NFPA 33 n’est pas annexée au Règlement ni reproduite dans son texte. La poursuite n’a produit qu’un extrait de courriel et un dépliant explicatif de la norme, en anglais, ce qui ne constitue pas une preuve suffisante de son intégration à la réglementation de la Ville. Or, le règlement municipal doit être autonome pour permettre aux citoyens de comprendre leurs obligations sans recourir à des documents externes non disponibles dans le règlement lui-même.
  2.            D’ailleurs, la poursuite cite la version 2011 de la norme NFPA 33, sans que ne soit précisé dans le Règlement si cette version ou une autre s’applique. Cette imprécision viole les exigences de clarté et d’étanchéité normative et crée une insécurité juridique pour les citoyens. De plus, si la norme est modifiée unilatéralement par son auteur (la NFPA), la municipalité et les citoyens risquent d’être soumis à des règles contraignantes non approuvées par le conseil municipal.
  3.            En droit pénal réglementaire, le principe de la légalité exige que les obligations imposées aux justiciables soient clairement définies et accessibles. La référence à une norme externe sans l’incorporer explicitement au texte du Règlement viole ce principe fondamental.
  4.            Il convient également de souligner que l’article 2 du Règlement stipule explicitement que les « modifications, présentes et futures, publiées par le Conseil national de recherche du Canada » sont automatiquement intégrées, ce qui établit sans ambiguïté le caractère obligatoire des normes importées. Permettre le renvoi à une norme externe sans un mécanisme clair pour identifier précisément la version concernée constitue une forme implicite de sous-délégation.
  5.            En agissant ainsi, la Ville de Notre-Dame-de-l’Île-Perrot renonce à son pouvoir de réglementation au profit d’un tiers, la NFPA, qui pourra modifier la norme sans que la municipalité et les personnes assujetties à cette dernière en soient valablement informées.
  1.            En l’espèce, la sous-délégation porte sur l’exercice d’un pouvoir réglementaire qui n’est pas prévu par la loi habilitante, ce qui est illégal[5]. Le renvoi à la norme NFPA ne peut être validé par le sous-paragraphe 6 (6) LCM, la poursuivante ne respectant aucune des conditions d’application de cette disposition.
  1.            Il est vrai que la cabine de peinture de A.M. ne respecte pas les exigences techniques de la norme NFPA 33. Cependant, cette norme n’a pas été valablement intégrée au Règlement. Elle ne peut être opposée juridiquement à la défenderesse. Cette lacune doit entraîner le rejet de l’accusation portée contre A.M.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            DÉCLARE la défenderesse non coupable.

 

 

 

 

__________________________________

Sylvain Dorais, j.m.q.

 

Me Mario Charlebois

Pour la poursuivante

 

Monsieur Alain Darcy

Pour la défenderesse

 

Dates d’audience :

11 juin et 8 octobre 2024

 


[1] RLRQ, c. C -47.1.

[2] Marc-André LeChasseur, Zonage et urbanisme en droit municipal québécois, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur Ltée, 2016; Richard Tremblay, Éléments de légistique, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010. Patrice Garant, Droit administratif, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2017.

[3] Ville de Salaberry-de-Valleyfield c. 9170-5921 Québec inc., 2024 QCCM 62.

[4] René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, tome 1, 2e éd., Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1984, p. 536.

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