Dupras c. Ville de Mascouche | 2024 QCCS 4219 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | JOLIETTE | |||||
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No : | 705-17-006754-160 | |||||
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DATE : | Le 22 octobre 2024 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARIE-CLAUDE RIGAUD, J.C.S. | ||||
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GINETTE DUPRAS | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
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VILLE DE MASCOUCHE | ||||||
Défenderesse | ||||||
et | ||||||
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OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE L’ASSOMPTION | ||||||
Mis en cause | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Madame Ginette Dupras dépose en 2016 une demande introductive d’instance dans laquelle elle allègue, en vertu de l’article 952 du Code civil du Québec (C.c.Q.), que son terrain a fait l’objet d’une expropriation déguisée résultant de l’adoption, par la Ville de Mascouche, d’un règlement de zonage qui restreint les usages en construction pouvant y être réalisés et ce, dans le but de protéger le couvert forestier de celui-ci.
[2] À la suite de l’adoption le 8 décembre 2023 de l’article 245 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[1] (LAU)[2], et après une longue saga judiciaire que Madame Dupras croyait enfin approcher à sa fin, la Ville de Mascouche formule en février 2024 une demande en rejet de la demande introductive (modifiée) de Madame Dupras, et ce, sur la base de l’abus. La Ville prétend essentiellement qu’il faut retourner à la case de départ en remettant en question non seulement le droit de Madame Dupras à une quelconque indemnité, mais l’existence même d’une expropriation déguisée.
[3] Cette demande de la Ville survient dans le contexte particulier du présent dossier dans lequel la Cour d’appel avait pourtant, en 2022[3], confirmé que le terrain de Madame Dupras avait été le sujet d’une expropriation déguisée, ce qui lui donnait droit à une juste indemnité, puis renvoyé le dossier au juge de première instance, afin qu’elle détermine le montant auquel elle avait droit, après avoir ordonné une passation de titre et le paiement d’une indemnité provisionnelle.
[4] De cette demande en abus découlent quatre autres demandes, dont il sera aussi question dans le présent jugement.
CONTEXTE PROCÉDURAL
[5] Le 12 août 2020, l’honorable Judith Harvie, alors qu’elle était à la Cour supérieure, accueille en partie le recours de Madame Dupras en expropriation déguisée fondé sur l’article 952 C.c.Q. et déclare que l’immeuble de la demanderesse « a été l’objet d’une expropriation déguisée par la défenderesse Ville de Mascouche »[4] à la suite de l’adoption d’un règlement de zonage le 5 septembre 2006.
[6] En vertu du jugement, la Ville de Mascouche doit verser à Madame Dupras une indemnité d’expropriation de 436 000 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle depuis le 18 décembre 2015, en plus de rembourser les taxes acquittées sur l’immeuble depuis le 15 avril 2015. En contrepartie, Madame Dupras doit passer titre à la Ville de Mascouche.
[7] Les deux Parties se pourvoient en appel.
[8] Le 16 mars 2022, la Cour d’appel confirme l’existence de l’expropriation du terrain de Madame Dupras et son droit à une juste indemnité[5]. Elle conclut de plus que l’expropriation déguisée s’est cristallisée le 8 février 2016 et non pas le 5 septembre 2006.
[9] Puisque selon la Cour d’appel « le dossier, tel que constitué, ne permet pas à la Cour de fixer la valeur du terrain en zonage résidentiel » en fonction de cette date, il est retourné devant la juge de première instance « pour qu’une preuve à ce sujet soit administrée »[6].
[10] Dans sa décision, la Cour d’appel ne tranche pas non plus « les questions liées au remboursement des taxes et [de] la date de l’intérêt et de l’indemnité additionnelle »[7], qui sont également renvoyées devant la Cour supérieure.
[11] Ainsi, il est décidé que Madame Dupras doive passer titre à la Ville de Mascouche sur la réception de l’indemnité qui sera déterminée par la Cour supérieure[8].
[12] Le 29 septembre 2022, la Cour suprême[9] rejette la demande d’autorisation d’appel de la Ville de Mascouche, ainsi que les requêtes pour permission d’intervenir de plusieurs requérants[10].
[13] De retour devant la juge Harvie de la Cour supérieure, le dossier se déroule comme suit.
[14] Le 11 novembre 2022 a lieu une première conférence de gestion durant laquelle Madame Dupras demande le versement d’une indemnité provisionnelle correspondant au montant accordé par le jugement de la Cour supérieure. La défenderesse Ville de Mascouche consent à cette demande et les Parties soumettent un projet de jugement à la juge Harvie.
[15] Le 12 décembre 2022, la Cour supérieure accorde sur consentement des Parties le paiement d’une indemnité provisionnelle à Madame Dupras et ordonne la passation de titre en faveur de la Ville de Mascouche[11]. Évidemment, cette décision n’est pas portée en appel.
[16] Le lendemain, le 13 décembre 2022, la Ville de Mascouche verse à Madame Dupras l’indemnité d’expropriation provisionnelle. Le 1er août 2023, Madame Dupras cède son immeuble à la Ville de Mascouche par acte notarié de cession[12].
[17] Parallèlement, entre février et novembre 2023, des conférences de gestion sont tenues, des échéanciers sont établis, des rapports d’expertises sont produits en vue de la mise en état du dossier et du dépôt de la déclaration commune au plus tard le 1er décembre 2023, tel qu’ordonné par la juge Harvie.
[18] Le 10 novembre 2023, Madame Dupras modifie sa demande introductive d’instance et réclame une indemnité d’expropriation totale de 5 758 704 $, en tenant compte de l’indemnité provisionnelle déjà versée à titre de paiement partiel.
[19] Le 24 novembre 2023, la Ville de Mascouche produit sa défense modifiée dans laquelle il est affirmé « que l’indemnité d’expropriation à laquelle a droit la demanderesse en date du 8 février 2016 » est de 1 325 000 $.
[20] Le 1er décembre 2023, seule la demanderesse produit la demande d’inscription pour instruction et jugement par une déclaration individuelle.
[21] Le 8 décembre 2023, entre en vigueur la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives[13] qui modifie la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[14]. Plus précisément, sont adoptés les articles 245 à 245.6 de la LAU qui introduisent un nouveau cadre législatif quant aux recours fondés sur l’article 952 du C.c.Q. L’article 245 de la LAU est déclaratoire.
[22] Le 15 décembre 2023, la Ville de Mascouche informe la juge Harvie de l’adoption de ces dispositions et de la nécessité d’évaluer leur impact sur le dossier. Elle annonce aussi dès lors son intention de formuler, d’ici février 2024, une demande dans laquelle elle exposera les motifs pour lesquels elle est d’avis qu’il n’y aurait pas eu d’expropriation déguisée et que l’audience pour fixer l’indemnité serait sans objet. La demanderesse manifeste le jour même son objection.
[23] Le 18 décembre 2023, la juge Harvie est nommée à la Cour d’appel.
[24] Le 10 janvier 2024, Madame Dupras demande le versement d’une indemnité provisionnelle additionnelle de 1 325 000 $, fondée sur l’évaluation de l’indemnité d’expropriation de la Ville de Mascouche dans sa défense du 24 novembre 2023, tout en tenant compte de l’indemnité provisionnelle déjà versée le 13 décembre 2022[15].
[25] Le 2 février 2024, la Ville de Mascouche demande le rejet de la demande introductive d’instance (modifiée le 10 novembre 2023) en raison de son caractère abusif. Puisque de l’avis de la Ville de Mascouche la demande de Madame Dupras serait manifestement mal fondée, elle devrait être rejetée selon l’article 51 du Code de procédure civile[16].
[26] Le 13 février 2024, Madame Dupras réclame à son tour une déclaration d’abus à l’égard de la demande en rejet de la Ville de Mascouche.
[27] Le 12 juillet 2024, la Ville de Mascouche modifie sa défense et sa demande en rejet de la demande introductive d’instance. La défenderesse avance désormais que l’article 245 de la LAU est applicable en l’espèce et que son application rétroactive mène à la conclusion qu’« il n’y a pas eu expropriation déguisée par la Ville et qu’aucune indemnité n’est donc payable à la demanderesse »[17].
[28] Dès lors, la Ville de Mascouche demande que les Parties soient remises en état de sorte que la demanderesse rembourse l’indemnité provisionnelle reçue et que la défenderesse rétrocède l’immeuble à la demanderesse[18].
[29] Le 19 juillet 2024, Madame Dupras s’oppose à la modification de la défense et de la demande de rejet de la Ville de Mascouche.
[30] Le 1er août 2024, la Ville de Mascouche demande la permission de modifier sa défense et sa demande en rejet.
[31] Les 19 et 20 août 2024, le Tribunal est donc saisi des demandes suivantes de la Ville de Mascouche :
(i) la modification de sa demande en rejet de la demande introductive d’instance;
(ii) rejeter la demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023 ou, subsidiairement, déférer la demande en rejet à l’audition sur le fond;
(iii) permettre la modification de sa défense.
[32] Pour sa part, Madame Dupras demande au Tribunal de :
(i) lui accorder une indemnité provisionnelle additionnelle;
(ii) déclarer abusive la demande en rejet de la défenderesse.
