Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Lamarre | 2025 QCCDING 16 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
No : 22-23-0701 |
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DATE : | 1er août 2025 |
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LE CONSEIL : | Me MAURICE CLOUTIER | Président |
M. NORMAND BELL, FIC,ingénieur | Membre |
M. DENIS PRIMEAU, ingénieur | Membre |
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JOCELYN MILLETTE, ingénieur, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du Québec |
Plaignant |
c. |
JACQUES LAMARRE, ingénieur |
Intimé |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ
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APERÇU
- Le 14 juin 2023, le plaignant dépose une plainte disciplinaire par laquelle il formule différents reproches à l’endroit de l’intimé.
- Le 23 avril 2024, une autre division du conseil de discipline accueille en partie une demande en précision et en divulgation de la preuve présentée par l’intimé[1].
- Le 4 novembre 2024, le plaignant demande la modification de la plainte disciplinaire. L’intimé ne formule aucune opposition à cette demande et le Conseil autorise la modification de la plainte dont les chefs se libellent maintenant ainsi :
- À Montréal, le ou vers le mois de novembre 2002, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a versé, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en intervenant auprès des autorités canadiennes en faveur de Saadi Kadhafi dans le but que celui-ci obtienne un visa, contrevenant ainsi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, au cours des années 2005 à 2008, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a versé, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en donnant la directive ou en tolérant que soit donnée la directive ou en ne pouvant ignorer la directive donnée à Nicole Girard, sa secrétaire, d’acheter un manteau d’hiver haut de gamme afin de l’offrir à Saïf Kadhafi lors de sa visite au Canada, contrevenant ainsi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, au cours de l’année 2005, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a versé, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en organisant ou en donnant la directive que soit organisée une exposition de peinture à Montréal pour Saïf Kadhafi aux frais de la société SNC-Lavalin, contrevenant ainsi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, au cours de l’année 2008, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a versé, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en versant ou en donnant la directive que soit versé ou en ne pouvant ignorer qu’était versé un montant approximatif de 2 millions de dollars (1, 973, 657.38$) à la famille Kadhafi, notamment en payant les dépenses de Saadi Kadhafi lors de son séjour au Canada, contrevenant ainsi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
Mars à décembre 2008;
- Sécurité (Garda) pour une valeur de 1,173, 149.72$;
- Voyage, hôtels et transports pour une valeur de ;
- 597 253.12 $ payé par SNC-Lavalin
- 151 780.18 $ payé par Stéphane Roy rapport de dépenses
- Factures de cellulaire pour une valeur de 28 246.98;
- Formations données par des consultants externes pour une valeur de 23 227.38 $;
- À Montréal, au cours de l’année 2009, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a versé, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en versant ou en donnant la directive que soit versé ou en ne pouvant ignorer, en tout ou en partie, qu’était versé un montant […] approximatif de 200 000$ au bénéfice de la famille Kadhafi, pour les rénovations d’une des résidences de Saadi Kadhafi située à Toronto, contrevenant ainsi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, au cours de l’année 2006 et 2007, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a versé, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en achetant ou en donnant la directive que soit acheté ou ne pouvant ignorer l’achat d’un yacht au montant de 25 millions de dollars américains par SNC-Lavalin afin de l’offrir à Saadi Kadhafi, contrevenant ainsi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, au cours des années 2001 à 2009 dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a eu recours à des procédés malhonnêtes ou douteux dans l’exercice de sa profession notamment en tolérant un système de corruption ou en ne pouvant ignorer l’existence d’un système de corruption […] ayant notamment servi à verser des millions de dollars canadiens à Saadi Kadhafi […] par l’entremise d’un agent fictif appelé « Duvel », contrevenant ainsi […] aux articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, entre les années 2001 à 2009, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a eu recours à des procédés malhonnêtes ou douteux dans l’exercice de sa profession notamment en tolérant un système de corruption ou en ne pouvant ignorer l’existence d’un système de corruption où des agents étaient payés et utilisés afin d’obtenir des contrats, contrevenant ainsi […] aux articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, au cours des années 2001 à 2005, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a eu recours à des procédés malhonnêtes ou douteux dans l’exercice de sa profession notamment en tolérant un système malhonnête ou douteux, alors qu’il savait ou ne pouvait ignorer que SNC-Lavalin avait recours au marché noir afin d’acheter des dinars libyens en argent comptant, contrevenant ainsi à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, entre les années 2001 à 2009, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a commis des actes impliquant de la collusion et/ou de la corruption notamment en versant, directement ou indirectement, un avantage en vue d’obtenir un contrat, notamment en versant, en tolérant que soient versées ou en ne pouvant ignorer qu’étaient versées des sommes d’argent au parti politique Union Montréal, contrevenant ainsi aux articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
- À Montréal, entre les années 2001 à 2009, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a commis des actes impliquant de la collusion et/ou de la corruption notamment en ayant eu recours à des procédés malhonnêtes ou douteux dans l’exercice de sa profession en donnant la directive que SNC-Lavalin participe ou en ne pouvant ignorer que SNC-Lavalin participait à un système de prête-noms permettant à SNC-Lavalin de financer […] des partis politiques, contrevenant ainsi aux articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
- À Montréal, entre les années 2001 et 2009, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a négligé de mettre en place les mesures nécessaires afin de surveiller l’application des directives internes quant aux processus d’appels d’offres afin de prévenir, d’arrêter ou d’éliminer des procédés malhonnêtes et douteux ayant cours au sein de la firme, notamment le versement d’avantages financiers moyennant l’obtention d’un contrat, contrevenant ainsi aux articles 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, entre les années 2001 et 2009, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin […] a négligé de prendre les mesures suffisantes afin d’empêcher la mise en place d’un système de remboursement à des employés pour des contributions électorales ayant l’apparence d’avoir été personnelles, contrevenant ainsi à l’article 59.2 du Code des professions;
- À Montréal, entre les années 2000 et 2001, dans le cadre de l’exercice de sa profession alors qu’il était président de la firme SNC-Lavalin, a posé un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’Ordre, en intimidant et en attaquant physiquement son confrère Pierre Anctil, suivant un désaccord lié à une décision d’affaires, contrevenant ainsi à l’article 59.2 du Code des professions;
[Transcription textuelle]
- L’intimé enregistre un plaidoyer de non-culpabilité à l’égard de chacun des chefs de la plainte modifiée.
- Le même jour, ce dernier annonce la présentation d’une requête écrite en arrêt des procédures à la suite de la preuve du plaignant. Le 6 mai 2025, il précise que cette requête sera présentée dans le cadre de ses plaidoiries portant sur l’ensemble du dossier.
- Le 8 janvier 2025, le Conseil accueille l’objection formulée par le plaignant à l’encontre de la production en preuve d’une déclaration faite par M. Normand Morin à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) le 23 septembre 2021[2].
QUESTIONS EN LITIGE
- Le plaignant a-t-il démontré par une preuve claire et prépondérante que l’intimé a commis les infractions reprochées?
- Le Conseil doit-il permettre le dépôt du Rapport du groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction du 30 août 2011, pièce I-45, et la lettre du 13 mai 2011 portant sur le Comité de consultation de l’industrie de la construction, pièce I-44?
- Le Conseil doit-il accueillir la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé?
- Pour les motifs qui suivent, le Conseil :
- Acquitte l’intimé de certains chefs et le déclare coupable à l’égard d’autres, le tout tel qu’il appert plus amplement du dispositif de la présente décision;
- Permet le dépôt de la pièce I-45, soit le Rapport du groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction du 30 août 2011 et de la lettre du 13 mai 2011 portant sur le Comité de consultation de l’industrie de la construction, pièce I-44;
- Rejette la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé.
CONTEXTE
- L’attestation[3], produite de consentement, confirme que l’intimé est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec (l’Ordre) pendant la période en litige.
- Dans le cadre de sa preuve, le plaignant et le syndic, monsieur Réal Giroux, sont entendus. Le contexte d’intervention du Bureau du syndic et du plaignant est abordé à cette occasion et leurs témoignages sont analysés tant dans le cadre de la preuve sur culpabilité qu’à l’occasion de l’examen de la requête en arrêt des procédures.
- Ces témoignages sont suivis de ceux de M. Pierre Anctil, de M. Normand Morin, de M. Yves Cadotte, de Mme Diane Nyisztor, de M. Stéphane Roy, de Mme Kathleen Weil, de M. Michael Novak, de M. Gilles Laramée, de M. Paul Beaudry et de M. Sami Bebawi. Ceux-ci, sauf Mme Weil, ont occupé des postes à SNC-Lavalin.
- Pour sa part, l’intimé témoigne devant le Conseil. En défense, il ne présente aucun autre témoin.
ANALYSE
- Premièrement, le Conseil détermine si le plaignant a satisfait à son fardeau de preuve à l’égard des différents chefs d’infraction.
- En second lieu, le Conseil examine le bien-fondé de la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé.
A) Le plaignant a-t-il démontré par une preuve prépondérante que l’intimé a commis les infractions qui lui sont reprochées, et ce, à l’égard de chacun des chefs de la plainte disciplinaire?
Les principes de droit
- Le fardeau de la preuve
- Le plaignant a le fardeau de la preuve. Il doit prouver par prépondérance les éléments des infractions reprochées[4]. La Cour d’appel, dans l’arrêt Bisson c. Lapointe[5], rappelle ce qui suit quant au fardeau de la preuve :
[66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le « sérieux » de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences.
[67] Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.
[68] Comme le rappelle la Cour suprême, « [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités ».
[Références omises]
- Plus récemment, la Cour d’appel[6] réitère que les notions juridiques exposées dans l’arrêt Bisson c. Lapointe constituent l’état de droit.
- Le Conseil doit considérer la preuve faite devant lui et décider si elle constitue la preuve suffisante de l’infraction correspondant au lien de rattachement énoncé au chef d’infraction[7].
- La Cour d’appel a décidé que les éléments essentiels d’un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions de rattachement qu’on reproche à l’intimé d’avoir violées[8].
- Le Conseil détermine la culpabilité ou l’acquittement de l’intimé à l’égard de chacune des dispositions de rattachement invoquées.
- La faute
- La faute doit atteindre un niveau de gravité suffisant pour être qualifiée de faute professionnelle :
[43] Pour éviter un exercice de pondération arbitraire basé sur des facteurs variables au gré des circonstances de chaque cas, la jurisprudence et la doctrine préconisent de s'en remettre aux fondements mêmes de la déontologie professionnelle, c'est-à-dire aux valeurs inspirées par l'éthique, la moralité, la probité, l'honneur et la dignité nécessaires pour assurer la protection du public[9].
- Lorsque la norme est décrite dans un règlement, la moralité et l’éthique sont nécessairement enfreintes en cas de manquement[10].
- Il faut distinguer entre un comportement qui n’est pas souhaitable et celui qui se situe en dessous du comportement acceptable. Seul ce dernier peut constituer une faute déontologique[11].
- Le Conseil doit rechercher si le comportement visé par la plainte s’écarte gravement de la norme de conduite applicable[12].
- L’évaluation de la crédibilité des témoins
- En présence de témoignages contradictoires de témoins clés impliqués dans une trame factuelle, il revient au Conseil d’évaluer leur crédibilité[13]. Ceci implique des efforts de conciliation des différentes versions des faits qui ne relèvent pas de la science exacte[14].
- Néanmoins, des critères ont été identifiés pour évaluer la force probante des témoignages. Ainsi, dans l’affaire Stoneham c. Ouellet[15], la Cour suprême enseigne qu’il y a lieu de tenir compte de l’ensemble de la preuve, le décideur devant notamment être à l’affût des contradictions, des hésitations et des circonstances qui se dégagent de l’ensemble de la preuve :
Dans une affaire civile où la règle est celle de la prépondérance de la preuve et des probabilités, quand la partie témoigne et qu’elle n’est pas crue, il est possible pour le juge du procès de considérer ces affirmations comme des dénégations et ces dénégations comme des aveux, compte tenu des contradictions, des hésitations, du temps que le témoin met à répondre, de sa mine, des preuves circonstancielles et de l’ensemble de la preuve. Les réponses du témoin tendent alors à établir le contraire de ce que le témoin voudrait que le juge croie.
- Après avoir vu et entendu les témoins, le Conseil peut tenir compte du langage non verbal, rechercher les réticences et déterminer si un témoin est hésitant ou évasif[16].
- Dans un litige concernant une réclamation faite à un assureur, la Cour du Québec se réfère à l’arrêt Stoneham et énumère les critères suivants qui ne se veulent pas exhaustifs[17] :
[141] Les critères retenus par la jurisprudence pour jauger la crédibilité, sans prétendre qu'ils sont exhaustifs, peuvent s'énoncer comme suit :
1. Les faits avancés par le témoin sont-ils en eux-mêmes improbables ou déraisonnables?
2. Le témoin s'est-il contredit dans son propre témoignage ou est-il contredit par d'autres témoins ou par des éléments de preuve matériels?
3. La crédibilité du témoin a-t-elle été attaquée par une preuve de réputation?
4. Dans le cours de sa déposition devant le tribunal, le témoin a-t-il eu des comportements ou attitudes qui tendent à le discréditer?
5. L'attitude et la conduite du témoin devant le tribunal et durant le procès révèlent-elles des indices permettant de conclure qu'il ne dit pas la vérité?
[142] Ces critères d'appréciation de la crédibilité peuvent prendre en compte non seulement ce qui s'est dit devant le tribunal, mais aussi d'autres déclarations, verbalisations ou gestes antérieurs du témoin.
[143] Ainsi, un témoin qui, en des moments différents relativement aux mêmes faits, donne des versions différentes porte atteinte à la crédibilité de ce qu'il avance.
[144] Dans l'évaluation de la crédibilité d'un témoin, il est important de considérer sa faculté d'observation, sa mémoire et l'exactitude de ses déclarations.
[145] Il est également important de déterminer s'il tente honnêtement de dire la vérité, s'il est sincère et franc ou au contraire s'il est partial, réticent ou évasif.
[146] La crédibilité d'un témoin dépend aussi de sa connaissance des faits, de son intelligence, de son désintéressement, de son intégrité, de sa sincérité.
[147] La Cour suprême a souligné que dans une affaire civile où la règle est celle de la prépondérance de la preuve et des probabilités, quand la partie témoigne et qu'elle n'est pas crue, il est possible pour le juge qui procède de considérer ses affirmations comme des négations, et ses dénégations comme des aveux, compte tenu des contradictions, des hésitations, du temps que le témoin met à répondre, de sa mine, des preuves circonstancielles et de l'ensemble de la preuve.
[148] Dans son analyse, le Tribunal devra certes examiner les témoignages au procès, mais aussi les interrogatoires hors cour et les déclarations antérieures.
[149] Il faudra vérifier si les versions sont concordantes, et si elles ne le sont pas si des explications claires ont été données justifiant les divergences ou les contradictions.
[150] La vérité se dit et s'énonce clairement. Certes il se peut que quelqu'un puisse ne pas avoir toutes les factures ou à l'occasion avoir des trous de mémoire, mais cela ne peut justifier de représenter comme vraies des choses complètement inexactes.
[151] Les problèmes de récollection répétitifs et importants d'un témoin sur des éléments cruciaux portent atteinte au moins quant à sa fiabilité. Un tel témoin risque d'affirmer des choses comme avérées alors qu'il ne s'en souvient pas.
[152] Les contradictions entre diverses déclarations sur les mêmes faits portent aussi atteinte à la crédibilité.
[Références omises]
- Dans l’arrêt Chénier[18], la Cour d’appel définit ainsi les concepts de crédibilité et de fiabilité d’un témoin :
[19] […] La crédibilité d’un témoin s’attarde à sa personne et à ses caractéristiques, qu’il s’agisse de son honnêteté, de sa sincérité ou de son intégrité. La fiabilité porte sur la valeur du récit d’un témoin, ce qui inclut la considération de facteurs comme sa mémoire, la présence ou l’absence de contradictions et leur ampleur, sa faculté et sa capacité d’observation.
[Référence omise]
- Dans la présente affaire, l’évaluation de la valeur probante de plusieurs témoignages constitue un enjeu de taille, d’autant plus que certains témoins ont même fait l’objet d’accusations ou de condamnations de nature criminelle relativement aux faits en litige. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler ce qui suit.
- Un témoignage peut contenir certaines inexactitudes sans pour autant perdre toute sa valeur[19].
- À la lumière de l’ensemble des faits mis en preuve, il est possible d’ajouter foi à une partie d’une déposition d’un témoin, même s’il est contredit sous d’autres aspects[20] :
[43] L’appréciation de la crédibilité d’un témoin relève du juge de première instance. Comme l’énonce la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Kehler, le juge des faits a une large discrétion en ce domaine :
[22] Là encore, même en présence de faits contestés qui ne sont pas par ailleurs confirmés, le juge des faits peut, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, ajouter foi à la déposition du témoin de mauvaise réputation s’il est persuadé que, malgré ses faiblesses ou ses défauts, ce témoin dit la vérité.
- La Cour d’appel, dans l’arrêt B.D. c. R.[21], décide comme suit :
[20] Enfin, dans le contexte de la présente affaire, il est pertinent de rappeler qu’il est loisible au juge du procès d’apprécier de manière nuancée la force probante d’un témoignage et d’en écarter une partie tout en le considérant, pour le reste, à la fois fiable et crédible.
[Références omises]
- La Cour du Québec, dans l’affaire R. c. Dion Thouin[22], s’appuie sur l’arrêt rendu par la Cour suprême dans R. c. François[23] et énonce le principe suivant :
[19] D’autre part, le Tribunal peut croire tout, aucune ou quelques parties du témoignage d’une personne. Il peut aussi accorder un poids différent à certaines parties d’un témoignage qu’il accepte. La présence d’incohérences ou de contradictions dans la version d’un témoin n’entraîne pas automatiquement le rejet de tout son témoignage.
[Référence omise]
- Dans un autre jugement, la Cour du Québec écrit ce qui suit à ce sujet[24] :
[96] L’analyse de la crédibilité des témoins ne signifie pas de choisir, au final et en bloc, une version plutôt qu’une autre, et ce, quant à l’ensemble des éléments litigieux. L’analyse de la crédibilité des témoins ne se fait pas en un seul bloc monolithique. Un décideur peut retenir certains aspects du témoignage d’une partie, puis d’autres de la partie adverse. Cela ne signifie pas pour autant qu’un témoignage fut livré parfaitement et que la partie adverse n’est pas digne de confiance.
- Ainsi, la preuve s’apprécie au regard de la logique, du bon sens et de l’expérience humaine[25].
- Le Conseil entend appliquer ces principes afin de tirer des conclusions déterminantes quant à la valeur probante des témoignages[26].
iv) Les aveux
- L’aveu est la reconnaissance d’un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur[27]. L’aveu fait en dehors de l’instance peut être prouvé par tous les moyens de preuve recevables[28].
- La Cour supérieure résume comme suit les principes applicables relativement à l’appréciation de cette preuve[29] :
[122] La valeur probante de l’aveu extrajudiciaire est laissée à l’appréciation du Tribunal.
[123] Le Tribunal a une large discrétion dans son analyse de l’appréciation de cette preuve. Une fois que l’aveu extrajudiciaire est mis en preuve, il bénéficie d’une présomption de vérité.
[124] Une preuve contraire peut cependant être amenée par l’auteur de la déclaration, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’erreur de fait.
[125] L’auteur Jean-Claude Royer écrit ce qui suit à cet égard : L'article 2852 C.c.Q. dispose expressément que la force probante de l'aveu extrajudiciaire est laissée à l'appréciation du tribunal. Aussi, un plaideur peut offrir une preuve contredisant son admission extrajudiciaire. Cette preuve est admise même si l'aveu n'est pas annulé. Ainsi, la partie qui a admis hors de cour un fait qu'elle savait être faux peut établir devant le tribunal la fausseté de son aveu. Le tribunal a discrétion pour choisir entre la version contenue dans l'aveu et la preuve soumise devant lui.
[Références omises]
- Ainsi, la preuve visant à établir un tel fait peut se faire par témoin[30].
- Le Conseil doit alors décider si l’aveu extrajudiciaire est suffisamment fiable, précis et non ambigu. Toutefois, celui-ci ne devrait pas être écarté sans raison valable[31].
Analyse des chefs d’infraction
- Les chefs 1 à 9 forment un premier bloc de reproches. Il est question d’avantages versés entre 2001 et 2009 à des membres de la famille de l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi ou de paiements faits à des agents dans le contexte d’un système de corruption, le tout afin d’obtenir des contrats.
- Les chefs 10 à 13 forment un second bloc de reproches. Ceux-ci sont en lien avec le financement des partis politiques ou des procédés concernant ce financement, et ce, dans un contexte d’obtention de contrats.
- Le plaignant invoque que le reproche apparaissant au chef 12, soit l’omission de mettre en place des mesures nécessaires afin de surveiller l’application des directives internes quant aux appels d’offres dans le but de prévenir ou d’arrêter des procédés malhonnêtes ou douteux au sein de la firme, vise à la fois les appels d’offres en Libye et ceux conclus au Québec.
- Enfin, le chef 14 est un reproche lié à la conduite de l’intimé envers un confrère, monsieur Pierre Anctil, et ce, à la suite d’une discussion d’affaires.
CHEF 1 Intervention en novembre 2002 auprès des autorités canadiennes pour que Saadi Kadhafi obtienne un visa
- Le plaignant reproche à l’intimé d’être intervenu auprès des autorités canadiennes en faveur de Saadi Kadhafi dans le but que celui-ci obtienne un visa d’entrée au Canada. Ce dernier est un des fils du dictateur libyen. Le plaignant ajoute que ce reproche est en lien avec ce seul fait, peu importe que le fils du dictateur ait ou non effectué un voyage au Canada à la suite de cette intervention.
La preuve du plaignant (intervention pour l’émission d’un visa à Saadi Kadhafi)
- Les réponses données par l’intimé
- Dans le cadre de son témoignage, le plaignant produit ce qu’il considère être des aveux de l’intimé. Plus précisément, il se réfère aux réponses données par l’intimé lors d’une rencontre tenue pour les fins de son enquête.
- À ce sujet, le 23 mars 2023, le plaignant rencontre l’intimé dans les bureaux de l’Ordre. Un enquêteur, M. Mario Vandal, et un avocat, Me Lanctot, sont également présents. Cette rencontre est enregistrée[32].
- À l’audience, le plaignant relate que, lors de cette rencontre, deux grands volets sont abordés. Premièrement, la corruption et l’implication d’agents étrangers en vue d’obtenir des contrats en Libye. En second lieu, la collusion à la Ville de Montréal, le financement des partis politiques, puis le remboursement aux employés.
- L’intimé est questionné relativement au chef 1[33] :
Référence : Page 39, lignes 9-29
M. VANDAL :
Ouais. On va lâcher Saïf puis on va parler de Saadi. Saadi, l’ingénieur. Euh, ce qui serait allégué, c’est qu’un moment donné, il a eu un problème, lui, pour obtenir un visa. Ce qui serait allégué aussi, c’est que vous auriez un petit peu aidé pour qu’ils retiennent son visa pour venir ici. Est-ce que vous, est-ce que vous vous en souvenez?
M. LAMARRE :
Je me souviens pas, mais c’est possible.
M. VANDAL :
OK.
M. LAMARRE :
C’est possible.
M. VANDAL :
OK. Donc, s’il y avait des courriels comme quoi que vous avez aidé…
M. LAMARRE :
C’est possible.
M. VANDAL :
Ça peut être possible. Si c’est dans des courriels, donc c’est vrai que…
M. LAMARRE :
C’est, c’est vrai que je lui avais aidé.
Référence : Page 40, lignes 1-30
M. VANDAL :
Vous avez aidé.
M. LAMARRE :
Ça, ça, ça me surprendrait pas.
M. VANDAL :
Non? Parce que ça peut être difficile peut-être pour des gens de la Libye d’obtenir des visas, peut-être?
M. LAMARRE :
Bien, je veux dire, euh, oui. La réponse à la question, c’est oui. Euh, c’est drôle, hein, ce que je me souviens, c’est qu’on aurait voulu qu’il soit un invité du gouvernement canadien.
M. VANDAL :
OK.
M. LAMARRE :
Puis le gouvernement canadien voulait pas l’inviter puis à ce moment-là, ils ont dit: «Qu’il vienne comme visiteur. » Je pense, si vous me dites un visa, là…
M. VANDAL :
Ouais.
M. LAMARRE :
… c’est, c’est fort possible.
M. VANDAL :
OK. Puis pourquoi le gouvernement canadien voulait pas les inviter?
(00;41;36)
M. LAMARRE :
Ils disaient que c’était pas un gars qui avait pas une fonction au gouvernement.
M. VANDAL :
Ah?
M. LAMARRE :
Ils disaient que c’était pas un officier du gouvernement libyen, il a pas de fonction puis on sait pas pourquoi on va lui serrer la main. Moi, de mon souvenir.
[Soulignements ajoutés]
[Transcription textuelle]
- Selon le plaignant, l’intimé a ainsi admis être intervenu auprès des autorités canadiennes afin que Saadi Kadhafi obtienne un visa.
- Le Conseil tient compte des réponses de l’intimé. Celles-ci sont données librement et volontairement, après que ce dernier est avisé de son droit de consulter un avocat. Quant à la portée à être donnée à ces réponses, elle est examinée dans le contexte de l’ensemble de la preuve, dans la décision qui suit.
- Le témoignage de M. Sami Bebawi
- À l’époque visée par le chef 1, monsieur Bebawi est vice-président directeur chez SNC-Lavalin[34]. Entre autres, il est alors responsable de Socodec, une division de SNC-Lavalin. En raison de son poste, il est membre du Bureau des présidents chez SNC-Lavalin.
- Dans le cadre de ses fonctions, eu égard à Socodec, à cette période, il s’occupe de projets liés au forage de puits dans le désert sur le territoire libyen et à l’installation d’immenses tuyaux pour amener l’eau à des villes situées sur la côte.
- Un de ses employés, M. Riadh Ben Aïssa ( M. Ben Aïssa), lequel se dit proche de certains membres de la famille Kadhafi, propose d’inviter un des fils du dictateur.
- La difficulté est alors d’obtenir un visa canadien pour le fils du dictateur et sa suite.
- M. Bebawi relate que la première demande d’obtention de visa fut refusée.
- Il explique avoir été mis au courant de ces événements, car, à titre de vice-président, à l’époque, il tient régulièrement des conversations avec l’intimé. Il relate que ce dernier lui a dit qu’il allait appeler le bureau du premier ministre du Canada. Il affirme que l’intimé a présenté une telle demande pour Saadi Kadhafi et son entourage et qu’il lui a ensuite précisé que ceux-ci obtiendront leurs visas.
- M. Bebawi réfère à un mémo du 24 juillet 2000 de M. Robert Blackburn, un employé du bureau de SNC-Lavalin à Ottawa[35].
- Ce dernier écrit à l’intimé (« LAMAJ ») et à M. Bebawi (« SOCODEC.BEBAS ») et leur relate qu’un représentant du « Foreign Affairs », DM (Deputy Minister) Wright, lui a mentionné être :
very favourable to expanding trade with Libya and in principle to the Kadafi visit although he pointed out that this was Immigration's call which he could not predict. He did, however, undertake to raise the matter in a positive way this evening when he would be seeing the DM of Immigration.
- Dans ce mémo, M. Blackburn ajoute :
«As an aside, Wright mentioned that a few months ago he had planned to visit Tripoli for trade promotion purposes but had cancelled his trip when the Libyans had made a visa for Kadafi Jr. a quid pro quo. He said that the Montreal/SLI invitation seemed like a better context for dealing with the visa issue. »
[Transcription textuelle]
- Le 15 août 2000, M. Ben Aïssa écrit à M. Blackburn et lui confirme que sept personnes voyageront avec Saadi Kadhafi[36]. Le même jour, il prévient également M. Bebawi par courriel que l’ambassade canadienne à Tunis l’informe qu’une rencontre aura lieu à Ottawa concernant l’émission des visas et la visite de Saadi Kadhafi[37].
- Le 20 septembre 2000, un courriel est transmis par M. Bebawi à M. Novak[38] (NTL.NOVAM) et à l’intimé (BENAR INTL. LAMAJ) indiquant que la visite de Saadi Kadhafi est prévue pour la mi-octobre. Une coordination se fait en vue de cette visite.
- Le 1er novembre 2000, M. Blackburn informe Socodec et l’intimé que l’ambassade de Tunis s’attend à ce que la demande de visa se concrétise[39]. Selon M. Bebawi, à cette époque, il n’était pas acquis que le ministre de la Justice allait signer une autorisation.
- M. Bebawi revient sur le contexte. SNC-Lavalin avait reçu une approbation des Nations-Unies pour effectuer des travaux afin d’amener de l’eau enfouie dans le désert à la population libyenne, et ce, malgré le régime dictatorial et des relations internationales tendues.
- Le 30 mai[40] et le 21 juin 2001[41], M. Blackburn écrit à « SOCODEC. BERNAR, SOCODEC.BEBAS, INTL.NOVM » notamment, pour indiquer qu’un responsable du ministère des Affaires étrangères requiert des informations sur la visite projetée de Saadi Kadhafi et le sérieux de cette demande. À la fin du mois de juin, M. Bebawi écrit à l’intimé à ce sujet[42].
- Le 21 août 2001[43], M. Blackburn écrit à M. Ben Aïssa. L’intimé doit rencontrer le « Deputy Minister of Immigration » au sujet de l’émission des visas. L’intimé et M. Bebawi sont en copie conforme de ce courriel.
- Le 20 novembre 2002[44], M. Ben Aïssa écrit à M. Bebawi. Il lui mentionne que les employés canadiens de SNC-Lavalin éprouvent des problèmes à obtenir des visas pour Saadi Kadhafi et sa suite. Il ajoute que la demande de visa concernant Saadi Kadhafi « is still without any answer since the month of September ». Il ajoute : « I would like to see Mr Lamarre do something regarding the visa of Eng Saadi who is expecting a normal visa and not a permit. »
- Le même jour, M. Blackburn[45] écrit à M. Bebawi, à l’intimé, à M. Michael Novak et à d’autres personnes au sujet des problèmes d’émission des visas et mentionne que l’intimé est personnellement intervenu auprès de M. Michel Dorais, « Deputy Minister of Immigration ».
- M. Bebawi relate que ces démarches ont finalement abouti et que des visas ont été délivrés.
- Sur ce volet du dossier, le témoignage de M. Bebawi est en grande partie corroboré par la preuve documentaire. Ce témoignage est même utile, car il permet de comprendre que, malgré l’embargo international, SNC-Lavalin est alors autorisée à exécuter des travaux d’ingénierie en Libye et que, par conséquent, des travailleurs canadiens vont s’y retrouver. Cette partie du témoignage de M. Bebawi apparaît suffisamment fiable pour en tenir compte.
- Le plaignant se réfère également au témoignage de M. Normand Morin, un vice-président directeur chez SNC-Lavalin à cette époque[46]. Celui-ci fait état d’une visite de Saadi Kadhafi au Stade olympique de Montréal en 2003 ou 2004.
- Cette partie du témoignage est peu utile eu égard au chef 1. Ce chef n’est pas axé sur le fait que le fils du dictateur soit venu au Canada, mais plutôt sur les gestes qu’aurait posés l’intimé pour que ce dernier obtienne un visa en 2002, peu importe le fait qu’un voyage se soit concrétisé par la suite.
La preuve de l’intimé (intervention pour l’émission d’un visa à Saadi Kadhafi)
- L’intimé se rappelle que Saadi Kadhafi est venu au Canada. Il dit n’avoir aucun souvenir d’avoir posé des gestes en 2002 et pense que ce dernier est venu au Canada en 2001.
- Il explique le contexte suivant. Il était de pratique courante de prévenir le gouvernement canadien des endroits où ses employés travaillaient. Il était important de l’informer que des employés de SNC-Lavalin travaillaient en Libye. Or, le gouvernement canadien n’a pas manifesté de désaccord.
- Il rappelle qu’il existait un embargo concernant la Libye. À l’époque, son entreprise voulait faire entrer du personnel dans ce pays pour accéder au chantier. Or, selon l’intimé, les Libyens déploraient l’absence de réciprocité. Ils laissent entrer ses travailleurs canadiens, mais les Libyens ne pouvaient pas venir au Canada. Il explique que SNC-Lavalin cherchait à établir une réciprocité pour éviter que ses travailleurs ne puissent plus entrer en Libye.
- Par l’intermédiaire d’un des employés de SNC-Lavalin à Ottawa, M. Blackburn, des discussions ont été tenues avec le ministère de l’Immigration. En contre-interrogatoire, l’intimé précise que, lorsqu’il y avait un problème de visa, c’est M. Blackburn qui intervenait.
- L’intimé déclare n’avoir aucun souvenir du courriel du 20 novembre 2002 transmis par M. Blackburn et auquel réfère M. Bebawi[47], même si, comme déjà mentionné, il est l’un des destinataires de ce courriel.
- Le Conseil note que, lors de son témoignage, l’intimé rappelle, avec force de détails, les gestes posés dans d’autres dossiers, tels BreX en Indonésie, et Tazerbo (en 1996) en Libye. Le Conseil a été en mesure de constater que la capacité de l’intimé à relater certains événements, même lointains, apparaît se moduler en fonction du sujet abordé. Ce même constat est fait à l’égard d’autres chefs.
- En ce sens, bien qu’il soit question d’événements survenus en 2002, le Conseil émet certaines réserves quant à la mémoire de l’intimé. Ce témoignage sera analysé plus amplement à la lumière de l’ensemble de la preuve à l’égard de ce chef.
Arguments des parties relativement au chef 1
- Le plaignant considère que l’intimé a posé des gestes pour que Saadi Kadhafi obtienne un visa, et ce, pour être avantageusement perçu par Mouammar Kadhafi. Saadi étant le fils du dictateur libyen, il occupait une position stratégique. À cette époque, SNC-Lavalin cherche à obtenir des contrats en Libye. Les démarches faites par l’intimé constituent un avantage en vue d’obtenir un contrat.
- Le plaignant se réfère aux nombreux échanges et courriels mis en preuve pour que Saadi Kadhafi obtienne un visa[48]. Un courriel du 20 novembre 2002[49], où l’intimé est en copie, montre que M. Ben Aïssa écrit qu’il voudrait voir l’intimé au sujet de l’obtention de ce visa. Or, selon M. Bebawi, le visa est finalement délivré. Au minimum, l’intimé est intervenu via son employé basé à Ottawa, M. Blackburn, pour que le visa soit obtenu.
- Le plaignant se réfère aussi aux réponses données par l’intimé lors de la rencontre du 23 mars 2023[50].
- Selon l’intimé, Saadi Kadhafi effectue des voyages au Canada en 2001[51] et 2008[52]. Il ajoute que le témoignage de M. Bebawi quant aux démarches concernant l’obtention d’un visa porte sur des événements survenus en 2001, et que les courriels auxquels il se réfère visent une période antérieure à 2002[53]. Or, l’intimé n’est pas intervenu pendant la période visée par le chef 1 relativement à la question du visa pour Saadi Kadhafi. Selon le témoignage de M. Bebawi, le visa est obtenu en janvier 2001.
- Puis, selon l’intimé, en mai 2001, Saadi Kadhafi veut revenir au Canada[54]. Ce dernier souhaite rencontrer des responsables au niveau politique[55]. Un projet de mémo aurait été préparé par M. Bebawi, et la preuve n’établit pas qu’il soit question d’un visa ou que ce mémo ait été transmis, notamment à l’intimé.
- L’intimé reconnaît que M. Blackburn indique dans un courriel du 21 août 2001 que l’intimé rencontrera le sous-ministre de l’Immigration[56]. Selon lui, la preuve ne démontre pas que cette rencontre ait eu lieu.
- L’intimé reconnaît avoir été mis en copie conforme d’un courriel de M. Ben Aïssa, un vice-président principal basé au Moyen-Orient, et ce, en novembre 2002. Ce dernier déplore que les visas n’ont pas été délivrés aux travailleurs de SNC-Lavalin en Libye. Il fait le lien avec le fait que des visas n’aient pas été remis aux Libyens, dont Saadi Kadhafi[57]. Il demande l’intervention de l’intimé. Ce dernier explique au Conseil n’avoir aucun souvenir de la suite donnée à ces demandes.
- Eu égard aux réponses données par l’intimé lors de sa rencontre avec le plaignant, il déclare n’en avoir aucun souvenir et que ses autres commentaires ne sont que des suppositions. Il ne s’agit pas d’aveux.
- Subsidiairement, l’intimé invoque que les démarches de visas pour les Libyens sont en lien avec la réciprocité recherchée par SNC-Lavalin. Cette firme a alors comme information que la Libye déplore le fait que ce pays laisse entrer sur son territoire des travailleurs canadiens et que le gouvernement canadien n’en fait pas autant pour ses ressortissants. Ces échanges avec les autorités canadiennes ne constituent pas une tentative de verser un avantage pour obtenir un contrat.
- Décision du Conseil - chef 1 (intervention pour que soit délivré un visa)
- Le plaignant invoque les dispositions de rattachement suivantes :
Code de déontologie des ingénieurs[58] (Code de déontologie)
3.02.09. L’ingénieur doit s’abstenir de verser ou de s’engager à verser, directement ou indirectement, tout avantage, ristourne ou commission en vue d’obtenir un contrat ou lors de l’exécution de travaux d’ingénierie.
Code des professions[59]
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
- Pour les motifs qui suivent, le Conseil juge que la preuve prépondérante permet de retenir que l’intimé est intervenu auprès des autorités canadiennes en 2002, et ce, afin que Saadi Kadhafi obtienne un visa. Le Conseil souligne que le chef 1 ne reproche pas à l’intimé d’avoir fait en sorte que Saadi Kadhafi a utilisé le visa pour effectuer un voyage.
- Premièrement, le 20 novembre 2002 à 12 h 13, M. Sami Bebawi, un vice-président directeur, envoie un courriel ayant pour objet « Visas Problems ». L’intimé et deux autres vice-présidents (M. Normand Morin et M. Michael Novak) sont les destinataires de ce courriel, ainsi que M. Robert Blackburn. M. Bebawi fait alors suivre un courriel de M. Ben Aïssa[60] :
As discussed yesterday, we are encountering problems obtaining Libyan visas for our canadian personnel. This is mainly due to a problem between the Canadian and the libyan Government and we are paying the price. The libyan are very upset from the attitude of the Canadian Embassy (immigration dept) in Tunis. The Immigration dept is not cooperating at all with the Libyan counterpart. There was the episode of the daughter of the Vice Prime Minister Mr Abdallah Al Badri . She applied for a renewal of her visa and the Libyan Ambassy in Tunis could'nt even get somebody to talk to at the Canadian Embassy and her case was really mismanaged by the Immigration Dept. There is the visa application of Eng Saadi that is still without any answer since the Month of September and I really cannot get any answer also. Even though we are not the Canadian Government, we are paying the price of this countinuing misunderstanding between both parties. I would like to see Mr Lamarre do something regarding the Visa of Eng Saadi who is expecting a normal visa and not a permit. ALso the Canadian Government should help us in Libya by at least being neutral towards the Libyans.
[Transcription textuelle]
- Le même jour, à la même heure, par courriel, M. Bebawi souligne l’importance pour SNC-Lavalin que ce problème de visa soit réglé et demande à M. Blackburn un plan d’action. L’intimé est l’un des destinataires[61] :
Needless to emphasise the importance and the amount of work that is at stake in Lybia, and the almost 60 Canadians we have to send during the next few months/weeks to start tour our biggest project, i.e. Sarir plant […]
[Transcription textuelle]
- Le même jour, à 12 h 44, M. Blackburn écrit à l’intimé ainsi qu’aux mêmes vice-présidents[62]. Il relate avoir rencontré le sous-ministre de l’Immigration du gouvernement canadien le mois précédent. Il mentionne notamment :
I met with Deputy Minister of Immigration, Michel Dorais, one month ago to improve the Canadian process for business, not only for Libya but for Africa generally. He knows the situation is unsatisfactory (non-competitive with EU and even US processes) and agreed to send a senior official on Pettigrew’s current Africa trade mission.
Il know that Libya is a special case and that from the Libyan end it is impossible to separate buisiness from non-buisiness visa issues. It is for this reason that on the Eng Saadi case I have been working with DFAIT as well since up to now for Libya DFAIT has been our strongest supporter in Ottawa. They have been working hard with Immigration to get a better document for Eng Saadi than last time – you will recall that Jacques Lamarre had personally intervened with Dorais who was unble to deliver a better document this time last year […]
[Transcription textuelle]
- Le Conseil retient qu’à l’époque visée par le chef 1, il est probable que l’intimé ait été informé que la demande pour l’obtention d’un visa à Saadi Kadhafi pose des problèmes. Ceci apparaît d’autant plus évident que, dans ce courriel, il lui est expressément demandé d’intervenir auprès des autorités canadiennes pour l’émission d’un visa à Saadi Kadhafi.
- Il est vrai que M. Blackburn réfère à une intervention directe de l’intimé, probablement en 2001. Mais il ne faut pas perdre de vue que M. Blackburn agit à la connaissance de l’intimé, son supérieur, pour que Saadi Kadhafi obtienne un visa. C’est indirectement, par le biais de M. Blackburn, son employé, que l’intimé intervient pour faire avancer le processus d’émission d’un visa.
- Le Conseil juge peu crédible le fait que l’intimé ait de la difficulté à se remémorer les démarches qu’il aurait pu avoir effectuées, ou qui l’ont été sous son autorité, à la suite de ce courriel, puisque l’enjeu est de taille : la difficulté pour ses travailleurs canadiens d’obtenir des visas pour effectuer les travaux très importants en Libye. Il ne s’agit pas d’un événement anodin, même s’il remonte à 2002. En outre, comme déjà mentionné, l’intimé a fourni plusieurs informations au sujet d’autres dossiers remontant à une époque lointaine. Le Conseil ne croit pas que ses souvenirs se soient effacés quant à ces événements.
- Par ailleurs, les notes de la rencontre avec l’intimé le 23 mars 2023 ne permettent pas de situer dans le temps l’intervention de l’intimé. En outre, le courriel de M. Blackburn du 20 novembre 2002 à 12 h 44 fait état d’une intervention directe de l’intimé, mais il semble la situer à l’année précédente. Il est possible que l’intimé ait pu faire le lien avec une intervention faite en 2001. Toutefois, comme déjà mentionné, le Conseil juge qu’en novembre 2002, l’intimé intervient, via M. Blackburn, pour qu’un visa soit émis à Saadi Kadhafi.
- Toutefois, pour les motifs qui suivent, le Conseil juge que cette intervention, même indirecte, de l’intimé via M. Blackburn ne contrevient ni à l’article 3.02.09 du Code de déontologie, ni à l’article 59.2 du Code des professions.
- Cette intervention se doit d’être située dans un contexte plus global.
- Déjà en juillet 2000, une visite à Tripoli d’un représentant du Foreign Affairs (Affaires mondiales) (Deputy Minister Robert Wright), « for trade promotion purposes », est annulée, car les Libyens « had made a visa for Kadafi Jr. a quid pro quo.[63]» En août 2000, l’ambassade du Canada en Tunisie informe M. Ben Aïssa qu’une réunion se tiendra à Ottawa au sujet notamment de l’« attribution process for Libyans. »[64]
- En novembre 2000, monsieur Blackburn fait état du fait que le Foreign Affairs est alerté au sujet d’une demande de visa, et qu’en période d’élection, il est possible que les ministres veuillent « avoid any possibly sensitive or controversial action.[65] » En mai 2001, M. Blackburn indique que « Khadafi Jr. may be planning a return trip to Canada this July[66]. » Il ajoute que le Foreign Office planifie une visite à Tripoli en octobre 2001 « for the official opening of the Canadian Embassy. »
- En juin 2001, M. Blackburn indique que Saadi Kadhafi, à la demande de son père, doit visiter le Canada et le Japon « to develop the political and commercial relations ». M. Blackburn rapporte plusieurs discussions avec le Foreign Office à ce sujet. Le 21 août 2001, M. Blackburn écrit un courriel, l’intimé en copie : « On Monday Jacques Lamarre will be meeting with Deputy Minister of Immigration and will raise either visitors visa issue »[67]. Comme déjà mentionné, dans un courriel du 20 novembre 2002, M. Ben Aïssa fait état des « problems obtaining Libyan visas for our canadian personnel. This is mainly due to a problem between the Canadian Government […] and we are paying the price. »
- Ce contexte plus global permet de situer l’intervention, même indirecte, de l’intimé, dans un contexte de réciprocité au niveau de l’émission des visas par les autorités de ces deux pays.
- Le Conseil ne peut simplement conclure que l’intimé est ainsi intervenu pour obtenir un avantage ou un contrat. SNC-Lavalin voulait s’assurer que des visas seraient émis pour ses travailleurs en Libye, mais les difficultés pour les Libyens d’obtenir des visas pour être admis au Canada posaient une grande difficulté. Ajoutons que les démarches effectuées pour une visite de Saadi Kadhafi s’inscrivent à ce moment dans un contexte où le gouvernement libyen envisage alors de développer des liens commerciaux avec le Canada et le Japon et où, d’autre part, le gouvernement canadien aurait envisagé une plus grande présence de représentants gouvernementaux à Tripoli.
- L’intervention de l’intimé doit être replacée dans ce contexte plus global bien qu’elle vise à émettre un visa à Saadi Kadhafi après une visite antérieure. Le Conseil est conscient que, ce faisant, SNC-Lavalin protège ainsi sa capacité à exécuter ses contrats et sa relation d’affaires avec les Libyens. Mais cette intervention s’inscrit aussi dans la perspective plus large du problème de réciprocité d’émissions de visas entre les deux pays.
- Il apparaît réducteur de vouloir limiter l’intervention de l’intimé, même indirecte, à l’obtention d’un avantage ou d’un contrat. SNC-Lavalin fait alors plutôt face à un problème de réciprocité entre deux pays. Comme indiqué plus haut, selon la preuve, les autorités gouvernementales canadiennes sont, à ce moment, informées de ce problème, et c’est au niveau politique que les décisions d’émettre ou non un visa se prennent.
- Vu ce qui précède, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- Ajoutons que nous sommes loin d’une situation où un ingénieur, par un procédé douteux, chercherait à obtenir un contrat en versant un avantage. Ici, les autorités gouvernementales canadiennes sont bien au fait de la situation découlant du problème de réciprocité. En intervenant en 2002 auprès des autorités canadiennes pour que celles-ci trouvent une solution, l’intimé ne pose pas un geste dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession.
CHEF 2 Avoir versé un avantage en vue d’obtenir un contrat – directive d’acheter un manteau d’hiver haut de gamme à Saïf Kadhafi
- Lors d’une visite de Saïf Kadhafi au Canada, selon le chef 2, il est question de l’achat d’un manteau d’hiver offert à ce dernier. Celui-ci est un autre fils du dictateur libyen. Notons dès maintenant qu’au chef 3, il est fait état d’une exposition de peintures réalisées par ce dernier à Montréal[68]. Le manteau a été acheté à l’occasion de cet événement.
La preuve du plaignant
- Le plaignant réfère à l’échange qui suit. Dans cet extrait, il relate à l’intimé que son adjointe aurait utilisé sa carte de crédit pour acheter un manteau d’hiver à M. Saïf Kadhafi[69] :
Référence : Page 37, lignes 1-5
M. VANDAL :
À la famille Kadhafi. Euh, Saïf, je pense qu’il est pas habitué, euh, au Canada, à l’hiver. Ça se peut-tu qu’on aurait demandé à acheter un manteau d’hiver à Saïf parce qu’il est arrivé ici pas de manteau d’hiver?
M. LAMARRE :
Ça, je le sais pas.
Référence : Page 37, lignes 10-29
M. VANDAL :
OK. Vous aviez une adjointe qui s’appelait madame Nicole Girard.
M. LAMARRE : Oui.
M. VANDAL : Pendant de nombreuses années.
M. LAMARRE : Oui.
M. VANDAL :
Est-ce que c’est vous qui approuviez ses comptes de dépenses, euh? Si elle avait des comptes de dépenses à produire, est-ce que vous étiez le patron qui autorisait les comptes?
M. LAMARRE : Je pense que oui, mais je me souviens pas d’en avoir approuvé un seul.
M. VANDAL : Ah non?
M. LAMARRE :
Je me souviens pas d’avoir fait ça aux comptes de dépenses de Nicole. Je me souviens pas.
Référence : Page 38, lignes 2-12
M. LAMARRE : Je me souviens pas.
M. VANDAL :
C’est pas grave. C’est pas grave, c’est peut-être quelqu’un d’autre qui autorisait…
M. LAMARRE : Non, mais normalement, ça l’aurait dû être moi.
M. VANDAL : Ouais.
M. LAMARRE : Je me souviens plus. Normalement, ça l’aurait dû être moi, mais…
Référence : Page 38, lignes 18-28
M. VANDAL :
Ouais, c’est ça, pour vous, c’était pas à votre connaissance, comme vous dites, mais monsieur Ben Aïssa a demandé à madame Girard d’aller acheter un manteau d’hiver à Saïf.
M. LAMARRE : Ah oui?
M. VANDAL :
Et c’est elle qui l’a payé puis elle l’a produit dans son compte de dépenses. C’est pour ça que je vous posais la question.
M. LAMARRE :
Mais, si c’est arrivé, c’est moi qui l’a approuvé à ce moment-là, je veux dire.
[Transcription textuelle]
- Cet échange avec l’intimé doit être analysé à la lumière des autres éléments de preuve portant sur ce sujet, en particulier une déclaration de Mme Nicole Girard[70], l’adjointe de l’intimé à l’époque. Les échanges mentionnés ci-haut ne mettent pas clairement en lumière que l’intimé a eu connaissance de l’achat d’un manteau au fils du dictateur d’une part. D’autre part, lors de la rencontre, M. Vandal déclare que l’adjointe de l’intimé l’aurait payé, aurait produit un compte de dépenses et que, dans cette hypothèse, l’intimé aurait approuvé ce compte de dépenses. Toutefois, la preuve exposée ci-après ne démontre pas les prémisses de l’hypothèse avancée par M. Vandal.
La preuve de l’intimé
- Alors que Saïf Kadhafi se trouve à Montréal pour la tenue d’une exposition, un manteau est acheté.
- L’intimé explique que cela n’a rien à voir avec lui. Il attribue le geste reproché aux « sponsors » de l’exposition (les commanditaires) : « Le pauvre gars gelait pendant l’hiver et les sponsors ont jugé bon de lui donner un manteau. » Du même souffle, l’intimé fournit une autre explication : il n’a aucun souvenir de ça, ni d’avoir approuvé un compte de dépenses de son adjointe.
- Le Conseil ne retient pas l’explication fournie par l’intimé selon laquelle les commanditaires ont payé le manteau. Cette explication n’est pas corroborée. De plus, l’intimé ajoute n’avoir aucun souvenir, ce qui apparaît contradictoire. Cette supposition de l’intimé mine quelque peu sa crédibilité.
Arguments des parties relativement au chef 2
- Le plaignant se réfère à la déclaration de Mme Girard, l’adjointe de l’intimé. Elle a acheté un manteau haut de gamme et elle n’a pas de carte de crédit corporative. Elle aurait probablement présenté un compte de dépenses. Si c’est le cas, c’est l’intimé qui l’approuve.
- S’il existe un compte de dépenses, le plaignant argue que l’intimé l’a approuvé.
- Pour le plaignant, la preuve est faite par présomption.
- Il ajoute que l’explication donnée par l’intimé, soit que les commanditaires ont payé le manteau pour éviter que le fils du dictateur ait froid, ne peut être retenue. Ce dictateur disposait d’une immense fortune. À la même époque, SNC-Lavalin obtient plusieurs contrats, dont l’immense projet Sarir 2. Le plaignant fait un lien entre ce fait et le geste d’avoir payé un manteau à Saïf Kadhafi.
- Selon la déclaration de Mme Girard[71], c’est M. Ben Aïssa qui lui a demandé d’acheter le manteau. De plus, elle ne se souvient pas de quelle manière elle l’a payé. Elle ne peut affirmer qu’elle a présenté un compte de dépenses à l’intimé. D’ailleurs, aucun compte de dépenses n’est produit en preuve.
- Dans sa déclaration faite aux policiers, Mme Girard ne se souvient pas d’avoir discuté de ce sujet avec l’intimé, et ce dernier témoigne dans le même sens.
- L’intimé n’a pas fait d’aveu lors de sa rencontre avec le plaignant. Il a simplement rappelé comment il autorisait les comptes de dépenses. Ce qu’il mentionne à l’audience relativement à l’intervention des commanditaires est une supposition.
- Décision du Conseil - Chef 2 (achat d’un manteau)
- Le Conseil se réfère aux mêmes dispositions que celles identifiées lors de l’analyse du chef 1.
- Le Conseil juge que le plaignant ne démontre pas que l’intimé est intervenu dans le contexte de l’achat d’un manteau d’hiver à Saïf Kadhafi, que ce soit directement ou indirectement.
- Premièrement, le plaignant ne produit aucun compte de dépenses à ce sujet. Par conséquent, il ne démontre pas que l’intimé l’a approuvé.
- Mme Nicole Girard ne témoigne pas à l’audience, mais sa déclaration du 19 décembre 2012, faite à la GRC, tient lieu de sa version des faits[72].
- Elle déclare qu’elle croit que c’est plutôt M. Ben Aïssa qui lui a demandé d’acheter le manteau :
Et puis moi j'ai dit euh, non, je pense. Parce que là y m'a demandé un manteau et, ou-, oui, pis quand y voulait quèque chose fallait qu'ça soit instantanément. Fait que j'ai dit euh, y voulait un manteau d'fourrure. J'ai dit (inaudible) pas acheter un manteau d'fourrure, ça pas d'allure. Y'dit ben on va a I'aire fou premièrement si y'a pas d'manteau pis y vient ici, mais un manteau d'fourrure, y'a personne qui met des manteaux d'fourrure, des hommes, en tout cas. C'a fini qu'y m'a dit d'aller y'acheter un manteau.
[Transcription textuelle]
- Elle ne peut confirmer quel montant a été payé pour le manteau, mais elle se souvient que le prix est élevé.
- Elle ne conserve aucun souvenir sur le mode de paiement de ce manteau, ni comment elle a été remboursée. Elle émet l’hypothèse qu’elle aurait présenté un compte de dépenses, mais ajoute ne pas s’en souvenir[73]. L’intimé était son supérieur hiérarchique et c’est dans cette hypothèse qu’il aurait approuvé l’achat. Elle ajoute : « Mais j’me souviens pas du, des faits exactement qu’jai arrivé avec, euh… » (reproduction textuelle). Elle n’a aucun souvenir d’une conversation avec l’intimé à ce sujet.
- Le Conseil ne peut inférer, à la lumière des faits mis en preuve, que l’intimé a posé le geste reproché. Il y a absence de faits précis et concordants qui pourraient amener le Conseil à conclure à la présence d’une présomption de connaissance de la part de l’intimé.
- Le plaignant n’a pas démontré davantage un aveu relativement au geste reproché, car l’intimé n’a aucun souvenir d’avoir demandé à son adjointe, Mme Girard, d’acheter un manteau au bénéfice de Saïf Kadhafi.
- Lors de la rencontre avec le plaignant, il s’est d’ailleurs montré surpris d’apprendre que cette demande pouvait provenir de M. Ben Aïssa.
