Collège des médecins du Québec c. Piuze | 2025 QCCA 648 |
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
SIÈGE DE QUÉBEC
No : | 200-10-004132-242 |
| (200-36-003159-225) (200-61-235634-209) |
FORMATION : LES HONORABLES | JULIE DUTIL, J.C.A. |
CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. |
ÉRIC HARDY, J.C.A. |
PARTIE APPELANTE | AVOCAT |
COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC | Me STÉPHANE GAUTHIER Me ANDRÉA PROVENCHER (Cain, Lamarre) |
PARTIE INTIMÉE | AVOCATS |
MICHÈLE PIUZE | Me JACQUES LAROCHELLE (Jacques Larochelle avocat) Me OLIVIER DESJARDINS (ABSENT) (Desjardins, Riverin) |
En appel d’un jugement rendu le 22 avril 2024 par l’honorable Étienne Parent de la Cour supérieure, district de Québec. |
NATURE DE L’APPEL : | Professions (infractions pénales) |
Greffière-audiencière : Marianne Renaud | Salle : 4.33 |
10 h 11 | Appel du dossier et identification des parties; |
| La Cour s’adresse aux parties; |
10 h 11 | Observations de Me Gauthier; |
| Échanges entre la Cour et Me Gauthier; |
| Me Gauthier poursuit ses observations; |
10 h 56 | Suspension; |
| Reprise; |
11 h 16 | Observations de Me Larochelle; |
11 h 49 | Réplique de Me Gauthier; |
11 h 50 | Suspension; |
12 h 10 | Reprise; |
| Arrêt, les motifs seront consignés au procès-verbal ; |
12 h 11 | Fin de l’audience |
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Marianne Renaud, greffière-audiencière |
- L’appelant, le Collège des médecins du Québec, se pourvoit avec la permission d’une juge de la Cour[1], contre un jugement rendu le 22 avril 2024 par l’honorable Étienne Parent de la Cour supérieure, qui rejette son appel logé contre un jugement rendu le 16 juin 2022 par l’honorable Sylvie Marcotte de la Cour du Québec, laquelle acquitte l’intimée, Mme Michèle Piuze, de cinq chefs d’accusation relatifs à des infractions au Code des professions[2] et à la Loi médicale (ci-après la loi)[3].
- Seul l’acquittement prononcé sous le chef no 2 est porté en appel devant la Cour. Celui-ci est relatif à l’alinéa 31(2)(7o) de la loi. L’appelant reproche à l’intimée, propriétaire d’une clinique de soins esthétiques, d’avoir illégalement exercé la médecine, en procédant au détatouage d’une cliente à l’aide d’un appareil laser qui lui a causé des brûlures. Selon l’appelant, il s’agit là d’une activité professionnelle réservée aux médecins.
- Ni le premier jugement ni celui de la Cour supérieure ne retiennent cette interprétation et l’intimée est acquittée.
- Devant la Cour, l’appelant soutient que le jugement dont appel souffre d’erreurs déterminantes du fait qu’il ne conclut pas que l’intervention visant à enlever un tatouage au moyen d’un appareil laser constitue une activité réservée aux médecins en vertu de l’article 31 de la loi, et ce, malgré qu’elle impliquerait un traitement invasif et à risque de préjudice. Il y a lieu de reproduire le texte de la disposition pertinente:
31. L’exercice de la médecine consiste à évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé chez l’être humain en interaction avec son environnement, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé, de la rétablir ou d’offrir le soulagement approprié des symptômes.
Dans le cadre de l’exercice de la médecine, les activités réservées au médecin sont les suivantes:
[…]
7° utiliser les techniques ou appliquer les traitements, invasifs ou présentant des risques de préjudice, incluant les interventions esthétiques;
[…]
[Nos soulignements]
- Le jugement dont appel est fouillé et rigoureux. D’abord, le juge applique la bonne norme de contrôle quant au premier jugement et après avoir cité de longs passages de celui-ci, estime que la juge de la Cour du Québec n’a pas commis d’erreur de droit en acquittant l’intimée. Il évalue ensuite l’ensemble des arguments présentés par les parties et conclut que le détatouage ne relève pas de la sphère exclusive de la médecine ou de l’exercice de la médecine tel que défini à l’article 31 de la loi puisqu’il ne vise, en effet, ni à prévenir, ni à traiter une maladie, ni à évaluer ou à diagnostiquer toute déficience de la santé.