[33] Les questions soumises au Tribunal seront abordées dans l’ordre mentionné ci-dessus.
[34] Afin de procéder à l’analyse des différentes questions soulevées par les demandes énumérées ci-dessus, il convient par ailleurs de débuter par un examen des dispositions législatives à l’origine de la demande en rejet soit les articles 245 à 245.6 de la LAU.
L’adoption des articles 245 à 245.6 de la LAU
[35] Introduites par l’article 6 de la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives[19], les dispositions à l’étude, dont notamment l’article 245, modifient la LAU « afin d’établir les circonstances dans lesquelles un acte pris en vertu de cette loi ou d’une autre loi qui permet de régir l’utilisation du sol ou les constructions peut donner lieu à une indemnité en vertu de l’article 952 du Code civil du Québec »[20] :
245. L’accomplissement d’un acte prévu par la présente loi ne crée aucune obligation pour celui qui l’accomplit d’indemniser, en vertu de l’article 952 du Code civil, une personne qui subit, par l’effet de cet acte, une atteinte à son droit de propriété sur un immeuble, pour autant qu’il demeure possible de faire une utilisation raisonnable de l’immeuble.
Un immeuble doit être considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable lorsque l’atteinte au droit de propriété est justifiée dans les circonstances, ce qui doit s’évaluer dans une perspective de proportionnalité en tenant compte, entre autres, des caractéristiques de l’immeuble, des objectifs prévus dans un plan métropolitain, dans un schéma ou dans un plan d’urbanisme et de l’intérêt public.
Une atteinte au droit de propriété est réputée justifiée aux fins du deuxième alinéa lorsqu’elle résulte d’un acte qui respecte l’une ou l’autre des conditions suivantes:
1° l’acte vise la protection de milieux humides et hydriques;
2° l’acte vise la protection d’un milieu, autre qu’un milieu visé au paragraphe 1°, qui a une valeur écologique importante, à la condition que cet acte n’empêche pas la réalisation, sur une superficie à vocation forestière identifiée au rôle d’évaluation foncière, d’activités d’aménagement forestier conformes à la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (chapitre A-18.1);
3° l’acte est nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens.
Le présent article est déclaratoire.
245.1 Le secrétaire de la municipalité ou de l’organisme compétent transmet, dans les trois mois de la date de l’entrée en vigueur d’un acte visé au troisième alinéa de l’article 245, un avis au propriétaire de tout immeuble concerné par cet acte. Il dépose au conseil le plus tôt possible un rapport attestant de ces transmissions.
245.2 Le propriétaire d’un immeuble qui a subi une atteinte à son droit de propriété qui empêche toute utilisation raisonnable de l’immeuble peut prendre, devant la Cour supérieure, un recours en versement d’une indemnité en vertu de l’article 952 du Code civil. Ce recours se prescrit trois ans après la date de l’entrée en vigueur de l’acte qui porte atteinte à son droit de propriété et doit être instruit et jugé d’urgence.
245.3 Lorsqu’il est déclaré qu’un propriétaire visé à l’article 245.2 a le droit d’être indemnisé en vertu de l’article 952 du Code civil, le tribunal détermine l’indemnité définitive à laquelle pourrait avoir droit ce propriétaire en indiquant à son jugement les montants de cette indemnité qui lui sont dus et ceux qui pourraient l’être si l’atteinte ne cesse pas.
L’indemnité est déterminée conformément aux dispositions des sous-sections 2, 3, 4 et 6 de la section III du chapitre III du titre III de la partie I de la Loi concernant l’expropriation (chapitre E-25). Aux fins de l’article 129 de cette loi, la cessation de l’atteinte est assimilée à un désistement.
Le jugement accorde à l’auteur de l’acte un délai, qui ne peut être inférieur à neuf mois suivant la date du jugement, pour faire cesser l’atteinte.
Dans les quatre mois qui suivent ce jugement, l’auteur de l’acte doit notifier un avis au tribunal et au propriétaire qui indique s’il décide de faire cesser cette atteinte ou d’acquérir la propriété concernée. Dans ce dernier cas, le tribunal ordonne à l’auteur de l’acte de payer l’indemnité qu’elle a déterminée en prévision de l’absence de cessation de l’atteinte et ordonne le transfert à l’auteur de l’acte de la propriété concernée.
Lorsque l’atteinte ne cesse pas dans le délai imparti, le tribunal, sur demande du propriétaire, ordonne à l’auteur de l’acte de payer l’indemnité déterminée, laquelle est ajustée sur demande du propriétaire pour tenir compte de tout nouveau dommage, et ordonne le transfert de la propriété concernée à l’auteur de l’acte.
245.4 Toute municipalité peut octroyer un crédit de taxes au propriétaire d’un immeuble concerné par un acte visé au troisième alinéa de l’article 245.
245.5 Un règlement dont le seul but est de faire cesser une atteinte au droit de propriété en exécution d’un jugement visé à l’article 245.3 n’est pas susceptible d’approbation référendaire.
245.6 Les articles 245 à 245.4 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à un acte accompli par une municipalité ou un organisme compétent en vertu de toute loi, lorsque cet acte vise à régir l’utilisation du sol ou les constructions.
[36] En adoptant les articles 245 à 245.6 LAU, le législateur adopte un « nouveau cadre d’analyse », une nouvelle démarche à suivre par les tribunaux lorsqu’ils sont saisis d’une action fondée sur l’article 952 C.c.Q. et « écarte au passage l’interprétation des principes »[21] retenus par la jurisprudence applicable en la matière.
[37] Selon les commentaires de la ministre des Affaires municipales, le nouvel article 245 de la LAU « encadrerait le droit pour une personne d’être indemnisée en raison des restrictions imposées à son droit de propriété par un règlement d'urbanisme »[22]. La disposition :
[38] L’objectif déclaré de la disposition est d’« assurer une prévisibilité […] autant pour la planification des municipalités que pour les personnes qui occupent le territoire » dans un contexte où « il va y avoir beaucoup de révision de planification au niveau municipal ». Conséquemment, il « apparaissait important […] de venir cadrer clairement […] dans quels univers les différentes parties vont devoir évoluer à l’avenir »[24]
[39] C’est l’effet déclaratoire de l’article 245 de la LAU qui mobilise aujourd’hui la Ville de Mascouche à demander le rejet de la demande introductive modifiée de Madame Dupras, demande qui selon la Ville de Mascouche, serait devenue rétroactivement manifestement mal fondée, et ce malgré la décision finale de la Cour d’appel et l’exécution partielle du jugement de la Cour supérieure du 12 décembre 2022.
[40] Or, avant d’analyser cette question, le Tribunal doit, tel qu’énoncé ci-dessus, aborder la question préliminaire de la demande en modification de la demande en rejet déposée par la Ville de Mascouche.
[41] Il est utile de rappeler à ce sujet « le principe bien connu en vertu de l’article 206 C.p.c. : la modification est la règle, le refus, l’exception »[25]. Pour déterminer s’il s’agit dans le présent dossier d’un cas où l’exception à la règle trouve application, il convient d’analyser la version initiale de la demande en rejet, ainsi que les modifications apportées par la défenderesse Ville de Mascouche.
(i) La demande initiale
[42] La demande en rejet de la demande introductive d’instance notifiée par la Ville de Mascouche le 2 février 2024 (la demande initiale) se limite à (i) énoncer de manière brève le contexte, (ii) à citer le paragraphe 39 de l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans le dossier (où cette dernière indique que le législateur peut imposer aux propriétaires une charge supplémentaire en matière de protection de l’environnement) et à (iii) insister sur le fait qu’une « habilitation législative spécifique » à cet effet a pris naissance par l’adoption de l’article 245 de la LAU.
[43] Plus précisément, par son effet déclaratoire, l’article 245 de la LAU serait applicable en l’espèce et considérant la valeur écologique importante du boisé de l’immeuble en litige, le Tribunal devrait inéluctablement arriver à la conclusion que l’atteinte au droit de propriété de la demanderesse est justifiée, qu’il n’y a donc aucune expropriation déguisée et qu’aucune indemnité n’est payable. Dès lors, la demande introductive d’instance modifiée serait abusive parce que manifestement mal fondée et devrait être rejetée.
[44] Sur cette base, la Ville de Mascouche demande au Tribunal d’accueillir la demande en rejet, de déclarer la demande introductive d’instance modifiée le 10 novembre 2023 abusive, parce que manifestement mal fondée et de la rejeter, sans aucune mention quant à la remise en état des Parties.
[45] Le 12 juillet 2024, la Ville de Mascouche apporte les modifications suivantes à sa demande en rejet en:
[46] Le Tribunal est d’avis que les ajouts mentionnés ci-dessus sont directement en lien avec l’applicabilité et l’application de l’article 245 de la LAU, représentant le fondement même de la demande en rejet de la Ville de Mascouche. Quant à la remise en état des Parties, la Ville de Mascouche la requiert comme conséquence logique de sa prétention voulant qu’il n’y ait pas eu d’expropriation déguisée.
[47] Dans ces circonstances, rien ne permet au Tribunal de déroger à la règle selon laquelle la modification de la demande en rejet doit être permise.
[48] Ayant ainsi conclu, il est maintenant temps d’examiner la demande en rejet de la Ville de Mascouche de la demande introductive d’instance modifiée de Madame Dupras en date du 10 novembre 2023.
