Décision

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Joad c. R.

2016 QCCA 1940

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-10-005514-136, 500-10-006038-150

 

(505-01-112770-132)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 6 décembre 2016

 

CORAM : LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

N:  500-10-005514-136

APPELANT

AVOCAT

 

NIDAL JOAD

 

 

Me SIMON GOSSELIN

 

 

INTIMÉE

AVOCAT

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

Me daniel royer

(Directeur des poursuites criminelles et pénales)

 

 

N:  500-10-006038-150

APPELANT

AVOCAT

 

NIDAL JOAD

 

 

Me SIMON GOSSELIN

 

 

INTIMÉE

AVOCAT

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

Me DANIEL ROYER

(Directeur des poursuites criminelles et pénales)

 

 

500-10-005514-136

En appel d'une déclaration de culpabilité prononcée le 30 septembre 2013 par l'honorable Yves Morier, de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Longueuil.

500-10-006038-150

Requête pour permission d’appeler d’une peine imposée le 30 septembre 2013, par l’honorable Yves Morier, de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Longueuil et déférée à une formation de la Cour d’appel le 26 novembre 2015, par l’honorable Claude C. Gagnon, J.C.A.

 

 

NATURE DE L'APPEL :

500-10-005514-136
Culpabilité Article 264.1(1)a)(2)a) et 464 a) du C.cr.
500-10-006038-150
Peine

 

Greffière d’audience : Marcelle Desmarais

Salle : Antonio-Lamer

 


 

 

AUDITION

 

 

11 h 21

La Cour désire entendre les parties quant à l’appel de la culpabilité en premier lieu.

11 h 21

Argumentation par Me Simon Gosselin.

11 h 46

Argumentation par Me Daniel Royer.

11 h 54

Réplique par Me Gosselin.

12 h 01

Fin de l’argumentation de part et d’autre quant à l’appel de la culpabilité.

12 h 01

Suspension de la séance.

12 h 11

Reprise de la séance.

 

PAR LA COUR :

 

Arrêt unanime prononcé par l’honorable Jacques Chamberland, J.C.A. - voir page 4.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d’audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]          L’appelant fait appel d’une part, du jugement rendu le 30 septembre 2013, le déclarant coupable de menaces de mort (art. 264.1(1)a)(2)a du Code criminel) et de conseil en vue de la commission d’un meurtre (article 464a) C.Cr.) et d’autre part, de la peine qui lui a été infligée le même jour en regard de ces deux crimes.

 

LE CONTEXTE

[2]          L’appelant était accusé d’avoir transmis. à autrui, le ou vers le 1er décembre 2012, des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles aux journalistes syriens pro-al-Assad et conseillé à autrui de commettre un meurtre, qui n’a pas été commis.

[3]          Le procès s’est déroulé le 30 septembre 2013.

[4]          Les parties ont formulé certaines admissions concernant l’identité de l’accusé comme étant l’auteur du texte publié sur Facebook le ou vers le 1er décembre 2012 et qui est à l’origine des accusations portées contre l’appelant[1].

[5]          La preuve du ministère public s’est limitée aux témoignages des policiers Dominic Forget, l’enquêteur principal au dossier, et Audrey Mousseau, responsable de la capture d’écran du compte Facebook où le texte incriminant a été publié.

[6]          L’appelant a témoigné pour sa défense. Il a expliqué le sens du message qu’il a publié et témoigné de ses intentions au moment de publier ce texte, qu’il a d’ailleurs supprimé de sa page Facebook dès qu’il s’est aperçu qu’il pouvait porter à confusion.

[7]          Le verdict a été rendu séance tenante. Le juge explique que le texte publié sur Facebook invite clairement au meurtre, sans qu’il soit besoin d’autre preuve pour conclure à la commission des deux crimes reprochés à l’appelant. Le jugement est très court, tenant sur à peine 33 lignes de transcription.

 

LES MOYENS D’APPEL

[8]          L’appelant soulève trois moyens au soutien de son appel :

·     La décision est insuffisamment motivée;

·     Le juge n’a pas appliqué adéquatement les principes propres à l’analyse de versions contradictoires;

·     Le juge a erré en permettant le dépôt en preuve d’un document technologique sur support papier dont l’intégrité est manifestement altérée.

 

L’ANALYSE

 

1 - UNE DÉCISION INSUFFISAMMENT MOTIVÉE

[9]          Le jugement dont appel est très court, tout au plus quelques lignes de transcription. Pourtant, les accusations sont sérieuses, l’infraction prévue à l’article 464a) C.Cr., soit conseiller de commettre un meurtre, pouvant exposer l’appelant à une peine maximum d’emprisonnement à perpétuité. De plus, l’appelant a témoigné, fournissant des explications concernant son choix de mots et le contexte dans lequel son intervention se situait.