- En outre, le juge détermine que le détatouage ne se qualifie pas non plus « d’intervention esthétique » au sens de l’alinéa 31(2)(7o) de la loi, en prenant en considération plusieurs facteurs dont :
- La différence entre une intervention esthétique au sens de la loi et des soins esthétiques;
- Le contenu d’un rapport commandé par l’appelant portant sur la médecine esthétique qui constate l’absence d’encadrement législatif ou réglementaire en matière de soins esthétiques, incluant le détatouage[4];
- Le Règlement sur les traitements médicaux spécialisés dispensés dans un centre médical spécialisé[5] qui précise les traitements médicaux autorisés hors établissements de santé, soit dans un centre médical spécialisé et dont plusieurs relèvent de la médecine esthétique, mais dont le détatouage ne fait pas partie;
- La définition universelle et commune qui doit être donnée dans ce contexte aux termes « interventions esthétiques » de l’alinéa 7 comme référant à une opération ou une chirurgie.
- Le juge estime que rien dans la preuve présentée ne permet d’assimiler un détatouage à l’aide d’un appareil laser à une chirurgie ou une opération relevant de la sphère médicale et de réserver ainsi aux médecins des soins esthétiques de tous types. La disposition qui prévoit l’exercice exclusif de la médecine devant être interprétée restrictivement, il conclut que si le législateur avait voulu inclure de tels soins, il l’aurait précisé de manière claire. Ainsi, selon lui, seules les interventions (définies comme « chirurgies » ou « opérations ») esthétiques invasives ou présentant un risque de préjudice relèvent de l’exercice exclusif de la médecine. Les autres traitements de nature esthétique comme le détatouage y échappent.
- La Cour n’y voit là aucune erreur révisable. Outre que de remettre en cause l’interprétation du juge de la Cour supérieure de la disposition en cause, l’appelant ne pointe aucune erreur manifeste et déterminante ou erreur de droit. Le juge a bien appliqué les principes d’interprétation et pris en considération non seulement le texte, le contexte et l’objet de la disposition en cause, mais aussi l’intention du législateur et des sources externes pertinentes (règlement et rapports) afin de dégager le sens du texte à l’étude.
- Les termes « interventions esthétiques » prévus à l’alinéa 7 de l’article 31 ne peuvent être interprétés en vase clos, sans tenir compte qu’ils s’inscrivent nécessairement dans le giron du premier paragraphe qui définit ce que constitue l’exercice de la médecine. En ce sens, ne peut être retenue l’interprétation proposée par l’appelant, selon laquelle des techniques ou des soins comme le détatouage relèvent de l’exercice de la médecine puisqu’ils sont invasifs (puisqu’ils brisent l’épiderme), présentent un risque de préjudice et visent aussi à « évaluer et diagnostiquer une déficience de la santé ». À ce titre, l’épilation au laser, le tatouage, le piercing dont le perçage d’oreille, pourraient alors se qualifier d’actes médicaux selon les termes de la loi, ce qui mènerait à un résultat absurde.
- Finalement, l’argument soulevé par l’appelant relatif à la protection du public afin de convaincre la Cour de faire entrer dans la sphère médicale les activités de détatouage ne peut être retenu. En effet, rien dans la preuve ne démontre que la formation et/ou les qualifications des personnes qui, comme l’intimée, utilisent les appareils laser à des fins de détatouage seraient déficientes, inadéquates ou même sous-optimales. De plus, aucune preuve selon laquelle ces personnes ne suivraient pas les normes de sécurité imposées par les manufacturiers n’a été apportée.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
- REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. |
[5] Règlement sur les traitements médicaux spécialisés dispensés dans un centre médical spécialisé, RLRQ, c. S-4.2, r. 25.