Procureur général du Québec c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique | 2025 QCCA 230 |
COUR D’APPEL |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
SIÈGE DE | MONTRÉAL |
N° : | 500-09-030362-230, 500-09-030363-238, 500-09-030366-231 |
(480-17-000070-159) (480-17-000096-162) (480-06-000001-132) |
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DATE : | 26 février 2025 |
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FORMATION : | LES HONORABLES | MARK SCHRAGER, J.C.A. PETER KALICHMAN, J.C.A. ÉRIC HARDY, J.C.A. |
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N° : 500-09-030362-230 (480-17-000070-159) |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
APPELANT demandeur |
c. |
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COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE |
INTIMÉE défenderesse |
et |
MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA COMPANY |
MISE EN CAUSE défenderesse |
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N° : 500-09-030363-238 (480-17-000096-162) |
PROMUTUEL CENTRE SUD |
L’UNIQUE ASSURANCES GÉNÉRALES INC. |
SOCIÉTÉ D’ASSURANCE BENEVA INC., anciennement La Capitale Assurances générales inc. |
INTACT ASSURANCE |
LA COMPAGNIE D’ASSURANCE BÉLAIR INC. |
INTACT ASSURANCE, en reprise d’instance pour LA GARANTIE COMPAGNIE D’ASSURANCE DE L’AMÉRIQUE DU NORD |
APPELANTES demanderesses |
c. |
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COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE |
INTIMÉE défenderesse |
et |
MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA COMPANY |
MISE EN CAUSE défenderesse |
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N° : 500-09-030366-231 (480-06-000001-132) |
GUY OUELLET |
SERGE JACQUES |
LOUIS-SERGES PARENT |
APPELANTS demandeurs |
c. |
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COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE |
INTIMÉE défenderesse |
et |
MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA COMPANY |
MISE EN CAUSE défenderesse |
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ARRÊT
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- Les appelants se pourvoient contre le jugement rendu le 14 décembre 2022[1] par la Cour supérieure, district de Mégantic (l’honorable Martin Bureau), lequel rejette leur demande introductive d’instance respective contre l’intimée, Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique[2] (« CP »)[3], mais l’accueille partiellement contre la mise en cause, Montreal, Maine & Atlantic Canada Company (« MMA »). Leurs pourvois ont été joints afin d’être entendus ensemble et qu’un arrêt commun en décide.
Résumé
- Le jugement entrepris a pour trame factuelle le déraillement d’un convoi ferroviaire transportant du pétrole brut survenu dans la nuit du 6 juillet 2013 au cœur de la Ville de Lac-Mégantic (« Lac-Mégantic »). Cet accident a coûté la vie à 47 personnes et causé des préjudices corporels, moraux ou matériels à plusieurs autres. Sans surprise, le juge indique qu’il s’agit de « l’une des pires tragédies ferroviaires de l’histoire canadienne »[4].
- Plusieurs des parties qui ont pris part au transport de cette marchandise ont été poursuivies. En échange d’une quittance, elles ont toutes contribué à un fonds d’indemnisation de plus de 430 millions de dollars à l’exception de CP et de MMA[5]. Le premier nie sa responsabilité tandis que l’impécuniosité[6] de la seconde fait en sorte qu’elle n’a pu y participer.
- L’appel sur lequel la Cour doit statuer n’a pour objet que le rejet des poursuites intentées contre CP. Le rôle que ce dernier a joué dans le transport de cette cargaison de pétrole brut sera plus loin décrit en détail. Qu’il suffise pour l’instant de souligner que CP n’était pas propriétaire du train qui a déraillé, ni de sa cargaison. Aussi, au moment où cet accident est survenu, ce convoi ferroviaire était sous le contrôle de MMA, une compagnie ferroviaire totalement indépendante de CP et dûment accréditée. Il se trouvait sur des voies appartenant à MMA et était conduit par un employé de MMA. Enfin, personne ne conteste que c’est en raison de la négligence grossière de cet employé dans la procédure d’immobilisation de ce convoi sur un tronçon en pente, en violation des règles élémentaires de sécurité, qu’il a effectué une descente incontrôlée en direction de Lac-Mégantic pour ensuite dérailler à l’entrée du centre-ville.
- Devant la Cour supérieure, les appelants ont soulevé différents arguments, chacun visant à convaincre le juge que CP devrait être tenu responsable des agissements de MMA et de son employé. Après un procès d’un peu plus de 60 jours comprenant 55 témoins, 13 rapports d’expert et des milliers de pièces, le juge a rejeté les prétentions des appelants. Dans un jugement de près de 200 pages, il a soigneusement examiné et rejeté chacun de leurs arguments, expliquant non seulement pourquoi la responsabilité légale de CP ne pouvait être retenue, mais aussi pourquoi il conclut que le déraillement avait pour unique cause les gestes de MMA et de son employé.
- Devant la Cour, les appelants soutiennent que le juge a commis de nombreuses erreurs de fait et de droit en concluant comme il l’a fait. Or, ils ne réussissent pas à en faire la démonstration. Au contraire, la Cour conclut que le juge a correctement énoncé l’état du droit relatif à la responsabilité de CP et qu’il l’a correctement appliqué. De plus, contrairement à ce que prétendent les appelants, les conclusions factuelles du juge sont solidement ancrées dans la preuve et sont exemptes de toute erreur donnant lieu à révision. Enfin, il n’y a pas d’erreur dans la conclusion du juge quant à la causalité. Ainsi, même à supposer que la conduite de CP ait été fautive, elle n’aurait pas été pour autant la cause du déraillement.
Le contexte
- Les recours sur lesquels le juge a statué sont (i) l’action collective intentée au nom de nombreuses victimes de cette tragédie, (ii) l’action subrogatoire de plusieurs assureurs ayant indemnisé les personnes dont les biens ont péri ou été endommagés et (iii) l’action en réclamation du procureur général du Québec (« PGQ ») pour les dommages subis par l’État québécois[7]. Ces recours ont été joints en première instance pour être instruits en même temps et jugés sur la même preuve[8]. Aussi, pour chacun d’eux, l’instance a été scindée afin que soit d’abord débattue la question de la responsabilité[9]. Tel est d’ailleurs le seul objet du jugement entrepris.
- Dans deux autres dossiers, soit ceux portant les nos 480-17-000102-168 et 480‑17‑000139-186, l’instruction de l’instance a été suspendue dans l’attente d’un jugement passé en force de chose jugée ou d’une transaction sur le volet responsabilité dans les trois premiers. En retour, les parties demanderesses ont convenu, dans ces deux autres dossiers, d’être liées par les conclusions de ce jugement ou de cette transaction[10].
- Le jugement entrepris conclut à l’absence de responsabilité de la part de CP. Selon le juge, CP n’a failli à aucune de ses obligations[11]. Il est plutôt d’avis que la responsabilité de cette tragédie incombe à l’ingénieur de locomotive Thomas Harding[12] (« Harding ») ainsi qu’à son employeur, MMA[13]. Il indique que le réseau ferroviaire sur lequel est survenu le déraillement du train était exploité par MMA et qu’il était la propriété de sa compagnie sœur, Montreal, Maine & Atlantic Railway (« MMAR »)[14]. Il précise également que les locomotives qui tiraient le train appartenaient à MMA[15], que les wagons-citernes qui le composaient avaient été loués auprès d’un tiers par l’expéditeur de la marchandise[16] et que le déraillement du train était attribuable aux fautes graves de Harding[17]. Plus précisément, il blâme ce dernier pour avoir immobilisé le train pour une nuit entière sans serrer le nombre de freins à main requis et sans avoir exécuté le test d’efficacité prescrit pour en vérifier la suffisance. Il lui reproche également d’avoir omis de revenir immobiliser le train, comme il aurait dû le faire initialement, après avoir été informé qu’un incendie s’était déclaré dans l’une des locomotives[18]. L’eût-il fait que la tragédie que l’on connaît ne serait pas survenue. Quoi qu’il en soit, le juge écrit, à propos de CP, que les « agissements qui lui sont reprochés […], qu’ils soient fautifs ou non, ne sont pas la cause directe, immédiate et logique des préjudices subis par l’ensemble des victimes »[19].
- Les appelants plaident que le jugement entrepris est entaché d’erreurs faisant en sorte qu’il doit être infirmé. Selon eux, le juge aurait dû imputer une faute à CP et reconnaître que celui-ci a causé les préjudices dont ont souffert les nombreuses victimes ou, à tout le moins, a contribué à leur réalisation.
Les circonstances de la tragédie
- Le train qui déraille est composé de cinq locomotives et de 72 wagons-citernes. Un placard apposé sur chacun des wagons-citernes indique que le produit qu’ils contiennent est inflammable[20].
- Le pétrole brut qu’il transporte a été vendu par World Fuel Services (« WFS ») à Irving Oil Company (« Irving »)[21]. Le juge souligne que WFS est une entreprise de « classe mondiale »[22]. Elle est celle qui a loué les wagons-citernes en question[23] et qui a retenu les services de CP, à titre de transporteur d’origine[24], pour effectuer leur déplacement du Dakota du Nord jusqu’à la raffinerie d’Irving située à Saint John au Nouveau-Brunswick[25]. Ce type de convoi porte le nom de « train unitaire » du fait que chacun des wagons qui le constituent transporte la même marchandise, par opposition aux trains dont la marchandise est variée, qu’on désigne plutôt sous le vocable de « train manifeste »[26].
- À cette époque, le transport par rail de produits pétroliers n’est pas nouveau. Cependant, il connaît depuis peu un essor important[27]. Toutes les compagnies ferroviaires s’y intéressent. Elles y voient une occasion d’affaires lucrative dont elles entendent tirer profit[28].
- Le contrat de transport conclu entre WFS et CP est établi sur la base d’un « tarif d’entier parcours »[29]. Cela signifie que CP s’engage à l’exécuter du point d’expédition jusqu’au point de destination. Le connaissement[30] délivré indique que l’expéditeur est une filiale de WFS et que le destinataire est Irving[31]. Toutefois, WFS sait que CP doit « interconnecter », c’est-à-dire confier à d’autres compagnies ferroviaires le déplacement des wagons-citernes sur une partie du parcours. Il en est ainsi puisque son réseau ne s’étend pas jusqu’à la raffinerie d’Irving. Pour mener le convoi jusqu’à son point de destination à partir de sa gare de triage de Côte-Saint-Luc, CP doit le confier à trois autres transporteurs qui se succéderont[32]. Pour ce qui est du premier tronçon d’interconnexion, soit celui entre sa gare de triage de Côte-Saint-Luc et le Nouveau-Brunswick, deux options s’offrent à lui : faire appel aux services de sa principale concurrente au Canada[33], Canadien National (« CN »), ou bien à ceux de MMA[34]. D’un commun accord avec WFS et Irving, la deuxième option est retenue[35]. Le chemin de fer de MMA offre le parcours le plus court et le plus direct de Montréal jusqu’au Nouveau-Brunswick[36]. De plus, Irving connaît déjà MMA puisqu’elle est l’une de ses clientes régulières. En effet, MMA transporte pour Irving du pétrole et d’autres produits dangereux[37].
- Les 78 wagons-citernes qui constituent initialement ce convoi sont remplis de pétrole brut au centre de transbordement de Strobel Straroska Transfer (« SST »), une filiale de WFS[38], situé à New Town au Dakota du Nord. Ce pétrole est transvidé dans chacun des wagons-citernes directement à partir de camions-citernes qui l’ont conduit jusque-là[39].
- Le pétrole brut provient de la formation de Bakken[40]. Il est extrait du sol tel un gaz de schiste[41]. On le qualifie de léger, contrairement au pétrole provenant de l’Ouest canadien ou de la région des sables bitumineux dont on dit qu’il est lourd[42]. Le connaissement l’identifie comme étant du « pétrole brut de classe 3 et du groupe d’emballage III »[43]. Cette classification lui a été donnée par WFS comme elle en avait seule la responsabilité[44]. Celle-ci devait être déterminée en fonction du niveau de dangerosité du pétrole brut en question, lequel se mesure par une analyse de son point d’ébullition et de son point d’éclair.
- Selon le niveau de dangerosité qu’il présente, le pétrole brut peut être classifié parmi trois groupes d’emballage, de PG-I, le plus dangereux, à PG-III, qui l’est le moins[45]. Or, il n’est pas contesté que la classification attribuée par WFS est erronée. Le connaissement aurait plutôt dû le décrire comme étant un « produit pétrolier de Classe 3, Groupe d’emballage II ou I (Classe 3, PG-II ou PG‑I) »[46]. Cela dit, que le groupe d’emballage soit I, II ou III, l’inscription sur le placard apposé sur chacun des wagons-citernes demeure la même[47].
- Le 30 juin 2013, le convoi ferroviaire quitte le centre de transbordement de SST et prend la direction de Minneapolis, puis de Milwaukee, Chicago et Detroit. En cours de route, un wagon-citerne est retiré en raison d’une défectuosité mécanique. Le convoi traverse la frontière canadienne à Windsor, en Ontario, pour se rendre à Toronto. Quarante‑trois wagons contenant d’autres types de marchandises s’y ajoutent pour former, cette fois, un « train manifeste » tiré par deux locomotives. Ensuite, le convoi se dirige vers Montréal et effectue un arrêt à la gare de triage de CP situé à Côte-Saint-Luc[48].
- En raison de défectuosités mécaniques, cinq wagons-citernes faisant partie du convoi initial sont retirés. Les 72 restants sont ensuite confiés à MMA pour qu’elle les amène à destination. À cette fin, les deux locomotives de CP sont remplacées par cinq locomotives appartenant à MMA[49]. Le train redevient un train unitaire puisqu’aucun autre wagon de marchandises ne s’y greffe[50]. À ce stade, le convoi a une longueur approximative de 4 700 pieds et pèse environ 10 290 tonnes. Il est constitué non seulement des cinq locomotives et des 72 wagons-citernes qui contiennent au total 7,7 millions de litres de pétrole brut, mais également d’un wagon-spécial (« caboose ») et d’un wagon tampon[51]. Ce train est conduit par des employés de MMA sur le réseau de CP, jusqu’à ce qu’il rejoigne celui de MMA près de Saint-Jean-sur-Richelieu[52]. À Farnham s’effectue un changement d’équipage, et Harding est chargé, seul, de conduire le convoi jusqu’à Nantes. Le train passe ainsi en mode SPTO (single-person train operations ou exploitation de train en solo) comme les initiés ont l’habitude de le dire[53].
- À 13 h 55, le 5 juillet 2013, le convoi quitte Farnham en direction de Nantes[54]. La distance qu’il doit parcourir est d’environ 115 miles (185 km). En chemin, la locomotive de tête montre des signes de mauvais fonctionnement à telle enseigne que Harding éprouve de la difficulté à maintenir sa vitesse[55].
- Vers 22 h 50, le convoi arrive à Nantes[56]. Harding constate que de la fumée blanche et noire s’échappe de la cheminée de la locomotive de tête[57]. En utilisant le système de freinage à air[58], il immobilise le train sur la voie principale, plus précisément sur le haut d’une pente descendante de 0,92 %[59] en direction de Lac-Mégantic. Le convoi se trouve alors à 7,2 miles (11,58 km) de Lac‑Mégantic[60]. Harding sécurise le train en serrant sept freins à main[61], un sur chacune des cinq locomotives, un autre sur le wagon-spécial[62] et un dernier sur le wagon-tampon[63]. Le système de freinage à air est quant à lui alimenté par un compresseur que le moteur de la locomotive de tête fait fonctionner. Il laisse en marche le moteur de la locomotive de tête et ne désactive pas le système de freinage à air qui est alors en fonction[64] afin de procéder à un test d’efficacité du système de freins à main[65].
- La décision de Harding de stationner le train à Nantes sur une pente de 0,92 % n’est pas prise à l’improviste[66]. Au contraire, des instructions lui avaient été données de le laisser à cet endroit, sur la voie principale et sans surveillance, jusqu’à ce qu’un autre ingénieur de locomotive prenne sa relève le lendemain matin pour le conduire au Nouveau-Brunswick[67]. Le juge retient de la preuve que le train n’aurait pu être stationné sur la voie d’évitement qui s’y trouvait. D’une part, elle était occupée par d’autres wagons qui y avaient été laissés. D’autre part, la présence d’une deuxième personne à bord du train aurait été nécessaire pour effectuer les manœuvres de recul qui auraient alors été requises. Or, Harding était seul[68].
- Une fois rendu à Nantes, Harding fait part au contrôleur de la circulation ferroviaire de MMA, qui est en poste à Bangor dans l’État du Maine aux États-Unis, des difficultés éprouvées avec la locomotive de tête. Ils conviennent de s’en reparler le lendemain matin[69].
- De même, Harding informe le contrôleur de la circulation ferroviaire de MMA de Farnham, Richard Labrie (« Labrie »), que le train est « immobilisé et sécurisé »[70]. Ensuite, il se rend prendre sa pause obligatoire pour la nuit dans un établissement hôtelier[71].
- À 23 h 40, un appel est fait à la centrale d’appel 911 pour signaler qu’un incendie s’est déclaré à bord du train[72]. Les pompiers de Nantes se rendent sur place. Ils maîtrisent les flammes en arrêtant le fonctionnement du moteur de la locomotive de tête[73].
- La Sûreté du Québec informe Labrie de l’incendie. Celui-ci dépêche sur les lieux un contremaître de MMA. Tant ce dernier que Labrie sont mis au fait que le moteur de la locomotive de tête a été arrêté[74].
- Labrie communique avec Harding et lui relate les événements survenus dans la dernière heure[75]. Harding lui demande s’il doit retourner sur les lieux pour mettre en fonction le moteur d’une autre locomotive; en effet, le seul qu’il avait laissé fonctionner est celui que les pompiers ont éteint. Ignorant que Harding n’avait pas suivi la procédure prescrite pour sécuriser le train, soit l’application d’un nombre suffisant de freins à main et la réalisation d’un test d’efficacité visant à le confirmer, Labrie lui répond que cela n’est pas nécessaire[76].
- Une fois l’incendie éteint, les pompiers et le contremaître de MMA quittent la scène de l’incendie et laissent le train sans surveillance[77].
- Graduellement, la pression dans le système de freinage à air diminue du fait que le compresseur qui l’alimentait a cessé de fonctionner lorsque le moteur de la locomotive de tête a été éteint par les pompiers[78].
- Vers 1 h, le 6 juillet 2013, le train commence sa descente effrénée en direction de Lac‑Mégantic. Aux environs de 1 h 15, 63 wagons-citernes et les deux wagons spéciaux déraillent dans une courbe à l’entrée du centre-ville[79]. Le train roule alors à une vitesse de 65 mi/h (104,6 km/h), soit plus de trois fois la limite acceptable à cet endroit[80]. Quant aux locomotives, elles s’immobilisent à environ 4 440 pieds (1,35 km) à l’est du lieu du déraillement.
- Six millions de litres de pétrole brut se déversent. De multiples explosions, provoquant un incendie majeur, en résultent[81].
- La raison pour laquelle le train s’est, de lui-même, mis en route n’est pas contestée. Lorsque Harding quitte les lieux à la fin de son quart de travail, la force de rétention du train est de 264 100 lb[82]. De celles-ci, 215 500 lb proviennent du système de freins à air[83]. C’est donc dire que les sept freins à main qui ont été activés n’y contribuent que jusqu’à concurrence de 48 600 lb[84], soit le tiers environ des 146 700 lb nécessaires pour immobiliser le train[85].
- Lorsque la pression d’air descend à 97 400 lb[86], la force de rétention totale de 146 000 lb (97 400 lb + 48 600 lb)[87] devient insuffisante pour maintenir le train immobilisé[88]. C’est ainsi qu’il se met en mouvement. Il déraille en raison de la vitesse excessive à laquelle il roule lorsqu’il s’engage dans la courbe à l’entrée du centre-ville[89].