- Il n’a aucun souvenir d’avoir approuvé un compte de dépenses de Mme Girard à ce sujet. Tout au plus, il mentionne qu’il lui revient d’approuver tels comptes, si elle les lui présente. Le Conseil juge qu’il n’y a pas d’aveu extrajudiciaire suffisamment fiable, précis et non ambigu.
- Enfin, à l’audience, l’intimé a émis l’idée que l’achat du manteau avait été fait par les commanditaires de l’exposition de peintures, tout en ajoutant qu’il ne s’en souvient pas. Le Conseil juge ne pas être en face d’un aveu fait en cours d’instance.
- Vu ce qui précède, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions. Aucun geste de l’intimé contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession n’a été mis en preuve.
CHEF 3 Avoir organisé une exposition de peintures à Montréal pour Saïf Kadhafi ou donné une telle directive aux frais de SNC-Lavalin en vue d’obtenir un avantage
- Relativement au chef 3, le plaignant se réfère aux échanges survenus lors de la rencontre du 23 mars 2023 et dont il est question plus haut. Les passages suivants concernent une exposition de peintures[74] :
Référence : Page 34, lignes 25-28
M. VANDAL :
Je veux juste savoir comment ça s’est organisé, l’exposition de peinture que c’est lui qui exposait, là. Je sais que vous avez été le « sponsor, » SNC-Lavalin, là.
Référence : Page 35, lignes 1-10
M. LAMARRE :
Oui, bien tu sais, c’est certain que, c’est certain qu’on voulait faire plaisir à, un peu à la famille Kadhafi. Lui, il disait que c’était un artiste.
M. VANDAL :
Saïf, oui.
M. LAMARRE :
Euh, Saïf c’était un artiste, puis euh, il disait qu’il avait des œuvres qu’il aimerait présenter puis euh, il avait fait une exposition ailleurs puis « est-ce que je peux en faire une au Canada? » On a dit c’est correct, on va essayer d’organiser ça. Fait qu’on a essayé d’organiser une exposition. Ça s’est assez bien passé. C’est, c’était pas rien de…
Référence : Page 35, lignes 25-27
M. LAMARRE :
Puis euh, puis pour moi, je me disais, la Libye, je vais te dire, je, j’avais une certaine affection pour eux autres.
Référence : Page 36, lignes 3-27
M. VANDAL :
C’est, c’était organisé par la, la, par SNC.
M. LAMARRE :
Oui.
M. VANDAL :
Donc, toute l’organisation, les frais puis…
M. LAMARRE :
Puis on a eu des « sponsors » là-dedans. Je me souviens plus, là, mais il y avait des gens qui m’avaient aidé.
M. VANDAL :
Il y en avait d’autres.
M. LAMARRE :
Dans le « sponsorship » de ça. Je me souviens plus, mais ça doit être dans le domaine public, ça, qui étaient sponsors.
M. VANDAL :
Oui, oui, oui. Oui, oui, effectivement.
M. LAMARRE :
Moi euh, il y a eu des « sponsors, » puis euh, puis je pense que ça s’est, ça s’est bien passé. Je pense que c’était un geste positif.
M. VANDAL :
Fait que ça, comme vous avez dit tantôt, c’était dans le but aussi de faire plaisir à la famille Kadhafi.
M. LAMARRE :
À la famille Kadhafi, bien sûr.
[Transcription textuelle]
- Toujours en lien avec le chef 3, le plaignant fait état d’une déclaration que lui a emise l’intimé, faite auprès des autorités en Suisse le 4 septembre 2012. À cette occasion, l’intimé déclare ce qui suit[75] :
Référence page 8, lignes 31-45
Q : Vous êtes-vous déjà déplacé en Libye ou en Tunisie? Si oui, pour quels motifs et qui avez-vous rencontré?
R : Oui, de mémoire, deux-trois fois en Libye et une ou deux fois en Tunisie.
Q : Qui avez-vous rencontré sur place?
R : Libye: J'ai rencontré notre personnel. Puis j'ai rencontré M. Muhammar Kadhafi. On était peut-être 4-5 dans le lieu de la rencontre. J'étais avec M. Ben Aïssa.
Q : Quel était le sujet de cette rencontre?
R : Exprimer le souhait de SNC-Lavalin de faire un bon travail en Lybie. De mémoire cette rencontre a eu lieu en 2004 ou 2005.
Q : Qu'elle était l'opinion de M. Kadhafi exprimée à cette occasion?
R : J'aimerais préciser ma réponse antérieure. En fait, je l'ai rencontré à deux reprises, une première fois dans les années 1997-1998 et la deuxième comme mentionné ci-dessus.
Référence page 9, lignes 1-28
On n'a pas parlé travail comme tel et s'agissait uniquement de mentionner l'intérêt de notre société envers la Libye. M. Ben Aïssa était également présent. M. Bebawi non. De mémoire, il s'agissait de discussions socio-politiques et Muhammar Kadhafi s'inquiétait des étudiants qui allaient au Canada et des problèmes de visas qu'ils rencontraient. C'étaient ce genre de discussions qu'on avait. Lors de la deuxième rencontre, c'était toujours le même genre de conversation.
Q : Qui avait organisé ces rencontres?
R : M. Ben Aïssa
Q : Était-ce usuel de pouvoir rencontrer un chef d'État?
R : Oui.
Q : Qui a pris l'initiative de rencontrer M. Kadhafi?
R : J'étais heureux de pouvoir le rencontrer, parce que je cherchais à faire travailler mon entreprise.
Q : Vous étiez de l'opinion que c'était lui qui décidait de l'attribution des marchés?
R : Non
Q : Alors à quoi bon le rencontrer?
R : Ca c'est évident pour moi. Lui il ne s'intéressait pas aux détails. Pour lui, ce qui était important, c'était qu'on s'intéresse à son pays.
Q : Quelle aurait été la conséquence s'il n'avait pas été convaincu de cela?
R : C'est évident, si vous êtes pas bienvenus dans un pays, vous ne pouvez pas y travailler.
Référence page 23, lignes 19-23
Q : Avez-vous eu des contacts avec d’autres membres de la famille KADHAFI ?
R : J’ai rencontré Saif Kadhafi lors d’une exposition de peinture qu’on avait organisée à Montréal pour lui. Ce n’était pas si mal. C’était son idée à lui. Il souhaitait que ses œuvres soient exposées au Canada. Je pense qu’il a proposé cela à travers Riadh mais je ne m’en souviens plus. C’est toutefois ce qu’il y a de plus plausible.
[Transcription textuelle]
- Les réponses données par l’intimé à cette occasion sont examinées dans le cadre du contexte plus large de l’ensemble de la preuve.
- D’autre part, le plaignant note que Mme Girard, dans sa déclaration à la GRC[76], fait état de la tenue de cette exposition, et que M. Bebawi déclare avoir assisté à l’événement, mais pendant quelques minutes seulement. Ces deux témoignages apportent peu de lumière sur la conduite de l’intimé, car il n’est pas contesté que SNC-Lavalin est l’un des commanditaires de l’exposition de peintures et que celle-ci a bel et bien eu lieu.
La preuve de l’intimé
- L’intimé témoigne comme suit.
- Il ne connaissait pas Saïf Kadhafi avant de l’avoir rencontré brièvement lors de l’exposition de peintures.
- Il se souvient qu’à l’époque, le premier ministre Martin a fait mention dans les médias de la fondation Kadhafi. L’intimé comprend alors que ce dernier manifeste un intérêt à ce que l’exposition transite au Canada.
- Selon l’intimé, l’exposition s’est tenue dans un contexte de civilité. Il ajoute que cette activité n’est pas liée à un contrat. D’ailleurs, cette exposition a circulé dans d’autres villes. SNC-Lavalin est l’un des commanditaires[77]. Il relate que SNC-Lavalin a déjà commandité d’autres expositions dans le passé, toujours dans le même esprit de civilité et de mieux se connaître.
Arguments des parties relativement au chef 3
- Le plaignant se réfère à des extraits de la rencontre avec l’intimé et à son témoignage à l’audience devant le Conseil. Il est d’avis que les réponses de l’intimé sont « cousues de fil blanc », et qu’il faut faire un lien avec les importants contrats obtenus en Libye.
- L’intimé se réfère à la preuve[78]. La documentation produite indique que l’exposition est organisée par la Fondation Kadhafi de Bienfaisance Internationale. En fait, il s’agissait d’une exposition d’antiquités grecques, romaines et islamiques, et celle-ci incluait des peintures de Saïf Kadhafi. La documentation indique que l’exposition a été présentée dans plusieurs capitales du monde.
- Il rappelle que le premier ministre canadien a exprimé un intérêt pour cette exposition. SNC-Lavalin est devenue, en 2005, le commanditaire officiel de l’exposition et d’autres entreprises ont participé. Il ajoute que l’intérêt de SNC-Lavalin pour les arts n’est pas nouveau. Il lui apparaît fallacieux d’associer cette démarche de civilité avec la volonté d’obtenir des contrats.
- Décision du Conseil - Chef 3 (exposition de peintures)
- Le Conseil se réfère aux mêmes dispositions de rattachement que celles déjà identifiées lors de l’analyse du chef 1.
- Le Conseil juge que le plaignant n’a pas démontré par une preuve claire et prépondérante que l’exposition visée au chef 3 s’est tenue en vue d’obtenir un contrat.
- En guise de prolégomènes, il y a lieu de préciser que le libellé du chef 3 apparaît quelque peu réducteur. Il ne s’agit pas simplement d’une exposition de peintures de Saïf Kadhafi. Selon la preuve, l’exposition comporte des œuvres datant de l’antiquité.
- La version donnée par l’intimé quant à l’intérêt manifesté par le premier ministre du gouvernement canadien apparaît crédible. Il s’agit d’une exposition d’œuvres de l’antiquité dans laquelle se trouvaient des œuvres du fils du dictateur. Cette exposition a circulé dans plusieurs grandes capitales, et l’intimé a considéré que le gouvernement canadien voyait d’un bon œil que celle-ci soit présentée à Montréal.
- Même si, par ailleurs, SNC-Lavalin a décroché plusieurs contrats importants en Libye à l’époque, le Conseil ne peut, de ce seul fait, établir un lien probable entre l’exposition et l’octroi de contrats. La version de l’intimé apparaît tout aussi logique en dépit de ce fait, et que son entreprise pouvait avoir avantage à maintenir de bonnes relations avec la famille du dictateur libyen.
- Quant aux informations données par l’intimé lors de la rencontre du 23 mars 2023, celui-ci mentionne que l’exposition a été tenue dans d’autres villes et il a voulu qu’elle ait lieu aussi au Canada. Cette explication est cohérente avec ce qui précède. Il confirme que d’autres commanditaires se sont ajoutés. Le fait que SNC-Lavalin soit le commanditaire principal ne change pas le fait que l’intimé a voulu faire venir au Canada une exposition ayant circulé dans plusieurs capitales. Que l’intimé soit conscient que le geste est de nature à plaire à la famille Kadhafi ne change pas ce qui précède.
- Quant à la déclaration de l’intimé aux autorités suisses, il est exact que l’intimé déclare avoir organisé à Montréal une exposition de peintures de Saïf Kadhafi à Montréal. Toutefois, comme déjà mentionné, il faut replacer cette déclaration dans un contexte plus large.
- Le Conseil retient le témoignage de l’intimé selon lequel SNC-Lavalin n’en était pas à sa première exposition et que celle-ci s’inscrit dans cette continuité. Même si, comme déjà mentionné, la famille Kadhafi pouvait considérer favorablement ce geste, il apparaît réducteur de vouloir l’associer à l’obtention d’un avantage en vue d’obtenir un contrat.
- Vu ce qui précède, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions. Aucun geste de l’intimé contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession n’a été mis en preuve.
CHEF 4 Versement d’un montant d’environ deux millions de dollars, notamment pour les dépenses de Saadi Kadhafi lors de son séjour
CHEF 5 La rénovation d’une résidence de Saadi Kadhafi à Toronto
La preuve du plaignant (chef 4)
- Le plaignant se réfère à une entrevue avec l’intimé et aux témoignages de M. Stéphane Roy[79] et de M. Paul Beaudry[80]. Il y a aussi lieu de faire état du témoignage de M. Normand Morin. Enfin, le plaignant s’appuie sur le rapport de la juricomptable, Mme Sophie Déry[81].
- En lien avec le chef 4, le plaignant fait état du paiement de dépenses liées à la famille Kadhafi, notamment un montant de près de deux millions de dollars à l’agence de sécurité Garda. À ce sujet, il se réfère aux réponses fournies par l’intimé lors de la rencontre du 23 mars 2023[82].
Référence : Page 77, lignes 1-10
M. VANDAL :
Parfait. Est-ce qu’on peut penser que les dépenses qui entouraient la visite, là, des, des frères Kadhafi au Canada, on peut-tu dire que c’était dans l’optique de, d’être favorisé dans le but d’obtenir des contrats en Libye?
(01;16;39)
M. LAMARRE :
Ça prend une réponse un peu plus longue, ça. Euh, moi j’avais un certain respect pour le père Kadhafi. J’avais un certain respect pour le père Kadhafi. Je trouvais que ce gars-là, euh, avait aidé́ à subventionner beaucoup de pays africains pour qu’ils obtiennent leur indépendance. Il avait aidé l’Afrique du Sud. J’avais un respect pour ce gars-là. C’est un gars que quand qu’il voyageait, les gens le trouvaient tannant, mais il voulait pas aller dans les grands hôtels.
Référence : Page 77, lignes 22-30
M. LAMARRE :
Puis euh, tu sais, c’était quelqu’un qui était assez simple. Lui, il aurait pas demandé un bateau, tu sais, c’est pas un gars qui aurait demandé un bateau. Tu sais, c’est un gars que, les deux fois que j’ai rencontré ce gars-là, j’ai trouvé que c’était un bon bonhomme. Tu sais, puis quand je l’ai rencontré, j’avais même parlé, là, c’était l’embargo dans ce temps-là̀ puis pourquoi il avait fait ci et pourquoi il avait fait ça, puis il en parlait ouvertement; puis j’avais un certain, j’avais, je dirais, là, je voudrais pas dire que c’était... j’avais un certain respect.
Tu sais, c’est un gars pour lequel j’avais... fait que c’est certain, là, qu’à cause de ça, quand ses fils arrivaient au Canada, j’avais une tendance à avoir une certaine sympathie pour eux autres; mais pas plus que ça.
Référence : Page 78, lignes 8-28
M. LAMARRE :
C’est un gars, c’est comme si, c’est la même chose pour vous si, si un gars que vous respectez puis que ses enfants arrivent ici, bien vous allez un peu avoir une tendance à regarder. Fait que moi, c’était dans ce contexte-là, c’est un gars que j’avais un certain respect pour lui. Tu sais, je peux pas nier ça, je peux pas dire aujourd’hui, euh, autrement, même si c’est un paria, là. Tout le monde trouve que c’est un paria. Moi, je trouve que j’avais un certain respect pour lui.
M. VANDAL :
OK. Que malgré même que vous convoitez des contrats en Libye.
M. LAMARRE :
Bien moi je disais, si on peut aider à faire des projets ici, bien je pense qu’on est une très bonne société; si on peut aider, ça nous fait plaisir de le faire.
M. VANDAL :
Et l’inverse aussi.
M. LAMARRE :
C’est ça, puis on veut être bienvenus.
M. VANDAL :
Si vous, vous voulez aider là-bas, bien en même temps, c’est un échange de bon procédé.
M. LAMARRE :
Bien, je veux dire, je veux être bienvenu. Tu sais, je veux être traité comme un, comme il faut.
Référence : Page 79, lignes 20-27
M. MILLETTE :
Mais le but, le but d’accueillir les fils Kadhafi au Québec puis de payer leurs dépenses, c’était dans quelle optique exactement? Pour faire plaisir au père, où?
Pour maintenir des bonnes relations ou pour euh...?
M. LAMARRE :
Tu sais, les dépenses, là, ça l’a jamais couté un million et demi. Jamais. J’ai été très choqué de ça. Fait que tu sais, ça a tué un peu l’affaire.
Référence : Page 41, lignes 2-27
M. VANDAL :
Oui, oui, oui, je comprends. C’est sûr. Après ça, quand il est venu ici pendant sa visite, je pense qu’on lui a offert de la formation à Saadi, hein?
M. LAMARRE :
(rires) Oui.
M. VANDAL :
Pourquoi vous souriez?
M. LAMARRE :
Ça, ça c’est parce que, je veux dire, ça c’était, lui il est arrivé ici puis de mon souvenir,
OK?
M. VANDAL :
Oui, oui.
M. LAMARRE :
C’est que, il avait, il a dit qu’il avait un problème avec sa famille puis là, on l’avait un peu sur nos bras, puis là, moi j’ai dit : « Il faut absolument, là, qu’on occupe un peu ce gars-là. » Ça fait que, qu’est-ce qu’on peut faire parce tu sais, on peut pas l’inscrire dans aucune école, hein, il y a aucun background, absolument rien. Ça fait qu’on, on a dit « on va lui faire la formation. » Fait qu’on lui a fait rencontrer tous ceux qui pouvaient lui aider, euh, en, on lui a même fait rencontrer monsieur Couillard pour qu’il lui parle du domaine de la santé.
(00;42;45)
M. VANDAL :
OK.
M. LAMARRE :
Puis on lui a fait rencontrer euh, ah, me souviens plus de tous les noms, je me souviens plus, malheureusement, mais on lui a fait rencontrer un paquet de monde pour lui faire une espèce de formation parce qu’on disait, bien, que ça va être bon pour lui. En même temps, ça le tient occupé.
Référence : Page 42, lignes 6-10
M. VANDAL :
Non? Avez-vous donné de la formation un peu à monsieur euh…?
M. LAMARRE :
Oui, une fois je l’ai rencontré puis je trouvais pas qu’il, je trouvais pas qu’il avait des questions aussi pertinentes que vous.
Référence : Page 42, lignes 20-26
M. VANDAL :
En général, ça s’est organisé comment, la visite de Saadi au Canada? Il est venu ici pendant un certain temps.
M. LAMARRE :
Oui. Là, ça c’est, ça c’est encore des affaires, là, euh, les gens m’ont dit ou ce que je me souviens, OK, là…
Référence : Page 43, lignes 1-20
M. LAMARRE :
C’est qu’on a demandé vraiment au gouvernement canadien d’offrir la protection, bien, parce que semble-t-il, là, que, il avait besoin de la protection, puis en fin de compte, le gouvernement canadien a dit non. Ça fait que là, euh, quelqu’un a proposé pourquoi pas prendre une société comme Garda? Tu sais, je veux dire, c’est des gens qui sont dans le domaine.
M. VANDAL :
Oui.
M. LAMARRE :
Puis, moi mon souvenir, c’est que, c’est Garda qui devait s’occuper de lui, de sa sécurité, puis de, puis de l’encadrer dans le temps qu’il était ici. Moi, je veux dire, euh, j’ai eu le temps de le rencontrer une fois, Saadi.
M. VANDAL :
Pendant la formation, j’imagine.
(00;44;13)
M. LAMARRE :
Pour la formation. Une fois ou deux, mais euh, mais c’était Garda qui avait vraiment la responsabilité de s’occuper de sa sécurité, de ses allées et venues. Puis là, là-dedans, mais tout le monde le sait, il y a eu un peu des abus, là. Ça, j’étais très, très,très ennuyé quand j’ai appris ça. Très ennuyé. J’ai trouvé que Garda, là, ont été vraiment niaiseux là-dedans. Je vais toujours avoir, c’est pas à moi de…
(00;44;36)
Référence : Page 43, lignes 25-30 et Page 44, lignes 1-2
M. VANDAL :
OK. Puis quand vous dites qu’il y a eu des stupidités, quel genre de dépenses qu’il aurait pu avoir?
M. LAMARRE :
Ah, écoutez, là, il a fait toutes sortes de dépenses puis dans le fond, moi je comprenais rien là-dedans, les dépenses, puis quand c’est arrivé, j’étais choqué puis c’est, c’était pas un secret, hein? On en parlait à tout le monde, comme je vous disais tantôt, tout était ouvert, puis moi j’étais très, très choqué de ça. Moi, je l’ai même, je l’ai même dit au Conseil. J’ai dit : « Dans le fond, j’ai dit, ça a pas de bon sens. Ça a pas de bon sens. »
Référence : Page 45, lignes 1-19
M. VANDAL :
Je comprends. Puis quand il était ici, c’est qui qui l’encadrait, monsieur…
M. LAMARRE :
C’était Riadh. C’était Riadh.
M. VANDAL :
C’était Riadh qui, qui l’encadrait.
M. LAMARRE :
Qui l’encadrait puis c’est, c’est lui qui m’est arrivé avec ça. Il a dit : « La facture de Garda, c’est, c’est un million, un million et demi. » Plus encore. Moi, je l’aurais étranglé, Riadh, cette fois-là.
M. VANDAL :
Ouin. Ça se peux-tu aussi qu’il y aurait eu Marylynne Campbell qui aurait aidé un peu, euh, à l’encadrer au Québec?
(00;46;34)
M. LAMARRE :
Peut-être que Riadh a demandé à Marylynne d’aider, mais vraiment, le gars qui était le…
M. VANDAL :
Responsable?
M. LAMARRE :
C’était Riadh. C’est, Marylynne a peut-être aidé. Moi, j’ai peut-être aidé en donnant un cours une fois…
Référence : Page 46, lignes 11-25
M. LAMARRE :
Ça a été une surprise pour tout le monde aussi. Quand, quand j’ai dit ça, quand ça a sorti avec Gilles puis tout le monde ils me sont arrivés avec ça puis ils ont dit : « Regarde les dépenses! » Parce que tu sais, c’est quand même pas moi qui s’occupais des chiffres, hein?
M. VANDAL :
Non.
M. LAMARRE :
Je pense que c’est Gilles puis les autres qui m’ont dit : « Regarde ça! » Puis moi, j’ai dit : « Tabarnouche! » En tout cas.
M. VANDAL :
Oui, je comprends. Vous étiez déçu.
M. LAMARRE :
J’étais choqué.
[Transcription textuelle]
- Déclarations de l’intimé aux autorités suisses
- En lien avec le chef 4, le plaignant fait état de la déclaration faite auprès des autorités en Suisse, le 4 septembre 2012, que lui a remise l’intimé. À cette occasion, l’intimé déclare ce qui suit[83] :
Référence page 23, lignes 1-18.
5. Autres questions
Q : Connaissez-vous Saadi KADHAFI ?
R : Oui j’ai rencontré Saadi Kadhafi à quelques reprises (2 à 4). C’était à Montréal, à mon bureau et en-dehors.
Q : Quels étaient les buts de ces rencontres ?
R : La première fois il désirait améliorer les relations entre la Libye et le Canada. La deuxième fois, il disait qu’il était en chicane avec sa famille et qu’il était au Canada pour cela.
Q : Quel était votre rôle dans ces deux contextes ?
R : C’était également dans notre intérêt d’améliorer les relations entre les deux pays. J’ai essayé de faire ce qui était possible à ce sujet. La deuxième fois, j’avais dit à Riadh qui me l’avait amené, qu’il fallait absolument qu’on le tienne occupé puisqu’un homme qui n’a rien à faire risque de faire des choses inappropriées. Nous lui avons organisé des cours pour parfaire son éducation. Il a été auditeur libre, puisque c’était impossible de l’inscrire faute de parcours préalable nécessaire.
- Ces déclarations de l’intimé sont examinées dans le contexte plus général de l’ensemble de la preuve et des explications données par ce dernier à l’audience.
- Lors de son témoignage, M. Roy relate ses interventions lors de la visite de Saadi Kadhafi. De manière générale, il se décrit comme celui qui devait réagir lorsqu’une dépense devait être payée dans le cadre de cette visite, ce qui pouvait l’amener à intervenir pour payer une facture à tout moment.
- Dans un premier temps, il fait état de son cheminement et de ses fonctions à SNC-Lavalin.
- En 1991, M. Roy termine ses études en comptabilité. Par la suite, il travaille dans un bureau de comptable pendant quelques années.
- Il débute un emploi en 1997 chez SNC-Lavalin comme directeur au niveau des finances. Rattaché à l’équipe « Corporation », il prépare des états financiers et analyse des budgets. Il relève du CFO et se rapporte par conséquent à M. Gilles Laramée.
- En 2001-2002, il devient directeur des relations avec les investisseurs. SNC-Lavalin étant une société publique, il communique aux investisseurs l’information financière. Tout en occupant les mêmes fonctions, à compter de 2005, il se voit conférer le titre de vice-président.
- En 2007, il devient Vice-président et contrôleur de la division construction, Socodec, laquelle avait des projets un peu partout dans le monde, incluant l’Afrique du Nord. Son supérieur est alors M. Ben Aïssa, lequel gère les enveloppes budgétaires. Le contrôleur de la division relève de M. Gilles Laramée. Il révise alors des prévisions financières envoyées au contrôleur et au CFO et s’assure que les dépenses sont imputées au bon centre de coûts.
- En 2012, il est congédié de SNC-Lavalin. Il explique avoir été poursuivi par l’UPAC et la GRC, mais qu’après 10 années, il a été acquitté de tout.
- Il relate qu’en 2007, la Libye est un client important, et que la relation passe par M. Ben Aïssa, son patron. La Libye représente alors un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars et génère des profits de plus de 100 millions de dollars en lien avec un projet pour amener l’eau enfouie dans les nappes phréatiques du désert à des villes côtières (Great Man-Made River, Sarir 2).
- En 2008, lors de la visite au Canada de Saadi Kadhafi, celui-ci est accompagné d’une délégation de 6 à 10 personnes.
- Il a alors comme instruction de M. Ben Aïssa d’enregistrer le coût et les dépenses liées à cette visite. Un plan de formation est préparé par SNC-Lavalin, lequel implique des ressources internes et quelques consultants externes.
- Pendant un mois, Saadi Kadhafi et sa suite effectuent des déplacements dans plusieurs villes, dont Toronto et Vancouver. Les sorties de soir et de fins de semaine, ainsi que les loisirs, sont prévus dans cette visite.
- Un relevé[84] préparé par monsieur Roy en date du 27 décembre 2021 fait état de dépenses s’élevant à 1 973 657,38 $ pour la visite en 2008, dont la somme de 1 173 149,72 $ est assumée au poste « Security » et 597 253,12 $ pour les déplacements et les hôtels.
- La facture « Security » comprend les services d’au moins deux gardes du corps fournis par Garda, et ce, sur une plage horaire continue, soit « 24/7 ». M. Roy déclare avoir payé plusieurs dépenses diverses assumées par ces derniers au bénéfice de Saadi Kadhafi[85].
- M. Roy ajoute que ce relevé ne comprend pas les dépenses et les coûts en lien avec une autre visite effectuée en 2009.
- Il explique que Saadi Kadhafi n’avait pas de cartes de crédit lorsqu’il allait au restaurant. M. Roy devait se rendre précipitamment à cet endroit pour acquitter la facture. Il se décrit comme le « go-to » en cas d’urgence. Dans certains cas, il devait aussi rembourser les gardes du corps pour les factures ainsi encourues. Ces sommes payées en « urgence » s’élèvent à 151 780,18 $. Les factures liées à l’utilisation de téléphones cellulaires totalisent 28 246,98 $.
- M. Roy confirme que les vérificateurs externes ont rédigé un rapport sur ces sujets[86].
- Il fait état du large éventail des dépenses ainsi assumées[87].
- Selon M. Roy, à la demande de M. Ben Aïssa et de M. Laramée, ces dépenses sont imputées au projet Great Man-Made River dont il est question plus haut.
- Le 19 juin 2008, M. Roy confirme que SNC-Lavalin devait payer à un hôtel de Toronto les dépenses incluant « all incidental charges » de Saadi Kadhafi, et ce, à compter du 20 juin 2008. La facture dépasse 180 000 $[88]. Le coût est imputé de la façon déjà mentionnée, et ce, à la demande de M. Ben Aïssa.
- Le 31 octobre 2008, un employé de SNC international, M. Robert Blackburn, écrit à M. Ben Aïssa, à l’intimé, à Mme Marylynne Campbell et à d’autres personnes[89].
- Le ministère des Affaires étrangères du Canada a appelé M. Blackburn au sujet d’une facture impayée à la suite d’une visite de Saadi Kadhafi dans un hôtel, laquelle s’élève à 94 000 $. L’hôtel souhaite que cette facture soit réglée.
- Le ministère des Affaires étrangères soulève à SNC-Lavalin l’embarras international que cela peut causer en rappelant un incident survenu en Suisse lorsqu’un autre fils du dictateur a été arrêté. M. Roy a souvenir d’avoir effectué un suivi avec M. Ben Aïssa et Mme Campbell, mais il ne peut pas se souvenir de ce qui a été payé.
- Une autre note du 20 février 2009 fait état du sommaire des frais totalisant 1 973 657 $. Trois pour cent de ce montant est attribué à de la formation[90].
- M. Roy explique avoir fait ce qu’on lui a demandé. Il a fourni les informations aux vérificateurs externes qui lui ont reproché de ne pas avoir avisé l’intimé et M. Laramée du coût total, lequel avoisinait les deux millions de dollars. Toutefois, M. Roy explique qu’il avait préalablement informé M. Laramée des dépenses lorsqu’elles étaient encourues, mais n’avait pas comptabilisé le total du quantum au fur et à mesure. M. Laramée ne savait pas que le total s’élevait à environ deux millions de dollars.
- Or, lors d’une rencontre avec l’intimé et M. Gilles Laramée à la suite du rapport des vérificateurs, il n’a fait l’objet d’aucun reproche et il a reçu son boni et une augmentation de salaire, comme à l’habitude. En contre-interrogatoire, M. Roy rappelle que, lors de sa rencontre avec M. Laramée et l’intimé, le seul reproche qui lui a été fait est de ne pas les avoir mis au courant du quantum cumulatif des dépenses au fur et à mesure. M. Roy reconnaît avoir déjà qualifié ce reproche de réprimande. Il déclare que l’intimé a alors été informé du montant total des dépenses.
- À ce moment, l’intimé lui est apparu surpris d’apprendre le coût total, mais ne s’est pas montré choqué. M. Ben Aïssa, qui assistait via une communication à distance, a expliqué que les dépenses étaient normales vu la stature du personnage.
- M. Roy maintient sa version même après avoir été confronté à une déclaration antérieure donnée par M. Laramée[91]. Il ajoute que l’intimé n’a pas réprimandé M. Ben Aïssa à cette rencontre. Il réitère que l’intimé s’est montré plutôt surpris. Il ajoute que cette rencontre a eu lieu après la réunion du Conseil d’administration et que, par conséquent, ce dernier n’a pas demandé à ce que des réprimandes soient faites.
- Dans le cadre du chef 5, M. Roy relate que Saadi Kadhafi a également fait l’acquisition d’un condominium à Toronto. En 2009, une division de SNC, ProFac, basée à Toronto, s’est occupée de l’entretien du condominium, d’où plusieurs dépenses encourues en avril 2009[92]. Une somme de 202 333,67 $ a été assumée pour le « condo design cost. ».
- M. Roy relate que M. Ben Aïssa lui explique alors en avoir discuté avec l’intimé et M. Gilles Laramée pour l’octroi du budget. M. Laramée lui a confirmé l’accord. Il n’a pas eu de discussion directe avec l’intimé. Encore là, ce coût est imputé dans la division construction de SNC-Lavalin. Le 13 avril 2009, M. Roy envoie un courriel à M. Ben Aïssa pour l’informer qu’il a parlé à M. Gilles Laramée et lui demande s’il a eu le temps d’en parler à l’intimé[93].
- En contre-interrogatoire, M. Roy est questionné en lien avec une rencontre qu’il a eue avec M. Stéphane Gagnon, vice-président vérification interne. Il reconnaît lui avoir mentionné le 12 janvier 2012 avoir été réprimandé en 2009, mais il maintient que ce qui a été dit est de tenir l’intimé, M. Laramée et M. Ben Aïssa informés des dépenses au fur et à mesure. Il réitère que cette réunion s’est tenue après le Conseil d’administration. C’est ce qu’il a qualifié de réprimande.
- Lors de son témoignage, M. Roy est confronté à une réprimande écrite qui lui a été faite et explique que celle-ci vise des événements autres survenus plus tard, en 2011. Ceux-ci concernent des événements liés au Printemps arabe et au fait que M. Ben Aïssa a fait sortir des employés de la Libye, et que ce dernier lui avait demandé de garder cette information secrète.
- Enfin, M. Roy reconnaît qu’un arrêt des procédures a été prononcé relativement à une accusation criminelle portée contre lui[94].
- Le Conseil constate que le témoignage de M. Roy est corroboré sous plusieurs aspects par une preuve documentaire. De plus, il apparaît avoir conservé un bon souvenir des événements. Le Conseil le juge crédible et fiable.
- M. Morin, un des vice-présidents chez SNC-Lavalin à l’époque pertinente, est questionné sur les événements survenus avec l’un des fils Kadhafi.
- Il explique qu’il ne connaissait pas « ces gens-là. » Toutefois, à la demande de SNC-Lavalin, autour de l’année 2003, il fait visiter le Stade olympique à l’un des fils Kadhafi.
- Après 2004, il organise une partie de chasse à la demande de M. Sami Bebawi ou de l’intimé. Avec M. Ben Aïssa, un des fils Kadhafi et quelques personnes, il s’est déplacé dans une pourvoirie dans le Grand Nord de la province. Il ne sait pas qui a déboursé les sommes pour ce voyage.
- Ce témoignage apporte peu de lumière relativement aux chefs 4 et 5.
- M. Beaudry a rencontré Saadi Kadhafi à une occasion à Montréal. Une formation avait été préparée. M. Ben Aïssa lui avait demandé de préparer une présentation concernant les usines de refroidissement d’eau[95]. Plusieurs autres personnes relevant de M. Gilles Laramée devaient faire également des présentations. Il se souvient que Saadi Kadhafi était malade et ne semblait pas particulièrement intéressé.
- Ce témoignage apporte peu de lumière quant aux chefs 4 et 5. Il n’est pas contesté que Saadi Kadhafi s’est déplacé au Canada en 2008 et que des employés de SNC-Lavalin ont occupé une partie de son temps en lien avec diverses présentations.
La preuve de l’intimé
- L’intimé relate avoir été informé par M. Ben Aïssa de la visite de Saadi Kadhafi au Canada pour un certain temps. Selon ce que lui a indiqué M. Ben Aïssa, le fils du dictateur était en conflit avec sa famille et il est venu au Canada pour un certain temps.
- L’intimé explique que le gouvernement canadien n’a pas voulu prendre en charge cette visite. En contre-interrogatoire, l’intimé explique que Saadi Kadhafi s’est fait inviter et qu’« on l’a accueilli. »
- Il ajoute avoir été mécontent de l’avoir « sur ses bras. » Il ne voulait pas qu’un incident survienne : « Il a fallu qu’on prenne les mesures nous autres mêmes pour le protéger. »
- Il reconnaît avoir décidé d’assurer la sécurité de cet invité : « On est d’accord qu’on a dit, il faut assurer sa sécurité. » Lorsqu’on lui fait remarquer que cela implique que SNC-Lavalin va assumer ce coût, il concède : « Penserais que oui. »
- La facture de Garda, laquelle a assuré la sécurité de Saadi Kadhafi, représente quelque 1 173 000 $.
- Contre-interrogé à ce sujet, l’intimé se dit ne pas être d’accord avec le coût, le total de la facture : « Que ça coûté aussi cher, je trouve qu’il y a un problème. »
- Questionné au niveau des frais de subsistance de Saadi Kadhafi, l’intimé revient sur l’idée que ça a coûté beaucoup trop cher. Selon lui, il y a eu de l’abus. Il ne remet pas en cause la facture de l’hôtel, mais plutôt la nature de certaines dépenses. Les montants lui sont apparus exagérés.
- La nature de certaines dépenses l’a même insulté, notamment le fait d’avoir assumé le coût des services d’escortes. Toutefois, il savait que certaines dépenses seraient encourues. Il aurait souhaité d’une part que ces dépenses ne soient pas aussi élevées et que, d’autre part, SNC-Lavalin soit remboursée. En 2009, il a quitté l’entreprise et n’a donc pas fait de suivi à cet égard.
- L’intimé précise que M. Gilles Laramée a eu l’idée de préparer un « petit programme » de formation pour tenir Saadi Kadhafi occupé. Dans le cadre de cette formation, il relate avoir rencontré Saadi Kadhafi à une ou deux reprises à Montréal pour lui expliquer notamment le fonctionnement d’une société publique.
- Également, le montant de 23 000 $, payé pour de la formation donnée par des consultants externes, lui semble « un peu élevé. »
- L’intimé relate qu’en fin janvier ou début février 2009, M. Gilles Laramée, lors de la fermeture des livres pour l’année 2008, lui a donné de l’information. L’intimé réitère avoir été choqué et blessé par ces dépenses. Il relate avoir eu une « dure » discussion avec M. Ben Aïssa en présence de M. Laramée, car la nature et l’ampleur des dépenses étaient inacceptables.
- Par la suite, cette information a été relayée aux vérificateurs externes et au comité de vérification, puis au Conseil d’administration. Ce dernier ne serait pas venu à une conclusion définitive quant aux mesures à prendre.
- Quant à une facture impayée de 94 000 $ à l’hôtel Hyatt à Toronto en octobre 2008[96] à la suite d’un séjour de Saadi Kadhafi, l’intimé ne se souvent pas comment le problème a été réglé.
- L’intimé n’a aucun souvenir d’un voyage effectué dans le Nord du Québec et auquel réfère M. Morin.
- Relativement au chef 5, lequel concerne le reproche en lien avec le paiement en 2009 des rénovations d’une résidence de Saadi Kadhafi à Toronto, l’intimé se rappelle que ce dernier s’est acheté un condo. Il ajoute n’avoir aucun souvenir au sujet de ces rénovations.
- L’intimé ajoute avoir annoncé son départ de SNC-Lavalin en décembre 2008, mais être demeuré en fonction pour une période de transition, et ce, jusqu’au début du mois de mai 2009.
- Le Conseil note que l’intimé apparaît avoir un bon souvenir de certains détails, notamment quant au fait que Garda a été embauché à sa connaissance pour assurer la sécurité de Saadi Kadhafi. Le Conseil juge qu’il s’est montré insulté d’apprendre la nature de certaines dépenses, notamment des services d’escortes. Il s’est montré également choqué, non pas du fait que des dépenses seraient encourues pour cet invité, mais plutôt du total de celles-ci. En ce sens, le témoignage de l’intimé apparaît crédible.
- Quant au reproche lié au paiement de l’hôtel Hyatt, l’intimé s’attendait à ce que SNC-Lavalin assume les factures d’hôtel.
- Arguments du plaignant (chef 4)
- L’intimé savait que la visite de Saadi Kadhafi allait engendrer des coûts, notamment pour sa sécurité et pour les chambres d’hôtel. Il a accepté que Garda fournisse cette sécurité.
- M. Roy a témoigné que, pour Garda, deux gardes du corps ont été présents pendant tout le séjour de Saadi Kadhafi, et ce, à chaque jour pendant 24 heures.
- Ces dépenses ont été comptabilisées par M. Roy dans le projet Sarir 2 (code Kada). SNC-Lavalin en était informée. D’ailleurs, en février 2009, le vérificateur externe a posé des questions à ce sujet, en particulier au sujet du coût élevé de Garda[97].
- L’intimé a voulu être tenu au courant au fur et à mesure du quantum après avoir rencontré M. Roy à la suite du rapport du vérificateur externe. D’ailleurs, en avril 2009, ce dernier informe M. Ben Aïssa qu’il a discuté avec M. Laramée d’une facture de 150 000 $ concernant le condominium de Saadi Kadhafi à Toronto et lui a demandé s’il en a parlé à l’intimé[98].
- Pour le plaignant, l’intimé savait que des dépenses, notamment au niveau de la sécurité et des hôtels, allaient être assumées par SNC-Lavalin. Il ne peut se déresponsabiliser en reprochant à M. Roy de ne pas l’avoir informé au fur et à mesure du quantum de celles-ci.
- Or, à la même époque, SNC-Lavalin réalise des contrats importants, notamment Sarir 2[99] et un projet de construction pour un aéroport à Benghazi[100].
- Arguments de l’intimé (chef 4)
- L’intimé évoque qu’à l’époque, il y a une volonté de rapprochement entre le Canada et la Libye. La visite de Saadi Kadhafi constitue un événement sensible et les incidents devaient être évités. Il rappelle qu’un incident diplomatique est survenu en Suisse lorsqu’un autre fils du dictateur a été arrêté dans ce pays.
- L’intimé reconnaît que le gouvernement canadien a refusé d’assurer la sécurité de ce visiteur. Il ne conteste pas avoir été d’accord avec le fait que SNC-Lavalin assure cette sécurité. Il ajoute avoir accepté qu’un programme de formation[101] soit mis sur pied pour tenir occupé le fils du dictateur.
- L’intimé invoque que M. Ben Aïssa approuvait les comptes de dépenses. Toute la comptabilité passait par Socodec. C’est ce dernier qui donne le mandat à Garda[102]. Toutefois, il argue ne pas avoir connu la nature et l’étendue des dépenses.
- Quant à la facture de 94 000 $ de l’hôtel Hyatt laissée impayée par Saadi Kadhafi, l’intimé invoque que la preuve montre que le ministère des Affaires étrangères craignait que la situation ne devienne publique, et ce, sans demander à SNC-Lavalin d’assumer cette somme. Il y a absence de preuve que cette facture a été payée.
- Selon l’intimé, celui-ci a pris connaissance de la nature et de l’étendue des dépenses en 2009 à la suite d’un rapport des vérificateurs externes[103]. La preuve est contradictoire quant au fait que M. Laramée approuvait les dépenses au fur et à mesure. L’intimé fait état des réprimandes qui auraient été adressées à M. Roy et à M. Ben Aïssa.
- Décision du Conseil - Chef 4 (paiement des dépenses liées au voyage de Saadi Kadhafi)
- Le Conseil se réfère aux mêmes dispositions que celles identifiées lors de l’analyse du chef 1.
- Le Conseil juge que l’intimé a enfreint les deux dispositions de rattachement mentionnées à ce chef pour les motifs qui suivent.
- Premièrement, la preuve permet de retenir que l’intimé a donné son accord à la visite de Saadi Kadhafi au Canada, « on l’a accueilli », même s’il était mécontent de l’avoir « sur les bras. »
- Cette décision d’accepter d’accueillir Saadi Kadhafi en sol canadien n’en est pas une qui découle d’une volonté gouvernementale ou d’une décision gouvernementale dans un contexte de réciprocité entre nations, comme c’est le cas quant au chef 1 (émission d’un visa), ni d’un acte de civilité à l’endroit d’une exposition d’art ayant déjà circulé dans d’autres capitales et pour laquelle le gouvernement canadien, par son premier ministre, manifeste un intérêt à sa venue, comme c’est le cas pour le chef 3. Il appert plutôt que l’intimé a été informé par M. Ben Aïssa que le fils du dictateur pouvait avoir des difficultés avec sa famille et souhaitait passer du temps au Canada.
- D’ailleurs, la preuve montre que le gouvernement canadien n’a pas voulu assumer les frais de cette visite.
- Lors de la rencontre du 23 mars 2023 avec le Bureau du syndic, l’intimé a expliqué la raison de cette visite[104] :
M. VANDAL :
OK. Que malgré même que vous convoitez des contrats en Libye.
M. LAMARRE :
Bien moi je disais, si on peut aider à faire des projets ici, bien je pense qu’on est une très bonne société; si on peut aider, ça nous fait plaisir de le faire.
M. VANDAL :
Et l’inverse aussi.
M. LAMARRE :
C’est ça, puis on veut être bienvenus.
M. VANDAL :
Si vous, vous voulez aider là-bas, bien en même temps, c’est un échange de bon procédé.
M. LAMARRE :
Bien, je veux dire, je veux être bienvenu. Tu sais, je veux être traité comme un, comme il faut.
Référence : Page 79, lignes 20 à 27
M. MILLETTE :
Mais le but, le but d’accueillir les fils Kadhafi au Québec puis de payer leurs dépenses, c’était dans quelle optique exactement? Pour faire plaisir au père, où?
Pour maintenir des bonnes relations ou pour euh…?
M. LAMARRE :
Tu sais, les dépenses, là, ça l’a jamais couté un million et demi. Jamais. J’ai été très choqué de ça. Fait que tu sais, ça a tué un peu l’affaire.
[Soulignements ajoutés]
- Dans le cadre d’une autre déclaration, faite cette fois aux autorités suisses, l’intimé s’exprime dans le même sens :
Q : Connaissez-vous Saadi KADHAFI ?
R : Oui j’ai rencontré Saadi Kadhafi à quelques reprises (2 à 4). C’était à Montréal, à mon bureau et en-dehors.
Q : Quels étaient les buts de ces rencontres ?
R : La première fois il désirait améliorer les relations entre la Libye et le Canada. La deuxième fois, il disait qu’il était en chicane avec sa famille et qu’il était au Canada pour cela.
Q : Quel était votre rôle dans ces deux contextes ?
R : C’était également dans notre intérêt d’améliorer les relations entre les deux pays. J’ai essayé de faire ce qui était possible à ce sujet. La deuxième fois, j’avais dit à Riadh qui me l’avait amené, qu’il fallait absolument qu’on le tienne occupé puisqu’un homme qui n’a rien à faire risque de faire des choses inappropriées. Nous lui avons organisé des cours pour parfaire son éducation. Il a été auditeur libre, puisque c’était impossible de l’inscrire faute de parcours préalable nécessaire.
[Soulignements ajoutés]
- L’intimé a accepté, même à contrecœur, la visite du fils du dictateur, car cela pouvait « aider à faire des projets ». Selon la preuve, notamment le témoignage de M. Roy, SNC-Lavalin a, à l’époque, conclu des projets avec le gouvernement libyen.
- Même si l’intimé a voulu « occuper » ce visiteur en lui offrant une « petite formation », cette visite demeure liée au fait que l’intimé cherchait à « aider à faire des projets » en acceptant de recevoir Saadi Kadhafi.
- Deuxièmement, l’intimé reconnaît avoir accepté d’assumer le coût de la sécurité pour cette visite et les frais de subsistance de ses invités. En contre-interrogatoire, il ne remet pas en cause le fait qu’à sa connaissance et avec son approbation, les frais de sécurité, d’hôtels et de subsistance allaient être payés par SNC-Lavalin.
- La preuve prépondérante permet de retenir, ne serait-ce que pour ces trois éléments (sécurité, frais de subsistance et hôtels pour Saadi Kadhafi et sa suite), l’intimé a donné son accord. Contrairement à ce qu’il plaide, il était au courant de la nature de ces dépenses, du moins pour ces trois éléments.
- À la lumière du libellé de l’article 3.02.09 du Code de déontologie, le fait que les montants payés soient plus élevés que ceux anticipés ne change rien. Ainsi, même si, aux yeux de l’intimé, le montant de la facture totale de Garda l’a choqué, et même s’il n’a été informé que plus tard de certaines dépenses qui l’ont insulté (exemple, le fait de payer pour des services d’escortes), cela ne change pas le fait qu’il a donné son accord pour que soient payés les trois éléments mentionnés ci-haut.
- Or, l’intimé sait qu’il avait donné son accord en raison des contrats en Libye. Les déclarations faites lors de la rencontre du 23 mars 2023 et celle donnée aux autorités suisses sont suffisamment claires et précises. L’intimé ne les a pas contredites. Il s’est plutôt montré choqué d’apprendre l’ampleur des montants et, pour certaines dépenses, la nature de celles-ci.
- Toute la discussion au sujet du moment où il a réalisé le montant cumulatif final de la facture totale liée à cette visite de Saadi Kadhafi qu’il avait approuvé, a un intérêt secondaire.
- Relativement au chef 4, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil juge que la conduite de l’intimé est contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession d’ingénieur. En effet, il autorise le fait que des dépenses soient engagées en lien avec des contrats en Libye. L’intimé, un ingénieur d’expérience, devait savoir que d’accepter de payer plusieurs dépenses en lien avec la visite d’une personne, et ce, pour « aider » ses projets d’ingénierie, que de tels projets soient exécutés au Canada ou ailleurs, est une conduite inadmissible.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- En application de la règle qui interdit les condamnations multiples[105], le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.
La preuve du plaignant (chef 5 – rénovations d’un condominium)
- Selon la preuve, Saadi Kadhafi a fait l’acquisition d’un condominium à Toronto.
- M. Roy fait état d’un mémo portant la date du 27 décembre 2011. Dans ce mémo, une section est intitulée « Condo Design Costs : $202, 333,67$ ». Il écrit que SNC-Lavalin, via sa division ProFac, a été mandatée pour rénover un condominium à Saadi Kadhafi à la suite de sa visite en 2008 :
Once the condo was purchased, I was asked to contact Mamy Dicker of ProFac to find a decorator that could decorate and furninsh the apartment. She recommended the firm « Harvey Wise Design ».
- L’objectif était de rendre ce condominium « fonctionnel » : « and prepared a preliminary budget to provide furnishings, decorating, painting. » M. Roy ajoute :
Riadh ben Aïssa discussed these matters internally with Jacques et Gilles, and I was told to proceed with a budget of approximately $ 150, 000 to $ 200,000. I was the « go-to » person for this mandate.
- Par la suite, il écrit que Harvey Wise Design a débuté son mandat en février 2009 après avoir reçu une avance de 50 000 $. Le coût total, excluant les taxes, s’est élevé à 202 333,67 $.
- M. Roy fait état d’un courriel du 13 avril 2009 transmis à M. Ben Aïssa au sujet du « condo »[106] :
Bonjour Riadh,
Pour ton info, j’ai du parler à Gilles pour le 150k du Condo. As-tu eu la chance d’en parler à Jacques?
[Transcription textuelle]
La preuve de l’intimé (chef 5- rénovations d’un condominium)
- L’intimé affirme n’avoir aucun souvenir des rénovations du condominium de Saadi Kadhafi à Toronto.
- L’intimé se réfère aux pages 76 et suivantes d’une déclaration de M. Gilles Laramée faite aux autorités policières en mars 2015[107] :
G. LARAMÉE : Puis eum, Stephane me n’en parlé pis y dit, faut parler de ça avec Jacques LAMARRE immédiatement. Pis j’me souviens pas si é-, Riadh BEN AÏSSA était de la rencontre, euh, mais y’avait surement Stephane, pis là j’ai dit à Jacques LAMARRE ben, faut présenter ça au euh, au c-, au, l’audit comité. Pis Jacques LAMARRE dit, ça fait partie du 2 millions, pis j’étais pas sûr, loin de là, pis j’sais pas j’ai pas challengé sur le coup pis non, non, non, non, y euh, Jacques LAMARRE dit non, non, on présente pas ça. On l’avait pas présenté distinctement[108].
C. LE DU : C’est ça. Okay. Donc est-ce que Jacques LAMARRE savait qu’il s’agissait d’un condominium pour Saadi GADHAFI? À votre connaissance,..
G. LARAMÉE : Ben oui.
C. LE DU : À c’moment-là quand vous aviez euh,..
G. LARAMÉE : Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui.
C. LE DU : Est-ce que, (raclement la gorge) est-ce que ç’a été présenté au Conseil d’Administration, le fait qu’y a eu des déps-, ces dépenses là en haut du surplus là?
G. LARAMÉE : D’après moi,..
(Parlent en même temps)
C. LE DU : (Inaudible)
G. LARAMÉE : C’est non.
[...]
G. BRASSARD : Est-ce que vous vous souvenez d’avoir euh, qui qui a pris la décision de, d’allouer 150,000$ pour le, le réaménagement, c’est-tu Jacques LAMARRE?
G. LARAMÉE : J’pense qu’il l’avait déjà dépensé. J’me, j’me souviens pas quand qu’y a la rencontre si l’chèque est pas déjà fait là. Hm, moi j’avais,..
C. LE DU : Ouin, parce que (inaudible),..
(Parlent en même temps)
G. LARAMÉE : J’avais, je pensais que c’est,..
C. LE DU : Ouin.
G. LARAMÉE : Le chèque est déjà fait.
G. BRASSARD : Mais qui qui aurait, ains-,..
G. LARAMÉE : Ben, à c’moment-là, si l’chèque est déjà fait, pis Jacques LAMARRE semble pas être au courant quand j-, j’lui amène avec Stephane ROY, d’après moi c’est Riadh BEN AÏSSA.
C. LE DU : Parce que j’ai l’courriel de Riadh à, de Stephane à Riadh qui dit bonjour Riadh, pour ton info j’ai dû parler à Gilles pour le 150,000 du condo, as-tu eu la chance d’en parler à Jacques? Mais j’ai pas le, le, on n’a pas le retour là de Riadh là-dessus là. C’est comme si euh, c’est ça, c’est comme si Riadh était supposé de l’clearer avec euh,..
G. LARAMÉE : Qui est fait, qui est courant avec c’que j’vous ai expliqué tout l’temps là, qu’c’est pas euh, le gars d’opération est supposé d’en parler pis et cetera. Mais moi j’ai, tout d’suite quand j’l’ai eu, j’ai été voir Jacques LAMARRE. Pis surtout que l’comité, j’suis sûr qu’c’est avant, ça devait être avant le 7, 8, 9, 10 mars ou peut-être même avant l’3 mars.
C. LE DU : Euh, ça c’était le 13 avril 2009.
G. LARAMÉE : Ah euh, d’abord c’est la rencontre,..
C. LE DU : Deux mille neuf (2009).
G. LARAMÉE : Du, le mois d’mai d’abord.
C. LE DU : Ouin, c’est ça.
G. LARAMÉE : Du mois de mai, du Board du mois d’mai. Pis c’est là que les vérificateurs tapent leur euh, lettre, peut-être, de recommandation. Fait qu’peut-être si t’as en janvier, février, c’est peut-être après euh, mars ou avril.
C. LE DU : Euh-hm.
G. LARAMÉE : C’est, je, je pensais qu’c’était dans les résultats du mois de mars 2009, mais ç’a dû être l’mois d’mai, d’après moi. vérificateurs tapent leur euh, lettre, peut-être, de recommandation. Fait qu’peut-être si t’as en janvier, février, c’est peut-être après euh, mars ou avril.
C. LE DU : Euh-hm.
G. LARAMÉE : C’est, je, je pensais qu’c’était dans les résultats du mois de mars 2009, mais ç’a du être l’mois d’mai, d’après moi.
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- En février 2009, les vérificateurs externes questionnent M. Roy eu égard aux dépenses encourues par SNC-Lavalin à la suite du séjour de Saadi Kadhafi au Canada[109].
- M. Roy relate qu’en avril 2009, il écrit à M. Ben Aïssa pour l’informer qu’il a parlé au CFO, M. Gilles Laramée, relativement au montant de 150 000 $ en lien avec le condominium de Saadi Kadhafi. Dans ce courriel, il lui demande s’il en a discuté avec l’intimé[110].
- Pour le plaignant, ces courriels indiquent que l’intimé devait être informé du coût. Il n’est pas question de chercher une approbation de ce dernier pour ce type de dépenses.
- Tout comme pour le chef 4, SNC-Lavalin est alors impliquée dans la réalisation de gros projets d’ingénierie en Libye[111]. Aux yeux du plaignant, si SNC-Lavalin a payé quelque 200 000 $ à la famille Kadhafi pour une rénovation de condominium à Toronto, c’est parce qu’il y a un lien avec les projets en cours de réalisation en Libye.
