Décision

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Sablière Guillaume Thibault inc. c. Ville de Saint-Raymond

2025 QCCS 603

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

No :

 

  200-17-036052-249

 

DATE :

 4 mars 2025

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE bernard godbout, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

SABLIÈRE GUILLAUME THIBAULT INC.

Demanderesse

c.

VILLE DE SAINT-RAYMOND

et

MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE COMTÉ DE PORTNEUF

Défenderesses

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

SUR UNE DEMANDE DE POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE

et en jugement déclaratoire

______________________________________________________________________

 

  1.                La demanderesse, Sablière Guillaume Thibault inc., qui exploite une sablière sur le territoire de la défenderesse, la Ville de Saint-Raymond (ci-après « la  Ville »), se pourvoit contre une décision de la Ville qui, le 18 mars 2024, l’informe que : « Ainsi, pour les motifs qui précèdent, la Ville n’entreprendra donc pas un tel processus de modification réglementaire ayant pour objet de modifier les limites de la zone EX-5 »[1], ce qui lui aurait permis d’étendre ses activités sur les terrains dont elle est propriétaire.
  2.                La demanderesse demande en conséquence que soient déclarés inopérants et inapplicables à son égard :

                L’article 8.5.2 du Plan d’urbanisme de la Ville;

                L’interdiction des activités d’extraction pour la Zone RU-12 prévue à l’Annexe I-A du Règlement de zonage de la Ville, zone dans laquelle sont situés les terrains concernés;

                Les articles 3.4 du Document complémentaire et 7.3.6.3 du Chapitre 7 du Schéma d’aménagement et de développement de la défenderesse, Municipalité régionale de comté de Portneuf (ci-après « la MRC »), qui, par leur application, interdisent une telle activité;

au motif que ces dispositions ont le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières[2] adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement[3], lequel a préséance.

  1.                Elle demande enfin qu’il soit ordonné à la Ville de délivrer le certificat d’autorisation visé à la demande d’agrandissement (de la zone) pour permettre l’exploitation de la sablière sur les lots dont elle est propriétaire.[4]
  2.                En somme, alléguant que la décision de la Ville de refuser de modifier son Règlement de zonage malgré les dispositions du Règlement sur les carrières et sablières adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement qui précisent des normes de localisation pour l’exploitation d’une telle sablière, la demanderesse soutient que la décision de la Ville du 18 mars 2021 est déraisonnable, d’où ses conclusions en contrôle judiciaire et de nature déclaratoire[5].

CONTEXTE FACTUEL

  1.                La demanderesse, propriétaire des lots 3 119 873, 3 119 874 et 3 119 875 situés sur le territoire de la Ville, exploite actuellement une sablière sur une partie du lot 3 119 874 (874-A) et une partie du lot 3 119 875 (875-A).
  2.                Elle souhaite agrandir l’exploitation de sa sablière sur le lot 3 119 873 et les deux autres parties des lots 3 119 874 (874-B) et 3 119 875 (875-B).
  3.                Les parties des lots 874A et 875A sont situées dans la zone EX-5 « zones extraction EX »[6] du Règlement de zonage de la Ville qui permet des activités extractives, telle l’exploitation d’une sablière.
  4.                Le lot 3 119 873 et les parties des lots 874-B et 875-B font partie de la zone RU12 « zones rurales RU »[7] qui ne permet pas une telle exploitation. De plus, ces lots sont situés dans une aire de protection virologique et bactériologique d’une aire d’alimentation en eau potable pour la ville voisine de Saint-Basile[8].
  5.                Deux puits, Saint-Anne 1 et Sainte-Anne 2, sont effectivement identifiés par la MRC dans l’aire de protection virologique et bactériologique visée par la demande[9].
  6.            Le 6 mai 2021, la demanderesse présente à la Ville une demande d’agrandissement de la zone d’extraction de la sablière :
  1.       Je désire soumettre une demande d’agrandissement de la zone d’extraction pour les lots # 3 119 874, 3 119 873, 3 119 875 ainsi que le lot # 3 119 845 appartenant actuellement à André Corriveau. Étant donné la nouvelle réglementation effective au 1 avril dernier sur les Carrières et Sablières, je désire obtenir l’autorisation d’exploiter la totalité des trois lots suivants # 3 119 874, 3 119 873, 3 119 875. En effet, la nouvelle réglementation stipule que nous pouvons maintenant exploiter au-dessus de l’aire de protection des eaux.[10]
  1.            Le 13 juin 2022, la demanderesse formule une demande auprès du ministère de l’Environnement afin d’obtenir une déclaration de conformité de son projet d’agrandissement de sa sablière sur les lots 3 119 873 et 875-B[11].
  2.            Le jour même, soit le 13 juin 2022, « Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques » accuse réception et précise :