Le transport ferroviaire en Amérique du Nord
- Outre les circonstances du déraillement, une partie substantielle de la preuve porte sur l’organisation de l’industrie ferroviaire en Amérique du Nord et, notamment, sur les importants changements qu’elle connaît à la suite d’une vague de déréglementation qui débute aux États-Unis à la fin des années 1970 et un peu plus tard au Canada[90]. Les compagnies ferroviaires de grande envergure que l’on range dans la catégorie dite de classe 1[91], comme CP[92] et CN[93], y voient l’occasion de se départir de plusieurs chemins de fer moins profitables et moins intéressants[94]; ceux qui en font l’acquisition croient en leur capacité de les rentabiliser[95]. Ainsi, de nombreux chemins de fer d’intérêt local (« CFIL ») et chemins de fer régionaux voient le jour, si bien qu’en Amérique du Nord, ce sont des centaines d’entreprises distinctes qui se partagent le commerce du transport ferroviaire. Au Canada seulement, il en existe plus de soixante[96]. Tous les acteurs de l’industrie ferroviaire trouvent leur compte dans l’émergence de ces nouveaux transporteurs, les grands comme les petits.
- C’est dans ce contexte que CP se départit d’une partie de son réseau en faveur d’un plus petit transporteur. À la suite de difficultés financières, ce petit transporteur le cède à MMA, un chemin de fer régional[97]. Cette dernière est la propriété de Rail World Inc.[98] que le juge décrit comme étant « un conglomérat américain d’une certaine importance […] [qui] exploite diverses voies ferrées régionales » aux États-Unis, au Canada et en Europe[99].
- Une portion importante de la preuve a également eu pour objet les relations commerciales qui existent entre les compagnies ferroviaires et tout particulièrement, celles entre les transporteurs de classe 1, d’un côté, et les CFIL et les transporteurs régionaux, de l’autre. Le juge rapporte que « [l]es activités de ces compagnies ferroviaires de classe 1 sont, à de très nombreuses reprises, précédées ou suivies dans l’exécution du transport de marchandises par de plus petites entreprises »[100]. Cela lui fait dire que les chemins de fer de classe 1 « ne peuvent fonctionner sans l’apport des transporteurs régionaux et des CFIL »[101]. Pour répondre aux besoins de leur clientèle répartie sur tout le continent nord-américain, les premiers, dont CP fait partie, n’ont d’autres choix que de collaborer avec les seconds et de s’assurer que les interconnexions entre eux sont efficaces[102].
- MMA ne fait pas figure d’exception. Les relations commerciales qu’elle entretient avec CP sont fréquentes puisque leurs voies respectives sont interconnectées[103]. MMA a aussi des liens commerciaux avec d’autres CFIL et compagnies ferroviaires de classe 1, tel CN[104].
- Il ressort aussi de cette preuve que le transport ferroviaire en Amérique du Nord est largement réglementé. Cette réglementation vise à en assurer l’efficacité et la fluidité, mais également la sécurité[105], notamment lorsqu’il est question de marchandises dangereuses[106]. Au Canada, les compagnies ferroviaires de compétence fédérale, telles que CP et MMA, ont l’obligation, en vertu du Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire[107] (« Règlement »), d’élaborer et de mettre en application un système de gestion de sécurité (« SGS »)[108]. Le SGS a pour objet de déterminer les risques en matière de sécurité auxquels la compagnie ferroviaire est exposée et de mettre en place des mécanismes adéquats pour les minimiser[109]. Lorsqu’une compagnie ferroviaire apporte une modification d’importance à ses opérations, elle doit procéder aux évaluations des risques qui y sont associés[110].
La cause d’action des appelants en première instance
- La cause d’action que les appelants font valoir au procès soulève précisément des enjeux de sécurité. Elle s’articule autour de quatre grands thèmes[111].
- Le premier est celui selon lequel la grande augmentation du volume de pétrole brut provenant de la formation de Bakken transporté par trains unitaires imposait à CP l’obligation de procéder à une évaluation des risques en résultant. Cette évaluation devait avoir pour objet non seulement son propre réseau, mais également celui de MMA. Elle aurait permis à CP de prendre connaissance, s’il n’était pas déjà au courant, des mauvaises pratiques de MMA, notamment du fait que ses trains étaient souvent conduits en mode SPTO, qu’ils étaient régulièrement immobilisés à Nantes sur le haut d’une pente et qu’ils y étaient laissés sans surveillance pendant plusieurs heures[112]. CP aurait alors dû exiger que MMA modifie ses façons de faire ou tout simplement refuser de faire affaire avec elle. L’eût-il fait que la tragédie ne serait pas survenue.
- Le deuxième est la décision de CP de recommander MMA à WFS à titre de transporteur de liaison même s’il connaissait la piètre qualité de la gestion de ses opérations ferroviaires au chapitre de la sécurité.
- Le troisième a trait à la classification erronée du pétrole brut transporté. Selon les appelants, CP savait ou aurait dû savoir que le pétrole en question avait été mal classifié et qu’il était plus volatil, explosif et inflammable que le « pétrole brut de classe 3 et du groupe d’emballage III »[113]. Il aurait dû s’en plaindre à WFS et insister pour que son erreur soit corrigée. Selon les appelants, si MMA avait connu la véritable classification de ce pétrole, elle ne l’aurait pas transporté dans un train en mode SPTO et ne l’aurait pas immobilisé sans surveillance, sur une voie principale, en haut d’une pente, et ce, pendant une nuit entière. À nouveau, le déraillement du train aurait été évité.
- Le quatrième est l’absence d’intervention de CP auprès de MMA lorsqu’il est mis au fait de ses pratiques dangereuses, tout particulièrement celle de laisser en haut d’une pente, la nuit et sans surveillance, des trains unitaires remplis de pétrole brut.
Le jugement entrepris
- Comme déjà mentionné, le procès dure un peu plus de 60 jours. 55 témoins sont entendus, dont 13 experts. Plus de 2 800 pièces sont produites. Aussi, les parties conviennent de nombreuses admissions dont le texte est joint au jugement entrepris.
- Le témoignage le plus attendu est sans l’ombre d’un doute celui de Harding. Sans ambages, il reconnaît qu’il n’a pas immobilisé le train comme il l’aurait dû. Non seulement il admet que le blocage de sept freins à main était insuffisant, mais de plus, il avoue avoir négligé de procéder à un test d’efficacité de ceux-ci en relâchant au préalable tous les freins à air. Il reconnaît avoir transgressé les normes de conduite applicables dont il connaissait pourtant l’existence et le caractère obligatoire. Il ne fournit aucune explication pour ne pas s’y être conformé[114].
- Le juge retient également de la preuve que lorsque le collègue d’Harding, le répartiteur Labrie, l’informe qu’un incendie s’est déclaré dans la locomotive de tête et que les pompiers ont arrêté le fonctionnement de son moteur, Harding dispose alors de tout le temps nécessaire pour partir du motel où il loge pour la nuit et revenir immobiliser le train de la façon dont il aurait dû l’être depuis le tout début[115]. Il décide plutôt de retourner se coucher sachant néanmoins que personne, à part lui, ne sait que les freins à main n’ont pas été activés en nombre suffisant[116].
- Il estime que la responsabilité de cette tragédie « repose essentiellement » sur Harding et sur MMA, à titre d’employeur de Harding et de personne responsable du convoi[117].
- Avant de se prononcer sur les allégations de faute formulées contre CP, le juge procède à une analyse minutieuse de la réglementation et de la législation applicables au transport ferroviaire au Canada et aux États-Unis. À cet égard, il bénéficie de l’éclairage d’experts en la matière.
- Il écrit que les règles en question se classent en deux catégories : celles qui énoncent des obligations à la charge d’un transporteur public et les autres qui sont relatives aux échanges entre les divers transporteurs[118]. Le juge retient des règles faisant partie de la première catégorie « qu’une compagnie ferroviaire doit transporter toute marchandise qui lui est confiée par un expéditeur pourvu que sa demande soit raisonnable »[119], et ce, même s’il s’agit de produits toxiques, explosifs et radioactifs[120]. Quant à celles faisant partie de la deuxième, il écrit que les « compagnies ferroviaires, dont les voies ferrées sont juxtaposées ou reliées entre elles, doivent fournir les installations et les services permettant l’échange des marchandises transportées »[121].
- Après s’être livré à cette analyse du cadre réglementaire et législatif, le juge met de côté l’hypothèse selon laquelle les règles de la responsabilité du fait d’autrui énoncées au Code civil du Québec (« C.c.Q. ») puissent trouver application. D’abord, il écarte l’idée que CP puisse être responsable de cette tragédie à titre de commettant ou de mandant de MMA[122]. Il se pose ensuite la question de savoir si la responsabilité de CP pourrait naître du fait qu’il a agi à titre de transporteur d’origine[123]. Il y répond par la négative. Certes, le transporteur d’origine est responsable de la perte des marchandises transportées, et ce, même si elles sont sous la garde du transporteur de liaison, mais il ne saurait répondre des fautes de ce dernier pour un préjudice causé à des tiers[124]. Enfin, la responsabilité de CP ne peut non plus se fonder, selon lui, sur les règles portant sur les sociétés en participation[125].
- Le juge poursuit donc son analyse sous l’angle de la faute civile extracontractuelle au sens de l’article 1457 C.c.Q. Il décortique chacun des quatre thèmes autour desquels la cause d’action des appelants est définie.
Absence d’évaluation des risques
- Le premier argument que les appelants mettent de l’avant en première instance est celui selon lequel CP aurait dû, « avant d’entreprendre ses opérations massives de transport de pétrole brut provenant de la région de Bakken, procéder à une analyse des risques tant sur son propre réseau que sur celui du transporteur de liaison MMA »[126]. CP réfute cette prétention qui ne trouve, selon lui, aucune assise dans la réglementation, les normes et pratiques de l’industrie et la jurisprudence[127].
- Pour le guider, le juge bénéficie de l’éclairage, du côté des appelants, des experts Evans, Reilly et Richard[128], et du côté de CP, des experts Wolf et Marshall[129]. Or, le juge met de côté l’opinion des premiers en faveur de celle des seconds[130]. Aucune règle ou pratique ne prévoit qu’un transporteur ferroviaire doit « procéder à une analyse de risques avant d’effectuer le transport de pétrole brut et encore moins [si celle-ci a pour objet les] voies ferrées d’autres compagnies ferroviaires »[131]. Au contraire, un transporteur d’origine doit pouvoir, selon le juge, se fier au travail effectué par les organismes gouvernementaux chargés de l’inspection et de la certification des autres transporteurs ferroviaires lorsqu’il remet les marchandises qui lui ont été confiées à un transporteur de liaison[132]. Le juge va même jusqu’à conclure que « [l]e système ferroviaire nord-américain et particulièrement celui qui existe au Canada n’est ni conçu, ni réglementé, ni géré de façon à ce que des analyses de risques se fassent par un transporteur sur le réseau d’une autre entreprise »[133]. Pour autant, le juge ne nie pas l’obligation qu’un transporteur d’origine aurait, « en présence d’une situation claire et évidente concernant la présence d’un risque imminent et sérieux »[134], de poser les gestes requis avant d’interconnecter avec d’autres transporteurs. Toutefois, le juge estime que rien dans la preuve ne permettait à CP de prévoir qu’un tel risque se matérialiserait en l’espèce[135].
- Le juge ne relève donc aucune faute que CP aurait commise à ce chapitre[136].
Recommandation de MMA à titre de transporteur de liaison
- La conduite de CP sous ce volet ne lui paraît pas davantage fautive[137].
- Le juge écrit que ce sont WFS et Irving qui ont eu le dernier mot dans le choix du trajet, et par voie de conséquence, dans celui du transporteur de liaison[138]. De surcroît, rien dans la preuve n’indique, selon lui, que CP avait accès ou pouvait « avoir accès facilement à des informations troublantes ou inquiétantes concernant les façons d’opérer de MMA »[139].
La classification erronée
- Sous cet angle, le juge écrit qu’aux États-Unis, la classification de marchandises dangereuses incombe au seul expéditeur[140]. Il en est de même au Canada, à la différence que l’importateur en est également responsable[141]. Dans un pays comme dans l’autre, le transporteur est en droit de se fier à celle-ci[142]. Ce principe est tempéré par une exception que les appelants invoquent à leur bénéfice et que le juge résume en ces termes :
[…] si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et agissant avec une diligence raisonnable doit savoir que l’information fournie est incorrecte, le transporteur doit alors cesser le transport, informer l’expéditeur de ses soupçons quant à la classification de la marchandise dangereuse et demander à ce que celui-ci vérifie ou rectifie la classification soupçonnée d’être incorrecte.[143]
- Le juge est d’avis que cette exception ne s’applique pas en l’espèce. Selon lui, les appelants ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que CP savait ou aurait dû savoir que la classification effectuée par WFS était erronée[144]. Partant, le juge ne constate aucun comportement fautif de la part de CP en cette matière[145].
L’absence d’intervention quant aux pratiques opérationnelles dangereuses de MMA
- Les appelants reprochent à CP d’avoir fermé les yeux[146] sur les pratiques opérationnelles dangereuses de MMA. À titre de transporteur d’origine ayant fourni un tarif d’entier parcours, CP aurait dû s’en soucier[147]. De son côté, CP affirme qu’avant la tragédie, il n’avait aucune raison sérieuse de remettre en question la sécurité des opérations ferroviaires de MMA[148].
- Le juge donne raison à CP.
- D’une part, aucune loi ni aucun règlement ou précédent jurisprudentiel au Canada ou aux États-Unis ne « prévoit de quelque manière que ce soit une responsabilité particulière d’un transporteur d’origine quant à la manière dont un transporteur de liaison opère son réseau ferroviaire »[149]. À cet égard, le juge estime peu convaincant le témoignage des experts Reilly et Richard entendus en demande[150]. Selon lui, c’est à ceux qui sont investis par la loi de la mission de veiller à ce que les opérations ferroviaires d’un transporteur soient sécuritaires de s’en assurer et non à un transporteur d’origine[151]. D’autre part, le juge considère que la preuve ne démontre pas que CP savait ou aurait eu les moyens de savoir que le mode de fonctionnement de MMA était déficient et que ses pratiques étaient non sécuritaires[152].
- Le juge écarte donc ce quatrième moyen comme il le fait pour les trois premiers.
- En somme, le juge conclut que CP n’a commis aucune faute[153].
La causalité
- Le juge se penche ensuite sur la causalité. Sa conclusion est catégorique :
[682] La preuve révèle de manière très claire et non équivoque que si le convoi de wagons-citernes se déplace dans la nuit du 6 juillet 2013, c’est parce que l’ingénieur de locomotive qui a la responsabilité de l’immobiliser ne fait pas son travail adéquatement et qu’il omet d’abord d’apposer suffisamment de freins d’urgence[154] et qu’ensuite, il ne fait pas les tests obligatoires et nécessaires pour vérifier et s’assurer qu’un nombre suffisant de freins à main sont apposés. De plus, en ne retournant pas sur les lieux après qu’il soit informé que la locomotive qui procure au système de freinage à air la pression nécessaire est arrêtée, cet employé, de manière fautive, ignore alors les conséquences de cette situation.
[683] La preuve révèle aussi que même s’il est certainement préférable de ne pas laisser des trains immobilisés sur une voie principale, particulièrement en haut d’une pente, cela peut se faire sans danger pourvu que l’on mette en place les mesures appropriées pour s’assurer que le convoi est immobilisé adéquatement et qu’il le demeurera, quelles que soient les circonstances.
[Renvois omis]
- Il juge estime que la seule cause logique, directe et immédiate du déraillement et des dommages qui en ont résulté « se trouve dans les fautes de [l’]ingénieur de locomotive Harding et des employeurs de celui-ci, soit MMA »[155]. L’état des voies ferrées de cette dernière et de ses équipements, les lacunes relevées dans la formation de ses employés, le fait que le train ait été conduit en mode SPTO et le type de wagon-citerne utilisé (DOT‑111) ne lui paraissent pas causals, tout comme la problématique liée à la classification du pétrole transporté[156].
- Non seulement MMA est-elle tenue responsable en sa qualité d’employeur de Harding, mais elle l’est également du fait de ses propres lacunes dans l’exploitation de son réseau et de son défaut de mettre en place des mesures pour éviter la survenance d’un accident comme celui qui fait l’objet de ce dossier[157].
- Le juge ajoute que même s’il avait conclu que la conduite de CP avait été fautive, il n’existerait pas pour autant de lien de causalité entre cette conduite et les préjudices subis. Les agissements de Harding et de MMA, que le juge qualifie de « grossièrement fautifs », constitueraient un novus actus interveniens[158]. En d’autres mots, ces agissements auraient rompu le lien de causalité entre les prétendues fautes de CP et les dommages subis.
Les questions en litige
- À travers leurs moyens d’appel, les appelants développent cinq sujets : i) le cadre juridique à l’intérieur duquel la conduite de CP devait être évaluée, ii) les omissions de CP eu égard à l’évaluation des risques, iii) les omissions de CP relatives à la classification erronée du pétrole, iv) la décision de CP de recourir aux services de MMA, et enfin, v) la causalité. Les appelants les déclinent en 14 questions distinctes que la Cour regroupe et reformule comme suit :
- Le juge a-t-il erré dans son analyse des principes applicables en matière de responsabilité civile?
- Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’était pas tenu de procéder à une évaluation des risques?
- Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’avait commis aucune faute en faisant appel à MMA à titre de transporteur de liaison?
- Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’avait commis aucune faute en ne requérant pas de WFS qu’elle procède à une nouvelle classification du pétrole brut?
- Le juge a-t-il erré en concluant que la conduite de CP, à supposer même qu’elle soit fautive, n’était pas la cause logique, directe et immédiate du déraillement du train?
- Le juge a-t-il erré en concluant que le lien de causalité allégué entre les fautes imputées à CP et le préjudice survenu aurait été rompu en raison des fautes commises par Harding?
Les normes d’intervention
- Avant de répondre à chacune de ces questions, une revue des normes d’intervention applicables s’impose.
- Pour débuter, il est utile de rappeler cette règle maintes fois répétée, mais trop souvent ignorée[159], selon laquelle l’appel n’est pas l’occasion de refaire le procès[160] dans l’espoir que la preuve administrée sera appréciée ou pondérée de façon différente pour en arriver à un résultat favorable[161]. La preuve d’expert n’échappe pas à ce principe[162].
- De fait, la Cour ne peut intervenir pour infirmer ou réformer un jugement que s’il lui est démontré qu’une erreur « fatale » a été commise[163]. La Cour suprême explique dans Housen c. Nikolaisen que « [c]ette théorie repose sur l’idée que le caractère définitif des décisions est un aspect important du processus judiciaire »[164].
- Les erreurs susceptibles de justifier une intervention de la Cour se rangent en trois catégories : l’erreur de droit, l’erreur de fait ou l’erreur mixte de fait et de droit[165].
- La norme d’intervention applicable à l’erreur de droit est celle de la décision correcte[166]. En cette matière, la Cour peut donc « substituer [son] opinion à celle des juges de première instance »[167] et modifier le dispositif du jugement rendu s’il lui est démontré « que [l’]erreur a influé sur l’issue du litige »[168].
- En revanche, l’erreur de fait requiert la démonstration d’une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve[169]. C’est aussi cette norme qui s’applique aux conclusions et inférences de fait[170]. La norme est identique pour ce qui est de l’erreur mixte de droit et de fait[171] à moins que le juge du procès ait commis une erreur de principe isolable, auquel cas la norme de la décision correcte s’applique en ce qui la concerne[172].
- L’erreur manifeste doit être évidente et avoir « déterminé l’issue de l’affaire »[173]. S’exprimant pour la Cour dans l’arrêt J.G. c. Nadeau[174], le juge Morissette l’explique en utilisant une métaphore qui a plusieurs fois été reprise[175] :
[76] […] Il doit donc s’agir d’une erreur identifiable avec une grande économie de moyens, sans que la chose ne provoque un long débat de sémantique, et sans qu’il soit nécessaire de revoir des pans entiers d’une preuve documentaire ou testimoniale qui est partagée et contradictoire, comme c’est très généralement le cas dans les dossiers litigieux de quelque difficulté qui se rendent à procès.
[77] […] [L]’erreur doit être évidente et, une fois identifiée, c’est l’arbre entier qui doit tomber en raison de cette erreur. En d’autres termes, une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions.