- L’intimé argue que lorsqu’il apprend cette dépense en lien avec les rénovations d’un condominium de Saadi Kadhafi à Toronto, celle-ci est déjà encourue. Il ajoute que, selon la preuve, il en aurait été informé en mars 2009.
- À cette époque, l’intimé occupait son poste pendant une période de transition précédant son départ en mai 2009.
- Par ailleurs, M. Roy n’a pas été présent à une discussion que lui aurait rapportée M. Ben Aïssa avec l’intimé.
- En résumé, cette dépense est encourue par ses subordonnés, à son insu, et il n’en a été informé qu’a posteriori.
- Décision du Conseil - Chef 5 (rénovations d’un condominium)
- Le Conseil se réfère aux mêmes dispositions que celles identifiées lors de l’analyse du chef 1.
- Le Conseil acquitte l’intimé d’avoir enfreint les deux dispositions de rattachement.
- Selon la preuve, Saadi Kadhafi a fait l’acquisition d’un condominium à Toronto lors d’une visite au Canada.
- Le plaignant invoque que l’intimé occupe le poste de président lorsque SNC-Lavalin assume le paiement des rénovations de ce condominium. Il est d’avis que l’intimé a fait en sorte que le coût de ces rénovations soit assumé par SNC-Lavalin en vue d’obtenir un avantage au sens de l’article 3.02.09 du Code de déontologie.
- Dans le cas de la rénovation du condominium à Toronto, le Conseil retient le témoignage de M. Roy, car il est cohérent avec les mémos ayant circulé de manière contemporaine. Ce témoignage lui apparaît fiable.
- Ainsi, le Conseil juge, dans un premier temps, qu’une approbation est donnée pour que SNC-Lavalin assume le coût estimé alors entre 150 000 $ et 200 000 $.
- Selon le témoignage de M. Roy, ce dernier aurait eu comme information que M. Ben Aïssa a discuté de ce sujet avec l’intimé. Toutefois, M. Roy n’a pas assisté à cette discussion. Le plaignant n’a pas démontré de manière prépondérante que l’intimé a donné l’autorisation d’encourir cette dépense. La preuve qu’apporte M. Roy en est une de ouï-dire. Cette preuve n’établit pas de manière suffisante que M. Ben Aïssa a discuté avec l’intimé pour obtenir l’autorisation d’encourir les dépenses liées au paiement des frais de rénovations.
- La situation est différente du chef 4 où la preuve prépondérante permet de retenir que l’intimé a donné son accord à ce que SNC-Lavalin assume certaines dépenses liées à une visite, et ce, avant qu’elles ne soient encourues.
- Par ailleurs, le Conseil tient compte de la déclaration de M. Laramée faite aux autorités policières. Selon cette preuve, lorsque la vérification externe s’est intéressée aux dépenses liées à des déplacements de Saadi Kadhafi, l’intimé donne comme instruction que la somme payée pour ces rénovations n’apparaisse pas de manière séparée dans des documents à être présentés devant un comité[112].
- Dans ce contexte, il apparaît improbable que l’intimé n’ait conservé aucun souvenir des faits liés à la rénovation du condominium.
- En effet, considérant l’importance du visiteur libyen et la déclaration de M. Laramée qui relate avoir abordé le sujet des rénovations du condominium directement avec l’intimé, le Conseil juge peu crédible sa version selon laquelle il n’a conservé aucun souvenir à ce sujet. Selon M. Laramée, la somme de plus de 202 000 $ est apparue en même temps que le montant de près de deux millions de dollars pour des dépenses liées à Saadi Kadhafi.
- Le témoignage de l’intimé n’est pas retenu.
- Néanmoins, indépendamment du témoignage de l’intimé, la preuve ne permet pas de retenir, de manière claire et convaincante, qu’il a donné l’autorisation d’encourir ces dépenses. La version donnée par M. Laramée aux autorités permet uniquement d’établir que l’intimé a été informé du quantum de ces dépenses de rénovations une fois encourues. La preuve n’est pas suffisamment claire pour établir qu’il est au courant lorsque SNC-Lavalin autorise ou paie ces dépenses de rénovations du condominium.
- Sur le chef 5, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie et à l’article 59.2 du Code des professions.
CHEF 7 Avoir toléré un système de corruption ayant servi à verser des millions de dollars à Saadi Kadhafi par l’entremise d’un agent fictif
CHEF 8 Avoir toléré un système de corruption ayant servi à payer et à utiliser des agents afin d’obtenir des contrats
CHEF 9 Avoir toléré un système malhonnête ou douteux par lequel SNC-Lavalin a recours au marché noir pour l’achat de dinars libyens
- Il est apparu au Conseil préférable d’aborder ces trois chefs en premier lieu, le chef 6 étant analysé par la suite.
- Quelques remarques préliminaires s’imposent pour situer le contexte de ces reproches.
- À son arrivée en poste, l’intimé doit trouver des solutions pour réaliser le projet « Tazerbo ». Il s’agit d’un projet d’ingénierie mené par SNC-Lavalin en Libye. L’objectif est alors de forer des puits très profonds pour pomper de l’eau de nappes phréatiques situées dans le désert en vue de la transporter sur une grande distance à l’aide d’un assemblage d’immenses tuyaux formant un long pipeline. Ce projet impliquait la Great Man-Made River Authority (GMMRA), située à Tazerbo, en Libye.
- Malgré de multiples difficultés dans la réalisation de ce projet, celui-ci a pu être finalisé. SNC-Lavalin présente une réclamation aux autorités libyennes. L’intimé est alors en fonction. Cette réclamation s’élève à 36 millions de dollars.
- Le projet Tazerbo doit être examiné aussi à la lumière d’un autre projet : Sarir 2. Comme expliqué ci-après, il s’agit de construire un grand nombre de tuyaux pour transporter l’eau ainsi pompée vers les villes côtières libyennes. Sarir 2 constitue un projet immense, dont le coût de réalisation avoisine un milliard de dollars. À l’audience, il a aussi été question du projet Sarir 1. Celui-ci concerne la remise en marche d’une usine délaissée depuis une dizaine d’années.
- Toute cette activité de SNC-Lavalin en Libye s’est réalisée dans un contexte où des sommes très importantes sont versées à des agents commerciaux. Plusieurs témoins, dont Mme Bérubé, vont expliquer leur rôle et la manière dont s’effectue leur rémunération.
- Le plaignant invoque plusieurs procédés malhonnêtes de la part de SNC-Lavalin, dont un système de corruption en lien avec l’utilisation d’un agent commercial fictif et le recours au marché noir, lesquels auraient été tolérés par l’intimé.
La preuve du plaignant
- Relativement à ces chefs d’infraction, le plaignant se réfère aux réponses fournies par l’intimé lors de la rencontre du 23 mars 2023 avec un représentant du Bureau du syndic[113] :
Référence : Page 70, lignes 1-9
M. VANDAL :
OK. Un moment donné, il y a eu un gros problème avec euh, ces projets-là, pour SNC, un gros problème. On parle de la dette qu’il y avait pour Tazerbo. Ça, ça a été un gros problème à régler, ça. Cette dette-là, il y a un agent ou des agents qui vous ont aidé́ à régler cette dette-là.
M. LAMARRE :
Oui, ça, vous voulez parler du dossier où il y a eu un « success fee, » là, de presque 50 pour cent, c’est ça?
M. VANDAL :
Oui.
Référence : Page 72, lignes 12-30
M. LAMARRE :
Puis le, puis après ça, ils sont arrivés puis ils ont dit : « Il y a un agent qui est prêt à prendre toutes les risques là-dessus pour vous aider à régler le problème. » Puis là, tout le monde s’en est parlé ouvertement, tu sais. Tout le monde autour de la table. Puis en fin de compte, bien là, les gens ont dit : « Bien là, ressayons-le. »
M. VANDAL :
OK, puis tout le monde en parlait ouvertement, incluant la commission de 50 pour cent?
M. LAMARRE :
Oui. Ah, oui, sais-tu quoi, on était, on était, tu sais, on pressait trop, puis toute la patente. On, on essayait de dire, on va négocier ça. Ils ont essayé́ de négocier, il y avait rien qui changeait. Ils disaient : « C’est ça ou c’est rien. » Puis euh, en fin de compte, on l’a accepté. Mais on, tu sais, je veux dire, c’est, des affaires des fois qu’on accepte dans vie, ça nous agace, mais on l’a accepté.
M. VANDAL :
Quand avant il y en avait pas d’agent, là, en Libye.
M. LAMARRE :
Non. Fait que là, on a dit que peut-être que, peut-être que ça serait bon à l’avenir d’avoir un agent. Tu sais, je veux dire, qui va nous expliquer un peu, là, tu sais...
Référence : Page 73, lignes 7-30
M. VANDAL :
Puis qui qui a trouvé l’agent?
M. LAMARRE :
Moi, à mon sens, là, c’est les deux parties. Tu sais, c’était la partie, là, opérationnelle puis la partie, euh, SNC-Lavalin International, eux autres, ils ont dit, ils m’ont dit : « Ah, c’est, c’est le meilleur! » Bien moi j’ai dit : « C’est le meilleur, mais il coûte cher en tabarnouche. »
M. VANDAL :
Ils vous en ont-tu parlé c’était qui l’agent? Ils vous ont-tu dit c’était qui?
M. LAMARRE : Non.
M. VANDAL : Pas personne vous...
M. LAMARRE : Non. Non.
M. VANDAL : Donc, la partie opérationnelle, donc on parle de monsieur Bebawi...
(01;13;21)
M. LAMARRE : Beba...
M. VANDAL : Puis la partie contentieux, c’est monsieur Novak?
M. LAMARRE : C’est ça.
Référence : Page 74, lignes 1-19
M. VANDAL :
Fait que vous dites que c’est les deux qui ont trouvé́, euh...
M. LAMARRE :
C’est en plein ça, puis on a, on a, tu sais, je veux dire, puis on a regardé leurs contrats puis avec le service juridique. Tu sais, c’est pas une affaire, là, euh, faite sur le coin d’une table, hein. Tu sais, on discutait.
M. VANDAL :
Ça pourrait-tu être monsieur Ben Aïssa qui a trouvé le, l’agent, ou?
M. LAMARRE :
C’est, moi d’après moi, c’est certain que lui était actif dans ça parce que les opérations, il fallait qu’il soit d’accord avec ça.
M. VANDAL : OK.
M. LAMARRE :
C’est certain puis à la fin, ça s’est avéré́, puis là, je veux dire, je l’ai appris en Suisse, ça s’est avéré que monsieur Ben Aïssa et monsieur Bebawi étaient avec cet agent-là en, en, ils étaient intéressés, là, dans ce, ils avaient un intérêt dans cet agent-là. Tu sais, je veux dire, puis ça, j’ai appris ça en Suisse.
Référence : Page 75, lignes 1-5
M. LAMARRE :
Me semble qu’en Suisse, ils m’ont mentionné le nom puis ils m’ont dit que Bebawi puis que Riadh étaient des gens qui étaient, euh, bénéficiaires de ça. Puis ça, encore là, c’est là que là-dessus, j’ai dit : « Si j’avais appris ça dans le temps, » j’ai dit ça à la télévision, « je les aurais mis tous les deux dehors, le coup de pied au derrière ».
[Transcription textuelle]
- La déclaration de l’intimé auprès des autorités suisses
- En lien avec le chef 7, le plaignant fait état de la déclaration faite auprès des autorités en Suisse, le 4 septembre 2012, que lui a remise l’intimé. À cette occasion, l’intimé a déclaré ce qui suit [114]:
Référence page 14, lignes 16-30
III. Contrats liés à des prestations
A. CLAIM (WELLS OF TAZERBO) 2001 – CONTRAT 138
Q : Nous vous présentons un agreement (SV.11.0007 B07 101.017.01. E-0014ss) du 16.08.2001 entre SNC-Lavalin International Inc. et DUVEL Securities Inc. (DUVEL) s’inscrivant dans le cadre d’une « claim » en lien avec le projet : « Contract 138 : Design Supply and Construction of Wells at Tazerbo ». Ce contrat est signé NOVAK et Riadh BEN AÏSSA pour SNC-LAVALIN et par Roland KAUFMANN pour DUVEL. Connaissez-vous ce contrat ?
R : Je savais qu’on avait retenu un agent pour récupérer cette créance, mais je ne connaissais pas le nom de l’agent.
Q : Qui vous a informé qu’on allait retenir un agent ?
R : C’est à nouveau l’opérationnel et SNC-International.
Référence page 15, lignes 1-36
Q : Concrètement, quels étaient les problèmes rencontrés par SNC-LAVALIN ?
R : Au meilleur de mon souvenir, c’était un projet horrible. On avait acheté des tuyaux inoxydables au Japon. Le client a refusé les tuyaux lors de leur arrivée en Libye. On a eu des difficultés énormes à réparer et à satisfaire le client qui était très exigent. Ça nous a coûté une fortune. On trouvait que le client avait été abusif. Le même client sur un projet similaire avait eu des problèmes avec Petrobraz qui avait abandonné son chantier et ils étaient en litige avec la Libye pendant de nombreuses années. On a dû décider si on allait faire face aux coûts additionnels ou suivre l’exemple de Petrobaz et abandonner le projet. On a décidé de façon exemplaire et responsable de compléter le projet malgré les coûts extrêmes. Je crois que ça a surpris le client que le projet soit terminé à sa satisfaction abusive, mais pour nous on avait un montant considérable à récupérer. Puis ce n’était pas blanc et noir ce qu’il nous devait. Par contre on pensait que le montant nous était dû. C’est ce problème-là que l’on devait régler.
Q : Qui a été impliqué dans la décision de terminer le projet ?
R : C’était moi et tout le monde chez SNC-Lavalin.
Q : Qui a proposé de faire appel à de l’aide externe pour ce mandat ?
R : Je ne sais pas. Je ne m’en souviens pas. Sûrement les deux divisions.
Q : Quels avantages étaient attendus d’une aide externe, par rapport aux efforts qui avaient déjà été consentis par SNC-LAVALIN et ses employés ?
R : J’aimerais vous répondre par un exemple c’est comme un bureau d’avocats qui prend une cause perdue à succès et c’est des choses qui peuvent durer des éternités et c’est pour cela que l’on a pensé qu’on avait besoin d’aide.
Q : Qui a choisi de mandater DUVEL ?
R : Je ne sais pas.
Q : Avez-vous été informé du choix, par la suite ?
R : Non. On m’a juste dit qu’on avait choisi un agent. Je ne me souviens plus qui m’en a informé.
Q : Avez-vous été impliqué dans la décision d’allouer 50% des montants récupérés à la société mandatée ?
R : Oui
Référence page 17, lignes 21-22
Q : Qu’est-ce qu’on vous a expliqué quant aux frais liés à la récupération de la créance?
R : Rien d’autre que de devoir retenir un agent avec un « success fee ».
[Transcription textuelle]
- La rencontre avec l’intimé
- En lien avec le chef 8, le plaignant réfère aux réponses fournies par l’intimé lors de la rencontre du 23 mars 2023[115] :
Référence : Page 62, lignes 5-8
M. VANDAL :
OK. On va tomber un petit peu, on l’a un peu effleuré tantôt, là, les, les agents commerciaux. Parlez- moi un peu, là, comment ça fonctionne l’utilisation des agents commerciaux.
Référence : Page 62, lignes 17-25
M. LAMARRE :
Vous achetez des obligations, des actions, souvent vous passez à travers des agents pour acheter des actions. Normalement, là, ces gens-là connaissent la cuisine puis ça aide. Fait que nous, pour nous, là, le rôle de ces agents-là, c’était ça. C’était d’aider dans les pays qu’on connaît moins bien pour être capables de faire un peu la cuisine pour que le projet aille mieux. Fait que c’est à ça, puis pour moi, je voulais pas me mêler du choix de ces agents-là. Je m’en suis jamais mêlé. On avait dit, on voulait qu’il y ait deux parties chaque fois qu’on choisissait un agent, c’est la partie qui faisait le projet puis la partie qui euh, SNC-Lavalin International, qui était là pour juger du bien-fondé.
M. VANDAL :
C’était monsieur Novak, hein?
Référence : Page 63, lignes 1-20
M. LAMARRE :
Oui, c’est ça, exactement, monsieur Novak. Pourvu du bien-fondé puis normalement, là, c’étaient eux puis c’était uniquement quand eux étaient pleinement d’accord qu’on avait besoin d’un agent que ça procédait.
M. VANDAL :
OK. Puis habituellement, c’est quoi la commission?
M. LAMARRE :
Bien c’est comme un peu comme une maison. Ça varie entre 4 à 7 pour cent.
M. VANDAL :
Ah, c’est vrai que c’est pas mal comme des, comme des agents d’immeubles. Les agents d’immeubles sont peut-être rendus à 7, 8, à cette heure.
M. LAMARRE :
Ah oui? Bien regardez, c’est...
M. VANDAL :
Oui.
M. LAMARRE :
C’était un peu la même affaire, puis, puis là-dedans, il y avait des contrats puis c’était déclaré au Con... au euh, à notre service juridique puis c’était déclaré au «Board, » c’était déclaré à tout le monde. Tu sais, je veux dire, moi je voulais rien d’illégal.
Référence : Page 64, lignes 1-20
M. VANDAL :
Est-ce que vous aviez à rencontrer des agents?
M. LAMARRE :
Ah, jamais.
M. VANDAL :
Vous avez jamais rencontré d’agents dans aucun pays?
M. LAMARRE :
Je me souviens pas.
M. VANDAL :
Non?
M. LAMARRE :
Je veux dire, faut toujours faire attention (rires), mais non, je m’en souviens pas.
M. VANDAL :
OK.
M. LAMARRE :
C’est-à-dire, c’est certain j’avais pas d’amis particuliers, j’avais pas de relations particulières, j’en connaissais pas. Que quelqu’un me l’ait présenté comme ça par hasard, là, je dis pas que c’est absolument impossible.
Référence : Page 64, lignes 26 à 30
M. VANDAL :
Parfait. Est-ce qu’il y avait un agent en Libye?
M. LAMARRE :
Attendez un peu, là. Il y avait des contrats d’agents en Libye. Il y avait des contrats d’agents en Libye, mais moi, je veux dire, je les connaissais pas.
Référence : Page 69, lignes 16 à 29
M. VANDAL :
Pas de problème, c’était une très bonne question. Euh, donc en Libye, il y avait des agents, un, deux, trois, ça vous le savez pas. Un moment donné en Libye...
M. LAMARRE :
Je savais qu’il y avait des agents, hein, c’est ça.
M. VANDAL :
Ouais, bien, c’est ça, mais en Libye...
M. LAMARRE :
C’est ça, mais le nombre...
M. VANDAL :
Le nombre, en Libye, vous savez pas.
M. LAMARRE :
Je le sais pas, non.
Référence : Page 75, lignes 15-29
M. VANDAL :
Euh, à l’intérieur de SNC, là, il y a des politiques relatives, là, aux représentants et agents commerciaux de SNC-Lavalin International. Est-ce que vous avez approuvé les politiques...
M. LAMARRE :
Oui.
M. VANDAL :
... relatives à ça?
M. LAMARRE :
Oui, on a approuvé ça. C’était tout le monde, tu sais, le Conseil. C’était, c’était, c’étaient des documents, là.
M. VANDAL :
Parfait. Saadi Kadhafi, ça, c’est considéré́ comme un agent public étranger aux yeux de la loi ou aux yeux du gouvernement? Quand je vous parle d’agent public étranger, là?
Référence : Page 76, lignes 22-28.
M. LAMARRE :
Fait que ce bout-là, je l’ai déjà̀, OK. Fait qu’à la fin, là, pour moi, je trouve qu’au point de vue éthique, c’était inacceptable qu’il soit là parce que c’était quand même le fils de Kadhafi. Au point de vue légal, je sais pas si quelqu’un pourrait pas faire un cas et dire qu’il a rien à faire avec le gouvernement puis il a le droit de gagner sa vie. Il peut faire d’autre chose. Ça, au point de vue strictement légal, je suis pas certain de ça, mais au point de vue éthique, j’aurais jamais accepté ça.
[Transcription textuelle]
- La déclaration de l’intimé aux autorités suisses
- En lien avec le chef 8, le plaignant fait état de la déclaration que lui a remise l’intimé, faite auprès des autorités suisses le 4 septembre 2012. À cette occasion, l’intimé déclare ce qui suit [116]:
Référence page 9, lignes 38-40
II. Contrats liés à des projets
A. SARIR PCCP PIPE PLANT – CONTRACT 619
Référence page 10, lignes 9-19
Q : Pour quelle raison est-ce que SNC-LAVALIN a dû faire appel à de l’aide externe pour ce mandat ?
R : Je ne m’en souviens pas, mais c’est une pratique courante de faire appel à des aides externes, lorsqu’on sent que l’aide externe peut faire une contribution.
Q : Qui prend la décision à ce sujet ?
R : La structure c’est que la division opérationnelle et l’entité SNC-International doivent se mettre d’accord si cette aide externe est requise.
Q : Qui fait le choix, l’opérationnel ou SNC-International?
R : Ça peut être les deux.
Référence page 12, lignes 30-39
C. PROJET SARIR PCCP PIPE – PART 2
Q : Nous vous présentons un agreement (SV.11.0097 B08.101.033-0014ss) du 19.10.2006 entre SNC-Lavalin International Inc. et DUVEL s’inscrivant dans le cadre du projet : « Manufacture of Prestressed Concrete Cylinder Pipes at the Sarir PCCP Pipe Plant – Contract 61915-A-530-00CT-CT-1001-Part 2 in Lybia ». Ce contrat est signé par Klaus TRIENDL et Tony ROSATO pour SNC-LAVALIN et par Roland KAUFMANN pour DUVEL. Connaissez-vous ce contrat ?
R : Non. Je ne connaissais pas la société Duvel, mais j’étais conscient qu’il y avait des contrats d’agents.
Référence page 14, lignes 1-9
D. PROJET BENGHAZI AIPORT
Q : Nous vous présentons un agreement (SV.11.0097 B08.101.033-0005ss) du 28.02.2008 entre SNC-Lavalin International Inc. et DUVEL s’inscrivant fans le cadre du projet : « Construction of the Benghazi Airport in Libya ». Ce contrat est signé par Michael NOVAK et Ron DENOM pour SNC-LAVALIN et par Roland KAUFMANN pour DUVEL. Connaissez-vous ce contrat ?
R : Non. Par contre, je savais qu’il y avait en principe la possibilité d’obtenir le soutient d’agents pour les projets en général. Si on avait besoin d’aide, on l’obtenait.
Référence page 18, lignes 6-12
Q : Ne voyez-vous pas d’objection ce que le fils de l’ancien Chef d’État libyen soit rémunéré indirectement par SNC pour son aide dans une procédure opposant SNC à une émanation de l’État libyen ?
R : Du point de vue éthique j’ai un problème. D’un point de vue légal, je ne sais pas.
Référence page 18, lignes 30-45
B. PROJET DUVEL DRILLING RIGS – contract 138
Q : Nous vous présentons un agreement (« Assistance 0109 2012-06-06 000177757 à 00017764 front » du 04.11.2002 entre SNC-LAVALIN International Inc. et DUVEL s’inscrivant dans le cadre du projet : « Equipment and Drilling Rigs that has beenb rought in Libya for the exécution of Contract 138 ». Ce contrat est signé par Riadh BEN AÏSSA et Kam FRANCIS pour SNC-LAVALIN et par Roland KAUFMANN pour DUVEL. Connaissez-vous ce contrat, respectivement aviez-vous connaissance qu’un contrat d’agent avait été conclu dans ce conteste ?
R : Même réponse. Je savais qu’un agent avait été mandaté, mais je n’avais pas connaissance de qui il s’agissait.
Q : Concrètement, quels étaient les problèmes rencontrés par SNC-LAVALIN ?
R : Je m’en souviens mal. Même dans les grandes lignes, je ne pourrais pas vous répondre.
Q : Qui a porté à votre connaissance l’existence et l’étendue de ces problèmes ?
Référence page 19, lignes 1-3
R : La question est mal posée. Je ne sais pas s’il y avait un problème et qu’il devait être résolu par un agent. Je savais juste qu’il y avait un agent qui intervenait sur le projet.
Référence page 19, lignes 12-25.
C. PROJET TRESCA avec GMRA : PCCP REPAIRS CONTRACT 184
Q : Nous vous présentons un agreement (SV.11.0097 B07.202.010-0005ss) du 01.11.2003 entre SNC-Lavalin International inc. et TRESCA HOLDING INC (TRESCA) s’inscrivant dans le cadre du projet : « to reach a financial settlement on Contract 184 (PCCP Repairs) signed between SLII and the Great Man-Made River Authority ». Connaissez-vous ce contrat ?
R : C’est la même réponse. Je savais qu’il y avait un agent, mais je ne connaissais pas son nom.
Q : Qui vous informait du fait qu’un agent avait été mandaté ?
R : A nouveau les deux divisions.
Q : Concrètement, pour quelles raisons un agent devait être mandaté ?
R : Je me fiais aux deux divisions responsables.
Référence page 25, lignes 27-45
Q : Pouvez-vous nous exposer brièvement en quoi consistent les contrats clés en main qui sont devenus une spécialité de SNC-Lavalin ?
R : On appelle des projets clés en main, ceux pour lesquels la société prend la responsabilité de l’ingénierie, de l’approvisionnement et de la construction pour un montant forfaitaire.
Q : Pour pouvoir proposer un tel contrat forfaitaire, j’imagine qu’on fait au préalable des calculs prudents et savants, puisque cela implique un certain risque ?
R : Oui
Q : Est-ce que dans ces calculs on inclut le coût des frais commerciaux ?
R : Oui
Q : Est-ce que dans les frais commerciaux tombent les commissions qu’on verse aux agents le cas échéant ?
R : Oui
Q : Donc à la fin c’est le client qui paie SNC-Lavalin et avec cela, les commissions aux agents ?
R : Oui
Référence page 26, lignes 12-14
Q : En l’occurrence on a vu toute une série de contrats d’agents qui prévoient des taux qui étaient de l’ordre de 6.5 %, 5 %, ces taux sont-ils inusuels?
R : C’est du côté élevé, mais correct.
Référence page 26, lignes 43-45
Q : Pour pouvoir procéder à ces paiements au sein du groupe on a vu qu’il y avait des procédures check and balance. À partir de quel montant votre approbation était-elle nécessaire ?
Référence page 27, lignes 1-12
R : C’est quand les deux divisions sentaient le besoin d’élargir le débat.
Q : Concrètement comment ça se passait, on se réunissait dans un salle, on prenait un café, on expliquait le cas ?
R : C’était un processus très sérieux c’est des projets importants. Lorsqu’on se réunissait pour approuver la soumission on était plusieurs autour de la table. On vérifiait tous les frais associés dont aussi les commissions. Et c’était ce groupe, ce comité-là, qui approuvait l’ensemble du projet.
Q : Petite précision, les commissions dont vous parlez sont les commissions aux agents ?
R : Oui.
[Transcription textuelle]
- Cet échange avec l’intimé doit être analysé à la lumière des autres témoignages et des autres éléments de preuve portant sur ce sujet.
- Les rapports juricomptables de Mme Sophie Déry
- Le plaignant se réfère aux rapports de la juricomptable, Mme Déry[117], lesquels établissent que SNC-Lavalin a versé à Duvel Securities Inc., une société « offshore », plusieurs dizaines de millions de dollars en lien avec les projets Tazerbo, Sarir 1 et Sarir 2.
- À la suite d’études en administration complétées en 1992, elle est embauchée chez SNC comme stagiaire, puis chez SNC-International, à titre de coordinatrice des systèmes d’information. Elle y déploie les systèmes de communications de manière à ce que les différents bureaux répartis dans le monde puissent mieux communiquer. Elle assiste également le vice-président principal Administration, M. Georges Boutary.
- Actuellement, elle travaille comme « chief of staff » au sein d’une société du secteur énergétique, et ce, depuis une dizaine d’années.
- Vers 1996-97, elle travaille au sein de SNC-International. Notamment, elle assiste à la gestion des bureaux à l’étranger, ce qui comprend l’embauche de différentes ressources pour les rendre plus autonomes. Vers 2000-2001, elle s’occupe de la coordination des dossiers d’agents commerciaux. Elle fait ce travail jusqu’en 2004-2005. Vers 2006-2007, elle est nommée directrice et continue la coordination auprès des agents et des contrats, puis la saisie des informations dans le système. En étroite collaboration avec le vice-président principal, elle établit les procédures internes et des politiques.
- Vers 2011, elle est nommée vice-présidente Administration. Elle prend en charge notamment la gestion des contrats d’agents sous l’autorité du président Ronald Denom, puis de M. Michael Novak.
- Au niveau du développement des affaires, Mme Bérubé explique ce qui suit quant aux « développeurs ». Les employés qui font du développement des affaires travaillent pour SNC-International. Ils peuvent vendre les produits et services de toutes les divisions de SNC-Lavalin et possèdent une bonne connaissance du territoire où ils sont basés, un peu partout dans le monde. Par ailleurs, il y avait aussi un autre groupe d’employés qui s’occupaient du développement d’affaires au sein de chacune des divisions. Certains ont une expertise (métallurgie, pétrochimie, etc.) et possèdent une connaissance supérieure d’un produit.
- Néanmoins, ces deux groupes de développeurs pouvaient avoir besoin de recruter des agents commerciaux, notamment pour effectuer le démarchage. Elle précise ce qui suit.
- Les agents commerciaux sont des personnes ou des sociétés qui possèdent des connaissances d’un secteur d’activité ou d’un territoire donné. Au Canada, il n’y a pas de nécessité d’avoir des agents commerciaux, car ce territoire est bien connu de SNC-Lavalin. Toutefois, l’embauche d’agents commerciaux peut éviter la mise sur pied par SNC-Lavalin d’une structure pendant toute l’année ( location de locaux, embauche de personnel) pour le développement d’affaires dans un secteur ou un territoire donné. Cela correspond à une extension du développement d’affaires. SNC-Lavalin ne peut pas maintenir ouverts des locaux partout dans le monde pendant toute l’année.
- Contre-interrogée à ce sujet, madame Bérubé explique qu’il revient au développeur de s’assurer que l’agent existe ainsi que de connaître son identité. Il revient au vice-président et au président de SNC-International de poser des questions au développeur. Elle précise qu’elle n’avait aucun rôle eu égard à cette démarche.
- Elle fait une comparaison avec le courtier en immeubles. Un agent est embauché en raison de ses connaissances, et ce dernier reçoit une commission s’il y a une vente. La convention d’agent prévoit la façon d’effectuer le paiement, dont le pourcentage ou par une autre méthode.
- D’un côté, la méthode du pourcentage est favorisée par SNC-Lavalin, car elle est davantage proportionnelle à l’importance du contrat et comporte moins de risque. Il peut y avoir aussi des paiements par montants forfaitaires. Parfois, le pourcentage s’appliquait sur la valeur du contrat et, dans d’autres cas, il s’applique sur les honoraires, en particulier dans le cas de contrats de service, c’est-à-dire, de génie-conseil. Les autres contrats peuvent être des EPCM (Engineering Procurement Construction and Management), ou des contrats clés en main (turn-key) où la phase construction (et non seulement un contrat de service) est incluse. Ces contrats de construction sont beaucoup plus importants que les contrats de service.
- En outre, dans une minorité de pays, l’embauche d’agents est imposée par l’État.
- Dans certains cas, les services d’agents étaient retenus pour effectuer des règlements d’entente (settlement), notamment lorsque des difficultés surviennent dans l’exécution d’un projet.
- Le rôle de Mme Bérubé est alors de consigner sur papier ce qui avait été négocié comme rémunération pour un agent, puis de s’assurer du respect des clauses du contrat. Autour de 2001, elle s’occupe alors davantage de faire circuler les conventions. En 2005, elle les valide et approuve les calculs en lien avec la commission à être payée.
- Toutefois, la négociation avec l’agent est effectuée avec celui qui fait le développement d’affaires, et non pas par elle. Ainsi, une fois l’agent trouvé, « le développeur » demandait à madame Bérubé de préparer une ébauche de convention. Ce document était basé sur un gabarit[118] approuvé par les Affaires juridiques. Une fois l’ébauche préparée, elle s’assurait de l’approbation de la division qui allait exécuter ce contrat. C’est cette division qui devait percevoir les revenus, puis payer l’agent. Une fois cette approbation obtenue, elle émettait la convention et débutait le processus de signature. Normalement, l’agent devait signer en premier les deux originaux. Puis, elle s’assurait que les responsables chez SNC-Lavalin apposent leur signature. Finalement, un original est alors retourné à l’agent et le second aux Affaires juridiques. Elle gardait alors une copie pour ses dossiers et communiquait avec le contrôleur divisionnaire ou le vice-président Finances, pour qu’il sache quand et comment payer les honoraires de l’agent. Le paiement devait se faire par SNC-International.
- À son souvenir, à l’époque, il y a une centaine de développeurs.
- Dans le cas de Socodec, plusieurs personnes ont été impliquées, dont M. Stéphane Roy et M. Paul Beaudry.
- Les informations étaient colligées dans un logiciel. Les contrats d’agents étaient appelés « conventions », le terme « contrat » étant réservé pour le contrat avec le client. Un numéro d’identification unique était associé à la convention avec l’agent. Une fiche, la note des frais commerciaux, décrit le pays, le territoire, la personne qui a fait le développement d’affaires, le vice-président Affaires/contrôleur, et les termes commerciaux : le montant du paiement et la manière de payer, puis la durée de validité de la convention. La seconde partie de la fiche, les frais commerciaux, concernait le processus de décaissement.
- Elle échangeait avec le développeur pour comprendre l’ampleur du projet et les honoraires à être versés, et s’il y avait des paiements pour des avances. La personne responsable dans la division devait approuver ces termes. Selon l’ampleur du projet et des honoraires, elle pouvait s’adresser, selon le cas, au vice-président principal ou au vice-président exécutif responsable de la division.
- Des lignes de conduite[119] (guidelines) étaient prévues, mais celle-ci ne constituait pas des limites. Il s’agissait d’une politique (policy) de SNC-Lavalin approuvée par l’intimé. Elle précise toutefois que ce dernier n’avait pas à donner son accord pour un pourcentage payable.
- Ce document prévoit notamment à l’article 1.4 en lien avec la corruption:
Canada and a number of other countries from which SLII affiliates carry on business are parties to the Convention on Combating Bribery of Foreign Public Officials International Business Transactions, which was negotiated at the OECD. Each of these countries, in fulfilling its commitment to support the Convention, has enacted or will enact legislation which makes it an offence to bribe foreign public officials in the course of business.
In Canada, the Corruption of Foreign Public Officials Act (Canada) has been enacted and prohibits agreements involving the possibility of payments either directly or indirectly to a foreign public official. Violations of the terms of this legislation can result in the imposition of criminal and civil penalties, not only upon SLII, but upon any officer, director, agent or employee who engages in or authorizes the proscribed activities.
- Autour de 2011, ces lignes de conduite deviennent obligatoires. Avant cette date, la politique et les lignes de conduite prévoient qui doit approuver ce dépassement. Or, dans le cas des contrats avec la Libye, pratiquement toutes les conventions excédaient la limite.
- Or, dans le contrat de gré à gré, clés en main ou EPCM, les lignes de conduite prévoyaient un maximum de 4% pour les commissions à être versées (en 2013, ce pourcentage est de 3,5 %). En offre compétitive, le montant alors prévu est de 2 %. Une autre manière de rémunérer l’agent était de payer les honoraires à des périodes précises de l’exécution d’un projet.
- Mme Bérubé souligne que le paiement à l’agent s’effectuait au prorata des encaissements versés par le client et reçus par la division concernée. Après avoir validé le calcul du paiement, elle effectuait une requête de transfert bancaire au profit de l’agent.
- Selon les procédures applicables (les lignes de conduite), par défaut, la convention implique l’intervention d’au moins deux personnes : le vice-président principal Administration de SNC-International (Senior Vice-President, Adminisration of SLII and the SLII Regional Senior Vice-President) et le vice-président régional de SNC-International[120].
- Ainsi, dans le cas de Socodec, si les limites prévues aux lignes de conduite devaient être dépassées, l’accord du vice-président de SNC-International et d’un membre de l’exécutif était requis. À l’époque, il s’agissait de M. Sami Bebawi.
- À sa connaissance, en 2008, Duvel Securities Inc. (Duvel), avec son représentant M. R. Kaufman, est l’agent principal. Mme Bérubé n’a pas de contact direct avec M. Kaufman, elle lui envoie les originaux des conventions par courriel.
- Le développement des affaires en Libye revenait à M. Ben Aïssa lequel travaillait chez Socodec. Ce dernier était basé dans les bureaux de SNC-Lavalin à Tunis. Il est devenu président de Socodec.
- Ainsi, M. Ben Aïssa devait négocier avec l’agent les termes de la convention. C’est lui qui informait madame Bérubé des modalités.
- Or, dans son cas, il transmettait des conventions déjà signées[121]. Il s’agissait d’une exception, car, normalement, il revenait à Mme Bérubé de rédiger ce document. D’ailleurs, dans le dossier GMMA, il a fallu relancer M. Ben Aïssa pour obtenir l’original de la convention à être signée par l’agent, ce qui n’est pas habituel[122].
- Elle précise que M. Ben Aïssa travaillait de façon différente, car il préparait la convention et allait voir M. Michael Novak pour le faire signer. Or, Mme Bérubé rédigeait habituellement la convention.
- En 2001, un mandat de règlement est confié à Duvel[123] relativement au projet Tazerbo. Mme Bérubé n’est pas impliquée dans l’émission de cette convention. Une autre convention avec Duvel lui a également été transmise[124] concernant Tazerbo, le client étant GMMA. Ce document est signé par M. Michel Novak, président, et M. Roland Kaufman, avocat.
- Mme Bérubé confirme l’existence d’une requête urgente de transfert bancaire du 5 mars 2004[125]. Cette requête est signée par le supérieur hiérarchique de son supérieur immédiat et l’intimé. Le montant de 2 M$ est versé à Tresca Holdings Inc. dans une banque suisse pour des « professional fees. » Elle explique que ce projet est lié à une convention portant le numéro 184 (dossier 014635) et ajoute qu’il s’agit d’un règlement (« settlement ») lié au projet Great Man-Made River en Libye[126].
- Dans le cas du projet Sarir 2, la fiche financière fait état d’une commission de 6,4 % versée en euro à l’agent Duvel Securities Inc.[127] relativement à un contrat d’une valeur de 314 239 084,15 $. Mme Bérubé explique que ce pourcentage est très élevé considérant la valeur du contrat avec le client.
- Mme Bérubé relate avoir écrit à son supérieur, M. Paul Beaudry, le 4 octobre 2006 pour commenter un courriel du même jour de ce dernier à M. Sami Bebawi[128], ce qu’elle a rarement fait.
- Elle avait beaucoup de questions à l’égard de la convention préparée par M. Ben Aïssa. M. Beaudry mentionnait à M. Bebawi avoir parlé avec l’intimé et M. Ben Aïssa au sujet de Sarir 2 et que l’intimé voulait que M. Bebawi donne son accord avant qu’il ne le fasse. Il était question de verser, en euro, 5 M$ immédiatement, 5 M$ après encaissement de tous les montants dus, 5 M$ après encaissement de toutes les avances restantes; 5 M$ à la mi-mars et 4,3 M$ à la mi-mai, pour un total de 24,3 M$, en euros, représentant 50 % de 7,5 % du contrat total de Sarir 2. Ceci correspond à une commission de quelque 80 M$, car ce contrat est d’une valeur de 1 099 882 197 $.
- Elle fait plusieurs suggestions qui ne sont pas retenues. Une note des transferts bancaires confirme le paiement des montants demandés par M. Ben Aïssa en octobre 2006[129]. La nouvelle convention prévoyant une commission de 7,5 % est signée le 13 octobre 2006 entre SNC-Lavalin International Inc. et Duvel Securities Inc., représentée par M. Roland Kaufmann, avocat[130].
- Le 2 novembre 2011, une fiche financière indique[131] que Dinova International Inc., représentée par M. Roland Kaufmann, est l’agent, et que cette société est mentionnée en lieu et place de Duvel Securities Inc. depuis le mois de janvier 2011. La valeur du contrat est de plus de 687 M euros et que les honoraires de l’agent sont de 7,5 %, soit un peu plus de 51 M euros. Encore là, Mme Bérubé explique que les honoraires sont très élevés et qu’il est rare qu’une telle somme soit payée. De plus, le fait de payer des montants forfaitaires et des pourcentages dans une même convention est inhabituel.
- Mme Bérubé explique que SNC-International a fermé à la suite d’un scandale et elle a été transférée au département d’éthique et de conformité.
- Le Conseil considère ce témoignage hautement fiable et très crédible. Les explications de Mme Bérubé sont logiques, claires et appuyées par la documentation au dossier. De mémoire, elle rapporte avec précision les faits pertinents. Elle semble avoir gardé un bon souvenir des situations hors norme l’ayant amené à réagir à des conventions préparées par M. Ben Aïssa visant à verser, selon des échéanciers inhabituels, des montants très élevés pour des commissions.
- À la suite de ses études, M. Beaudry devient comptable. Jusqu’en mars 2025, il est membre de l’Ordre des comptables professionnels agréés.
- En 1986, il est embauché par Lavalin, initialement à titre de coordonnateur général en Côte d’Ivoire, puis, en 1989, il devient directeur financier pour la région Atlantique à Halifax.
- En 1994, il se joint à SNC-Lavalin International. Il occupe le poste de vice-président et s’occupe du développement des affaires. Après avoir été transféré à Buenos Aires, il est muté aux bureaux de Montréal en 1998 pour se joindre à l’équipe de vérification interne. Après un passage au Pérou, il se retrouve au Liban et agit comme vice-président finances, car SNC-Lavalin a acheté « Liban Poste».
- En août 2001, il se joint à Socodec à titre de vice-président finances où il prépare les budgets et effectue leur suivi. Son supérieur est M. Bebawi. Ce dernier démissionne en 2006 pour être remplacé par M. Ben Aïssa. Pour le volet finances, il relève aussi du Chief Financial Officer (CFO). Il a eu beaucoup d’échanges avec M. Gilles Laramée.
- En mai 2010, il quitte SNC-Lavalin et travaille pour une société française.
- En 2013, il prend sa retraite tout en agissant comme consultant, et ce, jusqu’en 2015 puisqu’il doit prendre soin d’un proche.
- À partir du moment où il se joint à Socodec en 2001, il voit plus souvent l’intimé. Il considère son style de gestion comme plus technique que financier. Quant à M. Bebawi, il considère qu’ils ont eu une bonne relation et qu’il a aimé travailler avec lui, car, bien qu’exigeant, il était apprécié de son personnel. À cette époque, la société connaît une très grande croissance de l’ordre de 100 millions à un milliard de dollars.
- M. Bebawi lui avait demandé de « remonter » le contrôle des documents. Notamment, lors d’une soumission, il fallait s’assurer de détenir toute la documentation.
- Il explique que M. Ben Aïssa était responsable de la Libye. Il agissait comme développeur. Ce dernier relevait de M. Bebawi.
- M. Beaudry n’a pas un bon souvenir de M. Ben Aïssa. Il le trouvait colérique, ses affaires étaient en désordre. Des gens ont dû être embauchés, notamment pour effectuer le suivi de ses dépenses. Quant aux relations entre M. Ben Aïssa et M. Bebawi, à sa connaissance, il témoigne que lors de certaines journées cela se passait bien et d’autres, ça allait très mal. Il explique qu’il ne voulait pas travailler avec M. Ben Aïssa même s’il l’a fait pendant une courte période.
- Quant aux relations entre M. Ben Aïssa et l’intimé, ce dernier lui a déjà relaté une visite où il l’a rencontré. Il parlait d’une réunion avec le dictateur sous une tente.
- Eu égard au processus de soumission, il explique que M. Ben Aïssa envoyait les documents à Socodec, plus précisément à l’équipe de Montréal. Cette dernière prépare la soumission qui était présentée au Risk Evaluation Committee (REC) lorsque le projet s’élevait à plus de 15 M$ CA.
- M. Beaudry, à titre de vice-président finances, participait au REC où siégeaient d’autres personnes, relevant notamment de la trésorerie, de la finance et de la fiscalité.
- Lorsque le projet avait une valeur de plus de 50 M$ CA, celui-ci était examiné par un autre comité plus restreint, le BIAC, lequel était dirigé par l’intimé. M. Laramée y assistait également. Pour ces projets, M. Beaudry et M. Bebawi étaient aussi présents.
- En Libye, en général, les projets s’élevaient à plus de 50 M$ CA. Certains étaient énormes, soit de l’ordre de 300 M$ CA. Le dernier s’est élevé à un milliard et la valeur était fixée en euro ou en dollar américain.
- M. Beaudry affirme qu’au niveau du BIAC, le pourcentage versé à l’agent était connu.
- Il explique qu’à l’époque, un embargo international visait la Libye. En 2001, il est très difficile de se faire payer, comme cela arrive souvent avec les contrats à l’étranger. Il devait optimiser la trésorerie, c’est-à-dire se faire payer le plus rapidement et retarder les dépenses lorsque possible.
- M. Beaudry explique que la société mère chez SNC-Lavalin pouvait fournir des fonds pour un projet, mais qu’il fallait alors ajouter un calcul pour des intérêts sur les fonds avancés. Il y avait donc une pression sur les projets en Libye pour faire payer le client.
- Quant à l’embauche d’agents, cela était fréquent pour tous les projets dans le monde. C’est SNC-International, ou plus précisément la division concernée, qui identifie à qui la commission est payée. Lorsque SNC-International était payée, l’information était relayée et l’agent était rémunéré par SNC-International au prorata des encaissements. Cela encourageait l’agent à continuer à fournir une aide.
- M. Beaudry n’a jamais vu les lignes de conduite applicables, mais en a entendu parler. À son souvenir, en général les agents recevaient une commission d’environ 2 %. Toutefois, tous les projets en Libye et plusieurs en Algérie dépassaient ce montant. En Libye, cela pouvait attendre 6 %, 6,4 % et même 7,5 %.
- Dans les années 90, il y avait un employé, M. Boutari, qui rencontrait l’agent, mais, par la suite, M. Beaudry ne peut dire comment cela se passait.
- En Libye, le projet Tazerbo a été réalisé avant son arrivée à SNC-International. Or, celui-ci produit une perte de 40 M$ . Une réclamation de 36 M$ reste inscrite dans les livres.
- En septembre 2001, à son arrivée en poste, M. Beaudry est informé qu’une entente est intervenue en lien avec le dossier Tazerbo. Il explique qu’il a été convenu qu’un très grand pourcentage, de 50 %, est accordé sans délai et versé à un agent. Il déclare qu’il ne fallait pas attendre que le dossier passe par SNC-International, et il devait préparer rapidement les documents. M. Beaudry avait communiqué avec SNC-International pour effectuer la démarche car il ne lui revenait pas de fournir les autorisations. Après avoir reçu l’autorisation du vice-président Administration à SNC-International, M. Klaus Triendl, il a effectué le virement après que l’International lui a fourni le nom de l’agent et le numéro du compte de banque. L’entente étant d’environ 36 M$ CA[132], la commission était de 18 M$ CA. Il croit que M. Bebawi a dû approuver ce transfert, et possiblement d’autres personnes, en raison de son caractère exceptionnel. La trésorerie, un département relevant de M. Gilles Laramée, a effectué le virement en passant par les comptes de Socodec alors que, normalement, le paiement se fait depuis les comptes de SNC-International.
- Dans le cas du projet Tazerbo, M. Beaudry mentionne que le nom et le numéro du titulaire du compte de banque ont été ajoutés sur la documentation après son intervention, car le nom Duvel Securities inc et son numéro de compte de banque sont d’une écriture différente[133]. La demande de transfert est signée en septembre 2001 par M. Bebawi et M. Kam Francis, le vice-président finances de SNC-International ainsi que par M. Beaudry et son gestionnaire.
- Par ailleurs, M. Beaudry fait état du projet Lican, où une société a été mise sur pied pour les forages. L’équipement utilisé pour le forage en Libye a été revendu et réutilisé dans le projet GMMA afin de procéder à des forages dans le désert pour accéder à de l’eau[134]. L’objectif était d’apporter l’eau souterraine vers des villes de la côte libyenne. Cette vente a donné lieu au paiement à un agent d’une commission de 1,6 M$[135].
- M. Beaudry relate ce qui suit relativement aux projets Sarir I et Sarir II.
- Dans le cas de Sarir I, une usine a été construite par les Coréens. En premier, il fallait remettre en fonction cette installation délaissée depuis des années et construire un certain nombre de tuyaux. L’exécution de ce projet a été très difficile. L’intimé a été informé de ce projet qui ne se déroulait pas bien.
- Le 5 septembre 2002, M. Ben Aïssa écrit un courriel pour qu’un paiement d’honoraires de 397 868 euros soit effectué à Duvel pour une avance d’honoraires en lien avec le projet Sarir[136]. M. Beaudry explique que ce n’était pas à sa division d’effectuer un tel paiement. Ce montant est basé sur un pourcentage de 6.4 %.
- Quant à Sarir II, il s’agit d’un projet beaucoup plus ambitieux, impliquant la construction de quelque 50 000 tuyaux. Ceci correspond à un projet d’une valeur d’environ un peu moins d’un milliard de dollars canadiens.
- Initialement, la commission prévue s’élève à 6,4 %. Puis, M. Ben Aïssa téléphone à M. Beaudry et l’informe que la commission s’élève plutôt à 7.5 %. L’impact de cette augmentation correspond à 10 M$. De plus les termes de paiements étaient très particuliers. Le rythme du paiement est supérieur à celui de l’avancement du projet. Cet appel a eu lieu après le passage du projet au BIAC.
- M. Beaudry rencontre alors M. Bebawi pour faire valoir que cela représentait un risque important et voulait savoir si le montant de 10 M$ allait faire diminuer le profit. M. Bebawi n’était « pas très content » et il lui a dit de voir l’intimé.
- C’est la seule fois que M. Beaudry se rend au bureau de l’intimé.
- M. Beaudry relate qu’il lui a alors présenté la situation, que le pourcentage de commission était de 1,1 % plus élevé que celui approuvé initialement au BIAC[137], que les termes de paiements sont problématiques et que c’est à la demande de M. Bebawi qu’il vient le voir. La rencontre a été relativement courte et l’intimé lui a dit qu’il irait parler à M. Bebawi[138].
- Comme il était difficile de se faire payer par la Libye, M. Beaudry constatant que les conditions demandées par M. Ben Aïssa allaient être acceptées, il a proposé que des arrérages soient payés[139]. Son courriel est transmis à M. Bebawi et à M. Gilles Laramée, M. Ben Aïssa étant en copie conforme. Ce courriel fait suite à une rencontre dans un petit bureau adjacent à celui de l’intimé.
- Lors du contre-interrogatoire de M. Beaudry, il lui est demandé s’il est question à ce moment d’un bateau, ou plus précisément d‘un yacht. Il explique que cette réunion a eu lieu il y a quelque 19 ans et il ne peut dire s’il a été ou non question de bateau.
- Selon M. Beaudry, tant l’intimé que M. Bebawi ont donné leur accord à ces changements[140].
- Plus tard, M. Beaudry a lu dans les journaux que M. Ben Aïssa et M. Bebawi se prenaient de l’argent. Contre-interrogé à ce sujet, il déclare ne pas savoir qui était caché derrière « Duvel » au moment des événements.
- Vers le mois de mai 2007, M. Beaudry cesse de travailler pour Socodec. Il croit avoir entendu parler d’un bateau (yacht) avant son départ. Par ailleurs, vers la fin du mois d’avril 2010, il quitte SNC-Lavalin.
- À l’époque où M. Beaudry doit témoigner dans le procès de M. Bebawi, l’intimé lui téléphone pour lui proposer de lui faire suivre son témoignage aux autorités suisses, ce que M. Beaudry refuse. Cet échange d’une vingtaine de minutes a été publicisé dans les journaux.
- Le Conseil juge que le témoignage de M. Beaudry est cohérent et logique. Tout comme Mme Bérubé il a remis en question auprès de ses supérieurs le montant et la manière de payer l’agent commercial. Il considère que l’intimé a donné son accord à la hausse du pourcentage versé à Duvel et aux autres changements dans la façon de payer cette entité. Son témoignage apparaît fiable, car cohérent avec la preuve documentaire. Son souvenir des événements apparaît clair et, en ce sens, il est crédible. Le Conseil accorde une valeur probante à ce témoignage.
- M. Bebawi est né en 1946. Il a fait des études en ingénierie. Après avoir travaillé à l’étranger, il arrive au Canada en 1974. Il obtient alors un contrat avec SNC. Son travail concerne notamment la centrale nucléaire de Gentilly et le barrage hydro-électrique de LG3. Puis, il devient chef de service.
- En 1988, il est à l’emploi d’une autre entreprise dans le secteur de la construction. Puis, en 1990, il fonde son entreprise. Il embauche plusieurs ingénieurs.
- En 1998, il rencontre l’intimé et, après des discussions, lui et son équipe d’une trentaine d’ingénieurs sont alors recrutés.
- Ainsi, en janvier 1999, il débute chez Socodec, une division de SNC-Lavalin. À ce titre, il se joint au Bureau des présidents de SNC. Il demeure en poste jusqu’en 2006. Son supérieur immédiat est l’intimé.
- Selon M. Bebawi, l’intimé est intelligent, travailleur et a un style de « micromanagement. » L’intimé possède une forte personnalité et connaît les détails d’un projet. Il dit avoir apprécié travailler avec lui et estime que sa relation professionnelle était ouverte. Il ajoute que l’intimé pouvait se fâcher et être agressif. Il ajoute qu’il pouvait être « coloré » et certains avaient peur de lui.
- M. Bebawi ajoute que la pression sur l’entreprise était forte et qu’elle n’était pas facile à gérer d’autant plus que les activités pouvaient se dérouler dans une cinquantaine de pays. Enfin, M. Bebawi considère que l’intimé avait une bonne relation avec le Conseil d’administration.
- À titre de membre du Bureau des présidents, il participait à une rencontre mensuelle. L’avancement de différents projets était examiné.
- M. Bebawi fait aussi état de rencontres mensuelles avec l’intimé et M. Gilles Laramée. Il se faisait alors assister par M. Paul Beaudry.
- M. Bebawi relate que l’intimé lui a demandé de prendre en charge la division « Approvisionnement », notamment pour trouver des économies d’échelles pouvant bénéficier à plusieurs divisions, et ce, par le regroupement du pouvoir d’achat.
- Dans le cas de la division Socodec, il y avait une trentaine de bureaux répartis dans le monde. Chaque semaine, des projets étaient identifiés pour déterminer si une soumission devait être déposée.
- Le fait de déposer une soumission pouvait comporter un coût élevé, même de l’ordre d’un million de dollars. Les soumissions retenues par Socodec étaient examinées par deux paliers : le BIAC et le REC. L’intimé et M. Laramée siégeaient au BIAC. Selon M. Bebawi, le montant de la commission à être versée à un agent (aussi appelée « technical fees ») était un sujet alors abordé.