Prenez note que le présent accusé de réception ne vous dispense pas de vous conformer à toute autre obligation environnementale prévue par la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) ou par l’un de ses règlements, ni de vous conformer aux obligations légales prévues par toute autre loi ou par tout autre règlement fédéral, provincial ou municipal.[12]

  1.            Le 4 avril 2023, la Ville informe la demanderesse qu’elle doit fournir des informations complémentaires afin qu’elle « soit en mesure de modifier ses règlements de façon à être conforme au Schéma d’aménagement de la MRC et à être acceptée par la Ville de Saint-Basile »[13].
  2.            Enfin, le 18 mars 2024, la Ville informe la demanderesse que :

Le projet, tel qu’actuellement envisagé, nécessiterait un agrandissement de la zone EX-5 au plan de zonage de la Ville, et cet agrandissement se trouverait à empiéter dans l’aire de protection de l’ouvrage de captage des eaux souterraines de la Ville de Saint-Basile.

Nous vous rappelons d’emblée que la Ville de Saint-Raymond a l’entière discrétion de modifier, ou pas, sa réglementation d’urbanisme, et que même si une demande est formulée en ce sens, il appartient au conseil de la Ville de décider de l’opportunité d’entreprendre un processus de modification réglementaire.

[…]

En effet, comme vous le savez, une modification réglementaire de l’ordre de celle qui serait ici requise devrait, en fin de processus, être jugée conforme par le conseil de la MRC, à défaut de quoi la modification réglementaire ne peut entrer en vigueur. Or, selon les vérifications qui ont été faites, l’obtention d’un certificat de conformité serait ici improbable.

En effet, le document complémentaire au schéma de la MRC prévoit spécifiquement, à sa section 3.4, que « lorsque l’aire d’alimentation ou les aires de protection (bactériologiques et virologiques) déterminées à l’endroit de tels ouvrages de captage sont situées en tout ou en partie sur le territoire d’une autre municipalité, cette dernière devra identifier ces aires d’alimentation et de protection à l’intérieur de son plan d’urbanisme et de son règlement de zonage et y interdire les usages énumérés ci-dessus [notamment l’exploitation de carrières et de sablières], à moins de circonstances particulières rendant problématique l’application de telles interdictions et de justifications appropriées au plan d’urbanisme de la municipalité ».

Cette disposition vise principalement à assurer la protection des ressources aquifères qui alimentent les réseaux d’aqueduc municipaux. Cette obligation est importante d’autant plus que les aires d’alimentation et de protection de la prise d’eau potable de la Ville de Saint-Basile sont identifiées au schéma comme présentant un indice de vulnérabilité élevé.

[…]

Nous sommes d’avis qu’il ne serait pas ici possible d’invoquer des circonstances particulières et des justifications appropriées et suffisamment étoffées pour être conformes au schéma, d’autant plus que votre cliente a la possibilité d’étendre ses activités sur d’autres immeubles qui lui appartiennent et qui sont déjà situés dans la zone EX-5.

