COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. c. Guindon, 2017 CSC 29, [2017] 1 R.C.S. 575 |
Appel entendu : 22 février 2017 Jugement rendu : 9 juin 2017 Dossier : 36915 |
Entre :
Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l.
Appelante
et
Serge Guindon
Intimé
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe
Motifs de jugement : (par. 1 à 36) |
Le juge Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Karakatsanis, Wagner, Côté, Brown et Rowe) |
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Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. c. Guindon, 2017 CSC 29, [2017] 1 R.C.S. 575
Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. Appelante
c.
Serge Guindon Intimé
Répertorié : Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. c. Guindon
2017 CSC 29
No du greffe : 36915.
2017 : 22 février; 2017 : 9 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.
en appel de la cour d’appel du québec
Prescription — Prescription extinctive — Point de départ de la prescription — Action en recouvrement d’honoraires professionnels d’avocats — Convention d’honoraires prévoyant un délai de 30 jours pour le paiement des factures — Avocat intentant un recours afin de réclamer des honoraires impayés à la suite de l’envoi de plusieurs factures — Premier juge concluant que le recours est prescrit, car initié plus de trois ans après la date de chacune des factures — Cour d’appel estimant plutôt que la prescription ne court qu’une fois expiré le délai de 30 jours prévu à la convention pour le paiement de chaque facture — À quelle date le droit de l’avocat de réclamer ses honoraires professionnels a-t-il pris naissance? — L’action est-elle prescrite? — Code civil du Québec, art. 2880 al. 2.
En septembre 2011, G retient les services d’une société d’avocats. Les parties concluent une convention d’honoraires qui prévoit notamment que toute facturation est payable dans les 30 jours et qu’après ce délai, des intérêts seront calculés et facturés. Entre le 5 octobre 2011 et le 1er mars 2012, l’avocat envoie cinq factures à son client. Le 21 mars 2012, le client informe l’avocat qu’il met fin à son contrat. Le 12 mars 2015, l’avocat intente un recours afin de réclamer ses honoraires impayés. Le premier juge rejette le recours, concluant qu’il est prescrit puisqu’il a été initié après le délai de prescription, soit plus de trois ans suivant la préparation et l’envoi de chacune des factures. La Cour d’appel confirme que le recours est prescrit quant aux quatre premières factures. Par contre, elle estime que la prescription ne court qu’une fois expiré le délai de 30 jours prévu à la convention d’honoraires et ordonne donc au client de payer la facture du 1er mars 2012.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le
point de départ de la prescription extinctive se situe au jour où le droit d’action
a pris naissance tel que le prévoit l’art.
En l’espèce, le recours de l’avocat est prescrit, sauf pour la facture du 1er mars 2012. La convention d’honoraires intervenue entre les parties fixe le moment auquel l’obligation de paiement du client devient exigible. Elle précise que toute facturation est payable dans les 30 jours. Ce terme suspensif reporte l’exigibilité du paiement, et donc le point de départ du délai de prescription, au 31e jour suivant l’envoi de chaque facture.
La
notion de « fin des travaux » prévue au Code civil du Québec
dans le contexte des contrats d’entreprise est inapplicable aux contrats
intervenant entre un avocat et son client, lesquels ne visent pas la
réalisation d’un ouvrage. La nature du travail d’un avocat consiste à offrir
ses services pendant une certaine période, et non à livrer à un client un produit
fini que ce dernier pourra utiliser. Parfois, son rôle est également de
représenter ce client devant les tribunaux. Le contrat conclu par un avocat et
son client peut donc être qualifié de contrat de services, de mandat, ou de
contrat mixte, selon la nature des services rendus. Aucun de ces types de
contrats n’est assorti de règles précisant que la prescription commence à
courir uniquement à la fin du contrat. Il faut donc s’en remettre à la règle
générale énoncée à l’art.