- M. Bebawi explique qu’il essayait de ne pas utiliser les liquidités de SNC-Lavalin pour faire avancer un projet. Si les sommes d’argent données en avance ne suffisaient pas, le montant d’argent additionnel était avancé par SNC-Lavalin, mais avec un taux d’intérêt devant être ajouté au coût du projet.
- En général, les agents étaient payés en proportion du contrat signé et des avances sont effectués chaque mois en fonction des travaux complétés et acceptés par le client. Le paiement est effectué par SNC-International. Un modèle de contrat est transmis à tous les développeurs, comme déjà expliqué par Mme Bérubé[141].
- Des lignes de conduite (guidelines) sont prévues et des autorisations doivent être données, la plupart du temps par M. Michael Novak. Une autorisation doit être donnée pour dévier des paramètres ainsi fixés.
- M. Bebawi déclare ne pas avoir été avisé d’une vérification interne ou externe ou d’un rapport d’un comité du Conseil d’administration, en lien avec un contrat qui n’aurait pas respecté les règles.
- M. Bebawi relate que M. Ben Aïssa est arrivé en poste chez SNC-Lavalin quelque 14 années avant lui. Bien que M. Bebawi était son supérieur immédiat, l’intimé le rencontrait lors de ses visites à Montréal ou à l’étranger. Lors de deux visites de l’intimé en Libye, M. Ben Aïssa est présent, mais non pas M. Bebawi.
- Il le rencontre en 1999. À l’époque, à la demande du responsable des finances, il demande à M. Ben Aïssa de documenter ses comptes de dépenses. Selon M. Bebawi, ce fut le début d’une relation tendue entre les deux hommes. Enfin, M. Bebawi explique que M. Ben Aïssa connaissait un des fils du dictateur libyen.
- Selon M. Bebawi, SNC-International rencontre un agent avant de signer un contrat. Or, dans le cas de la Libye, l’agent n’est pas un individu. Seulement le nom de la société Duvel est fourni. Le contrat est signé par l’avocat de cette société, un dénommé M. Kaufman.
- M. Bebawi dit avoir appris, en 2012, que la société Duvel est une façade pour M. Ben Aïssa.
- Questionné sur le projet Tazerbo, M. Bebawi explique que SNC-Lavalin devait forer quelque 80 puits dans le désert dans le but de récupérer de l’eau enfouie à plus de 600 mètres de profondeur.
- Le contrat est signé vers 1994-1995. Or, le mauvais équipement est alors utilisé. Le forage ne peut s’effectuer qu’avec une déviation, ce qui fut refusé par le client qui ne montrait aucune flexibilité. Le travail devait être recommencé et le client refusait d’effectuer des paiements. L’enjeu monétaire est de taille, soit entre 100 M$ et 150 M$.
- En août 2000, M. Ben Aïssa écrit à M. Bebawi[142]. Il est fait mention du nom de l’agent de l’époque, Aldany, lequel percevait 2 % de commission. L’objectif était d’amener les autorités libyennes à payer. En janvier 2001, un ingénieur de SNC-Lavalin lui envoie un courriel ainsi qu’à l’intimé pour proposer une négociation avec ces dernières[143]. Selon M. Bebawi, lui, M. Laramée et M. Novak ont réglé ce dossier pour 50 M$.
- Eu égard au projet Sarir 2, il s’agissait de construire des tuyaux en béton puis de les transporter pour former un pipeline afin d’amener l’eau tirée des puits vers les villes, soit sur une distance de plus de 600 km. Ce projet, appelé Great Man-Made River (GMMR) a été soumissionné par M. Ben Aïssa. Ce dernier lui mentionne que la commission pour l’agent devra être de 6 %. M. Bebawi lui a dit d’en discuter avec l’intimé. Ce projet est, par la suite, soumis au BIAC et au REC.
- Le 6 septembre 2002, M. Bebawi fait suivre à M. Paul Beaudry un courriel de M. Ben Aïssa[144]. Ce dernier écrit que le calcul de la commission représente le montant de 2 755 747 LD (Libyan Dinars), ce qui correspond à un taux de 6,4 %. Le montant de 397 868 euros mentionné dans ce courriel représente une avance de démarrage.
- En début 2006, une entente survient avec le client. Elle est basée sur un coût par tuyau.
- M. Bebawi ajoute que cette commission est ensuite portée à 7,5 %. Il situe ce moment à la fin septembre 2006.
- M. Bebawi dit avoir remis sa démission à la fin septembre 2006 et M. Ben Aïssa devait le remplacer à partir de janvier 2007.
- En lien avec le chef 9, selon M. Bebawi, la Libye présentait un défi, car le gouvernement avançait le minimum de fonds.
- Il déclare que SNC-Lavalin se procurait des dinars sur le marché noir. Il a noté que des rapports mensuels faisaient état de deux colonnes : le taux officiel de change et le taux plus élevé au marché noir. Le fait d’utiliser le marché noir au lieu des banques du pays permettait de maximiser les profits. Cette façon de procéder était délicate et le gouvernement libyen aurait pu en prendre ombrage alors que le pays faisait l’objet d’un boycottage international.
- M. Bebawi relate qu’à l’occasion des réunions mensuelles avec l’intimé, auxquelles assistait M. Gilles Laramée, la question de l’utilisation du marché noir était abordée. Il ajoute qu’il trouvait dangereux le fait d’utiliser le marché noir. Selon M. Bebawi, les résultats financiers déposés tiennent compte du taux officiel de change.
- À ce sujet, M. Bebawi se réfère à un courriel du 13 septembre 2002 de M. Ben Aïssa à M. Gilles Laramée, le CFO (Chief Financial Officer), pour informer un vérificateur, M. Lafortune, lequel devait se rendre à Benghazi « not to talk about the Libyan Dinars », car :
you know how much this subject is sensitive and shouldn’t be discussed by so many people specially in Benghazi.[145].
- M. Bebawi dit avoir tenté de rencontrer des représentants du client en Libye, mais M. Ben Aïssa l’informe que la réunion est annulée. Dans un courriel à M. Ben Aïssa du 4 août 2004, il lui mentionne qu’un montant en dollars canadiens sera transféré via une banque libyenne pour obtenir des dinars « to test the system » et ajoute que l’intimé a expliqué au Conseil d’administration la façon de faire des affaires avec ce pays[146]. M. Bebawi affirme avoir demandé que le Conseil d’administration soit informé de l’utilisation du marché noir.
- En contre-interrogatoire, il est demandé à M. Bebawi s’il a reçu de Duvel, entre juin 2001 et août 2005, dans son compte personnel en Suisse, un montant de près de 15M$ CA. À ce sujet, M. Bebawi se réfère au jugement de la Cour supérieure et l’arrêt de la Cour d’appel[147] le concernant. Lorsqu’on le confronte au rapport de la juricomptable, Mme Déry[148], lequel fait état d’un montant de 14 878 223 $ CA, il répond que cela devrait être correct puisque cela a été déposé à la Cour et qu’il ne le remet pas en question. Préalablement, cette somme avait été versée par SNC-Lavalin à Duvel. Il ne conteste pas la mention au rapport selon laquelle cette somme a été reçue à la suite d’une vingtaine de versements. Il nie toutefois que la totalité des sommes versées par Duvel ont été partagées entre lui et M. Ben Aïssa.
- M. Bebawi reconnaît avoir été déclaré coupable, en décembre 2019, de fraude, de corruption d’agent public étranger, de recyclage de produits de la criminalité et de recel d’argent et de biens.
- Il est confronté à un passage du jugement de la Cour supérieure rendu le 10 janvier 2020[149] dans lequel il est écrit qu’il a participé à la distribution de plusieurs dizaines de millions de dollars à des membres ou à l’entourage d’une kleptocratie dictatoriale et qu’il a reçu personnellement près de 30 millions de dollars. M. Bebawi déclare ne pas être d’accord. Il nie avoir posé des gestes dans le but de soustraire des sommes d’argent lorsque la GRC a procédé à des perquisitions. Il déclare n’avoir soutiré aucun bénéfice personnel en lien avec une fraude. Il reconnaît toutefois avoir écopé, à la suite de ce jugement, d’une peine d’emprisonnement de plusieurs années et à payer une amende de remplacement de plus de 24 M$. Lorsqu’on lui demande s’il est d’accord avec la mention dans le jugement qu’il aurait tenté, avec son avocat , de soudoyer M. Ben Aïssa, pour qu’il mente aux autorités, M. Bebawi répond qu’il a été accusé parce que son avocat, Me Kyres, a communiqué avec l’avocat de M. Ben Aïssa. Il n’est pas d’accord avec la mention indiquant qu’il a tenté de soudoyer Ben Aïssa. Eu égard à des conventions et à une quittance qu’il reconnaît avoir été préparées par ses avocats dans le cadre de son procès, l’intimé mentionne qu’il y a eu des milliers de documents produits à son procès et déclare ne pas en avoir une connaissance[150]. Par ailleurs, il nie avoir offert de l’argent à M. Ben Aïssa pour influencer son témoignage.
- Par ailleurs, M. Bebawi reconnaît que le plaignant lui a accordé une renonciation à déposer contre lui une plainte disciplinaire[151].
- L’appréciation du témoignage de M. Bebawi représente un défi. Comme déjà mentionné, il est possible d’ajouter foi à une partie d’une déposition d’un témoin, même s’il est contredit sous d’autres aspects[152].
- Le Conseil juge qu’il peut retenir une partie de ce témoignage[153].
- La version de M. Bebawi quant aux difficultés rencontrées dans le projet Tazerbo et à l’ampleur du projet Sarir 2 apparaît crédible et fiable. Sa version des faits est également cohérente avec celle de M. Beaudry lorsque celui-ci relate qu’il lui a été demandé de rencontrer directement l’intimé au sujet de la hausse de la commission de 6.4 % à 7.5 % basée sur un projet de près d’un milliard de dollars, soit une somme faramineuse. De plus, ce témoignage apparaît suffisamment fiable pour en tenir compte quand il fait mention de l’utilisation par SNC-Lavalin d’un marché parallèle en Libye. D’ailleurs, il se réfère à un courriel contemporain du 13 septembre 2002 à ce sujet.
- Néanmoins, le Conseil doit également retenir qu’il a été déclaré coupable de fraude et de corruption d’agent public étranger et a bénéficié personnellement de plusieurs millions de dollars reçus de l’entité de façade Duvel derrière laquelle il se cachait avec M. Ben Aïssa. Même s’il clame encore ne pas être d’accord concernant sa participation à la distribution de millions de dollars à des membres de la famille du dictateur libyen, son témoignage ne peut pas être retenu sous cet aspect. Outre ses condamnations qui constituent des faits juridiques incontournables, les informations mises en preuve par le dépôt du rapport de la juricomptable sont éloquentes quant au fait que M. Bebawi a reçu des sommes énormes via Duvel pendant cette période.
La preuve de l’intimé
- L’intimé témoigne sur les différents chefs.
- L’intimé fait état de son parcours[154].
- Celui-ci a obtenu un premier baccalauréat en 1962 et terminé des études en sciences en 1966 à l’Université Laval. Il a complété, plus tard, à Harvard, un programme destiné aux cadres supérieurs.
- Devenu ingénieur en 1966, à ce jour et depuis 2018, il est ingénieur à la retraite.
- Il est embauché par Lavalin vers le débute de l’année 1968. Ce qui l’amène à travailler au Québec puis à l’étranger, notamment dans un pays voisin de la Libye où il agit comme chargé de projet pour l’installation de puits.
- En 1991, Lavalin éprouve des difficultés financières après avoir racheté une raffinerie dans l’est de Montréal et est rachetée par SNC. Dans le cadre d’un projet à Kuala Lumpur, il est nommé président de la division Transport de SNC-Lavalin. En 1994, le président de l’époque met sur pied le Bureau des présidents formé de quatre membres, dont l’intimé. En 1994, il devient président de SNC-Lavalin (CEO, Chief Executive Officer).
- En 2008, il annonce son départ prochain de SNC-Lavalin et quitte définitivement son poste en début mai 2009.
- L’intimé fait état de ses réalisations, dont notamment un partenariat public-privé pour la construction en Ontario de l’autoroute 407[155]. SNC-Lavalin est une société cotée en bourse et agit dans plusieurs secteurs (chimique-pétrole, infrastructures, environnement, mines et métallurgie, gestion et exploitation d’installations, militaire, agroalimentaire, pharmaceutique, etc.). Au moment où il quitte l’entreprise, celle-ci emploie quelque 25 000 à 30 000 employés.
- La gouvernance et les mécanismes de contrôle
- L’intimé présente la structure de gouvernance et différents comités de SNC-Lavalin[156] : vérification, régie d’entreprise, santé et sécurité au travail, ressources humaines. L’intimé fait état du rôle des vérificateurs externe et interne. Dans ce dernier cas, le chef des services juridiques s’assure que les opérations sont réalisées en respectant la loi.
- En ce qui concerne les projets internationaux, l’intimé fait état de SNC-International. À l’époque, cette dernière entité est présidée par M. Michael Novak. Des vice-présidents se rapportent à ce dernier et le tout est organisé en fonction des zones géographiques.
- La structure de l’entreprise prévoit un « dual reporting »[157], ce qui signifie que des employés doivent se rapporter à deux niveaux de contrôle, dont le CFO. De 1999 à 2012, ce poste est occupé par M. Gilles Laramée.
- L’intimé mentionne que les projets d’une valeur de 15 à 50 M$ CA sont analysés par une première équipe : le REC. Ce comité s’assure de la bonne planification (aspects fiscaux, informatique, revenus et dépenses, etc.)
- Si le projet est d’une valeur supérieure à 50 M$ CA, celui-ci doit franchir une autre étape, celle du BIAC, sur lequel il siège avec un vice-président exécutif, lequel est membre du Bureau des présidents. Ce dernier est celui responsable de la division d’où émane le projet. De plus, un autre président exécutif participe ainsi que le CFO. D’autres personnes peuvent aussi y assister lorsque nécessaire.
- Le Bureau des présidents était composé en général de 9 à 10 membres, soit des présidents exécutifs. Chaque mois, l’intimé les rencontres individuellement afin d’être informé du déroulement des opérations, du suivi du budget et d’avoir une idée des projets à venir. Les présidents exécutifs se répartissaient une cinquantaine de divisions, dont SNC-International.
- Le BIAC présente une recommandation au Conseil d’administration, lequel prend une décision.
- Vu ce qui précède, l’intimé considère impensable qu’on qualifie de « hands-on » son style de gestion. Il respectait beaucoup les chargés de projets responsables des différents dossiers et n’intervenait qu’en cas de gros problèmes. Le leadership était ainsi distribué dans la structure.
- L’intimé fait aussi état de la surveillance exercée par les banques et explique le rôle des actionnaires et des investisseurs.
- L’intimé reconnaît avoir signé la préface du Code de déontologie et de conduite dans les affaires de SNC-Lavalin[158]. Il explique que les valeurs véhiculées par ce document s’imposent à tous les employés, au Canada comme à l’étranger.
- Relativement aux chefs 7 à 9, l’intimé fait état de ce qui suit.
- Il relate avoir rencontré deux fois le dictateur Muhammar Kadhafi.
- À son arrivée, l’intimé est confronté au projet Tazerbo.
- Il fait un parallèle avec les difficultés rencontrées à la même époque par ses ingénieurs dans le projet BreX en Indonésie. Il relate que le Conseil d’administration lui avait demandé de prendre en charge ce dossier au moment où SNC-Lavalin était poursuivie. Il relate sa stratégie de défense et ses rencontres avec les ingénieurs. Il explique les discussions qu’il a eues avec la partie adverse. Bref, l’intimé apparaît avoir une bonne mémoire de ces événements.
- Dans le cas de Tazerbo, il s’agit d’un projet initié deux ans avant son arrivée en poste. Comme expliqué par M. Bebawi, SNC-Lavalin n’utilisait pas l’équipement approprié pour creuser les puits. De plus, les tuyaux en acier inoxydable avaient été refusés par le client, lequel avait perdu confiance.
- L’intimé s’attribue la réorganisation du projet, et celui-ci a pu être complété.
- Il ajoute que, par la suite, Socodec a pu sécuriser d’autres projets.
- Relativement à Tazerbo, l’intimé affirme avoir été trahi par des personnes en qui il avait confiance.
- Il relate avoir témoigné en Suisse dans le cadre du procès de M. Ben Aïssa. Il affirme ne pas avoir conclu d’ententes avec les autorités suisses[159], contrairement à ce qu’affirme M. Bebawi devant le Conseil. Il n’a fait l’objet d’aucune procédure émanant des autorités suisses ni de la Commission Charbonneau pour ce qui est des autres chefs de la plainte disciplinaire.
- L’utilisation d’agents commerciaux
- Selon l’intimé, l’utilisation d’agents commerciaux était en place bien avant son arrivée en fonction comme président. À son arrivée en poste, cette façon de procéder est maintenue, car SNC-Lavalin n’avait pas toutes les connaissances nécessaires pour agir dans chacun des pays où des projets étaient en cours.
- Il affirme qu’il ne choisissait pas l’agent. Ce choix était validé par la division opérationnelle et par SNC-International.
- L’intimé se réfère au modèle de convention prévu chez SNC-Lavalin pour les agents[160] et aux lignes de conduite (guidelines) déjà expliquées par Mme Bérubé.
- Dans le cas de la commission versée à l’agent dans le dossier Tazerbo, l’intimé relate que SNC-International a validé le besoin d’un agent. Il relate avoir trouvé très élevée la commission versée à l’agent et en a discuté avec M. Michael Novak.
- Il ajoute qu’à l’époque les relations avec le gouvernement libyen étaient difficiles et ce dernier était désorganisé. Un agent était nécessaire.
- Le pourcentage versé à un agent en Libye était plus élevé. C’était un pays différent.
- Or, l’intimé explique que l’agent insistait afin d’obtenir un montant équivalent à 50 % de la réclamation. L’autre option était d’aller en arbitrage. Il a aussi tenu compte du fait que le client pensait à débuter d’autres projets. L’intimé explique avoir accepté la recommandation de M. Novak, de M. Bebawi et de M. Ben Aïssa en prenant en considération que SNC-Lavalin allait travailler en Libye dans le futur. Il affirme ne pas avoir été impliqué dans le choix de l’agent et s’être fié totalement à ces personnes. Il ne possède pas d’expertise sur cette question.
- Il affirme n’avoir eu aucune raison de se douter que l’argent allait être utilisé à des fins illégitimes.
- Contre-interrogé au sujet des lignes directrices (guidelines) transmises au personnel de SNC-Lavalin (notamment aux développeurs) au sujet des paramètres selon lesquels un agent commercial étranger peut être payé[161], l’intimé explique que celles-ci n’ont rien à voir avec le souci de respecter certaines lois, notamment la loi fédérale qui a pour objectif de s’attaquer au phénomène de la corruption des agents étrangers.
- Par ailleurs, l’intimé reconnaît avoir approuvé, en février 2008, une politique concernant les agents commerciaux[162]. Or, l’article 1.4 de cette politique énonce que SNC-Lavalin applique la Convention on Combating Bribery of Foreign Public Officials in International Business Transactions et, au Canada, la loi suivante : Corruption of Foreign Public Officials Act.
- Or, le texte de la loi fédérale est joint (Attachment #3) aux lignes directrices (guidelines)[163]. L’intimé déclare alors que les contrats écrits selon les « guidelines » devaient respecter les lois.
- L’intimé est questionné sur le fait que des sommes très élevées ont été payées à des agents étrangers travaillant en Libye et sur les appréhensions que des pots-de-vin auraient été versés. Il explique que des gens de « première classe » ont été mis en poste, dont M. Michael Novak, pour s’assurer que les lois étaient respectées. Il dit n’avoir aucun doute quant au fait qu’un excellent système était en place.
- Il explique que si une convention à être signée avec un agent commercial étranger ne respectait pas les lignes de conduite (guidelines), cela prenait une recommandation spéciale. En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui demande qui étaient ces personnes, l’intimé répond: « J’étais pas l’expert pour connaître les conditions locales. Je me fiais, je répète toujours les mêmes réponses, je me fiais aux gens qui étaient là dans la division opérationnelle, aux gens qui étaient là à l’international. Quand il y avait une exception, ils me faisaient une recommandation que j’acceptais, basée sur leur expertise, des gens en qui j’avais hautement confiance. »
- Or, les lignes de conduite transmises au personnel de SNC-Lavalin[164] prévoient un pourcentage maximum payable et la procédure devant être suivie en cas de « divergence » :
Services Maximum 5% of Maximum of 0.5%
Contractual Revenues of Contractual
but not greater than Revenues
25% of Gross Margin
Any divergence from the preceding parameters will have to be referred to the:
- President of SNC-Lavalin International
-Responsible Member of the Office of the President
- CEO of the Corporation
This is being sent to your special attention to solicit your cooperation in implementing it.
- Ainsi, dans le cas d’un contrat de Socodec en Libye, pour lequel un projet de convention avec un agent commercial dépasse les pourcentages mentionnés ci-haut, il fallait son consentement et celui de M. Novak, M. Bebawi (jusqu’en 2006). L’intimé déclare que, lorsque le processus de « checks & balances » a été suivi, il donnait son OK.
- L’intimé explique que Sarir 2 était un important projet pour SNC-Lavalin. Il reconnaît que ce projet a été analysé en particulier via le BIAC et que la commission à être versée à l’agent Duvel avait alors été fixée à 6,4 %, ce qui est un pourcentage beaucoup plus élevé que ce qui est prévu aux « guidelines. » Il admet avoir donné son accord pour que ce pourcentage soit versé. Au niveau du BIAC, il disposait alors de toutes les données financières, le contrat étant établi sur une base de prix global.
- Après cette étape où tout a été soumis au BIAC et après que le projet a été présenté au Conseil d’administration, il est informé que le pourcentage demandé est plus élevé. L’intimé se souvient de sa rencontre avec M. Paul Beaudry à ce sujet. M. Beaudry lui dit s’être déplacé à son bureau à la demande de M. Bebawi ou de M. Ben Aïssa. M. Beaudry lui a mentionné que M. Ben Aïssa a indiqué que le pourcentage demandé est de 7,5 % payable à Duvel. Une avance est aussi demandée, ce qui change l’échéancier des paiements et qui est inhabituel. Normalement, l’agent commercial est payé au fur et à mesure des encaissements. Il reconnaît que M. Beaudry lui présente cette demande comme quelque chose d’assez inédit et que jamais il n’a payé une commission aussi élevée, si l’on exclut le règlement intervenu dans Tazerbo.
- L’intimé reconnaît avoir accepté cette demande par la suite. Il ajoute que cela a été fait après un processus impliquant M. Laramée, M. Beaudry, M. Bebawi, M. Ben Aïssa et finalement M. Novak. Toutefois, un BIAC n’a pas été refait, car la demande visait un item précis. Ainsi, la commission passe de 6.4 % à 7.5 % sur un projet d’environ un milliard de dollars, ce qui représente un coût additionnel de 10 M$. Il ajoute que tout le monde était d’accord, l’International a validé puis, à la fin, il a accepté.
- Questionné à savoir s’il a cherché à connaître qui est Duvel et pourquoi on devait verser 10 M$ de plus à un agent qui avait déjà accepté un pourcentage de 6,4 %, l’intimé réitère qu’il avait confiance en M. Bebawi et Ben Aïssa et que l’International a validé. Il ajoute s’être senti trahi et choqué.
- Il rappelle avoir été également choqué dans le cas des paiements des dépenses en lien avec la visite de Saadi Kadhafi et lorsqu’il a appris le paiement d’un pot-de-vin au président de la Société des Ponts. Il relate avoir été également choqué par les contrats de collusion à la Ville de Montréal et la Ville de Longueuil.
- L’intimé déclare n’en avoir qu’un vague souvenir.
- Il explique qu’il s’agissait d’une opération liée au « chaînon financier. » Il mentionne qu’au début, à l’époque du projet Tazerbo, la Libye faisait l’objet d’un embargo et de sanctions sur les banques. Il reconnaît qu’il est possible, son souvenir étant dit il est vague, « qu’il disait faire affaire avec un marché privé pour être capable d’obtenir des dinars libyens. » Il reconnaît avoir été mis au courant en raison, répète-t-il, des sanctions et des problèmes avec les banques.
- Il ajoute que M. Laramée a demandé à son vérificateur interne d’aller faire « une espèce de révision » du projet. L’intimé estime qu’un rapport a dû être fait, que l’information a transité par le vérificateur externe et au comité de vérification. Puis, son souvenir étant meilleur, le Conseil d’administration aurait demandé de trouver une solution. Selon l’intimé, M. Laramée aurait trouvé une solution pour que tout devienne « régulier. »
- Il résume en déclarant qu’au tout début, SNC-Lavalin a fait affaire avec le « marché privé », mais que M. Laramée a trouvé une solution pour corriger la situation. L’intimé ajoute ne pas avoir eu une connaissance intime de la situation.
- En contre-interrogatoire, l’intimé est questionné sur ce qui suit. Malgré les mesures de gouvernance mises sur pied chez SNC-Lavalin, des sommes ont été payées dans un contexte de corruption et de versement de sommes d’argent à des agents fictifs, un yacht a été payé à Saadi Kadhafi, des sommes ont été versées par SNC-Lavalin dans un contexte de corruption à la Ville de Montréal, de Longueuil et de Québec. Tout cela s’est produit alors qu’il était président. L’intimé répond : « Regardez la croissance de la compagnie », l’ensemble des opérations ainsi que la valeur des actifs lorsque la société a été vendue. Il confirme que la collusion rapportée par M. Cadotte et les versements de commissions à des agents fictifs sont le résultat des gestes posés par certaines personnes. Il conclut à un très bon travail, très bien organisé. Il fait référence aux profits réalisés. Selon lui, son bilan est impeccable.
- Le Conseil constate que la mémoire de l’intimé varie selon les sujets. Ainsi, il fournit beaucoup de détails sur son intervention dans les dossiers BreX, Tazerbo et Sarir 2. Il relate sa rencontre avec M. Beaudry. Néanmoins, il invoque avoir de vagues souvenirs quant à l’utilisation du marché privé. Cette situation affecte la fiabilité du témoignage de l’intimé, d’autant plus que lors de l’examen d’autres chefs, le même constat prévaut, notamment quant à l’approbation des comptes de dépenses flexibles. C’est dans le cadre de l’analyse de chacun des chefs que la version de l’intimé est examinée plus en détail.
Arguments du plaignant (chefs 7 à 9)
- Le plaignant souligne que le fait que des commissions aient été versées à des agents commerciaux, dont Duvel Securities Inc, n’est pas contesté. Ce qui est en cause, c’est la connaissance de l’intimé et l’application du principe de l’aveuglement volontaire.
- Il considère avoir démontré que l’intimé a eu connaissance des pots-de-vin. Toutefois, il argue aussi que la preuve démontre un aveuglement volontaire de la part de l’intimé.
- Avant l’arrivée de Duvel, l’agent Albany recevait 2 % de commission. Or, Duvel reçoit 50 % de la valeur de la réclamation dans Tazerbo. Par la suite, Duvel obtient des commissions beaucoup plus élevées, allant de 6 % à 7,5 %. L’intimé a autorisé ces paiements. Dans le cas de la hausse de 6,4 à 7,5 %, M. Beaudry est allé exceptionnellement à la rencontre de l’intimé considérant le caractère inédit des demandes en lien avec ce paiement. Même s’il n’est pas contesté que SNC-Lavalin avait de la difficulté à se faire payer par la Libye, l’intimé autorise le versement d’avances de plusieurs dizaines de millions de dollars dans Sarir 2. Les risques de corruption étaient évidents et l’intimé a fermé les yeux malgré la présence de drapeaux rouges. L’intimé n’a pas été normalement prudent et diligent.
- Il a fallu attendre le départ de l’intimé pour que des mesures soient prises pour mettre en place des mesures de vérification en lien avec le paiement de commissions à des agents commerciaux.
- Quant à l’utilisation du marché noir, le plaignant se réfère au témoignage de M. Bebawi et à la preuve documentaire démontrant que le CFO, lequel assiste aux réunions mensuelles du Bureau des présidents, savait que la question était un sujet sensible[165].
- Selon le plaignant, l’intimé ne nie pas le recours au marché noir et le considère comme un « chaînon financier ». Il n’est pas intervenu pour faire cesser cette pratique au début du projet. Ce n’est que plus tard que M. Laramée est intervenu. Le plaignant considère avoir démontré que l’intimé a toléré ce procédé malhonnête ou douteux, car il ne pouvait ignorer que SNC-Lavalin a eu recours au marché noir pour échanger des devises en argent.
- Le plaignant relève que l’intimé conclut à un bilan impeccable pendant qu’il était en poste, nonobstant le fait que plusieurs de ses vice-présidents exécutifs ont fait l’objet d’accusations criminelles et ont même été condamnés ainsi que les décisions du conseil de discipline de l’Ordre ayant conclu à la culpabilité de six ingénieurs de la société puis sans compter de la centaine d’ingénieurs qui ont contracté des arrangements avec l’Ordre pour avoir effectué des contributions politiques.
Arguments de l’intimé (chefs 7 à 9)
- Le recours aux agents était une pratique courante, y compris en Libye. Mme Bérubé a indiqué que le fait de payer une commission élevée à un agent était un phénomène constaté ailleurs dans le monde. Il était fréquent que les limites prévues aux « guidelines » soient dépassées en Libye selon ce témoin. Le fait de payer une commission de 6.4% n’est pas de nature à constituer un indice « tangible » au sens de la jurisprudence. L’intimé n’a pas omis de prendre connaissance délibérément de certains éléments constitutifs des infractions reprochées. Il n’a pas fait défaut d’obtenir une confirmation d’un fait soupçonné.
- L’intimé se fiait à ses cadres supérieurs responsables et hautement qualifiés pour veiller au respect de la légalité des activités de SNC-Lavalin, le tout, en conformité avec les règles et procédures prévues.
- D’ailleurs, il n’a pas souvenir d’aucun agent commercial.
- Le contexte prévalant alors en Libye imposait des contraintes particulières et justifiait le paiement de commissions plus élevées.
- Dans le cas de la commission payée à l’agent dans le dossier Tazerbo, la créance de SNC-Lavalin semblait irrécupérable et il a été convaincu par M. Novak, M. Ben Aïssa et M. Bebawi de la nécessité de payer à l’agent Duvel Securities 50 % de la valeur du règlement payable. À la suite du règlement, l’équivalent de 50 % de 36 M$ CA a été versé à Duvel[166].
- Le rapport de la juricomptable, Mme Déry, démontre que les commissions payées à Duvel sont, par la suite, réparties entre M. Bebawi et M. Ben Aïssa sur une base de 50/50[167]. M. Bebawi aurait menti devant le Conseil. Il est impliqué dans la fraude dès le règlement avec Tazerbo[168]. Selon le rapport de la juricomptable, M. Bebawi a détourné plus de 1 M$ CA et Duvel a payé quelque 17 M$ CA à des sociétés dont Saadi Kadhafi est l’ayant droit[169].
- L’intimé n’a pas reçu la moindre somme sur le total des sommes versées à l’agent Duvel et à l’agent Tresca Holding. Dans ce dernier cas, le fait qu’il ait signé un transfert de fonds de deux millions de dollars à cet agent dont M. Ben Aïssa est l’ayant droit ne peut s’expliquer que par l’absence d’un autre mandataire autorisé[170]. Cette explication rejoint les témoignages de M. Beaudry et de Mme Bérubé.
- La version de M. Bebawi quant au lunch avec l’intimé ayant eu lieu avec l’intimé en juin 2012 n’est pas crédible, contrairement à celle de l’intimé.
- Il y a lieu de tenir compte des jugements rendus par les tribunaux selon lesquels M. Bebawi a cherché à camoufler les détournements[171] au moyen d’une fraude sophistiquée[172].
- L’intimé maintient avoir appris en Suisse le stratagème de M. Bebawi et de M. Ben Aïssa[173]. Il n’a jamais fait l’objet de poursuite de la part des autorités suisses et n’a pas conclu d’ententes secrètes avec celles-ci[174].
- Quant au chef 9 (le marché noir), l’intimé invoque que la pratique de change n’est pas un procédé malhonnête ou douteux, et que le droit étranger aurait dû être mis en preuve.
- Il concède néanmoins que tant M. Laramée que M. Bebawi font référence au marché noir. Il est toutefois d’avis que le témoignage de ce dernier n’est pas crédible.
- Il mentionne n’avoir eu connaissance de l’utilisation du « marché privé » qu’à la suite d’une intervention de M. Laramée après que le problème a été soulevé par les vérificateurs internes.
- Enfin, il invoque ne pas avoir de souvenirs précis du recours à ce marché avant que le problème ne soit soulevé au Conseil d’administration.
Décision du Conseil - Chef 7
- Le Conseil se réfère à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions, déjà identifiés lors de l’analyse du chef 1. Les reproches sont également fondés sur l’article suivant :
Code de déontologie des ingénieurs
3.02.08. L’ingénieur ne doit pas recourir, ni se prêter à des procédés malhonnêtes ou douteux, ni tolérer de tels procédés dans l’exercice de ses activités professionnelles.
- Selon la preuve, notamment le témoignage de Mme Bérubé, les employés de SNC-Lavalin pouvaient avoir besoin de recruter des agents commerciaux, ces derniers possédant des connaissances dans un secteur d’activités particulier ou sur un territoire donné.
- L’embauche d’agents commerciaux évite à SNC-Lavalin de mettre en place une structure permanente (embauche de personnel, location de bureaux, etc.) à chaque endroit dans le monde où cette société fait des affaires. Ces agents commerciaux pouvaient aussi être imposés par certains pays. Leurs services pouvaient aussi être retenus pour faciliter des règlements en cas de mésentente quant aux paiements.
- Quant à la façon de rémunérer les agents commerciaux, des lignes de conduite[175] (guidelines) sont alors prévues, mais, à l’époque du litige, celles-ci ne constituent pas des limites. Il s’agissait d’une politique (policy) de SNC-Lavalin approuvée par l’intimé. Il y a lieu de souligner que l’article 1.4 de ces lignes de conduite référait à la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers[176] laquelle interdisait d’offrir ou de donner à un tel agent une récompense ou un avantage en contrepartie d’un acte dans le cadre des fonctions officielles de cet agent ou pour le convaincre d’utiliser sa position pour influencer des actes ou des décisions d’un État étranger. L’intimé reconnaît avoir approuvé, en février 2008, la politique concernant les agents commerciaux[177].
- La preuve permet également de retenir que le lignes de conduite prévoyaient une rémunération maximale habituellement payé au prorata des encaissements reçus du client. Mme Bérubé trace une analogie avec un courtier immobilier lequel reçoit, à la suite d’une convention, un pourcentage du prix de vente. Elle fait état d’autres manières de rémunérer un agent commercial. Toutefois, autour de 2011, elle constate que pratiquement toutes les conventions conclues avec des agents étrangers dans le cas de la Libye excédaient ce qui était prévu à la politique et aux lignes de conduite.
- Dans la cas de la Libye, M. Ben Aïssa, travaillait alors pour Socodec, une division relevant de M. Bebawi, président exécutif. Il revenait à M. Ben Aïssa de négocier avec l’agent les termes de la convention.
- Or, les lignes de conduite transmises au personnel de SNC-Lavalin[178] prévoient un pourcentage maximum payable et la procédure devant être suivie en cas de « divergence » :
Services Maximum 5% of Maximum of 0.5%
Contractual Revenues of Contractual
but not greater than Revenues
25% of Gross Margin
Any divergence from the preceding parameters will have to be referred to the:
- President of SNC-Lavalin International
- Responsible Member of the Office of the President
- CEO of the Corporation
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- Ainsi, le pourcentage à être versé à un agent commercial pouvait dépasser les maximums prévus, cela était possible. Toutefois, une autorisation devait alors être donnée par trois personnes, dont l’intimé lui-même.
- Le Conseil rejette le moyen de défense de l’intimé reposant sur sa référence au modèle de « distributed leadership » axé sur la confiance qu’il pouvait avoir en ses subalternes. Dans le cas du dépassement du pourcentage payable à un agent, il apparaît clairement qu’il revient à l’intimé personnellement d’autoriser ou non un dépassement.
- Or, dans le cas de la Libye, l’intimé a fermé les yeux malgré une série de drapeaux rouges, le tout ayant conduit à verser des millions de dollars à un agent commercial fictif, Duvel, derrière lequel se cachait notamment Saadi Kadhafi, un des fils du dictateur libyen.
- Dans le cas de Sarir 2, le contrat est d’une valeur de près d’un milliard de dollars. L’agent est payé en fonction d’une convention laquelle prévoit notamment une rémunération basée sur la valeur du contrat. Ainsi, le seul fait de faire passer le pourcentage approuvé par le BIAC de 6,4 %, lequel est considéré par plusieurs témoins comme très élevé, à 7,5 % représente des millions de dollars.
- Lorsque le dossier a été préalablement analysé par le BIAC, l’intimé avait pourtant obtenu toutes les données financières. De plus, les échéanciers de paiements proposés par M. Ben Aïssa sont inhabituels.
- Lorsque M. Beaudry reçoit un appel téléphonique de M. Ben Aïssa pour l’informer que la commission déjà approuvée passe de 6,4 % à 7,5 %, il considère que cela présente un risque important, d’autant plus que le rythme de paiement à l’agent ne correspond pas à celui de l’avancement du projet Sarir 2.
- C’est la seule fois où M. Beaudry se déplace au bureau de l’intimé, et il le fait pour lui présenter la situation qui pose problème. Le pourcentage de commission est de 1,1 % plus élevé que celui approuvé initialement au BIAC[179] et les termes de paiements sont problématiques. Il faut ajouter qu’il était difficile de se faire payer par la Libye à cette époque et que ce pays était sous le coup d’un embargo international. À la suite d’une rencontre dans un petit bureau adjacent à celui de l’intimé, M. Beaudry constate que l’intimé donne son accord[180].
- Mme Bérubé avait beaucoup de questions à l’égard de la convention préparée par M. Ben Aïssa au sujet de Sarir 2. Surtout, elle a été informée que M. Beaudry s’est assuré que l’intimé allait donner son accord à une telle demande. Il était question de verser, en euro, 5 M$ CA immédiatement, 5 M$ CA après encaissement de tous les montants dus, 5 M$ CA après encaissement de toutes les avances restantes; 5 M$ CA à la mi-mars et 4.3 M$ CA à la mi-mai, pour un total de 24,3 M d’euros, soit 50 % de 7,5 % du contrat total de Sarir 2. Ceci correspond à une commission de quelque 80 M$ CA, car ce contrat est d’une valeur de 1 099 882 197 $ CA. Elle déclare avoir proposé plusieurs modifications qui n’ont pas été retenues.
- Dans le cas de l’énorme commission versée antérieurement en règlement du dossier Tazerbo, les « drapeaux rouges » sont moins nombreux . Notamment, il n’y a pas eu l’intervention exceptionnelle de M. Beaudry comme dans le cas de Sarir 2. Il s’agissait de régler une réclamation dans un dossier qui n’avait pas bien été et non pas de hausser un pourcentage de commission dans le cas d’un mégaprojet après que le BIAC a complété l’étude du dossier. Il n’y a pas eu d’échéancier inhabituel de paiements, comme pour Sarir 2. L’intimé déclare avoir accepté de payer une commission s’élevant à 50% de la réclamation, car le client pensait à débuter d’autres projets. Dans un tel cas, le risque de perte de profit était un calcul. Néanmoins, l’intimé, encore une fois, s’est contenté de donner son accord au paiement d’un montant extraordinaire en se fiant à ses subalternes alors que son autorisation était requise. Le Conseil considère qu’il a commis une erreur. Mais dans l’ensemble, l’intimé était confronté à moins d’éléments douteux et tangibles. Toutefois, ce versement de commission très inhabituel lié à Tazerbo est considéré comme un drapeau rouge additionnel pour l’intimé lorsque, par la suite, il est confronté à autoriser la hausse de commission à 7,5 % dans Sarir 2.
- Le Conseil précise que la preuve ne permet aucunement de retenir que l’intimé a reçu un avantage de Duvel ou d’un autre agent et que le témoignage de M. Bebawi n’est pas retenu sous cet aspect d’autant plus que, selon la juricomptable, les sommes détournées via Duvel l’ont été, en bonne partie, en faveur de M. Bebawi[181], ce dont ce dernier a été reconnu coupable pour ces détournements[182].
- Le Conseil conclut que l’intimé, au fait des données financières dans Sarir 2 à la suite d’un BIAC, a fermé les yeux sur cette demande de M. Ben Aïssa pour payer l’agent Duvel. Il appert qu’il a agi ainsi afin de ne pas mettre en péril un énorme contrat impliquant des profits importants. Les règles alors applicables chez SNC-Lavalin prévoyaient que l’intimé devait approuver les changements demandés par M. Ben Aïssa. Considérant le contexte déjà examiné, l’intimé ne peut invoquer qu’il pouvait faire confiance aux autres pour se dégager de règles qu’il avait personnellement approuvées et qui faisaient en sorte qu’il devait agir.
- En peu de mots, l’intimé a fait prévaloir la recherche du profit sur ses obligations déontologiques.
- Dans le contexte particulier du présent dossier, le Conseil juge que le comportement de l’intimé est nettement en dessous du comportement acceptable. Sa conduite revêt une importante gravité. En accordant son autorisation à cette situation inédite, des sommes importantes sont payées à un agent étranger[183] malgré les lois de l’époque, les lignes de conduite et les politiques ayant cours chez SNC-Lavalin. Des éléments tangibles avaient pourtant été portés à la connaissance de l’intimé : les informations qui lui ont été présentées de manière exceptionnelle par M. Beaudry, lequel a pris soin de lui exposer la situation risquée, le contexte en Libye où il est difficile de se faire payer, le nouvel échéancier de paiement proposé par M. Ben Aïssa. Le Conseil ne peut se résoudre à considérer que l’intimé pouvait estimer ne pas faire face à un procédé douteux et malhonnête.
- L’intimé, lors de son argumentation, tente de faire porter le blâme sur son entourage. Il reproche à M. Michael Novak de s’être limité à « un rôle administratif sans accomplir pleinement son rôle de validation et de surveillance [184]». Il déclare avoir été trahi par M. Bebawi et M. Ben Aïssa. Même si ces deux personnes l’ont trahi, même s’il est d’avis que M. Novak n’a pas assumé son rôle, cela ne change au fait que lui-même, selon les règles qu’il avait établies, était justement une des trois personnes devant assumer leur propre rôle de surveillance. Il ne peut s’en dégager en blâmant les autres. Il ne peut s’en tenir à déclarer qu’il pouvait faire confiance à ses subalternes alors que, précisément dans ce cas du versement d’une contribution à un agent étranger, ses fonctions lui imposaient d’assurer personnellement un rôle de surveillance.
- Si SNC-Lavalin a cru nécessaire de faire assumer à l’intimé un tel rôle dans la politique applicable, c’est précisément en raison de l’importance des questions entourant le fléau de corruption d’agents étrangers publics dans un contexte international. Rappelons que le Canada fait partie de la Convention on Combating Bribery of Foreign Public Officials in International Business Transaction[185]. Or, la preuve prépondérante permet de retenir que l’intimé a fermé les yeux dans ce contexte particulier portant sur des conventions pour des projets en Libye.
- Vu ce qui précède, le Conseil juge que l’intimé, en omettant d’agir alors qu’il lui appartenait d’assurer un rôle de surveillance, et ce, malgré les drapeaux rouges mentionnés ci-haut, a toléré un système de corruption ayant servi à verser des millions de dollars à un agent commercial fictif ou ne pouvait en ignorer l’existence.
- Sur le chef 7, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs.
- En autorisant le versement de la commission à l’agent fictif Duvel, l’intimé a cherché à obtenir un avantage relativement à un contrat en Libye. Comme déjà exposé, le versement de cette commission s’est fait à un agent public étranger, contrairement aux lois applicables au Canada.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Pour les motifs déjà exposés, la conduite de l’intimé est grave et nettement en dessous du comportement attendu d’un ingénieur.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- En application de la règle qui interdit les condamnations multiples[186], le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
Décision du Conseil – Chef 8
- À la lumière de la preuve déjà analysée ci-haut, le Conseil en vient à la conclusion que l’intimé a toléré le recours à des procédés malhonnête ou douteux. Il ne pouvait en ignorer l’existence. De plus, il ne pouvait ignorer l’existence d’un système de corruption. Cette conduite est contraire à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Le Conseil arrive aux mêmes conclusions quant aux deux autres dispositions de rattachement énoncées au chef 8.
- Par conséquent, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu aux articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs, de même que l’article 59.2 du Code des professions et prononce la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à ces deux dernières dispositions de rattachement.
- Toutefois, comme il s’agit essentiellement de la même conduite impliquant les mêmes faits et les mêmes acteurs que le chef 7, le Conseil suspend conditionnellement les procédures quant à l’ensemble du chef 8.
Décision du Conseil – Chef 9
- Le Conseil se réfère à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions, déjà identifiés ci-haut.
- Comme déjà mentionné, Conseil retient le témoignage de M. Bebawi quant au fait que SNC-Lavalin a eu recours au marché parallèle considérant que son témoignage est corroboré par une preuve contemporaine, soit un courriel du 13 septembre 2002 de M. Ben Aïssa à M. Gilles Laramée, le Chief Financial Officer. Ce courriel avertit un vérificateur, M. Lafortune, lequel devait se rendre à Benghazi « not to talk about the Libyan Dinars », car :
you know how much this subject is sensitive and should’nt be discussed by so many people specially in Benghazi.[187].
- Comme le montre le courriel ci-haut, SNC-Lavalin a eu recours à un marché parallèle à celui légalement reconnu en Libye.
- L’intimé reconnaît l’utilisation d’un « marché privé » en le qualifiant de « chaînon financier », et ce, afin d’obtenir des dinars libyens.
- Par la suite, il précise que M. Gilles Laramée aurait trouvé « une solution » en lien avec cette situation qui devait être corrigée selon le témoignage de l’intimé. Même si, malgré ce qui précède, l’intimé invoque n’avoir que de vagues souvenirs, il savait que SNC-Lavalin a eu recours au marché parallèle.
- Le Conseil considère que la preuve prépondérante permet de retenir l’utilisation d’un tel système parallèle, et ce, pendant la période visée par le chef 9. Toutefois, la preuve ne permet pas d’établir qu’un tel système doit être assimilé à un « marché noir. »
- Il n’y a pas preuve autre que le témoignage de M. Bebawi. Dans ce dernier cas, il n’est pas possible déterminer si le recours au marché privé doit être assimilé à un procédé illégal.
- Le Conseil peut comprendre que les autorités libyennes n’appréciaient pas l’utilisation d’un marché privé. Toutefois, la preuve n’est pas faite que ce marché privé était malhonnête ou douteux. Quant à la « solution » trouvée par M. Laramée, la preuve ne permet pas de conclure qu’il a corrigé un procédé malhonnête ou douteux.
- Par conséquent, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.08 et du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
CHEF 6 Avoir acheté ou ne pouvant ignorer l’achat d’un yacht afin d’obtenir un contrat
La preuve du plaignant
- La rencontre avec l’intimé
- Lors de la rencontre du 23 mars 2023[188] entre d’une part le plaignant et M. Vandal et, d’autre part, l’intimé, ce dernier déclare n’avoir aucun souvenir d’avoir accepté que SNC-Lavalin assume un montant pour l’achat un yacht.
- Le plaignant et l’enquêteur Vandal mentionnent alors à l’intimé qu’il serait en copie conforme d’un courriel provenant de la preuve de la GRC où il serait mentionné « comment on va payer ce bateau-là? ». Dans l’échange qui suit, l’intimé nie avoir autorisé l’achat d’un yacht par le biais d’une commission à être versée :
Page 53, lignes 4-30 :
M. VANDAL :
Si je vous dis que dans la preuve de la GRC, il y a des courriels dont vous êtes en copie conforme, avec monsieur Laramée, monsieur Beaudry et qu’il y avait eu des discussions autour de « comment on va payer ce bateau-là ? » Parce que la commission était de 6,4 pour cent, c’est bien ça?
M. MILLETTE : Elle est passée à 7,5.
M. LAMARRE :Ah, ah…
M. VANDAL : Elle est passée à 7 point quelque pour…
M. LAMARRE :
Ouais, faudrait aller voir ces directions, mais franchement, là, j’ai aucun souvenir de ça puis jamais j’aurais accepté de payer un bateau.
M. VANDAL : Bien, si c’est dans les courriels, donc ça se peut que ça soit vrai que…
M. LAMARRE : C’est, ça se peut presque pas. Moi, je voudrais voir les, les voir. Moi, je trouve ça, im… im…impensable.
M. VANDAL : Bon, je comprends ce que vous dites, mais dans ce qu’on voit dans les courriels…
M. LAMARRE : Bien vous me le montrerez… vous me les montrerez…
M. VANDAL : … vous semblez, vous semblez…
M. LAMARRE :
Page 54, lignes 1-29
… les courriels, montrez-moi ça parce que ça, pour moi, c’est, jamais, jamais, jamais, ce bateau-là…
M. VANDAL : En temps et lieu, s’il y a lieu, ces courriels-là vous seront montrés.
M. LAMARRE : Vous pouvez me les montrer, mais pour moi, là…
M. VANDAL : Où est-ce que monsieur Laramée aurait discuté avec vous…
M. LAMARRE : Non.
M. VANDAL : … pour le partage de…
LAMARRE : Mais moi, jamais, jamais, là, que ça m’est, que c’est venu à mon… en tout cas; pour moi, j’ai aucun souvenir puis d’après, bien, mon attitude puis ma performance, puis ce que je suis, j’aurais jamais autorisé ça.
M. VANDAL : D’accord.
M. MILLETTE :
Mais euh, par contre, euh, comme mon collègue disait, Mario, euh, on parle d’une commission pour financer ce bateau-là parce que le projet Sarir 2…
M. LAMARRE :
Euh, attends, attends un peu, attends un peu. Là, si vous parlez d’un contrat d’agent, c’est quelque chose; c’est pas une commission si c’est un agent, puis, puis moi, pour moi, là, j’ai appris des choses là-bas que je savais pas, mais moi, pour moi, là, j’aimerais ça, là. C’est différent, mais moi, jamais j’aurais autorisé que SNC-Lavalin paye un bateau. Jamais.
M. MILLETTE :
Pag 55, lignes 1 à 24
[…]
Mais juste pour terminer le point, c’est que par rapport à l’agent, c’est justement, c’est que ce bateau-là, c’est suite à l’octroi du contrat. On parle d’une commissions, vous êtes, vous êtes dans les courriels et je vais vous aider à vous renouveler la mémoire parce qu’on parle de…
M. LAMARRE : Ah bien, aidez-moi parce que… j’ai le souvenir… (rires)!
M. MILLETTE :
Bien c’est ce que je fais, monsieur Lamarre, justement! Justement, j’en comprends que ça fait un bout de temps, mais je vais vous aider. Euh, on parle d’une commission qui passe de 6,5, 6,3 à 7,5 pour cent. Alors pour autoriser le financement d’un agent, euh, c’est certain qu’on comprend que votre garde rapprochée est là, mais on parle quand même d’un montant de 25 millions pour financer ce bateau-là. Comment, comment se fait-il que nous, on soit au courant…?
M. LAMARRE : Mais moi, je suis pas au courant.
M. MILLETTE : On parle, on parle quand même de 25 millions, un écart de 25 millions.
M. LAMARRE : Oui. Moi, je veux dire, je suis pas au courant du bateau d’aucune façon.
M. MILLETTE : Alors comment vous avez appris dans ce cas-là que le bateau avait été acheté?
M. LAMARRE : Dans les journaux. Dans les journaux. Dans les journaux.
- Selon le plaignant, il est question de ce bateau en raison de la mention de la commission de 7,5 % et que cette commission visait à financer l’achat du bateau à 25 M$.
- La rencontre avec M. Paul Beaudry
- Le 29 novembre 2022, le plaignant et l’enquêteur Mario Vandal rencontrent Paul Beaudry[189]. À l’époque des faits, Sami Bebawi est le supérieur hiérarchique de ce dernier. L’extrait suivant fait état d’échanges entre M. Mario Vandal (MV) et M. Paul Beaudry (PB). M. Beaudry explique avoir rencontré l’intimé pour obtenir l’autorisation de verser une commission plus importante. M. Beaudry est questionné sur le lien entre cette hausse de commission et l’achat d’un yacht :
-26- lignes 6 à 25
(MV) : Je vais faire un résumé de quelques petites lignes, vous pourrez commenter par la suite. Ça fait suite à ce que vous avez parlé tantôt, là, le sept point cinq pour cent (7.5%). Concernant le sept point cinq pour cent (7.5%) à payer à un agent, Dinova, projet Sarir, pipeline 2, vous et Bebawi, vous trouviez ce montant-là astronomique. Monsieur Bebawi n’a pas voulu l’autoriser, il a demandé à Ben Aïssa de s’organiser avec Jacques Lamarre. On dépasse à six point quatre (6.4) et l’augmentation aurait servi à payer un bateau à Saadi Kadhafi. Il y avait deux choses étonnantes dans le contrat: sept point cinq pour cent (7.5%), le montant était énorme, puis les termes étaient exceptionnels aussi. Un gros comme... un gros montant comme ça, c’est Jacques Lamarre qui doit.
-27- lignes 1 à 4
l’autoriser. Fait que ça... est-ce que ça résume pas mal ce que vous dit à cette époque-là?
(PB) : Oui. Oui.
[…]
-27- lignes 17 à 24
(MV) : On va sauter d’une année, le dix (10) décembre deux mille treize (2013), votre deuxième déclaration. Vous avez indiqué, là, que vous avez rencontré Jacques Lamarre pour discuter du financement du bateau.
(PB) : Non, non non non, j’ai jamais dit ça. Jamais, pas vrai ça.
-28- lignes 1 à 25
j’ai jamais rencontré Jacques Lamarre pour discuter du financement du bateau parce qu’on savait pas qu’il y avait un bateau.
(MV) : Jocelyn, t’as-tu...
(PB) : J’ai jamais dit ça...
(MV) : ... P-30...
(PB) : ... je sais pas où vous prenez ça.
(MV) : ... P-30C, s’il te plaît?
(PB) : Sortez-moi ça, parce que j’ai jamais dit ça.
(MV) : Oui.
(JM) : Ça sera pas bien long.
(MV) : Partage-la pas tout de suite, m’a te... m’a te sortir quelle ligne, là, je pense pas que j’ai la ligne là-dedans.
(JM) : Oui, parce qu’ils ont pas les lignes non plus là-dedans.
(PB) : Ben, relisez-moi qu’est-ce qui est écrit dans le papier, là. Déjà, on va voir.
(MV) : Ça sera pas long. Il y a tellement de pages comme vous dites, là.
(PB) : Ben, la deuxième rencontre, je pense il y a cent soixante (160) pages.
(MV) : Oui, c’est ça, mais je vais aller à la […]
-30- lignes 21 à 25
(MV) : Je pourrais sortir la déclaration, mais ça, c’est les extraits de la déclaration, donc les questions, Paul Beaudry, réponse. CA, ça, c’était le policier, je me souviens pas de ses initiales.
-35- lignes 22 à 25
(PB) : Ce qui est arrivé, c’est que j’ai eu une demande de... de Riadh et qu’il me disait qu’il avait augmenté le... le budget du...de la commission pour l’agent de six point.