[…] Ainsi, pour les motifs qui précèdent, la Ville n’entreprendra donc pas un tel processus de modification réglementaire ayant pour objet de modifier les limites de la zone EX-5.[14]

CE QUE PLAIDENT LES PARTIES

  1.            La demanderesse plaide que la primauté du règlement provincial sur le règlement municipal, selon ce que prévoit l’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l'environnement, doit être interprétée largement.
  2.            Il en résulte que l'article 3.4 du Document complémentaire du Schéma d’aménagement et de développement de la MRC et l'article 8.5.2 du Plan d'urbanisme ainsi que l'Annexe IA du Règlement de zonage de la Ville sont inopérants et inapplicables à son égard, car ils ont le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement, étant au surplus ultra vires des pouvoirs dévolus aux municipalités en vertu de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme[15].[16]
  3.            Selon la demanderesse, l’article 3.4 du Schéma d’aménagement et de développement de la MRC porte sur le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières puisqu’il vise à interdire les carrières et sablières se trouvant dans une aire d’alimentation et de protection bactériologique et virologique d’une source d’eau potable.[17]
  4.            En effet, l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières prévoit l’interdiction d’exploiter une sablière dans ce type d’aire d’alimentation et de protection d’eau, mais accorde des droits acquis à l’agrandissement d’une sablière appartenant au même propriétaire avant le 1er avril 2021, droits acquis dont doit bénéficier la demanderesse.[18]
  5.            L’article 3.4 du Schéma d’aménagement et de développement doit donc être déclaré inopérant et inapplicable à l’égard de la demanderesse, car il porte manifestement sur le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières, soit établir des normes de localisation d’une sablière se trouvant dans l’aire de protection bactériologique ou virologique d’une source d’eau potable.[19]
  6.            Selon la Ville, l’argument central de la demanderesse a pour prémisse que le Règlement de zonage et le Plan d’urbanisme de la Ville, ainsi que le Schéma d’aménagement et de développement de la MRC porteraient sur le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières et le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection[20]. Ainsi, ils seraient inopposables à la demanderesse.[21]
  7.            La Ville plaide essentiellement que l’interdiction des usages prévus à la classe « extraction » de son Règlement de zonage ne porte pas sur le même objet que l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières et l’article 57 du Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection.[22]
  8.            Le Règlement sur les carrières et sablières et le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection peuvent toucher le même sujet ou les mêmes activités que le Règlement de zonage, mais n’ont pas pour autant le même objet au sens de l’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement.[23]
  9.            La MRC plaide que son Schéma d’aménagement et de développement ne peut être déclaré inopérant et inapplicable sur la base de l’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement puisqu’il n’est pas un règlement municipal, mais plutôt un outil de planification.[24]
  10.            Quant aux dispositions du Règlement de zonage de la Ville visées par la demande de pourvoi en contrôle judiciaire, elles ne portent pas sur le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières.[25]
  11.            Enfin, le Procureur général du Québec, mis en cause, à l’instar de la MRC, plaide que l’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement ne s’applique pas au Document complémentaire et au Schéma d’aménagement et de développement de la MRC et que l’Annexe I-A du Règlement de zonage de la Ville n’a pas le même objet que le Règlement sur les carrières et sablières.[26]

CONTEXTE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

  1.            La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (RLRQ c A-19.1) prévoit, à l’article 113, que le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de zonage en précisant que ce règlement peut contenir des dispositions portant sur différents objets.
  2.            Il y a lieu de reproduire certains paragraphes de l’article 113 :

113. Le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou partie de son territoire.

Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants:

1o  pour fins de réglementation, classifier les constructions et les usages et, selon un plan qui fait partie intégrante du règlement, diviser le territoire de la municipalité en zones;

[…]

3o  spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés, y compris les usages et édifices publics;

[…]

12o  régir ou restreindre, par zone, l’excavation du sol, le déplacement d’humus, la plantation et l’abattage d’arbres et tous travaux de déblai ou de remblai; obliger tout propriétaire à garnir son terrain de gazon, d’arbustes ou d’arbres; […]

23o  prescrire toute autre mesure complémentaire destinée à répartir les divers usages, activités, constructions et ouvrages sur son territoire et à les soumettre à des normes, une telle mesure ne pouvant toutefois avoir pour effet de restreindre les activités agricoles au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles dans une zone agricole établie en vertu de cette loi. […]

[Soulignement ajouté]

  1.            La Loi sur la qualité de l'environnement (RLRQ c Q-2) précise à l’article 118.3.3 ce qui suit :

118.3.3  Tout règlement pris en vertu de la présente loi prévaut sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre, auquel cas ce dernier prévaut dans la mesure que détermine le ministre. Avis de cette approbation est publié sans délai à la Gazette officielle du Québec. Le présent alinéa s’applique malgré l’article 3 de la Loi sur les compétences municipales (chapitre C-47.1).