Les obligations déontologiques de l’avocat qui l’empêchent généralement de poursuivre son client pendant qu’il agit encore pour lui ne suspendent pas la prescription jusqu’à la fin du contrat. L’avocat dont le client n’a pas encore payé un compte dû et exigible est certes placé dans une situation difficile. Toutefois, cette situation n’entraîne pas une impossibilité en fait d’agir qui suspend la prescription. Un choix s’impose plutôt à l’avocat : soit laisser courir la prescription en continuant de représenter son client malgré le défaut de paiement, soit réclamer ses honoraires devant les tribunaux en cessant d’agir pour ce dernier.
Jurisprudence
Arrêts
mentionnés : Leblanc c. Sœurs de l’Espérance,
Lois et règlements cités
Code civil du Bas-Canada, art. 2236.
Code civil du Québec, art. 1617, 2098, 2110, 2111, 2116, 2117 à 2124, 2184, 2185, 2880 al. 2, 2904, 2921, 2925, 2931.
Code de déontologie des avocats, RLRQ, c. B-1, r. 3.1, art. 48, 71, 72.
Loi sur la taxe de vente du Québec, RLRQ, c. T-0.1, art. 32.3, 82, 83, 422, 437.
Doctrine et autres documents cités
Baudouin, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel Jobin. Les obligations, 7e éd. par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2013.
Baudouin, Jean-Louis, Patrice Deslauriers et Benoît Moore. La responsabilité civile, 8e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014.
Gervais, Céline. La prescription, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2009.
Martineau, Pierre. La prescription, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1977.
Mignault, P.-B. Le droit civil canadien, t. 9, Montréal, Wilson & Lafleur, 1916.
Québec. Ministère de la Justice. Commentaires du ministre de la Justice, t. II, Le Code civil du Québec — Un mouvement de société, Québec, Publications du Québec, 1993.
POURVOI
contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Pelletier, Vézina et
Bélanger),
Damien Pellerin, pour l’appelante.
Jean-Yves Côté, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge Gascon —
I. Aperçu
[1] La question dont traite ce pourvoi se pose régulièrement devant les tribunaux, au Québec comme ailleurs au Canada. Elle se soulève par contre rarement devant notre Cour. L’appelante, une société d’avocats, la formule en des termes en apparence absolus : en matière de réclamation d’honoraires professionnels d’avocats, le délai de prescription commence-t-il à courir à partir de la date de la facturation, de la date de la fin du mandat ou du contrat de services, ou de la date du dernier service professionnel rendu?
[2]
À mon avis, la question à résoudre s’énonce beaucoup plus simplement, et
n’impose aucun absolu dans la réponse à y donner : aux termes de
l’art.
[3] Dans les circonstances propres au présent pourvoi, la réponse donnée par la Cour d’appel est la bonne. Compte tenu du libellé de la convention d’honoraires intervenue et de la teneur des notes d’honoraires envoyées par la société d’avocats, la prescription a commencé à courir dès le 31e jour suivant l’envoi de chaque facture, et non à la fin de la relation contractuelle entre les parties. L’appel doit donc être rejeté.
II. Contexte
[4] En septembre 2011, l’intimé, M. Serge Guindon (« client »), retient les services de l’appelante, Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l. (« avocat »), afin d’« [é]tudier [son] dossier, rédiger [des] procédures, [et le] représent[er] » dans le cadre d’un litige (d.a., p. 77). Les parties concluent une convention d’honoraires qui prévoit notamment que « [t]oute facturation est payable dans les trente (30) jours [et qu’]après ce délai, des intérêts seront calculés et facturés au taux de 15 % l’an » (ibid., p. 79). Au même moment, le client fournit à l’avocat une avance de 400 $.
[5] Le 5 octobre 2011, l’avocat envoie une première facture à son client, à laquelle il impute le montant de l’avance reçue en paiement partiel. L’avocat envoie par la suite quatre autres factures, dont la dernière, datée du 1er mars 2012, porte sur des services rendus jusqu’au 22 février 2012. Chaque facture indique qu’elle est « payable sur réception » et qu’elle porte intérêt au taux annuel de 12 % ou 15 %; les deux dernières donnent au client un « délai de grâce » de 30 jours (ibid., p. 97-105). Ce dernier effectue un paiement partiel le 5 mars 2012, puis il informe son avocat le 21 mars 2012 qu’il met fin à son contrat.