[49] Avant de le faire, il est utile à ce stade d’expliquer la démarche que suivra le Tribunal.
[50] Dans sa demande en rejet, rappelons-le, la Ville de Mascouche demande au Tribunal de rejeter la demande introductive modifiée de Madame Dupras en présumant, en quelque sorte, que l’article 245 de la LAU s’applique. Or, comme il sera expliqué plus longuement ci-dessous, la Ville de Mascouche a aussi demandé au Tribunal de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 245 de la LAU dans le présent dossier et ce, en raison de sa nature déclaratoire et en raison des enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Canada Bread[27].
[51] Bien qu’il puisse, du moins à première vue, paraitre plus logique de débuter l’analyse de la demande en rejet en posant la question de l’applicabilité de l’article 245 de la LAU dans le cadre du présent dossier, le Tribunal procédera d’abord à son analyse sur la base de la position principale que présente la Ville de Mascouche dans sa demande en rejet, à savoir que la demande modifiée de Madame Dupras devrait être rejetée sur la base de l’article 245 de la LAU, en prenant pour acquis en quelque sorte que cet article est applicable.
[52] Or, dans l’éventualité où la demande introductive d’instance modifiée n’est pas abusive et donc que la Ville de Mascouche a tort sur ce point et que sa demande de rejet devrait en effet être rejetée, il n’en demeure pas moins que la Ville demande néanmoins que le Tribunal se prononce sur l’applicabilité de l’article 245 de la LAU, tout comme le demande aussi Madame Dupras.
[53] En raison de la demande conjointe des Parties pour que le Tribunal se prononce sur la question de l’applicabilité de l’article 245 LAU et ce, entre autres, en raison de l’impact important que cette détermination aura sur la suite du dossier, et pour les motifs énoncés ci-dessous qui rendront plus clairs la logique de cette séquence, le Tribunal abordera donc dans un deuxième temps la détermination de la question de l’applicabilité de l’article 245 de la LAU.
[54] Le Tribunal tient à souligner qu’il avait discuté de ces questions, des considérations de proportionnalité et d’une saine gestion de l’instance, de la possibilité qu’un seul juge puisse se prononcer sur l’ensemble des questions en litige et ce, eu égard entre autres à l’âge avancé de Madame Dupras et au long historique judiciaire du dossier.
[55] Les Parties étant toutes deux d’avis qu’il fallait qu’une détermination soit faite à ce stade au sujet de l’applicabilité de l’article 245 de la LAU, et le Tribunal ne pouvant, à ce stade préliminaire, se saisir du fond du dossier, le dossier a été pris en délibéré pour trancher les différentes demandes en vue de l’audition portant sur le quantum de l’indemnité payable qui, faut-il l’espérer, pourra procéder dans les meilleurs délais.
[56] Avant d’aller plus loin, le Tribunal souligne, de manière préliminaire, qu’il est d’avis que la position de la Ville de Mascouche, tel que formulée dans sa demande en rejet, que ce soit sur l’application ou sur l’applicabilité de l’article 245 de la LAU, est basée sur une lecture erronée des enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Canada Bread dont il sera question plus loin dans le présent jugement.
[57] En effet, la Ville de Mascouche formule sa demande en rejet (i) en semblant faire fi de la décision finale et irrévocable de la Cour d’appel (à la suite du refus de la Cour suprême d’accueillir la demande pour permission d’appeler déposée par la Ville de Mascouche) qui a déterminé de manière finale les droits et obligations des Parties et (ii) en présumant que suite au renvoi du dossier à la Cour supérieure, à la seule fin de déterminer le solde du quantum à payer, il y a maintenant une cause pendante au sens de Canada Bread et que la demande en abus exige, dès lors, d’être examinée.
[58] Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal est en désaccord avec l’approche adoptée par la Ville de Mascouche et par la lecture qu’elle fait de Canada Bread aux fins du présent dossier.
[59] Suivant l’échéancier fixé lors des conférences de gestion tenues devant la juge Harvie à la suite du retour du dossier devant la Cour supérieure, Madame Dupras modifie sa demande introductive d’instance le 10 novembre 2023.
[60] Elle y ajoute des paragraphes relatifs au jugement de la Cour supérieure du 12 août 2022, à l’arrêt de la Cour d’appel du 16 mars 2022, à l’acte de cession du 1er août 2023 et au paiement provisionnel déjà effectué.
[61] La demanderesse réclame à titre d’indemnité pour l’expropriation déguisée de son immeuble la somme de 5 758 704 $ établie en date du 8 février 2016[28]. Les conclusions se limitent au versement de cette indemnité totale en tenant compte du montant déjà versé. Aucune conclusion ne porte sur l’expropriation déguisée conformément à l’évolution du dossier.
[62] Sans l’affirmer explicitement, la Ville de Mascouche prétend que l’entrée en vigueur de l’article 245 de la LAU le 8 décembre 2023 a pour effet de rendre la demande introductive d’instance rétroactivement manifestement mal fondée et que dès lors, le fait de continuer le présent dossier constitue un abus de procédure. Elle demande donc son rejet en vertu des articles 51 et suivants du Code de procédure civile.
[63] La Ville prétend que la réserve formulée dans la décision de la Cour d’appel au sujet d’une éventuelle habilitation législative spécifique[29], s’est aujourd’hui concrétisée par l’adoption en décembre 2023 de l’article 245 LAU :
[39] Il est indéniable que les villes, notamment par leur pouvoir de zonage, jouent un rôle de plus en plus névralgique dans la gestion de l’environnement, qu’il s’agisse, par exemple, de la protection des milieux humides ou, comme ici, du couvert forestier. Il est également incontestable que la protection de l’environnement, dans toutes ses dimensions, constitue une cause d’utilité publique qui, comme notre Cour l’a déjà affirmé, peut avoir pour effet d’imposer une charge supplémentaire au propriétaire[30]. Il demeure que, sous réserve d’une éventuelle habilitation législative spécifique en ce sens qui n’existe pas en l’espèce, lorsque de ces efforts requis découle une expropriation déguisée, le coût de cette mesure ne peut revenir au seul propriétaire, lequel a droit à une indemnisation suffisante. C’est le fondement même du principe retranscrit à l’article 952 C.c.Q.
[64] L’habilitation législative dont il est question à ce paragraphe existerait maintenant, et considérant que l’article 245 LAU a un effet déclaratoire, la Ville est d’avis qu’aucune indemnité n’est payable à la demanderesse, qu’une remise en état des Parties est requise et que sa demande en rejet est donc bien fondée.
[65] De manière subsidiaire, dans l’éventualité où le Tribunal devait déterminer que la preuve au dossier ne lui permet pas d’accueillir la demande en rejet à ce stade, vu notamment la modification du droit en vigueur après que la preuve ait été administrée lors du procès en 2020 et vu le changement du juge à la Cour supérieure, la Ville de Mascouche demande que la présente demande soit référée au fond afin qu’une preuve complète enlignée sur l’article 245 de LAU soit soumise dans le but d’éclairer le tribunal à cet égard, notamment une preuve par expert comme il en a été longuement question dans l’affaire Sommet Prestige.
[66] Afin de trancher cette question, il faut dans un premier temps revoir très brièvement les principes applicables à une demande en abus.
(i) Les principes applicables
[67] En vertu des articles 51 et 53 du C.p.c., le Tribunal peut à tout moment déclarer qu’une demande en justice est abusive. L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, du caractère manifestement mal fondé de la demande, auquel cas le tribunal peut la rejeter. Cela dit, la prudence est de mise et la peine capitale du rejet d’une action en justice est réservée aux cas patents où la demande est manifestement vouée à l’échec :
[9] La Cour [d’appel] a rappelé à plus d’une reprise la prudence dont doivent faire preuve les tribunaux avant de rejeter un recours « abusif » au motif qu’il serait manifestement mal fondé, et ce, « particulièrement lorsqu’ils ne disposent que d’une preuve sommaire, alors que le juge du fond serait mieux placé pour trancher une question à la lumière de l’ensemble de la preuve déposée ».
[10] Le rejet s’impose uniquement lorsque « la partie interrogée n'a manifestement pas de cause à faire valoir », c’est-à-dire lorsque la démonstration est faite « d’une absence de toute chance raisonnable de succès » de son recours. Il doit être « patent, sans qu’une preuve élaborée soit administrée, que la demande en justice ou l’acte de procédure est abusif ou paraît l’être ». Autrement, le tribunal doit « éviter de mettre fin prématurément à un procès, considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d’une action, sans que la demande ne soit examinée au mérite ».
[11] Les termes utilisés dans ces extraits sont lourds de sens : la peine capitale est réservée aux procédures qui constituent des abus flagrants et patents. Tout doute doit jouer en faveur de l’auteur de la procédure.[31]
[Références omises]
[68] La partie qui demande le rejet doit établir sommairement, « c’est-à-dire brièvement, promptement, sans les formalités de l’enquête et de l’instruction au fond »[32], que la demande en justice peut constituer un abus. Cette étape franchie, il revient à la partie qui introduit la demande de démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit (art. 52 C.p.c.).