Le ministre peut modifier ou révoquer une approbation délivrée en vertu du premier alinéa dans le cas où le gouvernement adopte un nouveau règlement relativement à une matière visée dans un règlement municipal déjà approuvé.

Avis de cette décision du ministre est publié sans délai à la Gazette officielle du Québec. […]

[Soulignement ajouté]

  1.            Le Règlement sur les carrières et sablières (RLRQ c Q-2, r. 7.1) adopté en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement prévoit, à son chapitre IV intitulé « Normes de localisation » ce qui suit :

14.  Une carrière ou une sablière ne doit pas être située:

  dans les aires de protection immédiate d’un prélèvement d’eau souterraine de catégorie 1 au sens du Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (chapitre Q-2, r. 35.2);

  dans les aires de protection intermédiaire ou éloignée d’un prélèvement d’eau souterraine de catégorie 1 au sens de ce règlement;

  dans les aires de protection immédiate et intermédiaire d’un prélèvement d’eau de surface de catégorie 1 au sens de ce règlement.

Le paragraphe 2 du premier alinéa s’applique à compter du 1er avril 2021, sauf :

  à une carrière ou une sablière qui, à cette date, est déjà située dans l’une des aires de protection visées à ce paragraphe;

  à une carrière ou une sablière qui est située dans l’une des aires de protection visées à ce paragraphe suite à un agrandissement, après cette date, sur un terrain qui appartenait, avant cette même date, au propriétaire de cette carrière ou de cette sablière si celle-ci était déjà située dans cette aire.

Le paragraphe 3 du premier alinéa ne s’applique pas à une carrière ou une sablière qui est située dans l’une des aires visées à ce paragraphe le 18 avril 2019.

[Soulignements ajoutés]

  1.            Le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RLRQ, c. Q-2, r. 35.2) définit les aires de protection immédiate et intermédiaire dont il est question à l’article 114 du Règlement sur les carrières et sablières :

54.  Une aire de protection immédiate est délimitée pour tout prélèvement d’eau souterraine. Les limites d’une telle aire sont fixées aux distances suivantes:

  30 m du site de prélèvement d’eau de catégorie 1 ou 2, à moins qu’un professionnel ne les détermine après avoir attesté, dans une étude hydrogéologique, l’une ou l’autre des situations suivantes:

a)  la présence d’une formation géologique superficielle peu perméable assure une protection naturelle des eaux souterraines;

b)  une configuration de terrain ou une infrastructure à proximité assure la protection de la qualité des eaux souterraines au regard d’incidents ou d’activités pouvant se produire au sein de l’aire visée;

c)  l’exercice des activités humaines dans un rayon de 30 m du site de prélèvement ne peut affecter de manière significative la qualité des eaux souterraines;

  3 m du site de prélèvement d’eau de catégorie 3.

[…]

57.  Une aire de protection intermédiaire est délimitée pour tout prélèvement d’eau souterraine. Les limites d’une telle aire sont fixées de la manière suivante:

  pour un prélèvement d’eau de catégorie 1, les limites sont déterminées par un professionnel qui vérifie, à l’aide de données recueillies dans un minimum de 3 puits aménagés au sein de l’aquifère exploité par le prélèvement d’eau et pouvant être utilisés à des fins d’observation des eaux souterraines, le temps de migration de l’eau souterraine:

a)  s’il s’agit d’assurer sa protection bactériologique, sur une période de 200 jours;

b)  s’il s’agit d’assurer sa protection virologique, sur une période de 550 jours;