- Comme il le mentionne, cette règle s’impose avec une acuité toute particulière dans les dossiers où une preuve volumineuse est administrée :
[79] En outre, comme je le mentionnais plus haut, la preuve dans les dossiers qui engendrent des procès de longue durée est souvent très contradictoire. Ce fut assurément le cas ici, les experts cités de part et d’autre s’étant entendus sur fort peu de choses et s’étant contredits sur beaucoup d’autres. Lorsqu’une telle situation se présente, le rôle de la Cour d’appel n’est pas de recommencer en entier, et comme s’il lui revenait de prendre la place du juge qui présidait le procès, l’exercice d’appréciation de la force probante respective des dépositions, exercice ardu auquel doit s’astreindre le juge de première instance. […][176]
- Il est acquis que l’attribution d’une faute est une question mixte de fait et de droit tandis que la causalité en est une de fait[177]. Les conclusions fondées sur l’évaluation de la crédibilité des témoins sont aussi des questions de fait. Elles méritent une grande déférence, comme le soulignait le juge Kasirer alors qu’il siégeait à notre Cour :
[55] It is often said, and quite rightly so, that a court of appeal should tread cautiously before disturbing the findings of fact by a trial judge, especially when those findings are comforted by determinations bearing on the credibility of witnesses. Only a palpable error committed by the judge that overrides his or her conclusions will do. The onus is on the party who alleges the error of fact: an appellant bears what is generally seen as a heavy burden of identifying the mistake and showing how it had a conclusive effect on the outcome of the case.[178]
[Renvoi omis]
- En somme, l’appel n’est pas une seconde chance qui est offerte à la partie n’ayant pas obtenu gain de cause en première instance de replaider sa cause. En l’absence d’une erreur de droit qui a déterminé l’issue de l’affaire, le rôle de la juridiction d’appel se résume à vérifier si les conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit trouvent raisonnablement leur ancrage dans la preuve[179].
Analyse
Position des appelants
- La justesse du cadre juridique à l’intérieur duquel la conduite de CP a été examinée par le juge est un thème qui est sous-jacent à toutes les questions relatives à la faute. Selon les appelants, le juge aurait défini ce cadre de façon trop étroite. Son analyse démontrerait qu’il s’est borné à se demander si CP s’était conformé à la loi et aux règlements applicables à l’industrie du transport ferroviaire, de même qu’aux usages et coutumes qui la gouvernent. Or, il lui aurait aussi fallu se demander si la conduite de CP correspondait à celle attendue d’une compagnie ferroviaire raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
- En restreignant ainsi son cadre d’analyse, le juge aurait fait fi des enseignements de la Cour suprême dans ses arrêts Vincent[180], Roberge[181] et Ryan[182] et de ceux de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Zsoldos[183], tous rendus en matière de transport ferroviaire à l’exception de l’arrêt Roberge qui l’a été dans le domaine de la responsabilité notariale. Les appelants en retiennent qu’une conduite peut être qualifiée de fautive même si elle ne s’écarte pas des normes de l’industrie ou des pratiques professionnelles en vigueur. Ils insistent pour dire que cette règle s’impose avec évidence lorsque l’auteur de la faute, comme c’est le cas de CP en l’espèce, a défini ou contribué à définir ces normes ou pratiques.
- Selon les appelants, ce cadre trop étroit aurait faussé l’analyse du juge sous l’angle de l’article 1457 C.c.Q. mais également celle qu’il fait des dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire[184] (« Loi sur la sécurité ») et du Règlement[185] sur lesquelles ils se sont notamment appuyés pour démontrer que la conduite de CP avait été fautive.
- Deux autres critiques sont formulées à l’endroit du cadre d’analyse adopté par le juge. Il aurait d’abord omis de tenir compte du devoir d’information comme source possible de responsabilité civile. Ensuite, il n’aurait pas accordé une importance suffisante à la partie de l’article 1457 C.c.Q. qui indique que la faute peut naître du défaut d’adopter la conduite qui est dictée par les circonstances particulières de l’espèce.
- Ainsi, l’analyse du juge quant à la faute serait entachée d’une erreur de droit viciant l’ensemble de son raisonnement.
Discussion
- L’énoncé que le juge fait des principes de la responsabilité civile extracontractuelle qui devaient le guider est sans reproche. Il explique que la question de la faute doit s’analyser principalement au regard de l’article 1457 C.c.Q. Il reconnaît ainsi que CP avait le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi s’imposaient à lui, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui[186]. Jamais n’affirme-t-il que l’industrie ferroviaire serait soumise à son propre régime de responsabilité civile à l’exclusion de celui relevant du droit commun. Il retrace d’ailleurs l’évolution de la jurisprudence à cet égard en se référant tout particulièrement aux arrêts Vincent et Ryan dont il cite de longs passages. Il en retient que la conduite d’une compagnie ferroviaire peut être jugée fautive même si elle n’est contraire à aucune loi ni aucun règlement et qu’elle est conforme aux usages de l’industrie[187].
- Les appelants concèdent que le juge a bien cerné les règles de droit applicables. Toutefois, c’est dans leur application qu’il aurait erré. Ainsi, après les avoir énoncées correctement, il les aurait évacuées de son analyse au profit des textes législatifs et réglementaires propres à l’industrie ferroviaire et des usages qui ont cours au sein de cette dernière. Certes, le juge y consacre une partie importante de son analyse. Cela dit, l’importance qu’il y accorde n’est que proportionnelle à la longueur de la preuve qu’il a entendue à leur propos. Son raisonnement demeure solidement ancré dans les principes généraux de la responsabilité civile. Les usages de l’industrie et les règles législatives et réglementaires qui la régissent ne sont que des éléments qu’il prend en considération pour l’aider à comparer la conduite de CP à celle qu’aurait eue un transporteur ferroviaire « raisonnable » en pareilles circonstances.
- Cela ressort, par exemple, de son examen de la conduite de CP en rapport avec la classification de la cargaison de pétrole brut :
[590] Le Tribunal se permet de réitérer que tout le processus de classification du pétrole brut nécessite un niveau d’expertise particulier ainsi que des analyses et des tests fondés sur un trop grand nombre d’éléments différents et fort complexes pour conclure qu’un transporteur raisonnable se doit d’être à l’affût de toutes les informations à ce sujet.
[591] De plus, le Tribunal ne peut se convaincre qu’un transporteur raisonnable doit s’assurer que tout ce processus de classification, qui s’effectue évidemment avant l’emballage du produit et sa remise au transporteur, doit être vérifié ou examiné par le transporteur en exigeant de l’expéditeur des preuves spécifiques relatives à son processus de classification.
[Caractères gras dans l’original; soulignement ajouté]
- De même, en examinant l’obligation de CP de procéder à une évaluation des risques, le juge reconnaît qu’une compagnie ferroviaire peut se conformer à ses obligations légales et aux usages de l’industrie tout en ayant le devoir d’agir. Au paragraphe 418, il explique :
[418] Certes, en présence d’une situation claire et évidente concernant la présence d’un risque imminent et sérieux, aucun transporteur ne peut demeurer passif et il est normal en de telles circonstances que l’on considère qu’il doive alors dénoncer de telles situations. Toutefois, cela ne va pas jusqu’à exiger, comme le prétendent les parties demanderesses, qu’un transporteur doive procéder à des analyses de risques hors réseau et surtout pas lorsque les opérations qu’il envisage ne sont pas des changements significatifs en ce qui concerne ses propres opérations, mais aussi, à première vue, en ce qui concerne celles du transporteur de liaison.
- Il en vient à une conclusion semblable lorsqu’il se demande dans quelle mesure un transporteur ferroviaire serait tenu d’intervenir dans les opérations d’un transporteur de liaison pour s’assurer que ce dernier respecte les normes de sûreté et de sécurité. Il estime qu’en certaines circonstances, le devoir d’agir raisonnablement lui dicterait d’intervenir même si aucune règle ne le prévoit et que les usages de l’industrie ne l’exigent pas :
[654] Certes, dans des cas flagrants ou en présence d’indices non équivoques ou informé de situations en soi certainement dangereuses, quelque transporteur que ce soit, placé dans une telle situation, peut avoir une certaine obligation d’intervenir.
- Le juge s’est d’ailleurs demandé si la connaissance que CP avait des façons de faire de MMA aurait pu faire naître chez lui le devoir d’intervenir dans ses opérations :
[672] Ce qu’il s’agit ainsi de déterminer concerne la connaissance par le CP de ces agissements reprochés à MMA ou à ses employés et d’évaluer, en fonction de toutes les circonstances, si le CP agit avec négligence en n’intervenant pas.
- Ce faisant, il applique le cadre d’analyse de l’article 1457 C.c.Q.
- La démarche du juge confirme qu’il s’est bien guidé en droit. Le fait qu’il ne conclue pas chaque section de son analyse en écrivant explicitement que CP n’a pas commis de faute parce que sa conduite était celle qu’aurait eue une compagnie ferroviaire raisonnable placée dans des circonstances semblables ne signifie pas que les règles de la responsabilité civile ont été occultées. Au contraire, elles apparaissent en filigrane tout au long de son analyse de la faute.
- Ce premier moyen d’appel doit donc échouer.
2. Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’était pas tenu de procéder à une évaluation des risques?
Position des appelants
- Les appelants soutiennent que le juge a commis une erreur en concluant que CP n’était pas tenu de procéder à une évaluation des risques qui aurait tenu compte du fait qu’il ferait appel à MMA à titre de transporteur de liaison.
- Selon eux, le transport du pétrole brut provenant de la région de Bakken impliquait que CP apporte d’importants changements à ses opérations en raison des caractéristiques particulières d’un tel produit. L’article 2 du Règlement[188], ainsi que son devoir d’agir raisonnablement, lui dictaient alors de procéder à une évaluation des risques qui lui aurait permis de les déterminer et de les mitiger. Pour en convaincre, les appelants dressent le tableau suivant :
- le transport de pétrole brut par « trains unitaires » au moyen d’un CFIL ou d’un transporteur régional comme MMA était une pratique nouvelle;
- la route choisie par CP était elle aussi nouvelle et traversait des centres urbains;
- bien que CP et MMA aient tous les deux déjà transporté des marchandises dangereuses, le pétrole brut de la région de Bakken était un produit nouveau et aux propriétés méconnues que CP n’avait jamais transporté et encore moins, en grande quantité;
- contrairement à ce que le juge affirme, les évaluations des risques ne sont pas rares; d’ailleurs, CP en effectue quotidiennement;
- en l’espèce, CP avait d’ailleurs commencé à effectuer une évaluation des risques sans toutefois la terminer, ce que le juge a passé sous silence;
- le défaut de CP de procéder à une évaluation des risques contredit la façon dont il s’est dépeint devant le Sénat canadien en mars 2013, alors que ses représentants avaient fait valoir que la sécurité était pour lui une préoccupation de premier plan et qu’il entendait d’ailleurs soumettre ses infrastructures à des évaluations des risques;
- CP est membre de l’Association des chemins de fer du Canada, laquelle incite ses membres au partage d’informations;
- des évaluations des risques semblables à celles que les appelants reprochent à CP de ne pas avoir effectuées avaient déjà été faites et ainsi le juge aurait eu tort d’écarter le témoignage de Rick Evans qui allait dans le même sens.
- Toutes ces raisons auraient dû convaincre le juge que CP a été fautif en n’effectuant pas d’évaluation des risques qui aurait pris en considération les risques associés au transport d’un tel produit ainsi que la capacité de MMA d’y participer à titre de transporteur de liaison.
- Les appelants reprochent également au juge d’avoir conclu que, sauf circonstances exceptionnelles, une compagnie ferroviaire de classe 1 ne pouvait être tenue de procéder à une évaluation des risques qui englobe les opérations d’un transporteur de liaison. Le juge aurait ainsi fait une lecture trop étroite du Règlement et n’aurait pas tenu compte de l’article 3 de la Loi sur la sécurité qui fait de la collaboration entre les parties intéressées à un transport ferroviaire un moyen d’en assurer la sécurité.
- Du reste, l’évaluation des risques qui était requise de la part de CP n’aurait pas été complexe à réaliser. Il aurait suffi de questionner MMA sur la façon dont elle entendait prendre en charge la cargaison de pétrole brut. CP s’est plutôt contenté de fermer les yeux sur les pratiques de MMA.
Discussion
- Le Règlement impose aux compagnies de chemins de fer l’obligation d’élaborer et de mettre en œuvre un SGS. Cela suppose, au minimum, la mise en place d’un processus permettant de déterminer les enjeux de sécurité qui se présentent, notamment ceux qui résultent des « modifications d’importance apportées aux opérations ferroviaires », et d’évaluer les risques qui y sont associés[189].
- Le Règlement, tel qu’il existait au moment du déraillement, est plutôt laconique quant aux critères devant être pris en compte pour décider si une évaluation des risques est requise[190]. La question de savoir si une telle évaluation devait être réalisée en l’espèce repose en grande partie sur l’appréciation du caractère important ou non des changements opérationnels qui étaient requis pour effectuer le transport de la cargaison de pétrole brut depuis la région de Bakken, au Dakota du Nord, jusqu’au Nouveau‑Brunswick.
- Les appelants ont raison d’affirmer que le transport proposé était inédit, en ce qu’il n’avait jusqu’alors jamais été effectué exactement de la façon dont il avait été prévu de le faire. La nouveauté avait trait à la région d’origine du pétrole brut, aux quantités transportées et à la composition de la cargaison (« trains unitaires » au lieu de « trains manifestes »).
- Pour déterminer si les changements opérationnels requis pouvaient être qualifiés d’importants au sens du Règlement, le juge soupèse soigneusement chacun de ces éléments de nouveauté. Il retient que CP et MMA disposaient chacun de l’expérience requise dans le transport de marchandises dangereuses, tel le pétrole brut. Il conclut aussi que le transport de pétrole brut par « trains unitaires » n’était pas intrinsèquement plus dangereux que celui par « trains manifestes » et ne constituait pas une modification d’importance apportée aux opérations ferroviaires :
[399] La preuve ne révèle d’aucune façon qu’au début des années 2010, au moment où le transport par voie ferroviaire de pétrole brut subit une croissance très importante, les compagnies ferroviaires considèrent que l’utilisation de trains unitaires pour le transport de pétrole brut constitue un changement significatif dans leurs opérations ni même qu’il s’agit objectivement d’un tel changement.
[Soulignement ajouté]
- Le juge exprime également l’avis que l’augmentation du volume de pétrole brut transporté par voie ferroviaire en 2010 et les enjeux organisationnels qui en ont résulté, n’ont pas non plus entraîné de modifications d’importance dans les opérations ferroviaires de CP :
[404] Certes, ce nouveau marché nécessite la mise en œuvre d’un plus grand nombre de convois, la circulation plus fréquente de wagons-citernes sur les voies ferrées et impose aux compagnies ferroviaires, dont le CP et MMA, des enjeux organisationnels pour satisfaire la clientèle. Toutefois, eu égard à la législation alors en vigueur, aux règles et aux usages de l’industrie ferroviaire et même aux yeux des autorités réglementaires, cette augmentation du marché ne constitue pas alors un changement significatif nécessitant une analyse de risques au sens du Règlement SGS.
- De plus, le juge relève que Transports Canada (« TC »), dont la principale responsabilité est de veiller à la sécurité ferroviaire, n’a pas estimé être en présence de modifications d’importance[191].
- La conclusion du juge quant à l’absence de modifications d’importance repose sur son appréciation de la preuve, y compris celle émanant des experts. Pour convaincre la Cour d’intervenir, il ne suffit pas que les appelants expriment leur désaccord ou qu’ils démontrent qu’une autre conclusion aurait été possible, voire préférable. À charge de redite, leur fardeau est tout autre. Il leur faut démontrer que la conclusion du juge est le résultat d’une erreur manifeste et déterminante dans l’analyse qui l’a précédée. Or, les appelants échouent à la tâche. Ils ne parviennent pas à pointer une seule modification opérationnelle d’importance qui aurait échappé à l’attention du juge. Tel que la Cour l’a souligné précédemment, son rôle n’est pas de refaire le procès, mais simplement de s’assurer que les conclusions du juge qui sont attaquées trouvent raisonnablement leur ancrage dans la preuve administrée[192], comme c’est le cas en l’espèce. La déférence envers les conclusions de fait du juge est ici d’autant plus grande qu’elles font suite à un procès long et complexe[193].
- Cela dit, le juge ne se limite pas à décider si la quantité de pétrole brut et son transport par « trains unitaires » depuis la région de Bakken avaient entraîné des changements opérationnels d’importance du côté de CP. Il se pose aussi la question à savoir s’il était réaliste de s’attendre à ce qu’une compagnie ferroviaire effectue une évaluation des risques portant sur le réseau d’un transporteur de liaison. Il y répond par la négative[194]. Ainsi, même si le juge avait eu tort de conclure à l’absence de changements opérationnels d’importance, l’évaluation des risques que CP aurait été tenu de faire n’aurait porté que sur son propre réseau et non sur celui de MMA.
- Les appelants contestent toutefois le bien-fondé de cette autre conclusion. Ils plaident qu’elle résulte d’une lecture trop étroite de l’alinéa 2e) du Règlement. À leur avis, celui-ci doit s’interpréter à la lumière de l’article 3 de la Loi sur la sécurité et de son objectif qui est d’encourager « la collaboration et la participation des parties intéressées à l’amélioration de la sécurité et de la sûreté ferroviaires ». Partant, la disposition doit nécessairement avoir pour effet d’obliger un transporteur d’origine qui entend confier un tronçon de parcours à un transporteur de liaison avec lequel ses voies sont interconnectées à s’interroger sur la façon dont ce dernier exploite son réseau.
- La Cour n’est pas de cet avis.
- Rien dans le libellé de l’alinéa 2e) du Règlement, ou de toute autre disposition de celui-ci, ne soutient l’idée qu’une compagnie ferroviaire pourrait être tenue de procéder à une évaluation des risques au-delà de son propre réseau :
2. Toute compagnie de chemin de fer doit mettre en œuvre et conserver un système de gestion de la sécurité qui comporte au moins les composantes suivantes : | 2. A railway company shall implement and maintain a safety management system that includes, at a minimum, the following components: |
[…] | (…) |
e) un processus qui a pour objet : | (e) a process for |
(i) d’une part, de déterminer les problèmes et préoccupations en matière de sécurité, y compris ceux qui sont associés aux facteurs humains, aux tiers et aux modifications d’importance apportées aux opérations ferroviaires; | (i) identifying safety issues and concerns, including those associated with human factors, third-parties and significant changes to railway operations, and |
(ii) d’autre part, d’évaluer et de classer les risques au moyen d’une évaluation du risque; | (ii) evaluating and classifying risks by means of a risk assessment; |
- D’ailleurs, une interprétation contextuelle[195] du Règlement le confirme. Par exemple, il est prévu qu’une compagnie ferroviaire doit non seulement élaborer et mettre en œuvre un SGS qui comporte un processus d’évaluation des risques, mais également qu’il lui faut rendre compte de sa capacité à atteindre ses objectifs en matière de sécurité (alinéa 5(1)b)) et élaborer des stratégies de contrôle du risque (alinéa 4(1)g)). Il est difficile de voir comment l’on pourrait s’attendre d’une compagnie ferroviaire qu’elle contrôle les risques extérieurs à son propre réseau ou comment elle pourrait avoir l’obligation de rendre compte d’un SGS qui n’est pas le sien.