[6] Le 12 mars 2015, l’avocat intente le présent recours afin de réclamer ses honoraires impayés. Son client répond que le recours est prescrit puisqu’il a été initié plus de trois ans suivant l’envoi de chacune des factures. L’avocat rétorque que le recours n’est pas prescrit, car le délai de prescription n’aurait commencé à courir qu’à la fin du mandat, le 21 mars 2012.
[7]
En première instance, le juge Laporte de la Cour du Québec conclut que
le recours est prescrit (
[8]
La Cour d’appel confirme pour l’essentiel cette décision, mais ordonne
au client de payer la facture du 1er mars 2012, que celui-ci reconnaît
de toute façon devoir (
III. Analyse
[9]
La question principale qui se pose en l’espèce consiste à déterminer si
le recours de l’avocat est prescrit. Les parties concèdent qu’un délai de
prescription de trois ans s’applique ici (art.
A. Le point de départ de la prescription
[10]
La prescription extinctive « est un moyen d’éteindre un droit par
non-usage ou d’opposer une fin de non-recevoir à une action »
(art.
(1) La naissance du droit d’action
[11]
Le point de départ de la prescription extinctive se situe au « jour
où le droit d’action a pris naissance » (art.
[12]
En matière contractuelle, le droit d’action du créancier prend naissance
dès que l’obligation de son débiteur est née et exigible (Re 9022-8818
Québec inc.,
[13]
Ces principes s’appliquent aux conventions d’honoraires professionnels,
lesquelles peuvent « prévoir des procédures de facturation qui pourraient
faire varier le point de départ de la prescription » (Gervais,
p. 121; voir, p. ex., Dallaire c. Dallaire,
(2) L’application au présent pourvoi
[14] En l’espèce, la convention d’honoraires intervenue entre les parties fixe le moment auquel l’obligation de paiement de l’intimé devient exigible. Elle précise que « [t]oute facturation est payable dans les trente (30) jours » (d.a., p. 79). Ce terme suspensif reporte l’exigibilité du paiement, et donc le point de départ du délai de prescription, au 31e jour suivant l’envoi de chaque facture.
[15] Par ailleurs, les factures envoyées par l’avocat ne sont ni exprimées ni conçues comme des comptes intérimaires. Au contraire, chacune porte la mention « payable sur réception », ce qui indique clairement au client qu’elle est exigible.
[16]
Enfin, bien que cela ne soit pas déterminant, les parties ont convenu
que ces factures porteraient intérêt dès le 31e jour suivant leur
envoi. Ces intérêts sont manifestement prévus pour compenser un retard à
effectuer le paiement (art.
[17] L’avocat a du reste lui-même reconnu implicitement que la dette de son client devenait exigible suivant chaque date de facturation. Dès la confection de la première facture, le 5 octobre 2011, il a en effet transféré dans son compte général l’avance que son client lui avait remise au moment de la signature de la convention d’honoraires (d.a., p. 97). Or, un tel transfert ne pouvait se justifier que si la dette qu’il visait à couvrir était exigible.
[18] Malgré cela, l’avocat soutient que si les montants réclamés aux termes de chaque facture étaient dus à la date de leur facturation, ils demeuraient néanmoins non exigibles jusqu’à la fin du contrat. Je suis en désaccord. Non seulement cette prétention est-elle contraire aux termes mêmes de la convention conclue par les parties et des factures expédiées, mais elle mènerait en outre à un résultat incongru et peu souhaitable. D’après cette thèse, un avocat qui exigerait périodiquement le paiement de ses honoraires ne pourrait rien réclamer à son client pendant l’exécution du contrat, alors qu’il devrait pourtant verser dans l’intervalle aux autorités fiscales les taxes correspondantes (voir, p. ex., Loi sur la taxe de vente du Québec, RLRQ, c. T-0.1, art. 32.3, 82, 83, 422 et 437). De plus, puisque cet avocat n’aurait aucune créance exigible avant la fin du contrat, aucune somme ne serait alors considérée comme impayée avant cette échéance. L’avocat en question n’aurait donc aucun motif sérieux à faire valoir pour demander par exemple au tribunal l’autorisation de cesser d’agir, même s’il devenait clair que son client n’est pas en mesure de le payer (Code de déontologie des avocats, RLRQ, c. B-1, r. 3.1, art. 48 al. 2(3)).
