Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Lapointe | 2024 QCCA 74 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(550-17-012468-227) | |||||
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DATE : | 18 janvier 2024 | ||||
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COMMISSION DE PROTECTION DU TERRITOIRE AGRICOLE DU QUÉBEC | |||||
APPELANTE – mise en cause | |||||
c. | |||||
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MICHEL LAPOINTE | |||||
INTIMÉ – demandeur | |||||
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JOSÉ PÉREZ LYNE LAPOINTE PIERRETTE QUÉVILLON LAPOINTE LAURE LAPOINTE FERNAND LAPOINTE SUZANNE LAPOINTE GUY LAPOINTE MARIO LAPOINTE LISE LAPOINTE DANIEL LAPOINTE | |||||
MIS EN CAUSE – défendeurs | |||||
et | |||||
BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE PAPINEAU HUBERT CARPENTIER | |||||
MIS EN CAUSE – mis en cause | |||||
et | |||||
UNION DES PRODUCTEURS AGRICOLES | |||||
INTERVENANTE | |||||
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 7 novembre 2022 par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Pierre Nollet), lequel rejette son moyen d’irrecevabilité[1]. À l’audience, le juge d’instance et les parties conviennent qu’il s’agit plutôt d’un moyen déclinatoire rationae materiae[2]. C’est également ainsi que le juge d’instance en traite dans son jugement[3].
[2] La question centrale que soulève ce moyen préliminaire est celle-ci : la définition que l’article 1, paragr. 3 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[4] (« LPTAA ») donne au mot aliénation inclut-elle le partage judiciaire en nature d’un lot situé dans une région agricole désignée (« terre agricole »)?
[3] L’appelante plaide que le juge d’instance a erré en droit en y répondant par la négative. Son interprétation trahirait la lettre et l’esprit de la LPTAA, précise-t-elle.
[4] Si le pourvoi devait être accueilli, l’intimé demande alors de ne pas être condamné au paiement des frais de justice, la question débattue étant complexe, nouvelle et d’intérêt public.
[5] L’Union des producteurs agricoles obtient l’autorisation d’intervenir au débat. Sans réserve, elle fait siens les arguments de l’appelante[5].
[6] En 1973, feu Gérard Lapointe vend à six membres de sa famille les 6/7 d’une terre agricole ayant une superficie d’environ 300 acres. En raison de transactions subséquentes, les indivisaires sont maintenant au nombre de douze.
[7] Une mésentente avec ses indivisaires incite l’intimé à demander à la Cour supérieure de mettre fin à l’indivision et d’ordonner le partage en nature de la terre.
[8] L’intimé met en cause l’appelante dans sa demande introductive d’instance. Aucun des défendeurs n’y répond.
[9] En revanche, l’appelante demande le rejet de cette demande au motif que son autorisation est requise selon les articles 28 et 29 de la LPTAA pour lotir ou aliéner une terre agricole si, dans ce dernier cas, celui qui y procède conserve un droit d’aliénation sur un lot contigu. Or, plaide-t-elle, le partage demandé aura l’effet d’une aliénation et d’un lotissement si la Cour supérieure y fait droit.
[10] L’intimé ne conteste pas que la terre en question est située dans une région agricole désignée, que le partage en nature de celle-ci aurait l’effet d’un morcellement et qu’il demeurerait titulaire d’un droit d’aliénation sur un lot contigu s’il avait gain de cause.
[11] Pour autant, il nie devoir préalablement obtenir l’autorisation de l’appelante. Il en serait ainsi puisque le partage envisagé ne répondrait pas à la définition que la LPTAA donne au mot aliénation.
[12] Avant de se pencher sur le fond du pourvoi, la Cour doit d’abord se prononcer sur la demande de permission d’appeler de bene esse que le juge Vauclair, siégeant seul, a déféré à la formation chargée d’entendre le pourvoi.
[13] L’appelante estime qu’elle peut interjeter appel de plein droit du jugement entrepris. À défaut, elle sollicite la permission de le faire.
[14] Qu’en est-il?
[15] La Cour est d’avis que l’appelante ne dispose pas d’un appel de plein droit[6]. Il en est ainsi car le jugement entrepris ne met pas fin à l’instance[7]. Il ne met pas hors de cause l’appelante. Il fait simplement en sorte que l’instance en partage se poursuive en Cour supérieure.
