Décision

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Gabarit EDJ

Beaulieu c. Charbonneau

2013 QCCS 4629

 

JR 1320

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-077442-138
500-17-077503-137

 

 

 

DATE :

1er octobre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CLAUDINE ROY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

500-17-077442-138

 

GILLES BEAULIEU

            Requérant

 

c.

 

L'HONORABLE FRANCE CHARBONNEAU

RENAUD LACHANCE

en qualité de commissaires de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction

            Intimés

500-17-077503-137

 

GUY CHEVRETTE

            Requérant

 

c.

 

L'HONORABLE FRANCE CHARBONNEAU

RENAUD LACHANCE

en qualité de commissaires de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction

            Intimés

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

            Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Requête en révision judiciaire)

(Art. 846 C.p.c.)

______________________________________________________________________

 

1.       L’objet du litige

[1]           MM. Beaulieu et Chevrette demandent la révision judiciaire d’une décision de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (la « Commission »), alléguant violation de l’équité procédurale, erreur simple ou erreur déraisonnable.

[2]           Ils veulent contre-interroger M. Cloutier, obtenir certains documents et, dans le cas de M. Chevrette, obtenir le statut de participant devant la Commission.

2.       la décision contestée

[3]           Lors de son témoignage devant la Commission, M. Cloutier, employé de Roche ltée, Groupe conseil (« Roche »), implique MM. Beaulieu et Chevrette dans des actes potentiellement répréhensibles. M. Beaulieu aurait demandé 100 000 $ à M. Cloutier pour intervenir auprès de M. Chevrette, alors ministre des Transports, dans le cadre de l’octroi d’un contrat. L’argent devait être utilisé pour un voyage des couples Beaulieu et Chevrette. M. Cloutier aurait remis 25 000 $ à M. Beaulieu, en paiement partiel, et il ignore si Roche a jamais payé la différence. M. Cloutier tient également certains propos impliquant M. Chevrette concernant une maison de Pointe-au-Pic et un cocktail de financement dans Prévost.

[4]           MM. Beaulieu et Chevrette et le Parti Québécois réagissent immédiatement par la présentation de cinq requêtes :

·                    M. Chevrette présente une requête verbale pour contre-interroger M. Cloutier;

·                    M. Beaulieu dépose une demande écrite pour contre-interroger M. Cloutier et obtenir toutes les déclarations antérieures du témoin, y compris les notes des policiers et enquêteurs;

·                    M Chevrette présente une demande écrite pour obtenir le statut de participant devant la Commission;

·                    M. Chevrette et le Parti Québécois demandent que M. Chevrette soit entendu sans délai.

[5]           En cours d’audition des requêtes, M. Chevrette désire amender sa requête pour obtenir également toutes les déclarations antérieures du témoin Cloutier, y compris les notes des policiers et enquêteurs. L’amendement est refusé.

[6]           Dans sa décision, la Commission statue sur les cinq requêtes.

[7]           N’est plus en litige la demande pour entendre M. Chevrette sans délai et le Parti Québécois n’est pas partie à la demande de révision judiciaire.

[8]           Après avoir reconnu qu’elle a le devoir de respecter l’équité procédurale, la Commission décide néanmoins que ce devoir n’emporte pas nécessairement l’octroi des mesures demandées. Elle souligne que, si un avis de conclusion défavorable dérivait des affirmations de M. Cloutier, MM. Beaulieu et Chevrette disposeraient alors de moyens adéquats pour défendre leurs points de vue. En effet, les Règles de procédure accordent certaines protections procédurales aux personnes à l’égard de qui la Commission envisage de faire un rapport défavorable ou d’imputer une conclusion de mauvaise conduite[1].

[9]           Elle reconnaît que M. Chevrette possède un intérêt direct, vu la possible atteinte à sa réputation, mais considère que cet intérêt n’est pas suffisamment important pour lui octroyer le statut de participant.

[10]        Bien que reconnaissant avoir la discrétion pour autoriser un tiers à interroger un témoin, elle conclut que le devoir d’agir équitablement ne comporte pas d’obligation de permettre le contre-interrogatoire par un tiers. Il lui paraît superflu de permettre à MM. Chevrette et Beaulieu de contre-interroger M. Cloutier, notamment compte tenu du contre-interrogatoire mené par le Parti Québécois. De plus, M. Chevrette viendra témoigner à la Commission et pourra donner sa version des faits. Enfin, la Commission prend acte que M. Beaulieu est également disposé à témoigner.

