Barreau de Montréal c. Karkar | 2025 QCCQ 1714 |
COUR DU QUÉBEC | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||
« Chambre criminelle et pénale » | |||||
N° : | 500-61-502801-195 | ||||
| 500-61-502803-191 | ||||
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DATE : | 7 avril 2025 | ||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | DAVID SIMON, J.C.Q. | |||
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BARREAU DE MONTRÉAL | |||||
Poursuivant | |||||
c. | |||||
ANTHONY KARKAR | |||||
Défendeur | |||||
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DÉTERMINATION DE LA PEINE Version caviardée[1] | |||||
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MISE EN GARDE : Le Tribunal réitère l’ordonnance interdisant la publication et diffusion de tous renseignements susceptibles de révéler l’identité des demandeurs en matière d’immigration et en matière familiale (les clients).
D’avoir, sans être membre en règle du Barreau du Québec, exercé illégalement la profession d’avocat en agissant de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes en prenant le titre d’avocat dans un échange de courriel avec un particulier[5], le tout contrairement aux articles 132, 133c) et 136a) de la Loi sur le Barreau et à l’article
D’avoir, sans être membre en règle du Barreau du Québec, exercé illégalement la profession d’avocat en préparant et rédigeant, pour et au nom de certaines personnes[6], une procédure destinée à servir devant la Cour supérieure, soit une demande conjointe de divorce, le tout contrairement aux articles 128.1b), 132 et 133b) de la Loi sur le Barreau et à l’article
D’avoir, sans être membre en règle du Barreau du Québec, exercé illégalement la profession d’avocat en préparant et rédigeant, pour et au nom de diverses personnes[7], des procédures destinées à servir devant la Cour fédérale, contrairement aux articles 128.1b), 132 et 133b) de la Loi sur le Barreau et à l’article
D’avoir, sans être membre en règle du Barreau du Québec, exercé illégalement la profession d’avocat en usurpant les fonctions d’avocat en procurant à une personne les services d’une avocate[8] aux fins de prendre recours devant la Cour fédérale sans que cette personne ne soit responsable envers l’avocate pour ses frais, le tout contrairement aux articles 132, 133a) et
Chef no 1
D’avoir, sans être membre en règle du Barreau du Québec, exercé illégalement la profession d’avocat en agissant de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes auprès de divers clients en préparant des demandes en matière d’immigration sans être dans les conditions de représentation prévues par la loi, le tout contrairement aux articles 132 et 133c) de la Loi sur le Barreau et à l’article
Chef no 2
D’avoir, sans être membre en règle du Barreau du Québec, exercé illégalement la profession d’avocat en agissant de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes auprès de divers clients en recevant des sommes de divers clients à titre d’honoraires ou pour des mandats de nature juridique, le tout attesté par la remise de reçus détaillés, contrairement aux articles 132 et 133c) de la Loi sur le Barreau et à l’article
Perquisition de la suite no 401 et démarches complémentaires
M. Karkar était sur les lieux lors de la perquisition effectuée au 4 rue Notre-Dame Est, suite no 401, le 10 juillet 2019. La perquisition a débuté dans le bureau identifié comme la pièce « C ». Il y avait un volume important de dossiers et autres documents dans ce bureau. C’était le seul bureau de la suite no 401 qui semblait réellement occupé.
M. Karkar était présent en tout temps dans la pièce « C » lors de la fouille des lieux et la saisie des documents dans ce bureau. Il fournissait des renseignements aux enquêteurs en leur indiquant notamment l’identité de l’avocat responsable de chacun des dossiers saisis. Il a également imprimé des listes de clients à partir de l’ordinateur fixe situé dans ce bureau. Il a exprimé des préoccupations quant au caractère privilégié de certains documents.
Les enquêteurs ont notamment saisi les éléments suivants dans la pièce « C » (dans l’ordinateur fixe ou en format « papier ») :
échanges de courriels entre M. Karkar et des clients, divers actes de procédures (demandes en divorce, demandes de contrôle judiciaire et autres demandes connexes en matière d’immigration);
divers formulaires en lien avec des demandes en matière d’immigration; une facture émise par l’étude pour services rendus à une cliente (Mme xxxxx);
un livret de divers reçus manuscrits destinés aux clients du bureau; des reçus officiels de la Cour fédérale et de Citoyenneté et Immigration Canada (« CIC »[13]) pour le paiement des frais;
des cartes d’affaires au nom du défendeur (avec la mention « Anthony Karkar Avocat/Lawyer »), et au nom de Me Nadia Ciale (une avocate qui occupait un bureau au sein de la suite no 401 à l’époque de la perquisition);
des pages de l’agenda de M. Karkar;
des fiches « clients »;
des listes de dossiers (actifs et fermés) relevant de la responsabilité de Me Ciale, Me Jean-Rousseau Dorismé et Me Golshad Darroudi (ces deux derniers occupaient également un bureau au sein de la suite no 401 à l’époque de la perquisition);
un chèque en date du 3 octobre 2018 à l’ordre de M. Karkar pour le paiement d’honoraires.
Dans la foulée de la perquisition, Me Guertin a effectué diverses recherches sur l’internet à l’aide du navigateur « Google ». Elle a notamment tapé, comme « mots-clés », le numéro de téléphone professionnel de M. Karkar figurant sur l’attestation délivrée par le Barreau du Québec, soit le (514) 223-0427. Cette recherche, mise à jour le 19 octobre 2022, lui a permis de constater que ce numéro était toujours, sur l’internet, associé à M. Karkar en son statut d’avocat. Par exemple, l’un des sites identifiés par « Google » portait comme titre « Anthony Karkar Avocat in Montreal, QC, 514 223-0427 ».