[16] Par conséquent, l’appel est assujetti aux conditions de l’article 31 al. 2 du Code de procédure civile. Le test applicable est celui que la juge Bich énonce dans Francoeur c. Francoeur[8] :
[8] La Cour s’est abondamment prononcée sur le sens de l’art. 31 C.p.c. et, en particulier, sur celui de son second alinéa. Il ressort de la jurisprudence que, aux fins d’obtenir une permission d’appeler en vertu de cette disposition, la partie requérante doit établir que le jugement de première instance décide en partie du litige ou lui cause un préjudice irrémédiable, ce qui est une condition de recevabilité de sa demande, sans laquelle, même erroné, le jugement ne peut faire l’objet d’un appel. Mais cette démonstration ne suffit pas : la partie requérante doit également montrer ce en quoi le jugement est affligé, du moins en apparence, d’une erreur de nature, potentiellement, à entraîner une intervention de la Cour. Mais cela encore ne suffit pas : elle doit également démontrer que l’appel projeté sert le « meilleur intérêt de la justice » ainsi que la saine administration de celle-ci (art. 9 et 18 C.p.c.) et qu’il concorde avec le principe de proportionnalité (art. 18 C.p.c.). Afin d’évaluer ces deux dernières conditions, le juge autorisateur se demandera notamment si l’affaire soulève une question méritant l’attention de la Cour et tentera aussi d'apprécier les chances de succès de l’appel envisagé puisque, bien sûr, il sera rarement dans l’intérêt de la justice d’autoriser un appel voué à l’échec. Il tiendra compte aussi du contexte général de l’affaire, du degré d’avancement de l’instance pendante devant le tribunal de première instance, de la manière dont les parties conduisent le dossier, etc.
[Références omises]
[17] La Cour est d’avis que tous ces critères sont remplis.
[18] Un jugement qui rejette un moyen déclinatoire est susceptible d’appel[9]. Ou bien on considère qu’il cause un préjudice irrémédiable, ou bien qu’il décide en partie du litige, ou les deux à la fois.
[19] Par ailleurs, la question soumise à l’attention de la Cour touche une question de compétence. Elle est donc sérieuse et partant, mérite son attention.
[20] Enfin, l’appel projeté présente des chances raisonnables de succès et respecte le principe de proportionnalité.
[21] La permission sollicitée sera donc accordée.
[22] La notion d’aliénation sur laquelle la Cour doit se prononcer est présente dans plusieurs dispositions de la LPTAA. Voici celles qui retiennent notre attention :
1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par : | 1. In this Act, unless the context requires otherwise, |
[…] | (…) |
3° «aliénation» : tout acte translatif ou déclaratif de propriété, y compris la vente avec faculté de rachat et l’emphytéose, le bail à rente, la déclaration d’apport en société, le partage, la cession d’un droit de propriété superficiaire, le transfert d’un droit visé à l’article 8 de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1), le transfert d’un droit visé à l’article 15 de la Loi sur le stockage de gaz naturel et sur les conduites de gaz naturel et de pétrole (chapitre S-34.1), le transfert d’une concession forestière en vertu de la Loi sur les terres et forêts (chapitre T-9), sauf : | (3) “alienation” means any conveyance or any declaratory act of ownership of property, including sale with a right of redemption, emphyteusis, alienation for rent, declaration of contribution to a partnership, partition, transfer of a right of superficies, transfer of a right contemplated in section 8 of the Mining Act (chapter M-13.1), transfer of a right referred to in section 15 of the Act respecting natural gas storage and natural gas and oil pipelines (chapter S-34.1) and transfer of timber limits under the Lands and Forests Act (chapter T-9), except |
a) la transmission pour cause de décès; | (a) transmission owing to death; |
b) la vente forcée au sens du Code civil, y compris la vente pour taxes et le retrait, et toute cession résultant de la Loi sur l’expropriation (chapitre E‑24); | (b) forced sale within the meaning of the Civil Code, including sale for unpaid taxes, redemption and any conveyance resulting from the Expropriation Act (chapter E-24); |
c) l’exercice d’une prise en paiement dans la mesure où le créancier devient propriétaire de tout le lot ou de tous les lots faisant l’objet de l’hypothèque; | (c) the effect of a taking in payment, to the extent that the creditor becomes the owner of the whole lot or all the lots subject to the hypothec; |
[…] | (…) |
10° «lotissement» : le morcellement d’un lot au moyen d’un acte d’aliénation d’une partie de ce lot; | (10) “subdivision” means the parcelling out of a lot by means of a deed of alienation of part of that lot; |
[…] | (…) |
28. Sauf dans les cas et conditions déterminés par règlement pris en vertu de l’article 80, une personne ne peut, sans l’autorisation de la commission, effectuer un lotissement dans une région agricole désignée. | 28. Except in the cases and circumstances determined in a regulation under section 80, no person may, without the authorization of the commission, effect a subdivision in a designated agricultural region. |
Toutefois une personne peut, sans l’autorisation de la commission, aliéner une partie résiduelle d’un lot si elle ne se conserve pas un droit d’aliénation sur une autre partie résiduelle du même lot qui est contiguë […]. | Notwithstanding the first paragraph, a person may, without the authorization of the commission, alienate a residual part of a lot if he does not retain a right of alienation on another residual part of the same lot that is contiguous (…). |
29. Sauf dans les cas et conditions déterminés par règlement pris en vertu de l’article 80, dans une région agricole désignée, une personne ne peut, sans l’autorisation de la commission, procéder à l’aliénation d’un lot si elle conserve un droit d’aliénation sur un lot contigu […]. | 29. Except in the cases and circumstances determined in a regulation under section 80, no person may, in a designated agricultural region, except with the authorization of the commission, effect the alienation of a lot while retaining a right of alienation on a contiguous lot (…). |
[Soulignements ajoutés]
[23] Le juge d’instance débute son analyse en rappelant que toute dérogation à la compétence inhérente de la Cour supérieure « doit être énoncée expressément, en termes clairs »[10] et que la règle selon laquelle nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision en est une qui est d’ordre public[11].