[11]        Comme elle ne permet pas le contre-interrogatoire, elle considère inutile de statuer sur la demande accessoire de communication des déclarations antérieures et notes d’entrevue du témoin.

3.       L’ANALYSE

3.1       le critère de révision

[12]        Les parties ont débattu du critère de révision que le Tribunal devrait appliquer. S’agit-il d’une question d’équité procédurale? Faut-il référer aux normes de contrôle? Dans l’affirmative, faut-il utiliser la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable?

[13]        La Cour suprême du Canada a déjà expliqué qu’il n’y a pas lieu de faire référence aux normes de contrôle lorsque la question en jeu en est une de justice naturelle ou d’équité procédurale. En cas de violation, le tribunal de révision doit casser la décision. Dans SCFP c. Ontario (Ministre du Travail), le juge Binnie distingue le processus d’analyse selon qu’il s’agisse de contrôler le processus suivi pour atteindre une décision ou son résultat[2] :

L'équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s'applique au résultat de ses délibérations.

La tentative de maintenir séparés ces différents genres de questions peut parfois engendrer une certaine confusion. Force est de constater que certains « facteurs » utilisés pour déterminer les exigences de l'équité procédurale servent également à déterminer la « norme de contrôle » applicable à la décision discrétionnaire elle-même. […] Il reste que, même s'il existe certains « facteurs » communs, l'objet de l'examen du tribunal judiciaire diffère d'un cas à l'autre.

[14]        L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[3] n’a rien modifié sur cette question. Au contraire, l’on peut constater que la Cour suprême du Canada y étudie séparément la norme de contrôle eu égard à la question d’interprétation législative qu’on lui soumettait (section III du jugement), et le respect de l’équité procédurale, question qui était également en jeu (section IV du jugement).

[15]        Par exemple, plus récemment, la Cour suprême du Canada, dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), distinguait la décision rendue sans motif (l’obligation de motiver une décision relève de l’équité procédurale) et l’analyse des motifs d’une décision (question qui relève de l’analyse du résultat du processus en fonction de la norme de contrôle)[4].

[16]        La difficulté consiste parfois à départager ce qui relève du processus de ce qui relève du résultat des délibérations. Par exemple, le refus d’admettre une preuve pertinente peut avoir un impact sur l’équité du processus, mais cela n’est pas nécessairement le cas [5]. Tout est affaire de circonstances.

[17]        Ici, comme le rapport de la Commission n’est pas encore livré, il n’est pas question d’examiner le résultat des délibérations, il s’agit réellement de voir si le processus respecte le devoir d’équité procédurale. Le non-respect de ce devoir entraînerait l’intervention du tribunal de révision.

3.2       l’équité procédurale

[18]        Les commissions d’enquête doivent respecter les règles d’équité procédurale. Leurs rôles d’enquête et d’éducation ne doivent pas être remplis aux dépens du respect des droits de personnes risquant d’être affectées par celles-ci[6]. La Commission le reconnaît et ses Règles de procédure font directement référence à ce concept [7].

[19]        Les parties divergent cependant d’opinion sur l’étendue de cette obligation.

[20]        Pour déterminer le contenu de l’obligation dans un cas particulier, il faut examiner les facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker[8] :

·                    la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

·                    la nature du régime législatif;

·                    l’importance de la décision pour les personnes visées;

·                    les attentes légitimes des parties;

·                    les choix de procédure que fait l’organisme décisionnel.

3.2.1    La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir

[21]        Plusieurs des règles de procédure adoptées par la Commission ressemblent à celles utilisées dans le processus judiciaire[9]. Par exemple :

·                    les témoins doivent prêter serment;

·                    les participants, intervenants et témoins ont le droit d’être représentés par avocat et de présenter des requêtes;

·                    selon leur statut, ils peuvent interroger ou contre-interroger;

·                    les procédures se déroulent publiquement ou à huis clos.

[22]        Mais il existe une différence fondamentale entre une commission d’enquête et un procès. Une commission d’enquête ne constitue pas un procès civil ou criminel. Au terme de son enquête, la Commission ne rend pas de décision; elle remet un rapport. Elle n’établit ni la culpabilité criminelle ni la responsabilité civile. Néanmoins, une commission d’enquête doit établir les faits qui expliquent ensuite ses recommandations.