Généralités révélées par la preuve
Admis au Barreau en 2000, M. Karkar a développé une certaine expertise dans la pratique du droit de l’immigration. Il a exercé dans ce domaine pendant près de 17 ans, et ce toujours à partir du 4 rue Notre-Dame Est. Comme il l’affirme lui-même, il a travaillé dans plus de 8000 dossiers dont certains auraient fait jurisprudence.
Le 4 rue Notre-Dame Est, suite no 401 est un bureau d’avocats. Au moment des faits pertinents, les avocats y travaillaient de façon autonome et non au sein d’une même société. M. Karkar a toujours été l’unique signataire du bail. C’est lui qui avait l’entière responsabilité financière du bureau (y compris durant la période infractionnelle). Les avocats ne payaient ni loyer ni frais pour les dépenses de la suite no 401.
M. Karkar a été radié du Tableau de l’Ordre le 27 septembre 2017. La période de radiation était d’une durée d’un an, de laquelle a été soustraite une période initiale purgée entre le 5 juillet et le 4 août 2016. La période de radiation s’est donc achevée vers la fin du mois d’août 2018[14]. M. Karkar ne s’est jamais réinscrit au Tableau de l’Ordre par la suite. Il n’est donc plus habilité à exercer la profession d’avocat depuis le 27 septembre 2017.
M. Karkar a réintégré la suite no 401 au plus tard le 9 ou 10 septembre 2018[15]. Il a continué d’y travailler jusqu’au moment de la perquisition le 10 juillet 2019 et même au-delà de cette date, alors qu’il ne jouissait plus du statut d’avocat.
Il occupait le bureau correspondant à la pièce « C » lorsqu’il travaillait à titre d’avocat. C’était également le cas lorsqu’il était sur les lieux postérieurement à la période de radiation. L’ordinateur fixe situé dans la pièce « C » (celui perquisitionné) était propriété de M. Karkar et à son nom. Ce bureau tenait un rôle central au cœur de la suite no 401.
Il a interagi avec des clients du bureau postérieurement à sa radiation, c’est-à-dire durant la période infractionnelle. Il a notamment évoqué avec eux les frais et les honoraires associés au traitement de leur dossier respectif. À l’intérieur de cette période, il a confié des dossiers aux avocats du bureau et a rempli des demandes en matière d’immigration. Il a avancé les fonds pour les frais de traitement de certaines demandes. Il a aussi préparé et signé plusieurs reçus provenant du livret de reçus saisis dans la pièce « C ».
Il est demeuré très actif, voire omniprésent, au sein du bureau d’avocats situé au 4 rue Notre-Dame Est, suite no 401, durant la quasi-totalité[16] de la période correspondant à celle des infractions. Ses fonctions au sein du bureau ne se limitaient certainement pas à être, comme il l’a soutenu au procès, l’assistant bénévole de Me Dorismé.
Comme l’a indiqué Me Darroudi, dans les semaines qui ont précédé la perquisition, M. Karkar était présent au bureau quotidiennement, parfois même les samedis. Il travaillait beaucoup. Il lui arrivait de rencontrer des clients. Selon Me Darroudi, M. Karkar lui confiait des dossiers en matière d’immigration et lui présentait des clients. C’est M. Karkar qui payait les frais de CIC pour le traitement des diverses demandes en immigration.
La commission des infractions
À partir de la preuve documentaire (découlant principalement de la perquisition du 10 juillet 2019) et de la preuve testimoniale, j’en suis arrivé aux conclusions suivantes eu égard à l’exercice illégal par M. Karkar de la profession d’avocat.
Dossier A (deux chefs) :
La preuve a révélé hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a pris le titre d’avocat dans des échanges de courriels avec deux particuliers en lien avec des services professionnels en matière d’immigration. Les courriels ont été saisis dans l’ordinateur fixe situé dans le bureau occupé par M. Karkar.
Dans les courriels destinés aux deux particuliers, la mention « Anthony Karkar Avocat » figure à côté de l’adresse électronique de M. Karkar ou à la fin du courriel, dans l’espace bloc signature. Les courriels en cause sont datés du 10 octobre 2017 et du 14, 15 et 19 décembre 2017. M. Karkar n’était pas membre du Barreau au moment de l’envoi de ces courriels. Il purgeait alors sa période de radiation, celle-ci ayant débuté le 27 septembre 2017, soit juste deux semaines avant l’envoi de l’un des courriels problématiques (celui du 10 octobre 2017).
J’ai conclu que M. Karkar n’avait entrepris aucune démarche pour retirer la mention « Anthony Karkar Avocat » des courriels malgré l’entrée en vigueur récente de sa radiation. J’ai rejeté sa défense de diligence raisonnable en soulignant que la preuve tendait plutôt à révéler une absence totale de diligence. En prenant le titre d’avocat dans les courriels, M. Karkar a ainsi donné lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes.
Dossier B (un chef) :
La preuve a démontré hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a préparé et rédigé, pour et au nom d’un couple en instance de séparation, une demande conjointe de divorce destinée à servir devant la Cour supérieure. Cette procédure a été saisie en format « papier » dans le bureau occupé par M. Karkar. Elle a été signée par les parties le 23 mai 2018, alors que la période de radiation était encore en vigueur.
J’ai rejeté la défense d’alibi de M. Karkar selon laquelle il était à l’étranger en date du 23 mai 2018, date de signature de la procédure, et ne pouvait donc en être l’auteur. J’ai même conclu que la preuve documentaire administrée au soutien de la défense d’alibi contredisait son affirmation voulant qu’il ait été à l’étranger en date du 23 mai 2018. En préparant et en rédigeant une procédure destinée à servir devant la Cour supérieure, M. Karkar a fait un acte du ressort exclusif de l’avocat en exercice.