[69] L’application de ces principes dans la présente affaire surprend dans la mesure où Madame Dupras serait censée en quelque sorte démontrer que sa demande introductive d’instance du 10 novembre 2023 portant, conformément à l’arrêt de la Cour d’appel et à l’acte de cession, exclusivement sur le solde de l’indemnité définitive, ne constitue pas un geste « exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit ».
[70] Or, ce que la Ville semble plutôt faire en formulant une demande en rejet est de remettre en cause la conclusion de la demande introductive initiale de Madame Dupras, à savoir celle de l’existence de l’expropriation elle-même. En alléguant l’abus et en demandant que les Parties soient remises en état, la Ville trahit en quelque sorte son véritable objectif qui est celui de revenir à la case de départ et de suggérer qu’il n’y a non seulement plus de droit à l’indemnité, mais surtout plus d’expropriation déguisée. Nous y reviendrons.
[71] Se pose donc à ce stade la question principale du présent débat à savoir si la demande introductive d’instance modifiée du 10 novembre 2023 de Madame Dupras est manifestement mal fondée.
(ii) L’analyse de la demande de rejet
[72] La position de la Ville de Mascouche voulant que la demande introductive modifiée en date du 10 novembre 2023 soit abusive est fondée sur la prémisse que l’article 245 LAU, en raison de sa nature déclaratoire, qui n’est d’ailleurs pas remise en question par les Parties, est applicable.
[73] Pour les motifs énoncés ci-dessous, et même en prenant ce point pour acquis, le Tribunal conclut que la demande introductive d’instance modifiée n’est pas manifestement mal fondée.
[74] Tout d’abord, l’article 245 de la LAU se veut « une disposition qui a un effet interprétatif et qui indique aux tribunaux que c'est de cette manière-là que la loi [en l’occurrence la LAU et l’article 952 C.c.Q.] doit être appliquée depuis […] toujours »[33].
[75] Sans influer sur son caractère déclaratoire[34], l’article 245 de la LAU introduit néanmoins de nouvelles règles de droit :
245. L’accomplissement d’un acte prévu par la présente loi ne crée aucune obligation pour celui qui l’accomplit d’indemniser, en vertu de l’article 952 du Code civil, une personne qui subit, par l’effet de cet acte, une atteinte à son droit de propriété sur un immeuble, pour autant qu’il demeure possible de faire une utilisation raisonnable de l’immeuble.
Un immeuble doit être considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable lorsque l’atteinte au droit de propriété est justifiée dans les circonstances, ce qui doit s’évaluer dans une perspective de proportionnalité en tenant compte, entre autres, des caractéristiques de l’immeuble, des objectifs prévus dans un plan métropolitain, dans un schéma ou dans un plan d’urbanisme et de l’intérêt public.
Une atteinte au droit de propriété est réputée justifiée aux fins du deuxième alinéa lorsqu’elle résulte d’un acte qui respecte l’une ou l’autre des conditions suivantes:
1° l’acte vise la protection de milieux humides et hydriques;
2° l’acte vise la protection d’un milieu, autre qu’un milieu visé au paragraphe 1°, qui a une valeur écologique importante, à la condition que cet acte n’empêche pas la réalisation, sur une superficie à vocation forestière identifiée au rôle d’évaluation foncière, d’activités d’aménagement forestier conformes à la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (chapitre A-18.1);
3° l’acte est nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens.
Le présent article est déclaratoire.
[76] Si le premier alinéa de cet article « confirme ce que dit la jurisprudence au sujet de l'utilisation raisonnable […] d'un immeuble », le deuxième impose en revanche « une sorte de test qui va être appliquée par les tribunaux pour déterminer ce qui constitue une utilisation raisonnable en tenant compte de la justification de l'atteinte au droit de propriété » et le troisième alinéa prévoit des présomptions qui lorsqu’elles s’appliquent « peu importe ce qu'il reste comme utilisation [de l’immeuble], le tribunal doit considérer que c'est raisonnable »[35].
[77] Dans ce nouveau cadre d’analyse, le débat peut également se déplacer sur la question de savoir si « le règlement est véritablement visé » par le troisième alinéa de l’article 245 de la LAU :
[…] si, par exemple, le propriétaire considère qu'il y a des restrictions dans le règlement qui ne visent pas à protéger le milieu, si, par exemple, il n'y a pas de lien rationnel entre l'interdiction d'exploiter une érablière et la protection du boisé, bien, ça pourrait être contesté pour ce motif-là.[36]
[78] De plus, comme l’indique récemment la Cour d’appel dans Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc.[37], la notion de « valeur écologique importante », au cœur du nouveau cadre juridique, n’est pas définie par la loi et un débat à ce sujet pourra nécessiter une preuve d’expert à combler dans les dossiers en cours.
[79] Il peut en aller de même dans les cas d’application de la présomption que l’acte est nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens (en cas de glissements de terrain, d’érosion côtière, de zones inondables par exemple[38]).
[80] En raison de la rupture du droit antérieur que l’article 245 de la LAU opère, appliquer cette disposition dans les instances en cours impose de « réévaluer le[s] dossier[s] à la lumière des paramètres fixés »[39] par le nouveau régime. La preuve existante aux dossiers peut s’avérer lacunaire pour remplir le fardeau exigé à la suite de la modification de la législation[40].
[81] Or, en demandant le rejet de la demande introductive d’instance, la Ville de Mascouche estime que le dossier tel que constitué le 8 décembre 2023 ne nécessite aucune preuve complémentaire quant à l’application des présomptions prévue à l’article 245 de la LAU.
[82] Plus précisément, la Ville prétend que le règlement de zonage du 5 septembre 2006 vise tant la protection d’un milieu ayant une valeur écologique importante (art. 245 al. 3 par. 2) que d’assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens (art. 245 al. 3 par. 2)[41].
[83] À son avis, « la valeur écologique importante du boisé de l’immeuble a été reconnue dans plusieurs documents » déjà au dossier et auxquels le jugement de la Cour supérieure de 2020 fait référence[42]. En outre, ce jugement aurait reconnu que près de 51 % de la superficie de l’immeuble est à risque de mouvement de sol et de glissement de terrain, dont 30 % avant même l’adoption du règlement de zonage de 2006[43].
[84] Dès lors, cette partie du terrain (30 % ou 51 % respectivement) ne peut faire l’objet d’une expropriation déguisée et d’une indemnisation quelconque « indépendamment de la conclusion sur la valeur écologique de l’immeuble »[44].
[85] Enfin, la Ville de Mascouche invite le Tribunal à « combiner » le critère de la valeur écologique importante à celui de la protection nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens lors de l’application de l’article 245 de la LAU en l’espèce[45].
[86] La position de la Ville de Mascouche apparait intenable dans le cadre d’une demande en rejet de la demande introductive d’instance qui serait manifestement mal fondée. Tout en écartant la conclusion principale du jugement de la Cour supérieure relative à l’expropriation déguisée, la Ville de Mascouche invoque certains constats de ce jugement prononcés en lien avec la détermination de la valeur de l’indemnité d’expropriation qui démontreraient désormais l’absence de fondement juridique de la demande introductive d’instance.
[87] En même temps, la Ville de Mascouche omet d’autres éléments retenus par la juge Harvie, dont notamment le fait qu’elle s’est approprié le terrain comme s’il faisait partie du parc du Grand-Coteau[46]. Faut-il prendre en considération un tel élément factuel dans le nouveau régime juridique de l’article 245 de la LAU? Seul un débat au fond permettrait d’y répondre.
[88] Appliquer l’article 245 de la LAU en l’espèce et rouvrir le débat sur l’expropriation ne saurait se reposer sur une « sélection opportuniste » de certaines affirmations prononcées dans le cadre d’une analyse fondée sur le droit antérieur. Si le débat devait se tenir selon les nouveaux paramètres de l’article 245 de la LAU, les Parties devraient à tout le moins avoir le droit de le préparer en conséquence.
[89] Et qu’en est-il à tout évènement, dans la position adoptée par la Ville de Mascouche, du droit de Madame Dupras d’être entendue afin de faire valoir sa position sur l’application de l’article 245 de la LAU? Comment la Ville de Mascouche peut-elle prétendre que Madame Dupras n’aurait en quelque sorte pas le droit, bien que l’assise factuelle antérieure ait déjà été cristallisée à la suite d’un long processus judiciaire, de faire valoir ses arguments à la suite de l’adoption du nouveau cadre législatif et que sa demande devrait dès lors être rejetée (ou subsidiairement référée au fond)[47] à ce stade sur la base qu’elle serait manifestement mal fondée? Accepter une telle position en reviendrait à faire fi du principe maintes fois répété par nos tribunaux qu’il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès, en raison, entre autres, des graves conséquences qui en découleraient, pour les parties, du rejet d’une action sans le bénéfice d’un véritable débat au fond[48].
[91] Cela suffit pour rejeter la demande en rejet de la Ville de Mascouche.
[92] Mais il y a plus.
[93] En effet, tel qu’il sera expliqué plus amplement ci-dessous, dans les faits particuliers de cette affaire, le Tribunal est d’avis que Madame Dupras a été entendue et que les questions relatives à l’expropriation déguisée et au droit à une indemnité ont déjà été tranchées de manière finale par la Cour d’appel à la suite du refus de la Cour suprême d’entendre l’appel de la Ville de Mascouche, jugement qui a d’ailleurs été exécuté en partie à la suite du jugement de la juge Harvie en décembre 2022. Nous y reviendrons.
