Centre universitaire de santé McGill - Hôpital de Montréal pour enfants c. J.D. | 2024 QCCS 4952 |
COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
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No : | 500-64-000135-249 |
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DATE : | 26 septembre 2024 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARTIN F. SHEEHAN, J.C.S. |
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CENTRE UNIVERSITAIRE DE SANTÉ MCGILL (CUSM) – Hôpital de montréal pour enfants |
Demandeur |
c. |
J... D... |
et |
JO... L... |
Défendeurs |
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TRANSCRIPTION DES MOTIFS D’UN JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 17 SEPTEMBRE 2024
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- Le demandeur, le Centre universitaire de santé McGill (« CUSM »), demande l’autorisation de procéder à des transfusions sanguines urgentes au bénéfice de l’enfant X (« X »), âgé de treize ans.
- X est présentement hospitalisé à l’hôpital de Montréal pour enfants qui fait partie du CUSM.
- Les défendeurs, parents de X, sont des Témoins de Jéhovah. Ils sont activement impliqués au niveau des soins de X. Ils refusent que celui-ci reçoive des transfusions sanguines en raison de leurs croyances religieuses.
- Monsieur L… et madame D… ont été notifiés de la demande plus tôt ce matin. Ils ne sont pas représentés par un avocat. Le Tribunal leur a demandé s’ils désiraient obtenir une remise pour leur permettre de retenir les services d’un avocat.
- Après une courte pause, ils sont revenus et ils ont avisé le Tribunal qu’ils s’estimaient les mieux placés pour faire valoir leur position.
- L’audience a procédé.
ANALYSE
1. Cadre juridique
- L’article 14 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») confère aux parents l’autorité de consentir aux soins requis par l’état de santé de leur enfant mineur sauf si celui-ci est âgé de quatorze ans ou plus, auquel cas, l’enfant peut y consentir seul.
- L’article 16 C.c.Q. permet toutefois à la cour d’autoriser que des soins soient prodigués à un enfant mineur lorsque :
- Les parents sont empêchés de consentir ou refusent de le faire de façon injustifiée; et
- Les soins sont requis par l’état de santé du mineur.
- Les tribunaux se sont penchés à quelques reprises sur des demandes de transfusions sanguines qui entrent en conflit avec des croyances religieuses[2]. Cette jurisprudence est concordante et elle établit les principes suivants :
- Les parents ont le droit d’éduquer leurs enfants selon leurs croyances religieuses. Ils ont également le droit de choisir les traitements médicaux appropriés pour leurs enfants[3].
- Par ailleurs, ce droit ne comprend pas celui de refuser à leur enfant un traitement médical jugé nécessaire et pour lequel il n’existe aucune autre solution[4].
- Toute décision relative à l’enfant doit être prise dans son intérêt et le respect de ses droits. La santé de l’enfant est un élément déterminant devant être considéré dans l’analyse de ce qui est dans son intérêt[5].
- L’exercice de croyances religieuses par les parents, aussi légitimes soient-elles, ne doit pas empiéter sur l’intérêt ultime de l’enfant, surtout lorsque sa vie et sa sécurité sont en cause. Dès lors, le refus des parents de consentir, pour des convictions religieuses, à des transfusions sanguines requises par l’état de santé de leur enfant mineur constitue un refus injustifié au sens de l’article 16 C.c.Q.[6]
- Ainsi, des transfusions sanguines peuvent être administrées à un enfant, malgré l’opposition de ses parents pour des motifs religieux, si une telle procédure est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant[7].
2. Discussion
- X n’a pas d’antécédent personnel significatif au niveau médical.
- Il y a environ trois semaines, il a fait un voyage en Côte d’Ivoire où il a contracté la malaria. X n’avait pas reçu la prophylaxie, un médicament visant à prévenir cette maladie.
- La malaria est une maladie potentiellement mortelle transmise à l’être humain par les piqûres de certains types de moustiques. Il s’agit d’une maladie évitable et dont l’impact n’est généralement pas chronique.
- Cinq jours avant son admission à l’urgence, X présentait des symptômes typiques de la malaria (de la fièvre, de la myalgie et des céphalées). À la suite de son admission au CUSM dimanche dernier (il y a trois jours), on lui a découvert une tachycardie supraventriculaire de novo secondaire à son infection à la malaria. Il a également présenté un choc septique avec hypotension nécessitant l’administration de norépinephrine et d’épinéphrine. Il présente aussi une coagulopathie avec thrombocytopénie sévère. Autrement dit, les éléments qui permettent la coagulation sont déficients.