-36- lignes 1 à 25
à sept point cinq (7.5).
(MV) : Oui.
(PB) : Donc, ça revenait à peu près à dix millions de dollars (10 000 000 $) de plus, parce que c’était un projet d’à peu près un milliard (1 000 000 000), donc les... j’avais dû aller voir Sami. D’abord, un, il y avait ça, plus il y avait des conditions qui étaient complètement absurdes.
(MV) : Um-hum.
(PB) : Encore là, moi, je suis pas impliqué, pas avec un bateau ou pas, moi, j’en sais rien. Lui, il me dit: «Voilà comment on va le payer.» Il m’explique ça au téléphone, moi, je note tout ça sur un papier et puis après ça, j’ai été montrer ça à Sami. Sami a dit: «Non non non, va voir Jacques», ce que j’ai fait et puis pourquoi je m’en souviens si bien? Parce que c’était la seule et unique fois je suis rentré dans son bureau, ce que j’avais dit à l’époque, c’est vrai, c’est la seule et unique fois je suis rentré dans son bureau et puis je lui ai expliqué ça et il m’a demandé
-p. 37- lignes 1 à 25
et j’ai (inaudible) deux (2), trois (3) affaires et puis je suis parti, puis il a dit: «Je m’en occupe» et puis ça s’est arrêté là et puis quelque temps plus tard, le contrat a été... le contrat d’agent a été signé. Donc, je suppose qu’il en a parlé avec Sami, mais c’était pas avec moi que...qu’il a... qu’il en a discuté. Moi, j’ai... j’ai rien... moi... il va pas négocier avec moi, ça, c’est sûr.
(MV) : Oui. Ben, c’est pas le terme que j’ai utilisé.
(PB) : Non.
(MV) : J’ai pas dit «négocier», j’ai parlé de «discuter».
(JM) : Discuter. Alors ça, c’était...
(PB) : Non, mais il a discuté avec moi. Moi, je lui ai présenté la demande de... de Riadh Ben Aïssa...
(MV) : Oui.
(PB) : ... et puis... et puis il m’a posé quelques petites questions autour de ça, là, sans plus. Je me souviens plus exactement des questions particulières,
-p. 38- lignes 1 à 25
le... le fait que c’était dix millions de dollars (10 000 000 $) de plus, mais le sept point cinq (7.5) ou six point quatre (6.4), ce qui était... c’est quand même important et... et... je lui ai...Et puis après ça, il a dit qu’il allait en discuter avec Sami et puis après quelque temps plus tard, ça a été signé, là. Donc, je... j’ai reçu la lettre... j’ai reçu l’avis que ça a été accepté par l’international. Donc, ça s’arrête là.
(JM) : Mais c’est... Le terme que... qui a été utilisé, monsieur Beaudry, on comprend très, très bien, là, c’était tout simplement, nous, c’est un résumé pour...pour mon... pour résumer l’extrait que Mario vient tout simplement de montrer, là, par rapport à la pièce 30C. Tout simplement, c’est qu’on indique: «Monsieur Beaudry rencontre Jacques Lamarre pour discuter du financement du bateau.» Pas pour négocier, là, c’était tout simplement...
-p. 39- lignes 1 à 25
(PB) : Je répète.
(JM) : ... un résumé de l’ensemble...
(PB) : Je répète.
(JM) : ... de (inaudible).
(PB) : Je répète, il faut pas que vous parliez de bateau, parce qu’on n’a jamais parlé de bateau. Vous me parlez de bateau, là, c’est ça... c’est là qui est le problème parce qu’on parlait pas de bateau. On parlait de termes de paiement, puis on disait pas que c’était pour un bateau.
(MV) : OK. Je vais vous poser un autre... je vais sortir un autre extrait que vous avez affirmé à cette époque-là. «Tout le monde sur l’étage parlait du bateau.»
(PB) : Ben oui, mais le problème du bateau...Oui, mais pas... pas au début et puis je peux pas vous dire quand exactement que l’histoire du bateau est sortie, mais le... la question... ce qui est arrivé au départ, c’est que moi, j’étais au téléphone avec Riadh Ben Aïssa. Riadh Ben Aïssa, il me dit pas que: «Je veux acheter un bateau.»
-40- lignes 1 à 25
(MV) : Non.
(PB) : Il me dit... Puis quand je suis allé voir Sami, euh, Jacques Bellmarre (sic), j’ai pas dit: «Il veut tant d’argent pour acheter un bateau. Il veut... il veut être payé de telle façon.» C’est comme ça que ça s’est passé. «Il veut être payé de telle façon pour, euh... et puis tel montant et de telle façon» et comme ce n’est(?)... Parce que c’est pas comme ça que ça fonctionnait d’habitude.
(MV) : Um-hum.
(PB) : Ça fonctionnait... Lui, il me dit que c’est le client qui insiste là-dessus, et cetera, l’agent qui insiste là-dessus.
Encore là, le problème, le problème avec toutes ces affaires-là, c’est comme moi, comme moi et comme beaucoup d’autres, on a zéro rencontre avec ces agents. Il peut me dire n’importe quoi.
(MV) : Oui.
(PB) : Il pourrait me dire qu’il veut ça, mais dans les faits, il va tout mettre ça dans ses poches, j’en sais rien...
(MV) : Oui.
-p. 42- lignes 1 à 25
[…]
(PB) : Non, mais dans la déclaration, j’ai jamais dit que j’étais... parlé de bateau à Jacques Lamarre, c’est pas vrai ça, j’ai pas dit ça. J’ai dit que je lui ai présenté le... les termes, j’ai pas dit que j’ai parlé de bateau. Montrez-moi où est-ce que j’ai écrit ça, parce que j’ai pas dit ça.
(MV) : Dans votre déclaration, vous avez dit que les gens en parlaient sur l’étage...
(PB) : Oui, mais attendez, que les gens en
parlent dans... dans l’étage, c’est une chose. Ça veut pas dire que j’ai été voir Jacques Lamarre, lui dire: «Écoute, j’ai besoin de vingt-cinq millions (25 000 000)
-p-43- lignes 1 à 25
pour acheter un bateau.»
(MV) : Mais c’est pas ça que j’ai... c’est pas ça que je veux prétendre.
(PB) : Mais si... Parce que vous venez de me dire que je suis allé là-bas le rencontrer pour lui parler des termes de paiement du bateau.
(MV) : Des termes de paiement, des termes...
(PB) : OK.
(MV) : ... de paiement par rapport au six point quatre (6.4), puis au sept point cinq(7.5).
(PB) : Très bien, mais c’est... ça, c’est vrai.
(MV) : Vous avez aussi affirmé qu’un bateau a été acheté, visiblement. C’est documenté.
(PB) : Ben oui, mais encore là, le... Puis même la photo du bateau, je l’ai su comme des années plus tard, j’avais... j’ai... j’ai vu ça dans le journal...
(MV) : Oui.
(PB) : ... OK.
(MV) : Oui.
(PB) : Ce qui est difficile avec... pour être franc avec vous, ce qui est très difficile avec toute cette histoire de procès,
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- Les rapports d’expertise juricomptable préparés par Mme Sophie Déry
- Les rapports d’expertise juricomptable de Mme Déry sont produits[190].
- Dans le cadre de plusieurs projets de la SNC-Lavalin en Libye, une somme de 118 571 937 $ CA est versée à un agent dénommé « Duvel Securities Inc. » (Duvel) entre le 27 septembre 2001 et le 21 décembre 2010[191] :
En résumé, SNC a quasi-exclusivement (99.4%) alimenté DUVEL et DINOVA et tout cet argent a été utilisé pour payer les bénéficiaires principaux suivants: Riadh Ben Aïssa avec 37% et Dorion Business, jumelé aux montants déboursés pour Palmer Johnson Yatch, avec 36%. Les BEBAWI, ont quant à eux, reçu 21% de ces sommes.
[Transcription textuelle; références omises]
- Le 4 juillet 2007, une tranche d’un peu plus de 5 M$ est payée à partir du compte bancaire de Duvel pour l’achat d’un yacht Palmer & Johnson[192]. Le 18 juillet 2007, un autre paiement de 7,5 M$ est effectué. Mention est faite du nom de M. Ben Aïssa.
- Dans une lettre du 3 septembre 2014, la juricomptable explique que Duvel a versé plus de 30 M$ à M. Ben Aïssa, à Horntown Management Ltd. et à Palmer & Johnson International : « Selon votre enquête, les sommes versées à Horntown Management Ltd (20 862 462 $ CA) et Palmer Johnson International Ltd (2 688 489 $ CA) sont en lien direct avec l’achat du yacht.[193] »
- Le 15 octobre 2019, la juricomptable Sophie Déry précise ce qui suit :
De façon sommaire, l’analyse révèle que le 1er versement de 2,5 millions de $ USD a été versé par la société Dorion Business International Ltd à Horntown Management Ltd, sociétés dont l’ayant droit économique serait Saadi GHADAFI. Par la suite, cette somme a été transférée à Palmer Johnson International Ltd avec la mention « PJ246 Yacht 1st Payment ».[194]
- Le 4 octobre 2006, M. Bebawi relate que l’intimé décide que M. Ben Aïssa va le remplacer.
- Lorsque M. Ben Aïssa arrive à Montréal, il lui annonce vouloir acheter un bateau (yacht) pour la somme de 25 M$. M. Bebawi dit avoir proféré un juron et lui a dit d’aller voir l’intimé. Cela était présenté comme un cadeau au fils du dictateur.
- Pour M. Bebawi, il considérait comme absurde cette demande, car une commission de 6.4 % allait être versée.
- Par la suite, M. Bebawi prétend avoir demandé à l’intimé le pourquoi de cet achat. Ben Aïssa devait payer pour la construction du bateau en fonction d’un échéancier de construction. La question a été de savoir comment verser cette somme, car il ne s’agit ni d’une avance ni d’un paiement d’un agent au prorata. Or, SNC-Lavalin est une société publique. Pour inclure ce paiement, la solution serait venue de Gilles Laramée, car il aurait proposé de faire passer la commission de 6,4 à 7,5 %. Malgré l’opposition de M. Bebawi, le contrat a été modifié par l’intimé, M. Novak et M. Laramée, car ce sont eux qui peuvent prendre de telles décisions.
- Dans un courriel du 3 octobre 2006 de M. Beaudry à l’intimé, MM. Bebawi, Gilles Laramée et Ben Aïssa, le nouveau pourcentage établi à 7,5 % est mentionné pour Sarir 2 avec comme résultat une diminution des revenus découlant de ce projet[195]. Un autre courriel du même jour mentionne que la commission de 6,4 % précédemment présentée au REC et au BIAC correspondait à un montant de 43 974 000 euros[196].
- M. Bebawi se réfère à une note de M. Beaudry à Mme Bérubé relativement à l’échéancier de paiement de la somme de 25 M$[197]. Cette note a déjà été commentée par cette dernière. Selon M. Bebawi, l’échéancier des paiements correspond à celui établi pour la construction du bateau.
- M. Bebawi affirme que la décision a été prise par l’intimé.
- M. Bebawi a quitté SNC-Lavalin en 2006. Or, en juin 2012, il relate que l’intimé demande à le rencontrer. Il est rare que l’intimé le rencontre après son départ.
- Cette rencontre a eu lieu au domicile de M. Bebawi et dure de 15 à 20 minutes. L’intimé lui parle de la perquisition de la GRC faite dans les locaux de SNC-Lavalin. M. Bebawi lui répond qu’ils ont acheté un bateau pour Saadi Kadhafi. Ils ont échangé sur le fait que M. Ben Aïssa a été arrêté à Genève. M. Bebawi lui fait part du sérieux de l’affaire et mentionne que les actions de SNC-Lavalin pourraient être vendues. L’intimé est alors parti.
- Il relate qu’à son procès en 2019, M. Paul Beaudry a débuté son témoignage qui devait se continuer sur une seconde journée. Lors de cette seconde journée, il a été question du fait que l’intimé avait communiqué avec M. Beaudry afin de lui proposer de lui remettre sa déclaration auprès des autorités suisses. M. Bebawi relate que, devant le juge, M. Beaudry a fait état de cette discussion. Il déclare que M. Beaudry a fait un lien entre l’achat du yacht et cet échange avec l’intimé.
La preuve de l’intimé
- L’intimé déclare avoir appris par les journaux que de l’argent versé par SNC-Lavalin a été utilisé pour payer un yacht.
- Il réfute l’idée que l’achat de ce bateau ait pu s’inscrire dans le cadre du projet Sarir 2.
- Il reconnaît avoir appelé M. Beaudry alors que celui-ci devait poursuivre son témoignage le lendemain dans le cadre du procès subi par M. Bebawi. Ainsi, après le mois de septembre 2012, il lui a offert de lire la déclaration qu’il a donnée aux autorités suisses à ce sujet. L’intimé déclare qu’il ne savait pas que M. Beaudry allait témoigner.
- Il admet aussi avoir communiqué avec M. Sami Bebawi en 2012 afin de le rencontrer. Une rencontre s’est tenue à la résidence de ce dernier.
- La rencontre aurait duré plus d’une heure, car M. Bebawi lui a fait visiter sa maison.
- La discussion a porté sur Ben Aïssa, car celui-ci avait été arrêté par les autorités suisses. L’intimé affirme qu’il n’a pas été question de Duvel ou d’un yacht.
- Lors de la rencontre au Bureau du syndic, on lui a fait mention qu’il aurait été en copie de documents au sujet du yacht. Il a demandé à voir ces documents et on ne lui a jamais rien montré. Il déplore cette façon de faire du Bureau du syndic.
- Il réitère avoir été mis au courant de la commission versée à l’agent Duvel. Toutefois, il s’est fié à la recommandation de Socodec, soit M. Bebawi et Ben Aïssa, et de SNC-International, soit M. Novak. Il les a crus et a accepté de verser la commission.
- Il confirme que M. Beaudry est venu le voir au sujet de cette commission, car Socodec demandait plus d’argent et des avances de paiements. Il se souvient d’avoir dit à M. Beaudry que le montant était un peu hors de la norme et qu’il allait en discuter avec M. Bebawi. Il affirme qu’il n’a pas été question d’un yacht.
- L’intimé reconnaît avoir été en copie d’un courriel du 2 octobre 2006[198]. Ce courriel de M. Beaudry est également envoyé à M. Bebawi, à Gilles Laramée et à M. Ben Aïssa et porte sur les « frais commerciaux », soit les honoraires versés à un agent. Dans ce courriel, M. Beaudry fait référence à un autre courriel transmis par la même personne aux mêmes destinataires et mentionnant :
Suite à notre rencontre de ce matin, il a été convenu d’avancer le paiement des frais commerciaux pour Sarir Phase 2, jusqu’à concurrence de 50% des montants dus, sur réception des montants recevables par SNC-Lavalin sur les autres projets suivants… Après vérification avec Riadh, le % est de 7.5% pour l’ensemble de Sarir 2.
[Transcription textuelle]
- L’intimé déclare ne conserver aucun souvenir de ce courriel. Il note qu’il n’est pas question d’un yacht.
- L’intimé déclare avoir gardé « peu de souvenirs » d’un courriel transmis par M. Beaudry à M. Bebawi au début du mois d’octobre 2004[199]. Ce courriel a été transmis à Mme Bérubé. Tant M. Beaudry que Mme Bérubé ont expliqué sa teneur lors de leurs témoignages. Ce courriel de M. Beaudry mentionne qu’au sujet des montants versés en commission, ils sont de l’ordre de 24 M$ et prévoit un échéancier de décaissement. M. Beaudry écrit aussi à M. Bebawi : « Jacques voudrait que tu donnes ton accord avant qu’il ne le fasse. » À ce sujet, l’intimé explique avoir voulu s’assurer que rien n’avait été oublié et que cela était conforme à l’entente convenue.
Arguments du plaignant
- Les arguments du plaignant concernant le versement de millions de dollars à un agent fictif appelé Duvel sont développés dans le cadre de l’analyse du chef 7. Outre le fait qu’une partie de l’argent versé à Duvel a servi à financer l’achat d’un yacht, les arguments du plaignant ciblent surtout le fait que l’intimé aurait dû prendre des mesures pour que ces sommes ne soient pas versées.
- Pour le plaignant, une partie de la hausse de la commission versée à Duvel visait justement à financer l’achat du yacht. Il s’agit de la hausse de la commission de 6.4 % à 7.5 %.
Arguments de l’intimé
- L’intimé réitère qu’il n’a pas été question d’un bateau lors de sa discussion avec M. Beaudry. Ce dernier a nié qu’il a été question d’un bateau lors de sa rencontre au Bureau du syndic et il a maintenu cette position lors de son témoignage devant le Conseil.
- L’intimé réitère que dans le courriel du 2 octobre 2006, il n’est pas question d’un bateau.
- Le rapport de la juricomptable permet de constater qu’un des versements dans ce courriel est transféré le 20 octobre 2006 par Duvel à M. Ben Aïssa[200]. Ceci montre que la hausse de la commission a profité à ce dernier et n’était pas destinée à l’achat d’un yacht.
- Il rappelle que Socodec a plaidé coupable en raison des gestes posés par M. Bebawi et M. Ben Aïssa, notamment à l’égard du financement d’un bateau par le biais de la commission versée à Duvel[201].
- Quant à M. Bebawi, il a été condamné pour fraude en lien avec Duvel et pour avoir reçu plusieurs millions de dollars via ce faux agent[202]. Il a tenté de soudoyer M. Ben Aïssa pour qu’il change sa version des faits[203]. Il cherche à nuire à l’intimé en invoquant qu’il aurait eu une entente secrète avec les autorités suisses au sujet de ce dossier. Or, ces dernières nient cette version[204]. Ainsi, sa version des faits, particulièrement lors de sa rencontre avec l’intimé à la suite de l’arrestation de M. Ben Aïssa, ne peut être retenue, car ce témoin n’a aucune crédibilité.
Décision du Conseil - Chef 6 (achat d’un yacht)
- Le chef 6 est fondé sur les mêmes dispositions de rattachement que celle déjà exposées lors de l’analyse du chef 1.
- Le Conseil juge que le plaignant n’a pas satisfait à son fardeau de la preuve à l’égard de ce chef.
- Selon la preuve, tant lors de la rencontre au Bureau du syndic que lors de son témoignage devant le Conseil, M. Beaudry nie avoir discuté d’un bateau ou d’un yacht avec l’intimé. Comme déjà mentionné, le témoignage de M. Beaudry est fiable et crédible.
- Par ailleurs, le témoignage de M. Bebawi n’est pas supporté par la preuve, car les notes et courriels de M. Beaudry et de Mme Bérubé auxquels il se réfère ne soutiennent pas sa proposition que la hausse de la commission de 6,4 à 7,5 % correspondrait à l’achat d’un bateau.
- La version de ces deux derniers témoins, qui sont directement impliqués dans la production de cette preuve, ne va pas en ce sens. Contrairement à ce qu’affirme M. Bebawi, devant le Conseil, M. Beaudry nie avoir discuté d’un yacht avec l’intimé.
- Vu ce qui précède, la version de M. Bebawi selon laquelle il aurait été question d’un bateau lors d’un lunch avec l’intimé en juin 2012 n’apparaît pas suffisamment fiable.
- La hausse de la commission en lien avec Sarir 2, de 6.4 % à 7.5 %, correspond à une nouvelle demande de Mé Ben Aïssa, sans qu’il ne soit fait mention d’un yacht. En outre, cette hausse de taux équivaut à un montant de 10 M$ selon la version donnée par M. Beaudry lors de l’entrevue avec le syndic, alors que, selon le témoignage du M. Bebawi, le coût du bateau serait de l’ordre de 25 M$. Le Conseil y voit une incohérence malgré la conclusion par la juricomptable qui voit un lien entre la cédule de paiement pour le bateau et la hausse de la commission versée à Duvel[205]. Quoi qu’il en soit, même si M. Ben Aïssa a obtenu cette hausse de commission pour faciliter l’achat du yacht, comme déjà mentionné, la preuve ne permet pas de retenir que cela s’est fait à la connaissance de l’intimé.
- Même si le Conseil juge, aux chefs précédents, que l’intimé a manqué à ses devoirs déontologiques en acceptant de verser la hausse de pourcentage de commission à Duvel, cela ne signifie pas qu’il savait à quelles fins cette somme allait être utilisée et par qui.
- Vu ce qui précède, à l’égard du chef 6, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions. Aucun geste de l’intimé contraire à l’honneur ou la dignité de la profession n’a été mis en preuve par le plaignant.
CHEF 10 Avoir commis ou toléré des actes de collusion ou de corruption, notamment toléré ou versé, en vue d’obtenir un contrat des sommes d’argent au parti politique Union Montréal
CHEF 11 Avoir été impliqué ou en ne pouvant ignorer un système de prête-nom pour financer les partis politiques
CHEF 12 Avoir négligé de mettre en place des mesures de surveillance quant aux appels d’offres ou d’éliminer des procédés malhonnête ou douteux
CHEF 13 Avoir négligé de prendre des mesures afin d’empêcher la mise en place d’un système de remboursement à des employés pour des contributions électorales
- La preuve à l’égard de ces chefs étant interreliée, la preuve sera traitée en bloc.
- Dans un premier temps, le plaignant se réfère à des déclarations de l’intimé.
- Dans un second temps, le plaignant fait entendre plusieurs témoins relativement aux contributions politiques.
- Les rencontres avec l’intimé
- En lien avec les chefs 10 et 13, le plaignant se réfère aux déclarations suivantes de l’intimé lors de la rencontre du 23 mars 2023[206] :
Référence : Page 91, lignes 8-30
M. MILLETTE :
On va parler de financement politique. Vous avez entendu parler comme nous dans les médias, euh, qu’il y a eu du financement politique qui a été fait, entre autres SNC Lavalin faisait partie des cinq plus grandes firmes au Québec pour lesquelles il y a eu une contribution d’argent pour pouvoir partager la part du gâteau.
On parle de cinq grandes firmes au Québec, qui est connu, qui est public aujourd’hui. Donc, il y avait un financement d’environ 200 mille dollars par, par euh, firme de génie pour pouvoir justement partager la part des contrats au Québec. Hum...
M. LAMARRE :
Ça, ça m’int...
M. MILLETTE :
Parlez-nous des sommes d’argent versées au parti politique Union Montréal. Peut-être juste nous...
M. LAMARRE :
Mais ça, ça va prendre une plus grande réponse, là, ça.
M. MILLETTE :
Il y a pas de problème, prenez votre temps. On n’est pas pressés.
M. LAMARRE :
Moi, quand je suis arrivé comme CEO, puis j’ai vu qu’est-ce qui se passait à la ville de Laval, j’ai dit : « On arrête de travailler à la ville de Laval. Je veux rien entendre parler de ça. » Puis il y a beaucoup de firmes qui ont continué de travailler à la ville de Laval, des avocats, des relations publiques, des sociétés d’ingénierie. Moi, je veux rien entendre parler de ça, je veux pas de niaiseries comme ça, je veux rien entendre. Puis, puis euh, après ça, je veux dire, avec la ville de Montréal, avoir su qu’est-ce que j’ai appris par la suite dans les journaux, j’aurais fermé l’opération. J’aurais fermé l’opération
Référence : Page 92, lignes 1-29
puis, puis euh, jamais j’aurais enduré qu’on fasse partie d’un club, d’un clan, d’un ci, de ça. Jamais j’aurais accepté ça. C’est-à-dire que pour moi, j’aurais fermé l’opération. Des gars ont peut-être fait des choses, ont peut-être fait des affaires; la seule affaire que j’ai accepté qu’on continue, c’était qu’on demande au, comme par exemple pour euh, euh, qu’ils fassent des, que des jeunes, parce qu’il y avait pas, pour les partis politiques à l’époque, les gouvernements provincial puis municipal, il y avait pas de, il y avait pas, là, de soutien des gouvernements puis on a toléré, là, qu’un, que les gens chez nous fassent des contributions aux partis politiques de leur choix. Puis c’était pas, là, des secrétaires qui ont demandé ça, c’étaient des gens qui avaient beaucoup d’argent puis beaucoup de revenus puis qui étaient en mesure de le faire.
(01;31;29)
Puis juste pour vous donner une échelle, après ça, on pourra aller dans des choses plus précises si vous voulez, mais juste pour donner une échelle; on faisait la même chose avec Centraide. Le bureau de Montréal, quand j’étais là à l’époque, là, on donnait entre 600 et 700 mille piastres, personnels, pas la compagnie, là, personnels. Six cents à 700 mille piastres à Centraide.
M. MILLETTE :
Une bonne cause.
M. LAMARRE :
Parce qu’on trouvait que c’était bon, c’était une bonne cause.
M. MILLETTE :
Une bonne cause.
M. LAMARRE :
Puis j’encourageais ça puis je faisais ça. Puis après ça, de la même manière, on disait: bien, tu sais, il y a des partis politiques. Si tu veux faire du parti politique, fais du parti politique. Euh, après avoir payé votre impôt, avec de l’argent pour payer de l’impôt puis c’est certain, là, que ça, on a, on aurait peut-être pas dû encourager ça, mais on l’a un peu encouragé. Fait que je sais, c’était de l’argent, là, euh, après impôt...
M. MILLETTE :
Hum, hum.
Référence : Page 93, lignes 1-29
M. LAMARRE :
... que les gens, que les gens donnaient, sur lequel l’impôt avait été payé. Vous savez, pour moi, là, c’était ça qui était notre mentalité. Puis moi, à la ville de Montréal, j’avais une certaine confiance en monsieur Tremblay. Vous savez, je l’avais connu un peu antérieurement, puis je pensais que c’était correct. Mais avoir su ce que j’ai appris après ça à la Commission Charbonneau, j’aurais fermé l’opération.
M. MILLETTE :
Avez-vous déjà demandé à monsieur Anctil de, de... avez-vous déjà appelé monsieur Anctil pour lui signifier le fait que monsieur Bebawi était pour aller lui porter une enveloppe?
M. LAMARRE :
Ouais, ça je m’en souviens, je m’en souviens pas. Je m’en souviens pas. Je m’en souviens pas.
M. MILLETTE :
C’était quand même...
M. LAMARRE :
Si monsieur Anctil l’a dit, mais moi en tout cas, là, c’est certainement pas moi qui a demandé à Bebawi de faire ça. C’est, c’est pas moi qui lui aurais demandé ça. Si monsieur Anctil le dit, c’est un gars que je respecte quand même, ça fait que je peux pas dire d’autre chose que ça.
M. MILLETTE :
Parce qu’on parle quand même d’un assez bon montant d’argent en liquidités, là, on parle quand même d’un 150 mille dollars.
M. LAMARRE :
Oui, mais en tout cas, je veux dire, si monsieur Anctil s’est entendu avec monsieur Bebawi, mais ça, là, moi là, ça là... ça, je me souviens pas.
M. MILLETTE :
Mais êtes-vous au courant, monsieur Lam... monsieur Lamarre, que les cinq plus
grandes firmes au Québec, dont SNC-Lavalin faisaient partie pendant que vous étiez CEO, disons-nous la vérité́, là. Vous êtes tenu de dire la vérité́.
Référence : Page 94, lignes 1-6
M. LAMARRE :
Mais on faisait pas, je vous dis la vérité. On faisait pas partie d’aucun club. Aucun club. Je connaissais personne, moi...
M. MILLETTE :
Bien moi, je vous confirme...
M. LAMARRE :
Bien regardez, pour vous donner, je vais vous donner un exemple.
Référence : Page 94, lignes 21 à 29.
M. MILLETTE :
Bien moi, je vous confirme que SNC-Lavalin a donné 200 mille dollars pour participer au partage de contrats au Québec. C’est connu. Comment ne pouvez-vous pas...
M. LAMARRE :
Attends. J’ai rien, j’ai pas nié ça, moi. J’ai pas nié ça. J’ai juste nié que pour moi,
j’étais pas au courant de ça. Avoir su ça, j’aurais fermé le bureau. C’est ça que je vous dis, là. On dit deux choses différentes. Parce que moi, j’aurais fermé. J’ai fermé à Laval. Pourquoi j’ai fermé à Laval? Parce que je voulais rien entendre de ça.
[Transcription textuelle]
- En lien avec le chef 11, le plaignant fait état de l’échange suivant qu’il considère être une admission de la part de l’intimé[207] :
M. LAMARRE :
Puis j’encourageais ça puis je faisais ça. Puis après ça, de la même manière, on disait : bien, tu sais, il y a des partis politiques. Si tu veux faire du parti politique, fais du parti politique. Euh, après avoir payé votre impôt, avec de l’argent pour payer de l’impôt puis c’est certain, là, que ça, on a, on aurait peut-être pas dû encourager ça, mais on l’a un peu encouragé. Fait que je sais, c’était de l’argent, là, euh, après impôt...
[Transcription textuelle]
- M. Pierre Anctil
- Monsieur Anctil débute sa carrière d’ingénieur en 1984. Après un passage dans la sphère politique, vers la fin des années 80, il revient à l’ingénierie en 1996. Au printemps 1997, il débute chez SNC-Lavalin.
- À compter de l’année 2001, il siège au Bureau des présidents et agit comme vice-président directeur Gestion et exploitation d’installations[208].
- M. Anctil explique qu’à titre de vice-président et directeur, il supervise les divisions qui relèvent de lui.
- Par ailleurs, un vérificateur rend compte au vice-président responsable des finances (CFO - Chief Financial Officer) chaque mois. Ce dernier est en lien avec le vérificateur externe. Les données financières de sa vice-présidence sont conciliées mensuellement en présence de l’intimé et de M. Laramée, ceux-ci examinant les données de chaque division.
- À son avis, l’intimé avait une gestion « hands-on » en ce sens que, dans certains cas, il examinait le dossier dans le détail, en particulier lors de soumissions importantes ou pour des raisons stratégiques. Tout ce processus est décrit dans des procédures. L’intimé avait un contrôle assez fort sur la société et M. Anctil explique que ce n’est pas une « business facile. » Un dossier qui ne « tourne pas rond », même si le montant en jeu n’est pas important, pouvait faire l’objet d’une gestion de l’intimé par exception.
- Face au Conseil d’administration de la société, M. Anctil estime que la haute direction faisait preuve de transparence. Dans l’ensemble, il est d’avis que la société était gérée de manière très professionnelle.
- Par ailleurs, il reconnaît l’existence chez SNC d’un comité de régie d’entreprise[209] et d’un comité de vérification[210], mais en a une connaissance limitée. D’ailleurs, il n’y siégeait pas. Il pouvait néanmoins avoir ces communications avec le comité de vérification lors de l’examen de l’état des résultats de ses divisions, et ce, chaque trimestre. À sa connaissance, le CFO (Chief Financial Officer[211]) se rapportait au président et au comité de vérification.
- M. Anctil explique que le CFO et le comité de direction exercent un « dual control ». Quant au comité de vérification, celui-ci relève du Conseil d’administration, mais il ne peut confirmer si c’est le cas pour le vérificateur.
- Il est également au fait de l’existence d’un comité des ressources humaines,[212] notamment parce que ce comité approuve les hausses de salaire. De plus, il a signé une déclaration de conformité concernant le code de déontologie de SNC-Lavalin. Il a souvenir d’avoir complété un formulaire relatif à l’application de ce code de déontologie.
- À l’époque où il travaillait chez SNC-Lavalin, il y avait une réunion annuelle avec le président et le CFO, ce poste étant alors occupé par M. Gilles Laramée.
- Au sein du Bureau des présidents, les relations entre les membres sont alors considérées productives par M. Anctil, bien qu’il s’entendait moins bien avec certains membres, en particulier avec M. Bebawi, vice-président directeur Infrastructure et Construction. Il relate avoir vécu un « conflit de territoire » avec ce dernier relativement à un projet d’investissement en Algérie. Ce conflit a été tranché par l’intimé, qui a décidé que M. Anctil devait continuer à approuver ce projet. Toutefois, lorsque l’intimé lui mentionne de ne pas se rendre en Algérie, cela le pousse à la démission. Il précise que les premières années chez SNC ont été stimulantes, mais considérant les conflits et l’ingénierie au Québec, il a préféré trouver une autre occupation.
- À titre d’illustration quant aux conflits liés aux dossiers d’ingénierie au Québec, il relate avoir refusé un projet de traitement des eaux usées sur la Rive-Sud de Montréal. Le dossier a été néanmoins transféré à Normand Morin ; puis le projet n’a pas fonctionné comme prévu. Or, il a été amené malgré lui à justifier cette décision, car l’intimé lui a indiqué que ce dossier relevait de lui.
- Los de son témoignage, M. Anctil aborde les volets suivants :
- le financement des partis politiques;
- le système de remboursement à des employés de contributions politiques;
- le financement demandé par Bernard Trépanier pour la campagne d’Union Montréal;
- une fausse facture en lien avec un mandat donné à André Morrow;
- la collusion à la Ville de Montréal;
-Le financement des partis politiques et le remboursement de contributions politiques à des employés
- Avant 2004, M. Normand Morin s’occupe du financement des partis politiques. En 2004, il prend sa retraite, mais, par la suite, il occupe un poste à mi-temps. M. Anctil devient alors responsable d’une partie du « portefeuille » de M. Morin, dont l’ingénierie générale au Québec.
- M. Anctil relate qu’en 2004 l’intimé le fait venir à son bureau et lui demande de s’occuper de la contribution politique. Après discussion, l’intimé décide que M. Morin continue à s’occuper du financement des partis politiques, mais il relève de M. Anctil. Ce dernier précise que c’est le cas pour les contributions faites au Québec et non pas en ce qui concerne « le fédéral ».
- Selon M. Anctil, M. Morin est un collaborateur de longue date de l’intimé. Il ajoute que, pour des dossiers particuliers, M. Morin demeure son homme de confiance.
- M. Anctil explique qu’avant 2005, ses relations avec M. Morin étaient bonnes, mais qu’elles se sont détériorées lorsqu’il a récupéré plusieurs tâches.
- En particulier, il relate que M. Morin vient le voir à son bureau et lui remet une liste et des montants à verser pour une contribution politique. M. Anctil n’est pas d’accord. Il procrastine pendant des semaines. Or, les bonis devaient être versés en mars. Il est allé rencontrer l’intimé avec la liste que lui avait remise par M. Morin en lui mentionnant qu’il ne croit pas que cela est permis par la loi.
- L’intimé lui aurait alors répondu : « Ben voyons donc, tout le monde fait ça. » Il est alors convenu que M. Anctil consulte Me Réjean Goulet, le responsable des services juridiques chez SNC-Lavalin.
- Selon M. Anctil, Me Goulet se dit « embêté » et ajoute qu’il n’est pas un expert sur ces questions. Il demande de lui laisser la liste. Par la suite, Me Goulet lui mentionne qu’il serait possible d’invoquer une « zone grise pas grande », mais que ce n’est pas clair que c’est quelque chose qu’on peut faire.
- Puis, M. Anctil rencontre à nouveau l’intimé à ce sujet. Celui-ci a en main un mémo émanant d’un bureau d’avocats de Montréal faisant état de contributions politiques par leurs membres[213]. L’intimé ne lui a pas remis ce mémo, mais il lui aurait dit que « rendu là, si on ne le fait pas, on sera le seul bureau d’ingénieurs qui ne le fera pas. »
- M. Anctil mentionne que le choix était laissé à l’employé de contribuer ou non. Il n’établit pas de lien entre ces contributions et l’attribution de contrats.
- Il relate que les employés ayant effectué des contributions politiques ont été remboursés. Il précise avoir versé une contribution politique, mais insiste sur le fait qu’il ne s’est pas fait rembourser. D’ailleurs, il ne croit pas que son nom soit sur la liste de ces employés.
- Le financement de 200 000$ demandé par Bernard Trépanier
- Monsieur Anctil est également interrogé sur des sommes demandées par Frank Zampino pour la campagne de 2005 du parti politique municipal Union Montréal. Selon M. Anctil, M. Trépanier voulait recevoir 200 000$ de SNC-Lavalin.
- Cette contribution avait pour objectif que SNC-Lavalin ne soit pas exclue des processus d’octroi des contrats d’ingénierie à la Ville de Montréal.
- M. Morin rencontre M. Anctil à ce sujet et lui explique que pour une pareille somme il n’y avait pas assez d’employés chez SNC résidant sur le territoire de la Ville de Montréal pour pouvoir verser une telle contribution. En raison de cette difficulté, M. Morin lui explique qu’un montant en « cash » doit être remis.
- M. Anctil lui aurait alors dit que cela n’a « pas de bons sens » et demande à M. Morin s’il allait se présenter avec une valise. Face à la réponse affirmative de ce dernier, M. Anctil a réagi en lui disant qu’il allait se faire arrêter par la police. Puis, il lui demande ce qu’il dirait à sa fille si cela arrivait. M. Morin a mal réagi et M. Anctil dit regretter ce dernier commentaire.
- Ainsi, M. Anctil fait état d’un montant de 125 000 $ devant être payé à des personnes liées à la Ville de Montréal, et ce, dans un contexte de collusion. Cette somme devait être remise à Bernard Trépanier. Il est aussi question d’un autre montant de 75 000 $ à être versé à la firme d’André Morrow, qui devait fournir des services. Le total de ces deux montants représente la somme de 200 000 $ dont il est question plus haut.
- Conséquemment, en 2005, M. Morin et Yves Cadotte, vice-président Développement des affaires, lui demandent d’effectuer le paiement de 125 000 $.
- M. Morin aurait fait valoir que le siège social de la société est situé à Montréal et lui demande d’en parler à l’intimé.
- Lors d’une rencontre avec l’intimé, M. Anctil fait valoir que les contrats avec la Ville de Montréal représentent seulement de 5 à 7 millions d’honoraires, alors que les revenus de la société sont de quelque sept milliards. Il ajoute que la société est cotée en bourse et qu’un tel geste aussi flagrant ne peut pas être considéré comme étant une zone grise.
- Selon M. Anctil, l’intimé lui rétorque alors qu’on fait cela tout le temps, qu’il s’énervait pour rien et qu’il « fera chaud dans la cuisine » pour quelques semaines. Il aurait ajouté que ce n’était pas son rôle de redresser les torts des politiciens.
- Selon M. Anctil, M. Morin lui a indiqué que, dans le coffre de la société, il n’y a pas la somme de 125 000 $ en liquide. Il lui demande de relayer cette information à l’intimé. Lors de sa rencontre avec l’intimé, ce dernier lui aurait mentionné qu’il n’y a pas de problème et qu’il s’en occupe.
- Toutefois, relativement à ce qui précède, lors d’une rencontre avec le Bureau du syndic le 14 septembre 2017, M. Anctil répond comme suit à l’enquêteur Dubois[214] :
Lignes 1-25
M. GAÉTAN DUBOIS :
C'est un caractère fort?
M. PIERRE ANCTIL :
Ah!, oui. Oui, puis c'est un gars colérique aussi, là. Je sais pas si d'autres vous en ont parlé, là, mais, - et, et, alors, fait que quand on avait ces discussions-là, je me, je mettais en cause puis j'argumentais, mais moi, je, j'essayais de me concentrer sur des arguments de substance, comme lui dire : écoute, ça, ça, ça soulève la question de la provenance puis de la destination des fonds. Right? Mais il a pas répondu à cette question-là. Je veux dire, il n'a pas répondu à cette question-là.
M. GAÉTAN DUBOIS :
Sa réponse a-tu été : je vais m'en occuper?
M. PIERRE ANCTIL :
Non. Il m'a pas dit ça. Il...
M. GAÉTAN DUBOIS :
C'est go.
M. PIERRE ANCTIL :
... il l'a fait. Il l'a fait, il m'a envoyé de l'argent par Sami. Il m'a pas dit ça. Il m'a pas dit : « Ah!, inquiète-toi pas, je t'envoie l'argent ». Il m'a jamais dit ça. Excusez.
M. GAÉTAN DUBOIS :
Mais faut, je m'excuse de pas vous le...
M. PIERRE ANCTIL :
Mais...
M. GAÉTAN DUBOIS :
... mais sauf que vous avez occupé...
M. PIERRE ANCTIL :
Mais, mais ce que je sais c'est qu'il m'appelle.
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- Selon M. Anctil, la réponse de l’intimé était plutôt implicite, sans qu’il ne dise formellement qu’il allait s’en occuper. Mais, dans les faits, l’intimé s’est occupé de la situation afin que l’argent soit envoyé.
- Néanmoins, devant le Conseil, contre-interrogé sur cette question, M. Anctil déclare plutôt que ce qui suit au sujet de l’intimé : « Inexact ! Il m’a dit qu’il s’en occuperait. »
- M. Anctil constate alors qu’il se contredit, et réitère que la réponse de l’intimé était implicite. Ce que M. Anctil voulait dire c’est que l’intimé s’en est occupé « sans prononcer les mots ».
- Selon M. Anctil, par la suite, l’intimé l’appelle pour l’avertir que Sami Bebawi passera le voir dans deux minutes. M. Anctil relate que Sami Bebawi se présente à son bureau avec une valise et y sort une grosse enveloppe en lui disant : « Tiens Pierre, c’est pour Normand. » M. Anctil se souvient avoir enfilé des gants et avoir déposé l’enveloppe dans une armoire.
- Puis, lorsque M. Morin est passé à son bureau, il lui a demandé s’il avait compté l’argent. M. Morin rétorque que ce n’est pas grave, car il allait compter la somme le soir même. M. Morin prend l’enveloppe et quitte son bureau.
- M. Anctil évoque avoir eu la nausée. Il déclare que c’est la seule fois qu’il est impliqué dans une telle situation. Il précise : « ils ne sont jamais retournés me voir. »
- M. Anctil explique que M. Morin lui a rapporté l’enveloppe le lendemain. Or, il reconnaît avoir donné une version différente dans un affidavit remis à la Commission Charbonneau : M. Morin n’aurait pas eu d’implication après lui avoir remis l’enveloppe.
- À titre d’explication, M. Anctil relate que sa préoccupation était alors de souligner qu’il n’a pas donné d’instructions après que l’enveloppe a transité par son bureau. Si l’enveloppe est passée par son bureau, ce n’est pas à son initiative.
- Relativement au sujet du suivi donné à cette enveloppe, M. Anctil reconnaît avoir eu un échange téléphonique avec le plaignant, ce dernier désirant des précisions[215] :
-2-
M. JOCELYN MILLETTE :
Oui, bonjour, Monsieur Anctil. C'est Jocelyn Millette qui parle, syndic adjoint de l'Ordre des ingénieurs. Comment allez-vous?
M. PIERRE ANCTIL :
Ça va bien, vous?
M. JOCELYN MILLETTE :
Oui, ça va très bien. Est-ce que je vous prends dans un bon moment, Monsieur Anctil?
M. PIERRE ANCTIL :
Oui, pas de souci.
M. JOCELYN MILLETTE :
Écoutez, on s'était parlé, il y a un bon bout de temps, là. On s'était rencontrés, le 1er juin 2022, alors, ça fait déjà un petit bout de temps, puis, bon, comme vous le savez, aussi, là, dans le dossier d'enquête concernant monsieur
-3-
Lamarre, bien, on se rapproche de l'audience qui... qui va avoir lieu, mais, en tout cas, qui devrait avoir lieu, là, en juillet, cette année. Donc... et écoutez, nous évidemment, on a rencontré, là, plusieurs témoins, puis il y avait une petite question de clarification, donc, c'est la raison de mon appel. C'est tout simplement pour clarifier un point qu'on n'avait peut-être pas nécessairement élaboré, mais que, sûrement, là, on va vous demander de retourner dans certains souvenirs.
C'est que... je sais pas si on avait -bien, à ce moment-là, lors de notre rencontre,
on avait parlé d'un échange d'enveloppe de125 000 $ qui avait été remise, entre monsieur Bebawi, vous, il y avait aussi Normand Morin puis Yves Cadotte.
Puis il y a un élément qui nous manquait, c'est que, bon, cette remise d'enveloppe là, on a assumé qu'elle a été... ça l'a été fait par l'entremise de monsieur Yves Cadotte, sauf qu'on sait que, vous, vous aviez remis une enveloppe, à monsieur Normand Morin, et Normand
-4-
Morin, ce qu'il nous a confirmé, c'est que, lui, il vous l'aurait remise, le lendemain
matin. Donc, il voulait pas s'occuper de ça, il vous aurait remis cette enveloppe-là; est-ce que ça vous dit quelque chose?
M. PIERRE ANCTIL :
Oui, oui, ça me dit quelque chose que... que c'est sa version des faits, mais... bien, effectivement, ultimement, je veux dire, Normand, lui, il veut juste s'en... s'en re...s'en retirer, mais c'était à son attention, parce que c'est lui qui avait toujours fait cette soumission-là, puis, là, il est venu me voir, il me dit : «Écoute, remets-la donc à Yves Cadotte», t'sais, puis, là...Moi, écoute, ça fait... ça fait...
M. JOCELYN MILLETTE :
Ça fait longtemps.
M. PIERRE ANCTIL :
... presque 25 ans, cette affaire-là, là.
M. JOCELYN MILLETTE :
Exact.
M. PIERRE ANCTIL :
T'sais, pour moi, il est clair, c'est Yves
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Cadotte qui est allé. Moi, je suis sûr que... Puis, moi, je voulais rien savoir de cette enveloppe-là, il était - elle avait passé par mon bureau, j'étais un petit peu fâché de ça.
M. JOCELYN MILLETTE :
Oui.
M. PIERRE ANCTIL :
J'ai donné ça à Normand, et, là, lui, il dit que c'est moi qui "l'a" donnée, ça fait que -puis, "that's it", t'sais, mais il me rend responsable de ça. Ça fait que, en tout cas, indépendamment de ça, est-ce que... euh... je sais pas dans... quelle importance ç'a cette histoire-là...
M. JOCELYN MILLETTE :
Bien, nous...
M. PIERRE ANCTIL :
... par rapport à monsieur Lamarre lui-même?
[…]
-7-
[…]
M. JOCELYN MILLETTE :
... en réalité, pour nous, c'était tout simplement de clarifier la situation, pour
nous, pour que ça soit clair, parce que, dans le fond, si je comprends bien, c'est que monsieur... monsieur Morin vous a bel et bien remis l'enveloppe, le lendemain?
M. PIERRE ANCTIL :
Oui, bien, en fait, je voulais qui la remette à Cadotte, il voulait pas...
M. JOCELYN MILLETTE :
O.K.
M. PIERRE ANCTIL :
... la remettre, lui-même, même à Cadotte. Il est venu... il est venu me voir.
Ça fait que, là, je sais pas si on s'est pas rencontrés, les trois. Je vais dire que, quand je me suis fait
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poser la question, c'était plusieurs années après, puis je me rappelais avoir remis ça à Morin, puis je dois dire, je sais pas... j'ai... j'ai raconté ça, là, moi, la journée,
quand c'est arrivé, dans mon bureau, bien, j'ai eu la nausée, le reste de la journée; un vrai mal de cœur! J'étais... j'étais vraiment...
M. JOCELYN MILLETTE :
J'imagine.
M. PIERRE ANCTIL :
... sans connaissance, ça m'était jamais arrivé une affaire de même, ça m'est jamais arrivé, après, c'est la seule fois dans ma vie qu'une enveloppe a transité par mon bureau. J'étais... j'étais un petit peu sidéré. Puis, là, je réalisais, aussi, qu'ils avaient décidé de m'impliquer dans leur gamique, là, t'sais, qu'ils avaient décidé que j'allais être mis en cause moi-même, ça fait que, t'sais, ils voulaient pas - dans le fond, ils voulaient pas prendre de chance.
M. JOCELYN MILLETTE :
O.K.
Je comprends.
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M. PIERRE ANCTIL :
Puis... parce que, dans des conversations antérieures, j'avais déjà dit à Normand – puis j'ai eu cette discussion... discussion-là avec Jacques Lamarre, aussi - «Bien, Normand, j'ai dit, écoute, ça t'énerve pas de faire une affaire de même?
T'as pas peur de te faire arrêter par la police? J'ai dit, t'sais, j'ai dit, moi, vous me prendrez jamais à me promener avec du "cash" de même dans rue. Je sais pas pourquoi vous faites des affaires de même, je trouve pas ça...»
M. JOCELYN MILLETTE :
Oui.
M. PIERRE ANCTIL :
«... je trouve pas ça nécessaire, je trouve pas ça justifié, je trouve que c'est des... des risques inacceptables, puis je trouve pas que, t'sais, on devrait faire des affaires de même.» J'ai eu la même conversation avec... avec Jacques Lamarre, puis, lui, écoute : «Bien, écoute, Pierre, tout le monde le fait. L'important, c'est qu'on le remette à un
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officier du parti. Il dit, c'est la même chose. Il dit...»
M. JOCELYN MILLETTE :
O.K.
M. PIERRE ANCTIL :
«... que ça soit un chèque.» Moi, j'y avais dit : «Bien, je trouve pas, moi. Quand on... quand on... vous ramassez des chèques, vous les distribuez, je trouve qu'il y a une grosse différence, dans le cas des chèques, c'est qu'on peut retracer l'origine des fonds, puis la destination. Quand vous vous promenez avec du "cash" de même, là, je trouve que ça... ça... ça donne un... une image complètement différente de cette affaire-là.»
M. JOCELYN MILLETTE :
Oui, bien, de toute façon - puis pour nous aussi, Monsieur Anctil, là, mon - l'objectif de mon appel, c'était vraiment pas de... de déterminer qui était coupable là-dedans, c'était tout simplement de comprendre, parce que, finalement, pour nous, c'est... c'est qui
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qui a remis cette enveloppe-là au parti politique? Donc, si je comprends bien...
M. PIERRE ANCTIL :
Ah, bien, c'est sûr que c'est Yves Cadotte.
[…]
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M. PIERRE ANCTIL :
Ah, ça, c'est sûr que, moi, la minute qu'elle me revient, ça va à Yves Cadotte, là.
Moi, j'ai - en aucune circonstance, je serais allé. Ma version originale, j'étais pas mal sûr que c'était Normand qui l'avait redonnée. Il dit qu'il me l'a rapportée; écoute, il a l'air d'y tenir beaucoup, mais... mais, t'sais, là, Yves Cadotte, lui, il pourra confirmer de qui qui l'a reçu.
Bien... en tout cas. Puis, là, je vais dire, ces gars-là - l'autre affaire qu'il faut savoir, c'est que ce système-là existait avant que j'arrive, puis il a continué après que j'arrive, avec les mêmes joueurs.
[…]
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- M. Anctil dit avoir été informé du fait que Yves Cadotte a déclaré que c’est M. Anctil qui a demandé la somme de 125 000$. M. Anctil nie cette version des faits, car c’est Yves Cadotte qui est venu le voir.
- En ce qui concerne ce qui est survenu le lendemain, M. Anctil ajoute avoir eu connaissance d’une déclaration de M. Morin selon laquelle M. Anctil est celui qui a remis l’argent à Cadotte. M. Anctil dit avoir eu connaissance de ces propos de M. Morin et s’être senti piégé[216].
- M. Anctil conclut finalement que M. Morin est revenu le lendemain pour lui rapporter l’enveloppe. Il reconnaît s’être « mêlé » dans sa description des événements, mais assure surtout ne pas avoir donné d’instructions à Yves Cadotte. Il a servi de « conduit », mais ce ne fut pas à son initiative. Selon M. Anctil, Yves Cadotte a pris l’enveloppe, puis il est allé la remettre à Union Montréal.
- Ainsi, même si M. Morin déclare ne pas avoir été impliqué dans un financement de 200 000$ au bénéfice d’Union Montréal, M. Anctil maintient sa version : ce n’est pas lui qui a remis une enveloppe d’argent et il n’a pas donné d’instructions pour la remettre au parti Union Montréal.
- Or, contre-interrogé de manière serrée sur ce dernier sujet, M. Anctil reconnaît avoir remis l’enveloppe d’argent à M. Cadotte. Il ne peut se rappeler s’il a ou non téléphoné à M. Cadotte pour qu’il vienne à son bureau. Il ajoute que les faits sont survenus il y a quelque vingt ans, mais il reconnaît que ce dernier s’est retrouvé à son bureau. Finalement, lorsqu’on lui demande s’il a alors dit à M. Cadotte de remettre l’argent à Union Montréal, M. Anctil répond par l’affirmative.
- Une fausse facture en lien avec un mandat donné à André Morrow
- M. Anctil relate que M. Morin est venu à son bureau pour lui expliquer qu’un mandat de communication devait être donné à la firme d’André Morrow. M. Anctil explique que les services de ce type de firme pouvaient être retenus par SNC et que cela avait un impact dans la communauté. M. Morin lui mentionne qu’il faut encourager cette firme qui travaille également à la campagne électorale d’Union Montréal.
- M. Anctil a connu cette firme à l’occasion de son passage dans le monde politique. En particulier, alors qu’il était chef de cabinet, autour des années 1994-95.
- Selon ce qu’il lui avait été initialement présenté, il considérait acceptable d’octroyer un tel mandat, le croyant légitime. Il s’attendait à ce que des services soient rendus. Il explique que Luc Lainey[217] avait l’autorité pour le contrat. Par la suite, il a apposé ses initiales.
- Or, il déclare avoir réalisé subséquemment que la firme en question n’a fait aucun travail et que le montant versé l’a été pour une fausse facture. Il « voyait bien » que M. Morin soignait ses relations, mais il ne se doutait pas que le but réel était de financer Union Montréal.
- M. Anctil considère ne pas avoir été « impliqué » relativement à ce mandat, car il a vu M. Morrow une seule fois pendant 15 minutes, et précise qu’il ne l’avait pas rencontré depuis plusieurs années. Il est question d’un mandat dont le coût s’élève à 75 000$. Il réalise que le dossier ne lui avait pas été présenté ainsi, car il s’attendait à ce que des services soient rendus. Il ajoute qu’au moment de signer pour octroyer ce contrat, il était dans sa première année en poste et la demande était faite par M. Morin et Yves Cadotte et il leur faisait confiance.
- La collusion à la Ville de Montréal
- M. Anctil relate un autre événement.
- En 2006, M. Yves Cadotte lui explique que la Ville a une « nouvelle approche » pour l’octroi des contrats. M. Cadotte veut alors convenir d’un montant pour participer à ce système. M. Anctil refuse de se joindre à cette collusion. M. Cadotte lui est paru contrarié, car il allait perdre de la crédibilité après de son contact M. Bernard Trépanier. Néanmoins, tant M. Cadotte que l’intimé ont manifesté être d’accord avec la position de M. Anctil. Malgré cela, il apprend par la suite que M. Cadotte a reconnu avoir participé à ce système.
- À ce sujet, M. Anctil ajoute avoir rencontré Bernard Trépanier et lui avoir demandé l’opinion des avocats de la Ville de Montréal pour confirmer que cette « nouvelle approche » est conforme à la loi. M. Anctil a réitéré cette position lors d’une rencontre avec M. Frank Zampino. C’est la dernière fois que M. Anctil a entendu parler de cela alors qu’il travaille à SNC Lavalin.
- M. Anctil fait état du dossier des « compteurs d’eau » à Montréal, en 2007, où un investissement par SNC est requis. Un consortium avait été formé et il s’agissait d’un contrat complexe s’étalant sur une trentaine d’années. Or, à la dernière minute, la Ville procède à des changements massifs sans modifier la date des soumissions. Il réalise que le processus est « arrangé ».
- À la fin de l’année 2007, on lui demande d’appeler Zampino, mais ce dernier ne retourne pas son appel.