[23]        Les commissions d’enquête utilisent un processus inquisitoire et non contradictoire[10].

3.2.2.   La nature du régime législatif

[24]        Les commissions d’enquête sont utilisées par les gouvernements pour rechercher, de la façon la plus certaine et la plus transparente possible, des faits controversés et pour élaborer des correctifs de nature à améliorer un système[11]. Par ailleurs, elles se doivent de composer avec l’étendue de leur mandat et le temps limité accordé pour le remplir[12].

[25]        Le mandat de la Commission est d’une envergure peu commune et ses travaux portent sur les 15 dernières années. Elle doit[13] :

·                    examiner l’existence de stratagèmes et, le cas échéant, dresser un portrait de ceux-ci qui impliqueraient de possibles activités de collusion et de corruption dans l’octroi et la gestion de contrats publics dans l’industrie de la construction;

·                    dresser un portrait de possibles activités d’infiltration de l’industrie de la construction par le crime organisé;

·                    examiner des pistes de solution et faire des recommandations.

3.2.3    L’importance de la décision pour les personnes visées

[26]        Plus la « décision » - comprendre ici le « rapport » - est important[e] pour la vie de la personne et risque d’avoir des répercussions sérieuses, plus l’obligation d’équité procédurale est rigoureuse[14].

[27]        Le témoignage de M. Cloutier implique MM. Beaulieu et Chevrette dans des agissements potentiellement répréhensibles et pouvant ultérieurement leur être reprochés. De plus, MM. Beaulieu et Chevrette invoquent atteinte à leur réputation et la réputation est un droit fondamental dans notre société[15]. La Commission reconnaît elle-même, dans ses Règles de procédure[16], qu’elle a le devoir de respecter les droits fondamentaux des personnes pouvant être affectées par la preuve présentée devant elle. Une conclusion défavorable d’une enquête publique laisse un stigmate important. Il faut, dans la mesure du possible, éviter que le processus suivi par une commission d’enquête ne ternisse inutilement la réputation des personnes impliquées[17].

[28]        Les avantages que l’on cherche à obtenir au moyen d’une enquête ne peuvent s’acquérir aux dépens des droits des personnes impliquées[18].

3.2.4    Les attentes légitimes des parties

[29]        MM. Beaulieu et Chevrette invoquent que les propos de la Présidente[19] lors de l’audience ont créé chez eux une attente légitime[20] de pouvoir contre-interroger et qu’elle se serait ainsi engagée à permettre le contre-interrogatoire. Ces propos ne visent que la situation de M. Chevrette, pas celle de M. Beaulieu.

[30]        Le commentaire est formulé avant même la présentation de la requête de M. Chevrette à la Commission et l’échange survient lors d’une discussion concernant l’horaire des séances à venir. L’ouverture de la Présidente ne constituait pas une promesse de la Commission d’accéder à la demande qui lui serait présentée ultérieurement[21].

3.2.5    Les choix de procédure de la commission

[31]        Finalement, l’analyse doit également tenir compte des Règles de procédure établies par la Commission[22].

[32]        Les participants[23], les intervenants[24] et les témoins[25] possèdent des droits distincts. Avant d’octroyer la qualité pour agir, les commissaires tiennent compte de l’ensemble des demandes soumises à la Commission et s’assurent que le temps et les coûts envisagés demeurent proportionnels à la nature et à la finalité du mandat[26].

[33]        Les participants peuvent contre-interroger les témoins alors que les intervenants ne peuvent que proposer aux procureurs de la Commission d’interroger sur certains points. Les commissaires peuvent ordonner que plusieurs participants ayant des intérêts similaires soient représentés conjointement et partagent un seul octroi de qualité[27]. La Commission peut, à sa discrétion, autoriser un tiers à contre-interroger[28].

[34]        Les participants peuvent contre-interroger, aux conditions et dans l’ordre établis par les commissaires, mais uniquement dans les limites de leur intérêt. Les commissaires peuvent circonscrire les sujets du contre-interrogatoire et imposer une limite de temps[29]. Les commissaires peuvent, même d’office, limiter ou mettre fin à un contre-interrogatoire s’ils sont d’avis qu’il n’est pas pertinent, qu’il est répétitif par rapport à un contre-interrogatoire précédent ou qu’il est abusif ou vexatoire[30]. En matière de preuve, la Commission possède de larges pouvoirs. Les commissaires ont le devoir d’assurer la saine gestion de l’enquête et de veiller à son bon déroulement; ils voient à régler le cours de l’enquête de toute manière qui leur paraît désirable[31]. Les procureurs de la Commission ou les commissaires ont toute latitude pour refuser de convoquer un témoin ou permettre la présentation d’une preuve[32].