[10]       L’appelant plaide que, à la lecture des motifs du jugement, il est impossible de savoir quel niveau d’intention le juge a retenu ni de comprendre pourquoi ses explications n’ont pas été retenues, à tout le moins pour soulever un doute raisonnable quant à ses intentions.

[11]       L’intimée soutient pour sa part que les motifs du jugement, évalués selon le critère fonctionnel, suffisent compte tenu de la simplicité de l’affaire, tout en reconnaissant cependant que le juge aurait dû traiter du témoignage de l’appelant.

[12]       Voyons ce qu’il en est.

[13]       Le juge a prononcé sa décision oralement, séance tenante, au terme d’un très court procès, impliquant une preuve très succincte de part et d’autre. Les juges ont l’obligation de motiver leurs décisions. La portée de cette obligation dépend des circonstances de l’affaire. Il s’agit dans chaque cas de se demander si les motifs répondent bien aux questions en litige[2]

[14]        Dans l’arrêt Boucher[3], puis dans l’arrêt C.L.Y.[4], la Cour suprême reconnaît la réalité des jugements oraux dont les motifs sont souvent limités «à l’essentiel», sans «expliquer par le menu le cheminement qu’ils [les juges] ont suivi pour arriver au verdict». Mais, encore faut-il que ces jugements soient suffisamment motivés pour «en permettre la compréhension par les parties et l’examen par les tribunaux».

[15]       Le jugement dont appel ne respecte pas ces exigences minimales.

[16]       La mens rea requise par l’alinéa 264.1(1)a) C.Cr. (menaces de mort) exige la preuve hors de tout doute raisonnable de l’intention d’intimider (ou de susciter la crainte) ou que la menace soit prise au sérieux[5].

[17]       La mens rea requise par l’alinéa 464 a) C.Cr. (conseiller de commettre un crime) exige la preuve d’une intention concomitante ou le mépris conscient du risque injustifié et important inhérent aux conseils. Le ministère public doit donc établir hors de tout doute raisonnable que «l’accusé voulait que l’infraction conseillée soit commise» ou qu’il «a sciemment conseillé l’infraction alors qu’il était conscient du risque injustifié que l’infraction conseillée serait vraisemblablement commise en conséquence de sa conduite»[6].

[18]       Le juge de première instance réfère vaguement «aux éléments essentiels qui sont nécessaires pour que [l’accusé soit] déclaré coupable» des deux crimes reprochés. La référence est vague à souhait, mais il est vrai que le juge est présumé connaître le droit sans qu’il lui soit nécessaire d’en faire la démonstration au moment de rendre jugement.

[19]       Quant au reste, le juge s’en remet au texte publié par l’appelant sur Facebook, y voyant un texte «clairement incitatif», «complet par lui-même» et «très compréhensible» ou, à tout le moins, «assez compréhensible» pour faire la preuve des éléments essentiels des deux crimes reprochés.

[20]       Pas un mot du témoignage de l’appelant, toutefois. Pourtant, ce dernier, qui est syrien de naissance, est venu expliquer que, lorsqu’il réclame la mort pour les journalistes qui défendent les actions du président al-Assad, c’est au terme d’un procès. D’où, dit-il, l’utilisation qu’il fait du mot «peine» dans les expressions «peine capitale» ou «peine  exemplaire». Il ajoute n’avoir jamais voulu inciter les gens à faire quoi que ce soit d’illégal. La peine de mort existe en Syrie. La peine de mort infligée au terme d’un procès où l’accusé est déclaré coupable n’a rien d’illégal.  Par ailleurs, précise-t-il, dès qu’il a réalisé que son texte pouvait prêter à confusion, il l’a retiré de sa page Facebook. Il dit prôner la paix pour la Syrie, et rien d’autre. Sa langue maternelle est l’arabe, mais il parle français depuis 1993 (en plus de l’espagnol et de l’anglais).

[21]       En toute loyauté, le ministère public reconnaît que le juge fait erreur en ne traitant pas du témoignage de l’appelant. Mais il ne s’agirait pas d’une erreur déterminante puisque cette lacune dans les motifs du jugement dont appel ne causerait aucun préjudice à l’appelant dans l’exercice de son droit d’appel. Son témoignage ne constituerait pas véritablement une version contradictoire et ne serait pas de nature à soulever un doute raisonnable puisqu’il porterait sur le mobile (la paix en Syrie) qui l’a poussé à écrire ce texte. Or, le mobile et l’intention sont deux concepts distincts en droit, le ministère public n’ayant pas à faire la preuve d’un mobile malveillant.