[19] En somme, selon une telle approche, un avocat devrait remettre au gouvernement les taxes correspondant aux sommes facturées à son client sans pouvoir se faire payer ni cesser d’agir avant la fin du contrat. Suivant la position catégorique adoptée par l’appelante, ces conséquences s’étendraient à tous les contrats conclus par un avocat et son client. Je ne puis concevoir que ce soit là l’état du droit, et encore moins le reflet d’une gestion efficace et sensée d’une pratique professionnelle.
[20]
À l’inverse, le fait de s’en tenir à une détermination factuelle du
moment où le droit d’action a pris naissance, selon les circonstances propres à
chaque cas et comme le prescrit l’art.
(3) La notion de « fin des travaux » ou de « fin du mandat »
[21] À ce chapitre, l’argument de l’appelante voulant que les réclamations d’honoraires professionnels d’avocats se prescrivent toujours à partir de la « fin des travaux » ou de la « fin du mandat » ne résiste pas à l’analyse. Cet argument confond les types de contrats nommés prévus au C.c.Q. et les régimes qui y sont associés, tout en donnant à la jurisprudence sur le sujet une portée qu’elle n’a tout simplement pas.
[22]
Le C.c.Q. ne se réfère à la notion de « fin des
travaux » que dans le contexte des contrats d’entreprise, lesquels visent
la réalisation d’un ouvrage matériel ou intellectuel (art.
[23]
Dans le cadre d’un contrat d’entreprise, le Code prévoit
expressément que l’obligation de paiement du client est reportée à la fin des
travaux, soit « lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir
conformément à l’usage auquel on le destine » (art.
[24]
Bien qu’ils aient été rendus sous le régime du C.c.B.-C., qui ne
contenait aucune disposition équivalente, les arrêts Leblanc et Percé
(Ville) c. Roy,
[25]
Aussi, cette notion de « fin des travaux » ou de « fin du
mandat » qu’invoque ici l’appelante est inapplicable aux contrats
intervenant entre un avocat et son client, lesquels ne visent pas la
réalisation d’un ouvrage. La nature du travail d’un avocat consiste à offrir
ses services pendant une certaine période, et non à livrer à un client un
« produit fini » que ce dernier pourra utiliser. Parfois, son rôle
est également de représenter ce client devant les tribunaux. Le contrat conclu
par un avocat et son client peut donc être qualifié de contrat de services, de
mandat, ou de contrat mixte, selon la nature des services rendus (Baudouin,
Deslauriers et Moore, no 2-124; M.D. c. Plante,
[26]
Or, contrairement au contrat d’entreprise, ni le contrat de services ni
le mandat ne sont assortis de règles précisant que la prescription commence à
courir uniquement à la fin du contrat. Dans le cadre d’un mandat, le Code
précise d’ailleurs que les parties doivent se remettre ce qu’elles se doivent
lorsque le mandat prend fin, mais cela n’empêche pas que des paiements puissent
être exigibles au cours de la relation contractuelle (art.
[27] Les nombreuses décisions sur lesquelles s’appuie l’avocat reflètent du reste ce principe. Les conclusions auxquelles les tribunaux parviennent peuvent en effet se justifier eu égard aux faits en cause. Partant, contrairement aux prétentions de l’avocat, ces décisions ne doivent pas être interprétées comme ayant pour effet d’établir un principe général qui fixerait dans tous les cas à la fin du contrat le point de départ de la prescription en matière de réclamation d’honoraires professionnels d’avocats.