[35]        Mais la Commission ne peut faire de rapport défavorable à l’égard d’une personne ou lui imputer une conclusion de mauvaise conduite que si cette dernière a été informée par un préavis suffisant et après lui avoir offert une possibilité de se faire entendre[33]. La personne qui reçoit un tel avis peut alors requérir le statut de participant.

3.2.6    Conclusion sur l’équité procédurale

[36]        Procédant à pondérer les critères, le Tribunal conclut qu’en raison de la nature de la commission d’enquête, de la nature du régime législatif, de l’importance du rapport pour les personnes visées et de la large publicité des débats, l’étendue de l’équité procédurale est très élevée, bien que distincte de celle qui s’applique au contexte judiciaire[34].

[37]        Il faut maintenant décider si cette équité procédurale permet à MM. Beaulieu et Chevrette de contre-interroger M. Cloutier, à M. Chevrette d’obtenir le statut de participant et à M. Beaulieu d’obtenir les déclarations antérieures de M. Cloutier.

3.3       le contre-interrogatoire

[38]        Comme le mentionne la Cour suprême du Canada dans Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville)[35], les enquêtes sont souvent entourées de publicité, progressent nécessairement en convoi de participants dont les intérêts, les motifs, les renseignements, la participation et la visibilité sont très différents. Il est difficile, mais nécessaire, pour un commissaire de coordonner ce processus de manière à servir l’intérêt du public à découvrir la vérité, tout en évitant d’exposer les participants à un préjudice incident inutile, évitable ou injustifié. Ultimement, les enquêtes ne sont pas des épreuves de surprise et les personnes concernées ont droit de connaître les détails de toute inconduite alléguée suffisamment avant la fin des audiences. Il s’agit d’une question d’équité procédurale.

[39]        Le fait que le Parti Québécois ait déjà contre-interrogé M. Cloutier n’implique pas nécessairement l’inutilité d’un contre-interrogatoire par MM. Beaulieu et Chevrette. La Commission peut ordonner que plusieurs parties ayant des intérêts similaires soient représentées conjointement et partagent un seul octroi de qualité[36]. Mais les personnes doivent être avisées en temps utile pour pouvoir unir leurs efforts, pas dans une décision postérieure à la tenue du contre-interrogatoire.

[40]        De plus, l’avocat d’un parti politique ne représente pas nécessairement les mêmes intérêts que celui d’un de ses membres[37]. L’argent qu’aurait versé M. Cloutier, selon ses dires, n’était pas au bénéfice du Parti Québécois, mais bien au bénéfice personnel de MM. Beaulieu et Cloutier. D’ailleurs, les procureurs de la Commission ont eux-mêmes fait part de leur inconfort à ce que l’avocate du Parti Québécois représente les intérêts de M. Chevrette et ont souligné que les intérêts de l’un pouvaient diverger des intérêts de l’autre[38].

[41]        Ce motif ne saurait donc justifier le refus de la Commission.

[42]        Le Tribunal rejette la demande de révision parce que le processus d’enquête n’est pas encore terminé. Le devoir d’équité s’analyse eu égard à l’ensemble du processus d’enquête. Il ne serait pas approprié d’intervenir à titre préventif avant même qu’il n’y ait violation de l’équité procédurale.

[43]        L’équité procédurale garantit certains droits, mais pas celui de choisir le moment de contre-interroger.

[44]        La Commission a avisé qu’elle entendrait M. Chevrette comme témoin et a pris acte que M. Beaulieu était prêt à témoigner, comme celui-ci l’avait demandé. M. Chevrette aura donc l’opportunité de présenter sa version des faits et vraisemblablement M. Beaulieu également. Les enquêteurs de la Commission n’ont pas été en mesure de rencontrer M. Beaulieu avant le témoignage de M. Cloutier. Lorsqu’ils auront entendu les versions de MM. Beaulieu et Chevrette, les procureurs de la Commission décideront peut-être eux-mêmes de réinterroger le témoin Cloutier. Il est possible que ces témoignages (et peut-être certains autres) soient suffisants pour faire la lumière complète sur les événements discutés par M. Cloutier.