- Qui plus est, contrairement à ce que soutiennent les appelants, l’interprétation que fait le juge du Règlement est compatible avec les objectifs de la Loi sur la sécurité, notamment ceux énoncés à son article 3, reproduit ci‑dessous :
3. La présente loi vise à la réalisation des objectifs suivants : | 3. The objectives of this Act are to |
a) pourvoir à la sécurité et à la sûreté du public et du personnel dans le cadre de l’exploitation ferroviaire et à la protection des biens et de l’environnement, et en faire la promotion; | (a) promote and provide for the safety and security of the public and personnel, and the protection of property and the environment, in railway operations; |
b) encourager la collaboration et la participation des parties intéressées à l’amélioration de la sécurité et de la sûreté ferroviaires; | (b) encourage the collaboration and participation of interested parties in improving railway safety and security; |
c) reconnaître la responsabilité qui incombe aux compagnies d’établir, par leurs systèmes de gestion de la sécurité et autres moyens à leur disposition, qu’elles gèrent continuellement les risques en matière de sécurité; | (c) recognize the responsibility of companies to demonstrate, by using safety management systems and other means at their disposal, that they continuously manage risks related to safety matters; and |
d) favoriser la mise en place d’outils de réglementation modernes, flexibles et efficaces dans le but d’assurer l’amélioration continue de la sécurité et de la sûreté ferroviaires. | (d) facilitate a modern, flexible and efficient regulatory scheme that will ensure the continuing enhancement of railway safety and security. |
- Le fait que le Parlement encourage la collaboration et la participation des parties intéressées à l’amélioration de la sécurité et de la sûreté ferroviaires ne saurait signifier que les compagnies ferroviaires ont le devoir d’évaluer les risques extérieurs à leurs propres réseaux. À nouveau, une interprétation contextuelle de la Loi sur la sécurité le confirme. Ainsi, son sous-alinéa 47.1(1)a)(ii) indique que les SGS doivent prévoir des mesures correctives afin de répondre aux risques détectés. Les compagnies ferroviaires n’ayant aucun contrôle les unes sur les autres, elles ne sauraient, en toute logique, être tenues de mettre en œuvre de telles mesures correctives ailleurs que sur leur propre réseau.
- En outre, les appelants ne cernent aucune erreur révisable dans la conclusion du juge selon laquelle aucune coutume ni aucun usage dans l’industrie ferroviaire n’exigent qu’un transporteur évalue les risques liés aux opérations d’un autre transporteur :
[396] La preuve ne révèle d’aucune manière, malgré les affirmations faites par les experts, M. Reilly et M. Evans, qu’il existe une règle ou une pratique dans l’industrie ferroviaire de procéder à une analyse de risques avant d’effectuer le transport de pétrole brut et encore moins qu’une telle analyse se fasse sur des voies ferrées d’autres compagnies ferroviaires.
[Renvoi omis]
- Lorsqu’il tire cette conclusion, le juge rejette les opinions exprimées par les experts des appelants. Son appréciation de la valeur probante de leurs expertises commande déférence en appel, d’autant plus que des opinions contradictoires lui ont été présentées[196]. En outre, contrairement à ce que soutiennent les appelants, les pratiques de l’industrie recensées par les experts n’étaient pas uniquement celles de CP[197].
- Enfin, le juge se demande s’il est possible qu’une compagnie ferroviaire doive procéder à une évaluation des risques d’une autre compagnie ferroviaire, même si aucune loi ni aucun usage ne lui dictent de le faire. Au terme de sa réflexion, il conclut, au paragraphe 418 de ses motifs, que sauf en présence d’un risque sérieux et imminent, une compagnie ferroviaire n’a pas le devoir de dénoncer l’existence d’un risque extérieur à son réseau, et encore moins de procéder à une évaluation des risques liés aux opérations d’une autre compagnie ferroviaire. Pour fins de commodité, il y a lieu de reproduire à nouveau ce paragraphe :
[418] Certes, en présence d’une situation claire et évidente concernant la présence d’un risque imminent et sérieux, aucun transporteur ne peut demeurer passif et il est normal en de telles circonstances que l’on considère qu’il doive alors dénoncer de telles situations. Toutefois, cela ne va pas jusqu’à exiger, comme le prétendent les parties demanderesses, qu’un transporteur doive procéder à des analyses de risques hors réseau et surtout pas lorsque les opérations qu’il envisage ne sont pas des changements significatifs en ce qui concerne ses propres opérations, mais aussi, à première vue, en ce qui concerne celles du transporteur de liaison.
- Selon le juge, les compagnies ferroviaires n’ont pas les moyens, les ressources, ni même l’occasion d’effectuer des évaluations des risques qui porteraient sur le réseau ou les opérations d’un autre transporteur[198]. De fait, ajoute-t-il, l’industrie ferroviaire nord-américaine, en particulier celle au Canada, n’est ni structurée ni régie d’une manière qui le permettrait[199]. À cet égard, le juge est d’avis qu’aux fins d’interconnexion, un transporteur est en droit de se fier aux certificats de conformité délivrés par l’Office des transports du Canada (« OTC ») et aux inspections et vérifications effectuées par TC. Il n’est donc pas tenu de procéder à sa propre évaluation d’un réseau ferroviaire qui n’est pas le sien afin de vérifier s’il est sécuritaire d’y faire transiter de la marchandise[200].
- Cette conclusion du juge est amplement étayée par la preuve. La plupart des renseignements que TC peut obtenir sur les opérations et les protocoles de sécurité d’un transporteur, comme MMA, ne sont pas accessibles aux autres transporteurs[201]. En outre, contrairement à TC qui a le pouvoir de procéder à des inspections et à des vérifications portant sur la sécurité, un transporteur comme CP n’a pas le pouvoir de contraindre un autre transporteur à lui fournir des renseignements ou à lui donner accès à ses installations pour procéder à sa propre évaluation des risques[202]. La preuve permet au contraire de penser que les transporteurs, qu’ils soient de classe 1 comme CP ou régionaux comme MMA, considéreraient une telle demande de la part d’un autre transporteur comme inappropriée et déplacée[203]. Enfin, même si CP avait accès aux renseignements sur lesquels fonder une évaluation des risques liés aux opérations de MMA – et de celles de plus de 90 autres transporteurs régionaux ou CFIL avec lesquels ses voies sont interconnectées – il ne disposerait pas, à la différence de TC, des moyens légaux requis pour les contraindre à adopter les mesures correctives nécessaires telles l’envoi de lettres de non-conformité, la prise de décrets et la délivrance de directives en cas d’urgence ou le prononcé d’ordonnances[204].
- Les appelants avancent également que le juge semble avoir tenu pour acquis qu’une évaluation des risques était forcément un processus complexe et formel, alors qu’il pourrait s’agir d’une démarche aussi simple que de poser une série de questions pointues. Quelle que soit la forme qu’aurait pu prendre une évaluation des risques, les conclusions essentielles du juge demeurent les mêmes. Ni la loi, ni les usages de l’industrie, ni les circonstances propres à l’espèce ne commandaient que CP procède à une évaluation des risques et, en particulier, une évaluation portant sur les opérations de MMA. De plus, les appelants sont demeurés extrêmement vagues quant à la teneur de l’évaluation des risques qui aurait, selon eux, été requise et quant aux répercussions qu’une telle obligation entraînerait sur l’industrie ferroviaire en général.
- Enfin, comme le relève le juge, rien dans la preuve ne permet de croire qu’une telle évaluation aurait fait en sorte que MMA modifie ses façons de faire[205] ou encore que CP aurait appris l’existence du risque dont la matérialisation est à l’origine de la tragédie, soit celui qu’un employé de MMA, en l’occurrence Harding, fasse fi des règles élémentaires quant à la façon d’immobiliser un train :
[851] La preuve présentée par les parties demanderesses et les arguments par la suite soulevés en ce qui concerne l’absence, par le CP, d’un processus d’évaluation du risque avant de procéder au transport de pétrole brut de l’Ouest américain et canadien vers le Nouveau-Brunswick, ne permettent pas de conclure, de manière prépondérante, qu’une telle évaluation aurait permis au CP de connaître les pratiques opérationnelles spécifiques de MMA et d’être informé du risque que les employés de MMA ne respectent pas les règles fondamentales de sécurité quant à l’usage des freins à main.
- Par conséquent, même si les appelants avaient réussi à démontrer que le juge a erré en concluant que CP n’avait aucune obligation de procéder à une évaluation des risques portant sur MMA, une telle erreur ne serait pas déterminante.
3. Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’avait commis aucune faute en faisant appel à MMA à titre de transporteur de liaison?
- Les appelants abordent cette question sous deux volets :
- Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’était pas tenu de s’assurer que MMA était capable de prendre en charge de manière sûre et sécuritaire la cargaison de pétrole brut qu’il entendait lui confier?
- Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’avait aucune raison de douter de la capacité de MMA de prendre en charge la cargaison de pétrole brut de manière sûre et sécuritaire?
Position des appelants sur le premier volet
- Les appelants soutiennent que le juge a commis une erreur en ne reconnaissant pas que CP avait le devoir de s’assurer que MMA était capable de prendre en charge de manière sûre et sécuritaire la cargaison de pétrole brut qu’il entendait lui confier. Ils affirment qu’une telle obligation découle de l’article 114 de la Loi sur les transports au Canada (« Loi sur les transports »)[206]. Plus particulièrement, ils font valoir qu’en offrant un tarif d’entier parcours à WFS, CP a pris la responsabilité d’assurer une ligne de transport continue et sans obstacle du Dakota du Nord jusqu’au Nouveau‑Brunswick. Selon eux, cette responsabilité faisait en sorte que CP avait l’obligation de s’assurer que la cargaison serait prise en charge de manière sûre et sécuritaire sur l’ensemble du trajet, y compris sur les voies ferrées de MMA. À l’appui de leur position, ils invoquent l’article 5 de la Loi sur les transports et soulignent à ce titre l’importance qu’il accorde aux normes de sûreté et de sécurité.
- Les appelants font valoir qu’en sus de respecter les obligations lui incombant au titre de la Loi sur les transports, CP avait le devoir d’agir comme l’aurait fait une compagnie ferroviaire prudente et diligente. Or, le juge n’aurait pas reconnu cette possibilité considérant que son évaluation des risques aurait porté exclusivement sur la loi et l’usage. Selon les appelants, l’assujettissement des transporteurs comme CP à un tel devoir n’équivaudrait pas à leur imposer un fardeau excessif qui n’aurait pour seul résultat que de créer plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. En outre, ajoutent-ils, la responsabilité d’exiger de simples assurances en matière de sécurité et de sûreté de la part de transporteurs comme MMA n’appartient pas exclusivement à TC et à l’OTC, contrairement à ce qu’a conclu le juge.
- Les appelants font valoir que le refus du juge de reconnaître que les compagnies ferroviaires de classe 1 ont le devoir de formuler ne serait-ce que de simples demandes de renseignements pour veiller à la sûreté et la sécurité des opérations des transporteurs régionaux et CFIL auxquels elles font appel établit un précédent dangereux pour l’industrie ferroviaire et le public.
Discussion sur le premier volet
- L’article 114 de la Loi sur les transports que les appelants invoquent est libellé ainsi :
114. (1) Chaque compagnie de chemin de fer doit, dans le cadre de ses attributions, fournir aux personnes et compagnies les aménagements convenables pour la réception, le transport et la livraison de marchandises sur son chemin de fer et en provenance de celui-ci, pour le transfert des marchandises entre son chemin de fer et d’autres chemins de fer ainsi que pour le renvoi du matériel roulant. | 114. (1) A railway company shall, according to its powers, afford to all persons and other companies all adequate and suitable accommodation for receiving, carrying and delivering traffic on and from its railway, for the transfer of traffic between its railway and other railways and for the return of rolling stock. |
Trafic d’entier parcours | Through traffic |
(2) Pour l’application du paragraphe (1), les aménagements convenables comprennent des installations de réception, de transport et de livraison par la compagnie : | (2) For the purposes of subsection (1), adequate and suitable accommodation includes reasonable facilities for the receiving, carriage and delivery by the company |
a) à la demande d’une autre compagnie, de trafic d’entier parcours et, dans le cas de marchandises expédiées par wagons complets, du wagon et de son contenu à destination et en provenance du chemin de fer de cette autre compagnie, à un tarif d’entier parcours; | (a) at the request of any other company, of through traffic and, in the case of goods shipped by carload, of the car with the goods shipped in it, to and from the railway of the other company, at a through rate; and |
b) à la demande de tout intéressé au trafic d’entier parcours, de ce trafic à des tarifs d’entier parcours. | (b) at the request of any person interested in through traffic, of such traffic at through rates. |
Installations raisonnables | Connecting railway to reasonable facilities |
(3) Toute compagnie de chemin de fer possédant ou exploitant un chemin de fer qui, en se reliant à un autre chemin de fer, ou en le croisant, fait partie d’un parcours ininterrompu de chemin de fer, ou qui possède une tête de ligne, une gare ou un quai à proximité d’une tête de ligne, d’une gare ou d’un quai d’un autre chemin de fer, doit accorder toutes les installations raisonnables et voulues pour livrer à cet autre chemin de fer, ou pour en recevoir et expédier par sa propre voie, tout le trafic venant par cet autre chemin de fer, sans retard déraisonnable, et elle doit faire en sorte que le public désirant se servir de ces chemins de fer comme voie ininterrompue de communication n’y trouve pas d’obstacles à la circulation et puisse ainsi s’en servir en bénéficiant à tout moment de toutes les installations raisonnables de transport par les chemins de fer de ces diverses compagnies. | (3) Every railway company that has or operates a railway forming part of a continuous line of railway with or that intersects any other railway, or that has any terminus, station or wharf near to any terminus, station or wharf of another railway, shall afford all reasonable facilities for delivering to that other railway, or for receiving from or carrying by its railway, all the traffic arriving by that other railway without any unreasonable delay, so that (a) no obstruction is offered to the public desirous of using those railways as a continuous line of communication; and (b) all reasonable accommodation, by means of the railways of those companies, is at all times afforded to the public for that purpose. |
[…] | (…) |
- Le juge estime que cet article n’appuie pas les prétentions des appelants[207].
- La Cour est du même avis.
- L’article 114 a pour but d’obliger les compagnies ferroviaires à se donner mutuellement accès à leurs réseaux respectifs. Il ne leur impose pas, même à celles qui offrent un tarif d’entier parcours, l’obligation de vérifier ou de s’assurer que le transporteur de liaison avec lequel elles souhaitent faire affaire sera en mesure de transporter la cargaison qui lui sera confiée de manière sûre et sécuritaire.
- CP a raison de dire que l’interprétation que les appelants font de l’article 114 de la Loi sur les transports est contraire à sa raison d’être qui est de permettre à une compagnie ferroviaire d’utiliser le réseau d’une autre et non de l’en empêcher. Il vaut la peine de souligner que c’est de cette disposition dont MMA s’est prévalue pour convaincre l’OTC d’ordonner à CP de lever l’embargo qu’il lui avait imposé après le déraillement[208].
- Même interprété en fonction des considérations de sécurité et de sûreté que l’on retrouve ailleurs dans la Loi sur les transports, le libellé de l’article 114 n’appuie pas la position des appelants.
- La Cour estime donc que l’interprétation du juge n’est entachée d’aucune erreur.
- Le juge retient également que la preuve ne lui a pas été faite d’un usage ou d’une pratique qui imposerait au transporteur d’origine, appelé à fournir un tarif d’entier parcours, de s’assurer que tous les transporteurs de liaison auxquels il devra faire appel seront en mesure de transporter la cargaison de manière sûre et sécuritaire. À nouveau, la preuve d’expert offerte par les appelants ne l’a pas convaincu, ces experts n’ayant pu fournir ne serait-ce qu’un seul exemple d’un transporteur d’origine qui aurait pris à sa charge une telle responsabilité[209]. De fait, aucun autre témoin, y compris ceux de MMA, n’a reconnu l’existence d’une telle pratique dans l’industrie :
[660] D’ailleurs, outre le témoignage peu convaincant des experts Reilly et Richard sur ce sujet, lesquels ne réfèrent pas non plus dans leurs rapports à des cas précis ou à des exemples spécifiques, aucun témoin ou représentant d’autres transporteurs ferroviaires n’a fait de telles affirmations dans le cadre de la preuve. Au contraire, même les représentants de MMA reconnaissent que cette manière de fonctionner n’existe pas et n’est d’aucune façon mise en application.
[Renvois omis]
- Comme mentionné plus haut, l’appréciation par le juge de la valeur probante des expertises commande la déférence en appel[210].
- Enfin, contrairement à ce qu’affirment les appelants, et tel que la Cour l’a déjà noté, le juge n’a pas négligé d’examiner si le transporteur d’origine avait des obligations, en plus de celles lui incombant par l’effet de la loi ou de l’usage, de vérifier si le transporteur de liaison avait la capacité de prendre en charge la cargaison de manière sécuritaire. Il reconnaît qu’un transporteur peut avoir le devoir d’intervenir, mais uniquement dans les cas flagrants, soit lorsqu’il est en présence de signes non équivoques ou lorsqu’il est informé d’une situation manifestement dangereuse en elle‑même[211]. Cela étant dit, comme pour le devoir de procéder à une évaluation des risques, le juge a déterminé que les compagnies ferroviaires n’avaient ni la capacité ni les outils nécessaires pour obtenir des renseignements sur les pratiques opérationnelles des transporteurs avec lesquels leurs voies sont interconnectées[212]. Selon lui, la responsabilité de s’assurer que les compagnies ferroviaires respectent les règles et règlements, en particulier en matière de sécurité, incombe à TC[213]. Il ajoute que si TC avait peine à remplir son mandat, ce que la preuve semble confirmer[214], on peut se demander comment CP, qui ne dispose pas des mêmes outils et pouvoirs, aurait pu faire mieux.
- Les appelants n’ont fait la démonstration d’aucune erreur dans ce raisonnement du juge et dans son analyse de la preuve, que la Cour fait siens.
Position des appelants sur le second volet
- Le juge se demande ensuite si CP avait des raisons de douter de la capacité de MMA de prendre en charge la cargaison de pétrole brut de manière sûre et sécuritaire et, le cas échéant, s’il aurait eu l’obligation d’intervenir.
- Il conclut que CP n’avait aucune raison de douter, et donc aucune obligation d’intervenir. Toutefois, et quitte à le répéter, il reconnaît qu’en présence de signes flagrants de danger, il aurait eu une telle obligation[215]. Or, selon les appelants, CP avait connaissance d’indices probants de danger qui auraient dû le faire réagir. Le juge aurait donc commis une erreur de fait manifeste et déterminante en concluant que CP n’était pas au courant des pratiques négligentes de MMA en matière de sécurité et, plus généralement, de ses lacunes opérationnelles.
- Les appelants enchaînent en pointant du doigt des éléments de preuve clés dont le juge aurait fait abstraction et qui démontraient pourtant que CP avait connaissance des pratiques dangereuses de MMA. Il s’agit en particulier des appels quotidiens qui ont eu lieu entre MMA, CP, WFS et Irving pour discuter de la progression du convoi. Les appelants avancent qu’il ressortait clairement de ces appels que CP savait ou aurait dû savoir que MMA laissait les trains qui lui étaient confiés sans surveillance en haut d’une pente abrupte à l’orée de Lac-Mégantic. En outre, les appelants soutiennent que CP connaissait le danger que représentait une telle pratique. Cela est, selon eux, d’autant plus vrai à la lumière de la preuve selon laquelle les freins à main sont fondamentalement peu fiables et que le recours aux freins à air pour immobiliser un train, ce que Harding a fait, bien qu’il s’agisse d’une méthode dangereuse, était néanmoins répandu dans l’industrie. Un autre élément qui aurait échappé à l’attention du juge serait la connaissance de CP que le train était conduit en mode SPTO entre Farnham et Lac-Mégantic, alors que CP interdisait lui-même une telle pratique sur son propre réseau.
- Les appelants soutiennent également que le juge n’a pas tenu compte ou, du moins, n’a pas mesuré l’implication de la précarité financière de MMA sur l’entretien de ses équipements et de ses voies ferrées. Pourtant, celle-ci était source d’inquiétude. Selon eux, CP avait connaissance du piteux état des voies ferrées et des locomotives de MMA et du relief terrestre aux alentours de Lac-Mégantic, lequel rendait nécessaire une adhésion stricte aux règles de sécurité en matière d’immobilisation des convois ferroviaires. Voilà autant de raisons qui auraient dû inciter CP à s’intéresser davantage aux pratiques de MMA en matière de sécurité et à intervenir auprès d’elle pour que les pratiques lacunaires soient corrigées.
- De l’avis des appelants, la preuve des nombreuses lacunes de MMA en matière de sûreté et de sécurité était à ce point flagrante que le juge aurait dû imputer à CP une faute d’omission. Son défaut de le faire constituerait une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve.
- Les appelants ajoutent que le juge a omis d’analyser le devoir d’information de CP comme source de responsabilité. Ils soutiennent que CP avait le devoir d’aviser WFS, Irving et TC des enjeux de MMA en matière de sûreté et de sécurité dont il connaissait l’existence.