[24] Il se penche ensuite sur la notion d’aliénation.
[25] Il cite l’auteur Paul-André Crépeau[12] qui définit aliénation comme une opération consensuelle entre vifs portant sur un actif du patrimoine. Si l’on s’en tient à cette définition, écrit le juge d’instance, un partage judiciaire n’est pas une aliénation[13].
[26] L’appelante l’invite plutôt à retenir une définition plus large qui inclurait à la fois le partage consensuel et le partage judiciaire[14].
[27] Le juge d’instance s’en déclare incapable[15].
[28] L’inclusion du partage judicaire dans la définition d’aliénation ferait échec, explique-t-il, à la compétence de la Cour supérieure lorsque le lot à partager est situé dans une région agricole désignée[16]. De plus, le droit de mettre fin à l’indivision est le plus important parmi ceux dont dispose l’indivisaire. Or, l’interprétation proposée par l’appelante l’en priverait à moins qu’il ne se satisfasse de la vente du lot[17].
[29] L’utilisation du mot acte à l’article 1, par. 3 de la LPTAA serait un autre indice, à son avis, que le partage envisagé par le législateur est celui qui est consensuel. Au surplus, un jugement n’est pas un acte, écrit-il[18].
[30] Le libellé des articles 29 et 58 de la LPTAA confirmerait également la justesse de son interprétation. Dans le premier, on lit qu’une personne ne peut aliéner un lot si elle conserve un droit d’aliénation sur un lot contigu à moins d’y être autorisée par l’appelante. Dans le second, on indique qu’une personne qui désire poser un acte pour lequel une autorisation est requise doit en faire la demande à la municipalité concernée et en transmettre copie à l’appelante. Or, poursuit-il, le « Tribunal n’est pas une personne »[19].
[31] Il en conclut que ces articles 29 et 58 ne sauraient être interprétés comme retirant à la Cour supérieure la compétence d’entendre une demande visant à mettre fin à l’indivision lorsque le bien devant faire l’objet d’un partage en nature est une terre agricole[20]. L’appelante admet d’ailleurs qu’elle n’a pas compétence pour effectuer un partage judiciaire[21], souligne-t-il.
[32] Enfin, le juge d’instance écarte la possibilité pour le juge du fond de rendre un jugement conditionnel à l’obtention d’une autorisation de l’appelante[22].
[33] L’appelante plaide que le jugement entrepris a pour effet de créer une dualité de régimes en matière de partage en nature : celui qui est consensuel et celui qui est judiciaire. Le premier requerrait l’autorisation de l’appelante, mais non le second. Pourtant les deux ont le même effet, soit le morcellement d’une terre agricole. Pour contourner la procédure d’autorisation, un indivisaire n’aurait donc qu’à prendre l’initiative de s’adresser aux tribunaux. Un résultat aussi absurde ne peut avoir été voulu par le législateur, selon l’appelante.
[34] L’appelante ajoute que la définition du mot aliénation contenue dans la LPTAA inclut le partage. Le juge d’instance aurait dû donner effet à la volonté du législateur qui y est clairement exprimée, soit celle de soumettre les deux formes de partage à l’autorisation de l’appelante.