[45]        Par ailleurs, si la Commission choisissait de faire parvenir un avis de rapport défavorable, MM. Beaulieu et Chevrette disposeraient alors de moyens adéquats pour défendre leurs points de vue[39]. Ils pourraient alors à nouveau demander le statut de participant ou le droit de contre-interroger et la Commission serait appelée à examiner la question sous un angle différent.

[46]        Il faut, comme le suggère le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire concernant la Commission Krever[40], relier le devoir d’équité procédurale à la possibilité d’une conclusion défavorable dans le rapport plutôt qu’uniquement à la protection d’une réputation. Il ne faut pas confondre le but et les effets d’un contre-interrogatoire. Le but est d’abord de faire ressortir la vérité, même s’il est possible que l’effet soit de contribuer à rétablir une réputation.

[47]        Le Tribunal conclut qu’il n’y a eu aucune violation d’équité procédurale pour l’instant et qu’il faut laisser la Commission continuer son enquête.

3.4       le statut de participant

[48]        M. Chevrette affirme posséder un intérêt important et direct, tel qu’exigé par l’article 13 des Règles de procédure, puisqu’il est d’une part directement visé par les propos de M. Cloutier, et d’autre part, qu’il était ministre des Transports de 1998 à 2002.

[49]        À l’audience, M. Chevrette reconnaît que, n’eût été du témoignage de M. Cloutier, il n’aurait pas demandé le statut de participant. Son objectif est de contre-interroger M. Cloutier et d’obtenir copie de ses déclarations antérieures. Il lui importe peu, en réalité, de le contre-interroger à titre de tiers ou à titre de participant.

[50]        La Commission a reconnu l’intérêt direct de M. Chevrette en raison d’une atteinte possible à sa réputation, mais elle estime que son intérêt dans les travaux de la Commission n’est pas suffisamment important pour lui octroyer le statut de participant.

[51]        Il n’y a, pour l’instant, aucune atteinte à l’équité procédurale.

3.5       la communication des déclarations antérieures

[52]        Pour mener un contre-interrogatoire éclairé, M. Beaulieu argumente qu’il doit obtenir copie des déclarations antérieures, de même que des notes d’entrevue colligées par des enquêteurs et les policiers. Il s’agirait là, selon lui, d’outils importants pour jauger la crédibilité du témoin.

[53]        La Commission ne s’est pas prononcée sur la demande de communication de documents, elle l’a déclaré sans objet vu le refus d’autoriser le contre-interrogatoire.

[54]        Comme le Tribunal refuse d’intervenir dans cette décision, il ne paraît pas approprié de statuer ici sur cette demande.

[55]        Si MM. Beaulieu ou Chevrette formulent ultérieurement une nouvelle demande pour obtenir le statut de participant ou pour contre-interroger, ils pourront alors y inclure cette demande de communication de documents.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[56]        REJETTE les demandes de révision judiciaire;

[57]        SANS FRAIS vu la nature et le sort du litige.

 

 

__________________________________

CLAUDINE ROY, J.C.S.


 

 

Me Jean Lozeau

Me Catherine Boisvert

joli-coeur lacasse

Avocats de Gilles Beaulieu

 

Me Éric Vallières

Me Andrei Pascu

mcmillan

Avocats de Guy Chevrette

 

Me Simon Tremblay

Me Denis Gallant

Avocats de l’honorable France Charbonneau et Renaud Lachance

 

Me Benoit Boucher

bernard roy

Avocat du Procureur général du Québec

 

Date d’audience :

19 août 2013

 



[1]     Règles de procédure de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, septembre 2012 (« Règles de procédure »), art. 79 à 83.

[2]     SCFP c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, par. 102-103; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, par. 74.

[3]     2008 CSC 9, par. 27-76, 77-116.

[4]     2011 CSC 62, par. 22; voir également Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113; Southern First Nations Network of Care c. Manitoba (Commission of Inquiry into the Death of Phoenix Sinclair-Hughes Commission), 2012 MBCA 99.

[5]     Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, 488. Par exemple, la décision d’un commissaire enquêteur de ne pas garder confidentiel le nom d’une personne a été analysée selon la norme de la décision raisonnable dans Episcopal Corp. of the Diocese of Alexandria-Cornwall v. Cornwall (Public Inquiry), 2007 ONCA 20, alors que la demande d’une personne pour intervenir dans une audition à la Commission des lésions professionnelles est considérée comme une question de justice naturelle parce que sa réputation est en jeu dans McDonald c. Arshinoff & Cie ltée, 2007 QCCA 575.