Discussion sur le second volet
- Pour obtenir gain de cause sur ce moyen d’appel, les appelants doivent démontrer que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante. Tel que la Cour l’a déjà fait remarquer, il ne suffit pas pour les appelants de démontrer que le juge aurait pu parvenir à une conclusion différente. La véritable question que doit trancher la Cour est plutôt celle de savoir si la conclusion du juge était raisonnablement étayée par la preuve.
- L’on doit aussi garder à l’esprit qu’un juge n’est pas tenu de commenter chaque élément de la preuve dans son jugement[216].
- Comme il l’a fait pour pratiquement tous les autres volets du jugement entrepris, le juge a soigneusement apprécié et analysé la preuve sur cette question avant de tirer ses propres conclusions. Les appelants échouent à nouveau à démontrer que son analyse serait entachée d’une erreur, déterminante ou non.
- Pour évaluer si CP avait l’obligation d’intervenir, le juge cherche d’abord à établir ce que CP connaissait, avant le déraillement, de la façon dont MMA exerçait ses opérations ferroviaires et de son adhésion aux règles de sûreté et de sécurité.
- Le juge constate qu’au moment des événements en litige, MMA semblait être une compagnie crédible et fiable dirigée par des cadres compétents et soutenue par des investisseurs sérieux, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec[217]. Il retient également que MMA détenait les certificats l’autorisant à exercer ses activités tant aux États-Unis qu’au Canada, ses activités canadiennes étant sous la surveillance et l’autorité de TC et de l’OTC[218]. Enfin, le juge relève que MMA exerçait ses activités depuis une dizaine d’années et avait, au cours de cette période, régulièrement transporté tous types de marchandises, notamment des marchandises dangereuses, pour le compte de CP, de CN et d’autres compagnies ferroviaires de classe 1[219]. Il écrit :
[681] De plus, le CP, à moins d’indications claires, d’indices évidents ou de constatations spécifiques, est en droit de considérer et de s’attendre que les dirigeants de MMA et aussi ses cheminots ont les connaissances appropriées pour exercer leurs fonctions, qu’ils sont suffisamment formés, qu’ils sont adéquatement supervisés et que dans l’ensemble, ils respectent les normes de sécurité, particulièrement celles fondamentales pour les opérations quotidiennes, telles l’immobilisation et la sécurisation adéquate de quelque convoi que ce soit et particulièrement lorsqu’il s’agit de matières considérées dangereuses en raison de la législation et de la réglementation sur le sujet.
- Ainsi, le juge conclut que, sauf indication claire du contraire, CP était en droit de considérer MMA comme une compagnie compétente qui connaissait les normes de l’industrie ferroviaire et s’y conformait. Les appelants ne démontrent pas que cette conclusion est entachée d’une erreur manifeste et déterminante. Au contraire, elle est étayée par la preuve.
- Le juge poursuit en examinant la prétention des appelants selon laquelle CP aurait appris, durant les appels quotidiens qu’il avait avec Irving, WFS et MMA, que cette dernière stationnait ses trains en haut d’une pente abrupte près de Lac-Mégantic et les y laissait sans surveillance pendant la nuit. Or, le juge conclut que la preuve ne permet pas de tirer pareille conclusion :
[692] La preuve ne révèle toutefois nullement que, dans le cadre de ces conférences quasi journalières, l’on discute de processus opérationnels ni de mesures de sécurité spécifiques. Il est plutôt essentiellement question d’endroits où se trouvent les convois, d’horaires, d’ajustements en vue d’interconnexions et de délais.
- Les appelants prétendent que le juge a commis une erreur en tirant cette conclusion. Ils s’appuient à cet égard sur le témoignage de Paul Budge, de MMA, qui a déclaré que des enjeux de sécurité ont fait l’objet de discussions lors de ces appels. Cet argument ne convainc pas. Il en est ainsi puisque la conclusion du juge est étayée par le témoignage de plusieurs autres témoins[220]. Au mieux, les appelants établissent qu’il existait une preuve contradictoire sur cette question, mais cela ne constitue pas pour autant une erreur manifeste et déterminante.
- En somme, le juge estime donc que le comportement de CP est celui qu’une compagnie ferroviaire prudente aurait eu dans les mêmes circonstances puisque rien ne lui permet de douter de la capacité de MMA à transporter du pétrole brut de manière sûre et sécuritaire. Certes, le juge ne se prononce pas expressément sur la question de savoir si CP aurait dû questionner les représentants de MMA sur ses façons de faire pour s’assurer de sa compétence. En revanche, la réponse à cette question se déduit de sa conclusion selon laquelle le comportement de CP est celui d’une personne prudente et diligente.
- Quoi qu’il en soit, même si le juge avait erré en concluant que CP ignorait la manière dont MMA stationnait ses trains à l’approche de Lac-Mégantic, une telle erreur ne serait pas déterminante. Le juge retient de la preuve que bien que cette pratique ne soit pas idéale, tout particulièrement la nuit et, de surcroît, sur une voie en pente, elle n’est pas pour autant dangereuse pourvu que les règles applicables à l’immobilisation du train soient respectées[221]. Dans son rapport, Gary Wolf, un expert cité par CP, écrit ce qui suit :
83. The gradient at Nantes is -0.92% eastbound. A heavy grade is defined as greater than +/-1.0%. Although the gradient at Nantes is “steep”, gradients of +/-2.20% and greater are common in North America. All railways will park trains from time to time on significant grades due to operational needs and constraints. This has been occurring for over 150 years. Proper application of train securement rules, such as CROR 112 and MMA rules, enable a train to be safely parked on downhill grades such as at Nantes. I do not agree that parking a train overnight on a steep incline on a main track is an unsafe practice, provided that train securement rules are followed.[222]
[Soulignement ajouté]
- Malheureusement, Harding a fait fi de ces règles de sécurité. Il n’a ni appliqué un nombre suffisant de freins à main pour sécuriser le train ni procédé au test obligatoire afin de s’assurer que celui-ci avait correctement été immobilisé. Il s’est plutôt fié aux freins à air et il n’est pas retourné sur place, même après avoir appris que le moteur de la locomotive alimentant ces freins avait été éteint[223]. C’est ce non-respect par Harding des règles élémentaires de sécurité, et non le fait de stationner le train de nuit dans une pente, qui est la source de la tragédie.
- Qui plus est, comme le note le juge, rien dans la preuve n’indique que CP aurait pu s’attendre à ce qu’un employé de MMA néglige de respecter des règles de sûreté et de sécurité aussi élémentaires[224] ou que CP connaissait la piètre culture d’entreprise de MMA en matière de sécurité[225]. De même, le constat du juge selon lequel les locomotives et les voies ferrées de MMA n’étaient ni les plus neuves ni les meilleures ne signifiait pas qu’elle serait incapable de respecter ses obligations envers ses clients et les organismes de réglementation[226]. À cet égard, le juge souligne que même les organismes de réglementation, dont le rôle était de superviser et de contrôler les opérations de MMA, n’ont pas jugé nécessaire de suspendre ses activités[227].
- Enfin, les appelants soutiennent que le juge a omis de prendre en considération le devoir d’information de CP en tant que source de responsabilité distincte. Ils prétendent que CP avait le devoir d’aviser WFS, Irving et TC des lacunes de MMA en matière de sûreté et de sécurité et que le juge a erré en ne concluant pas que CP y avait dérogé.
- Pour démontrer que CP avait un devoir d’information dans les circonstances, les appelants doivent satisfaire aux critères établis par la jurisprudence que notre Cour, citant Baudouin, Jobin et Vézina dans Les obligations, a formulée en ces termes dans Daimler Canada ltée :
1- L’information doit être déterminante dans le sens où elle aurait joué un rôle certain dans la décision d’une partie;
2- L’information doit être connue ou présumée connue du débiteur de l’obligation d’information;
3- Le créancier de l’information ne doit pas connaître l’information ni être capable de se la procurer ou il doit entretenir à l’égard du débiteur de l’obligation un lien de confiance tel qu’il s’attend à ce que ce dernier lui révèle l’information;
4- L’obligation de renseignement ne s’étend pas aux informations auxquelles le créancier de cette obligation pouvait accéder avec « une prudence et une diligence raisonnable : c’est l’obligation de se renseigner. »[228]
- Les appelants n’ayant pas réussi à démontrer que l’information en question était connue ou présumée connue de CP, ils ne satisfont pas à l’aspect le plus élémentaire de ces critères. En tout état de cause, ils échouent à établir que les renseignements dont disposait CP n’étaient pas déjà connus des autres parties. À cet égard, il importe de souligner qu’Irving et WFS, qui participaient toutes deux aux appels quotidiens portant sur la progression du convoi, entretenaient des relations d’affaires avec MMA qui étaient indépendantes de celles entre MMA et CP. En outre, il est évident que TC disposait de bien plus d’informations que CP sur les antécédents de MMA en matière de sûreté et de sécurité. Enfin, les appelants n’ont pas réussi à démontrer que si CP avait transmis l’information en sa possession aux autres parties, celle-ci aurait joué un rôle déterminant dans leur prise de décision.
4. Le juge a-t-il erré en concluant que CP n’avait commis aucune faute en ne requérant pas de WFS qu’elle procède à une nouvelle classification de la cargaison de pétrole brut?
- Tout comme pour la question précédente, les appelants abordent cette quatrième question sous deux volets, d’abord celui de l’erreur de droit et ensuite, de l’erreur de fait ou mixte de fait et de droit.
L’erreur de droit
- Il est connu que le pétrole brut est un liquide inflammable. Son transport est régi par la législation sur les marchandises dangereuses[229]. Comme la Cour l’a déjà souligné, la classification qui lui est attribuée en vue de son transport est fonction de son degré de dangerosité[230].
- Il n’est pas contesté que le pétrole brut qui est ici en cause a été erronément classifié dans le groupe PG-III, alors qu’il aurait dû être désigné PG-I ou PG-II. Les appelants soutiennent que CP avait le devoir de détecter cette erreur et de faire en sorte qu’elle soit corrigée. La conclusion contraire du juge serait erronée.
- Le juge examine cette question aux paragraphes 506 à 592 du jugement entrepris. D’abord, il définit le cadre législatif et réglementaire applicable au transport de marchandises dangereuses par voie ferroviaire au Canada et aux États-Unis et fait un exposé de la preuve qu’il a entendue sur l’usage et la coutume. Il explique que, bien que le déraillement soit survenu au Canada, il est pertinent de jeter un coup d’œil aux règles applicables aux États-Unis puisqu’il s’agit du point d’origine du convoi. Au demeurant et tel que toutes les parties en conviennent, ces règles sont semblables dans un pays comme dans l’autre.
- Sous le régime que les parties désignent sous le vocable américain de l’« Offeror Rule », il appartient à l’expéditeur, en l’espèce WFS, de classifier le pétrole brut parmi les trois groupes d’emballage mentionnés ci-dessus. Le transporteur d’origine et le transporteur de liaison sont autorisés, hormis exception, à se fier à cette classification[231].
- La question que soulèvent les appelants est celle de savoir si CP aurait dû, en raison des circonstances propres à la présente affaire, refuser de transporter le pétrole brut en question ou exiger de WFS qu’elle vérifie la classification qu’elle avait faite. Les appelants soutiennent que le juge a retenu une interprétation trop étroite de l’Offeror Rule. Il aurait erré en concluant que l’obligation du transporteur sous le régime de l’Offeror Rule se limite à comparer visuellement les renseignements relatifs au groupe d’emballage qui apparaissent sur le connaissement à ceux qui figurent sur les placards apposés sur les wagons-citernes pour vérifier s’ils correspondent. Qui plus est, selon les appelants, le juge a mal saisi leurs arguments à l’égard de l’Offeror Rule, croyant que leur position était que CP avait le devoir de procéder à des tests sur le pétrole brut pour déterminer s’il avait été bien classifié. Il aurait ensuite axé une grande partie de son analyse sur l’incapacité de CP à procéder à de tels tests, plutôt que sur la question de savoir si CP aurait dû réagir au vu des indices probants portés à son attention, lesquels lui permettaient prétendument de suspecter une erreur de classification.
Discussion sur l’argument de l’erreur de droit
- La Cour est d’avis que le juge n’a commis aucune erreur de droit en définissant comme il l’a fait l’étendue des obligations de CP aux termes de l’Offeror Rule. Elle estime d’ailleurs que certains passages de son analyse lui ont été cités par les appelants hors de leur contexte. Contrairement à ce que les appelants avancent, le juge n’a pas indiqué que l’obligation d’un transporteur en présence d’une possible erreur de classification se limitait à faire une comparaison visuelle entre le connaissement et les placards apposés sur les wagons-citernes pour y découvrir une possible discordance. S’il donne un tel exemple, ce n’est que pour décrire un cas évident où un transporteur ne pourrait demeurer inactif[232]. De toute façon, ce n’est de toute évidence pas dans cette optique que le juge aborde cette problématique. S’il est vrai qu’il écrit que l’on ne peut s’attendre à ce qu’un transporteur ferroviaire remette en question le processus d’extraction, le traitement et la classification du pétrole brut, il reste que tel n’est pas le pilier central de son analyse[233].
- Bien que les appelants se livrent à un exercice comparatif soutenu des règles américaines et canadiennes en matière de classification, il demeure que la conclusion qu’ils en tirent est pratiquement identique à celle du juge :
[585] Le transporteur, en règle générale, peut se fier aux informations fournies par l’expéditeur de matières dangereuses ou un transporteur antérieur, à moins qu’il connaisse ou qu’une personne raisonnable agissant dans les mêmes circonstances et exerçant une diligence raisonnable aurait dû connaître cette mauvaise classification ou, à tout le moins, aurait dû suspecter raisonnablement qu’elle est incorrecte.
- Dans la mesure où la thèse des appelants quant aux obligations du transporteur en cas de mauvaise classification diffère réellement de celle exposée par le juge, ce qui du reste est loin d’être évident, l’on constate que le seuil fixé par le juge (à savoir « suspecter raisonnablement ») est au moins aussi bas que celui qu’ils proposent. De plus, et surtout, son analyse ne se limite pas aux dispositions de la loi comme ils le prétendent. En effet, le juge se demande si CP a agi de manière raisonnable, ce qui démontre, à nouveau, que l’article 1457 C.c.Q est demeuré au centre de ses préoccupations.
- Par conséquent, les appelants n’ont pas réussi à démontrer que le juge a commis une erreur de droit en énonçant comme il l’a fait les obligations de CP en matière de classification.
L’erreur de fait ou mixte de fait et de droit
- Les appelants soutiennent que CP avait plusieurs raisons de douter de la justesse de la classification du pétrole brut faite par WFS et que son défaut d’en avoir informé MMA constitue une faute. Selon eux, les faits qui le démontrent sont si accablants que le refus du juge de reconnaître la faute de CP constitue une erreur manifeste et déterminante. Les faits en question, qu’ils qualifient de « drapeaux rouges », sont les suivants :
- les documents internes de CP classifiaient le pétrole brut de Bakken dans les groupes d’emballage PG-I ou PG-II, mais jamais PG-III[234];
- l’information dont disposait CP indiquant que le pétrole brut provenait de la région de Bakken était incompatible avec le groupe PG-III;
- la connaissance qu’avait CP du fait que du pétrole brut en provenance de divers puits de la région de Bakken était mélangé à New Town rendait peu probable une classification dans le groupe PG-III;
- il est bien connu dans l’industrie que le pétrole brut léger, comme celui produit dans la région de Bakken, est volatile et hautement inflammable, ce qui était du reste à la connaissance de CP qui avait d’ailleurs mené des recherches pour en comprendre les propriétés;
- CP avait en sa possession des fiches techniques sur la sécurité des substances (« FTSS ») ainsi que des courriels internes qui indiquaient que le pétrole brut de Bakken ne faisait pas partie du groupe PG-III;
- CP savait que le groupe d’emballage du pétrole brut provenant de Bakken était le même que celui de l’éthanol, soit PG-I ou PG-II;
- presque tous les camions ayant servi au transport du pétrole brut jusqu’au train à New Town avaient un connaissement indiquant la catégorie PG-II. De fait, Eli Jasso (« Jasso ») de SST a témoigné en ce sens et le juge a eu tort de rejeter son témoignage;
- les FTSS qui pouvaient être consultées à New Town confirmaient que le groupe d’emballage du pétrole brut de Bakken était PG-I ou PG-II et il suffisait à CP de demander d’y avoir accès pour en prendre connaissance;
- CP n’a pas donné suite à la demande faite par Jasso pour que la désignation du groupe d’emballage du pétrole brut soit modifiée;
- le pétrole brut de Bakken provenant d’autres expéditeurs que WFS était classifié PG-I ou PG-II.
- Les appelants concluent que CP a induit MMA en erreur concernant la nature dangereuse du pétrole brut en question et a ainsi manqué à son obligation d’information.
Discussion sur l’argument de l’erreur de fait ou mixte de fait et de droit
- Pour obtenir gain de cause sur ce moyen d’appel, les appelants doivent démontrer l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans l’analyse du juge. Certes, les appelants recensent une longue liste d’indices qui auraient dû, selon eux, faire réagir CP. Toutefois, il ne leur suffit pas de démontrer que le juge disposait d’éléments de preuve en assez grand nombre pour étayer une conclusion différente[235]. La Cour rappelle que les appelants ont le fardeau de démontrer que la conclusion à laquelle le juge est parvenu comportait une erreur manifeste et déterminante, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire.
- Le juge se penche sur chacun des éléments de preuve que les appelants qualifient de « drapeaux rouges »[236]. À l’égard de certains, il explique en quoi ils ne constituent pas des indicateurs probants d’une bonne ou d’une mauvaise classification. Par exemple, il note que les FTSS – qui sont préparées à des fins de sécurité au travail et ne font pas partie des documents d’expédition – ne sont pas fiables quant à la classification, car elles sont établies d’une manière générale et souvent par type de produits[237]. À cet égard, il est important d’ajouter qu’aucune FTSS portant spécifiquement sur la cargaison de pétrole brut contenue dans le train qui a déraillé n’a été produite en preuve. Quant aux connaissements de camionnage auxquels les appelants font référence, il ne s’agit pas non plus de documents d’expédition. Le juge en retient que bien que certains d’entre eux portaient la mention PG-I ou PG-II, beaucoup d’autres indiquaient une classification PG-III, ce qui atteste de la difficulté pour des profanes d’intervenir dans le processus de classification[238]. Enfin, le juge analyse le témoignage de Jasso en détail et, pour l’essentiel, le rejette, soulignant qu’une grande partie de sa version des faits est contradictoire et incompatible avec la preuve[239]. En tout état de cause, il constate que Jasso, rassuré par les déclarations de WFS, a finalement certifié la classification PG-III indiquée sur le connaissement du pétrole brut[240].
- Le juge a consacré la majeure partie de son analyse à la façon dont CP a traité et compris l’information en sa possession. À cet égard, les appelants mettent l’accent sur la connaissance qu’avaient certains préposés de CP, y compris ceux relevant de son service des marchandises dangereuses, de la volatilité du pétrole brut de la région de Bakken et de nombreux faits qui suggéraient fortement que le pétrole brut qui lui avait été confié avait été mal classifié. Pourtant, cette information n’a pas été relayée à ceux qui en auraient compris l’importance. Cela fait dire aux appelants que CP avait tout en main pour remettre en question la classification PG-III faite par WFS. Partant, le juge aurait dû tenir CP responsable de cette classification erronée. Il lui a plutôt permis de tirer profit d’une structure qui ne favorise pas l’échange d’information et du fait qu’il n’avait confié à personne ni à aucun service la responsabilité de contrôler la classification des produits dangereux qu’il était appelé à transporter.
- La Cour ne partage pas cet avis.
- Le juge reconnaît que plusieurs préposés de CP au sein de ses différents services ont recueilli des renseignements pertinents sur la classification du pétrole brut de la région de Bakken. Il constate également que, pour un expert, de tels renseignements auraient pu donner à penser que le pétrole brut avait été mal classifié[241].
- Toutefois, de l’avis du juge, les personnes qui ont recueilli ces renseignements ne possédaient pas l’expertise nécessaire pour se prononcer sur le caractère correct ou non de la classification du pétrole brut qui est en cause. Les fonctions qu’elles exerçaient au sein de CP ne supposaient pas qu’elles soient capables de déterminer les cas où une vérification de la classification effectuée serait nécessaire, hormis ceux où une erreur était apparente. Le juge a analysé avec soin non seulement les renseignements en possession des divers représentants de CP, mais, de façon plus importante, le contexte dans lequel ils les détenaient[242].