- Les examens médicaux complémentaires effectués postérieurement à son admission ont permis d’évaluer le taux de parasitémie à 8,6 % (alors que le taux acceptable est de 0) ainsi qu’un taux de plaquettes sanguines à 14 x 109 unités/litre. Ce taux est critique puisque le taux de plaquettes sanguines se situe normalement entre 140 et 450 x 109 unités/litre. Un taux plus bas entraîne un risque d’hémorragie.
- La prise de sang de ce matin à 4 heures démontre que les paramètres se sont améliorés. La parasitémie est aujourd’hui négative et les plaquettes sont remontées à 31 x 109 unités/litre. Cela indique que les parasites sont contrôlés. Par contre, la condition de X demeure critique. Il est toujours aux soins intensifs et il demeure dans une condition précaire. Pour maintenir sa tension artérielle, on doit toujours administrer de la norépinephrine et de l’épinéphrine. De plus, le risque de saignement spontané demeure et les conséquences d’un tel saignement sont importantes. L’augmentation de la concentration de plaquettes est de bon augure, mais le risque d’une rechute est toujours présent.
- La Dre Anab Lehr suit X depuis le 16 septembre 2024.
- Selon le rapport de la Dre Lehr[8], X demeure dans un état critique, mais stable.
- L’équipe traitante a mis beaucoup d’efforts pour minimiser les besoins transfusionnels de X. Par exemple, on a diminué la fréquence des prises de sang. Celles-ci seraient normalement prises aux six à huit heures, mais elles ont été espacées pour tenir compte de la sensibilité des parents. D’autres mesures ont été mises en place comme la supplémentation en darbepoetine, vitamine b12, vitamine k, acide folique et eltrombopag ainsi que la diminution du calibre des accès veineux. Néanmoins, si la situation devait se détériorer rapidement, aucune autre option thérapeutique efficace ne serait disponible.
- Plusieurs conversations ont eu lieu avec X et ses parents afin de leur expliquer que malgré les efforts déployés, des transfusions peuvent être nécessaires. Des explications ont également été données à la famille quant aux risques liés à l’absence de transfusion.
- Bien que certains effets secondaires puissent survenir dans des cas de transfusions (fièvre, frissons, mal de tête ou nausée), la Dre Lehr est convaincue que ces risques sont beaucoup moins importants que le risque de ne pas procéder à la transfusion si requise.
- La Dre Lehr indique qu’elle a eu des discussions respectueuses avec la famille qui comprend la perspective de l’équipe traitante et souhaite que l’on respecte leur perspective également. À plusieurs reprises devant le Tribunal, les parents ont exprimé leur reconnaissance envers l’équipe traitante pour les soins prodigués à leur enfant et les efforts faits pour prévenir le besoin de transfusion.
- La Dre Lehr indique que la littérature majoritaire recommande une transfusion lorsque le niveau des plaquettes est plus bas que 20 x 109 unités/litre. Par ailleurs, elle reconnait que certains médecins les plus conservateurs seraient prêts à attendre que la valeur soit sous le seuil de 10 x 109 unités/litre.
- Pour tenir compte de la perspective de la famille, la Dre Lehr est d’avis qu’une transfusion de plaquettes devra être effectuée dans les cas suivants :
- Si la valeur absolue est égale ou inférieure à 10 x 109 unités/litre. En effet, sous ce seuil, le risque de saignement spontané est important. Parmi les risques de saignements, on y retrouve les saignements intracrâniens, ce qui pourrait mener à la mort ou à des séquelles neurologiques irréversibles; ou
- Si la valeur met en danger la survie du patient (life-threatening).
- Elle recommande aussi qu’une transfusion de culot globulaire soit effectuée si l’anémie n’est pas tolérée cliniquement. X et sa famille ont été informés que l’artesunate peut mener à une anémie hémolytique dans le mois qui suit, ce qui implique un suivi à moyen terme.
- Ainsi, le CUSM a présenté deux options aux parents:
- Option A : Continuer d’être le plus préventatif possible, mais les parents acceptent de consentir aux critères de transfusion susmentionnés; ou
- Option B : Le Centre hospitalier soumet une demande d’ordonnance à la cour.
- La Dre Lehr a consulté X à cet effet. Celui-ci n’a pas exprimé de préférence.
- Après discussion entre X et ses parents, ils ont choisi l’option B, d’où la présente demande.
- Le Tribunal n’a aucun doute que les parents de X sont bien intentionnés et qu’ils veulent le mieux pour leur enfant. Ils font valoir que plusieurs soins ont déjà été autorisés par eux. Nul doute aussi que le choix qu’on leur présente est extrêmement difficile puisque les options mettent en opposition leurs valeurs et leur désir de protéger la santé de X.
- Néanmoins, le Tribunal conclut, à l’instar de la jurisprudence constante, que la santé de X doit primer sur les croyances religieuses de ses parents. Tout refus qui ne respecte pas ce principe est injustifié.