[22]       Nous ne sommes pas d’accord.

[23]       Le juge de première instance ne pouvait pas trancher la question de la mens rea pour l’une ou l’autre des deux accusations sans se pencher d’abord sur les explications de l’appelant. Ces explications dépassent de beaucoup la question du mobile qui l’animait. Elles touchent à l’interprétation même de son message et par voie de conséquence, à ses intentions en écrivant ce texte. Le juge de première instance se devait, dans les circonstances, d’en traiter. L’appelant n’a pas à deviner ce que le juge a pensé, et fait de ses explications; il doit pouvoir l’entendre ou le lire. Il s’agit d’une lacune importante dans le jugement dont appel, justifiant l’intervention de la Cour sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens d’appel soulevés par l’appelant.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[24]       ACCUEILLE l’appel, INFIRME le jugement entrepris et, vu la preuve dont dispose le ministère public, ORDONNE la tenue d’un nouveau procès sur les mêmes accusations.

[25]       Quant à la requête pour permission de faire appel de la peine, qui a été déférée à la formation le 26 novembre 2015, elle est sans objet vu le sort réservé au jugement de culpabilité, et par voie de conséquence obligée, l’annulation de la peine. Elle est donc REJETÉE.

 

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND,     J.C.A.

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE,     J.C.A.

 

 

 

MARK SCHRAGER,     J.C.A.

 


 

ANNEXE

 

Nidal Joad

1 décembre

 

Il faut tuer tous les journalistes syriens : ceux qui ont participé à justifier les actions de Assad. Il faut les tuer tous et avoir la paix. C’est la peine capitale. Ce ne pas pour se vanger mais pour la paix. C’est la mort que je réclame pour ces journalistes. Que leur mort soit une peine exemplaire. C’est eux, avec leur idéologie, étaient l’arme le plus nocif. Les mensonges ont fait en sorte que la guerre a durée plus long temps qu’il est supposé d’être. Les faits. C’est les avions, les missiles et les canons de Assad qui ont détruit les villes. Car la révolutionnaire ne pouvaient détruire. Avec le peu d’armes qu’il possédaient initialement, il n’avait pas la capacité de détruire des villes. C’est Assad qui a organisé les explosions dans des régions pour utiliser le prétexte de guerre de religion, danger islamistes. Non la Syrie est un pays laïc. Les syrien, depuis toujours ont vécu ensemble en paix. C’est Assad qui est le terroriste. C’est son armée qui était l’outil de la destruction massive.

 

Non, il n’a pas eu un complot contre la Syrie, et, il y a eu des pays dont les dirigeants sont humains et qui ont aidé les révolution pour protéger la Syrie.

 

Il y avait eu des manifestation qui réclamaient le changement du régime. Il y avait des gens pacifique qui réclamaient la démocratie.

 

Ceci est la vérité dont la journalistes auraient dû dire. Si les journalistes avaient dit la vérité, il y aurait pas eu de violence. Non pour l’UNO : Je ne suis plus en faveur de l’intervention de l’UNO pour réaliser la paix en Syrie. Or, maintenant, la guerre civile a été déclenchée par Assad régime et le régime Assad sont en train de se faire achevés. Les syriens effaceront Assad et les membre de ses régimes.

 

Il faut commencer par tuer les journalistes des médias de Assad. Non pour l’intervention de l’UNO car il faut donner la chance à faire la justice. Il faut massacrer ceux qui ont massacré les syriens, les civils et les femmes. Il faut massacrer tous ceux qui ont été impliqués dans la destructions massives que les gangsters Assad ont faites. Peu importe leur race et peu importe les religion de leur parents, de ces gangster, il est de tout évidence que, l’ensemble des ‘gens’ qui formaient le régime Assad ne sont pas humains et leurs actions destructives sont une preuve irréfutable. Membres dirigeant de l’armée Assad il faut que les radicaux exterminent le régime Assad avec tous ceux qui ont aidé ce régime à abuser des citoyen syriens. Par la suite, il faut arrêter les radicaux et refaire de la Syrie un pays laïc.

 

(reproduit tel quel)

 



[1]           Le texte est reproduit en annexe à cet arrêt.

[2]           R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, paragr. 24; R. c. Dinardo, [2008] 1 R.C.S. 788, paragr. 24-25.

[3]           R. c. Boucher, [2005] 3 R.C.S. 499, 2005 CSC 72, paragr. 29.

[4]           R. c. C.L.Y., [2008] 1 R.C.S. 5, 2008 CSC 2, paragr. 9.

[5]           R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758, p. 761.

[6]           R. c. Hamilton, [2005] 2 R.C.S. 432, paragr. 29.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.