[94] Dans le cadre de la demande en rejet, les Parties ont aussi soumis leurs arguments relatifs à la question de savoir si l’article 245 de la LAU est applicable en l’espèce (ci-après « l’applicabilité de l’article 245 de la LAU »). Elles ont toutes deux insisté pour que le Tribunal se prononce dès maintenant, même si, dans l’affirmative, « l’application » proprement dite de la disposition aurait lieu au fond. Leur persistance à cet égard s’apparente en quelque sorte, et même si une telle approche n’est pas mise de l’avant par la Ville de Mascouche, à une demande conjointe en cours d’instance sur un point de droit au sens de l’article 209 du C.p.c.
[95] Rappelons qu’au moment de l’entrée en vigueur de l’article 245 de la LAU, le dossier était en état et les Parties étaient censées demander l’inscription pour instruction et jugement sur la question du quantum du solde de l’indemnité uniquement, la demanderesse ayant d’ailleurs déposé sa demande le 1er décembre 2023.
[96] Tel qu’expliqué plus haut, appliquer l’article 245 de la LAU en l’espèce aura nécessairement un impact sur la suite du dossier et la preuve à administrer. Dans ces circonstances, eu égard entre autres à l’insistance soutenue des deux Parties pour que la question de l’applicabilité de l’article 245 LAU soit tranchées, le Tribunal abordera cette question de droit de manière préliminaire dans les circonstances spécifiques du présent dossier.
(iii) L’applicabilité de l’article 245 LAU dans le présent dossier
[97] Le dernier alinéa de l’article 245 de la LAU et les débats parlementaires entourant son adoption ne laissent planer aucun doute : cet article est déclaratoire et s’applique « aux instances judiciaires en cours, sans toutefois remettre en question les affaires jugées »[49].
[98] L’effet déclaratoire d’une disposition législative est reconnu par la Cour suprême dans l’arrêt Canada Bread dans les termes suivants[50] :
[28] Il est tout aussi reconnu en droit que les dispositions déclaratoires ont un effet immédiat sur les affaires pendantes et qu’elles font donc exception à la règle générale du caractère prospectif de la loi. L’interprétation imposée par une disposition déclaratoire remonte dans le temps jusqu’à la date d’entrée en vigueur du texte de loi qu’elle interprète, faisant en sorte que ce texte de loi est réputé avoir toujours inclus cette disposition. Cette interprétation est donc considérée comme ayant toujours été la loi : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 682-683.
[29] Toutefois, des limites s’appliquent à l’effet immédiat d’une loi déclaratoire. En 1953, notre Cour a fait sien, dans Western Minerals, l’énoncé de W. F. Craies, A Treatise on Statute Law (4e éd. 1936), selon lequel les lois déclaratoires [traduction] « statuent sur les affaires semblables qui sont pendantes à la date du jugement, mais elles n’opèrent pas la réouverture d’affaires déjà jugées » : p. 370, citant Craies, p. 341‑342. Tout comme un précédent ayant force de loi, l’interprétation adoptée par le législateur au moyen d’une disposition déclaratoire s’applique à toutes les causes futures et à celles pendantes au moment de l’entrée en vigueur de la disposition, même si les faits générateurs du litige sont antérieurs à l’adoption de cette dernière. Toutefois, les dispositions déclaratoires n’ont pas pour effet de rouvrir des causes tranchées par un jugement définitif.
[Soulignements ajoutés]
[99] Il s’ensuit la question de savoir si le présent dossier est une cause pendante pour les fins de l’applicabilité de l’article 245 de la LAU considérant qu’à son entrée en vigueur, le seul objet du litige entre les Parties était la détermination du solde de l’indemnité définitive (le quantum) à être payée par la Ville de Mascouche à Madame Dupras.
[100] La Ville de Mascouche prétend que « la présente cause est pendante puisque n’ayant pas abouti à un jugement statuant définitivement sur les droits et obligations des parties, même s’il y a eu un jugement de la Cour d’appel »[51]. Elle cite à l’appui de sa position l’arrêt susmentionné, où la majorité de la Cour suprême fait la distinction entre la notion de « jugement définitif » et celle de « jugement définitif qui statue ultimement sur les droits et obligations des parties » :
[30] Avant de poursuivre mon analyse, je dois faire ressortir une distinction entre deux notions dont l’importance est cruciale pour l’issue du présent pourvoi : la notion de « jugement définitif » et celle de « jugement définitif qui statue ultimement sur les droits et obligations des parties ». Un jugement n’a pas à statuer sur le litige en entier pour être définitif. S’il statue sur toute question de fond interlocutoire, il acquerra l’autorité de la chose jugée. Par contre, un jugement définitif qui statue ultimement sur les droits et obligations des parties acquiert aussi l’autorité de la chose jugée, mais il tranche le litige en entier et rend inutile la prise de toute autre mesure dans l’instance.
[31] Cette distinction est importante parce que, dans l’arrêt Western Minerals, la Cour a fait sienne la thèse selon laquelle les lois déclaratoires n’opèrent pas la réouverture des causes déjà jugées, mais elle ne mentionne pas l’effet de telles lois sur les questions tranchées. Au Canada, il n’existe aucune jurisprudence définitive quant à l’effet des lois déclaratoires sur les questions tranchées. En conséquence, je ne peux supposer que les lois déclaratoires qui visent manifestement à annuler des jugements définitifs qui ne statuent pas ultimement sur les droits et obligations des parties ne s’appliquent pas à de tels jugements. Cette conclusion est la seule que je peux tirer à la lumière de la jurisprudence et des principes de droit pertinents.
[32] Le concept de jugement définitif qui ne statue pas ultimement sur les droits et obligations des parties est celui qui permet de distinguer les affaires pendantes des affaires non pendantes. Les affaires pendantes sont celles dont sont présentement saisis des tribunaux compétents et qui sont en attente d’un jugement définitif et irrévocable sur le fond. Comme le juge Cartwright l’a expliqué dans Western Minerals, elles englobent [traduction] « les affaires jugées, mais dont le jugement a fait l’objet d’un appel qui est pendant au moment de l’entrée en vigueur de la loi déclaratoire » : p. 370. En conséquence, seules les affaires ayant abouti à un jugement statuant définitivement sur les droits et obligations des parties ne sont plus pendantes.
[…]
[38] […] Bien que l’arrêt Western Minerals de notre Cour pose clairement que, pour l’application d’une loi déclaratoire, est pendante une affaire tranchée par un jugement définitif dont l’appel est pendant, il ne s’agit pas là du seul facteur qui détermine si une affaire peut être considérée comme pendante. Ainsi que je l’ai expliqué, le facteur déterminant à cet égard est plutôt l’absence d’un jugement définitif statuant sur les droits et obligations des parties. Tout comme les causes qui font l’objet d’un appel, les affaires renvoyées devant un tribunal d’instance inférieure sont aussi pendantes.
[39] […] Je le répète, est pendante une affaire qui n’a pas été tranchée par un jugement définitif et irrévocable statuant sur les droits et obligations des parties. Un jugement définitif qui tranche une question sans résoudre le litige au fond n’empêche pas le décideur de qui relève la décision définitive sur les droits et obligations des parties d’appliquer une loi déclaratoire adoptée postérieurement à ce jugement.[52]
[101] Une lecture simpliste, sans nuance et hors contexte, des enseignements de la Cour suprême pourrait laisser croire que tout dossier ouvert sur le rôle du tribunal constitue une cause pendante pour l’application d’une disposition déclaratoire. Or, la Cour suprême souligne que le critère déterminant pour conclure à l’existence d’une cause pendante est l’absence d’un jugement définitif et irrévocable statuant sur les droits (substantiels[53]) et les obligations des parties. Sont donc pendantes les causes qui font l’objet d’un appel[54], les affaires renvoyées devant un tribunal d’instance inférieure, ou encore les causes qui n’ont pas fait l’objet d’une homologation judiciaire[55].
[102] La Cour suprême explique pourtant qu’une affaire pendante en est une dont est saisie le tribunal compétent et qui est en attente d’un jugement définitif sur le fond[56].
[103] Or, dans le présent dossier, comment peut-on prétendre qu’un jugement définitif portant sur le fond serait attendu, alors qu’une décision de la Cour d’appel (à la suite du rejet de la permission d’appeler à la Cour suprême) s’est déjà prononcée sur le fond au sujet des droits et obligations des Parties?
[104] Bien que la question du solde du quantum de l’indemnité doive être déterminée, la décision s’y rapportant n’aura aucune incidence sur le jugement final au fond rendu par la Cour d’appel concernant les droits (dont le droit à une indemnité) et obligations des Parties dans le présent dossier. La saine administration de la justice et la stabilité des jugements ne permettront pas au juge qui déterminera cette question de revoir et de modifier les conclusions sur les droits et obligations des Parties qui ont déjà été décidées de manière finale par la Cour d’appel.