- Il est établi, en toute probabilité, qu’en l’absence de transfusion sanguine lorsque certains paramètres sont atteints, l’état de X va continuer de se détériorer. Selon la Dre Lehr, les plaquettes et l’hémoglobine remplissent des fonctions essentielles pour l’homéostasie corporelle sans lesquelles la vie de X est en danger.
- Le plan de traitement proposé est dans le seul intérêt de X et vise à lui éviter des atteintes importantes à ses droits fondamentaux, notamment à son intégrité, sa liberté et sa dignité.
- Par ailleurs, l’ordonnance sera balisée pour qu’elle soit applicable seulement à l’atteinte des seuils critiques indiqués par la Dre Lehr.
- Quant à la durée, selon l’équipe traitante, la période nécessaire de l’épisode de soins actuel est de six mois afin de permettre aux transfusions de procurer les effets escomptés. Une telle durée est requise compte tenu de la sévérité et de la chronicité de la maladie sous-jacente dont est atteint X, la malaria. Cependant, l’ordonnance précisera que son application demeure en lien avec la maladie de la malaria et ses séquelles.
- Finalement, le CUSM demande que l’ordonnance soit exécutoire immédiatement, nonobstant appel.
- La Cour d’appel nous enseigne qu’une telle ordonnance n’est appropriée qu’en présence d'un risque grave et imminent à la santé du patient ou si la décision des défendeurs de faire appel risque de causer au patient un préjudice sérieux et irréparable[9].
- Or, cette preuve a été faite.
- À la demande des parents, le CUSM a réduit la fréquence des tests sanguins.
- Selon la Dre Lehr, tout délai dans l’administration des transfusions sanguines si les tests devaient relever une condition critique place X à risque de conséquences graves et irréversibles pour sa santé.
- Si les tests sanguins devaient révéler une situation jugée dangereuse, l’urgence d’intervenir serait manifeste.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ABRÈGE le délai de présentation de la demande;
- ACCUEILLE la Demande en autorisation de soins;
- ORDONNE le huis clos, l’anonymat des personnes concernées, la confidentialité, l’accès restreint au dossier et à l’enregistrement des débats;
- AUTORISE le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) – Hôpital de Montréal pour enfants et les médecins y exerçant leur profession, incluant la Dre Anab Lehr et tout autre membre de l’équipe traitante, à pratiquer les transfusions suivantes de produits sanguins sur la personne mineure de X, né le [...] 2011, et ce, pour la durée de l’épisode de soins actuel lié à la maladie de malaria et ses séquelles pour une période maximale de six mois à compter du présent jugement :
- Une transfusion de plaquettes sanguines :
- Si la valeur absolue des plaquettes est égale ou inférieure à 10 x 109 unités/litres; ou
- Si la valeur met en danger la survie du patient (life-threatening);
- Une transfusion de culot globulaire :
- Si le taux mesuré d’hémoglobine est inférieur à 50g/litre; ou
- Si la vie de X était en danger;
- ORDONNE l’exécution immédiate et provisoire du jugement nonobstant appel;
- LE TOUT sans frais.
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| __________________________________MARTIN F. SHEEHAN j.c.s. |
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Me Catherine Pariseault |
Lavery, De Billy, s.e.n.c.r.l. |
Avocate pour le demandeur |
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J... D... |
Se représente elle-même |
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Jo... L... |
Se représente lui-même |
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Date d’audience : | 17 septembre 2024 |
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[1] Le jugement a été rendu séance tenante. Comme le permet Kellogg's Co. of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258, le Tribunal a pu remanier les motifs pour en améliorer la présentation et la compréhension.
[2] B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315 (« Children’s Aid »); CHU de Québec - Université Laval c. J.T., 2023 QCCS 4103 (« J.T. »); CHU de Québec c. R.C., 2022 QCCS 3116 (« R.C. »); CHU de Québec - Université Laval c. A.L., 2019 QCCS 3310 (« A.L. »); Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine c. M.C., 2013 QCCS 2583 (« M.C. »); Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke – site Fleurimont, c. P.B., 2012 QCCS 3679 (« P.B. »); Centre hospitalier universitaire du Québec c. A., 2007 QCCS 2419 (« A. »).
[4] Children’s Aid, par. 114 et 212; R.C., par. 10; A.L., par. 25; M.C., par. 16.
[5] Art. 33 C.c.Q.; R.C., par. 11.
[6] J.T., par. 26; R.C., par. 12; A.L., par. 27; M.C., par. 17; P.B., par. 12; A., par. 12.
[9] C.R. c. Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent, 2017 QCCA 328, par. 40.