Dossier C (11 chefs) :
Le poursuivant a fait la preuve hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a préparé et rédigé, pour et au nom de divers demandeurs en matière d’immigration, une procédure intitulée « demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire » (« DACJ ») destinée à servir devant la Cour fédérale. La preuve – notamment de faits similaires – a démontré que M. Karkar a participé à la préparation et rédaction de 10 DACJ (chefs nos 1, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 11 et 12). La preuve a également démontré qu’il a participé à la préparation et la rédaction du dossier et du mémoire à l’appui de l’une des 10 DACJ (chef no 2)[17].
Certaines DACJ ont été obtenues par Me Guertin auprès du greffe de la Cour fédérale. D’autres ont été saisies en format « papier » dans le bureau occupé par M. Karkar ou dans l’ordinateur fixe s’y trouvant. Les DACJ sont signées par Me Ciale, Me Dorismé ou Me Darroudi. Toutes les DACJ ont été faites postérieurement à l’expiration de la période de radiation de M. Karkar. La première est en date du 19 octobre 2018, alors que M. Karkar était physiquement de retour sur son lieu de travail, quoique pas à titre d’avocat. La dernière est en date du 8 juillet 2019, deux jours avant la perquisition de la suite no 401.
Soulignons que j’ai rejeté la dénégation générale de M. Karkar ainsi que son argument subsidiaire selon lequel la préparation et la rédaction d’une DACJ destinée à servir devant la Cour fédérale ne constituent pas des actes du ressort exclusif d’un avocat. L’alinéa 128.1b) de la Loi sur le Barreau est clair. Il prévoit qu’il est du ressort exclusif de l’avocat en exercice de préparer et rédiger une procédure (pour autrui) destinée à servir dans une affaire devant les tribunaux. M. Karkar n’avait donc pas le droit de préparer et de rédiger des DACJ pour et au nom d’autrui sans être membre en règle du Barreau.
Dossier E (un chef) :
La preuve a démontré hors de tout doute raisonnable que M. Karkar, agissant comme intermédiaire entre une cliente (Mme xxxxx) et une avocate (Me Darroudi), a procuré à cette cliente les services professionnels de Me Darroudi aux fins de prendre recours devant la Cour fédérale, sans que la cliente ait à payer directement les frais de Me Darroudi.
Dans le cadre du dossier C, j’avais déjà conclu que M. Karkar avait participé à la préparation et la rédaction d’une DACJ (signée par Me Darroudi en date du 2 juillet 2019) pour et au nom de Mme xxxxx (chef no 9 du dossier C). Cette DACJ a d’ailleurs été saisie en format « papier » dans son bureau.
Concernant l’infraction portée au dossier E, outre le fait que M. Karkar ait préparé et rédigé une DACJ pour et au nom de Mme xxxxx, j’ai retenu les éléments suivants :
Mme xxxxx a fait suivre la décision de l’Ambassade du Canada au Liban lui refusant le statut de résidente permanente au Canada à l’adresse courriel karkarrichard@aol.com qui est associée à M. Karkar.
M. Karkar a confié ce dossier à Me Darroudi.
Me Darroudi a relu et signé la DACJ. Elle n’a toutefois jamais rencontré ni parlé à Mme xxxxx avant d’apposer sa signature sur la procédure. La DACJ a été produite au greffe de la Cour fédérale le 2 juillet 2019.
Une facture datée du 2 juillet 2019 à l’attention de Mme xxxxx pour un montant de 1 000 $ a été saisie (en format « papier ») dans le bureau occupé par le défendeur. La facture comporte le descriptif suivant : « demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de l’ambassade du Canada au Liban incluant frais de timbres, huissier, rédaction ». L’en-tête de la facture a comme adresse d’expéditeur : « ETUDES LEGALES 2019, 4 Notre-Dame Est Bur 401, Montreal, Québec H2Y 1B8, Canada ».
Le défendeur a convenu d’avoir dit à Me Ciale ou Me Darroudi que ce type de dossier « valait 1 000 $ ». Il a confirmé que la facture avait été envoyée à Mme xxxxx.
Me Darroudi n’a pas facturé Mme xxxxx et n’a jamais reçu une quelconque somme d’argent pour le travail effectué dans ce dossier. Ce n’était pas un mandat d’aide juridique. Elle ne savait pas que Mme xxxxxx avait été facturée.
Les allégués de la DACJ révèlent que les motifs de la décision de l’Ambassade du Canada au Liban n’avaient pas encore été reçus en date du 2 juillet 2019. M. Karkar a été en mesure de préciser que l’Ambassade du Canada au Liban a envoyé le dossier complet de Mme xxxxx au 4 rue Notre-Dame Est par courrier le 17 juillet 2019.
À partir de ces faits établis, j’ai conclu que M. Karkar était la seule personne qui avait interagi avec Mme xxxxx dans le cadre de la préparation de la DACJ. Il était parfaitement au courant du déroulement du dossier. Bien que Mme xxxxx ait été facturée 1 000 $ pour les services professionnels rendus, Me Darroudi n’a jamais facturé, reçu ou encaissé ce montant. Mme xxxxx n’a pas payé les frais de Me Darroudi. Il n’y avait pas de relation « avocat-client » entre Me Darroudi et Mme xxxxx.
En procurant à Mme xxxxx les services de Me Darroudi aux fins de présenter la DACJ devant la Cour fédérale, sans qu’elle soit redevable envers Me Darroudi de ses frais, M. Karkar a clairement usurpé les fonctions de Me Darroudi. M. Karkar n’a pas fait valoir une défense de diligence raisonnable et/ou une défense d’erreur de fait raisonnable. Quoi qu’il en soit, j’ai conclu qu’il n’avait pas pris toutes les précautions qu’une personne raisonnable, placée dans un contexte similaire, aurait prises pour prévenir l’acte prohibé.
Dossier F (deux chefs) :
Contrairement aux autres dossiers, les deux chefs d’accusation pour lesquels j’ai déclaré M. Karkar coupable dans le dossier F ne se limitent pas à un acte commis auprès d’un seul client. Chacun des deux chefs regroupe des actes commis par M. Karkar auprès de plusieurs clients.