- Selon M. Anctil, l’intimé ne semble pas heureux de la situation. Il appelle M. Anctil pour lui expliquer qu’il a un problème, car il n’est pas assez « ami » avec Zampino. M. Anctil dit avoir rétorqué que cela ne changera pas.
- M. Anctil explique qu’il souhaitait quitter SNC, mais, pour se qualifier à l’égard de certains bénéfices, il devait demeurer en poste pendant 10 années, soit jusqu’en mars 2008.
- Lorsqu’il annonce son départ, l’intimé lui a demandé de demeurer en poste à temps partiel à raison de deux jours par mois. Deux mois plus tard, M. Anctil remet son avis de départ.
- Un an plus tard, il communique avec les ressources humaines de SNC qui l’informent que l’intimé ne veut pas autoriser l’octroi des bénéfices. On lui demande d’appeler l’intimé. Ce dernier lui demande de signer une entente de confidentialité et de non-concurrence d’une durée de cinq ans. M. Anctil refuse. L’intimé l’informe qu’il en discutera « avec Duhaime ». Néanmoins, par la suite, le « package » lui est versé.
- Après avoir quitté SNC, M. Anctil reçoit un appel d’enquêteurs en lien avec la Commission Charbonneau. Il a eu une rencontre avec deux enquêteurs à qui il donne sa version des faits.
- M. Anctil apprend que la Commission Charbonneau l’informe de conclusions défavorables à son endroit. Il signe alors deux déclarations et offre de témoigner. Il note que le rapport de la Commission Charbonneau ne fait pas état de ces faits. D’ailleurs, il n’a pas témoigné lors des audiences de cette commission.
- M. Anctil préside maintenant la firme Axium qu’il a fondée en 2009. Cette société lève des capitaux institutionnels. Par la suite, cette dernière a fait l’acquisition des actions de Fiera Capital. Questionné à ce sujet, il affirme que cette société n’a pas acquis de projets d’investissement de SNC, mais il est possible que cette dernière ait eu une implication en ingénierie sans qu’il le sache. Quant à l’autoroute 407 en Ontario, Axium a investi dans ce projet et c’est le seul, à sa connaissance auquel SNC a également participé. SNC avait été impliqué dans la construction dix années auparavant, et le projet était rendu dans une autre phase.
- Il reconnaît avoir fait l’objet d’une enquête par le Bureau du syndic, mais aucune plainte n’a été déposée contre lui. Ce processus était terminé au moment où il est contacté par le Bureau du syndic en lien avec l’intimé.
- Le Conseil juge probant le témoignage de M. Anctil. Il apparaît avoir un bon souvenir des demandes faites par l’intimé en 2004 pour qu’il prenne la responsabilité du financement des partis politiques au niveau provincial et municipal et du fait qu’il a remis en question la façon de procéder chez SNC-Lavalin. Il explique de manière cohérente sa rencontre avec l’intimé au sujet de la demande de contribution additionnelle pour la campagne d’Union Montréal en 2005. Il maintient que l’intimé l’a appelé pour qu’il reste dans son bureau après sa rencontre avec ce dernier à ce sujet au cours de laquelle l’intimé lui a dit qu’il s’occuperait du problème. Sa version selon laquelle, peu après, M. Bebawi est venu lui porter une grosse enveloppe pleine d’argent apparaît très crédible, surtout lorsqu’il explique avoir mis des gants. Il en est de même lorsqu’il relate sa discussion avec M. Morin au moment où ce dernier est venu prendre cette enveloppe.
- M. Anctil reconnaît s’être « mêlé » quant au fait que c’est M. Morin qui lui a rapporté l’enveloppe le lendemain. Il se corrige et reconnaît que c’est plutôt M. Cadotte et qu’il lui a dit d’aller porter cette enveloppe au parti politique. D’ailleurs, à ce sujet, le 16 avril 2024, lors d’une rencontre avec le plaignant, M. Anctil avait déjà indiqué que ça pouvait être à M. Cadotte que l’enveloppe avait finalement été remise[218]. Même si M. Anctil reconnaît s’être trompé dans sa description des faits lors de la remise de l’enveloppe, le Conseil juge que son témoignage reste probant dans l’ensemble.
- Enfin, le témoignage de M. Anctil est probant aux yeux du Conseil lorsqu’il donne sa version des événements quant à la fausse facture à la firme Morrow. Ses explications apparaissent réalistes et logiques. Il en est de même lorsqu’il relate l’affaire des compteurs d’eau à Montréal et ses discussions avec l’intimé et M. Frank Zampino.
-M. Normand Morin
- Au moment de son témoignage, M. Morin est âgé de 82 ans.
- Il devient ingénieur civil en 1964. Par ailleurs, il fait des études à Londres et au Massachusetts Institute of Technology. Par la suite, il est recruté par Bernard Lamarre. Dans le cadre de son travail, il est impliqué dans la solution de problèmes de grands projets d’ingénierie ( notamment, réparation de la fissure au barrage Daniel Johnson, construction du mât du Stade olympique à Montréal, remplacement du tablier du pont Champlain). En 1991, M. Guy St-Pierre, à la suite de la fusion SNC-Lavalin, maintient en poste l’intimé. En 1994, il s’occupe des secteurs industriels en plus du génie général.
- En 1996, l’intimé devient le président de SNC-Lavalin et M. Morin le côtoie à partir de cette date. Il est alors vice-président exécutif pour les secteurs du génie industriel et de l’énergie. En 2004, la question de sa retraite est abordée et M. Anctil est nommé son successeur. M. Morin demeure en poste à titre de conseiller. Il quitte SNC-Lavalin en 2012.
- Questionné au sujet des contrôles financiers exercés par la direction, M. Morin considère qu’il « y avait un peu de mystère là-dessus » puisque quatre vice-présidents Finances se sont succédés sur une courte période.
- Les sujets suivants sont abordés lors du témoignage de M. Morin :
- Le remboursement des contributions politiques;
- La demande faite à SNC-Lavalin de verser 200 000$ à Union Montréal.
- La réfection du pont Jacques-Cartier.
Le remboursement des contributions politiques
- M. Morin connaissait M. Gérald Tremblay alors qu’ils étaient concitoyens d’Outremont et participait aux diners mensuels de la Chambre de commerce. À l’un de ces événements, M. Frank Zampino lui est présenté.
- Quelques mois avant sa retraite, autour de 2004, un solliciteur de fonds s’adresse à l’intimé. À l’époque, le contexte législatif est modifié relativement à la possibilité pour une firme de contribuer directement au financement des partis politiques. Les dirigeants des sociétés d’ingénierie font néanmoins l’objet de demandes de fonds. L’intimé demande à M. Morin de collecter des chèques auprès des employés de la firme. Il est entendu qu’il n’y aurait pas de remboursement. M. Morin dit avoir « fait le tour » pour collecter des chèques qui sont envoyés aux gens du parti.
- Il relate avoir fait ce que l’intimé lui a demandé, sous promesse qu’il ne rembourserait pas les contributeurs. Or, en 2017, M. Morin est poursuivi, car il y a eu des remboursements. Il affirme que l’intimé lui a « conté des histoires » et lui a menti.
- C’est dans ce contexte qu’il a été accusé d’avoir enfreint une réglementation fédérale au sujet du financement des partis politiques. Il s’attendait à ce que SNC-Lavalin prenne fait et cause pour lui. Toutefois, comme ce ne fut pas le cas, au lieu d’assumer les frais d’avocat pour contester cette affaire, il a décidé de payer une amende de 2 000$ et de reconnaître sa culpabilité.
- À ce sujet, selon sa compréhension des documents qui lui ont été divulgués, il serait question de trois ou quatre cas de remboursements de contributions, dont un vice-président qui s’est fait rembourser un voyage en Inde, un autre qui s’est vu rembourser un voyage en Italie, etc. Toutefois, 15 ou 16 autres personnes ont respecté la consigne et n’ont pas demandé de remboursement à SNC-Lavalin. À sa connaissance, l’intimé est celui qui autorise alors les remboursements des dépenses des vice-présidents. Il précise que ce dernier pouvait déléguer sa signature au vice-président des Ressources humaines. À l’époque, c’était Mme Campbell.
- Quant au système de remboursement, M. Morin explique qu’un employé qui versait 3 000 $ recevait un remboursement correspondant, grosso modo, au double de ce montant. Ce dont se souvient le témoin, personne n’aimait ce système et, de toute manière, cela n’avait pas d’impact sur les contrats à obtenir par la firme. Il relate que Pierre Anctil lui avait montré un avis juridique au sujet des remboursements. Selon Morin, la haute direction, dont l’intimé, était au fait de cette façon de faire.
- Quant à savoir à qui revient l’initiative d’avoir mis sur pied ce système, M. Morin croit que cela origine « plus bas que lui » tout en ajoutant qu’il en avait parlé à l’intimé.
- En contre-interrogatoire, il précise que le système de remboursement existait à l’époque de Guy St-Pierre. Cette façon de faire s’est poursuivie sous Bernard Lamarre. Le tout avait été examiné par les avocats de la société. Me Goulet et M. Novak étaient au courant. Une structure était prévue et une dame, madame Lafrance, s’occupait de la collecte. Le donateur devait habiter le territoire de la ville et celui-ci recevait un remboursement du double du montant versé. Lorsque M. Morin est arrivé en poste, il croyait que tout était légal.
- Puis, la loi a été modifiée pour interdire les remboursements.
La demande faite à SNC-Lavalin de verser 200 000$ à Union Montréal
- En 2005, M. Cadotte fait part à M. Morin d’une demande d’Union Montréal, soit le versement d’une somme de 200 000 $. Selon un affidavit produit à la Commission Charbonneau, cette demande est faite par M. Bernard Trépanier.
- M. Morin résume la situation : M. Cadotte prépare une fausse facture de 75 000 $ à Morrow et le reste est remis en liquide. Selon M. Morin, « c’est eux-autres qui ont fait ça, pas moi. » Il ajoute qu’il était alors retraité et ne serait pas « embarqué. »
- Il précise ne pas connaître Morrow. Il n’a pas discuté de cela avec lui ni avec personne d’autre.
- Il explique qu’en 2005, M. Anctil lui a remis un sac dans son bureau. Le lendemain, M. Morin affirme « lui avoir joué le même tour » et il a rapporté le sac à M. Anctil. Il ajoute ne pas avoir donné d’instructions.
- Il déclare n’avoir aucune idée de ce qui est advenu du sac. Il nie avoir remis ce sac à M. Cadotte et qu’à ce sujet, M. Anctil ne dit pas la vérité.
- Il ajoute qu’à son époque, il n’a obtenu aucun contrat en lien avec des contributions politiques. Il n’est pas d’accord avec les conclusions du rapport Charbonneau. S’il a obtenu des contrats, c’est après examen d’un comité d’évaluation qui mesurait les performances. Selon lui, les fonctionnaires ne se laissaient pas mener.
- D’autre part, eu égard aux contrats municipaux, il ne travaillait pas dans les dossiers d’aqueduc ou d’égout, par exemple. Il n’avait ni le bagage ni le langage pour intervenir dans ces domaines. Il n’a pas eu de discussions en lien avec le partage de contrat. En fait, il était en litige avec les représentants de la municipalité.
La réfection du Pont-Jacques Cartier
- M. Morin est également interrogé au sujet des événements liés à la réfection du pont Jacques-Cartier.
- Celui-ci a été déclaré coupable, au terme d’un procès avec jury, du versement d’un pot-de-vin à un fonctionnaire public, M. Fournier, président de la Société des Ponts[219]. Au moment de son témoignage, ce jugement est porté en appel[220]. Par ailleurs, il reconnaît que le plaignant l’a rencontré en mars 2024 après lui a accordé une immunité le 25 mars 2024[221].
- M. Morin expose la genèse de son implication. En 1982, il est impliqué dans la réfection du tablier du pont Champlain, puis il travaille sur d’autres projets à Alger. Il précise ne pas avoir d’implication avec les gens du pont Champlain et ajoute qu’entre 1991 et 1996, ceux-ci étaient plutôt en lien avec la firme CIMA.
- En 1996, il y a une volonté des autorités de remplacer le tablier du Pont-Jacques Cartier. L’année suivante, il participe à la préparation des plans. En 1998, la Société des Ponts choisit la firme Entreprise Bon Conseil (EBC). À la fin des années 90, il est question de faire partie d’un « joint venture » avec SNC-Lavalin et CIMA. M. Morin précise que c’est sa division Ingénierie générale qui est impliquée.
- Il relate qu’auparavant, un ingénieur du gouvernement a été impressionné par les méthodes utilisées en Europe par une autre firme, en particulier Demathieu & Bard, pour le remplacement du tablier du pont. À la demande d’un ingénieur de la Société des Ponts fédéraux, M. Carlin, M. Morin s’est rendu en Europe. Ce dernier, le président de la Société des Ponts fédéraux, Michel Fournier, et un ingénieur de CIMA, font également le voyage.
- La division Ingénierie générale de SNC-Lavalin, de concert avec CIMA, devait préparer des plans pour un appel d’offres. M. Morin explique que les plans ne devaient pas suggérer des méthodes, ni en imposer une indirectement, en vue de l’appel d’offres qui devait rester ouvert. Puis, les entreprises de construction désireuses d’y participer devaient se préqualifier. M. Morin précise que sa division Ingénierie a aussi préparé les documents de préqualification. Les plans ainsi préparés sont publics et peuvent être utilisés par tous les soumissionnaires.
- Or, vers la fin de l’année 1999, l’intimé informe M. Morin que c’est M. Bebawi, via la filiale Socodec, et non pas lui, qui présentera la soumission. M. Morin se dit alors très déçu. Il quitte le projet le 31 décembre 1999. Sa division Construction (Industriel) est ainsi écartée de l’appel d’offres qui a lieu en janvier 2000. Il nie une affirmation de M. Bebawi selon laquelle Socodec a présenté une soumission à sa demande.
- Dans les faits, Socodec s’est servi du travail effectué par sa division Structure (Ingénierie). Cette division relève du vice-président directeur Construction, M. Bebawi. M. Morin ajoute qu’il n’avait pas de contact avec celui-ci. En fait, il précise que les relations entre les deux hommes ne sont pas très bonnes à cette époque.
- M. Morin nie avoir participé à une réunion en octobre 2000 alors qu’il aurait été question de l’attribution du contrat du remplacement du tablier du pont Jacques-Cartier. Ce témoin maintient cette même version le 7 février 2024 lors d’un interrogatoire par son avocat, et ce, après qu’il ait été question d’une réunion du 11 octobre 2000 et d’un procès-verbal de cette réunion[222]. D’ailleurs, il considère que les lettres de Socodec et de la Société des ponts fédéraux mériteraient d’être comparées à ce sujet.
- Le projet débute, mais, au printemps 2001, celui-ci bat de l’aile. Il relate que, pendant l’exécution du projet, M. Bebawi obtient le contrat, mais il ne se présente pas pour répondre aux questions des gens de la Société des ponts fédéraux lesquels voulaient communiquer avec lui plutôt qu’avec M. Bebawi.
- L’intimé s’adresse alors à M. Morin qui lui vient en aide et lui fournit un nouveau chargé de projet, M. Frégeau. M. Morin ajoute qu’il avait une relation de confiance avec les gens travaillant à la Société des Ponts fédéraux. Il faisait suivre les lettres qu’il recevait à M. Bebawi, car les gens de la Société des ponts fédéraux ne le connaissaient pas. Il reconnaît avoir signé un protocole où tous les participants étaient en accord. Il ne prenait alors aucun engagement financier, car le titulaire du projet restait M. Bebawi. Toutefois, ce dernier « se cachait ». S’il a signé un protocole d’entente, c’est en raison du refus de M. Bebawi de se manifester[223]. De plus, il ne voulait pas aller se plaindre de cela au bureau de l’intimé.
- Par la suite, une société américaine, l’American Bridge Association, décerne un prix prestigieux pour la réfection du tablier du pont Jacques-Cartier. M. Fournier demande à être présent lors de cette remise de prix.
- En 2001, M. Morin et l’intimé participent à une visite du pont. Or, M. Morin constate que l’intimé et M. Fournier discutent ensemble et semblent bien se connaître.
- La gouvernance du projet est sous la responsabilité de M. Bebawi et la société Socodec. Or, M. Fournier est condamné pour avoir accepté des pots-de-vin de SNC-Lavalin.
- M. Morin se défend d’avoir versé de l’argent à Fournier. Il précise que la société Socodec était titulaire du projet. M. Morin dit n’avoir fait que les plans. Le contrat a été accordé en septembre ou octobre 2000 alors que l’intimé l’a exclu du projet le 31 décembre 1999.
- M. Morin est contre-interrogé sur la question du partage des profits au sein de SNC-Lavalin à la suite de l’exécution du contrat concernant le pont Jacques-Cartier
- Il reconnaît que l’intimé a décidé d’un partage soixante-dix pour cent en faveur de Socodec et de trente pour cent à la division Industriel. Il explique que cette décision relève d’un privilège de l’intimé, mais ajoute que la division Industriel « n’a rien à faire là-dedans. » Cette affirmation correspond à ce qu’il a déclaré lors de son procès criminel[224].
- Il déclare avoir réalisé l’existence d’un courriel du 7 mars 2002[225] relatif à ce partage à l’occasion de son procès criminel. Selon lui, ce partage est une erreur, car c’est une autre division, Ingénierie générale, qui travaillait sur le projet de Socodec. Elle était remboursée pour son personnel en plus des frais généraux.
- Selon M. Morin, la division Industriel n’a rien à voir avec cela. M. Morin associe ce geste à du « plantage de preuve » visant à lui imputer un intérêt financier dans le projet alors que les honoraires de la division Ingénierie générale avaient été payés. Cette division a travaillé en sous-traitance pour Socodec et elle a été payée en plein salaire et qu’ainsi, elle a déjà obtenu ses propres profits. Non seulement le partage est fait avec la mauvaise division, mais en plus, Socodec n’avait pas à partager les profits. S’il n’en a pas parlé lors de son procès en Cour supérieure, c’est parce que cette information lui a été présentée inopinément (« comme un cheveu sur la soupe ») et qu’à son âge, soit 82 ans, il n’a pas les réflexes assez aiguisés. À l’époque, il n’a pas vu les profits « passer ».
- M. Yves Cadotte
- Au moment de son témoignage, Monsieur Cadotte est à l’emploi d’une entreprise de construction. Il est membre de l’Ordre des ingénieurs depuis 1991.
- Après avoir travaillé chez Lavalin en 1989, il occupe divers autres emplois. En 2000, il revient chez SNC-Lavalin et demeure en poste jusqu’en 2013.
- En 2000, il est vice-président Développement des affaires avec la division Ingénierie générale[226]. Le vice-président principal est Luc Lainey[227]. Ce dernier est maintenant décédé.
- M. Cadotte aborde le sujet des contributions des employés de SNC-Lavalin aux partis politiques.
- Cette responsabilité relevait du vice-président directeur[228]. M. Pierre Anctil a succédé à M. Normand Morin, mais ce dernier a continué à jouer un rôle entre 2004 et 2008. De fait, lorsqu’il recevait une demande, il allait voir M. Morin. L’argent comptant venait de ce dernier.
- Dans le cas des contributions au niveau provincial, les employés procédaient par chèques personnels. Au niveau municipal, de l’argent comptant était aussi remis.
- À l’époque, les employés versent des contributions. Celles-ci sont rapatriées au bureau du vice-président directeur. M. Cadotte s’occupe alors de remettre les chèques au bureau du parti politique concerné. Par la suite, ces employés recevaient une bonification plus élevée que le montant versé. À titre d’exemple, un employé pouvait recevoir plus de 6 000$ pour une contribution de 3 000 $.
- M. Anctil et M. Morin étaient au courant de ce procédé. Quelque 40 personnes contribuaient. La somme ainsi recueillie pouvait s’élever à 50 000 $ et cela donnait lieu à un boni brut de 100 000 $ pour les employés. Quelques conjoints d’employés ont aussi contribué et reçu un remboursement correspondant au double du montant.
- À sa connaissance, ce système a ainsi fonctionné ainsi de 2002 à 2009.
- Les employés étaient libres de contribuer au parti de leur choix. Il se souvient que M. Pierre Anctil a mentionné avoir fait une contribution sans requérir de boni.
- Au niveau municipal, le montant maximal diffère. En outre, l’employé devait habiter sur le territoire de la ville. Une dizaine d’employés contribuaient.
- Le versement d’argent comptant concernait davantage le parti Union Montréal, et un parti municipal à Longueuil. Des soupers ou des cocktails étaient organisés et les fonds recueillis pouvaient d’élever à 15 000$ et même 25 000$. Cela incluait le montant de 10 000$ versés par chèques.
- M. Cadotte relate que M. Bernard Trépanier sollicitait de l’argent à Montréal. À Longueuil, il y avait André Létourneau et Serge Sévigny.
- S’il y avait des demandes de fonds, M. Cadotte en parlait à M. Morin qui avait des « contacts » et, par la suite, ce dernier lui remettait de l’argent comptant. Il confirme que c’est lui et M. Morin qui étaient en contact avec les gens du financement à Union Montréal à ce sujet ainsi que pour les contrats. Toutefois, il n’y avait pas de lien direct entre ces contributions et l’attribution des contrats.
- Ce n’est que vers la fin de son emploi chez SNC-Lavalin qu’il rencontre l’intimé à quelques reprises. Il considère ce dernier comme aguerri et respecté.
- En contre-interrogatoire, M. Cadotte précise avoir eu des contacts limités avec l’intimé, lors de rencontres relatives au budget et au comité de risque.
- Toutefois, lors de l’arrivée en fonction de M. Anctil en 2005, il y a eu :
« un épisode concernant la production des chèques de financement par les employés. Donc, à l’arrivée de M. Anctil, il y a eu. M. Anctil a dit « faudrait peut-être revoir …il y a eu une discussion sur la façon de faire.
«Moi, je me souviens, j’avais une réunion où M. Anctil était là et M. Lamarre était là pour discuter de cette question-là. Mais, finalement, en fin de compte, ça a donné aucun changement par la suite. »
[Transcription textuelle]
- Il précise que lors de cette réunion, M. Anctil remettait en question la méthode, en particulier si SNC-Lavalin avait raison de procéder ainsi. Il émettait des doutes. Selon le témoin, la façon de procéder était comprise par les participants, y compris l’intimé.
- En 2005, Bernard Trépanier présente une demande exceptionnelle d’argent. Elle s’élève à 200 000 $. Cette demande n’était pas liée à un contrat en particulier. Elle survient dans le contexte de la campagne électorale de novembre 2005.
- M. Cadotte en discute alors avec M. Anctil et M. Morin. Il n’a pas eu connaissance que d’autres personnes ont fait partie de ces discussions. Cela a pris des semaines avant d’obtenir une réponse. Il y a eu beaucoup de discussions. Or, M. Bernard Trépanier lui propose de procéder avec une facture de 75 000 $ à Morrow Communications en échange de quelques services. Il n’a pas eu connaissance de ce qui est survenu par la suite eu égard à cette facture. Toutefois, cette facture venait diminuer d’autant le montant de 200 000 $ qui lui était demandé.
- Selon M. Cadotte, M. Anctil a autorisé la facture à Morrow Communications puisqu’il connaissait et avait confiance en M. André Morrow et qu’il estimait que ce moyen-là comportait moins de risques. À son souvenir, M. Normand Morin est présent à cette discussion. M. Cadotte ajoute qu’il il savait que l’objectif de cette facture était de répondre à la demande d’Union Montréal.
- Quant à la somme de 125 000 $, et comme les élections approchaient, M. Trépanier relance M. Cadotte.
- M. Cadotte explique avoir reçu un appel de M. Anctil pour lui dire que la somme d’argent demandée est disponible. M. Cadotte n’a pas demandé la provenance de la somme. Il est allé porter l’enveloppe d’argent à M. Trépanier.
- M. Cadotte précise être allé au bureau de M. Anctil qui lui a demandé de prendre l’enveloppe : « Prends ça, c’est ce qui est demandé d’Union Montréal. »
- M. Anctil ne semblait pas à l’aise et lui a donné l’impression de vouloir se débarrasser rapidement de l’enveloppe. Il lui a demandé d’aller porter la somme à Montréal.
- Il s’agit d’une enveloppe de style « Purolator. » M. Cadotte a téléphoné à M. Trépanier qui lui a donné un rendez-vous au local de Frank Zampino. Une fois l’enveloppe remise, il est reparti.
- L’objectif était d’être bien perçu des politiciens. Ultimement, il pouvait y avoir des contrats d’ingénierie donnés par la ville.
- Il n’a pas eu de discussion avec l’intimé au sujet de la somme de 125 000$.
- Il relate qu’en 2003-2004, une nouvelle loi, la Loi 106, impose aux municipalités de procéder par appel d’offres.
- Dans le cas de la Ville de Montréal, plusieurs firmes pouvaient soumissionner.
- En 2004, Michel Lalonde, de la firme Séguin, s’est occupé de la coordination et a accompagné M. Bernard Trépanier dans la gestion des contrats. Lalonde annonçait la firme qui allait être privilégiée ou demandait à des firmes de se regrouper pour former un consortium. L’information circulait de manière à ce que les autres firmes n’offrent pas un prix inférieur dans leurs soumissions.
- Il explique qu’à l’époque certains contrats sont accordés à des consortiums et, à la Ville de Montréal, on lui disait avec qui faire l’appel d’offres.
- M. Cadotte relate avoir discuté davantage avec son supérieur immédiat, M. Lainey et M. Normand Morin était aussi au courant en ce qui concerne les contrats attribués par la Ville de Montréal. Il pouvait rencontrer M. Morin deux à trois fois par année. Ces échanges n’étaient pas discutés ouvertement avec les autres directeurs. Même s’il n’était pas à l’aise, il pouvait aussi discuter avec des compétiteurs.
- Dans ce système, les contrats étaient attribués en tenant compte de l’expertise de chaque firme. Dans le cas de SNC-Lavalin, il était question d’usine d’eau potable, d’ouvrages d’art, mais non pas de transport. Outre le cas de l’usine d’eau potable, les autres contrats pouvaient avoir une valeur de 1 à 3 millions de dollars.
- Selon M. Cadotte, ces contrats ont rapporté quelque 5 millions de dollars de revenus à SNC-Lavalin sur un revenu total de 4 à 7 milliards de dollars.
- M. Cadotte relate qu’en 2003-2004, Bernard Trépanier l’informe qu’un appel d’offres public est remporté par la division dont M. Morin est responsable. Toutefois, les soumissions doivent être redéposées, car le contrat doit aller à CIMA.
- Ce système a duré quelques années et s’est arrêté en 2008-2009. Il mentionne que M. Frank Zampino a quitté en 2008. Des articles de journaux sur le sujet commençaient à être publiés.
- Un système analogue existait à Longueuil jusqu’en 2009, soit jusqu’à l’arrivée d’un nouveau maire.
- M. Cadotte recevait l’argent comptant de M. Morin en ce qui concernait Longueuil. Il explique que l’argent comptant lui a été remis par ce dernier en 2005. M. Cadotte est allé le remettre.
- M. Cadotte mentionne que son témoignage à la Commission Charbonneau est au même effet. Il a vécu des conséquences. En particulier, il a perdu son emploi à SNC-Lavalin et il a été sanctionné par un conseil de discipline[229].
- Le Conseil accorde une valeur probante au témoignage de M. Cadotte. Il semble avoir une bonne mémoire des événements et son témoignage est précis, logique et cohérent. Il est crédible lorsqu’à la suite d’une question de l’intimé, il fait état d’une rencontre au sujet de ces contributions politiques à laquelle l’intimé a assisté.
-Mme Diane Nyisztor
- De 2002 et 2013, Mme Nyisztor occupe plusieurs postes chez SNC-Lavalin, dont le poste de vice-présidente principale à la rémunération.
- En 2013, à la veille de son départ de SNC-Lavalin, alors qu’elle vide les filières de son bureau, elle remarque une enveloppe « FEDEX ».
- Elle examine le contenu et constate la mention « strictement confidentiel » apposée sur un document se trouvant à l’intérieur de l’enveloppe FEDEX. L’enveloppe contient plusieurs photocopies de chèques signés en 2004 et 2005 au nom d’un parti politique et photocopies de rapports de dépenses.
- Le 14 mai 2013, elle écrit une note au département de la vérification interne mentionnant ce qui suit : « The donations were made by members of the Office of the President and some of their spouses. The envelopes also contained copies of expense reports for certain Executive Vice-Presidents.[230] »
- D’autres témoins reconnaissent certains de ces documents, comme mentionné par ailleurs dans la présente décision.
- Le Conseil retient le témoignage de Mme Nyisztor. Celle-ci explique clairement le contenu d’une grande enveloppe cartonnée qui semble avoir été oubliée par son prédécesseur dans le bureau qu’elle s’apprête à quitter, et ce, à la veille de son départ. Son souvenir est clair et précis et, preuve à l’appui, elle explique les gestes qu’elle a posés par la suite. Son témoignage ainsi corroboré apparaît fiable.
- Madame Kathleen Weil
- Madame Weil a été impliquée en politique pendant 14 ans à compter de 2008. Elle a été ministre de la Justice pendant quatre années à compter de 2010.
- Son mari, M. Michael Novak, a travaillé à SNC comme avocat puis, ce dernier a occupé un poste au niveau du développement international. Elle explique ne pas avoir été personnellement impliquée avec cette firme d’ingénieurs.
- Elle reconnaît avoir émis le 4 juin 2004 un chèque au nom du parti Parti libéral du Canada au montant de 5 000 $[231]. Elle explique avoir été sollicitée pour faire ce don, mais ajoute ne pas se souvenir par qui.
- Elle reconnaît la signature de M. Michael Novak sur un chèque émis le même jour au même bénéficiaire au montant de 4 500 $[232].
- Elle ne sait pas comment ces deux chèques se sont retrouvés dans les locaux de SNC-Lavalin. Elle se rappelle avoir été sollicitée.
- Elle reconnaît également sa signature et celle de son mari, M. Novak, sur deux autres chèques émis le 5 janvier 2005, au nom du Parti libéral du Canada[233]. Le sien s’élève à 5 000 $ alors que celui de M. Novak est de 4 000 $. Elle ne se rappelle pas qui a sollicité ces dons, mais conserve un souvenir d’avoir fait ces dons volontairement. Elle ajoute que sa famille était en politique.
- Par ailleurs, elle ne peut fournir d’explications relativement à une facture de Voyages Air-Port au montant de 7 699 $ en lien avec la location d’une villa dans la région de Lucca, en Italie, en juillet 2004[234] , et ce, même si son nom apparaît en lien avec la carte de crédit utilisée pour payer cette facture. Elle ajoute que son mari s’occupait des réservations avec les agences et précise avoir fait plusieurs voyages en famille durant l’été. Il s’agit de voyages privés. Elle ne peut dire si ces voyages ont été remboursés par SNC-Lavalin.
- Cette version des faits permet de retenir que ce témoin et M. Novak ont fait des contributions politiques. La preuve documentaire ne laisse aucun doute. Toutefois, quant à la façon dont ces contributions politiques ont été acheminées au parti politique est peu fiable, car le témoin se rappelle avoir fait des dons, mais ne peut dire si ceux-ci ont transité par SNC-Lavalin. Quant au voyage en Italie en juillet 2004, le témoin ne peut pas fournir d’explications, même si la preuve documentaire permet de retenir que sa carte de crédit est utilisée pour payer ce déplacement. Elle se limite à invoquer le fait que son conjoint s’est occupé des démarches de réservation pour les vacances. Encore là, ce témoignage est peu fiable. Soulignons néanmoins que ce témoin est questionné relativement à des faits survenus il y a quelque vingt ans et qu’elle ne travaillait pas à SNC-Lavalin.
- M. Michael Novak
- M. Novak a fait des études en biochimie, puis en droit. Il n’est plus inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats depuis environ une année.
- Lorsqu’il devient avocat en 1982, il travaille pendant une courte période chez SNC. Il y revient en 1989-1990 à titre de vice-président Affaires juridiques et occupe ce poste pendant six années.
- En 1996, pendant quelques mois, il est autorisé par Guy St-Pierre à étudier pour l’obtention d’un « MBA exécutif ». Or, à l’époque, SNC achète les actifs de Lavalin. À son retour, il est nommé président de SNC International.
- De 1996 à 2003, son supérieur immédiat est l’intimé. À cette dernière date, il prend la présidence de SNC-Technologies de 2003 à 2007. Cette division est vendue en 2007. Il devient vice-président directeur au Groupe SNC-Lavalin. Il s’occupe notamment de l’approvisionnement, des technologies de l’information (I.T.), met sur pied les communautés de travail, etc. Il devient aussi président du conseil de SNC International. Il occupe ces postes jusqu’à sa retraite en 2013.
- M. Novak a fait partie du Bureau des présidents. Étant membre de ce bureau, il est conséquemment informé des activités de chacun à travers le monde.
- Il décrit le style de gestion comme très direct et franc. L’objectif était d’obtenir la meilleure solution pour l’entreprise.
- M. Novak est questionné au sujet des contributions à des partis politiques.
- Il affirme que cette pratique était encouragée par la haute direction. Il ajoute ne plus se rappeler vraiment quel niveau de gouvernement était visé, que ce soit fédéral, provincial ou municipal.
- Il ne se souvient pas d’avoir eu d’encouragements « directs », mais pense qu’il s’agissait de conversations au niveau du président. Il reconnaît néanmoins que cet encouragement pouvait se traduire par le versement d’un chèque. Malgré ce qui précède, il affirme se souvenir clairement qu’il n’y a pas eu de discussion quant à des contreparties pouvant être obtenues à la suite des versements de chèques.
- Puis, lorsque ces documents lui sont présentés, il reconnaît deux chèques en date du 4 juin 2004 au nom du Parti libéral du Canada, le sien étant au montant de 4 500$ et celui de sa conjointe, madame Weil s’élevant à 5 000 $[235]. Il dit ne pas avoir de souvenir de son chèque, mais il reconnaît sa signature.
- Il ne sait pas comment il se fait que ces deux chèques se sont retrouvés dans les locaux de SNC-Lavalin. Il ajoute avoir déjà rencontré des agents du gouvernement fédéral et avoir eu une discussion relativement à ces chèques. Il dit ne pas se souvenir de la manière dont ces chèques ont été transmis au parti politique.
- M. Novak fournit les mêmes réponses relativement à deux autres chèques de contribution politique au Parti libéral du Canada en date du 5 janvier 2005[236]. Le premier porte sa signature et s’élève à 4 000 $ et le second porte la signature de madame Weil et s’élève à 5 000 $. Il ne peut dire si une limite était établie pour ces contributions.
- Un rapport de dépenses du 9 décembre 2004 porte la signature de M. Novak[237]. Il déclare ne pas savoir à quoi réfère la mention « maximum remboursable $ 10,000 ». Une des pièces justificatives à l’appui de ce rapport concerne un voyage en Italie, dans la région de Lucca en juillet 2004. Il s’agit d’une facture de Voyages Air-Port au montant de 7 699$. Le témoin se rappelle qu’il s’agit d’un voyage en famille et non pas un voyage d’affaires. Une autre facture pour un voyage en Italie, par l’intermédiaire la même agence et pour la même période, s’élève à 5 383$[238]. Le total excède 10 000 $.
- M. Novak dit n’avoir aucun souvenir de ses comptes de dépenses, qu’ils soient acceptés ou non, et ajoute qu’à l’époque il voyageait beaucoup.
- Il ne peut dire si c’est la première fois que des dépenses personnelles étaient remboursées au moyen d'un compte de dépenses. Les sommes remboursées par le biais d'un compte de dépenses n’étaient pas incluses par le témoin dans ses déclarations de revenus aux autorités fiscales.
- Il ne se souvient pas de l’existence d’un « compte flexible » chez Lavalin pour des remboursements de dépenses. Il réfère néanmoins à l’existence d’un « perk pot », mais ne se souvient pas des détails. Il s’agissait d’un avantage personnel que la société donnait. Il y avait d’autres activités, ajoute-t-il, mais sans pouvoir les décrire. Il ajoute, qu’outre son salaire, certains avantages lui étaient versés par SNC-Lavalin à titre de haut dirigeant ( boni, stock options, perks, etc).
- Le témoin se dit en mesure d’affirmer qu’il n’y a pas de lien entre le compte « perks » et ses contributions politiques, soit le versement d’avantages personnels jusqu’à concurrence d’un plafond pour ces contributions.
- Il relate avoir répondu de la même façon lorsque des enquêteurs d’Élections Canada l’ont rencontré par le passé. Réinterrogé, M. Novak a souvenir d’une enquête interne chez SNC-Lavalin, mais il ne peut dire s’il a donné la même réponse que celle fournie à Élections Canada. Confronté à un « investigation report », il relate avoir donné essentiellement la même réponse et réitère qu’il n’y a pas de lien entre le remboursement de ce compte de dépense et une contribution à un parti politique. Le but n’était pas de se faire rembourser pour des contributions politiques et si cela a été fait, ça a été une erreur.
- Malgré les fonctions qu’il occupait à l’époque, monsieur Novak dit ne pas se rappeler qui avait l’autorité pour approuver ses comptes de dépenses. Il ne peut dire si, en fonction de la structure administrative, c’était madame Campbell ou l’intimé.
- M. Novak ne peut dire qui approuvait les comptes de dépenses de ceux qui relevaient directement ou indirectement de lui.
- Le Conseil juge que le témoignage de M. Novak est peu fiable et sa mémoire apparaît quelque peu sélective.
- En effet, d’une part, il ne se souvient pas avoir eu des « encouragements directs » de l’intimé ou de la haute direction à faire des contributions financières relativement importantes aux partis politiques et ne se rappelle pas comment il se fait que ses chèques et ceux de sa conjointe se sont retrouvés chez SNC-Lavalin, mais, d’autre part, sa mémoire est claire quant au fait qu’aucune contrepartie n’a été obtenue à la suite de la remise de ces chèques. Il éprouve de la difficulté à se remémorer si un compte de dépenses « flexible » existait chez SNC-Lavalin pour le remboursement de ses dépenses d’une part, mais affirme d’autre part qu’un tel compte n‘a pas de lien avec le remboursement de contributions politiques. Il fait état d’un « perk pot », mais invoque avoir de la difficulté à fournir des détails. Toutefois, il dit se souvenir clairement que cela n'est pas en lien avec les contributions politiques. Lorsqu’il est fait état d’un voyage en Italie avec sa famille, confronté à un rapport de dépenses, il ne peut dire si c’est la première fois que ce type de dépenses personnelles a fait l’objet d’une demande de remboursement de sa part.
- Le Conseil considère que la preuve démontre que M. Novak faisait partie de la haute direction et que celle-ci encourageait le versement de contributions politiques.
- Le Conseil ne peut retenir sa version selon laquelle ces montants substantiels n’ont aucun lien avec le remboursement des dépenses personnelles, en particulier le voyage en famille effectué en Italie. Des avantages (perks) peuvent être payables à un membre de la haute direction de SNC-Lavalin. Toutefois, la preuve permet de retenir qu’une correction a été effectuée lors de l’approbation de son compte de dépenses pour le limiter à 10 000$. Aucune explication n’est fournie par le témoin sur la raison de cette limite qui apparaît arbitraire si l’on ne fait pas le lien entre le remboursement des contributions politiques et un compte de dépenses personnelles. En outre, l’enveloppe retrouvée par Mme Nyisztor dans les bureaux de SNC-Lavalin contient les photocopies de chèques de M. Novak et de sa conjointe et le rapport de dépenses de leur voyage en Italie.
- La preuve permet au Conseil de faire un lien entre le montant des contributions politiques versées par lui et sa conjointe et le fait qu’un montant équivalent (à 500 $ près) lui soit versé par la suite en remboursement de ses dépenses personnelles. Les indices (le montant des contributions politiques, le montant limite des remboursements de dépenses et la période) sont, aux yeux du Conseil, des éléments suffisamment graves, précis et concordants.
- M. Gilles Laramée
- M. Laramée est un ancien haut dirigeant de SNC-Lavalin. Préalablement, il devient comptable et membre de l’Ordre en 1983. Après avoir travaillé dans des cabinets comptables, il est embauché en 1986 par SNC. Cette société achète les actifs de Lavalin en 1991. M. Laramée demeure en poste jusqu’en 2013.
- En 1991, il devient trésorier et s’occupe des relations avec les banques concernant les transactions pour les devises étrangères, investissements des fonds, suivi de l’encaisse. Par la suite, il occupe le poste de comptable senior, puis contrôleur corporatif chez SNC-Lavalin. En 1999, il devient Chef des affaires financières ( Chief Financial Officer, CFO) et ce, jusqu’en 2013. Il relève alors directement de l’intimé.
- Ses fonctions évoluent entre 1999 et 2013. À titre de CFO, il doit produire les états financiers et être en mesure de les commenter. En plus Il est responsable des contrôles financiers et de la fiscalité. Il s’occupe des relations avec les investisseurs. Pendant un certain temps, il est responsable des relations humaines, des relations publiques et des assurances. Le REC (« risk evaluation committee ») a déjà relevé de lui.
- Étant CFO, il a fait partie du Bureau des présidents avec M. Michael Novak, M. Normand Morin, Mme Marylynne Campbell, M. Pierre Duhaime et d’autres, bien que les noms ont pu changer avec le temps(M. Beaudoin et M. Anctil pendant un certain temps notamment). Les rencontres de ce bureau étaient mensuelles.
- Ces rencontres étaient précédées de rencontres avec chacun des membres du Bureau des présidents. M. Laramée, avec l’intimé, assistait à ces rencontres et faisait valoir leurs performances financières. En fin d’après-midi, le Bureau des présidents se réunissait. Des sujets pouvaient concerner les résultats globaux de la firme. Aussi, les propositions de projets pouvaient être commentées par chacun des membres.
- Le sujet des contributions politiques a été abordé, « mais pas souvent » ajoute M. Laramée.
- À son souvenir, l’intimé ou M. Normand Morin en ont discuté notamment pour indiquer qu’il y a un besoin et qu’il faut contribuer politiquement. M. Laramée précise : « Fallait contribuer lorsqu’on nous le demandait. » Il ajoute que c’était clair aussi « que tu te faisais pas rembourser. » Selon M. Laramée, dans l’esprit de l’intimé, « ils étaient payés assez cher pour contribuer politiquement. » En contre-interrogatoire, il précise que l’intimé, à ce sujet, a mentionné : « tu fais un bon salaire ».
- Toutefois, il ajoute : « Normand Morin disait, a dit, j’sais pas, que c’était une question que, pour avoir une écoute, de pouvoir prendre un téléphone et de rejoindre quelqu’un, fallait que SNC, qu’il y ait des contributions politiques qui soient faites. C’était pas pour, j’ai jamais entendu dire que c’était pour obtenir des contrats. » Il ajoute que c’était pour que quelqu’un prenne le téléphone et ait une écoute : « Pis, on peut se parler et dialoguer. » Il ajoute que M. Morin pouvait aussi préciser le niveau et à quel parti faire le chèque.
- Il réitère que de la part de l’intimé, il n’a pas été question de remboursements. Il ajoute néanmoins qu’à sa connaissance, il y a eu une forme de remboursement à des employés. Il ajoute : « J’ai entendu dire qu’il y avait des gens qui étaient remboursés par rapport à ça. Oui. » Toutefois, il ne peut dire de qui et quand il a eu cette information.
- D’autre part, il reconnaît que les membres du Bureau des présidents possédaient un compte, un « flex account », dans lequel une allocation était octroyée pour réclamer le remboursement de certaines dépenses. Dans son cas, M. Laramée fait état de dépenses pour des clubs sportifs ou « des choses comme ça. » Pendant que l’intimé était en poste, M. Laramée dit ne pas avoir de souvenir précis qu’un membre ait demandé, via ce compte, le paiement de dépenses personnelles.
- Monsieur Laramée reconnaît avoir transmis à des enquêteurs d’Élections Canada un courriel émanant de lui et portant la date du 21 octobre 2016[239]. M. Laramée explique alors qu’il voulait se faire rembourser des montants qu’il jugeait lui être dus par la SNC-Lavalin. Comme chef des affaires financières, un montant lui est alloué pour des clubs de golf. Or, il n’a pas tout dépensé tout ce montant. Il constate que celui-ci ne lui a pas été remboursé et qu’en plus, on lui demande de faire des contributions politiques assez substantielles. Il ajoute que Marylynne Campbell voulait passer son compte de dépenses aux ressources humaines. Dans ce courriel, M. Laramée dénonce cette situation.
- Devant le Conseil, M. Laramée explique que certaines dépenses lui ont été présentées par les enquêteurs d’Élections Canada, alors qu’elles n’auraient pas dû « passer » dans le compte flexible, selon sa compréhension de ce qui était permis. Lorsque cette information lui est présentée, il se dit surpris. Il donne comme exemple de dépenses qui n’auraient pas dû être remboursées dans le compte flexible, une peinture pour Marylynne Campbell, une vice-présidente aux ressources humaines et membre du Bureau des présidents, et un voyage de Michael Novak en Italie alors qu’il est accompagné de son épouse. Il dit avoir compris que Mme Campbell faisait des choses qu’il ne faisait pas. Selon la compréhension de M. Laramée, ce genre de dépenses ne pouvait être mis dans un compte flexible.
- Il a un souvenir que ces dépenses lui ont été montrées lors d’une entrevue avec les enquêteurs d’Élections Canada.
- Puis M. Laramée est interrogé relativement à une déclaration qu’il a faite le 20 octobre 2016 au Bureau du Commissaire aux élections fédérales :
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M. RÉJEAN LABONTÉ:
D'accord. Si on commence, Monsieur Laramée, par est-ce que vous avez des informations que vous nous avez pas donné la dernière fois en relation que SNC-Lavalin y approuvait, y encourageait ou avait la porte ouverte aux remboursements de contributions politiques au fédéral?
M. GILLES LARAMÉE:
Le seul fait additionnel que je n’ai pas mentionné à la dernière rencontre, c'est que... puis basé sur ce que vous m'avez présenté comme rapports de dépenses, j’extrapole que ça aurait dû être...cette conversation-là avoir lieu dans l’année 2005 ou lors d'une rencontre au Bureau des présidents. Jacques Lamarre a mentionné à une question par rapport aux contributions politiques que y avait le compte flexible. Ce qui
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impliquait de dire, « Ben, passez des choses dans le compte flexible. » Il l’a pas dit comme ça, mais pour moi c'était ma compréhension, des choses qui dans le contexte habituel n’auraient pas passé dans le compte flexible des gens en général.
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Donc on se comprend que y a eu un message passé par Monsieur Lamarre que vous référez...
M. GILLES LARAMÉE:
Oui.
M. RÉJEAN LABONTÉ:
...que en soi-même, ça demande une interprétation?
M. GILLES LARAMÉE:
Ça demande un... mon souvenir, c'est que le message passé demandait une interprétation, mais y avait eu une question qui était en relation aux contributions politiques, fait que c'était quand même... le lien était assez clair là. Je veux dire... c'est sûr que peut-être toutes les subtilités étaient peut-être pas là, mais c'était facile de déduire.
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Puis votre déduction, suite à ce message et aujourd'hui suite à ce message, c'est quoi que ça voulait dire?
M. GILLES LARAMÉE:
Ça voulait dire que tu peux mettre des choses qui sont d’une nature personnelle dans ton compte flexible, étant donné qu’on te demande de faire des choses au niveau contributions politiques assez substantielles.
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M. RÉJEAN LABONTÉ:
C'était quoi le contexte, Monsieur Laramée, que cette réponse de Monsieur Lamarre a été suscité? Qu’est-ce qui est arrivé avant cette réponse qui a suscité cette...
M. GILLES LARAMÉE:
Ben, probablement que y avait eu la question par rapport à dire... là on nous demandait aux membres du Bureau des présidents puis on demandait aussi probablement que les femmes de chaque membre du Bureau des présidents contribuent à des contributions politiques, et en conséquence, les gens ont sûrement dit, « Ben, qu’est-ce qu’on fait avec ça là? Vous
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nous demandez de l'argent, qu’est-ce qu’on fait? » Puis la réponse de Jacques Lamarre a été, « Ben, vous avez votre compte flexible. »
M. RÉJEAN LABONTÉ:
O.k. Juste pour éclaircir, est-ce que quelques minutes avant cette déclaration de Monsieur Lamarre, y avait un message qui s’était fait à savoir... sollicitant des contributions politiques de la part des membres présents?
M. GILLES LARAMÉE: C'est ce que je pense, parce que la phrase de dire... la phrase que je me souviens, « Vous avez le compte flexible pour les contributions politiques », faut que ça s’apparente à un préambule. Il aurait pas dû juste dire ça pour ça, préambule étant là, « Vous devez payer », puis là lui il rajoute, « Ben, quand même on veut pas vous étouffer complètement, vous avez votre compte flexible. »
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Est-ce que vous vous souvenez... est-ce que j’ai bien compris que c'est un individu en particulier qui avait posé une question?
M. GILLES LARAMÉE:
Je me souviens plus qui a posé la question. Puis je me... c'était peut-être même pas une question, c'est peut-être Normand Morin qui faisait état qui devait contribuer combien.
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Comment... vous semblez avoir des souvenirs flous ou imprécis de cet évènement-là?
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M. GILLES LARAMÉE:
C'est flou et imprécis. La seule chose que je me souviens, c'est le dire de Monsieur Lamarre qui – ça je me souviens clairement – qui dit, « Vous avez votre compte flexible pour mettre des choses. »
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M. RÉJEAN LABONTÉ:
O.k. Puis encore je vous demande... la dernière fois... c’est de l’information nouvelle que vous nous dites aujourd'hui, vous avez pas mentionné ça la dernière fois au cours de notre dernière entrevue. C'est quoi l'explication pourquoi vous avez pas mentionné ça la dernière fois?
M. GILLES LARAMÉE:
M'hm. C'est une bonne question. Je pense... je peux pas dire c'est un oubli, je le savais que Jacques Lamarre avait dit ça. J’ai tout simplement pas voulu le dire. Quand vous me dites que j’ai eu une retenue de pas dire, peut-être que sur ce sujet-là dans ce sens-là, mais la question demandait pas... ben, peut-être vous l’aviez adressé, mais j’ai pas volontairement dit cette information-là.
Fait que c'était quoi que j’avais, ben, j’étais pas impliqué dans les contributions politiques, je m’en mêlais pas. Je n’ai pas fait ce que moi j’ai interprété qu’il nous... qu’il nous donnait comme message que... d’utiliser le compte flexible possiblement pour des choses personnelles, parce qui a du « hardship » qu’on...
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dans le sens où la compagnie t’oblige à contribuer au niveau politique. Ben, je l’ai pas dit, j’ai volontairement pas été volontaire à le dire.
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Puis qu’est-ce qui a changé aujourd'hui que vous l’amenez sur la table?
M. GILLES LARAMÉE:
Ben, c'est certain que vous me... vous me revenez puis vous me dites que j’ai eu de la retenue, ben là j’ai compris le message. Tout va être sur la table, je veux dire ce que je connais. Par contre, si je ne le connais pas, je peux pas en inventer.
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- M. Laramée explique que les comptes de dépenses de Mme Campbell étaient, en théorie, approuvés par l’intimé. Quant à savoir qui approuvait les dépenses du compte flexible, M. Laramée est confronté à sa déclaration du 20 octobre 2016 où il déclare que ce sont l’intimé et Mme Campbell[240]. Toutefois, dans cette déclaration, M. Laramée a aussi mentionné: « Mais c'est certain que si Jacques Lamarre disait, « Wow, non, c'est assez, c'est ça que je veux » ben je pense qu’elle accommodait. »
- Quant aux contributions politiques, M. Laramée explique ce qui suit.
- Il mentionne que lui et son épouse ont fait des contributions politiques à un parti politique fédéral. Chacun d’eux a ainsi signé un chèque pour des montants respectifs de 5 000 $ en juin 2004 et il en fut de même le 12 janvier 2005[241]. S’il l’a fait c’est parce qu’on le lui demandait. Il précise que la demande était faite par Normand Morin et que c’est à dernier qu’il a remis les chèques. Il ajoute que ce qui lui a été remboursé par le compte « flex » n’avait pas de lien avec les contributions politiques.
- Relativement à sa participation à un club de golf, comme cela lui avait été demandé par Marylynne Campbell, il voulait un remboursement de ce qui lui était dû pour cette participation. Il dit avoir demandé ce remboursement en ajoutant qu’il avait payé les contributions politiques demandées. Il résume : « Les montants de contributions au niveau politique sont importants, payez-moi ce que vous me devez. »
- L’évaluation du témoignage de M. Laramée est relativement complexe en ce sens que, face à certaines de ses réponses, le Conseil a permis au plaignant de lui poser des questions suggestives et de le confronter à ses déclarations antérieures.
- Malgré cela, le Conseil juge qu’il y a lieu d’accorder une valeur probante au témoignage de M. Laramée. Ce dernier a mentionné à quoi servait en principe le compte « flex ». Puis, il a fourni des explications précises sur le fait que certaines dépenses ont été néanmoins remboursées à des membres du Bureau des présidents en lien avec les contributions politiques et ce, à la connaissance de l’intimé. Le Conseil retient comme suffisamment précis et convaincant le témoignage de M. Laramée sur le fait que l’intimé a fait comprendre à des membres du Bureau des présidents que le compte flexible pouvait être utilisé en contrepartie du paiement de contributions politiques.
- M. Sami Bebawi
Les contributions politiques
- Comme déjà exposé, à l’époque, M. Sami Bebawi est membre du Bureau des présidents.
- Il relate que, dès le début de ses fonctions chez SNC-Lavalin, l’intimé lui a demandé de remettre un chèque au montant de 5 000 $. Il a demandé que son ex-épouse en fasse autant. Il précise que c’est M. Normand Morin qui lui a indiqué à quel parti politique le chèque devait être fait. Le montant de 10 000$ devait être indirectement remboursé par le biais d'un compte de dépenses sur présentation de reçus pour des dépenses personnelles.
- M. Bebawi reconnaît les photocopies de deux chèques au montant de 5 000 $ chacun étant versés au Parti libéral[242]. Il précise que ces chèques ont été remis à M. Morin ou à Mme Marylynne Campbell, à l’époque où celle-ci est vice-présidente aux ressources humaines.
Le Pont-Jacques Carier
- M. Bebawi relate que plusieurs réunions ont été tenues dans les locaux de SNC-Lavalin au sujet d’un appel d’offres visant à remplacer les dalles du pont Jacques-Cartier.
- Des employés de Socodec lui ont présenté cette proposition d’appel d’offres. Il s’agissait d’un projet clef en main comprenant l’ingénierie et la construction. Il considère alors le risque élevé et se montre d’avis qu’il n’y a pas lieu de soumissionner en raison des coûts et du manque d’effectifs.
- Par la suite, en 2000, M. Morin lui demande de soumissionner. M. Bebawi refuse pour le motif déjà exprimé et lui suggère de déposer lui-même une soumission par l’intermédiaire de sa division.
- Puis, l’intimé discute avec M. Bebawi pour lui dire qu’il est important de soumissionner. Il en fait une question de prestige. Il l’informe que M. Morin s’adjoindra une société française spécialisée dans le béton précontraint. Il comprend qu’il doit préparer une soumission. La division Ingénierie doit préparer les plans pour estimer les coûts. Une méthode moins dispendieuse est retenue pour attacher les dalles (fixed vs. hinge). Le projet fait l’objet d’une analyse par le REC et le BIAC.