[105] Une partie de l’indemnité a déjà été versée dans le cadre de l’exécution partielle du dossier, et le terrain appartient déjà à la Ville de Mascouche. La décision sur le solde du quantum ne changera rien à cela et ne fera que déterminer l’étendue du montant additionnel qui pourrait être versé à Madame Dupras. Le Tribunal ne voit pas comment, dans un tel contexte, que le présent dossier est une cause pendante au sens de Canada Bread.
[106] La meilleure preuve, d’ailleurs, que les Parties considéraient elles-mêmes que le jugement de la Cour d’appel était un jugement au fond qui déterminait, de manière définitive, leurs droits et obligations, est qu’elles ont-elles-mêmes procédé, ou au moins de manière indirecte, à son exécution et ce, de manière volontaire.
[107] Le jugement de la Cour supérieure qui ordonne la passation de titre en faveur de la Ville est en quelque sorte l’aboutissement de la décision de la Cour d’appel s’étant prononcée de manière finale, au fond, sur les droits et obligations des Parties.
[108] Rappelons que le 12 décembre 2022, la Cour supérieure entérine un projet de jugement soumis de commun accord par les Parties relativement au paiement d’une indemnité provisionnelle à Madame Dupras et à la passation de titre en faveur de la Ville de Mascouche. Il convient de reproduire certains considérants de ce jugement :
[4] CONSIDÉRANT que les parties conviennent que le versement d'une indemnité provisionnelle par la défenderesse Ville de Mascouche sur la base des conclusions du jugement du 12 août 2020, avec toutefois pour date de référence le 8 février 2016 pour fins des calculs d'intérêts et de l'indemnité additionnelle, le cas échéant, est approprié dans le contexte de l'expropriation de l'immeuble en litige;
[5] CONSIDÉRANT que la Ville de Mascouche accepte de verser de façon provisionnelle une indemnité d'expropriation de 436 000 $ à laquelle elle applique le taux d'intérêt légal et l'indemnité additionnelle à compter du 8 février 2016 au 15 décembre 2022, pour une somme qu'elle établit à 616 090,40 $;
[…]
[8] CONSIDÉRANT que l'indemnité d'expropriation finale qui sera déterminée par le Tribunal sera réduite de l'indemnité provisionnelle déjà versée par la défenderesse Ville de Mascouche, à compter de la date où elle sera versée;
[9] CONSIDÉRANT que le versement de l’indemnité provisionnelle par la Ville de Mascouche et son acceptation par la demanderesse Ginette Dupras ne préjudicient ni l’une ni l’autre des parties dans leurs prétentions quant à l’indemnité de l’expropriation finale à être versée et ne saurait constituer une admission quelconque à cet égard;[57]
[Soulignements ajoutés]
[109] La Ville de Mascouche devient propriétaire de l’immeuble le 1er août 2023. Ceci n’a rien d’anodin. L’acte notarié de cession précise que celle-ci « est faite en exécution » du jugement du 12 décembre 2022 et fait suite au versement de l’indemnité provisionnelle payée à Madame Dupras, « dont quittance pour autant de [sa] part »[58].
[110] Le 8 décembre 2023, à l’entrée en vigueur de l’article 245 de la LAU, la Ville de Mascouche est propriétaire de l’immeuble et doit à Madame Dupras le solde de l’indemnité d’expropriation à être établi par le tribunal. Refaire le débat sur l’expropriation en appliquant l’article 245 de la LAU implique préalablement l’annulation de l’acte de cession signé par les Parties.
[111] Or, lorsque l’application d’une disposition déclaratoire nécessite la remise en état des parties après l’exécution volontaire d’un jugement, l’effet de cette disposition franchit la limite de la réouverture d’affaires déjà jugées et exécutées. Rappelons ici les propos de la Cour suprême cités ci-dessus : « des limites s’appliquent à l’effet immédiat d’une loi déclaratoire »[59] (nos soulignements).
[112] En effet, en formulant une conclusion prévoyant une remise en état, ce que la Ville de Mascouche demande au Tribunal de conclure c’est non seulement que Madame Dupras n’a plus droit à une indemnité, mais qu’il n’y a jamais eu d’expropriation déguisée, et ce, malgré le fait que ces deux questions ont été tranchées au fond et confirmées par la Cour d’appel.
[113] Les faits particuliers du présent dossier exigent une réponse qui, tout en respectant les distinctions formulées par la Cour suprême sur la notion de cause pendante et de cause non pendante, s’en distingue pour les motifs évoqués. Il ne s’agit pas d’un dossier ayant été porté en appel[60], d’une affaire renvoyée devant un tribunal d’instance inférieure pour un nouveau procès sur le fond ou qui n’a pas fait l’objet d’une homologation judiciaire[61].
[114] Considérer le présent dossier comme une cause pendante pour l’application de l’article 245 de la LAU reviendrait à dénaturer les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Canada Bread et à leur donner une portée beaucoup plus large que ce qui aurait pu été envisagé. Rappelons une fois de plus qu’il y a déjà, dans le présent dossier, un « jugement définitif et irrévocable sur le fond »[62], suivi d’un autre jugement définitif et irrévocable exécuté volontairement par les Parties.
[115] En concluant de la sorte, le Tribunal n’épouse pas, comme la Ville de Mascouche a tenté de le suggérer à Mme Dupras durant l’audition, la position mise de l’avant par la minorité de la Cour suprême dans l’affaire Canada Bread.
[116] Il faut rappeler que l’affaire Canada Bread a été rendue dans un cadre factuel et juridique très différent. En effet, dans le présent dossier, non seulement la question principale, c’est-à-dire l’existence ou non d’une expropriation, mais aussi celle du droit à une indemnité, ont été décidées de manière finale par la Cour d’appel. Ce n’était pas le cas dans Canada Bread, où le juge de première instance était aussi appelé à se prononcer sur le droit à l’indemnité. De surcroit dans Canada Bread, il n’y avait pas eu non plus d’exécution partielle découlant du jugement en question.
[117] Fait notable, la Cour suprême souligne plusieurs fois dans Canada Bread l’intention manifeste du législateur de contrer les effets entre les parties d’un arrêt de la Cour d’appel en particulier :
[35] En outre, j’estime qu’il est inutile d’insister sur la clarté du libellé de la loi dans une affaire comme celle-ci alors que personne ne conteste que le législateur avait l’intention de supprimer les effets du jugement entre les parties. Non seulement cette proposition en faveur du langage clair n’est-elle pas soutenue par la jurisprudence de la Cour, mais elle contredit en fait l’objectif de la loi. Grâce à la transcription des débats législatifs, il n’a jamais fait de doute que, lorsqu’il a adopté les dispositions déclaratoires, le législateur visait à contrer les effets du jugement de la Cour d’appel du 2 avril 2008 de manière à protéger les retraités. En tout respect pour l’opinion contraire, une approche qui ignorerait cette intention manifeste et ne chercherait qu’un libellé clair constituerait une approche, selon moi, trop formaliste, et limiterait d’une manière injustifiée la preuve qui peut être examinée pour apprécier les effets d’une loi déclaratoire.
[36] En l’espèce, nul ne conteste la nature déclaratoire des dispositions introduites dans la LRCR par le projet de loi 68. L’article 319.1 de la LRCR, adopté en même temps que les art. 14.1 et 228.1, énonce expressément que ces dispositions sont déclaratoires. Au libellé sans équivoque de cette disposition s’ajoutent les circonstances de leur adoption, qui témoignent de l’intention du législateur qu’elles soient déclaratoires. Il ressort des délibérations ayant mené à leur adoption que le législateur voulait infirmer l’arrêt de la Cour d’appel afin de protéger les participants et bénéficiaires du Régime et d’empêcher que la décision n’acquière valeur de précédent et ne lie les tribunaux dans les affaires pendantes ou futures.
[…]
[40] En concluant de la sorte, je ne souhaite pas remettre en question l’importance capitale, pour l’administration de la justice, de la doctrine de l’autorité de la chose jugée. Cette doctrine vise à éviter la réouverture des affaires déjà jugées par un tribunal compétent. Toutefois, j’estime qu’étendre la portée de cette doctrine et l’appliquer aux circonstances particulières de l’espèce empiéterait indûment sur la prérogative du législateur d’écarter les effets d’un jugement définitif qui lierait par ailleurs les parties. En termes plus simples, alors que l’autorité de la chose jugée peut empêcher une partie de demander à un tribunal d’annuler les effets d’une décision qui tranche une question, elle empêche seulement le législateur d’annuler l’effet d’une décision qui tranche une affaire.