  pour un prélèvement d’eau de catégorie 2, les limites sont fixées aux distances suivantes, sauf si elles sont déterminées conformément au paragraphe 1:

a)  s’il s’agit d’assurer sa protection bactériologique, 100 m du site de prélèvement;

b)  s’il s’agit d’assurer sa protection virologique, 200 m du site de prélèvement;

  pour un prélèvement d’eau de catégorie 3, les limites sont fixées aux distances suivantes, sauf si elles sont déterminées conformément au paragraphe 1:

a)  s’il s’agit d’assurer sa protection bactériologique, 30 m du site de prélèvement;

b)  s’il s’agit d’assurer sa protection virologique, 100 m du site de prélèvement.

Le responsable du prélèvement d’eau de catégories 1 ou 2 doit transmettre un avis écrit au domicile de chacune des propriétés incluses dans les aires de protection intermédiaire informant leurs propriétaires ou leurs occupants de la présence du site de prélèvement dans leur voisinage.

[Soulignements ajoutés]

ANALYSE

  1.            De part et d’autre, les parties ont soulevé divers arguments, notamment quant à l’importance de la trame factuelle très détaillée qui, selon la demanderesse, aide à comprendre la nature du litige et les délais encourus, de même que l’absence d’une demande de certificat d’autorisation ou de permis auprès de la ville.
  2.            Il a aussi été question du caractère non réglementaire du Schéma d’aménagement et de développement de la MRC et de l’obligation pour la Ville de s’y conformer.
  3.            On a enfin discuté de la nature du recours en révision judiciaire, du délai pour l’initier et des conclusions déclaratoires recherchées.
  4.            Toutefois, malgré toutes discussions au sujet de ces questions, le présent recours soulève essentiellement une seule question qui se dégage de la demande même d’agrandissement de la zone d’extraction pour les lots 3 119 873, 3 119 874 et 3 119 875 que M. Guillaume Thibault adresse le 6 mai 2021 à Mme Célia Solinas, alors directrice du Service d’urbanisme de la Ville[27].
  1.            En effet, dans cette lettre M. Thibault écrit :

Étant donné la nouvelle réglementation effective le 1 avril dernier sur les Carrières et Sablières, je désire obtenir l’autorisation d’exploiter la totalité des trois lots suivants # 3 119 874, 3 119 873, 3 119 875. En effet, la nouvelle réglementation stipule que nous pouvons maintenant exploiter au-dessus de l’aire de protection des eaux.[28]

  1.            M. Thibault fait ainsi référence à l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières adopté par le Décret 236-2019 du 20 mars 2019 qui prévoit :

14.  Une carrière ou une sablière ne doit pas être située :

[…]

  dans les aires de protection intermédiaire ou éloignée d’un prélèvement d’eau souterraine de catégorie 1 au sens de ce règlement;

[…]

Le paragraphe 2 du premier alinéa s’applique à compter du 1er avril 2021, sauf :

[…]

  à une carrière ou une sablière qui est située dans l’une des aires de protection visées à ce paragraphe suite à un agrandissement, après cette date, sur un terrain qui appartenait, avant cette même date, au propriétaire de cette carrière ou de cette sablière si celle-ci était déjà située dans cette aire.

[Soulignements ajoutés]

  1.            L’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières qui, selon l’article 118.3.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement « prévaut sur tout règlement municipal portant sur le même objet » a-t-il ici préséance sur la réglementation de la Ville en matière de zonage?
  2.            Autrement dit, peut-on prétendre que l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières porte sur le même objet que la Grille de spécifications élaborée à l’Annexe I du Règlement de zonage de la Ville qui divise et identifie les différentes zones du territoire de la Ville et en précise les usages?
  3.            Le Règlement de zonage de la Ville est adopté en vertu de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui prévoit que :

Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants :

[…]

3o  spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés […];

[Soulignement ajouté]