- Le juge rejette également l’argument de la structure communicationnelle déficiente pour des motifs qui sont solidement étayés par la preuve. Il relève que personne à l’emploi de CP n’est chargé de vérifier ou de valider la classification des marchandises dangereuses transportées; la situation qui prévaut au sein de toutes les autres compagnies ferroviaires est identique.
- L’analyse du juge ne s’arrête pas là. Il constate également que la conduite de CP s’inscrit en parfaite harmonie avec le régime législatif et réglementaire encadrant le transport de ce type de marchandises. L’usage qui s’est développé au sein de l’industrie ferroviaire est cohérent avec la décision des autorités de réglementation américaines et canadiennes de confier le fardeau de classifier les marchandises dangereuses comme le pétrole brut à la partie qui possède l’expertise pour les analyser et qui a l’occasion de le faire, soit l’expéditeur (et, au Canada, l’importateur). Voici comment il s’exprime :
[566] Le Tribunal considère que la preuve révèle clairement que c’est, entre autres, pour ce genre de motifs que les autorités législatives et réglementaires américaines et canadiennes font reposer sur les épaules de l’expéditeur la responsabilité de la classification et de l’emballage ainsi que de l’étiquetage des marchandises dangereuses.
[567] De plus, la preuve révèle aussi de façon prépondérante que c’est de cette façon que fonctionne l’essentiel du transport de marchandises dangereuses, non seulement dans le domaine ferroviaire, mais dans tous les domaines, et que c’est également dans cette optique que tous les intervenants impliqués dans le transport des marchandises dangereuses comprennent leurs rôles et leurs responsabilités.
- Les arguments que font valoir les appelants supposent qu’il aurait dû être évident pour CP que le pétrole brut avait été mal classifié et ne pouvait donc appartenir au groupe PG-III. Or, le juge était conscient du risque d’analyser la conduite de CP avec « la vision parfaite que permet le recul »[243]. À cet égard, il observe que la preuve n’étaye pas la prétention voulant qu’avant le déraillement, il était généralement accepté qu’il était plus dangereux de transporter du pétrole brut de la région de Bakken que du pétrole brut provenant d’une autre région. Elle n’étaye pas davantage le fait qu’une compagnie ferroviaire, agissant de façon raisonnable, aurait nécessairement été de cet avis. De la preuve entendue, il retient que la composition du pétrole brut est variable et que sa classification n’est pas un exercice simple. De fait, elle nécessite la prise en compte de divers facteurs. Comme il le souligne, le pétrole brut de Bakken ne provient pas d’un seul puits ni d’un même secteur, de sorte que ses caractéristiques sont susceptibles de varier selon le site d’extraction où il a été puisé. Le pétrole brut extrait à différents moments d’un même puits est susceptible d’appartenir à des groupes différents. Par conséquent, bien qu’il puisse être exact que le pétrole brut de la région de Bakken est typiquement classifié dans les groupes PG-I ou PG-II, tel n’est pas toujours le cas. Au surplus, il n’existe aucune preuve que le pétrole brut de la région de Bakken ne peut en aucun cas appartenir au groupe PG-III.
- De plus, la preuve révèle que la décision de WFS de classifier le pétrole brut comme faisant partie du groupe PG-III était fondée sur les recommandations d’experts qu’elle avait reçues. Aussi, sa décision n’a pas changé lorsque des organismes de réglementation américains ont exprimé l’avis qu’une classification PG-II serait plus appropriée[244]. Dans ce contexte, il était raisonnable de la part du juge de conclure que l’on ne pouvait en exiger davantage de CP qui n’avait ni expertise en cette matière ni accès à l’ensemble des données qui lui auraient permis de contester la décision de WFS[245].
- La Cour étant d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que CP n’avait pas de motifs raisonnables de soupçonner que le pétrole brut avait été mal classifié, il s’ensuit que la conduite de CP ne peut être qualifiée de fautive à l’égard de MMA.
- De surcroît, contrairement à ce qu’avancent les appelants, le juge n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en concluant que les employés de MMA savaient que le pétrole brut qu’ils transportaient était dangereux[246]. Cette conclusion est amplement étayée par le témoignage de plusieurs employés de MMA, dont Harding lui‑même, qui avaient, à tout le moins, vu les placards apposés sur les wagons-citernes, lesquels indiquaient tous que le contenu desdits wagons-citernes était inflammable[247]. De plus, la preuve démontre que MMA avait eu des échanges tant avec WFS qu’avec Irving indépendamment de CP et qu’elle les avait questionnées à propos du pétrole brut dont il est question en l’espèce[248].
- Quoi qu’il en soit, même si le juge avait commis une erreur sur cette question, elle ne serait pas déterminante puisque la preuve démontre qu’une modification de la classification de PG-III à PG-I ou PG-II n’aurait pas changé la façon dont MMA aurait dû prendre en charge la cargaison. Cette question sera examinée plus en profondeur à l’étape de l’analyse de la causalité.
5. Le juge a-t-il erré en concluant que la conduite de CP, à supposer même qu’elle soit fautive, n’était pas la cause logique, directe et immédiate du déraillement du train?
- Bien qu’elle en vienne à la conclusion que les moyens d’appel relatifs à la faute doivent être rejetés, la Cour estime opportun de se pencher sur la question de la causalité.
- Le juge écrit que même si les appelants avaient réussi à faire la démonstration que la conduite de CP était fautive, il aurait néanmoins conclu que les fautes qu’il a commises n’étaient pas causales. Il va même plus loin. Il mentionne que si elles l’avaient été, les fautes commises par Harding et MMA, que personne, du reste, ne remet en question, auraient constitué un novus actus interveniens. En d’autres mots, elles auraient rompu le lien causal entre les fautes imputées à CP et le préjudice subi.
- L’essentiel de son raisonnement tient dans ces quelques paragraphes :
[834] Sur tout cet aspect de la causalité et de l’influence que peuvent avoir eue les différentes fautes, manquements ou négligences soulevés contre l’une ou l’autre des parties dans le cadre du procès, le Tribunal considère et conclut qu’en fin de compte, la seule cause logique, directe et immédiate du déraillement du train MMA-002, et par voie de conséquences des incommensurables dommages qui en résultent, se trouve dans les fautes de son ingénieur de locomotive Thomas Harding et des employeurs de celui-ci, soit MMA.
[835] Les autres reproches formulés à l’encontre de WFS, IOL, TC et le CP, qu’ils soient retenus et considérés par le Tribunal comme de véritables fautes ou qu’il n’en soit pas ainsi, ne sont que l’occasion de cette tragédie ou font partie des circonstances non directement causales de l’accident.
[…]
[837] Le Tribunal considère que l’ensemble des éléments suivants, qu’ils soient analysés individuellement ou globalement, ne peuvent être considérés comme la véritable cause de l’accident et des préjudices qui en résultent. Il s’agit plutôt d’éléments circonstanciels ou d’occasions n’ayant pas de lien direct et immédiat avec l’accident. Bien qu’il puisse s’agir d’agissements négligents ou de comportements inappropriés ou fautifs, ces éléments ne sont nullement la cause du déraillement.
[838] Le Tribunal réfère ainsi à l’état des voies ferrées de MMA et aux restrictions de vitesse qui s’y appliquent. Il en est de même quant au fait que lesdites voies ferrées sont non signalées (Dark territory) ou que MMA éprouve des difficultés à se procurer des ressources matérielles ou du personnel pour ses opérations. Les mêmes constatations concernent les reproches formulés à MMA et les lacunes relatives à la formation de ses employés puisque M. Harding reconnaît, lors de son témoignage, connaître les règles et avoir reçu les formations appropriées.
[839] Le Tribunal est aussi d’opinion que l’utilisation par MMA des services d’un seul employé (SPTO) pour la conduite de ses convois n’est pas un élément causal, mais une circonstance de cet accident.
[840] Au surplus, les problématiques liées à la vétusté ou à l’entretien des équipements utilisés par MMA, bien qu’elles fassent partie des circonstances ou conditions liées à l’accident, ne sont pas des éléments que l’on puisse considérer causals dans celui-ci.
[841] D’autre part, tout ce qui concerne le type de wagons-citernes utilisés, la classification et le groupe d’emballage erronément utilisé pour le pétrole brut constituent aussi des éléments circonstanciels, mais nullement causals.
[842] Le Tribunal est toutefois d’avis que certains éléments dans le comportement de MMA constituent, au même titre que les fautes commises par Harding et précédemment décrites, des actes fautifs qui ont une incidence directe et immédiate dans l’accident. Il s’agit particulièrement de l’absence de mise en place par MMA de mesures de sécurité additionnelles et adéquates pour s’assurer qu’en cas d’erreur humaine commise par le seul employé en fonction, dans l’exécution des procédures d’immobilisation et de sécurisation du train, celui-ci demeurera quand même immobile.
[Caractères gras et renvoi omis]
* * *
Positions des appelants
Position du PGQ
- Le PGQ plaide que la conclusion du juge sur la causalité est entachée d’une erreur mixte de fait et de droit. Selon lui, le juge aurait dû faire appel, en partie du moins, à la théorie de la prévisibilité raisonnable. L’eût-il fait qu’il aurait conclu que les fautes de CP étaient causales.
- Le PGQ rappelle « [qu’]à titre de transporteur principal et d’organisateur du convoi », CP était « l’acteur ayant le rôle le plus central qui soit dans le transport » qui est en cause. À ce titre, CP était tenu d’effectuer une évaluation des risques liés à ce transport et par la suite, d’en communiquer les résultats à MMA accompagnés de l’ensemble de l’information qu’il détenait déjà sur la nature dangereuse du produit transporté.
- Le PGQ ajoute que les fautes de Harding et de MMA « tirent leur origine des omissions également fautives et surtout préalables de CP ». N’eût été ces dernières, MMA aurait modifié ses façons de faire. Le train n’aurait pas été laissé sans surveillance pendant une nuit entière sur un tronçon de la voie ferrée qui est en pente.
- Cet argument du PGQ prend appui sur le témoignage que le président de MMA, Robert Grindrod (« Grindrod »), a rendu lors de son interrogatoire préalable. Il a alors déclaré que s’il avait été porté à l’attention de MMA que le convoi transportait un produit hautement explosif plutôt que ce qu’il croyait être un produit moins inflammable tel un goudron, un changement d’équipage aurait été effectué à la fin du quart de travail de Harding. Ainsi, le train n’aurait pas été immobilisé et, par voie de conséquence, le déraillement ne serait pas survenu.
- À titre subsidiaire, le PGQ plaide que même si le juge a eu raison d’écarter le témoignage de Grindrod en raison de son déficit de crédibilité, il aurait néanmoins dû conclure qu’il appartenait à CP de démontrer que MMA n’aurait pas modifié ses méthodes si elle avait été informée des véritables caractéristiques du produit transporté. CP n’ayant pas fait cette preuve, l’existence d’un lien causal entre les fautes de CP et le préjudice aurait dû être reconnue.
- En somme, selon le PGQ, les fautes de CP sont intrinsèquement liées à celles de Harding et MMA. Elles s’inscrivent toutes dans un même continuum de sorte que le juge a commis une erreur révisable en qualifiant les secondes de novus actus interveniens.
Position de Promutuel
- Promutuel Centre-Sud et les autres appelantes dans le pourvoi no 500‑09‑030363‑238 (« Promutuel ») remettent elles aussi en question le bien-fondé de la conclusion du juge au chapitre de la causalité. Leurs arguments sont semblables à ceux mis de l’avant par le PGQ.
- Promutuel plaide qu’au-delà du vocabulaire que le juge utilise, c’est en faisant appel à la théorie de la causa proxima, et non à celle de la causalité adéquate, qu’il statue réellement sur la causalité. À tort, le juge fixe son attention sur la dernière faute commise dans la séquence des événements et ignore celles qui l’ont précédée et sans lesquelles le préjudice ne se serait pas matérialisé. Il aurait plutôt dû adopter une vision d’ensemble et constater que les fautes commises par CP s’inséraient dans une même série de faits fautifs qui ont culminé dans le déraillement du train. Aussi, pour prendre la pleine mesure des fautes de CP, il lui aurait fallu s’attarder davantage à la dangerosité du pétrole brut de Bakken et à la connaissance que CP avait des pratiques de MMA qui exacerbaient les risques liés au transport d’un tel produit. Il s’agit, pour l’essentiel, du fait que MMA faisait rouler ses trains en mode SPTO et qu’elle les stationnait à Nantes pendant une nuit entière, sur une voie ferrée en pente, jusqu’à ce qu’un nouvel équipage en prenne le contrôle le lendemain matin.
- D’ailleurs, du fait de son statut d’organisateur de l’entier parcours, CP avait accès à toute l’information pertinente et disposait de tous les moyens requis pour prendre la pleine mesure des risques auxquels il exposait MMA et les tiers tout au long du parcours du convoi. Ses fautes d’omission n’auraient pas dû être excusées.
- Dans cette même veine, Promutuel plaide que le juge a eu tort de faire usage de la doctrine du novus actus interveniens. Rien n’en autorisait l’utilisation étant donné que les fautes de CP sont totalement distinctes de celles de Harding et de MMA. Les premières ont trait à l’absence d’évaluation des risques, alors que les secondes ont pour objet la méthode d’immobilisation du train. Certes, les fautes de l’un sont entièrement distinctes de celles des deux autres, mais elles ont toutes contribué à la réalisation d’un même préjudice. En l’absence de l’une d’entre elles, le train n’aurait pas déraillé.
- En somme, selon Promutuel, si le juge avait appliqué les théories de la causalité adéquate et de la prévisibilité raisonnable, comme il aurait dû le faire, il n’aurait pu parvenir qu’à une seule conclusion : les fautes de CP auraient dû être qualifiées de contributoires à celles de Harding et de MMA.
Position des représentants dans l’action collective
- Les arguments avancés par les représentants de l’action collective s’inscrivent dans la lignée des propos des autres appelants. En concluant que seules les fautes de Harding et de MMA sont causales, le juge applique sans le dire la théorie de la causa proxima alors que la jurisprudence et la doctrine l’ont mise à l’écart au profit de la causalité adéquate et parfois, de la prévisibilité raisonnable. L’erreur de droit que commet le juge serait déterminante.
- Si toutes les parties intéressées par ce convoi de pétrole brut de Bakken, y compris les organismes de réglementation, avaient été mises au fait des façons de faire de MMA, cette dernière aurait été forcée d’agir autrement en procédant, par exemple, à un changement immédiat d’équipage une fois celui-ci rendu à Farnham. Ainsi, le train n’aurait pas été immobilisé à Nantes dans les circonstances que nous connaissons.
- De même, si CP avait exigé auprès de WFS la correction de la classification incorrecte de la cargaison, le train aurait dû être immobilisé jusqu’à ce que cette correction soit apportée. Informée de la véritable classification, MMA aurait alors modifié ses méthodes et la catastrophe aurait été évitée.
- Ainsi, la responsabilité aurait dû être partagée entre CP, d’un côté, et Harding et MMA, de l’autre.
Discussion
- On recense dans la doctrine une multitude de critères permettant d’établir un lien causal entre une faute et un préjudice : « cause efficiente, cause nécessaire, cause prochaine, cause décisive, cause déterminante, cause certaine, immédiate, lointaine, scientifique, légale, physique, juridique, comportementale, etc. »[249]. Ce qui importe réellement, c’est que le préjudice soit une conséquence logique, directe et immédiate de la faute[250]. Autrement dit, doit être considéré comme causal tout fait sans lequel le préjudice ne serait pas survenu[251].
- De nombreuses théories de la causalité ont été proposées, mais la jurisprudence retient généralement celle de la causalité adéquate. En son nom, seules les causes ayant rendu objectivement possible la réalisation du préjudice doivent être retenues. Ainsi, sont écartées les simples occasions de la réalisation du préjudice ou les conditions sine qua non qui n’ont pas ce caractère[252].
- À l’occasion, la théorie de la causalité adéquate peut être jumelée à celle de la prévisibilité raisonnable, et ce, même si elles sont de nature différente[253]. L’arrêt de la Cour dans Ville de Laval c. Ducharme en fournit une illustration :
[156] Il retient d’abord à bon droit que la responsabilité des policiers n’est engagée que si le préjudice est une suite immédiate et directe de la faute. Il opine que l’analyse de ce lien tient compte des critères de la causalité adéquate et de la prévisibilité raisonnable. Il cerne ainsi ce qui doit le guider : 1) s’assurer que le dommage causé soit une suite logique, directe et immédiate de la faute reprochée; 2) s’assurer par la même occasion d’une prévisibilité raisonnable, soit que l’auteur de la faute pouvait raisonnablement prévoir la survenance du dommage […].[254]
- En résumé, une faute ne sera considérée comme causale que dans les seuls cas où le préjudice en est la conséquence logique, directe et immédiate. Il faut que le comportement fautif ait effectivement causé le préjudice[255], ou en d’autres termes, qu’il en soit la cause véritable[256].
- La théorie de la causalité adéquate ne fait pas obstacle pour autant à la possibilité de retenir plus d’une faute causale :
On peut, en effet, rester fidèle aux grandes lignes de la théorie de la causalité adéquate, tout en retenant plusieurs événements comme causes du préjudice, à condition que chacun d’eux puisse être qualifié de cause véritable et non de simple occasion ou circonstance[257].
- On dit alors qu’il s’agit de fautes contributoires.
- Il arrive parfois qu’une seconde faute rompe le lien causal entre une première faute et le préjudice subi. On la qualifie alors de novus actus interveniens.
- Cette notion de novus actus interveniens ne s’applique que lorsqu’un événement postérieur à la faute initiale vient rompre le lien de causalité entre celle-ci et le préjudice :
Pour que ce principe puisse s’appliquer, deux conditions essentielles sont requises. D’une part, il faut qu’il existe une disparition complète du lien entre la faute initiale et le dommage subi. D’autre part, il faut que ce lien survienne à nouveau, mais cette fois-ci en raison de l’existence d’un acte sans aucun rapport avec la faute initiale. Dans les autres hypothèses, il y a seulement continuation d’un même processus qui peut mener, dans certains cas, à un partage de responsabilité.[258]
- Cet événement prendra la forme d’une faute subséquente à la première, commise par la victime ou un tiers, qui brisera le lien de causalité entre la faute initiale et le préjudice. Comme la Cour l’explique dans Gargantiel c. Québec (Procureure générale), il faut toutefois se garder d’assimiler trop facilement une faute subséquente à un véritable novus actus interveniens :
[28] D’ailleurs, au sein du corpus jurisprudentiel où le novus actus interveniens est mentionné, il faut se méfier d’une tendance à traiter des situations de fautes contributoires ou de partage de responsabilité comme s’il s’agissait de cas de novus actus interveniens. Dans Lacombe c. André, le juge Baudouin nous en prévient, rappelant encore une fois la première condition essentielle d’application de cette théorie, soit une rupture complète et véritable de lien causal entre le premier événement (ou faute) et le préjudice […].[259]
- Le juge Baudouin décrit dans cet arrêt Lacombe c. André[260] la rupture qui est requise pour qu’il y ait véritablement novus actus interveniens :
[59] En droit, pour qu’il y ait véritable rupture du lien causal, justifiant donc de décharger le premier auteur de la faute et de ne retenir que la responsabilité du second, une condition essentielle doit être respectée. Il faut, dans un premier temps, constater l’existence d’arrêt complet du lien entre la faute initiale et le préjudice, et, dans un second temps, la relance ou le redémarrage de celui-ci en raison de la survenance d’un acte sans rapport direct avec la faute initiale. Il ne peut en effet, en toute logique, y avoir de rupture lorsqu’il y a continuité dans le temps et donc rattachement causal des fautes l’une à l’autre.