Chef no 1
Eu égard à ce chef d’accusation, la preuve a démontré hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes auprès de divers clients en préparant des demandes d’immigration sans être dans les conditions de représentation prévues par la loi.
L’accusation mettait en cause les agissements de M. Karkar en rapport avec 20 demandes d’immigration. Pour être déclaré coupable, le poursuivant devait d’abord démontrer hors de tout doute raisonnable que M. Karkar avait rempli des demandes d’immigration pour autrui à titre de représentant et qu’il avait été rétribué pour ses services à ce titre. La loi prévoit effectivement que seuls les avocats membres en règle du Barreau, les notaires ou les consultants réglementés peuvent agir à titre de représentants rémunérés[18].
Le poursuivant ayant opté pour un chef unique visant l’ensemble des actes reprochés, je n’ai pas eu à déterminer si M. Karkar avait effectivement rempli toutes les demandes d’immigration moyennant rétribution. La preuve d’une seule demande d’immigration remplie par M. Karkar moyennant rétribution suffisait pour justifier une déclaration de culpabilité.
J’ai conclu hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a rempli au moins sept demandes d’immigration. Pour ce qui est des 13 autres demandes, je me suis abstenu de me prononcer formellement, car il n’était pas indispensable de le faire. J’ai toutefois indiqué que la preuve relative à ces demandes était moins probante.
J’ai ensuite conclu hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a été rétribué pour ses services à titre de représentant à l’égard d’au moins deux des sept demandes en question, à savoir : la demande pour proroger le statut de visiteur de Mme xxxxxxxxxxxxxxxxx[19] et la demande de citoyenneté de M. xxxxxxx[20], un ami personnel de M. Karkar. Ces deux demandes ont été saisies en format « papier » dans le bureau occupé par M. Karkar.
Concernant la demande pour proroger le statut de visiteur de Mme xxxxxxxxxxx xxxxx (signée le 27 février 2019), la preuve a révélé que M. Karkar a rédigé un reçu (daté du 19 mars 2019) au nom de la demanderesse pour un montant de 100 $ (avec un solde à payer de 100 $). Ce reçu comporte la mention « honoraires ». M. Karkar a lui-même confirmé qu’il attestait du paiement par Mme xxxxxxxxxxxxxxxxx des honoraires. J’ai conclu que ce paiement était en lien avec la demande pour proroger son statut de visiteur remplie par M. Karkar et qu’il avait donc été rémunéré par Mme xxxxxxxxxxxxxxxxx pour ses services à titre de représentant.
Concernant la demande de citoyenneté de M. xxxxxxx (signée le 3 avril 2019), M. Karkar a admis l’avoir préparée dans son intégralité. M. xxxxxxx est venu à son bureau et a insisté pour payer des honoraires. M. Karkar lui a remis un reçu attestant du paiement. L’argent a été redistribué au bénéfice du « bureau », selon M. Karkar. Bien que la demande de citoyenneté ne désigne pas de représentant, j’ai conclu que M. Karkar avait minimalement conseillé ou donné des directives à M. xxxxxxx. Il a donc agi comme représentant. Au surplus, j’ai inféré, au vu de l’ensemble de la preuve, que l’argent du « bureau » était essentiellement l’argent de M. Karkar – ce qui m’a amené à conclure qu’il avait été rémunéré par M. xxxxxxx pour les services rendus à titre de représentant.
En dernier lieu, j’ai conclu hors de tout doute raisonnable que les agissements de M. Karkar auprès de Mme xxxxxxxxxxxxxxxxx et de M. xxxxxxx ont objectivement donné lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’un avocat ou à en faire les actes, en m’appuyant, entre autres, sur les éléments suivants :
Les demandeurs se sont présentés à un bureau d’avocats pour obtenir des services en lien avec des questions relatives au droit de l’immigration.
Ils y ont rencontré M. Karkar, une personne ayant pratiqué le droit de l’immigration pendant près de 17 ans et dont les coordonnées professionnelles figurent sur l’internet en son statut d’avocat.
Il occupait son propre bureau, à l’instar de tous les avocats au sein de la suite no 401. Ce bureau était « vivant ». Plusieurs documents de nature juridique s’y trouvaient, ainsi que des cartes d’affaires et chèques à son nom en son titre d’avocat.
M. Karkar a rempli leur demande en matière d’immigration à titre de représentant (pour Mme xxxxxxxxxxxxxxxxx) ou agissant comme tel (pour M. xxxxxxx).
Il a accepté de recevoir des honoraires pour le travail effectué et leur a remis un reçu attestant de leur paiement. Il a visiblement convenu du montant des honoraires avec eux.
Chef no 2
Relativement à ce chef d’accusation, la preuve a démontré hors de tout doute raisonnable que M. Karkar a reçu de divers clients des sommes à titre d’honoraires ou pour des mandats de nature juridique. Il n’incombait pas au poursuivant d’établir que M. Karkar a encaissé ou perçu lesdites sommes.
J’ai qualifié la preuve dans ce dossier d’accablante, compte tenu notamment des constats suivants :
Les reçus manuscrits saisis en format « papier » dans le bureau occupé par M. Karkar attestent de la réception de montants d’argent déboursés par les clients pour des honoraires ou pour le paiement/remboursement de frais judiciaires reliés à des mandats de nature juridique. M. Karkar a admis qu’il était le rédacteur et/ou signataire de nombreux reçus, et donc d’avoir accusé réception des montants d’argent.
La preuve a révélé que M. Karkar avait reçu des honoraires pour des services rendus en lien avec des demandes en matière d’immigration alors qu’il n’était pas un membre en règle du Barreau, y compris, pour en citer certaines, celles de Mme Diaz (dossier D)[21], Mme xxxxxxxxxxxxxxxxx et M. xxxxxxx. La preuve a également révélé qu’il a convenu des frais à payer (y compris les honoraires, selon le cas) avec certains demandeurs dont, entre autres, M. xxxxxxxxx[22] et M. xxxxx[23].