[6]     Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, par. 31, 55; Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802 (appel rejeté, 2010 CAF 283); S. RUEL, The Law of Public Inquiries in Canada, Toronto, Carswell, 2010, p. 132-155.

[7]     Règles de procédure, art. 8 : « […] les commissaires rendent leurs décisions en conformité avec le droit applicable, tout en s’assurant de l’efficacité du processus d’enquête, dans le respect des droits des parties et des personnes impliquées, ainsi que dans un esprit d’équité procédurale ».

[8]     Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21 à 28; Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), précité, note 6.

[9]     Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), précité, note 6, par. 45-49.

[10]    Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), précité, note 6.

[11]    Association des policiers provinciaux du Québec c. Poitras, [1997] R.J.Q. 1860 (C.A.), p. 1871.

[12]    Southern First Nations Network of Care v. Manitoba (Commission of Inquiry into the Death of Phoenix Sinclair-Hugues Commission), précité, note 4, par. 70.

[13]    Décret 1119-2011 concernant la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, (2011) 47 G.O. II 5261; Décret 202-2013 concernant la prolongation de la durée du mandat de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction et un rapport d’étape, (2013) 15 G.O. II 1429.

[14]    Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, note 8, par. 25.

[15]    Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 4, 56; art. 2 C.c.Q.

[16]    Règles de procédure, art. 41.

[17]    Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), précité, note 6, par. 55; voir également Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, p. 229; P.K. DOODY, « Commissions of Inquiry, Fairness, and Reasonable Apprehension of Bias: Protecting Unnecessary and Inappropriate Damage to Reputation », (2009) 22 CJALP 19.

[18]    Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville) [1998] 3 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), précité, note 6, par. 31; Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), précité, note 6, par. 53-56; S. RUEL, The Law of Public Inquiries in Canada, précité, note 6, p. 134-135.

[19]    Interrogatoire de M. Cloutier, 02-05-2013, p. 270; 13-05-2013, p. 15, 20.

[20]    Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, par. 94; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, par. 69; Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, par. 16; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, note 8, par. 26.

[21]    Voir par analogie R. c. Giroux, 2007 QCCA 1670 (désistement d’appel).

[22]    Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, note 8, par. 27; Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), précité, note 6, par. 60-66.

[23]    Règles de procédure, art. 13 et 19.

[24]    Règles de procédure, art. 14.

[25]    Règles de procédure, art. 24.

[26]    Règles de procédure, art. 15.

[27]    Règles de procédure, art. 13 (d).

[28]    Décision du 21 mai 2013, par. 42; Loi sur les commissions d’enquête, L.R.Q., c. C-37, art. 6; Règles de procédure, art. 8.

[29]    Règles de procédure, art. 53.

[30]    Règles de procédure, art. 55.

[31]    Règles de procédure, art. 9.

[32]    Règles de procédure, art. 43.

[33]    Règles de procédure, art. 82-84.

[34]    Voir S. RUEL, The Law of Public Inquiries in Canada, précité, note 6, p. 132-135.

[35]    Précité, note 18, par. 41.

[36]    Décision sur les demandes de statut, 7 juin 2012 (Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction - Commission Charbonneau), par. 15. Il existe plusieurs exemples de commissions d’enquête qui ont procédé ainsi : Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, Rapport final - Volume 1 - Aperçu, Annexe A - Décisions de la Commission, Ottawa, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux 2010, p. 243, 246-247; Commission d’enquête sur Walkerton, Rapport de la Commission d’enquête sur Walkerton, Première Partie, Annexe E (II) - Décisions en matière de qualité pour agir et de financement, Toronto, Ministère du Procureur général de l’Ontario, 2002, p. 59, 65-66; Décision sur la qualité d’agir (Commission Cohen), 14 avril 2010, par. 17.

[37]    Feeley v. Ontario (Crime Commission), [1962] O.R. 872 (Ont. C.A.) (requête pour permission d’appeler à la C.S.C. refusée, [1962] R.C.S. X), par. 54.

[38]    R-12.

[39]    Règles de procédure, art. 79 à 83; H. GRANT, « Participation Rights of Witnesses before a Commission of Inquiry », (2005) 18 CJALP 89.

[40]    Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), précité, note 6.

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