  1.            C’est ce que précise la Grille des spécifications de l’Annexe I du Règlement de zonage de la Ville[29].
  2.            Par ailleurs, l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières se retrouve au Chapitre IV intitulé « Normes de localisation ».
  3.            La spécificité d’un usage et une norme de localisation n’ont certes pas le même objet. En effet, ce n’est pas parce que le Règlement sur les carrières et sablières précise une norme de localisation qu’il en résulte qu’il autorise un usage.
  4.            C’est plutôt le contraire qui doit être envisagé, à savoir, si un règlement de zonage prévoit un usage qui permet une activité et qu’il existe par ailleurs une norme de localisation à respecter lors de l’exercice de cette activité, cette norme de localisation doit alors être respectée dans le contexte de l’usage autorisé.
  5.            Diviser le territoire en zones et spécifier les usages permis dans ces zones ne portent pas sur le même objet que déterminer des normes de localisation pour l’exploitation d’une activité.
  6.            Si tel était le cas, ce serait ici le Règlement sur les carrières et sablières adopté par le Gouvernement qui, indirectement, déterminerait l’usage permis dans une zone, peu importe la nature de cette zone et où elle se situe sur le territoire de la province.
  7.            Ainsi, même si la demanderesse satisfait aux conditions de l’exception prévue à l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières, cela ne lui donne pas l’autorisation d’exploiter une sablière. Cet article ne fait que préciser les conditions d’exploitation en présence d’une aire de protection d’une source d’approvisionnement d’eau souterraine et prévoit une exception.
  8.            La demanderesse ne pourra exploiter une sablière que sur un terrain dont le règlement de zonage municipal autorise une telle exploitation, après avoir obtenu les permis et certificats nécessaires.
  9.            L’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières ne peut d’aucune façon limiter ou restreindre la Ville dans l’exercice de son pouvoir de « diviser le territoire de la municipalité en zones » et de « spécifier, pour chaque zone, […] les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés », tel que le prévoit la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme. La Ville conserve toute discrétion à cet égard.
  10.            Toutefois, si la Ville décidait de préciser par règlement des normes de localisation dans une zone autorisant l’extraction, en présence d’une aire de protection d’une source d’eau souterraine, à défaut d’être similaires, les normes de localisation prévus au Règlement sur les carrières et sablières prévaudraient.
  11.            La question n’est pas tant de savoir si le Règlement de zonage de la Ville et le Règlement sur les carrières et sablières visent le même objet, ce qui n’est pas ici le cas. On doit plutôt constater que l’application des dispositions concernées de ces deux règlements n’est pas incompatible, faisant ainsi en sorte que si la réglementation municipale permet l’extraction, soit l’exploitation d’une sablière sur un terrain et que les permis et certificats requis pour une telle exploitation sont émis, l’exploitant devra tout de même respecter les normes de localisation de l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières s’il ne peut bénéficier de l’exception, exception à laquelle M. Thibault faisait référence dans sa lettre du 6 mai 2021 adressée à Mme Solinas[30].
  12.            Cette exception prévue à l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières ne confère pas un droit acquis quant à l’usage qui, par ailleurs, est prévu dans le Règlement de zonage de la Ville. Ce droit acquis, s’il en est un, ne s’applique qu’à la seule norme de la localisation, sans plus.
  13.            Dans ce contexte, la décision de la Ville du 18 mars 2024[31] n’est pas déraisonnable et les conclusions recherchées par la demanderesse ne peuvent être accueillies, car elles visent essentiellement à faire déclarer que certaines dispositions réglementaires et autres sont « inopérantes et inapplicables » à son égard au motif que ces dispositions ont le même objet que l’article 14 du Règlement sur les carrières et sablières, ce qui n’est pas le cas.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.            REJETTE la demande de pourvoi en contrôle judiciaire et en jugement déclaratoire présentée par la demanderesse, Sablière Guillaume Thibault inc.;
  2.            LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

 

bernard godbout, j.c.s.