Me Darroudi a confirmé qu’elle n’a jamais reçu d’argent pour la majorité des mandats relevant de sa responsabilité, suggérant ainsi que c’est M. Karkar qui recevait les paiements dans ses dossiers. Le chèque de 500 $ pour « honoraires » fait par un particulier à l’ordre d’Anthony Karkar en date du 3 octobre 2018 (chèque saisi en format « papier » dans son bureau) est un autre élément de preuve circonstancielle appuyant la commission de l’infraction en cause.
Pour les mêmes motifs que ceux exposés à l’égard du chef no 1, j’ai conclu hors de tout doute raisonnable que les agissements de M. Karkar – en l’occurrence de recevoir des sommes de divers clients à titre d’honoraires ou pour des mandats de nature juridique – ont donné lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’un avocat ou à en faire les actes.
Par ailleurs, bien que M. Karkar ne les ait pas invoquées, j’ai conclu que la défense de diligence raisonnable et/ou la défense d’erreur de droit ne pouvaient l’exempter de responsabilité pénale, et ce tant à l’égard du chef no 1 que du chef no 2 du dossier F. M. Karkar a manifestement fait défaut de prendre toutes les précautions raisonnables pour éviter de commettre les actes prohibés.
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Il reçoit une pension vieillesse de l’ordre de 4 500 $ par mois – un montant qui est selon lui non imposable.
Il reçoit également une pension du Gouvernement du Liban, ayant été officier militaire dans ce pays entre 1976 et 1982 (le montant n’a pas été précisé).
Il paye un montant de 1 680 $ par mois pour la location de son appartement (chauffage/électricité inclus).
Auprès de la Banque CIBC (en date du 5 novembre 2024)[31], il est détenteur d’un compte-chèques avec un solde de 515,15 $, d’un compte d’épargne avec un solde de 540,81 $, d’une carte de crédit CIBC Visa avec un solde à payer de 9 174,20 $, d’une deuxième carte de crédit CIBC Visa avec un solde à payer de 3 147,59 $ et d’un certificat de placement garanti d’une valeur de 4 000 $. Les limites sur les cartes de crédit sont de 11 000 $.
Auprès de la Banque Nationale (en date du 5 novembre 2024)[32], il est détenteur d’un compte-chèques avec un solde de 1 629,05 $, d’un compte d’épargne avec un solde de 1 185,74 $, et d’une carte de crédit Mastercard Édition avec un solde à payer de 1 400,47 $. La limite sur cette carte de crédit est de 15 000 $.
Auprès de la Banque Scotia (en date du 5 novembre 2024)[33], il est détenteur d’un compte-chèques avec un solde de 3 532,61 $, d’un compte d’épargne avec un solde de 4 192,78 $, et d’une carte de crédit Visa minima Scotia avec un solde à payer de 7 548,72 $. La limite sur cette carte de crédit est de 25 000 $.
Habituellement, M. Karkar parvient à payer les soldes de ses cartes de crédit lorsqu’ils sont dus.
Il est propriétaire de quatre condominiums intégralement payés au Liban, dont la valeur aurait été estimée à 500 000 $ il y a deux ans. Les condominiums sont vacants.
Ses frais mensuels de téléphone sont de l’ordre de 200 $ par mois. Ceux de câblodistribution s’élèvent à 104 $. Il dépense environ 100 $ par semaine pour les courses à l’épicerie, 110 $ par mois pour des médicaments et 1 200 $ par an pour des sorties au restaurant.
Il est propriétaire d’un véhicule Volkswagen entièrement payé. Les frais d’assurance sont de l’ordre de 100 $ par mois. Il paye 300 $ par an pour le permis et la plaque d’immatriculation, 205 $ par an pour la vignette de stationnement, 40 $ par mois pour l’essence et 500 $ par an en frais d’entretien.
Il voyage quatre fois par an au Liban. Le billet d’avion (aller-retour) lui coûte autour de 1 000 $. Sur place, il ne dépense presque rien.
La conjointe de M. Karkar ne travaille plus. Elle a arrêté d’enseigner à HEC il y a 2 ans. Elle voyage trois fois par an au Brésil. Le billet d’avion (aller-retour) lui coûte autour de 1 000 $. C’est M. Karkar qui les paye.
Les avis de cotisation de Revenu Canada pour les années d’imposition 2022 et 2023 font respectivement état d’un revenu total de 23 616 $ et 29 785 $ et d’un montant dû (solde à payer) de 8 087,29 $ et 8 487,68 $[34].
229. Le juge qui déclare le défendeur coupable d’une infraction lui impose une peine dans les limites prescrites par la loi, compte tenu notamment des circonstances particulières relatives à l’infraction ou au défendeur et de la période de détention qui a pu être purgée par le défendeur relativement à cette infraction.
Le droit pénal a pour fonction essentielle la protection du public et la préservation du bien-être commun. L’objectif principal de la peine en ce domaine est de prévenir les risques associés à certaines activités réglementées en suscitant le respect de normes de conduite et de prudence. Ainsi, la peine sera donc, avant tout, correctrice et préventive.