- Par exemple, il a été décidé que la témérité du client d’un terrain de camping, qui s’aventure sur un rocher dans une rivière à proximité de celui-ci, qui tombe à l’eau et qui se noie, ne suffisait pas à rompre le lien de causalité entre le préjudice résultant de cette témérité et la faute de l’exploitant du camping qui avait omis de disposer des bouées de sauvetage aux abords de la rivière[261]. On a également jugé que le fabricant de véhicules automobiles dont le vol avait été facilité en raison d’un défaut de conception affectant leur système de sécurité ne pouvait se défendre en plaidant que le vol constituait en soi un novus actus interveniens[262]. Aussi, on a considéré que la fraude d’un conseiller en investissement n’avait pas rompu le lien de causalité entre les pertes subies par sa cliente et la faute de l’avocat de celle-ci qui « n’[avait] ménagé aucun effort pour [la] convaincre d’effectuer — et de conserver — des placements chez ce conseiller »[263].
- Ainsi, une faute subséquente ne brise pas en toutes circonstances le lien de causalité entre la faute initiale et le préjudice qu’elle a entraîné. Lorsqu’un lien logique continue d’exister entre la faute initiale et le préjudice, ou encore, lorsque les deux fautes s’inscrivent dans une même séquence d’événements, on conclut plutôt à l’existence de fautes contributoires.
- La détermination d’un lien causal est une question de fait :
[104] L’attribution d’une faute comporte l’application à un ensemble de faits des normes de comportement prescrites par des règles de droit. Cela en fait évidemment une question mixte de droit et de fait. Par contre, dans la détermination de la causalité, on examine si quelque chose s’est produit entre la faute et le préjudice subi qui puisse établir un lien entre les deux. Ce lien doit être juridiquement important au niveau de la preuve, mais il ne s’agit pas moins d’une question de fait.[264]
- Ces enseignements ont été énoncés par la Cour suprême à de nombreuses reprises, dont encore récemment dans l’arrêt Lonardi, dans lequel on peut lire que « l’existence ou non d’un lien de causalité entre une faute et un dommage est une question factuelle »[265]. La Cour d’appel le répète dans l’affaire Constructions Concreate ltée :
[50] La détermination de la cause du préjudice, particulièrement lorsque le juge est en présence de fautes multiples de plus d’un intervenant, étalées dans le temps, avec ou sans relation les unes avec les autres, est une question de fait, ou à la rigueur une question mixte. Elle commande donc la déférence en appel et l’application de la norme de l’erreur manifeste et déterminante.
[51] Dans de tels cas, en effet, il s’agit d’apprécier des événements, ou fautes, qui ont précédé le préjudice, leur succession dans le temps et leur relation causale avec ce dernier. La démarche consiste à séparer la ou les cause(s) véritable(s) des simples circonstances ou occasions du dommage, la séparation entre circonstances ou occasions et cause(s) véritable(s) n’étant évidemment pas toujours facile, sans compter que l’admission même qu’un fait constitue une condition qui aurait pu causer le préjudice ne suffit pas à elle seule à en faire une cause déterminante du préjudice effectivement subi.[266]
- Il s’ensuit que la remise en question, en appel, de la détermination d’un lien de causalité est soumise à la norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante[267]. À titre de rappel, cette norme s’applique avec une plus grande acuité encore dans les dossiers où la preuve est particulièrement complexe. La jurisprudence enseigne que la juridiction d’appel doit alors faire preuve d’une grande déférence à l’endroit de la conclusion du juge :
[41] L’importance pour une cour d’appel de faire montre de réserve dans les affaires complexes a également été réitérée à quelques reprises par la Cour suprême, notamment dans son arrêt Benhaim c. St-Germain.
[42] Le présent dossier fait incontestablement partie de ces affaires factuellement complexes dans lesquelles la retenue est particulièrement de mise en appel. L’instruction au fond a duré une cinquantaine de jours. Les appelants se sont appuyés sur les témoignages de plus d’une centaine de résidents de la Zone. Les nombreuses pièces qui ont été produites comportent plusieurs milliers de pages et le dossier d’appel en totalise près de 50 000.
[43] Rappelons, par ailleurs, que le même devoir de retenue s’impose à la Cour lorsque le débat en appel porte sur l’évaluation par le juge de première instance des expertises produites par les parties, surtout lorsqu’elles sont contradictoires, comme c’est le cas en l’espèce. Comme le rappelait récemment la Cour, le juge de première instance est « libre de croire un expert plutôt qu’un autre, car lui seul peut revendiquer le privilège de les avoir vus et entendus et lui seul peut leur attribuer la crédibilité qui s’impose ». […].[268]
- Le présent dossier en est justement un où la preuve administrée présentait une grande complexité en plus d’être volumineuse, le procès ayant duré plus de 60 jours et de nombreux experts ayant été entendus. La démonstration que les conclusions du juge sont entachées d’une erreur manifeste et déterminante doit donc être convaincante.
* * *
- La problématique que soulèvent les appelants se pose d’abord sous l’angle de la classification. À ce sujet, le juge écrit qu’à supposer même que CP ait commis une faute en n’exigeant pas que soit reclassifiée correctement la marchandise transportée, cette faute ne serait pas causale.
- Pour rappel, la principale théorie de la causalité des appelants sur cette question se résume à ceci : si CP avait exigé une reclassification, MMA aurait alors pris conscience de la nature particulièrement dangereuse de la cargaison et, partant, aurait adopté des pratiques visant à mitiger les risques liés à son transport.
- Comme la Cour l’a déjà indiqué, ce moyen prend appui, pour l’essentiel, sur le témoignage rendu par Grindrod lors de son interrogatoire préalable. Il a alors affirmé que s’il avait été mis au courant du véritable degré de volatilité du pétrole transporté et des risques qui y étaient associés, il y aurait eu changement immédiat d’équipage à la fin du quart de travail de Harding et le train n’aurait pas été immobilisé sans surveillance et surtout, pour une aussi longue durée[269].
- Or, le juge doute de la véracité du témoignage de Grindrod et l’écarte totalement[270]. Il souligne que Grindrod avait précédemment affirmé que les façons de faire de MMA n’étaient pas tributaires du groupe d’emballage du pétrole brut transporté.
- Le juge prend également soin d’expliquer que l’affirmation de Grindrod selon laquelle MMA aurait modifié ses pratiques « n’est pas supportée adéquatement par l’ensemble des circonstances [et] le reste de la preuve relative à l’ensemble des comportements de MMA »[271]. Grindrod a d’ailleurs admis que rien dans la réglementation interne de MMA ne prévoyait une procédure propre à chaque groupe d’emballage PG-I, PG-II ou PG-III.
- Les appelants ne démontrent pas que cette conclusion est entachée d’une erreur révisable. Faut-il également rappeler que le juge conclut que la dangerosité du produit transporté n’était un secret pour personne, y compris pour les employés de MMA.
- Les appelants reprochent aussi au juge d’avoir mis de côté d’autres éléments de preuve qui démontraient que MMA avait été trompée sur la véritable nature du pétrole brut dont CP lui avait confié le transport. Les appelants font ici référence au fait que certains employés de MMA ont comparé le convoi à un « mud train » (ou « train de boue »). Les appelants en tirent la conclusion qu’ils ne connaissaient pas la véritable nature du produit transporté.
- Le juge n’attribue pas à cette preuve l’importance que les appelants lui accordent, et pour cause. Il prend note que ceux qui utilisaient l’expression « mud train », comme Jonathan Couture, ont reconnu avoir noté la présence d’un placard apposé sur chaque wagon indiquant que le produit transporté était inflammable[272]. De son côté, le vice-président marketing de MMA, Christopher Caldwell, affirme dans son témoignage n’avoir jamais entendu cette expression.
- De toute façon, il appert du témoignage de Harding que l’expression « mud train » n’avait pas la connotation que les appelants lui attribuent :
Q. And why would you refer to it as the mud train?
R. One of the first fuel trains I picked up in Saint-Luc yard, the car department who is the people who do the brake tests on my train on the night shift, refer to it as the mud. We all took it kind of as a joke and we just continued with calling it the mud train.
[Soulignement ajouté]
- De plus, la preuve sur cette question était au mieux contradictoire puisque d’autres employés de MMA qualifiaient le convoi transportant le pétrole brut de Bakken de « bombe ambulante »[273].
- Le juge note également qu’un document avait été remis au personnel de MMA qui indiquait que les marchandises dangereuses visées par les groupes d’emballage PG-I, PG-II ou PG-III étaient hautement inflammables, que leur point d’éclair pouvait être très bas et qu’elles étaient susceptibles d’exploser ou de prendre en feu si elles étaient exposées à des sources de chaleur[274].
- Le juge pouvait inférer de cette preuve que les employés de MMA étaient bien au fait de la dangerosité du produit que le train transportait le jour de la tragédie. Sa conclusion n’est entachée d’aucune erreur manifeste et déterminante.
- Mais il y a plus.
- Un courriel transmis peu de temps après la tragédie par le responsable de la sécurité chez MMA, Ken Strout, mentionne que l’attribution d’un groupe d’emballage erroné n’a eu aucune incidence sur la façon dont MMA a effectué le transport du pétrole brut sur son réseau :
The difference between packing groups of crude oil would not have changed the already in place requirement to expedite handling of dangerous goods. In the US, AAR OT55 also would not have required different handling of trains based on packing group numbers. Maybe, packing group level I vs. III would have affected the shipping rates but I’m not sure of that.
In the US trains containing TIH/PIH, radioactive material or 20 or more loads of explosives, environmental sensitive chemicals, flammable gas 2.1 would have been elevated to a key train which requires some restrictions none of which contain live crew to crew requirements or over normal hazardous material expedited handling. In Canada, there are higher restrictions for environmental sensitive chemicals and special dangerous, i.e. TIH/PIH none of which contain live crew to crew requirements or over normal hazardous material expedited handling.
In summary, crude oil packing group differences would not change our already elevated priority to move dangerous goods.
[Soulignement ajouté]
- Par ailleurs, rien dans la preuve ne laisse croire que MMA aurait stationné le train à un autre endroit si CP lui avait dit que le fait de le laisser à Nantes, sans surveillance, lui apparaissait dangereux eu égard à la configuration des lieux. Au contraire, Edward A. Burkhardt (« Burkhardt »), le président de MMAR, la compagnie sœur de MMA, a témoigné que toute ingérence de la part de CP dans les opérations de MMA aurait été très mal reçue : « It was none of their business »[275]. Les appelants ne convainquent pas non plus la Cour que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante à cet égard.
- Les appelants font aussi valoir que si CP avait exigé de WFS qu’elle fasse des vérifications à propos de la classification du pétrole brut qu’elle lui avait confié, l’arrivée du train à Nantes aurait été décalée dans le temps. Ainsi, aucun déraillement ne serait survenu le 6 juillet 2013. Cependant, les appelants n’expliquent pas en quoi le déplacement du train à un moment différent aurait permis d’éviter le déraillement. De l’avis de la Cour, un tel argument relève de la spéculation. Rien dans la preuve ne laisse croire que la manière de sécuriser le train aurait été différente si son arrivée à Nantes avait été retardée, ce que le juge a d’ailleurs noté[276].
- Le juge conclut que le déraillement a été causé par le défaut de Harding d’immobiliser le train correctement. Sa négligence survient sans égard à la question de l’évaluation des risques. Il n’existe aucun lien entre l’absence d’évaluation des risques par CP et le fait que Harding ne se soit pas acquitté de l’obligation qu’il avait de serrer un nombre suffisant de freins à main, laquelle existait indépendamment du type de cargaison et de l’évaluation des risques qui pouvaient y être associés.
- Le juge détermine la « cause véritable » du déraillement en appliquant ce que les juristes de common law appellent le « but for test »[277]. Il conclut ensuite que cette « cause véritable » était la cause directe, logique et immédiate du préjudice. N’eût été la faute de Harding, la catastrophe ne se serait pas produite. Aucune correction de la classification erronée ni aucune évaluation des risques n’auraient permis de parer au préjudice résultant de la faute de Harding.
- En conséquence, le juge n’a commis aucune erreur révisable en concluant que la mauvaise classification n’est pas un élément causal dans le déraillement.
6. Le juge a-t-il erré en concluant que le lien de causalité allégué entre les fautes imputées à CP et le préjudice survenu aurait été rompu en raison de celles commises par Harding?
- Se pose ensuite la question du novus actus interveniens que le juge définit comme étant « un événement nouveau qui rompt la relation directe entre la faute reprochée et le préjudice »[278].
- Les appelants ne démontrent pas que le juge aurait erré en exposant les principes juridiques qui devaient le guider. Il se réfère à cet égard aux auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore et à cet extrait de l’arrêt de la Cour suprême dans Salomon c. Matte-Thompson, rédigé sous la plume du juge Gascon[279] :
[91] Je suis également d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la fraude n’a pas rompu le lien de causalité entre les fautes de Me Salomon et les pertes des intimées. Il est vrai que l’auteur d’une faute n’est pas responsable des conséquences d’un événement subséquent qui est indépendant de lui et qui est sans rapport avec la faute initiale. Il s’agit d’un principe qui est parfois appelé novus actus interveniens : un tel événement subséquent peut rompre le lien direct que requiert l’art. 1607 C.c.Q. entre la faute et le préjudice. Toutefois, deux conditions doivent être réunies pour que ce principe s’applique. Dans un premier temps, il faut que le lien de causalité entre la faute initiale et le préjudice subi soit complètement rompu. Dans un second temps, il doit exister un lien de causalité entre ce nouvel événement et le préjudice subi. Dans le cas contraire, la faute initiale est une des fautes ayant causé le préjudice, auquel cas une question du partage de la responsabilité peut se soulever (Baudouin, Deslauriers, Moore, no 1-691 à 1-692; Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre d’appels d’urgence 911) c. Ducharme, 2012 QCCA 2122, [2012] R.J.Q. 2090, par. 64-65; Lacombe c. André, [2003] R.J.Q. 720, par. 58-60 (C.A.)).
- En cette matière, la gravité de cet acte nouveau et indépendant de la faute initiale est également pertinente, puisque « si la seconde faute est plus sérieuse, plus grave que la première ou, dans certains cas, égale à celle-ci, elle vient oblitérer les effets de la première et doit être retenue comme ayant seule causé la totalité du préjudice »[280].
- La Cour est d’avis que non seulement le juge s’est bien orienté en droit, mais, de plus, que sa conclusion quant à la détermination d’un novus actus interveniens est à l’abri de tout reproche.
- Le degré de dangerosité du pétrole brut de Bakken n’a eu aucune incidence dans le déroulement de la tragédie. La mise en mouvement du convoi un peu plus de deux heures après que Harding l’a immobilisé découle simplement de la dépressurisation des freins à air combinée à l’insuffisance du nombre de freins à main qu’il avait serrés. Comme l’a expliqué l’expert Callaghan :
Les freins à air indépendants des locomotives ont perdu progressivement leur pression en air jusqu’au moment où leur force de freinage résiduelle, additionnée à celle des freins à main, n’a plus suffi pour retenir le Train MMA002. Celui-ci est parti à la dérive[281].
- La classification erronée de la cargaison de pétrole brut n’a ni favorisé ni facilité la descente folle du train en direction de Lac-Mégantic. Le comportement de Harding, qui a fait fi des règles les plus élémentaires de sécurité, est un événement subséquent, mais aussi entièrement indépendant de l’erreur de classification dont les appelants veulent tenir CP responsable. Une autre façon d’exprimer la même idée serait de dire que cet événement subséquent est sans rapport avec la faute initiale.
- Harding n’a pas appliqué un nombre suffisant de freins à main, s’en remettant aux freins à air pour immobiliser le train, en violation des règles dont il connaissait parfaitement l’existence. Même en sachant que la locomotive de tête avait été éteinte par les pompiers, Harding n’est pas retourné immobiliser le train de façon sécuritaire et conforme à la réglementation, comme il aurait dû le faire initialement.
- Ainsi, même si les appelants avaient réussi à démontrer que CP avait commis une faute en n’exigeant pas une reclassification auprès de WFS et au surplus, que cette faute était causale, les fautes subséquentes de Harding auraient brisé ce lien causal.
- Le juge ne qualifie pas les fautes de Harding de novus actus interveniens parce qu’elles sont les plus proches de la catastrophe, mais plutôt parce qu’elles sont la seule cause logique, directe et immédiate de celle-ci, à l’exception de fautes commises antérieurement par MMA. Parmi celles-ci, MMA a notamment négligé de mettre en place des mesures de contrôle destinées à prévenir le laisser-aller lors de manœuvres aussi cruciales que l’immobilisation d’un train pour une longue période sur une voie en pente.
- Pour ces raisons, la caractérisation des fautes de Harding en tant que novus actus interveniens est exempte d’erreur révisable.
- Reste enfin la question de l’évaluation des risques en lien avec le novus actus interveniens. À cet égard, les appelants soutiennent que si CP avait effectué une évaluation des risques liés au transport de pétrole brut par MMA, il ne lui aurait pas confié la cargaison ou encore, MMA aurait modifié ou corrigé ses façons de faire. Cette seconde proposition repose sur la prémisse qu’une fois mis au fait des pratiques opérationnelles de MMA, CP lui aurait donné instruction de ne pas garer de train sur une pente pendant la nuit sans surveillance.
- Cet argument a de quoi surprendre. Aussi bien dire que CP aurait également dû lui rappeler de se conformer à la règle 112 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada[282] en ce qui concerne le nombre de freins à main devant être serrés lorsqu’un train est immobilisé.
- De toute façon, la preuve ne démontre pas que MMA aurait donné suite à une telle instruction, bien au contraire. Comme la Cour l’a déjà fait remarquer, il est en preuve qu’il n’est pas dans les us de l’industrie ferroviaire qu’un transporteur comme CP donne des instructions à un autre transporteur comme MMA sur la façon d’exploiter son chemin de fer. En toute probabilité, une telle initiative de CP aurait été très mal reçue par MMA.
- De plus, la preuve indique que TC lui-même ne désapprouvait pas les pratiques de MMA, lesquelles étaient en vigueur depuis une dizaine d’années selon les dires de son président Grindrod. On peut fortement douter qu’une intervention de CP auprès de MMA aurait eu un quelconque effet.
- Mais surtout, l’évaluation des risques que les appelants auraient souhaité que CP effectue n’aurait absolument rien changé aux façons de faire de Harding. Il incombait aux appelants de démontrer que si CP avait agi comme ils le suggèrent, le cours des événements aurait été différent. Or, ils ont failli à cette tâche en première instance. En appel, ils n’ont pas convaincu la Cour que le juge avait erré dans sa conclusion[283].
- Au bout du compte, les fautes de Harding et de MMA demeurent la seule cause logique, directe et immédiate de la catastrophe.
- Ainsi, même si elle avait fait droit aux moyens d’appel relatifs à la faute, la Cour aurait rejeté ceux sur la causalité de sorte que ses conclusions seraient demeurées les mêmes.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- REJETTE l’appel avec les frais de justice dans le dossier 500‑09‑030362‑230;
- REJETTE l’appel avec les frais de justice dans le dossier 500‑09‑030363‑238;
- REJETTE l’appel avec les frais de justice dans le dossier 500‑09‑030366‑231.
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. |
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| PETER KALICHMAN, J.C.A. |
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| ÉRIC HARDY, J.C.A. |
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Me Ruth Alanna Arless-Frandsen |
Me Rosaire F. Arcand |
Bernard, Roy (Justice-Québec) |
Pour procureur général du Québec |
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Me Guy J. Pratte |
Me Kirsten T. Crain |
Me Patrick Plante |
Me François Grondin, Ad. E |
Me Maude Lamoureux-Bisson |
Me Antoine Gamache |
Borden Ladner Gervais |
Pour Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique |
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Me Nathalie Dubé |
Me Louis Michel Huart |
Langlois Avocats |
Pour Promutuel Centre Sud, L’Unique assurances générales inc., Société d’assurance Beneva inc, anciennement La Capitale assurances générales inc., Intact Assurance, La compagnie d’assurance Bélair inc. et Intact Assurance, en reprise d’instance pour La Garantie compagnie d’assurance de l’Amérique du Nord |
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Me Daniel E. Larochelle |
Daniel E. Larochelle L.L.B. Avocat inc. |
Me Joel Rochon |
Me Ron Podolny |
Rochon Genova |
Pour Guy Ouellet, Serge Jacques et Louis-Serges Parent |
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Dates d’audience : | 7, 8, 9 et 10 octobre 2024 |
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ANNEXE |
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LISTE DES SIGLES UTILISÉS DANS LE PRÉSENT ARRÊT |
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C.c.Q. : | Code civil du Québec |
CFIL : | Chemin de fer d’intérêt local |
CN : | Canadien National |
CP : FTSS : | Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique Fiches techniques sur la sécurité des substances |
MMA : | Montreal, Maine & Atlantic Canada Company |
MMAR : | Montreal, Maine & Atlantic Railway |
OTC : | Office des transports du Canada |
PGQ : | Procureur général du Québec |
SGS : | Système de gestion de la sécurité |
SPTO : | Single-person train operations |
SST : | Strobel Straroska Transfer |
TC : | Transports Canada |
WFS : | World Fuel Services |
[1] Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 4643 [jugement entrepris].