- Lorsque la soumission est présentée, SNC-Lavalin arrive en troisième place. Par la suite M. Morin vient le voir et lui demande de présenter une soumission avec la méthode la plus dispendieuse (hinge) même si cela représente des coûts additionnels de deux ou trois millions de dollars. M. Morin a demandé que le prix offert soit le même. Puis, M. Morin lui annonce que SNC-Lavalin a décroché le contrat.
- Socodec se met alors au travail. Plus tard, M. Bebawi déclare qu’il n’a pas besoin de l’aide de la société française.
- Par la suite M. Morin lui demande de « mettre de côté » quatre millions de dollars pour « faciliter ces travaux. » M. Bebawi dit avoir été fâché et avoir demandé à M. Morin « depuis quand on fait ça au Canada? » Le prix étant alors fixé, ce montant devait être alors déduit des profits de SNC-Lavalin.
- M. Bebawi est allé discuter de ce changement avec l’intimé. Ce dernier lui aurait expliqué que cet argent est destiné à Fournier. Il aurait ajouté que des réclamations pourraient être faites plus tard et qu’un profit serait alors réalisé. Il a précisé que M. Gilles Laramée s’occuperait de ces quatre millions de dollars et que M. Michael Novak aurait quelqu’un en Suisse pour arranger cette affaire. M. Bebawi aurait dit ne pas vouloir être impliqué dans cela et est retourné chez lui.
- En fin de compte, Socodec a réalisé un profit de 320 000$, et Normand Morin a présenté des réclamations pour un montant de 10 M$ à 12 M$. Quant au montant de quatre millions de dollars, M. Laramée l’aurait pris dans deux projets de Socodec et non pas dans le projet lié au pont Jacques-Cartier.
- Quelques années plus tard, il a appris l’arrestation de M. Fournier. Il aurait refusé de dévoiler avec qui, chez SNC-Lavalin, il conclut un arrangement pour recevoir de l’argent.
- M. Bebawi dit n’avoir jamais parlé à M. Fournier. Toutefois, M. Morin lui aurait dit avoir déjà eu des repas avec ce dernier.
- Il explique qu’un trophée a été décerné pour ce projet, mais qu’il n’a pas voulu se rendre à la réception de sa remise. C’est M. Morin qui est allé le prendre pour le placer dans son bureau.
- La partie du témoignage de M. Bebawi en lien avec les contributions politiques apparaît fiable, d’autant plus qu’elle est supportée par une preuve documentaire. Quant au témoignage de M. Bebawi portant sur le fait que M. Morin lui a demandé de mettre de côté quatre millions de dollars et qu’il en a discuté avec l’intimé, ceci est abordé dans le cadre de la section « Décision » ci-après.
- M. Réal Giroux
- Depuis 2017, M. Giroux occupe le poste de syndic en chef au sein de l’Ordre. Il entre en fonction à titre de syndic en 2012 puis, en 2014, il coordonne les dossiers d’enquête portant sur la collusion et la corruption, et ce, jusqu’à sa nomination à titre de syndic en chef.
- M. Giroux rappelle le caractère inédit des dossiers d’enquête portant sur la corruption et la collusion.
- Il est informé, par le biais du rapport de la Commission Charbonneau,[243] de la situation prévalant en 2003-2004 avec l’arrivée de la Loi 106. Lors d’appels d’offres, les firmes de génie-conseil doivent dorénavant composer avec de nouvelles règles. Leur association manifeste un mécontentement.
- À cette époque, des budgets sont octroyés au Bureau du syndic afin d’obtenir des ressources pour la mise sur pied d’une unité d’enquête spéciale pouvant être assistée par des experts.
- Une fois cette unité créée, celle-ci a enquêté sur les protagonistes « sur le terrain. » Ce n’est que par la suite, que l’unité a cherché à remonter vers la direction des sociétés d’ingénierie. Ceci explique le fait que la majorité des plaintes contre les ingénieurs ont été déposées entre 2016 et 2018.
- Plus précisément, des activités de collusion sont détectées dans diverses régions de la province : Gatineau, Longueuil et Québec. Les firmes d’ingénieurs communiquaient entre elles par courriel à Québec et par code téléphonique à Gatineau. À Montréal, elles devaient payer un « ticket d’entrée » pour participer aux soumissions municipales.
- À la lumière du rapport de la Commission Charbonneau, il est informé que le prix du « ticket d’entrée » à Montréal s’élève à 200 000$ pour les grandes firmes, dont SNC-Lavalin, ce montant étant moins important pour les firmes les plus petites[244]. Le système est alors coordonné par Bernard Trépanier et Michel Lalonde agit comme interlocuteur. L’argent est remis au parti Union Montréal.
- En particulier, le Bureau du syndic s’est penché sur un système de prête-noms évoqué à la Commission Charbonneau[245]. Ce stratagème avait pour but de financer des partis politiques. Grâce à ce système, des montants versés étaient remboursés de différentes manières (fausses factures, ristournes, argent comptant, etc.).
- Environ 300 ingénieurs à l’emploi de firmes d’ingénieurs ont fait l’objet d’enquêtes par le Bureau du syndic et celles-ci ont donné lieu à des ententes. Quelques 80 ingénieurs ont été sanctionnés par les conseils de discipline, dont 13 présidents de firmes[246]. Une vingtaine d’ingénieurs travaillant à SNC-Lavalin font partie de ce groupe. M. Giroux explique qu’il a fallu bâtir cette preuve.
- Dans le cas de SNC-Lavalin, M. Michel Émond (directeur de projet, bureau de Québec), M. Michel Labbé (vice-président régional, bureau de Québec), M. Robert Proulx (directeur, département municipal, bureau de Longueuil), M. Yves Cadotte (vice-président développement des affaires, Longueuil et Montréal) et M. Pierre Duhaime (président-directeur général), ont été sanctionnés. Il ajoute que ce dernier et M. Sami Bebawi (vice-président directeur Infrastructure et Construction) puis M. Normand Morin (vice-président directeur Infrastructure et Industriel) ont fait l’objet de condamnations devant des instances criminelles. M. Giroux précise ne pas avoir eu de communications avec l’intimé en 2012.
- En 2016, une conciliation est survenue avec 107 ingénieurs et ex-ingénieurs de SNC-Lavalin ayant servi de prête-noms, puis ont été remboursés du paiement de leurs contributions politiques[247]. D’ailleurs, le 26 mai 2016, l’Ordre publie un communiqué pour publiciser cette information[248]. D’autre part, le plaignant admet que l’intimé n’est pas visé par ce communiqué ni n’a été interrogé à l’époque. Le 11 octobre 2016, la plainte déposée contre un ingénieur de SNC-Lavalin, Michel Labbé, a été retirée à la suite de cette conciliation[249].
- En contre-interrogatoire, M. Giroux reconnaît que des informations ont été publiées dès 2005 au sujet de l’implication de SNC-Lavalin dans des activités au Canada d’un des fils du dictateur Kadhafi, mais il ajoute que cette publication ne concerne pas l’ingénierie. Un autre article a été publié le 10 février 2012 par Radio-Canada, mais M. Giroux indique ne pas avoir connaissance de cette coupure de presse où il n’est pas question de projets d’ingénierie, mais plutôt du fait que deux dirigeants de SNC-Lavalin démissionnent. Il donne la même réponse à l’égard d’articles publiés en avril 2012, notamment eu égard à l’arrestation de M. Riadh Ben Aïssa par les autorités suisses pour corruption. Par ailleurs, quant aux articles faisant état de la déclaration de culpabilité de ce dernier en 2014, M. Giroux croit avoir pris connaissance de ce fait plutôt autour des années 2015 ou 2016. Il reconnaît qu’en septembre 2015, un article a été publié par Radio-Canada en lien avec SNC-Lavalin et le dictateur libyen et cette information a été colligée et « stationnée ».
- Une quantité phénoménale de documents a transité par le Bureau du syndic et il ne peut dire si ces documents ont fait l’objet d’une opération de filtrage considérant le nombre limité de ressources alors disponibles.
- Les faits portés à la connaissance du Bureau du syndic font l’objet d’une corrélation afin de constituer un dossier. Le seul fait qu’un article soit publié en 2015 ne remplace pas la nécessité d’enquêter en fonction d’une méthode.
- Les enquêtes ont débuté à la fin de 2013 et au début de l’année 2014. À compter de cette période, l’unité d’enquête entre en fonction et accumule des témoignages. Les plaintes sont déposées après cette étape lorsqu’un niveau critique d’information est atteint. Il ajoute que plusieurs enquêtes étaient alors menées de front et pouvaient viser plusieurs protagonistes. Même si, dans une décision rendue dans le dossier de M. Shoiry[250], président et chef de la direction de Genivar, il est fait état d’une enquête en 2013, M. Giroux précise que le Bureau du syndic ne faisait que débuter ses enquêtes sur la collusion à cette époque.
- Dans le cas de l’affaire de M. Émond[251], M. Giroux relate avoir fait enquête au bureau de Québec dans la seconde moitié de l’année 2014. Cet ingénieur est l’un des premiers à être notifiés au sujet d’une enquête. Cette enquête a pu être menée rapidement, les protagonistes étant plus volubiles. Dans le dossier de l’ingénieur Proulx[252], l’enquête débute vers la fin de l’année 2015 ou au début de l’année 2016. La plainte est déposée en juillet 2017. Dans le cas de l’ingénieur Cadotte[253], l’enquête est ouverte en février 2016.
- L’information s’est accumulée dans les années suivantes. Il maintient qu’en 2020, l’information n’est pas suffisante eu égard à l’intimé même si le dossier d’Yves Cadotte a procédé en 2020 alors que ce dernier était vice-président au développement des affaires dans une division de SNC-Lavalin. Dans le cas de M. Guido Benedetti[254], l’enquête ciblait un système collusionnaire de partage de contrats à la Ville de Longueuil impliquant notamment SNC-Lavalin. M. Giroux note que l’enquête a débuté et que pour cette ville, celle-ci a duré moins d’un an. Il ajoute que le modus operandi est différent dans le cas des reproches visés au chef 12.
- M. Giroux confirme avoir avisé l’intimé par téléphone du fait qu’il fait l’objet d’une enquête.
- Les explications de M. Giroux sont cohérentes et logiques. Elles sont plus amplement discutées dans le cadre de la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé. Le Conseil accorde une valeur probante à son témoignage.
La preuve de l’intimé
- L’intimé explique qu’au Québec, de manière générale, SNC-Lavalin traitait avec les fonctionnaires.
- Il relate qu’en 1996, il a donné la directive de ne plus faire affaire avec la Ville de Laval. À l’époque, il y avait trop d’histoires dans les journaux, et il tenait à ce que le travail se fasse en toute légalité.
- Afin de démontrer sa volonté de demeurer intègre, il relate une lettre du 3 novembre 2010[255] qu’il a transmise au cabinet du premier ministre du Québec concernant les difficultés rencontrées dans l’industrie de la construction. Il suggère alors la mise en place d’une commission d’enquête.
- Les contributions aux partis politiques (chefs 11 et 13)
- L’intimé fait état du changement des lois et des difficultés pour les partis politiques d’obtenir un soutien financier. À son arrivée en poste, il garde en place une pratique pour la levée de fonds. Les employés étaient encouragés à financer le parti de leur choix[256]. Il souligne qu’il n’était pas question de rembourser les contributions aux partis politiques fédéraux.
- L’intimé déclare avoir fait confiance à Normand Morin. Ce dernier s’occupait des contributions aux partis politiques jusqu’en 2004, puis ce fut Pierre Anctil. Il explique que les gens à « hauts salaires » étaient visés.
- Il relate qu’à « un moment donné » M. Anctil, qui avait déjà travaillé dans le domaine politique, est venu lui manifester un doute quant à la légalité de ce qui était effectué. L’intimé lui a demandé de vérifier auprès des Services juridiques.
- Par la suite, M. Anctil, après avoir consulté le chef des Services juridiques, est revenu le voir en lui affirmant que c’était « correct, on pouvait continuer. »
- L’intimé relate qu’à l’époque, un avocat d’un autre bureau lui a montré un mémo interne démontrant qu’à cet endroit, la procédure était semblable. L’intimé explique avoir remis le mémo à M. Anctil.
- Relativement aux témoignages qu’il a entendus selon lesquels les contributions aux partis politiques fédéraux étaient remboursées par SNC-Lavalin indirectement via le remboursement de comptes de dépenses personnelles, l’intimé déclare que cela est faux.
- Questionné sur l’affirmation de M. Morin selon laquelle l’intimé n’a pas tenu sa promesse de ne pas rembourser les contributions fédérales, ce dernier réplique que cela l’a attristé.
- Il reconnaît l’existence de comptes flexibles pour les membres du Bureau des présidents, d’ailleurs, lui-même en possédait un. De tels comptes existaient pour faciliter les membres du Bureau des présidents dans leurs rôles de cadres supérieurs. Cela pouvait servir, par exemple, pour les besoins d’un conseiller financier, pour être membre d’un club de golf en lien avec un statut social ou toutes autres dépenses afin qu’ils puissent bien jouer leurs rôles.
- Questionné sur les affirmations faites devant le Conseil par M. Laramée selon lesquelles le compte flexible visait des dépenses qui ne comprenaient pas les voyages d’agrément d’un membre du Bureau des présidents avec sa famille, ou payer une toile à une employée, l’intimé rétorque « encore là, ça rentre dans les malentendus » et invoque le temps qui a passé.
- L’intimé est questionné relativement au fait que le Code de déontologie et la conduite dans les affaires adopté par SNC-Lavalin[257] prévoit plusieurs règles relativement au fait que les membres du personnel ne doivent pas accepter de cadeaux à moins d’être dans une des situations énoncées, tel qu’il appert des extraits suivants de ce code :
Aux seules exceptions énoncées ci-dessous, les membres du personnel ne doivent tenter d’obtenir ni accepter de cadeaux, de sommes d’argent, honoraires, services, privilèges importants, vacances, voyages sans objectif commercial, prêts, si ce n’est des prêts normaux obtenus d’un établissement de crédit, ni autre faveur d’une personne ou d’une entreprise traitant ou en concurrence avec SNC-Lavalin.
Les membres du personnel ne doivent pas accepter de cadeaux ou d’objets de valeur pour avoir recommandé des tiers à ladite personne ou entreprise
Voici les directives à respecter.
Un membre du personnel peut accepter pour lui-même et les membres de sa famille des cadeaux et des divertissements normalement acceptables en affaires si :
- il s’agit d’un fait occasionnel;
- cela est licite à des fins commerciales établies;
- cela correspond aux responsabilités de la personne en cause dans la Société;
- l’on pourrait considérer qu’il peut répondre par la pareille dans le cadre d’une dépense commerciale normale.
- L’intimé est questionné sur le fait que le voyage en Italie de M. Novak, qui a été accompagné de son épouse et de sa famille, a été remboursé par le biais de son compte de dépenses et confronté au fait que ce dernier a indiqué que ce voyage n’était pas en lien avec ses activités chez SNC-Lavalin. Il déclare n’avoir aucun souvenir et ne pas se rappeler du contexte après tant d’années.
- Il ajoute que sa réponse est la même pour le paiement d’une peinture dans le cas de Mme Campbell ou les frais d’une fête dans le Vermont, pour M. Trendl. Toutefois, dans le cas d’un autre employé de SNC-Lavalin, l’intimé fournit un grand nombre de détails eu égard au paiement des frais encourus par l’épouse de cet employé lors d’un séjour à Mumbai.
- Il reconnaît que le code de déontologie qu’il a approuvé prévoit que la décision d’un employé de contribuer ou non à un parti politique demeure sa décision personnelle[258]. Il savait qu’à cette époque une société ne pouvait pas verser une contribution politique, niveau tant au fédéral que provincial.
- Confronté aux témoignages de M. Laramée et de M. Bebawi, au sujet des contributions politiques au niveau des partis fédéraux selon lesquels les membres du Bureau des présidents étaient sollicités, l’intimé confirme que tel était le cas pour les « seniors de la compagnie. » Quant à savoir si les membres du Bureau des présidents avaient le choix de contribuer, l’intimé déclare ne pas être d’accord avec ces deux témoins. Quant à savoir si SNC-Lavalin demandait aux membres du Bureau des présidents de contribuer jusqu’à la limite maximum de 5 000$, l’intimé affirme que c’était leur décision. Il réitère la même réponse quant au fait qu’il aurait été demandé aux épouses des membres du Bureau des présidents de contribuer également jusqu’à la limite, et ce, même si ces contributions maximales pouvaient se répéter d’une année à l’autre.
- L’intimé concède néanmoins qu’ils étaient encouragés à poser ce geste. Si certains membres du Bureau des présidents pouvaient rechigner à faire cette contribution comme l’a exprimé M. Laramée, c’est en raison d’une mauvaise compréhension de leur part, un malentendu, précise l’intimé.
- L’intimé reconnaît que cette sollicitation était plus élargie aux niveaux provincial et fédéral, en ce sens qu’elle visait un bassin plus large que les seuls membres du Bureau des présidents et quelques seniors. L’intimé mentionne que, pour certains employés, la contribution politique était remboursée en fin d’année, et ce, d’un boni équivalent au double de celui versé par l’employé. Il ajoute que cela faisait partie de leur rémunération. Selon l’intimé, c’est une pratique qui existait ailleurs, d’où le mémo d’un bureau d’avocats auquel il a déjà référé.
- L’intimé déclare avoir eu une vague connaissance d’un communiqué de presse de l’Ordre du 26 mai 2016 annonçant la conclusion d’une entente de conciliation avec 107 ingénieurs et ex-ingénieurs de SNC-Lavalin qui avaient reçu le boni mentionné ci-haut entre 1998 et 2010[259]. Il précise l’avoir appris en lisant un journal.
- L’intimé indique que M. Morin s’occupait de collecter les chèques pour les contributions politiques. À sa connaissance, celui-ci regroupait tous les chèques destinés à un même parti afin qu’ils lui soient remis. Il ajoute, que s’il avait su que cette pratique est illégale, il aurait fait comme pour la Ville de Laval, et il l’aurait arrêtée.
- L’intimé est questionné sur cette façon de faire dans le cas d’un parti fédéral, notamment le parti libéral. Il confirme que M. Morin allait porter les chèques à ce parti. Lorsqu’on lui demande s’il a une explication quant au fait que, dans une même enveloppe retrouvée dans les bureaux des ressources humaines de SNC-Lavalin, il y a à la fois des photocopies des chèques de contribution et des photocopies de rapports de dépenses, il déclare n’avoir aucune explication quant au fait que les copies des chèques et celle des comptes de dépenses se retrouvent ensemble dans une grande enveloppe. Il ajoute « ça n'a rien à voir. »
- Les contributions politiques au parti municipal Union Montréal (chef 10)
- L’intimé estime que la valeur des contrats conclus avec la Ville de Montréal est d’une valeur d’environ 5 M$. Il ajoute qu’il s’agissait d’une petite opération. Au sein de SNC-Lavalin, ce n’était pas une grande division.
- L’intimé relate avoir appris les faits entourant cette demande de contribution de 200 000 $ par le rapport de la Commission Charbonneau. Il n’en n’avait aucune connaissance et ajoute que s’il l’avait su avant, il aurait fermé l’opération. Personne ne lui en avait parlé, ni M. Morin, ni M. Anctil.
- Quant à la facture de 75 000 $ payée à Morrow Communications, l’intimé déclare ne pas connaître cette firme ni être au courant de cette facture.
- Il précise n’avoir eu aucune discussion avec M. Pierre Anctil au sujet d’une contribution en argent comptant. Puisque cela est illégal, il n’aurait pas accepté.
- Il déclare n’avoir eu aucune connaissance d’une enveloppe contenant 125 000 $ qui aurait été remise à Union Montréal par Yves Cadotte.
- Il dit ne pas avoir eu connaissance ni avoir de souvenir d’un appel téléphonique à M. Anctil pour l’aviser que M. Sami Bebawi se présenterait à son bureau. Il se dit préjudicié d’être questionné au sujet d’un tel appel téléphonique qui aurait été logé il y a plus de 25 ans.
- Contre-interrogé, l’intimé affirme ne pas avoir été impliqué dans «l’histoire » concernant la demande de financement de 200 000 $. Il réitère ne pas avoir participé à cette demande de contribution et qu’il a cessé de faire des affaires avec la Ville de Laval pour cette raison.
- Il précise n’avoir jamais entendu parler d’une enveloppe contenant 125 000 $ comptant ni d’un faux contrat avec la firme Morrow Communication.
- Or, l’intimé est questionné relativement au dossier de compteurs d’eau à Montréal. Il avait exprimé un intérêt pour le projet et M. Anctil avait effectué des démarches pour déposer une soumission. Il reconnaît avoir appris que SNC-Lavalin n’avait finalement pas déposé de soumission, et il a eu une rencontre subséquente avec M. Anctil à ce sujet pour savoir pourquoi SNC-Lavalin s’était retirée. Ce dernier avait reçu de nouvelles informations et il avait trouvé cela étrange. L’intimé relate avoir été d’accord avec cette décision de ne pas soumissionner dans le dossier des compteurs d’eau à la Ville de Montréal.
- Il nie avoir reproché à M. Anctil de ne pas avoir été assez « ami » avec Frank Zampino. Il considère avoir eu, pour le moins, un malentendu avec M. Anctil à ce sujet.
- L’intimé reconnaît avoir eu confiance en M. Anctil et avoir du respect envers lui. Son bilan était très bon. D’ailleurs, il mentionne qu’au départ de M. Anctil, c’était la seule personne à qui il a organisé une fête.
- Face à la déclaration de M. Anctil qui témoigne au Conseil que M. Bebawi est venu lui porter l’enveloppe de 125 000 $, l’intimé explique que M. Anctil a posé un geste de panique. Il ajoute que lorsque M. Anctil déclare que l’intimé l’a appelé au sujet de l’enveloppe que M. Bebawi allait lui porter, ce dernier réitère que M. Anctil a eu un geste de panique.
- Explications de l’intimé, chef 12 : ne pas avoir pris les mesures nécessaires à l’égard d’appels d’offres - le cas du Pont-Jacques Cartier
- Il dit avoir rencontré qu’une seule fois M. Michel Fournier, le président de la société des Ponts lors d’une visite du Pont-Jacques Cartier en soirée. Il réfute l’idée d’avoir eu une conversation familière ou des grandes accolades avec ce dernier, ce n’est pas son style, dit-il. Il ne l’avait jamais rencontré auparavant. Il déclare ne pas avoir eu des discussions avec M. Fournier en aparté, comme le décrit M. Morin.
- Il se souvient que la soumission pour la réfection du tablier de ce pont a été analysée au niveau du BIAC. À son souvenir, tout s’est bien déroulé au stade de la soumission.
- Il réfute la déclaration de M. Bebawi selon laquelle il avait pris un engagement de payer 4 M$ à Michel Fournier. Il explique n’avoir été conscient d’aucun engagement envers M. Fournier.
- Quant au courriel du 7 mars 2002 que l’intimé a transmis à M. Bebawi, Normand Morin et plusieurs autres[260] au sujet de la répartition des profits relatifs au pont Jacques-Cartier partagée 70/30 entre Socodec (construction) et Industriel (plans et devis), il estime essentiel qu’il y ait une coordination entre ceux qui font les plans et devis et le personnel rattaché à la construction.
- Explications de l’intimé, chef 12 - tolérance eu égard au partage des contrats municipaux au Québec
- L’intimé affirme n’avoir eu aucune connaissance d’un système de partage de contrats municipaux.
- Il ajoute ne pas avoir voulu travailler avec la Ville de Laval afin de ne pas être impliqué dans ce genre de système. Il se rappelle d’une discussion, d’une rencontre, avec M. Anctil et M. Morin et il avait été décidé de ne pas être partie à aucune entente de ce genre.
- Il précise qu’au sein de SNC-Lavalin, le génie général « c’était petit. »
- Il dit avoir été surpris lorsqu’il a été mis au courant du témoignage de M. Cadotte devant la Commission Charbonneau.
- Puis, le fait que SNC-Lavalin n’a pas soumissionné dans le dossier des compteurs d’eau, considérant qu’aucun délai n’avait été donné pour présenter une soumission, montre, selon l’intimé, l’absence de collusion avec la Ville de Montréal. Il ajoute : « La première fois qu’Anctil m’a exprimé un doute, ça été l’affaire des compteurs d’eau. » Il se souvient que M. Morin et M. Anctil sont venus le voir à son bureau. L’intimé dit même se rappeler des paroles de M. Anctil : « Il y peut-être des choses étranges qui se passent. »
- Contre-interrogé sur sa rencontre avec M. Anctil et M. Morin, l’intimé déclare se souvenir qu’il a été question de collusion et « qu’il y a peut-être eu des approches par d’autres ». Il précise que la rencontre n’a duré que quelques minutes, car « il ne voulait rien entendre de ça. » Toutefois, il ne peut préciser la date de la rencontre. Il réitère qu’il n’était pas question de se mêler à ça.
- Néanmoins, l’intimé reconnaît ne pas avoir parlé au Conseil d’administration d’une telle situation à la Ville de Montréal alors que deux vice-présidents exécutifs lui en avait fait part. Quant aux suivis chez SNC-Lavalin, il dit s’être fié à M. Anctil et M Morin.
- Alors que, pour les contrats à Laval, le seul fait qu’une situation douteuse lui a été dénoncée a été suffisant pour mettre fin aux opérations, pour ce qui est de Montréal, alors que ses vice-présidents exécutifs lui dénoncent une situation qui s’apparente à de la collusion, l’intimé répond simplement : « J’étais convaincu qu’on était pas partie à ça. »
- L’intimé situe sa réunion avec M. Anctil et M. Morin avant l’affaire des compteurs d’eau, cette dernière affaire étant survenue vers la fin de ses fonctions à SNC-Lavalin. Il estime que cette réunion a duré de cinq à dix minutes.
- Confronté au constat qu’à Montréal la situation de collusion a continué après sa rencontre avec ses deux vice-présidents exécutifs, l’intimé mentionne que cela l’a attristé.
- Questionné sur le fait que des contrats ont été signés par la suite avec la Ville de Montréal alors qu’il occupait son poste de président, l’intimé répond « c’est vague » et ajoute que la division en cause était petite et que les contrats n’étaient pas assez importants pour être analysés au BIAC.
- La valeur probante du témoignage de l’intimé est examinée dans le cadre des décisions rendues ci-après.
Décision - CHEF 10 : Avoir commis ou toléré des actes de collusion ou de corruption, notamment toléré ou versé, en vue d’obtenir un contrat des sommes d’argent au parti politique Union Montréal
-Arguments du plaignant
- Le plaignant invite le Conseil à retenir le témoignage de M. Anctil notamment quant à ses échanges avec l’intimé. Il rappelle que M. Cadotte et l’intimé ont confirmé l’inconfort de M Anctil à l’égard de la question du remboursement des bonis. Conséquemment, il serait illogique de penser qu’il serait à l’aise de remettre une enveloppe de 125 000 $ à Union Montréal.
-Arguments de l’intimé
- Pour l’essentiel, l’intimé analyse le témoignage de M. Anctil et conclut à son manque de crédibilité.
- Par ailleurs, il invoque n’avoir aucun souvenir d’avoir placé un appel téléphonique comme le relate M. Anctil.
-Décision du Conseil – Chef 10
- Les dispositions de rattachement, soit les articles 3.02.08, 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions, ont déjà été exposées lors de l’analyse des chefs précédents.
- Le Conseil retient le témoignage de M. Anctil. Ce dernier a été informé par M. Morin d’une demande faite par M. Bernard Trépanier pour la campagne d’Union Montréal de 2005. Celui-ci voulait que SNC-Lavalin lui remette 200 000 $.
- M. Morin a expliqué à M. Anctil qu’il n’y avait pas assez d’employés résidant sur le territoire de la Ville pour obtenir suffisamment de contributions. Ce dernier a ajouté que le montant devait être remis en liquide. Pour obtenir ce montant, une somme de 125 000 $ a été placée dans une grosse enveloppe et une fausse facture d’un montant de 75 000 $ de Morrow Communication a été préparée.
- Le Conseil retient aussi comme probant le témoignage de M. Anctil lequel relate avoir eu une conversation avec l’intimé. M. Anctil a fait valoir que le chiffre d’affaires avec la Ville de Montréal n’était que de quelques millions alors que SNC-Lavalin engendrait des revenus de plusieurs milliards et était cotée en bourse. Il lui a fait valoir que le geste de verser la somme demandée était flagrant et ne pouvait tomber dans une zone grise. M. Anctil garde un bon souvenir de la remarque de l’intimé, soit qu’il allait faire chaud dans la cuisine pour quelques semaines. Préalablement, M. Morin avait demandé à M. Anctil de relayer l’information à l’effet que le coffre de la société ne contenait pas une telle somme. L’intimé lui a répondu, de manière implicite, laissant entendre qu’il ferait un suivi. Ce dernier élément de preuve a donné lieu à un débat devant le Conseil, car M. Anctil s’est contredit en affirmant que l’intimé aurait dit qu’il s’en occuperait. Toutefois, le Conseil juge crédible l’explication de M. Anctil selon laquelle il n’a pas prononcé tel quel ces mots.
- Par la suite, M. Anctil relate que l’intimé l’appelle pour lui dire qu’on passerait le voir dans les prochaines minutes. Effectivement, M. Bebawi se présente avec une valise, sort une enveloppe en lui disant que c’est pour M. Morin. Le Conseil croit M. Anctil lorsqu’il relate avoir enfilé des gants pour mettre l’enveloppe dans une armoire de son bureau.
- De son côté l’intimé nie avoir eu cette conversation. Le Conseil juge cette affirmation peu probante pour les motifs qui suivent.
- Premièrement, selon la preuve prépondérante, peu après, M. Anctil s’est retrouvé dans son bureau avec une enveloppe contenant 125 000 $. Il est illogique que M. Bebawi soit venu lui porter cette enveloppe contenant une telle somme en liquide sans aucune raison. S’il est venu lui porter une enveloppe, c’est qu’il est probable qu’une demande lui ait été faite. Dans ce contexte, il apparaît probable que l’intimé a demandé à M. Bebawi de procéder à cette démarche.
- Deuxièmement, même s’il nie avoir été au courant de ces événements, face à la déclaration de M. Anctil, qui relate avoir reçu un appel de lui disant que M. Bebawi passerait à son bureau, il déclare que M. Anctil a eu un « geste de panique. » Cette explication étonne. L’intimé indique d’une certaine façon que M. Anctil aurait paniqué lorsqu’il a appris que M. Bebawi lui porterait la fameuse enveloppe.
- Troisièmement, l’intimé déclare qu’il aurait cessé de faire affaire avec la Ville de Montréal s’il avait été mis au courant de cette demande de contributions et cite en exemple le geste posé en ce sens pour la Ville de Laval. Or, l’intimé reconnaît avoir continué à faire des affaires avec la Ville de Montréal, et ce, même après avoir été informé par M. Anctil de la situation problématique à Montréal dans le dossier des compteurs d’eau.
- Quatrièmement, lors de l’analyse d’autres chefs, notamment le chef 13 où il est question des comptes flexibles, le Conseil juge peu probant le témoignage de l’intimé. Le Conseil a déjà indiqué, lors de l’analyse des autres chefs, que l’intimé avait une bonne mémoire de plusieurs événements contemporains, mais que celle-ci devient à géométrie variable lorsqu’il est visé par un reproche.
- Enfin, lors de son témoignage, l’intimé prend soin de préciser qu’il n’a eu aucune discussion avec M. Pierre Anctil au sujet d’une contribution en argent comptant. Lors de sa rencontre du 23 mars 2023 avec le plaignant, l’intimé ne nie pas l’existence de cette conversation, il explique plutôt ne pas s’en souvenir[261] :
M. MILLETTE :
Avez-vous déjà demandé à monsieur Anctil de, de... avez-vous déjà appelé monsieur Anctil pour lui signifier le fait que monsieur Bebawi était pour aller lui porter une enveloppe?
M. LAMARRE :
Ouais, ça je m’en souviens, je m’en souviens pas. Je m’en souviens pas. Je m’en
souviens pas.
M. MILLETTE :
C’était quand même...
M. LAMARRE :
Si monsieur Anctil l’a dit, mais moi en tout cas, là, c’est certainement pas moi qui a demandé à Bebawi de faire ça. C’est, c’est pas moi qui lui aurais demandé ça. Si monsieur Anctil le dit, c’est un gars que je respecte quand même, ça fait que je peux pas dire d’autre chose que ça.
[Transcription textuelle]
- Le témoignage de M. Anctil apparaît ainsi nettement plus probant que celui de l’intimé.
- Quant à la suite des événements, le Conseil retient que M. Morin a reçu l’enveloppe de M. Anctil. Après avoir été contre-interrogé de manière serrée en lien avec des versions contradictoires, M. Anctil reconnaît avoir demandé à M. Cadotte d’aller la porter à Union Montréal. Aux yeux du Conseil, le témoignage de M. Anctil quant aux événements qui précèdent, notamment sa discussion avec l’intimé, demeure probant.
- Le Conseil ajoute que la preuve permet aussi de retenir que cette contribution monétaire a été faite dans l’optique de ne pas exclure SNC-Lavalin des processus d’octroi des contrats d’ingénierie, comme le mentionne M. Anctil. De plus, M. Morin lui a fait valoir que le siège social de SNC-Lavalin était situé à Montréal. À ce sujet, M. Cadotte mentionne que l’objectif était d’être bien perçu des politiciens. Ultimement, il pouvait y avoir des contrats d’ingénierie accordés par la ville.
- Relativement à la fausse facture de Morrow Communications, le Conseil retient le témoignage de M. Anctil, qui croyait qu’elle était en lien avec une prestation de services. Ses explications sont logiques et cohérentes. Selon M. Morin, cette fausse facture a été préparée par M. Cadotte. La preuve prépondérante ne permet pas de retenir que l’intimé est associé à ce geste. Selon ce témoin, M. Morin était au courant que cette facture avait été préparée pour répondre à une demande d’Union Montréal.
- Vu ce qui précède, le Conseil juge que le plaignant a satisfait à son fardeau de preuve. La preuve prépondérante permet de conclure que l’intimé a eu recours à un procédé malhonnête ou douteux dans l’exercice de ses activités professionnelles.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Vu ce qui précède, le Conseil juge que l’intimé a accepté que soit versé un avantage en vue d’obtenir un contrat à la Ville de Montréal. Les témoignages de M. Anctil et de M. Cadotte sont jugés probants à ce sujet, et le plaignant a satisfait à son fardeau de la preuve.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil juge que le geste posé par l’intimé, soit d’avoir autorisé le versement d’une somme d’argent à Union Montréal, est contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession d’ingénieur.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- En application de la règle qui interdit les condamnations multiples[262], le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
Décision : CHEF 13 - Avoir négligé de prendre des mesures afin d’empêcher la mise en place d’un système de remboursement à des employés de contributions électorales
-Argumentation du plaignant
- Le plaignant se réfère à des témoignages, en particulier à ceux de M. Anctil, M. Novak, M. Laramée et M. Bebawi.
- La preuve démontre que le compte flexible a été utilisé pour que les membres du Bureau des présidents puissent se compenser de leurs contributions politiques au niveau fédéral. Les dépenses ayant servi à cette fin n’ont rien à voir avec les opérations de SNC-Lavalin.
-Argumentation de l’intimé
- L’intimé se réfère à une politique énonçant les valeurs de SNC-Lavalin, soit la politique « We Care/Nous veillons »[263]. Celle-ci énonce que SNC-Lavalin encourage les hauts salariés à effectuer des contributions politiques. Celles-ci n’étaient pas obligatoires et avaient un but philanthropique.
- L’intimé se réfère, pour l’essentiel, aux mêmes témoignages que ceux du plaignant.
-Décision du Conseil - Chef 13
- La disposition de rattachement du chef 13, soit l’article 59.2 du Code des professions, est exposée dans les chefs précédents.
- Comme déjà mentionné, le Conseil retient le témoignage de Mme Nyisztor, qui a retrouvé dans les bureaux de SNC-Lavalin une enveloppe contenant des contributions politiques de vice-présidents et de leurs épouses et des rapports de dépenses de ces mêmes vice-présidents.
- En particulier, dans le cas de M. Michael Novak, un rapport de dépenses personnelles pour un voyage en Italie comporte la mention « maximum remboursable 10 000$ $»[264].
- Comme plus amplement expliqué ci-après, le Conseil juge que la preuve prépondérante permet de retenir que le « compte flexible », octroyé aux dirigeants de SNC-Lavalin pour le remboursement de dépenses personnelles, a été utilisé pour compenser les contributions politiques, et ce, à la connaissance de l’intimé. Comme déjà exposé lors de l’analyse du témoignage de M. Novak, il y a suffisamment d’éléments pour établir ce lien.
- Le Conseil tient compte de la déclaration faite par M. Laramée le 20 octobre 2016 au Bureau du Commissaire aux élections fédérales[265]. Selon cette déclaration, même si normalement le compte flexible n’était conçu que pour le remboursement indirect de contributions politiques, l’intimé avait fait comprendre aux membres du Bureau des présidents que certaines dépenses personnelles pouvaient être absorbées à cette fin :
M. GILLES LARAMÉE:
Ça voulait dire que tu peux mettre des choses qui sont d’une nature personnelle dans ton compte flexible, étant donné qu’on te demande de faire des choses au niveau contributions politiques assez substantielles.
-p. 16
M. RÉJEAN LABONTÉ:
C'était quoi le contexte, Monsieur Laramée, que cette réponse de Monsieur Lamarre a été suscité? Qu’est-ce qui est arrivé avant cette réponse qui a suscité cette...
M. GILLES LARAMÉE:
Ben, probablement que y avait eu la question par rapport à dire... là on nous demandait aux membres du Bureau des présidents puis on demandait aussi probablement que les femmes de chaque membre du Bureau des présidents contribuent à des contributions politiques, et en conséquence, les gens ont sûrement dit, « Ben, qu’est-ce qu’on fait avec ça là? Vous
-p. 17-
nous demandez de l'argent, qu’est-ce qu’on fait? » Puis la réponse de Jacques Lamarre a été, « Ben, vous avez votre compte flexible. »
M. RÉJEAN LABONTÉ:
O.k. Juste pour éclaircir, est-ce que quelques minutes avant cette déclaration de Monsieur Lamarre, y avait un message qui s’était fait à savoir... sollicitant des contributions politiques de la part des membres présents?
M. GILLES LARAMÉE: C'est ce que je pense, parce que la phrase de dire... la phrase que je me souviens, « Vous avez le compte flexible pour les contributions politiques », faut que ça s’apparente à un préambule. Il aurait pas dû juste dire ça pour ça, préambule étant là, « Vous devez payer », puis là lui il rajoute, « Ben, quand même on veut pas vous étouffer complètement, vous avez votre compte flexible. »
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Est-ce que vous vous souvenez... est-ce que j’ai bien compris que c'est un individu en particulier qui avait posé une question?
M. GILLES LARAMÉE:
Je me souviens plus qui a posé la question. Puis je me... c'était peut-être même pas une question, c'est peut-être Normand Morin qui faisait état qui devait contribuer combien.
M. RÉJEAN LABONTÉ:
Comment... vous semblez avoir des souvenirs flous ou imprécis de cet évènement-là?
-p.18-
M. GILLES LARAMÉE:
C'est flou et imprécis. La seule chose que je me souviens, c'est le dire de Monsieur Lamarre qui – ça je me souviens clairement – qui dit, « Vous avez votre compte flexible pour mettre des choses. »
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- Devant le Conseil, M. Laramée dit qu’à sa connaissance, il y a eu une forme de remboursement des contributions politiques. Il donne comme exemple des dépenses qui n’auraient pas dû être remboursées dans le compte flexible, une peinture pour Mme Marylynne Campbell et un voyage de M. Michael Novak en Italie alors qu’il est accompagné de son épouse et de sa famille.
- Le Conseil tient également compte du témoignage de M. Bebawi lequel relate que lui et sa conjointe de l’époque ont effectué une contribution politique de 5 000 $ chacun. Ce témoignage est corroboré par la preuve documentaire[266]. Il relate que le montant de 10 000 $ devait être indirectement remboursé au moyen d'un compte de dépenses sur présentation de reçus pour des dépenses personnelles. Ce volet du témoignage de M. Bebawi est retenu.
- Par ailleurs, le Conseil juge peu crédible la version de l’intimé. Comme déjà exposé, il mentionne n’avoir aucun souvenir du remboursement du voyage en Italie de M. Michael Novak. Or, pour un autre employé de SNC-Lavalin, il fournit un grand nombre de détails. De plus, il apparaît davantage probable que l’intimé ait demandé aux membres du Bureau des présidents de verser une contribution politique. Cette demande s’est même étendue aux épouses de ces derniers et s’est répétée sur plus d’une année. Il apparaît peu probable que l’intimé n’ait conservé aucun souvenir considérant la nature du sujet, soit les contributions aux partis politiques par les hauts dirigeants de l’entreprise.
- Le Conseil juge que cette conduite de l’intimé, soit d’avoir fait comprendre à des membres du Bureau des présidents que le compte flexible pouvait être utilisé en contrepartie du paiement de contributions politiques, est contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession d’ingénieur.
- Le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Décision : CHEF 11 - Avoir été impliqué ou en ne pouvant ignorer un système de prête-nom pour financer les partis politiques
-Arguments du plaignant
- Le plaignant se réfère à ce qu’il considère être un aveu de l’intimé ainsi qu’aux divers témoignages.
-Arguments de l’intimé
- L’intimé reconnaît qu’il était connu que les « compagnies » ne pouvaient pas faire de donations politiques. D’ailleurs, il cite l’article 90 de la Loi électorale (version avril 1989)[267] laquelle prévoyait que « toute contribution doit être versée par l’électeur lui-même et à même ses propres biens. »
- L’intimé nie avoir autorisé le remboursement aux employés des contributions que ceux-ci ont faites à des partis politiques.
-Décision du Conseil -Chef 11
- Les dispositions de rattachement, soit les articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs ainsi que l’article 59.2 du Code des professions, ont déjà été exposées lors de l’analyse des chefs précédents.
- Lors de sa rencontre du 23 mars 2023 avec le plaignant, l’intimé mentionne avoir toléré que des employés de SNC-Lavalin fassent des contributions aux partis politiques[268]. La question est plutôt de savoir si ces derniers se faisaient rembourser, notamment sous forme de bonis, et si cela était toléré par l’intimé.
- Or, M. Morin et M. Cadotte expliquent qu’un employé qui versait 3 000$ recevait un remboursement sous forme de boni, lequel correspondait, grosso modo, au double de ce montant. La contribution d’un employé se faisait par un chèque personnel.
- Le Conseil retient aussi que M. Cadotte a précisé avoir eu connaissance que ce système a fonctionné de 2002 à 2009. Cette contribution était volontaire. M. Anctil a également contribué, mais sans demander de recevoir un remboursement sous forme de boni.
- Comme déjà mentionné, le Conseil retient le témoignage de M. Anctil. Or, ce dernier, à son arrivée en poste en 2005, a remis en question la légalité de ce système.
- Celui-ci a reçu de M. Morin une liste de montants à verser pour des contributions politiques. Il est allé voir l’intimé avec la liste en lui mentionnant qu’il ne croyait pas que cela était permis par la loi. Après avoir consulté le chef des Services juridiques, à la demande de l’intimé, M. Anctil a reçu comme explication qu’il n’est pas clair que le remboursement était possible.
- L’intimé a montré à M. Anctil un mémo d’un bureau d’avocat et ajouté que s’ils ne le font pas, ils seront les seuls ingénieurs à ne pas procéder ainsi. Le Conseil note que l’intimé avait cessé de faire des affaires avec la Ville de Laval en dépit du fait qu’ « il y a beaucoup de firmes qui ont continué de travailler à la ville de Laval, des avocats, des relations publiques, des sociétés d’ingénierie.[269] » L’information donnée par M. Anctil à l’intimé n’apparaît pas avoir été analysée uniformément par l’intimé, du moins en ce qui concerne le fait que des avocats avaient continué à faire des affaires avec la Ville de Laval malgré les soupçons pesant sur les façons de faire dans cette municipalité. L’intimé n'a pas demandé que SNC-Lavalin cesse de faire des affaires avec la Ville de Montréal, comme ce fut le cas pour la Ville de Laval, et ce, malgré les mises en garde de M. Anctil.
- À la lumière de la Loi électorale applicable à l’époque, déjà citée ci-haut par l’intimé, ce mémo ne pouvait pas constituer une justification d’aller à l’encontre de la loi.
- À titre d’exemple, le Conseil réfère au raisonnement tenu dans l’affaire Brodeur[270] :
[36] À l’époque des faits reprochés aux chefs 1 à 4, entre 2004 et 2007, la Loi électorale prévoit que « seul un électeur peut verser une contribution »[ et que « toute contribution doit être versée par l'électeur lui-même et à même ses propres biens ».
[37] La Loi électorale, une loi d’ordre public, édicte donc qu’une contribution politique doit être un geste personnel de l’électeur qui la donne puisqu’elle doit être versée à même ses biens personnels.
[38] Par ses gestes, Mme Brodeur a permis à Genivar de contourner la Loi électorale. En effet, en acceptant que Genivar lui rembourse les contributions qu’elle a effectuées, elle lui permet de faire indirectement unecontribution politique, alors que la Loi électorale n’autorise que les personnes physiques ayant la qualité d’électeur à faire une telle contribution.
[Références omises]
- Le témoignage de M. Anctil, dont il vient d’être question, va dans le même sens que celui de M. Cadotte. Ce dernier relate une rencontre impliquant l’intimé, lors de l’arrivée en poste de M. Anctil. À la suite d’une question posée par l’intimé lors de son contre-interrogatoire, il mentionne un épisode concernant la production des chèques de financement par les employés :
Donc, à l’arrivée de M. Anctil, il y a eu. M. Anctil a dit « faudrait peut-être revoir » …il y a eu une discussion sur la façon de faire.
Moi, je me souviens, j’avais une réunion où M. Anctil était là et M. Lamarre était là pour discuter de cette question-là. Mais, finalement, en fin de compte, ça a donné aucun changement par la suite.
- Ce témoignage de M. Cadotte apparaît crédible. Il appert que l’intimé était personnellement au courant d’un système de remboursement par SNC-Lavalin des contributions politiques faites par des employés.
- Ajoutons que M. Morin déclare que c’est l’intimé qui lui avait demandé de collecter les chèques faits par les employés de SNC-Lavalin. Il ajoute que l’intimé lui aurait promis qu’il n’y aurait pas de remboursements, mais, par la suite, il déclare avoir constaté que l’intimé lui avait « conté des histoires. » Sa frustration apparaît d’autant plus importante qu’il a été poursuivi pour ces remboursements et a reconnu sa culpabilité par la suite. Sous cet aspect des échanges avec l’intimé, la version de M. Morin apparaît crédible, car il garde un vif souvenir de cet événement et sa version apparaît cohérente et logique.
- Pour sa part, l’intimé nie avoir toléré ou autorisé les remboursements aux employés.
- Le plaignant invoque néanmoins une réponse donnée par l’intimé lors de sa rencontre[271] :
M. LAMARRE :
Puis j’encourageais ça puis je faisais ça. Puis après ça, de la même manière, on disait : bien, tu sais, il y a des partis politiques. Si tu veux faire du parti politique, fais du parti politique. Euh, après avoir payé votre impôt, avec de l’argent pour payer de l’impôt puis c’est certain, là, que ça, on a, on aurait peut-être pas dû encourager ça, mais on l’a un peu encouragé. Fait que je sais, c’était de l’argent, là, euh, après impôt...
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
- Selon ce passage, l’intimé indique avoir encouragé les personnes ayant contribué aux partis politiques. Il fait état d’un versement d’argent à l’employé pour tenir compte de l’impôt. La crédibilité et la fiabilité de l’intimé sont amoindries.
- Le Conseil juge que le plaignant a présenté une preuve prépondérante de l’infraction reprochée au chef 11. L’intimé a négligé de prendre les mesures suffisantes afin d’éviter que des employés soient remboursés de leur contribution politique. Ce faisant, l'intimé laissait en place un système qui contrevient à une loi d’ordre public laquelle prévoit qu’il appartient à l’employé de payer lui-même sa contribution à même ses propres deniers.
- À l’égard du chef 11, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Comme déjà mentionné, le Conseil considère davantage probant le témoignage de M. Anctil et de M. Cadotte que celui de l’intimé. Ce dernier a relaté, comme déjà exposé, une rencontre survenue lors de l’arrivée de M. Anctil, lequel a remis en question le système de prête-noms prévalant chez SNC-Lavalin. Or, l’intimé était présent. M. Cadotte a également expliqué que l’objectif de ce système était d’être bien perçus des politiciens et ultimement, il pouvait y avoir des contrats d’ingénierie octroyés par la Ville de Montréal.
- À l’égard du chef 11, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Pour les mêmes motifs, le Conseil juge qu’une telle conduite s’écarte gravement du comportement acceptable d’un ingénieur.
- À l’égard du chef 11, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- En application de la règle qui interdit les condamnations multiples[272], le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
Décision : CHEF 12 - Avoir négligé de mettre en place des mesures de surveillance quant aux appels d’offres ou d’éliminer des procédés malhonnêtes ou douteux
- Les dispositions de rattachement mentionnées au chef 12, soit l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions, sont exposées dans les chefs précédents.
- À la suite d’une demande de précisions, le plaignant indique que ce chef vise à la fois les activités de SNC-Lavalin aussi bien au Québec qu’en Libye[273]. Dans ce dernier cas, le plaignant réfère au modèle de contrat pour les agents commerciaux[274].
- Relativement à ce chef, le plaignant fait état de la preuve concernant le système collusionnaire exposé par M. Cadotte et celle portant sur l’appel d’offres dans le cas du pont Jacques-Cartier. De plus, le plaignant est d’avis que l’intimé a toléré le non-respect de sa propre politique visant à contrer la corruption concernant les agents étrangers[275].
- Il invoque qu’à la suite du retrait par M. Anctil du processus de soumission pour les compteurs d’eau à Montréal au motif que l’appel d’offres était « arrangé », l’Intimé n’a rien fait, bien qu’informé de la situation. Or, il savait que SNC-Lavalin avait des contrats avec la Ville de Montréal.
- L’intimé a toléré que des sommes d’argent soient versées à Union Montréal. Il s’agissait d’un avantage en vue d’obtenir un contrat.
- L’intimé est d’avis qu’il a mis en place des mesures de surveillance. Il réfère à celle concernant les agents commerciaux et à la mise en place d’un contrat standard[276]. Il se réfère en particulier au témoignage de Mme Bérubé.
- L’intimé rappelle la structure de gouvernance, car il s’agit d’un outil contribuant à surveiller l’application des directives internes visant à contrer la corruption. Il souligne le travail du Comité de régie interne et le Comité des ressources humaines de même que le code de déontologie de SNC-Lavalin. Il ajoute que les Services juridiques vérifiaient la légalité des contrats.
- Or, c’est à la suite d’un procédé sophistiqué que des dirigeants de SNC-Lavalin ont commis des fraudes dans les dossiers en Libye alors qu’ils avaient sa pleine confiance. L’intimé ajoute que, dans le cas de M. Novak, celui-ci s’est limité à « un rôle administratif sans accomplir pleinement son rôle de validation et de surveillance. » Pour l’intimé, la situation était imprévisible.
- Selon l’intimé, la preuve démontre l’absence de sa connaissance de procédés malhonnêtes ou douteux. Selon lui, il n’y avait pas d’indices tangibles de l’existence de tels procédés.
- L’intimé note que les autres volets (pont Jacques-Cartier et système de partage des contrats au Québec) se sont ajoutés au chef 12 par la divulgation de la preuve et la demande de précisions.
- Relativement à ces sujets, l’intimé se réfère aux témoignages de M. Morin et de M. Bebawi. Il conteste la version des faits de M. Morin quant à sa description de la visite du Pont-Jacques Cartier. Il conteste également la version de M. Bebawi selon laquelle il aurait demandé de mettre de côté quatre millions de dollars en faveur de M. Michel Fournier, alors président de la Société des ponts. Or, c’est plutôt M. Bebawi, M. Morin et M. Fournier qui ont fait l’objet d’accusations criminelles. Il rappelle que le jury n’a pas cru M. Morin (le jugement est en appel). L’intimé rappelle que M. Bebawi a été déclaré coupable comme déjà exposé lors de l’analyse des autres chefs, car il a été l’un des bénéficiaires des fonds détournés.
- Décision du Conseil : chef 12
- Dans un premier temps, le Conseil juge que plusieurs mesures de surveillance ont été mises en preuve par l’intimé. Pour les agents commerciaux étrangers, une politique et une convention standard étaient prévues[277]. Une équipe vérifiait les conventions avec les agents. Au Québec, plusieurs comités (régie interne, ressources humaines, vérification) étaient en place[278].
- Là où le bât blesse, c’est au niveau des constats. Malgré l’existence de mesures de surveillance, de multiples fraudes ont été commises. Comme le rapporte M. Réal Giroux, syndic, une vingtaine d’ingénieurs chez SNC-Lavalin ont été sanctionnés (dont M. Michel Labbé, M. Robert Proulx, M. Yves Cadotte et M. Pierre-Duhaime – un président et directeur général). Quant au pont Jacques-Cartier, un jury a déclaré coupable M. Morin (ce jugement est en appel). Les mesures de surveillance évoquées par l’intimé ( les comités de régie interne, de vérification et de ressources humaines) étaient pourtant en place. En ce qui concerne les agents commerciaux en Libye, l’analyse des chefs précédents montre que M. Bebawi et M. Ben Aïssa ont fait l’objet de déclarations de culpabilité. Certes, des politiques existaient. La question est plutôt de savoir si l’intimé, alors qu’il présidait SNC-Lavalin, a toléré cette situation, notamment en omettant d’exercer une surveillance appropriée.
- Dans le cas de l’analyse du chef 7 concernant le versement de millions de dollars à l’agent fictif Duvel, le Conseil a déjà expliqué que l’intimé a fermé les yeux malgré la levée d’une série de drapeaux rouges. De plus, dans le cadre de l’analyse de ce chef, le Conseil rejette le moyen de défense de l’intimé reposant sur sa référence au modèle de « distributed leadership » axé sur la confiance qu’il pouvait avoir en ses subalternes. En effet, dans le cas du dépassement du pourcentage payable à un agent, il apparaît clairement qu’il revient à l’intimé personnellement d’autoriser ou non un tel dépassement. Il ne peut « distribuer » son leadership dans un tel cas.
- Le Conseil se réfère donc à son analyse du chef 7 à ce sujet.
- Toutefois, en ce qui concerne la Libye, la preuve administrée devant le Conseil cible essentiellement le versement des commissions aux agents étrangers. Au niveau du chef 12, les appels d’offres apparaissent viser le contrat avec le client, les autorités libyennes, et non pas la convention avec les agents commerciaux étrangers. En fait, n’eussent été les précisions et les divulgations supplémentaires, la lecture de l’ensemble de la plainte, donnerait lieu à croire qu’à partir des chefs 10, la plainte semblait viser, du moins à première vue, des gestes posés au Québec. Ceci peut expliquer que la preuve ne permet pas de comprendre le mécanisme d’appel d’offres en ce qui concerne la Libye et en quoi l’intimé aurait manqué de surveillance à ce niveau. Le Conseil ne considère pas faire face à une preuve prépondérante eu égard à un défaut de surveillance quant aux appels d’offres en Libye.