Ensuite, le principe fondamental en matière de détermination de la peine demeure la proportionnalité eu égard à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. En matière pénale réglementaire, la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du délinquant doivent être considérés avec mesure. Comme nous l’avons vu, la commission d’une infraction pénale n’équivaut pas à la perpétration d’un crime. Cependant, pour inciter au respect des normes de conduite et de prudence, il sera souvent nécessaire de mettre l’accent sur la dissuasion.[45]
Professor Macrory, in his study of regulatory enforcement in the United Kingdom, puts forth the following six “penalties principles” as the basis for any sanctioning regime: (1) sanctions should change the behaviour of the offender; (2) sanctions should ensure there is no financial benefit obtained by non-compliance; (3) sanctions should be responsive, and consider what is appropriate for the particular offender and the particular regulatory regime; (4) sanctions should be proportionate to the nature of the offence and the harm caused; (5) sanctions should aim to restore the harm caused by the regulatory non-compliance; and (6) sanctions should aim to deter future non-compliance […].[48]
Il mentionne, dans un premier temps, que la facture de 1 000 $ destinée à Mme xxxxx n’a pas été payée, puis, plus tard, laisse entendre le contraire. Il indique que la facture a été préparée à partir d’un logiciel comptable tout en clamant qu’il n’a aucunement participé à sa confection et ne l’avait jamais vue auparavant.[59]
Monsieur Karkar remplit, à l’aide des renseignements personnels qu’ils lui fournissent, des formulaires requis dans le cadre de leurs démarches. C’est le cas notamment de celui intitulé « demande d’asile au Canada » sur lequel il indique l’adresse de son bureau et ses propres coordonnées téléphoniques aux fins de toute future correspondance. Il les assiste et les instruit quant à la procédure à suivre. Par exemple, il leur remet des documents pour leur entrevue auprès d’Immigration Canada. Il leur explique qu’ils doivent rédiger leur « histoire » et lui remettre afin qu’elle soit traduite par Madame Rénata. Il leur demande également de se présenter au rendez-vous qu’il a déjà obtenu pour eux à l’aide juridique. À cet égard, il leur remet un formulaire de demande d’aide juridique déjà complété qu’ils devront soumettre, et ce, sans autres précisions quant à son contenu.[62]
Toutefois, Monsieur Karkar invite le Tribunal à conclure que sa propre implication se résume au seul fait d’avoir complété la demande d’asile. Il soutient ainsi que ce geste en soi ne peut donner lieu de croire qu’il agit à titre d’avocat puisque Monsieur et Madame auraient pu le remplir eux-mêmes. Rappelons que l’évaluation doit être faite avec les yeux d’une personne qui ne possède pas une formation juridique et qui n’est pas habituée aux distinctions que tente de faire Monsieur Karkar. Ainsi, il importe peu de savoir qu’il est possible de compléter ce document sans être avocat. Le couple ayant décidé de requérir les services d’un tel professionnel pour les assister dans leur processus d’immigration, ils sont donc à même de raisonnablement croire qu’il agit comme tel lorsqu’il prend les choses en main. En effet, ce qui importe c’est qu’il ait pu leur laisser croire qu’il avait la capacité et les compétences pour agir. Or, au vu du témoignage abondant qu’il a livré quant à sa connaissance du processus d’immigration, il ne fait aucun doute pour le Tribunal que c’est ce qui a pu transparaître au cours de ses rencontres avec eux.
Par ailleurs, le Tribunal ne peut conclure que son implication s’est limitée à ce seul formulaire. En effet, pour tous les autres gestes que Madame L... allègue qu’il a posés, il est incapable de contredire ses propos autrement que par des suppositions ou des déductions en donnant des informations fiables quant à qui a réellement fait quoi. Plus important encore, Monsieur Karkar admet qu’il est possible qu’il ait pu lui-même poser tous les gestes […].[63]
Monsieur Karkar a été avocat pendant plus de quinze années, qui plus est, exerçant abondamment en matière d’immigration. Par conséquent, il sait ou du moins devrait savoir, les responsabilités que cela implique et les précautions qu’il se doit de prendre maintenant qu’il n’est plus membre en règle de l’Ordre pour éviter toute méprise quant à son statut.
De plus, sa vaste expérience en matière d’immigration dont il a lui-même vanté les mérites lui a certainement appris que la clientèle avec laquelle il doit traiter exige de redoubler de vigilance et de diligence de par son statut précaire au Canada, la barrière de la langue et comme c’est le cas du couple L...-R..., son ignorance face au système canadien.
D’autant qu’en l’occurrence, si la situation était telle que l’a décrite Monsieur Karkar, des gestes ou des paroles fort simples de sa part auraient sans contredit permis d’éviter la commission de l’infraction. Informer verbalement Madame L... et son conjoint dès la conférence téléphonique ou à tout le moins dès leur premier rendez-vous à son bureau que leur avocat serait Maître Dorismé et que lui-même n’agirait qu’à titre d’assistant est l’un d’eux. Ce qu’il n’a jamais fait.[64]
La gravité objective
La gravité subjective
La récurrence et la multiplicité des actes illégaux commis par M. Karkar de façon continue sur une période prolongée d’environ 18 mois : du mois de décembre 2017 au début du mois de juillet 2019.
Certaines infractions ont été commises alors que la période de radiation était encore en vigueur (chefs nos 1 et 2 du dossier A; chef no 1 du dossier B).
M. Karkar a touché des honoraires pour des services professionnels du ressort exclusif d’un avocat, notaire ou consultant réglementé (chefs nos 1 et 2 du dossier F).
Le rôle central joué par M. Karkar au sein du bureau d’avocats, malgré la perte de son statut d’avocat – un rôle aux antipodes de celui allégué comme étant l’assistant bénévole et subalterne de Me Dorismé. M. Karkar a été le véritable chef d’orchestre des opérations : présence quotidienne sur les lieux; occupation du bureau le plus « actif »; connaissance approfondie de l’ensemble des dossiers – y compris ceux relevant de la responsabilité d’avocats autres que Me Dorismé; rencontre avec des clients; avance de fonds pour les clients; établissement des frais et honoraires avec les clients; présentation des clients aux avocats; attribution des dossiers aux avocats; conseils juridiques prodigués aux avocats; entière responsabilité financière du bureau; unique signataire du bail.
Le caractère prémédité et délibéré des actes illégaux.