[28]
Ainsi, les décisions qui ont retenu la fin du contrat comme point de
départ de la prescription ont pour la plupart été rendues dans des affaires où,
à la différence du cas qui nous occupe, les factures avaient été envoyées après
que le contrat de l’avocat ou du professionnel en question eut pris fin. Comme
aucune convention n’établissait le moment de l’exigibilité des obligations, il
était donc possible pour les tribunaux de conclure, sur la base des
circonstances propres à chaque cas, que l’avocat ou le professionnel concerné
pouvait alors poursuivre son client à partir de la date du dernier service
rendu (voir, p. ex., Géoret inc. c. Garderie Morin inc., [2000]
[29]
Par ailleurs, dans les situations où, comme ici, le contrat de l’avocat
s’est terminé après l’envoi de sa dernière facture, certains tribunaux ont
établi le point de départ de la prescription à la date de la fin du contrat
(voir, p. ex., Bernatchez c. Bergeron, [2000]
[30] À mon avis, il faut considérer chacune de ces décisions dans son contexte particulier, et éviter de leur donner une portée générale qu’elles n’ont pas. Certes, certaines d’entre elles qualifient à tort le contrat en cause de mandat et prétendent erronément se fonder sur une règle générale qui fixerait le point de départ de la prescription en matière d’honoraires professionnels d’avocats à la fin du contrat, sans égard aux circonstances de chaque cas. De ce point de vue, leur approche est incompatible avec la nature essentiellement factuelle de la détermination du point de départ de la prescription. Malgré cela, les conclusions auxquelles les tribunaux sont parvenus dans ces décisions pouvaient néanmoins se justifier en fonction des faits propres à chaque affaire.
[31] En somme, rien dans le Code ou la jurisprudence n’établit de règle inflexible selon laquelle les réclamations d’honoraires professionnels d’avocats se prescrivent uniquement à partir de la fin du mandat ou du contrat de services. La détermination du point de départ de la prescription demeure plutôt une question factuelle, dont la réponse varie selon les circonstances propres à chaque affaire et qui reste notamment tributaire de la convention intervenue entre les parties et des modalités des factures envoyées par l’avocat concerné à son client.
B. L’impossibilité en fait d’agir
[32] De façon subsidiaire, l’appelante soutient que la prescription aurait de toute façon été suspendue jusqu’à la fin de son contrat. Selon elle, cette suspension résulterait du fait que tout avocat est dans l’impossibilité d’agir contre son client tant qu’il le représente, et ce, en raison de ses obligations déontologiques. Quoique cet argument ait été soulevé devant les juridictions inférieures, ni la Cour du Québec, ni la Cour d’appel n’en ont traité dans leurs motifs. J’estime cet argument sans fondement.
[33]
Le Code prévoit effectivement que « [l]a prescription ne court
pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par
elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres » (art.
[34] Il est vrai qu’un avocat a de nombreuses obligations déontologiques envers son client, dont celle de ne pas se placer en situation de conflit d’intérêts (Code de déontologie des avocats, art. 71 et 72). Lorsqu’un client n’a pas encore payé un compte dû et exigible, cela place son avocat dans une situation difficile et l’empêche généralement de poursuivre le client pour réclamer les honoraires impayés pendant qu’il agit encore pour lui.
[35]
Toutefois, cette situation n’entraîne pas une impossibilité en fait
d’agir qui suspend la prescription. Elle impose plutôt un choix à
l’avocat : soit laisser courir la prescription en continuant de
représenter son client malgré le défaut de paiement, soit réclamer ses
honoraires devant les tribunaux en cessant d’agir pour ce dernier comme le lui
permet le Code de déontologie des avocats (art. 48). Tout aussi
difficile que ce choix puisse parfois être, il s’offre néanmoins à l’avocat,
comme en témoignent les requêtes présentées régulièrement devant les chambres
de pratique des tribunaux du Québec par des avocats qui désirent cesser
d’occuper pour un client en raison du non-paiement de leurs honoraires. Une
impossibilité en fait d’agir ne saurait découler d’un choix rationnel dont
dispose un créancier et que ce dernier exerce librement et en toute connaissance
de cause (Roy c. Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau
du Québec,
IV. Conclusion
[36]
En somme, selon ce que révèlent les faits du dossier, l’appelante
voudrait être payée par son client, l’intimé en l’occurrence, pendant
l’exécution de son contrat, sans pour autant que la prescription ne commence à
courir à son endroit. Cette position est contraire à l’art.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Pellerin Avocats, Longueuil.
Procureur de l’intimé : Côté Avocat inc., Montréal.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.