- En ce qui concerne le Québec, par rapport à l’appel d’offres dans le cas du dossier du pont Jacques-Cartier, le plaignant se réfère au témoignage de M. Morin lors de la visite de ce pont en 2001. Or, ce dernier fait état uniquement de sa perception de l’attitude de l’intimé envers M. Michel Fournier pendant cette visite. Il ne rapporte aucune parole. De son côté, l’intimé rapporte différemment les faits en lien avec sa conduite avec M. Fournier.
- Aussi, relativement à l’appel d’offres en lien avec la réfection de ce pont, M. Bebawi déclare que M. Morin lui aurait demandé de mettre de côté pas moins de quatre millions au bénéfice de M. Fournier et qu’il en aurait parlé avec l’intimé, ce que réfute ce dernier.
- Le Conseil juge que le plaignant n’a pas présenté une preuve prépondérante relativement à la conduite de l’intimé en lien avec l’appel d’offres concernant le pont Jacques-Cartier. La simple perception des faits de M. Morin quant à la manière qu’aurait eue l’intimé de s’adresser à M. Fournier, lors d’une visite du pont par l’intimé, est nettement insuffisante pour amener le Conseil à conclure à un défaut de surveillance de l’appel d’offres. Quant au témoignage de M. Bebawi, outre sa version des faits, il n’y a aucun élément de corroboration pour appuyer sa version. Le Conseil doit ajouter que ce volet du témoignage de M. Bebawi n’est pas convaincant. M. Bebawi mentionne que M. Morin lui a demandé de mettre de côté une telle somme. M. Morin n’a pas fourni d’information à ce sujet lors de son témoignage. M. Bebawi ajoute que l’intimé lui aurait dit que M. Laramée allait s’en occuper. Aucune question n’a été posée à ce dernier à ce sujet lors de son témoignage. Le Conseil ne considère pas qu’une preuve prépondérante lui a été présentée eu égard à un défaut de surveillance quant à l’appel d’offres concernant le pont Jacques-Cartier.
- Dans le cas de la collusion au niveau du partage des contrats municipaux au Québec, le Conseil retient le témoignage de M. Anctil qui a informé l’intimé que, dans le cas de la Ville de Montréal dans le dossier des compteurs d’eau, le processus de l’appel d’offres lui apparaissait arrangé.
- L’intimé a reconnu que M. Anctil l’avait informé de cet élément tangible : « La première fois qu’Anctil m’a exprimé un doute, ça été l’affaire des compteurs d’eau. [sic]» De plus, l’intimé se souvient que deux vice-présidents directeurs, M. Morin et M. Anctil, ont pris la peine de se déplacer en même temps à son bureau pour discuter d’une possible collusion.
- Or, contrairement aux gestes qu’il avait posés face aux contrats avec la Ville de Laval, l’intimé n’a pris aucune mesure de surveillance. Il n’a demandé aucun suivi. Il n’a pas informé le Conseil d’administration ou ses différents comités ( gestion, ressources humaines). Rien n’indique que les comités de vérifications (interne, externe) ont été alertés. Or, l’information était loin d’être banale, tout comme à la Ville de Laval, il est question d’appels d’offres arrangés, de collusion. L’intimé a fermé les yeux sur les questions de corruption tout en sachant que SNC-Lavalin continuait à obtenir des contrats avec la Ville de Montréal.
- L’intimé ne peut se réfugier derrière le fait que la division en cause était toute petite et qu’il ne parlerait quand même pas parler au personnel de cette division. L’introduction au Code de déontologie et de conduite des affaires chez SNC-Lavalin[279], laquelle est signée par l’intimé, relève que cette entreprise a « toujours accordé beaucoup de prix à son intégrité et sa réputation. » Cette valeur ne dépend ni de la grosseur de la division ni de l’importance des contrats. Selon le Conseil, face à une situation de possible collusion portée à son attention de la manière ci-haut décrite, l’intimé ne pouvait simplement dire qu’il « ne voulait rien entendre de cela. » Il était le chef de l’entreprise et il n’a posé aucun geste tout en sachant que SNC-Lavalin continuait à faire affaire avec la Ville de Montréal.
- Vu ce qui précède, le Conseil juge que l’intimé a toléré que SNC-Lavalin se prête à des procédés malhonnêtes ou douteux. La mise en place de mesures implique nécessairement que des moyens seront pris pour assurer leur application.
- Relativement au chef 12, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs.
- Le fait d’avoir toléré et d’avoir omis de prendre des mesures face à une information tangible concernant la collusion à la Ville de Montréal constitue un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession d’ingénieur. Cette conduite s’écarte gravement de celle qui est acceptable.
- À l’égard du chef 12, le Conseil déclare l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- En application de la règle qui interdit les condamnations multiples[280], le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.
CHEF 14 : Avoir intimidé et s’en être pris physiquement à Pierre Anctil
Les témoignages
- Comme déjà mentionné, à quelques reprises, M. Anctil relate avoir eu des échanges vigoureux à l’égard de certains dossiers. Selon M. Anctil, l’intimé pouvait manifester des colères et devenir rouge.
- Il relate qu’en lien avec le dossier de l’autoroute 407, en 1999, il y a eu une discussion musclée au sujet d’un investissement. M. Anctil précise s’être fait « engueuler » par l’intimé. L’intimé lui aurait dit « Je veux que tu fasses ça. » M. Anctil aurait répliqué : « J’ai pas l’intention de faire ça. »
- L’intimé aurait répliqué : « Tu vas faire ça », en le touchant au thorax. Ils se tenaient alors à une distance de 30 centimètres l’un de l’autre et l’intimé avait le visage rouge. M. Anctil avait le dos contre un mur.
- M. Anctil lui aurait demandé de prendre une grande respiration.
- Quelques jours plus tard, l’intimé lui dit : « Des fois on s’énerve à rien. » M. Anctil tient à préciser qu’il n’a jamais envisagé de porter plainte contre l’intimé à ce sujet. Il se dit même surpris qu’un chef de plainte vise ce qu’il considère être une anecdote, et que l’événement ne lui avait « pas fait une grosse impression. »
- Le témoignage de M. Anctil est probant. Il conserve un excellent souvenir de l’événement qu’il rapporte avec précision.
- L’intimé se dit très surpris d’être visé par ce chef d’infraction.
- Il considère avoir eu une bonne relation avec M. Anctil et ajoute qu’il le respecte. Il relate qu’au départ de M. Anctil de SNC-Lavalin, il l’avait invité chez lui. Il s’agit du seul à voir reçu semblable invitation.
- Il ajoute que le geste reproché, soit avoir intimidé M. Anctil et de l’avoir attaqué physiquement, ne peut pas avoir eu lieu. Cela ne correspond pas à sa personnalité.
- Il ne conserve aucun souvenir d’avoir posé le geste reproché.
- L’intimé déclarant ne conserver aucun souvenir, le Conseil ne peut accorder une force probante à une version des faits qu’il n’est pas en mesure de relater.
- Le plaignant se réfère à la version de M. Anctil. Même si ce dernier prend soin de préciser qu’il n’a pas été traumatisé par le geste de l’intimé, il est d’avis que cela constitue un acte contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession.
- Pour sa part, l’intimé note que l’événement n’a pas laissé une grande impression sur M. Anctil. Tout au plus, il s’agit d’un écart mineur de conduite qui ne revêt pas le niveau de gravité requis pour constituer une infraction déontologique.
- Décision du Conseil - Chef 14
- La disposition de rattachement, soit l’article 59.2 du Code des professions, est déjà énoncée plus haut.
- Le Conseil retient le témoignage de M. Anctil, qui conserve un souvenir clair des événements. À l’inverse, l’intimé dit n’avoir aucun souvenir. Son témoignage n’est pas retenu.
- Par ailleurs, l’intimé a décrit son style comme étant celui d’une « mère de famille », ce qui surprend quelque peu considérant les témoignages de M. Anctil et de M. Bebawi qui mentionnent que l’intimé pouvait se fâcher et être « coloré ».
- Le Conseil juge que, selon ce qui est relaté par M. Anctil, le geste d’avoir touché le thorax de ce dernier, constitue tout au plus un incident plutôt mineur. À la lumière de la preuve, le Conseil considère comme exagéré d’associer le geste reproché à une « attaque ».
- Le Conseil rappelle qu’il faut distinguer entre un comportement qui n’est pas souhaitable et celui qui se situe en dessous du comportement acceptable. Seul ce dernier peut constituer une faute déontologique[281]. De plus, il faut rechercher si le comportement visé par la plainte s’écarte gravement de la norme de conduite applicable[282].
- Le Conseil juge que, dans le présent cas, le geste reproché n’est pas contraire à l’honneur ou à la dignité de la profession ou à la discipline des membres. Même s’il n’est pas indiqué pour un supérieur immédiat de poser un tel geste, dans le contexte décrit par M. Anctil, le Conseil ne peut conclure à une conduite qui s’éloigne gravement de celle qui peut être attendue d’un ingénieur en situation de gestion.
- En conséquence, le Conseil acquitte l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- Le Conseil doit-il permettre le dépôt du Rapport du groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction du 30 août 2011, pièce I-45 et la lettre du 13 mai 2011 portant sur le Comité de consultation de l’industrie de la construction, pièce I-44?
- Afin de démontrer qu’il se conduit de manière intègre, l’intimé déclare avoir transmis une lettre le 3 novembre 2010[283] au cabinet du premier ministre du Québec concernant les difficultés rencontrées dans l’industrie de la construction. Il suggère la mise en place d’une commission d’enquête.
- Le plaignant s’oppose au dépôt, par l’intimé, du « Rapport du Groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction » du 30 août 2011[284]. Il s’oppose également à la production d’une lettre du 13 mai 2011 en lien avec le même sujet, soit le Comité de consultation[285].
- Par ailleurs, le plaignant ne s’est pas opposé au dépôt de la Loi éliminant le placement syndical et visant à l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction[286].
Arguments des parties
- Le plaignant invoque l’absence de pertinence et note que ce rapport est postérieur de plusieurs années aux faits en litige dans le présent dossier. Il ajoute que le plaignant n’a pas à faire une preuve d’intention.
- De son côté l’intimé argue qu’il s’agit de la suite logique de la lettre du 3 novembre 2010. Il invoque être en droit de chercher à appuyer sa crédibilité. Il argue qu’un intimé peut présenter une preuve de bonne réputation si celle-ci est directement un fait litigieux[287].
Décision
- À l’audience, le Conseil a mis cette objection sous réserve.
- En droit criminel, un accusé peut présenter une preuve de moralité si une telle preuve est pertinente[288]. Outre l’affaire P.C. c. Leroux, il a déjà été énoncé qu’en droit disciplinaire, un professionnel peut lui-même mettre en cause sa moralité[289].
- Dans le présent dossier, il faut tenir compte du fait que le rapport de 2011 du groupe de travail constitue en quelque sorte une suite logique de la lettre du 3 novembre 2010. Or, cette lettre a été admise en preuve, et ce, sans opposition.
- Vu ce qui précède, le Conseil permet la production de la lettre du Rapport du groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction du 30 août 2011, (pièce I-45) et de la lettre du 13 mai 2011 portant sur le Comité de consultation de l’industrie de la construction (pièce I-44).
- Il appert de cette preuve que l’intimé a participé à titre de commissaire au groupe de travail et n’a pas été rémunéré pour cette participation. Cette démarche a mené le gouvernement à présenter une loi qui a été sanctionnée en 2011.
- Le Conseil ajoute toutefois que cette preuve à un impact très limité dans l’analyse de ce dossier. Ces deux documents au dépôt desquels le plaignant s’est opposé sont nettement postérieurs aux faits en litige. Même si cette preuve peut jouer favorablement au niveau de la bonne réputation de l’intimé, elle s’avère d’une utilité minimale pour l’analyse des reproches formulés dans la plainte disciplinaire.
C) Le Conseil doit-il accueillir la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé?
- Les délais mis par le plaignant dans ce dossier
- Le plaignant est questionné par l’intimé au sujet du temps mis pour effectuer l’enquête.
- Celui-ci débute son emploi à l’Ordre en 2017.
- Il explique que l’Ordre a reçu des demandes d’enquête avant 2020 visant plusieurs ingénieurs. Des dossiers sont ouverts et il s’avère que l’enquête s’avère complexe.
- Plusieurs témoins sont rencontrés; certains sont détenus en prison et d’autres sont représentés par avocats. Il précise que dans le cadre de la Commission Charbonneau, quelque 80 ingénieurs sont impliqués. Cela donne lieu à un grand nombre d’enquêtes.
- Il reconnaît que, dès le 14 mars 2013, plusieurs personnes, dont M. Yves Cadotte, vice-président et directeur général de la division Transport, Infrastrucures et Bâtiment chez SNC-Lavalin, ont témoigné devant la Commission Charbonneau au sujet du système de collusion et du financement des partis politiques. Le plaignant précise toutefois qu’à cette époque, le nom de l’intimé « n’a jamais sorti. »
- En 2017, il considérait ne pas pouvoir interroger l’intimé avec l’information dont il dispose à l’époque. Il ne peut toutefois pas parler au nom de l’ensemble du Bureau du syndic.
- Il reconnaît qu’en avril 2016, les stratagèmes et l’enveloppe de plusieurs milliers de dollars remise à un responsable d’Union Montréal font l’objet de discussion. Toutefois, il ajoute que le nom de l’intimé n’est pas alors mentionné.
- Le plaignant reconnaît qu’à cette époque, d’autres dossiers sont déjà ouverts au Bureau du syndic, et ce, à l’égard d’autres dirigeants de SNC, dont M. Yves Cadotte. Des entretiens ont lieu avec ce dernier et M. Anctil en avril et novembre 2016, mai 2017 et avril 2019.
- Le plaignant reconnaît que, le 14 septembre 2017, Pierre Anctil est rencontré au Bureau du syndic où il fournit des informations au sujet du système de donations aux partis politiques prévalant chez SNC. De plus, un affidavit de ce dernier du 15 mai 2015, portant sur ce sujet, est produit à la Commission Charbonneau. Toutefois, le plaignant remarque que ces documents auxquels il est maintenant confronté n’impliquent pas l’intimé. Même si son nom a pu y être mentionné, l’information n’est alors pas suffisante pour ouvrir un dossier.
- Le 8 janvier 2020, l’Ordre reçoit une lettre non signée et non datée adressée à la présidente de l’Ordre et aux syndics[290] où il est demandé de démarrer un processus de plainte à l’encontre des anciens présidents et principaux vice-présidents de SNC, et en particulier à l’encontre de l’intimé, en lien avec des activités en Libye. Il ouvre alors une enquête concernant l’intimé.
- Le 22 juillet 2020, le plaignant reconnaît que le Bureau du syndic a pris connaissance d’une lettre du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) concernant le dossier de M. Sami Bebawi. La preuve déposée au procès de ce dernier est transmise au plaignant[291].
- Le plaignant, questionné au sujet d’une rencontre entre M. Anctil et le Bureau du syndic le 1er juin 2022, mentionne que ce dernier ne révèle rien de nouveau.
- Au sujet de la divulgation de la preuve, le plaignant rappelle avoir pris connaissance de milliers de pages et avoir divulgué à l’intimé toute la preuve même si peut-être un élément a pu avoir été involontairement omis.
- Le plaignant confirme avoir procédé à une divulgation en plusieurs étapes, notamment les 4 juillet 2023, 25 septembre 2023 et 10 novembre 2023, ainsi que les 28 février 2024, 10 mai 2024, 4 octobre 2024, 9 octobre 2024 et 18 octobre 2024[292]. Il explique que plusieurs transmissions postérieures au 4 juillet 2023 sont des réponses à des questions posées par la suite.
- Le plaignant confirme ne pas avoir rencontré les personnes suivantes pendant son enquête : M. Michael Novak (président SNC-Lavalin International Inc), Me Réjean Goulet (chef du contentieux chez SNC) et M. Gilles Laramée (vice-président directeur et chef des Affaires financières).
- Dans ce dernier cas, soit celui de M. Laramée, ce dernier a refusé de collaborer ou de participer à une rencontre. Quant à M. Ben Aïssa (vice-président directeur), le plaignant a tenté de le contacter, mais il n’est pas inscrit au tableau de l’Ordre. Dans ces deux derniers cas, le plaignant a décidé de ne pas demander d’injonction pour forcer une rencontre.
- Aux fins de son enquête, le plaignant n’a pas non plus rencontré les membres du Comité de vérification, du Comité de la santé et de la sécurité et de l’environnement, du Comité de régie d’entreprise et du Comité des ressources humaines[293].
- Le plaignant reconnaît avoir accordé une immunité[294] à M. Sami Bebawi (vice-président directeur, Infrastructures et Construction) et à M. Normand Morin[295] (vice-président directeur Infrastructures et Industriel) en échange de leur collaboration et de leurs témoignages. Le plaignant était alors informé, dans le cas de M. Morin, du jugement rendu par la Cour supérieure, lequel est porté en appel[296].
- Comme déjà mentionné, Réal Giroux est syndic au Bureau du syndic.
- Questionné par l’intimé, il fournit les informations suivantes.
- Lorsque confronté à des coupures de presse pour illustrer qu’il dispose d’informations publiques suffisantes pour ouvrir une enquête concernant l’intimé, M. Giroux explique ce qui suit.
- Pour ouvrir une enquête, ce ne sont pas toutes les informations publiées dans les médias qui deviennent pertinentes. Par exemple, certaines informations publiées ne concernent pas l’ingénierie ou des ingénieurs. Il rappelle que le Bureau du syndic tente alors de filtrer une quantité phénoménale de documents.
- Il relate que les enquêtes au Bureau du syndic s’enclenchent vers la fin de l’année 2013 et le début de l’année 2014. À compter de ce moment, et à la suite des révélations faites devant la Commission Charbonneau, l’Ordre est interpellé[297] et un budget est octroyé afin que des sommes soient allouées pour la mise sur pied d’une unité d’enquête spéciale assistée d’experts. Cette équipe a pu ainsi être « solidifiée » à la fin de l’année 2014.
- L’unité d’enquête a accumulé des témoignages. À ce stade, cela ne signifie pas qu’une plainte est déposée.
- Ainsi, même si une information concernant SNC est publiée, en 2012 ou avant cette date, cela peut être un élément pouvant être colligé par la suite dans la masse d’informations.
- D’ailleurs, lorsqu’à l’audience M. Giroux est confronté à plusieurs coupures de presse, il note qu’elles ne font pas mention de l’intimé. D’autres coupures concernent M. Ben Aïssa. M. Giroux réitère ses propos et que cette personne n’est pas un ingénieur[298]. Cette information a été considérée comme un document parmi d’autres. Par ailleurs, lors de son témoignage, M. Giroux est questionné relativement à d’autres coupures de presse, notamment en 2012 . Il réitère que, même si ces informations circulent alors dans le public, l’unité d’enquête n’est pas encore en fonction. Il précise qu’à compter de 2013 cette unité mène plusieurs dossiers de front et que de nombreux protagonistes sont en cause.
- Conséquemment, M. Giroux confirme qu’en 2012 aucune enquête n’est initiée au sujet de l’intimé, et que ce dernier n’a pas été convoqué. Lorsque l’intimé est prévenu de l’ouverture d’une enquête le concernant, cela s’est effectué par téléphone.
- Lorsqu’on lui montre une coupure de presse d’octobre 2014 indiquant que M. Ben Aïssa, un ex-cadre de SNC, est reconnu coupable, M. Giroux explique que cette information a été communiquée au Bureau du syndic vers la fin de l’année 2015 ou début 2016. Il ne peut confirmer si cette information a été colligée à l’époque en raison du nombre limité de ressources et du grand nombre de dossiers à traiter. À l’audience, il est admis par l’intimé que le jugement des autorités suisses condamnant M. Ben Aïssa n’a pas été demandé avant 2020. Le dossier criminel est suivi, sans plus. M. Giroux est longuement questionné au sujet de plusieurs coupures de presse publiées en 2015. Il explique que ce type d’information est colligée et « stationnée. »
- Il rappelle que le Bureau du syndic a ses méthodes d’enquête. Il précise que les « protagonistes sur le terrain » ont été enquêtés puis, la pyramide remontée. La preuve concernant les dirigeants peut se solidifier. Il explique qu’une enquête se bâtit par corrélations. Lorsque le Bureau du syndic croit avoir suffisamment de preuve, une plainte est déposée. Même si une coupure de presse mentionne le nom de l’intimé en 2015, il faut plus d’informations. Comme pour les autres ingénieurs, le Bureau du syndic peut, par la suite, effectuer des corrélations.
- C’est ce qui s’est produit pour 13 dirigeants à l’endroit desquels des plaintes ont été déposées entre 2016 et 2018.
- Questionné sur le dossier impliquant le président de Genivar, M. Shoiry[299], M. Giroux situe cette affaire dans son contexte. Même si les parties ont déposé un exposé conjoint des faits devant le conseil de discipline selon lequel l’enquête avait débuté en 2013, M. Giroux réitère que les activités de l’unité débutaient et ont pris de l’ampleur en 2014. Toutefois, M. Shoiry n’a pas lui-même fait l’objet d’une enquête en 2013. En 2013, l’unité a été en mesure d’accumuler des informations. D’ailleurs, à cette époque, plusieurs protagonistes viennent de témoigner devant la Commission Charbonneau. Il fallait rencontrer ces personnes pour leur poser des questions. Le syndic doit faire sa propre enquête. Quant à M. Michel Émond[300], il est l’un des premiers à être notifié en 2014. Dans le cas de Robert Proulx[301], un directeur au département municipal chez SNC-Lavalin, la plainte est déposée en juillet 2017. Pour M. Yves Cadotte[302], l’enquête s’ouvre en février 2016.
- Questionné sur le fait que M. Yves Cadotte a fait des aveux, M. Giroux insiste sur le fait que cela ne suffisait pas pour déposer une plainte à l’endroit de l’intimé. Dans le cas de Guido Benedetti[303], M. Giroux explique que le modus operandi est différent.
- Lorsqu’on lui demande qu’est-ce que le Bureau du syndic n’a pas en 2016 et qu’il obtient en 2020 à l’égard de l’intimé, M. Giroux réitère que la preuve doit être corrélée. Au fil des enquêtes, les éléments de preuve se retrouvent. Dans le cas du dossier Shoiry, le Bureau du syndic avait les ressources et des choix stratégiques sont effectués. M. Giroux maintient sa position bien qu’un représentant du Bureau du syndic a mentionné à la Commission Charbonneau que les ressources sont alors en place et que cela lui permet d’accomplir sa mission[304].
- Il n’est pas contesté que le Bureau du syndic a rencontré M. Cadotte et M. Anctil en 2016-17. M. Giroux reconnaît que les informations obtenues font partie des éléments « stationnés » concernant l’intimé et que M. Cadotte a témoigné devant la Commission Charbonneau relativement au système de partage des contrats à la Ville de Montréal. M. Giroux reconnaît aussi que dans un des affidavits de M. Anctil, il est question de l’implication de l’intimé et que le Bureau du syndic en a alors connaissance.
- M. Giroux reconnaît que ces faits sont recueillis, mais que cela ne signifie pas qu’une enquête peut démarrer. Lorsqu’il est question de collusion, la démarche est plus difficile, car il faut corréler les éléments. Ainsi, à titre d’exemple, à la Ville de Québec, la collusion impliquait huit firmes, dont SNC-Lavalin[305].
- Le témoignage de l’intimé
- Dans le cadre de l’examen des différents chefs, le Conseil a déjà fait état des affirmations de l’intimé quant à ses souvenirs et à sa difficulté à se remémorer certains détails ou événements, d’autant plus qu’il n’a plus accès à son dossier depuis qu’il a quitté ses fonctions.
- La requête en arrêt des procédures de l’intimé porte la date du 14 mai 2025. Ce dernier fait état du contexte :
-Il a aujourd’hui 81 ans;
-Il ne pratique plus comme ingénieur;
-Il a quitté SNC-Lavalin il y a plus de 16 ans;
-Les faits reprochés sont survenus il y a maintenant entre 16 et 25 ans.
- Il considère comme déraisonnables les délais encourus et estime que le syndic avait en main les informations depuis au moins 2016, l’enquête formelle ayant été déclenchée par une lettre anonyme en janvier 2020 ne contenant aucune nouvelle information[306].
- Selon l’intimé, le syndic possédait les ressources pour faire son enquête et son retard est motivé par des choix stratégiques. Dès 2013, le syndic a ouvert un « dossier de stationnement » au sujet de l’intimé. Ce dernier n’a pas été informé de cette démarche.
- En ce qui concerne les chefs en lien avec les contrats et conventions concernant la Libye, le syndic est informé de l’arrestation de M. Ben Aïssa en 2012 et que M. Sami Bebawi a été interrogé à ce sujet. Dès 2015, le syndic est informé des accusations portées par la GRC à l’encontre d’entreprises de SNC-Lavalin. En 2015, le syndic a eu connaissance des dépenses encourues par SNC-Lavalin à la suite des visites de Saadi Kadhafi au Canada.
- En ce qui concerne le Québec, dès 2013, le syndic a pu prendre connaissance de ce qui a été mis en preuve à la Commission Charbonneau, laquelle a donné lieu au « Rapport Charbonneau »[307]. Il est question de la demande de M. Trépanier de verser à un parti politique le montant de 200 000 $. L’intimé ajoute qu’un affidavit de M. Anctil fait un lien avec l’intimé.
- Selon l’intimé, le syndic a été en mesure de rencontrer M. Cadotte en 2016 et en 2017, et M. Anctil en 2017. Il a enquêté et poursuivi 80 ingénieurs, dont 5 employés de SNC-Lavalin, incluant Pierre Duhaime, le successeur de l’intimé[308]. Selon l’intimé, le syndic disposait d’un multitude d’informations et a accumulé de l’information pendant sept années. Ce qui fait dire à l’intimé que ce n’est pas par manque de ressources que le Syndic n’a pas agi plut tôt.
- L’intimé reconnaît que le présent dossier présente un degré de complexité significatif.
- Toutefois, selon lui, le délai avant le dépôt de la plainte est trop long. Une période de 10 ans serait imputable à un choix stratégique du syndic, d’autant plus que l’intimé a accepté de se soumettre à divers interrogatoires, notamment en Suisse en 2012, auprès de Sami Bebawi en 2019 et devant le plaignant en 2023.
- Or, il invoque subir un préjudice grave du fait que ses souvenirs se sont estompés et qu’il n’a plus accès aux éléments de preuve nécessaires à une défense pleine et entière.
- De plus, en raison de la couverture médiatique de l’époque, l’intimé pourrait confondre ses souvenirs avec ces informations.
- Il fait aussi état d’un préjudice psychologique, car le délai mis par le plaignant a fait en sorte que l’audience s’est tenue au moment où il était proche aidant de sa conjointe, qui est décédée en janvier 2025.
- Par ailleurs, l’intimé rappelle que, le 8 janvier 2020, le plaignant ouvre son enquête, mais il ne l’en informe que le 13 mars 2023[309].
- Quant au chef 1, l’intimé invoque ne plus avoir de souvenirs de plusieurs échanges courriel et de certaines interventions auprès des autorités canadiennes. En outre, il n’a plus en sa possession les suivis et communications de l’époque. Le délai de 23 ans lui pose un préjudice grave.
- Quant au chef 2, l’intimé est confronté à des suppositions de son ancienne adjointe. Il n’a aucun souvenir eu égard au reproche formulé en lien avec l’achat d’un manteau à Saadi Kadhafi. Il invoque le délai de 20 ans.
- La requête de l’intimé ne fait pas mention du chef 3.
- Quant au chef 4 en lien avec le séjour de Saadi Kadhafi au Canada, l’intimé fait état de sa version des faits donnée lors des audiences devant le Conseil, notamment quant au moment où il dit avoir appris la nature des dépenses encourues. Néanmoins, plusieurs détails échappent maintenant à sa mémoire et il n’a plus en sa possession les documents en lien avec ces faits survenus il y a 17 ans.
- Quant au chef 5 portant sur le fait que SNC-Lavalin a assumé le coût de rénovations du condominium de Saadi Kadhafi à Toronto, 18 ans après les faits, il n’a conservé aucun souvenir ni document.
- Quant au chef 6 portant sur une autorisation qu’il aurait donnée d’acheter un yacht à Saadi Kadhafi, l’intimé réfère à sa version des faits donnée lors des audiences tenues devant le Conseil. Il dit toutefois ne plus avoir en mémoire la teneur exacte de certaines discussions avec M. Beaudry et lors d’une rencontre le 29 septembre 2006. Il invoque le délai de 18 ans. De plus, il n’a conservé aucun document.
- Quant aux chefs 7 et 8, l’intimé se réfère à sa version des faits et à ses explications données devant le Conseil. Toutefois, relativement à certains éléments concernant certains détails portant sur Tazerbo et sur un transfert à un agent commercial (Tresca) il n’a pas de souvenirs. Il invoque le délai, soit de 16 à 24 ans, et le fait qu’il n’a pas conservé de documents.
- Quant au chef 9, l’intimé invoque n’avoir conservé qu’un vague souvenir du recours au marché privé par SNC-Lavalin. Il ajoute ne pas avoir connaissance de certains détails : comment cela est porté à son attention, la teneur précise des discussions et le détail des mesures prises pour cesser le recours au marché privé. De plus, comme déjà mentionné par ailleurs, il n’a pas conservé de documents. Il souligne un délai entre 20 et 24 ans depuis les faits.
- Quant au chef 10, il se réfère à sa version des faits selon laquelle, à l’époque, il n’a aucune connaissance de la situation reprochée, soit d’avoir versé 200 000 $ à Union Montréal. Il invoque aussi le manque de fiabilité du témoignage de M. Anctil et l’effacement de ses propres souvenirs.
- Quant aux chefs 11 et 13 concernant le système de prête-noms et de remboursement de contributions électorales, l’intimé se réfère à sa version des faits donnée à l’audience. Il invoque la faiblesse de la preuve du plaignant, l’écoulement du temps et le fait que plusieurs documents ne sont plus disponibles, car les faits remontent à un intervalle de temps de 16 à 24 ans.
- Quant au chef 12 portant sur son défaut de surveillance des directives visant à prévenir, à arrêter ou à éliminer les procédés malhonnêtes permettant le versement d’avantages financiers, l’intimé invoque ce qui suit. Il se réfère à sa version des faits concernant les événements en lien avec le projet de réfection du tablier du pont Jacques-Cartier, son incapacité à se souvenir de certains détails et les conséquences de ne plus pouvoir accéder à la preuve documentaire, surtout à l’égard du témoignage de M. Sami Bebawi. Dans ce cas, le délai couru depuis les faits est de 25 ans.
- Enfin, quant au chef 14, l’intimé explique n’avoir aucun souvenir d’avoir bousculé M. Anctil. Il se réfère de plus au témoignage de ce dernier quant à l’absence de gravité du geste que ce dernier rapporte.
- L’intimé considère que le plaignant fait preuve d’acharnement. Il souligne le caractère excessivement long et préjudiciable du délai[310].
- Il considère que le plaignant a profité de sa vulnérabilité alors qu’il s’est présenté seul devant lui lors de la rencontre.
- Il invoque une pratique douteuse lors de cet interrogatoire, soit le fait d’invoquer de prétendus courriels concernant l’achat du yacht et de ne pas les lui avoir montrés malgré une demande alors faite en ce sens.
- L’intimé ajoute que la divulgation de la preuve, comportant plus de 150 000 pages, s’est faite au compte-gouttes, dont la dernière a lieu plus de deux mois après le début de l’audience. Certains documents n’ont été divulgués qu’après le contre-interrogatoire du plaignant. La divulgation tardive de milliers de pages s’est avérée inéquitable et a donné lieu à une remise d’audience ordonnée par le Conseil.
- Il note qu’en regard du chef 12, le plaignant l’informe que ce chef vise la commission versée à des agents commerciaux en Libye, par la suite, le plaignant mentionne que ce reproche vise également des faits ayant fait l’objet d’enquêtes lors de la Commission Charbonneau.
- Il assimile ce comportement à de la désinvolture.
- L’intimé invoque qu’il s’agit d’un cas exceptionnel, parmi les plus rares, justifiant la seule réparation possible, soit l’arrêt des procédures.
- Selon le plaignant, l’arrêt Jordan[311] ne s’applique pas en droit disciplinaire, il faut plutôt se référer à l’arrêt Abrametz[312]. Il ajoute que, de toute façon, les délais préinculpatoires n’ont pas à être considérés en droit criminel[313].
- En droit disciplinaire, le professionnel doit démontrer un empêchement réel à se défendre[314]. Selon le plaignant, l’arrêt Champage[315] cité par l’intimé ne modifie pas ces règles.
- Il ajoute que le Conseil n’a pas à se pencher sur la manière dont il a mené son enquête[316].
- La mémoire de l’intimé
- Le plaignant relève que l’intimé est en mesure de se souvenir avec précision de nombreux événements contemporains à la période en litige. La nature des reproches, soit les procédés malhonnêtes ou douteux, ne requiert pas que l’intimé garde en mémoire tous les détails techniques. Le plaignant note avoir fait entendre 13 témoins ayant vécus les faits de l’époque. Or, ceux-ci ont livré leurs témoignages, et ce, avec beaucoup de détails. Il rappelle que l’intimé a déclaré avoir été en mesure de présenter sa version des faits devant la Commission Charbonneau, dont les travaux débutent en 2012, et lors du procès de M. Bebawi en 2019.
- La perte de preuve documentaire
- Lors des travaux de la Commission Charbonneau et lors de l’arrestation de M. Ben Aïssa en Suisse, l’intimé mentionne avoir été en mesure de témoigner sur les événements survenus au Québec et en Libye, et ce, plusieurs années après son départ de SNC-Lavalin. Lorsqu’un professionnel quitte son emploi, cela n’infère pas qu’il laisse derrière lui son témoignage.
- L’intimé ne fait la preuve d’aucune démarche qu’il aurait prise auprès de SNC-Lavalin ou d’Atkins Réalis pour obtenir des documents. Il ne produit aucune lettre de refus ou l’informant que des documents sont détruits. À la connaissance du plaignant, il ne transmet aucune assignation à comparaître à qui que ce soit. Il ne présente aucune preuve que des témoins clés n’ont pu être entendus en raison des délais écoulés.
- Le plaignant rappelle la nature des reproches, car il est question de gestes de tolérance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de la collusion ou de la corruption.
- L’intimé n’a pas satisfait à son fardeau de démontrer un préjudice réel en ce qu’il est empêché de se défendre en raison de la perte de preuves documentaires.
- La conduite du plaignant
- Le plaignant invoque les critères développés en droit disciplinaire depuis l’arrêt Babos[317].
- Pendant l’enquête, le plaignant rencontre l’intimé. Celui-ci ne peut invoquer un droit au silence, contrairement au droit criminel. Lors de cette rencontre, un avocat de l’intimé ne peut s’opposer aux questions posées, contrairement au droit civil. Les propos du plaignant vont dans cette direction.
- Quant aux techniques d’interrogatoire, comme déjà mentionné, le Conseil n’a pas compétence sur la façon dont le syndic mène son enquête.
- Le plaignant rappelle que l’intimé a bénéficié des garanties relevant de l’équité procédurale. Ainsi le Conseil a prononcé une décision à l’égard de sa demande de précisions et de divulgation de preuve[318]. L’intimé obtient également une remise à la suite d’une divulgation de preuve complémentaire. Par la suite, il ne demande aucune autre remise en lien avec la divulgation de la preuve. Il dépose une cinquantaine de pièces et témoigne pendant trois jours lors de l’audience au fond devant le Conseil.
- Le plaignant note que l’intimé demande, en janvier 2025, une copie complète des documents mentionnés dans une lettre émanant du Directeur des poursuites criminelles et pénales qui lui a été divulguée en juillet 2023. Ayant en main cette lettre, il devait également, en défense, faire preuve de diligence[319]. Le même raisonnement prévaut pour la lettre anonyme divulguée également en juillet 2023[320].
- Il invoque que le présent dossier est complexe et que s’il y a eu des oublis dans la divulgation de la preuve ou que des éléments ont été divulgués plus tard à la suite d’une demande de l’intimé, cela ne peut justifier un arrêt des procédures en l’absence d’un préjudice sérieux et irrémédiable.
- Quant à la multiplication des reproches invoquée par l’intimé, cet argument ne repose sur aucune base sérieuse, pas plus que l’allégation relative au comportement oppressif du plaignant. L’intimé invoque le décès de son épouse survenu pendant le procès. Le plaignant ne veut pas minimiser l’impact de cette situation, toutefois, le remède a consisté à annuler des journées d’audience.
- D’un part, le plaignant considère qu’il n’a pas adopté une conduite choquant le sens du franc-jeu et de la décence de la société. Même s’il fallait tenir pour acquis que le Conseil doit procéder à une mise en balance des avantages et des inconvénients, soit le troisième test de l’arrêt Babos, la nature des reproches et la gravité des manquements font en sorte que la société a intérêt à ce que les chefs d’infraction soient jugés au fond.
- La décision du Conseil à l’égard de la demande d’arrêt des procédures
Les principes de droit
- En droit criminel, la jurisprudence enseigne que l’arrêt des procédures constitue le recours ultime sur lequel peut se rabattre un tribunal lorsque les droits d’un justiciable sont violés de façon irrémédiable.
- Il y a lieu de se référer à l’arrêt R. c. Babos[321], où la Cour suprême s’exprime ainsi:
[30] L’arrêt des procédures est la réparation la plus draconienne qu’une cour criminelle puisse accorder (R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, par. 53). Il met un terme de façon définitive à la poursuite de l’accusé, ce qui a pour effet d’entraver la fonction de recherche de la vérité du procès et de priver le public de la possibilité de voir justice faite sur le fond. En outre, dans bien des cas, l’arrêt des procédures empêche les victimes alléguées d’actes criminels de se faire entendre.
[31] La Cour a néanmoins reconnu qu’il existe de rares cas — les « cas les plus manifestes » — dans lesquels un abus de procédure justifie l’arrêt des procédures (R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 68). Ces cas entrent généralement dans deux catégories : (1) ceux où la conduite de l’État compromet l’équité du procès de l’accusé (la catégorie « principale »); (2) ceux où la conduite de l’État ne présente aucune menace pour l’équité du procès, mais risque de miner l’intégrité du processus judiciaire (la catégorie « résiduelle ») (O’Connor, par. 73). La conduite attaquée en l’espèce ne met pas en cause la catégorie principale. Elle fait plutôt nettement partie de la deuxième catégorie.
[32] Le test servant à déterminer si l’arrêt des procédures se justifie est le même pour les deux catégories et comporte trois exigences :
(1) Il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice qui « sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue » (Regan, par. 54);
(2) Il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte;
(3) S’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et « l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond », d’autre part (ibid., par. 57).
- Dans l’analyse de cette mise en balance, en particulier des circonstances et de l’évaluation des intérêts opposés, le Conseil est appelé à tenir compte de la nature des infractions reprochées[322].
- Soulignons dès à présent que, dans le présent cas, le Conseil en est déjà venu à la conclusion que l’intimé a été déclaré coupable de plusieurs infractions en lien avec le défaut d’avoir prévenu, d’arrêter ou d’éliminer des procédés malhonnêtes ou douteux, notamment le versement d’avantages financiers. Cette conclusion s’inscrit dans un contexte de collusion et de corruption. C’est donc à la lumière d’infractions de haute gravité que la troisième étape du texte exposé ci-haut devra s’effectuer, le cas échéant.
- Ce test est appliqué en droit disciplinaire avec, comme conséquence, que l’arrêt des procédures est considéré comme un remède exceptionnel qui n’est accordé que dans des cas exceptionnels, lorsqu'il n'existe aucune autre solution de rechange[323].
- Le Conseil note que la requête en arrêt des procédures est présentée à la fin du procès. Cette façon s’inscrit dans le cadre des enseignements de la Cour Suprême et permet au Conseil d’avoir une meilleure vue de l’ensemble du dossier[324] :
[144] La Cour a formulé des directives voulant qu’une requête en arrêt des procédures doive normalement être présentée à la fin de l’instruction : R. c. La, 1997 CanLii 309(CSC), [1997] 2 R.C.S. 680, par. 27; voir également l’arrêt R. c. Clement (2002), 2002 CanLII 44951(On CA), 166 C.C.C. (3d) 219 (C.A. Ont.), par. 14. Selon le raisonnement de la Cour, le juge du procès qui se prononce sur une requête pour abus de procédure à la fin de l’instance seulement dispose alors d’un dossier de preuve complet, en fonction duquel il peut évaluer le préjudice causé par la conduite abusive et déterminer la réparation qu’il convient d’accorder dans les circonstances.
La conduite du plaignant et le droit à l’avocat
- Lors de la rencontre du 23 mars 2023 entre l’intimé d’une part et le plaignant, l’enquêteur Vandal et Me Lanctot, d’autre part, il est question du droit à l’avocat[325] :
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M. MILLETTE :
[…] Concernant la présence d’un avocat, euh, je vous en fais quand même part parce qu’on en a discuté, hein, lundi dernier, le 13 mars dernier; on en a discuté à deux reprises. J’avais eu votre point de vue et votre réponse à cet égard-là, mais je vous le rappelle quand même. Bon, seul le membre doit répondre. Si vous étiez en présence d’un avocat, c’est que seul le membre doit répondre aux questions du syndic adjoint ou de la personne le représentant. Un avocat peut accompagner le membre, mais ne répond pas pour son client. Le témoin peut consulter son avocat pour les aspects juridiques avant de répondre, mais il a néanmoins l’obligation de répondre aux questions. Un avocat ne peut pas répondre à la place du membre visé et parce qu’il est présent, il peut être assigné comme témoin. Alors comme je vous avais expliqué, c’est, vous auriez pu être accompagné, être représenté par un avocat, mais vous êtes dans l’obligation de répondre à nos questions comme telles.
M. LAMARRE : Bien pour le moment, j’ai pas d’avocat. Ça fait que…
M. MILLETTE : On comprend. Vous êtes toujours à l’aise avec ça?
M. LAMARRE : (rires) C’est, s’il a pas droit de parole, ça me donne rien d’en trouver un. Puis il y a des frais, il y a des frais énormes associés avec ça. Ça fait que pour moi, là, je veux dire euh, je vous fais confiance.
M. MILLETTE :
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De toute façon, je vous dirais que c’est plutôt rare, en connaissance de cause, que les membres sont accom… sont accompagnés, représentés par un avocat en entrevue. C’est beaucoup plus lors du dépôt d’une plainte, s’il y a lieu, là c’est là que les membres, les intimés, vont être représentés par avocat.
M. LAMARRE : Puis là, il a le droit de parole à ce moment-là, l’avocat?
M. MILLETTE :Oui.
[...]
M. LAMARRE : OK.
M. MILLETTE : Oui. Devant une audience, devant, en audience, oui évidemment. C’est un peu comme les, les, c’est un peu comme dans un cour au niveau civil…
M. LAMARRE : Puis là, l’audience se fait devant qui à ce moment-là?
M. MILLETTE : C’est un Conseil de discipline.
M. LAMARRE : OK.
M. MILLETTE : Mais là, on n’en est pas rendu là aujourd’hui.
M. LAMARRE : Non, non, non, OK.
M. MILLETTE : Aujourd’hui, c’est une entrevue.
M. LAMARRE : Non, non.
Page 46
M. MILLETTE : On veut vérifier des faits avec vous.
M. LAMARRE : OK.
M. MILLETTE : Ça vous va?
M. LAMARRE : Oui.
[Transcription textuelle]
- Le Conseil est d’avis que la conduite du plaignant ne constitue pas une atteinte à l’intégrité du système disciplinaire. Selon les notes sténographiques de l’entrevue, le plaignant indique avoir déjà discuté le 13 mars 2023 de la question du droit à l’avocat. Lorsque l’intimé se présente à l’entrevue du 23 mars 2023, c’est le plaignant qui lui rappelle ce fait. Ainsi, l’intimé est informé de son droit à l’avocat. En outre, le plaignant lui rappelle ce droit d’en consulter un.
- La rencontre avec un syndic pendant une enquête n’est pas un procès. En ce sens, les explications données à l’intimé sont correctes : l’avocat peut être consulté, mais il ne peut répondre en lieu et place de l’intimé. L’intimé a choisi de procéder sans avocat en raison du fait que ce dernier ne peut répondre à sa place au stade de l’enquête du syndic.
- Quant au fait que, lors de l’entrevue, le Bureau du syndic tente de faire réagir l’intimé en invoquant des courriels qui n’ont jamais été divulgués, il s’agit d’une méthode d’enquête et le Conseil n’a pas à intervenir sur le choix d’une méthode ou de l’autre[326].
- Lorsque le comportement reproché fait partie de la catégorie résiduelle au sens de l’arrêt Babos, comme c’est le cas en l’espèce, ce n’est que s’il choque le sens du franc-jeu de la décence de la société qu’il justifie un arrêt des procédures[327].
- La conduite du syndic ne correspond pas à cette description.
- La mémoire de l’intimé et la capacité à se défendre
- Dans le cadre du chef 1 (démarches d’obtention d’un visa pour un des fils Kadhafi), le Conseil a expliqué qu’il ne croyait pas l’intimé lorsqu’il a affirmé avoir des difficultés à se remémorer les démarches qu’il aurait pu avoir effectuées, ou qui ont été effectuées sous son autorité, à la suite de ce courriel, puisque l’enjeu est de taille : la difficulté pour ses travailleurs canadiens d’obtenir des visas pour effectuer les travaux très importants en Libye. Il ne s’agit pas d’un événement anodin, même s’il remonte à 2002. En outre, comme déjà mentionné, l’intimé a fourni plusieurs informations au sujet d’autres dossiers remontant à une époque lointaine. Le Conseil ne croit pas que ses souvenirs se soient effacés quant à ces événements.
- Dans le cas du chef 2 (achat d’un manteau à un des fils Kadhafi), le Conseil n’a pas retenu l’explication fournie par l’intimé selon laquelle les « sponsors » ont payé le manteau. Le Conseil note que du même souffle l’intimé invoque n’avoir aucun souvenir. Le Conseil en conclut que, sous cet aspect, sa crédibilité est minée.
- Dans le cas du chef 3 ( exposition d’œuvres d’art à Montréal incluant des peintures d’un des fils Kadhafi), l’intimé a été en mesure de fournir moult détails de ces événements survenus au cours de l’année 2005.
- Dans le cas du chef 4 (dépenses en lien avec la visite d’un des fils Kadhafi), encore là, l’intimé a été en mesure de fournir des explications détaillées. Il se souvient très bien de la nature de certaines dépenses, des formations qui ont été organisées et du fait que la facture de Garda est très élevée.
- En ce qui concerne le chef 5 (coût des rénovations d’un condominium d’un des fils Kadhafi), le Conseil a jugé improbable que l’intimé n’ait conservé aucun souvenir des faits liés à la rénovation du condominium considérant l’importance du visiteur libyen et la déclaration de M. Laramée qui relate avoir abordé le sujet des rénovations du condominium directement avec l’intimé. Le Conseil juge peu crédible la version de l’intimé selon laquelle il ne conserve aucun souvenir à ce sujet. Selon M. Laramée, la somme d’un peu plus de 200 000$ apparaît en même temps que le montant de près de deux millions de dollars pour des dépenses liées à Saadi Kadhafi.
- Quant au chef 6 (achat d’un yacht), tout comme pour les chefs 4 et 5, l’intimé a été en mesure d’expliquer que cet achat n’a pas été porté à sa connaissance.
- Quant aux chefs 7 et 8, le Conseil a noté que l’intimé possède une bonne mémoire relativement à d’autres affaires de la même époque, notamment le projet BreX en Indonésie. Lors de son témoignage, l’intimé explique en détail la façon dont il a redressé la situation. Relativement aux politiques et "guidelines", il n’invoque pas de problème de mémoire. Il argue avoir fait confiance à ses subalternes. Dans le cas du marché noir (chef 9), il invoque initialement de vagues souvenirs, puis il reconnaît avoir fait affaire avec un « marché privé ».
- Dans le cas des chefs 10 et 13, le Conseil a jugé que l’intimé possède une bonne mémoire de plusieurs événements contemporains, mais que celle-ci devient à géométrie variable lorsqu’il est visé par un reproche. Eu égard au reproche en lien avec l’utilisation des comptes de dépenses de hauts dirigeants (pour absorber le montant de leur contribution politique) l’intimé n’invoque pas un problème de mémoire, il argue plutôt la présence d’un malentendu. Il donne moult détails relativement à un compte de dépenses d’un dirigeant pour un voyage à Mumbai, mais invoque avoir des problèmes de souvenirs lorsqu’il se voit confronté à une preuve documentaire en lien avec un voyage de M. Novak en Italie avec sa famille, ce remboursement ayant été limité à hauteur de la contribution au parti politique de ce dirigeant et de son épouse, les comptes de dépenses et les photocopies des chèques de contributions se retrouvant d’ailleurs dans une même enveloppe. Le Conseil a jugé peu crédible la version de l’intimé. Dans le cas du chef 12, sous le volet de la collusion au niveau du partage des contrats municipaux l’intimé reconnaît que deux directeurs l’ont avisé d’un problème de collusion à Montréal. Encore là, sa défense ne repose pas sur un manque de souvenir, mais plutôt sur le fait qu’il s’est fié à ses subalternes pour poser des gestes.
- .Le Conseil est sensible au fait que les reproches remontent à plus d’une vingtaine d’années. Toutefois, après avoir entendu son témoignage, le Conseil considère que l’intimé conserve en mémoire les faits contemporains pertinents. Il a été en mesure de se défendre à l’encontre des reproches formulés dans la plainte disciplinaire.
- Le Conseil note, comme le plaignant l’a d’ailleurs souligné, que l’intimé ne présente aucune preuve de démarches auprès de SNC-Lavalin ou d’Atkins Réalis pour obtenir des documents. Il ne produit aucune lettre de refus ou l’informant que des documents sont détruits. À la connaissance du plaignant, il ne transmet aucune assignation à comparaître à qui que ce soit. Il ne présenté pas non plus de preuve que des témoins clés n’ont pu être entendus en raison des délais écoulés.
Les délais et le préjudice allégué
- Le Conseil note les explications du plaignant et du syndic quant à la complexité du présent dossier. D’ailleurs, l’intimé ne la remet pas en cause.
- En droit disciplinaire, il ne suffit pas d’invoquer des délais. L’intimé a soulevé un préjudice en raison de souvenirs estompés et du fait qu’il n’a plus accès à la preuve documentaire. Comme déjà exposé dans les paragraphes précédents, le Conseil rejette ces prétentions. Le Conseil a constaté que l’intimé était en mesure de distinguer ses souvenirs contemporains des événements qui ont été révélés postérieurement à la suite d’une médiatisation.
- Par ailleurs, les arguments de l’intimé portant sur la faiblesse de la preuve du plaignant n’ont pas à être traité dans le cadre d’une requête en arrêt des procédures. Il appartient au Conseil d’évaluer l’ensemble de la preuve et de se prononcer sur chacun des chefs d’infraction.
- Le fait qu’une preuve soit volumineuse, et elle l’est dans le présent dossier, n’est pas un motif d’arrêt des procédures. Il en est de même pour une divulgation additionnelle en cours d’instance. La solution réside à demander des précisions ou un délai additionnel pour se défendre, ce qui a été accordé dans le dossier, notamment lorsqu’une remise d’audience a été accordée à l’intimé lors du décès de son épouse.
- Dans l’ensemble, le Conseil ne peut davantage conclure à un comportement désinvolte du plaignant, comme le propose l’intimé.
- Le Conseil ajoute que s’il s’agissait d’un cas où une mise en balance au sens de l’arrêt Babos s’avérait nécessaire, il est d’avis qu’il aurait privilégié l’intérêt que représente pour la société qu’un jugement soit rendu. Le Conseil rappelle que les gestes posés par l’intimé sont très graves. Le public est en droit d’avoir une réponse du Conseil de discipline lorsqu’un ingénieur est visé par des reproches comportant de la collusion, de la fraude et d’une infraction à une loi d’ordre public, comme la Loi électorale ou la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers.
- Vu ce qui précède, le Conseil rejette la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé.
- Le Conseil tient néanmoins à mentionner que les délais mis par le syndic et le plaignant à faire enquête lui sont apparus très longs et la présente décision ne saurait être comprise comme une justification pour ne pas voir déposé la plainte plus tôt. Au stade de la sanction, les parties seront en mesure de faire valoir leurs arguments à l’égard de l’impact de ces délais. Le Conseil précise que la lettre anonyme et non datée [328] n’apporte aucune information telle qu’elle justifierait de ne pas avoir déposé plus rapidement une plainte disciplinaire contre l’intimé.
DÉCISION DU CONSEIL :
Sur le chef 1
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 2
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 3
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 4
- DÉCLARE l’intimé coupable des infractions fondées sur l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
- PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 5
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 6
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs.
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 7
- DÉCLARE l’intimé coupable des infractions fondées sur les articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
- PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 8
- DÉCLARE l’intimé coupable des infractions fondées sur les articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et sur l’article 59.2 du Code des professions et prononce la suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à ces deux dernières dispositions de rattachement.
- ORDONNE la suspension conditionnelle des procédures quant à l’ensemble du chef 8 de la plainte portée contre l’intimé car il s’agit essentiellement de la même conduite impliquant les mêmes faits et les mêmes acteurs que le chef 7.
Sur le chef 9
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs.
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 10
- DÉCLARE l’intimé coupable des infractions fondées sur les articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
- PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 11
- DÉCLARE l’intimé coupable des infractions fondées sur les articles 3.02.08 et 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
- PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 3.02.09 du Code de déontologie des ingénieurs et à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 12
- DÉCLARE l’intimé coupable des infractions fondées sur l’article 3.02.08 du Code de déontologie des ingénieurs et l’article 59.2 du Code des professions.
- PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 13
- DÉCLARE l’intimé coupable de l’infraction fondée sur l’article 59.2 du Code des professions.
Sur le chef 14
- ACQUITTE l’intimé d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions.
- AUTORISE le dépôt de la pièce I-45, soit le Rapport du groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction du 30 août 2011 et de la pièce I-44, soit la lettre du 13 mai 2011 portant sur le Comité de consultation de l’industrie de la construction.
- REJETTE la requête en arrêt des procédures présentée par l’intimé.
- CONVOQUE les parties à une date d’audition à être déterminée par le greffe du Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec pour imposer la sanction.
| __________________________________ Me MAURICE CLOUTIER Président __________________________________ M. NORMAND BELL, FIC, ingénieur Membre __________________________________ M. DENIS PRIMEAU, ingénieur Membre |
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Me Jean Lanctot, |
Me Abigaëlle Allard-Robitaille |
Avocats du plaignant |
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Me Alberto Martinez, Me Bernard Amyot, Me Orso Girard-Thibodeau Me Sébastien Girard |
Avocats de l’intimé |
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Dates d’audience : | 4, 5, 6, 11, 12 novembre 2024, 10, 11, 12, 13 décembre 2024; 28, 29 et 30 avril 2025, 5, 6, 12, 13, 14, 21 et 22 mai 2025.!Signet indéfini, DATEAUDIE |
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