Je ne suis pas en présence d’un acte isolé commis par inadvertance, par négligence ou par ignorance de la loi. La preuve au procès a plutôt révélé un comportement systémique en toute connaissance de cause. M. Karkar a eu recours à des avocats en règle (sans toutefois nécessairement leur imputer une complicité) pour camoufler son stratagème, notamment en leur attribuant « officiellement » les dossiers sur lesquels il gardait la mainmise et en leur faisant signer des actes de procédure qu’il avait lui-même préparés et rédigés. Cela vient sans doute expliquer pourquoi il ne leur faisait pas payer de loyer.
M. Karkar a été inscrit au Tableau de l’Ordre pendant 17 ans. Comme avocat, il était bien au fait des dispositions applicables de la Loi sur le Barreau, ayant déjà représenté un dénommé M. Garza au stade du procès et de la détermination de la peine dans un dossier d’exercice illégal de la profession d’avocat[74].
M. Karkar, comme il le véhicule lui-même, détenait une certaine notoriété dans le domaine du droit de l’immigration, ce qui se traduisait nécessairement par une certaine influence auprès d’une clientèle plus susceptible de croire qu’il avait le statut requis pour agir (du fait de ses propos, actes ou de son silence)[75].
M. Karkar a endossé le rôle réservé à un avocat ou a donné lieu de croire qu’il était autorisé à en remplir les fonctions ou à en faire les actes auprès d’une clientèle vulnérable. Celle-ci était composée principalement de demandeurs d’asile dont certains ne maîtrisaient ni l’une ni l’autre des deux langues officielles du Canada et n’avaient aucune connaissance du système de justice ou du droit de l’immigration.
M. Karkar a récidivé dans les semaines qui ont suivi la perquisition du 10 juillet 2019 en utilisant le même modus operandi, comme en atteste le jugement prononcé par la juge Laliberté.
Il s’affiche sur l’internet comme étant un avocat en exercice, en toute impunité, et ce depuis plus de cinq ans, sans entreprendre l’ombre d’une démarche concrète pour y remédier, rejetant perpétuellement la faute sur le Barreau. Il met ainsi encore à risque le public.
2 500 $ pour chacun des chefs dans les dossiers A, B, C et E (15 x 2 500 $ = 37 500 $);
22 500 $ (2 500 $ + 20 000 $) sur le chef no 1 du dossier F; et
55 000 $ (2 500 $ + 52 500 $) sur le chef no 2 du dossier F[81].
l’affirmation selon laquelle sa pension vieillesse – principale source de revenus – n’est pas imposable (malgré des impôts dus à Revenu Canada en 2022 et 2023 de l’ordre de 8 000 $); et
le constat que son train de vie relativement élevé (multiples voyages à l’étranger, y compris ceux de sa conjointe), sa pension de 4 500 $ par mois (54 000 $ par an) non imposable et sa facilité de payer les soldes des diverses cartes de crédit sont des éléments a priori incompatibles avec le revenu total déclaré à Revenu Canada (23 616 $ en 2022 et 29 785 $ en 2023). Il est improbable que M. Karkar puisse avoir le train de vie décrit avec comme seule source de revenus la pension vieillesse (en sus de celle du Liban). La thèse du travail bénévole depuis 2017 m’apparaît peu plausible.
Dans le dossier A (500-61-502801-195) :
IMPOSE une amende de 2 500 $ (deux mille cinq cents) à l’égard de chacun des chefs nos 1 et 2.
Dans le dossier B (500-61-502803-191) :
IMPOSE une amende de 2 500 $ (deux mille cinq cents) à l’égard du chef no 1.
Dans le dossier C (500-61-502804-199) :
IMPOSE une amende de 2 500 $ (deux mille cinq cents) sur chacun des chefs nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 11 et 12.
Dans le dossier E (500-61-502805-196) :
IMPOSE une amende de 2 500 $ (deux mille cinq cents) à l’égard du chef no 1.
Dans le dossier F (500-61-502802-193) :
IMPOSE une amende de 22 500 $ (vingt-deux mille cinq cents) à l’égard du chef no 1 et une amende de 55 000 $ (cinquante-cinq mille) à l’égard du chef no 2.
DE PLUS, LE TRIBUNAL :
ACCORDE à M. Karkar un délai de 24 mois pour le paiement du montant total des amendes, soit 115 000 $ (cent quinze mille);
ORDONNE le paiement des frais à l’égard de chacun des chefs d’accusation susmentionnés, à l’exception des chefs nos 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 11, et 12 du dossier C.
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| __________________________________ DAVID SIMON, J.C.Q. | |
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Me Magali Fournier | ||
Barreau de Montréal | ||
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M. Anthony Karkar | ||
Défendeur | ||
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Dates d’audience : | 4 et 5 novembre 2024 | |
[1] Par respect pour leur vie privée, et également en raison de certaines exigences imposées par la loi (en ce qui concerne notamment les demandeurs d’asile et les demandeurs en matière familiale), l’identité des clients doit demeurer confidentielle, d’autant qu’ils ne sont pas venus témoigner au procès. Dans la version mise sous scellés, l’identité des clients n’est pas caviardée. Dans la version déposée au dossier de la Cour et accessible aux membres du public, le nom de tous les clients fait l’objet d’un caviardage.
[2] Dans les faits, il s’agit de constats d’infraction. Pour alléger le texte, j’emploierai toutefois les termes-chefs d’accusation.
[4] Dans chacune des infractions reproduites dans le texte, les actes pour lesquels M. Karkar a été déclaré coupable sont en caractères soulignés.
[5] M. xxxxx (chef no 1) et Mme xxxxxxx (chef no 2).
[6] Il s’agit d’un couple en instance de divorce à l’époque : Mme xxxxxxxx et M. xxxxxxxx.
[7] Chaque chef (ou presque) vise une procédure préparée ou rédigée au nom d’une personne différente.