 

 

Me Guillaume Crête

Me Sébastien Laprise

LANGLOIS AVOCATS

Avocats de la demanderesse

 

Me Olivier Arseneau

TREMBLAY BOIS MIGNAULT LEMAY

Avocats de la défenderesse Ville de Saint-Raymond

 

Me Martin Bouffard

MORENCY SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Avocats de la défenderesse Municipalité régionale de comté de Portneuf

 

Me Gabrielle Ferland-Gagnon

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC

Avocats du mis en cause Procureur général du Québec

 

 

Dates d’audience :

19 et 20 novembre 2024

 

 


[1]  Pièce P-14 : Lettre de Me Marc André Beaudoin adressée à Me Guillaume Crête dont l’objet est : Demande de modification réglementaire concernant la Zone EX-5, du 18 mars 2024, p. 3.

[2]  Règlement sur les carrières et sablières, RLRQ c Q-2, r 7.1.

[3]  Loi sur la qualité de l'environnement, RLRQ c Q-2.

[4]  Conclusions du Pourvoi en contrôle judiciaire et en jugement déclaratoire du 7 novembre 2024, p. 11.

[5]  Art. 34, al. 1 C.p.c.: La Cour supérieure est investie d’un pouvoir général de contrôle judiciaire sur les tribunaux du Québec autres que la Cour d’appel, sur les organismes publics, sur les personnes morales de droit public ou de droit privé, les sociétés et les associations et les autres groupements sans personnalité juridique. […].

 Art. 142 C.p.c.: La demande en justice peut avoir pour objet d’obtenir, même en l’absence de litige, un jugement déclaratoire déterminant, pour solutionner une difficulté réelle, l’état du demandeur ou un droit, un pouvoir ou une obligation lui résultant d’un acte juridique.

 

 Art. 529, al. 1(2)(3) C.p.c.: La Cour supérieure saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire peut, selon l’objet du pourvoi, prononcer l’une ou l’autre des conclusions suivantes:

 2° évoquer, à la demande d’une partie, une affaire pendante devant une juridiction ou réviser ou annuler le jugement rendu par une telle juridiction ou une décision prise par un organisme ou une personne qui relève de la compétence du Parlement du Québec si la juridiction, l’organisme ou la personne a agi sans compétence ou l’a excédée ou si la procédure suivie est entachée de quelque irrégularité grave;

 3° enjoindre à une personne qui occupe une fonction au sein d’un organisme public, d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique d’accomplir un acte auquel la loi l’oblige s’il n’est pas de nature purement privée;

[6]  Pièce P-22 : Extrait de l’Annexe I-A du Règlement de zonage de la Ville de Saint-Raymond – Grille des spécifications.

[7]  Id.

[8]  Pourvoi en contrôle judiciaire et en jugement déclaratoire, par. 19; pièces P-9 et DSR-3.

[9]  Id., par. 20, pièce P-10.

[10]  Pièce P-4 : Courriel de M. Guillaume Thibault à Mme Célia Solinas le 6 mai 2021.

[11]  Pourvoi en contrôle judiciaire et en jugement déclaratoire, par. 21, pièce P-11.

[12]  Pièce P-12.

[13]  Pièce P-13 : Courriel de Mme Sabrina Trudel, coordonnatrice à l’urbanisme, à M. Guillaume Thibault le 4 avril 2023.

[14]  Pièce P-14.

[15]  Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, RLRQ c A-19.1.

[16]  Plan d’argumentation de la demanderesse du 19 novembre 2024, par. 9.

[17]  Id., par. 40.

[18]  Id., par. 40.3.

[19]  Id., par. 41.

[20]  Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, RLRQ, c. Q-2, r. 35.2.

[21]  Plan d’argumentation de la défenderesse, Ville de Saint-Raymond, du 18 novembre 2024, par. 12.

[22]  Id., par. 74.

[23]  Id., par. 78.

[24]  Plan de plaidoirie de la défenderesse, Municipalité Régionale de Comté de Portneuf, du 19 novembre 2024, p. 2

[25]  Id., p. 3.

[26]  Plan d’argumentation du Procureur général du Québec du 19 novembre 2024.

[27]  Pièce 23 : Interrogatoire au préalable de Mme Célia Solinas, le 29 octobre 2024, p. 7.

[28]  Pièce P-4.

[29]  Pièce P-22.

[30]  Pièce P-4.

[31]  Pièce P14.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.