[…]
[47] En l’espèce, la compétence de la Régie, une fois que l’affaire lui a été renvoyée, n’était limitée que par le principe du stare decisis. C’est ce principe qui obligeait la Régie à appliquer à l’affaire dont elle était saisie l’interprétation établie par la Cour d’appel. Toutefois, lorsqu’elle est entrée en vigueur, la loi déclaratoire a pris valeur jurisprudentielle et a infirmé l’interprétation de la Cour d’appel. Cette loi est alors devenue le nouveau précédent obligatoire relativement à l’interprétation de certaines dispositions de la LRCR. Ainsi, suivant le principe du stare decisis, les modifications juridiques opérées par une loi déclaratoire avant le règlement définitif d’un litige annulent la valeur de précédent des directives d’une cour de révision qui sont contraires. Si un nouveau précédent de notre Cour avait modifié entre-temps le droit relatif à la question litigieuse, la Régie aurait été liée par l’arrêt de notre Cour tout comme elle est liée par la loi en question. En l’espèce, la loi déclaratoire n’est pas ambiguë et l’Assemblée nationale a décidé unanimement de contrer l’effet de la décision de la Cour d’appel en permettant à la Régie d’interpréter la LRCR conformément à ce que le législateur considérait être les véritables objectifs de cette loi. L’intervention du législateur a donc privé les directives de la Cour d’appel de leur validité juridique. En conséquence, la Régie n’était pas seulement habilitée à interpréter la LRCR en fonction des dispositions déclaratoires, elle en avait l’obligation.[63]
[Soulignements ajoutés]
[118] De l’avis du Tribunal, l’adoption des articles 245 à 245.6 de la LAU ne vise pas à supprimer les effets d’un arrêt de la Cour d’appel dans une affaire précise. L’affaire Dupras est mentionnée dans les débats parlementaires par le porte-parole de l’opposition officielle en matière de justice pour souligner que les paramètres en matière d’expropriation déguisée sont déjà établis par la jurisprudence, rien de plus.
[119] Voici à cet égard un extrait des échanges en commission parlementaire lors de l’étude de l’article 245 de la LAU :
M. Morin : ...dans le domaine de l'expropriation de fait, il y a quand même un nombre important de décisions jurisprudentielles qui donnent des paramètres précis aux tribunaux. Donc, qu'est-ce que vous voulez corriger avec cette disposition-là?
M. Savoie (Jocelyn) : L'idée générale […] c'est de capter l'état de la jurisprudence actuelle et de la transposer, là, dans le texte de loi pour assurer une prévisibilité, là, pour... autant pour la planification des municipalités que pour les personnes qui occupent le territoire. On croit qu'à ce stade-ci il y a lieu d'intervenir, là, pour clarifier les choses. Donc, c'est l'objectif, là, qui est... qui est poursuivi avec l'article. Ça s'inscrit dans un contexte... On le sait, là, qu'il va y avoir des nouvelles orientations gouvernementales, il y a un certain nombre de changements qui vont donner suite au projet de loi n° 16, l'été dernier, il va y avoir beaucoup de révision de planification au niveau municipal. Il nous apparaissait important, donc, de venir cadrer clairement, là, dans quel univers les différentes parties vont devoir évoluer à l'avenir.
M. Morin : Pourtant, récemment, la Cour d'appel du Québec, dans la décision de Dupras contre procureur ville de Mascouche, est venue expliquer ce que c'était, les paramètres d'une expropriation de fait, puis il y a plein d'autres décisions jurisprudentielles à cet effet-là. Donc, si le législateur... Puis j'écoutais les questions que posait ma collègue, à savoir : Est-ce qu'il y aura ou non une indemnité? Ce que je comprends, c'est que, dans certains cas, par cette disposition-là, vous allez venir enlever toute indemnité, ce qui est donc un départ marqué par rapport aux règles générales de notre droit civil, notamment l'article... 952. D'ailleurs, vous y faites référence dans votre amendement. Parce que le Code civil prévoit que « le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est par voie d'expropriation faite suivant la loi pour une cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. Puis, là-dessus, il y a de la jurisprudence, là, pendant des pages. Là, ce que je comprends, c'est que, par cette disposition-là, vous allez venir enlever toute indemnité dans certains scénarios, ce qui est un écart majeur, par opposition au droit civil actuel. Donc, je repose ma question : Quel est le problème puis qu'est-ce que vous venez corriger?
Mme Laforest : Bon, alors, comme... comme on l'a dit précédemment, puis vous en avez parlé aussi, l'expropriation déguisée présentement, l'expropriation de fait, mais présentement, ça constitue vraiment un... comme vous l'avez mentionné, là, un phénomène prudentiel. Puis c'est moins encadré dans la loi sur l'aménagement du territoire, la LAU. On a eu un projet de loi, évidemment, la session passée concernant le projet... la loi, la LAU. Alors là, au niveau d'état de la situation, présentement, les tribunaux ont reconnu que les règlements municipaux étaient valides, mais que ces règlements municipaux là, quand même, pouvaient être une expropriation déguisée qui devait être indemnisée. Donc, le paiement d'indemnités pour l'effet d'un règlement peut représenter un imprévu financier important pour les municipalités. Il y a quand même eu plusieurs articles, là, qui sont sortis depuis un an sur le sujet, là, au niveau des municipalités. Donc, la tendance jurisprudentielle, que vous avez justement mentionnée, insécurise les municipalités dans leurs actions, évidemment, parce que les municipalités doivent adopter des plans pour les milieux hydriques et humides. D'ailleurs, l'adoption des plans, si je ne me trompe pas, doit se faire en décembre 2023, là, là, présentement. Donc, ici, on vient voir que c'est un phénomène qui pourrait vraiment compromettre la participation des municipalités à l'atteinte...quand on parlait de protéger certains milieux sur le territoire. Donc, qu'est-ce qui est demandé, c'est vraiment de mieux encadrer, de mieux orienter les tribunaux. Puis on doit essayer ensemble de modifier le cadre juridique pour qu'évidemment on puisse évaluer le caractère d'expropriant et l'atteinte au droit de propriété ainsi que les procédures juridiques qui sont afférentes. Donc, c'est dans tout ce cadre-là qu'on vient ajouter cet article-là.[64]
[Soulignements ajoutés]
[120] Lorsque l’objectif de l’article 245 de la LAU est de modifier une « tendance jurisprudentielle » selon laquelle les expropriations déguisées pouvaient exister malgré la validité des règlements municipaux, il est inexact d’affirmer, comme le prétend la Ville de Mascouche, que l’intention du législateur est d’écarter les principes dégagés notamment dans l’affaire Dupras[65].
[121] Cela dit, le « nouveau précédent obligatoire »[66] que constitue l’article 245 de la LAU en matière de recours fondés sur l’article 952 C.c.Q. est inapplicable en l’espèce en raison, entre autres, de l’exécution volontaire par les Parties du jugement de la Cour supérieure du 12 décembre 2022.
[122] La Ville de Mascouche ne saurait d’une part accepter de devenir propriétaire de l’immeuble et payer une indemnité provisionnelle et, d’autre part, demander une remise en état dès qu’un changement du droit en vigueur lui parait plus avantageux.
[123] Pour paraphraser a contrario les propos du juge Wagner dans Canada Bread[67], si un nouveau précédent de la Cour d’appel ou de la Cour suprême, au lieu de l’article 245 de la LAU, avait modifié le 8 décembre 2023 le droit en matière d’expropriation déguisée, il ne serait pas plus applicable dans les circonstances particulières du présent dossier.
[124] Pour tous ces motifs, le Tribunal en vient à la conclusion que l’article 245 de la LAU est inapplicable et que la demande en rejet de la Ville de Mascouche doit être rejetée également sur ce fondement.
[125] Il nous faut maintenant traiter de la question de la demande en modification de la défense de la Ville de Mascouche
[126] À la lumière de ce qui précède, la demande en modifications apportées par la Ville de Mascouche à sa défense le 12 juillet 2024 devient sans objet, car l’application de l’article 245 de la LAU ne fera pas l’objet du débat portant sur le solde de l’indemnité d’expropriation.
[127] Dès lors, il n’y a pas lieu de permettre la modification de la défense afin d’y ajouter les paragraphes reliés à l’application de l’article 245 de la LAU et les conclusions relatives à l’absence d’expropriation et à la remise en état des Parties.
[128] Sous réserve d’autres modifications futures qui ne concernent pas l’article 245 de la LAU, la dernière défense au dossier est celle en date 24 novembre 2023.
[129] Après l’exécution volontaire du transfert du terrain (par acte notarié le 1er août 2023) et du paiement d’une indemnité provisionnelle (le 13 décembre 2022) à la suite de la décision de la juge Harvie en date du 12 décembre 2022 sur consentement des Parties, il est utile de rappeler que :
[130] Le 10 janvier 2024, Madame Dupras demande que la « la défenderesse lui verse dès à présent [cette] somme qu’elle reconnaît devoir tout en prenant en considération l’indemnité provisionnelle versée le 13 décembre 2022 et en appliquant celle-ci conformément aux règles d’imputation des paiements partiels prévues au Code civil du Québec »[68].
[131] Le Tribunal doit à ce stade déterminer la question de savoir si une indemnité additionnelle devrait être versée à Madame Dupras en attendant la détermination finale du Tribunal sur cette question.
[132] Bien que le Tribunal reconnaisse que la Demanderesse puisse vouloir recevoir dès à présent une indemnité provisionnelle additionnelle, si ce n’est entre autres en raison de son âge avancé et du fait qu’elle est engagée dans ce litige depuis maintenant plus de huit ans, le Tribunal rejette sa demande à ce stade pour les motifs suivants.
[133] Le premier versement de l’indemnité qui a été accordée l’a été à la suite de l’exécution volontaire du transfert de la propriété et du paiement d’une indemnité provisionnelle, après la signature du consentement intervenu entre les Parties et qu’a entériné la juge Harvie dans son jugement en date du 12 décembre 2022.