[2] Afin de faciliter la lecture du présent arrêt, la Cour utilisera le masculin pour désigner CP.
[3] Une liste de tous les sigles utilisés dans le présent arrêt se trouve en annexe.
[4] Jugement entrepris, paragr. 1.
[5] Jugement entrepris, paragr. 2 et 332.
[6] Jugement entrepris, paragr. 25.
[7] Jugement entrepris, paragr. 13-15.
[8] Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 5674.
[9] Jugement entrepris, paragr. 5 et 16.
[10] Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 QCCS 5674, paragr. 49.
[11] Jugement entrepris, paragr. 653, 705 et 795.
[12] En échange de sa collaboration, les poursuites civiles contre Harding ont été abandonnées de sorte que celui-ci n’est plus défendeur : jugement entrepris, paragr. 19 et 26.
[13] Jugement entrepris, paragr. 10.
[14] Jugement entrepris, paragr. 89.
[15] Jugement entrepris, paragr. 65.
[16] Jugement entrepris, paragr. 97; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 29.1.
[17] Jugement entrepris, paragr. 718.
[18] Jugement entrepris, paragr. 682.
[19] Jugement entrepris, paragr. 9.
[20] Jugement entrepris, paragr. 862.
[21] Jugement entrepris, paragr. 59.
[22] Jugement entrepris, paragr. 190.
[23] Jugement entrepris, paragr. 97; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 29.1.
[24] Jugement entrepris, paragr. 352.
[25] Jugement entrepris, paragr. 61.
[26] Jugement entrepris, paragr. 61 et 197.
[27] Jugement entrepris, paragr. 207.
[28] Jugement entrepris, paragr. 206, 212 et 227.
[29] Jugement entrepris, paragr. 465.
[30] Il s’agit de l’écrit qui sert à prouver l’existence du contrat de transport : voir jugement entrepris, paragr. 166.
[31] Jugement entrepris, paragr. 62.
[32] Jugement entrepris, paragr. 352, 475 et 505.
[33] Jugement entrepris, paragr. 198.
[34] Jugement entrepris, paragr. 225 et 352.
[35] Jugement entrepris, paragr. 232-233, 235 et 487.
[36] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 31.
[37] Jugement entrepris, paragr. 204 et 483.
[38] Jugement entrepris, paragr. 61-62.
[39] Jugement entrepris, paragr. 61, 96 et 800; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 29.
[40] Jugement entrepris, paragr. 188.
[41] Jugement entrepris, paragr. 188 et 205.
[42] Jugement entrepris, paragr. 188.
[43] Jugement entrepris, paragr. 98.
[44] Jugement entrepris, paragr. 167, 184, 192, 193, 281 et 516.
[45] Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, DORS/2001-286, paragr. 2.19(1).
[46] Jugement entrepris, paragr. 282.
[47] Jugement entrepris, paragr. 873 et 876.
[48] Jugement entrepris, paragr. 63-65; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 2.2.
[49] Jugement entrepris, paragr. 65 et 95.
[50] Jugement entrepris, paragr. 67.
[51] Jugement entrepris, paragr. 67 et 71.
[52] Jugement entrepris, paragr. 66.
[53] Jugement entrepris, paragr. 69.
[54] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.
[55] Jugement entrepris, paragr. 70.
[56] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.1.
[57] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10; jugement entrepris, paragr. 70.
[58] Jugement entrepris, paragr. 71.
[59] Jugement entrepris, paragr. 71, 91 et 94. La pente descendante moyenne est de 0,94 %. Dans sa portion la plus abrupte, elle est de 1,32 %.
[60] Jugement entrepris, paragr. 85.
[61] Jugement entrepris, paragr. 71; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.1.
[62] Jugement entrepris, note de bas de page no 28.
[63] Jugement entrepris, note de bas de page no 29.
[64] Jugement entrepris, paragr. 73-74.
[65] Jugement entrepris, paragr. 712.
[66] Jugement entrepris, paragr. 70.
[67] Jugement entrepris, paragr. 68 et 71.
[68] Jugement entrepris, paragr. 689.
[69] Jugement entrepris, paragr. 76.
[70] Jugement entrepris, paragr. 77.
[71] Jugement entrepris, paragr. 68.
[72] Jugement entrepris, paragr. 78.
[73] Jugement entrepris, paragr. 78-79.
[74] Jugement entrepris, paragr. 79-80.
[75] Jugement entrepris, paragr. 80.
[76] Jugement entrepris, paragr. 80.
[77] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.4.
[78] Jugement entrepris, paragr. 81; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.5.
[79] Jugement entrepris, paragr. 85-86; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.5 et 18.1.
[81] Jugement entrepris, paragr. 1 et 85; Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 10.5.
[82] Jugement entrepris, paragr. 83.
[83] Jugement entrepris, paragr. 83.
[84] Jugement entrepris, paragr. 82.
[85] Jugement entrepris, paragr. 82.
[86] Jugement entrepris, paragr. 84.
[87] Jugement entrepris, paragr. 84.
[88] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 40.
[89] Admissions jointes au jugement entrepris, paragr. 40.5.
[90] Jugement entrepris, paragr. 148 et 177-179.
[91] Il y en a moins de dix dans toute l’Amérique du Nord (voir jugement entrepris, paragr. 174).
[92] Le réseau de CP s’étend au Canada, de Vancouver à Montréal et dans de nombreux États américains : voir jugement entrepris, paragr. 196.
[93] Jugement entrepris, paragr. 174 et 196.
[94] Jugement entrepris, paragr. 177 et 641.
[95] Jugement entrepris, paragr. 149 et 179.
[96] Jugement entrepris, paragr. 173.
[97] Jugement entrepris, paragr. 178 et 182.
[98] Jugement entrepris, paragr. 178.
[99] Jugement entrepris, paragr. 181 et 199.
[100] Jugement entrepris, paragr. 176.
[101] Jugement entrepris, paragr. 636.
[102] Jugement entrepris, paragr. 198 et 636.
[103] Jugement entrepris, paragr. 201.
[104] Jugement entrepris, paragr. 202-203.
[105] Jugement entrepris, paragr. 116 et 634-635.
[106] Jugement entrepris, paragr. 136.
[108] DORS/2001-37, art. 2.
[109] DORS/2001-37, al. 2e).
[110] Jugement entrepris, paragr. 131.
[111] Jugement entrepris, paragr. 261-270 et 375.
[112] Jugement entrepris, paragr. 379-385.
[113] Jugement entrepris, paragr. 98.
[114] Jugement entrepris, paragr. 708-715.
[115] Jugement entrepris, paragr. 716.
[116] Jugement entrepris, paragr. 717.
[117] Jugement entrepris, paragr. 10 et 842.
[118] Jugement entrepris, paragr. 154.
[119] Jugement entrepris, paragr. 155.
[120] Jugement entrepris, paragr. 156 et 163.
[121] Jugement entrepris, paragr. 157.
[122] Jugement entrepris, paragr. 351 et 360.
[123] Jugement entrepris, paragr. 352-353.
[124] Jugement entrepris, paragr. 355-361.
[125] Jugement entrepris, paragr. 374.
[126] Jugement entrepris, paragr. 376.
[127] Jugement entrepris, paragr. 386.
[128] Jugement entrepris, paragr. 376, 417, 660 et 661.
[129] Jugement entrepris, paragr. 386 et 417.
[130] Jugement entrepris, paragr. 396, 417, 660 et 661.
[131] Jugement entrepris, paragr. 396 et 407-416.
[133] Jugement entrepris, paragr. 415.
[134] Jugement entrepris, paragr. 418.
[135] Jugement entrepris, paragr. 498.
[136] Jugement entrepris, paragr. 431-432.
[137] Jugement entrepris, paragr. 504.
[138] Jugement entrepris, paragr. 494 et 496.
[139] Jugement entrepris, paragr. 497; voir aussi paragr. 498-499.
[140] Jugement entrepris, paragr. 508-516.
[141] Jugement entrepris, paragr. 508-516.
[142] Jugement entrepris, paragr. 517.
[144] Jugement entrepris, paragr. 580.
[145] Jugement entrepris, paragr. 589 et 591.
[146] Jugement entrepris, paragr. 600.
[147] Jugement entrepris, paragr. 593-594.
[148] Jugement entrepris, paragr. 616.
[150] Jugement entrepris, paragr. 417, 660 et 661.
[151] Jugement entrepris, paragr. 665.
[152] Jugement entrepris, paragr. 669.
[153] Jugement entrepris, paragr. 705.
[154] L’expression « freins d’urgence » est ici utilisée par le juge comme synonyme de « freins à main ».
[155] Jugement entrepris, paragr. 834.
[156] Jugement entrepris, paragr. 837-841.
[157] Jugement entrepris, paragr. 842-846.
[158] Jugement entrepris, paragr. 850.
[159] Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 39.
[160] Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, paragr. 37; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 7; Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 39; Construction Blenda inc. c. Office municipal d’habitation de Rosemère, 2020 QCCA 149, paragr. 37, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 1er octobre 2020, no 39142; J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, paragr. 76, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 2 mars 2017, no 36924; Berthiaume c. Réno-Dépôt inc., [1995] R.J.Q. 2796, p. 2806-2807.
[161] Nelson (City) c. Mowatt, 2017 CSC 8, [2017] 1 R.C.S. 138, paragr. 38, cité dans CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA XL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, paragr. 38 et 46; M.R. c. Hall, 2021 QCCA 826, paragr. 17; Groupe François Poirier inc. c. Bibeau, 2021 QCCA 553, paragr. 57; Truong c. Agence du revenu du Québec, 2021 QCCA 398, paragr. 7.
[162] Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 43; Service d’excavation Jacques Lirette inc. c. Economical, compagnie d’assurances, 2014 QCCA 2139, paragr. 8-10.
[163] Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, paragr. 40.
[164] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 4.
[165] Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688, paragr. 43; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 7.
[166] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 8; St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, [2002] 1 R.C.S. 491, paragr. 33-34.
[167] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 8.
[168] Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 1168, paragr. 7 citée dans CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA XL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, paragr. 35.
[169] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 10; Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 1168, paragr. 8 citée dans CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA XL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, paragr. 35.
[170] Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, paragr. 36.
[171] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 37; Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 1168, paragr. 8 citée dans CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA XL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, paragr. 35.
[172] Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688, paragr. 44; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 37.
[173] Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, paragr. 33; Modern Concept d’entretien inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28, [2019] 2 R.C.S. 406, paragr. 71.
[174] 2016 QCCA 167, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 2 mars 2017, no 36924.
[175] Voir, par exemple, Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, [2020] 3 R.C.S. 595, paragr. 33, citant Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, paragr. 39.
[176] Voir également Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 39, 41 et 42; Berthiaume c. Réno-Dépôt inc., [1995] R.J.Q. 2796, p. 2807.
[177] Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, paragr. 32; St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, [2002] 1 R.C.S. 491, paragr. 98 et 103-104.
[178] Francoeur c. 4417186 Canada inc., 2013 QCCA 191 cité dans CCI Thermal Technologies Inc. c. AXA XL (XL Catlin), 2023 QCCA 231, paragr. 37.
[179] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, paragr. 1; Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 39.
[180] Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. Vincent, [1979] 1 R.C.S. 364.
[181] Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374.
[182] Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201.
[183] Zsoldos v. Canadian Pacific Railway Company, 2009 ONCA 55.
[184] L.R.C., 1985, ch. 32 (4e suppl.).
[186] Jugement entrepris, paragr. 289.
[187] Jugement entrepris, paragr. 298.
[189] DORS/2001-37, art. 2.
[190] Comme le juge le relève au paragraphe 398 du jugement, un nouveau règlement a été adopté en 2015 (Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, DORS/2015-26), lequel prévoit désormais qu’une évaluation des risques est indiquée lorsqu’une compagnie ferroviaire augmente le volume des marchandises dangereuses qu’elle transporte.
[191] Jugement entrepris, paragr. 400.
[193] Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, paragr. 37. Voir également Berthiaume c. Réno-Dépôt Inc., [1995] R.J.Q. 2796, p. 2807.
[194] Jugement entrepris, paragr. 396.
[195] Dow Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23, paragr. 101.
[197] Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022.
[198] Jugement entrepris, paragr. 414.
[199] Jugement entrepris, paragr. 415.
[200] Jugement entrepris, paragr. 416.
[201] Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022.
[202] Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022.
[203] Interrogatoire au préalable de Edward A. Burkhardt, 9 et 10 janvier 2020. Voir aussi Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022 et Interrogatoire de Jason Ross, 8 octobre 2021.
[204] Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022.
[205] Jugement entrepris, paragr. 430.
[206] Loi sur les transports au Canada, L.C., 1996, ch. 10.
[207] Jugement entrepris, paragr. 658.
[208] Lettre-décision n° LET-R-99-2013, 21 août 2013.
[209] Jugement entrepris, paragr. 656.
[210] Service d’excavation Jacques Lirette inc. c. Economical, compagnie d’assurance, 2014 QCCA 2139, paragr. 9.
[211] Jugement entrepris, paragr. 654.
[212] Jugement entrepris, paragr. 662.
[213] Jugement entrepris, paragr. 664.
[214] Voir entre autres Interrogatoire de l’expert en pratiques et stratégies réglementaires Malcolm K. Sparrow, 20 avril 2022; Rapport de l’expert en pratiques et stratégies réglementaires Malcolm K. Sparrow, 10 juillet 2020.
[215] Jugement entrepris, paragr. 654.
[216] Trépanier c. Piéraut, 2024 QCCA 1034, paragr. 4; Martel c. Ville de Québec, 2017 QCCA 1584, paragr. 11; Drogue c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 128, paragr. 6.
[217] Jugement entrepris, paragr. 675 et 676.
[218] Jugement entrepris, paragr. 677.
[219] Jugement entrepris, paragr. 678.
[220] Interrogatoire de Don Kraft, 23 novembre 2021; Interrogatoire au préalable de Christopher Caldwell, 19 et 20 mars 2019; Interrogatoire au préalable de Robert Grindrod, 16 et 17 janvier 2020.
[221] Jugement entrepris, paragr. 683 et Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022; Interrogatoire de Gary P. Wolf, 14 avril et 4 mai 2022.
[222] Rapport de l’expert en opérations ferroviaires Gary P. Wolf, révisé en date du 29 avril 2022.
[223] Interrogatoire de Thomas Harding, 22 septembre 2021; Interrogatoire de Richard Labrie, 27 septembre 2021.
[225] Jugement entrepris, paragr. 696.
[226] Jugement entrepris, paragr. 699.
[227] Jugement entrepris, paragr. 697.
[228] Camions Daimler Canada ltée c. Camions Sterling de Lévis inc., 2017 QCCA 798, paragr. 24. Voir également Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554.
[229] Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses, L.C., 1992, ch. 34; Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, DORS/2001-286. Voir également le paragraphe 17 du présent arrêt.
[230] Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, DORS/2001-286, paragr. 2.19(1).
[231] Interrogatoire de l’expert Paul A. Cunningham, 17 février 2022; Interrogatoire de l’expert Robert A. Richard, 18 janvier 2022; voir également l’article 171.2(f) du Titre 49 du Code of Federal Regulations : « (…) Each carrier who transports a hazardous material in commerce may rely on information provided by the offeror of the hazardous material or a prior carrier, unless the carrier knows or, a reasonable person, acting in the circumstances and exercising reasonable care, would have knowledge that the information provided by the offeror or prior carrier is incorrect. »
[232] Jugement entrepris, paragr. 586.
[233] Jugement entrepris, paragr. 587 et 588.
[234] Document interne de CP, intitulé « SER Crude Oil Research & Requirements ». Voir aussi le document interne de CP, intitulé « Operations – Safety, Environment & Regulatory Affairs (SER) – Frequently Asked Questions – Crude by Rail », daté du 6 mars 2013, p. 12.
[235] Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 39, citant Construction Blenda inc. c. Office municipal d’habitation de Rosemère, 2020 QCCA 149, paragr. 37.
[236] Jugement entrepris, paragr. 522.
[237] Jugement entrepris, paragr. 564.
[238] Jugement entrepris, paragr. 565.
[239] Jugement entrepris, paragr. 570-577.
[240] Jugement entrepris, paragr. 579.
[241] Jugement entrepris, paragr. 553.
[242] Jugement entrepris, paragr. 582.
[243] Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351, p. 362-363.
[244] Jugement entrepris, paragr. 569.
[245] Jugement entrepris, paragr. 571.
[246] Jugement entrepris, paragr. 862.
[248] Voir notamment Interrogatoire au préalable de Edward A. Burkhardt, 9 et 10 janvier 2020.
[249] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 764.
[250] Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081, paragr. 43; Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, paragr. 666.
[251] Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081, paragr. 46.
[252] Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, paragr. 663.
[253] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 770-771.
[254] Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de police et centre d’appels d’urgence 911) c. Ducharme, 2012 QCCA 2122, paragr. 156; voir aussi Pétroles Cadeko inc. c. Équipements pétroliers Claude Pedneault inc., 2023 QCCA 439, paragr. 21-23.
[255] Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 570, paragr. 56, citant Dallaire c. Paul-Émile Martel inc., [1989] 2 R.C.S. 419, p. 429.
[256] Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, paragr. 84.
[257] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 767.
[258] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2020, p. 773.
[259] Gargantiel c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 224, paragr. 28, appliquant Lacombe c. André, [2003] R.J.Q. 720, 2003 CanLII 47946 (QC CA), paragr. 58-60, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 juillet 2003, no 29739.
[260] [2003] R.J.Q. 720, 2003 CanLII 47946 (QC CA), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 juillet 2003, no 29739; voir également Beaulieu c. Paquet, 2016 QCCA 1284, paragr. 39.
[261] Site touristique Chute à l’Ours de Normandin inc. c. Nguyen (Succession de), 2015 QCCA 924, paragr. 58 et 60.
[262] Fortin c. Mazda Canada inc., 2016 QCCA 31, paragr. 157, 158, 161 et 162, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 11 août 2016, no 36898.
[263] Salomon c. Matte‑Thompson, 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729, paragr. 87, 91-92.
[264] St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, paragr. 104 et voir aussi paragr. 98. Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 37.
[265] Montréal (Ville) c. Lonardi, 2018 CSC 29, paragr. 76; voir aussi Montambault c. Outfront Media Canada/Média Outfit Canada, 2021 QCCA 1907, paragr. 12.
[266] Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 570.
[267] Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 37; Montambault c. Outfront Media Canada/Média Outfront Canada, 2021 QCCA 1907, paragr. 12.
[268] Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2023 QCCA 973, paragr. 41-43; voir également Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081, paragr. 37-50.
[270] Jugement entrepris, paragr. 861.
[271] Jugement entrepris, paragr. 868.
[272] Jugement entrepris, paragr. 862.
[273] Jugement entrepris, paragr. 862.
[274] Jugement entrepris, paragr. 865.
[275] Interrogatoire au préalable de Edward A. Burkhardt, 9 et 10 janvier 2020.
[276] Jugement entrepris, paragr. 875-876.
[277] Hogue c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081, paragr. 46-49, demande d’autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 25 février 2021, no 39400.
[278] Jugement entrepris, paragr. 322.
[279] 2019 CSC 14, [2019] 1 R.C.S. 729. Voir jugement entrepris, paragr. 323-324.
[280] Lacombe c. André, 2003 CanLII 47946, paragr. 62 (QC CA), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 juillet 2003, n° 29739. Voir également Girard c. Hydro-Québec, 1987 CanLII 284 (QC CA), EYB 1987-57392, paragr. 24-26 (C.A.).
[281] Rapport d’expert révisé – Stephen Callaghan, daté du 11 décembre 2020.
[283] Voir Cormier c. Ville de Montréal, 2023 QCCA 462, paragr. 81 et 83.