[8] En l’occurrence Me Golshad Darroudi.
[9] Barreau de Montréal c. Karkar,
[10] Id., par. 12.
[11] SP-1, en liasse (Lettre du Barreau et avis de réclamation).
[12] Barreau de Montréal c. Karkar,
[13] Désormais appelé « Immigration Réfugiés Citoyenneté Canada » ou « IRCC ». Bien que les documents produits en preuve fassent référence tant à « CIC » que « IRCC », j’utiliserai l’acronyme « CIC » pour les fins de ce jugement.
[14] Barreau de Montréal c. Karkar,
[15] M. Karkar a affirmé qu’il était revenu au bureau à cette date. Il a expliqué qu’il n’avait pas le droit d’être physiquement au bureau durant la période de radiation. Il n’est toutefois pas exclu qu’il l’ait fréquenté avant cette date, comme pourraient le suggérer les dates d’infractions dans le dossier A (chef no 1 : 19 décembre 2017 et chef no 2 : 10 octobre 2017) et le dossier B (chef no 1 : 23 mai 2018).
[16] Je dis « quasi-totalité », car M. Karkar a soutenu qu’il n’a pas été au bureau entre le 27 septembre 2017 et le début du mois de septembre 2018. Il s’avère cependant que les infractions pour lesquelles j’ai déclaré M. Karkar coupable dans les dossiers A et B ont été commises à l’intérieur de cette période. Je ne suis toutefois pas en mesure de conclure qu’il était au bureau lors de la commission de ces infractions. Il aurait pu les commettre en étant physiquement dans un lieu autre.
[17] Ce chef n’était pas visé par la preuve de faits similaires.
[18] Paragraphes 91(1) et (2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[19] FP-24, en liasse (au procès).
[20] FP-26, en liasse (au procès).
[21] Barreau de Montréal c. Karkar,
[22] Id., par. 549 (chef no 8 du dossier E).
[23] Id., par. 557 (chef no 16 du dossier E).
[24] Barreau de Montréal c. Karkar,
[25] SP-2, en liasse.
[26] SP-2, en liasse, p. 7, 11, 13 et 17.
[27] SP-2, en liasse, p. 5.
[28] SP-3, en liasse, p. 1 et 2.
[29] SP-4, en liasse (captures d’écran des résultats de l’exercice effectué en salle d’audience).
[30] SP-5, en liasse (captures d’écran des résultats de l’exercice effectué en salle d’audience).
[31] SD-2.
[32] SD-3.
[33] SD-3.
[34] SD-9, en liasse.
[35] Au moment de l’audience sur la peine (novembre 2024).
[36] Le cessionnaire des dossiers de M. Karkar au moment de sa radiation.
[37] Autorité des marchés financiers c. Lacroix,
[38] Id., par. 38.
[39] Ste-Marie c. Autorité des marchés financiers,
[40] Id., par. 101.
[41] Id., par. 103.
[42] Id., par. 104.
[43] La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers,
[44] Ste-Marie c. Autorité des marchés financiers,
[45] Id., par. 106-107 (soulignements ajoutés).
[46] Id., par. 108.
[47] R. v. Iacono. 2015 ONCJ 609.
[48] Id., par. 47.
[49] École du Barreau du Québec, Droit pénal - Infractions, moyens de défense et peine, Collection de Droit 2023-2024, vol. 13, Montréal (Québec), p. 73. Voir aussi Ontario Securities Commission v. Tiffin,
[50] Sicotte c. Autorité des marchés financiers, 2017 QCCA 1982, par. 33; Ste-Marie c. Autorité des marchés financiers,
[51] Ste-Marie c. Autorité des marchés financiers,
[52] Id., par. 125-126.
[53] Doyon c. Autorité des marchés financiers,
[54] R. c. Topp,
[55] Doyon c. Autorité des marchés financiers,
[56] Doyon c. Autorité des marchés financiers,
[57] Stella c. Autorité des marchés financiers,
[58] Autorité des marchés financiers c. Desmarais,
[59] Barreau de Montréal c. Karkar,
[60] Barreau de Montréal c. Karkar,
[61] Karkar c. Barreau de Montréal,
[62] Barreau de Montréal c. Karkar,
[63] Barreau de Montréal c. Karkar,
[64] Barreau de Montréal c. Karkar,
[65] SP-2, en liasse.
[66] SP-2, en liasse.
[67] SP-3, en liasse.
[68] SP-5.
[69] SD-7.
[70] Barreau de Montréal c. Karkar,
[71] SD-8 (soulignement ajouté).
[72] Ste-Marie c. Autorité des marchés financiers,
[73] Bazin c. Barreau de Montréal,
[74] Barreau de Montréal c. Garza,
[75] Barreau de Montréal c. Bazin,
[76] Agence du Revenu du Québec c. Morrissette,
[77] Section de l’Immigration de la Commission de l’immigration et statut de réfugié.
[78] Peterson c. R.,
[79] Barreau de Montréal c. Karkar,
[80] Une répartition conforme à l’affirmation selon laquelle l’amende sur le chef no 2 du dossier F devrait être supérieure au double de celle sur le chef no 1 – voir le paragraphe 102 du présent jugement. Rappelons que les montants de 10 000 $ et 30 000 $ ont été identifiés uniquement pour les fins d’établir le montant total des amendes à payer (avant ventilation).
[81] 37 500 $ + 22 500 $ + 55 000 $ = 115 000 $.
[82] SD-2, SD-3, SD-9, en liasse.
[83] Bazin c. Barreau de Montréal,
[84] Barreau de Montréal c. Bazin,
[85] Id., par. 7, 22-23.
[86] Tout en convenant que le choix de multiplier les chefs ait pu être conditionné par l’intention du poursuivant d’administrer une preuve de faits similaires entre chacun des chefs visant la préparation et la rédaction d’une DACJ (à l’exception du chef no 8).
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