[134] Or, à ce stade des procédures, et vue l’absence de cette dimension de volonté commune entre les Parties, il apparait prématuré d’ordonner le paiement d’une indemnité additionnelle considérant que la détermination du solde payable est l’unique question qui devrait être tranchée par le Tribunal dans le cadre de l’audition qui aura lieu une fois la déclaration commune signée.
[135] La valeur du solde de l’indemnité payable est en effet la seule question que devra déterminer le Tribunal à la lumière, entre autres, des rapports d’experts qui ont été déposés en preuve. Le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas justifié à ce stade, à moins d’une seconde entente à intervenir entre les Parties, d’octroyer un autre montant d’indemnité provisionnelle alors que cette question constitue le cœur même du débat qui aura lieu, faut-il l’espérer, dans les meilleurs délais.
[136] Enfin, Madame Dupras prétend que la demande en rejet de la Ville de Mascouche constitue une procédure abusive en vertu de l’article 51 C.p.c. et demande de réserver ses droits des réclamer des dommages-intérêts.
[137] Si le véhicule emprunté par la Ville de Mascouche pour amener devant le Tribunal le débat sur l’applicabilité de l’article 245 de la LAU, à savoir la demande en rejet de la demande introductive d’instance car manifestement mal fondée, est susceptible de soulever l’indignation de la demanderesse, il n’en demeure pas moins que la question n’est ni frivole ni vexatoire.
[138] On ne peut qu’espérer, à ce stade et eu égard à l’âge avancé de Madame Dupras, que ce dossier pourra suivre son cours dans les meilleurs délais.
[139] ACCUEILLE la demande de la Ville de Mascouche de modifier les allégations et les conclusions de sa demande en rejet tel que modifiée en date du 12 juillet 2024;
[140] REJETTE la demande de la Ville de Mascouche de modifier les allégations et conclusions de sa défense tel que modifiée en date du 12 juillet 2024;
[141] REJETTE la demande en rejet de la Ville de Mascouche de la demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023;
[142] REJETTE la demande de Madame Dupras pour le paiement d’une indemnité provisionnelle additionnelle;
[143] REJETTE la demande de Madame Dupras de déclarer abusive la demande en rejet de la Ville de Mascouche;
[144] LE TOUT, frais de justice à suivre.
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| __________________________________ MARIE-CLAUDE RIGAUD, j.c.s. | |
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Me Sylvain Bélair Me Gabrielle Tétrault | ||
Dentons Canada LLP | ||
Avocats de la demanderesse | ||
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Me Steve Cadrin | ||
DHC Avocats | ||
Avocat de la défenderesse | ||
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Dates d’audience : | 19 et 20 août 2024 | |
[1] RLRQ, c. A-19.1
[2] Le 8 décembre, l’Assemblée nationale adoptait et sanctionnait le Projet de loi no. 39, Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives, lequel ajoute des dispositions à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, notamment l’article 245, tel qu’il appert d’un extrait du texte des amendements adoptés dudit Projet de loi (pièce R-2) contenant les nouveaux articles 245 à 245.5. de la LAU ainsi que les Commentaires généraux, pièce R-1.
[3] Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350.
[4] Dupras c. Ville de Mascouche, 2020 QCCS 2538, par. 181-182.
[5] Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350, par. 40.
[6] Id., par. 57 et 67.
[7] Id., par. 58 et 67.
[8] Id., par. 66.
[9] Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350 (requête pour autorisation de pourvoi rejetée, C.S.C., 2022‑09‑29, 40161).
[10] Communauté Métropolitaine de Montréal, Union des municipalités du Québec, Centre québécois du droit de l’environnement.
[11] Dupras c. Ville de Mascouche, C.S. Joliette, no 705-17-006754-160, 12 décembre 2022, j. Harvie.
[12] Acte notarié de cession conclu par les Parties le 1er août 2023.
[13] L.Q. 2023, c. 33.
[14] RLRQ, c. 19.1 (ci-après « LAU »).
[15] Demande de versement d’une indemnité provisionnelle additionnelle (art. 101 C.p.c.).
[16] Demande en rejet de la demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023 (art. 51 et suiv. C.p.c.), par. 20.
[17] Défense modifiée en date du 12 juillet 2024, par. 127.17.
[18] Défense modifiée en date du 12 juillet 2024, par. 127.18; Demande en rejet modifiée de la demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023 (art. 51 et suiv. C.p.c.).
[19] L.Q. 2023, c. 33.
[20] Id., note explicative.
[21] Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2024 QCCA 804, par. 15 et 28.
[22] Id.
[23] Id.
[24] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 6 décembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 39 – Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives », 15h30 (M. Jocelyn Savoie, sous-ministre adjoint aux Impacts climatiques, Fiscalité, Finances et Infrastructures au ministère des Affaires municipales et de l'Habitation).
[25] Autogestcar ltée c. Suncor Energy inc., 2019 QCCA 1414, par. 14, citant Raymond Chabot Administrateur provisoire inc. c. Ventilation RS Air inc., 2017 QCCA 1107.
[26] 2024 QCCA 804.
[27] Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46 (ci-après Canada Bread).
[28] Demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023, par. 82.5.
[29] Voir par. 39 du jugement.
[30] Municipalité régionale de comté d’Abitibi c. Ibitiba ltée, [1993] R.J.Q. 1061 (C.A.), par. 28.
[31] Brazil c. Boileau, 2020 QCCA 84, par. 9-11.
[32] Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, par. 67, citant Fortin c. Fortin, 2009 QCCS 5345.
[33] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 6 décembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 39 – Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives », 15 h 50 (Me Philip Cantwell, avocat au ministère de la Justice).
[34] L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, par. 4 et 144 (la majorité est d’accord avec l’analyse du juge Gascon portant sur l’article 2926.1 C.c.Q., une disposition déclaratoire) : « […] Le fait que l’article en cause introduit une règle nouvelle n’y change rien : lorsque le législateur prévoit explicitement que la disposition est déclaratoire, on ne peut pas en faire abstraction […] ».
[35] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 6 décembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 39 – Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives », 15 h 20 (Me Philip Cantwell, avocat au ministère de la Justice).
[36] Id.
[37] 2024 QCCA 804, par. 29.
[38] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 6 décembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 39 – Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives », 15 h 40 (M. Jocelyn Savoie, sous-ministre adjoint aux Impacts climatiques, Fiscalité, Finances et Infrastructures au ministère des Affaires municipales et de l'Habitation).
[39] Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2024 QCCA 804, par. 31.
[40] Ibid., par. 33.
[41] Demande en rejet de la demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023 (art. 51 et suiv. C.p.c.), par. 13 et 19.1.
[42] Id., par. 15-16.
[43] Id., par. 19.2-19.3.
[44] Id., par. 19.4.
[45] Id., par. 19.6.
[46] Dupras c. Ville de Mascouche, 2020 QCCS 2538, par. 139.
[47] D’ailleurs, la Ville de Mascouche demande de façon subsidiaire, dans l’éventualité où la preuve au dossier ne permet pas d’accueillir sa demande en rejet à ce stade-ci, « vu notamment la modification du droit en vigueur après la preuve administrée en 2020 », de déférer la question de l’application de l’article 245 de la LAU au fond, afin qu’une « preuve complète » portant sur cette disposition soit soumise au Tribunal. Voir Demande en rejet de la demande introductive d’instance modifiée en date du 10 novembre 2023 (art. 51 et suiv. C.p.c.), par. 20.4.
[48] Voir par exemple Brazil c. Boileau, 2020 QCCA 84; Joyce c. Association internationale des débardeurs/International Longshoremen’s Association, 2016 QCCA 1042.
[49] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 6 décembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 39 – Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives », 15h10 (Mme Laforest, ministre des Affaires municipales).
[50] 2013 CSC 46, par. 28-29.
[51] Plan d’argumentation de la Ville de Mascouche, p. 4.
[52] Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46.
[53] Ibid., par. 42.
[54] Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2024 QCCA 804.
[55] Fédération des producteurs de bovins du Québec c. Ferme Ralston, s.e.n.c., 2015 QCCA 668.
[56] Canada Bread, par. 32.
[57] Dupras c. Ville de Mascouche, C.S. Joliette, no 705-17-006754-160, 12 décembre 2022, j. Harvie.
[58] Acte notarié de cession conclu par les Parties le 1er août 2023.
[59] Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd, par. 29.
[60] Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2024 QCCA 804.
[61] Fédération des producteurs de bovins du Québec c. Ferme Ralston, s.e.n.c., 2015 QCCA 668.
[62] Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd, 2013 CSC 46, par. 32.
[63] Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46. Voir aussi Fédération des producteurs de bovins du Québec c. Ferme Ralston, s.e.n.c., 2015 QCCA 668, où la loi déclare valides plusieurs ordonnances de la Régie des marchés agricoles pour contrer les effets d’un jugement spécifique de la Cour d’appel.
[64] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’aménagement du territoire, 1re sess., 43e légis., 6 décembre 2023, « Étude détaillée du projet de loi n° 39 – Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives », 15h30.
[65] Plan d’argumentation de la Ville de Mascouche, p. 12.
[66] Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46, par. 47.
[67] Ibid.
[68] Demande de versement d’une indemnité provisionnelle additionnelle (art. 101 C.p.c.), par. 10.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.