[35] De son côté, l’intimé concède que cette dualité de régimes peut paraître étonnante. Selon lui, il n’appartient pas aux tribunaux de réécrire une disposition législative pour corriger les lacunes qu’elle peut comporter.
[36] Il plaide aussi que le juge d’instance n’a commis aucune erreur d’interprétation.
[38] La Cour est d’avis que l’appelante a raison.
[39] Voici pourquoi.
[40] Rappelons tout d’abord que c’est la norme d’intervention de la décision correcte qui doit guider l’analyse de la Cour. Il en est ainsi puisque l'interprétation d'une disposition législative est une question de droit. Or, en cette matière, une erreur de droit affectant l'issue du litige justifie l'intervention de la Cour[23].
[41] Cela dit, le juge d’instance entame son analyse en faisant sienne la définition que l’auteur Crépeau donne au mot aliénation[24]. Il en retient qu’un partage est nécessairement une « opération consensuelle ». Il en fait ainsi son postulat de départ.
[42] De là, il constate que le partage judiciaire en nature est incompatible avec le principe du consensualisme[25].
[43] Le juge d’instance commet ici une erreur de droit.
[44] C’est vers le texte même de la définition du mot aliénation contenue dans la LPTAA qu’il aurait d’abord dû se tourner pour chercher la réponse à la question en litige.
[45] Figure dans celle-ci le mot partage. Sont ensuite exclus, aux sous-paragraphes a), b) et c), la transmission pour cause de décès, la vente forcée et la prise en paiement.
[46] Deux conclusions s’imposent, la seconde confirmant la première.
[47] D’une part, le législateur n’a pas qualifié le partage de consensuel ou de judiciaire. De plus, les actes juridiques exclus par les sous-paragraphes a), b) et c) ne sont pas des contrats consensuels. Si la définition du mot aliénation n’avait pour seul objet que les opérations consensuelles, pour reprendre l’expression choisie par le juge d’instance, ces exclusions auraient été inutiles. Le législateur aurait ainsi parlé pour ne rien dire, ce qu’il n’est pourtant pas censé faire[26].
[48] Suivant le texte même de la définition du mot aliénation, le partage judiciaire en nature est donc une aliénation au sens de la LPTAA. D’ailleurs, il est intéressant de souligner que, dans la version anglaise de la LPTAA, alienation est défini comme étant « any conveyance or any declaratory act of ownership of property ». La notion de conveyance n’est donc pas restreinte au « deed of conveyance ». Les mots « any conveyance » incluent certainement le partage judicaire en nature.
[49] D’autre part, une interprétation centrée sur la finalité[27] de la LPTAA qui est « d’assurer la pérennité d’une base territoriale pour la pratique de l’agriculture »[28] suggère fortement que le législateur n’a pas voulu distinguer entre les deux types de partage ou, autrement dit, créer une dualité de régimes.
[50] Mais il y a plus.
[51] Les mots partage et déclaratif de propriété que l’on retrouve aujourd’hui dans la définition du mot aliénation n’en faisaient pas partie lorsque la LPTAA a été sanctionnée en 1978[29]. Le législateur les a ajoutés en 1982[30] à la suite du jugement que la Cour supérieure (le juge Ovide Laflamme) a rendu en 1980 dans l’affaire Ouellet c. Procureur général du Québec et la CPTAQ[31].
[52] Or, le contexte de cette modification législative permet de bien en cerner la portée.
[53] En voici les grandes lignes.
[54] Dans le cadre d’une requête pour jugement déclaratoire, la Cour supérieure doit décider si le partage en nature à l’amiable d’une ferme agricole est soumis à l’approbation de l’appelante.
[55] Les propriétaires de la ferme plaident qu’aucune autorisation n’est requise. Il en serait ainsi puisque que le partage ne serait pas translatif de propriété, mais plutôt déclaratif. Ainsi, il ne répondrait pas à la définition que la LPTAA donnait alors au mot aliénation.
[56] La Cour supérieure fait plutôt une lecture téléologique de la LPTAA. Peu importe le mécanisme juridique utilisé, le résultat demeure le même. Le lot est morcelé et l’autorisation de l’appelante est requise.
[57] Appel est interjeté de son jugement.
[58] Durant l’instance en appel, le législateur modifie la définition du mot aliénation. Les notions d’acte déclaratif et de partage y sont alors incluses.
[59] En 1983, la Cour d’appel infirme le jugement de première instance[32].
[60] Dans des motifs unanimes, le juge Beauregard s’en remet aux enseignements de Mignault, Faribault, Brière et Mayrand au sujet du partage fait en vertu des articles 689[33], 746[34] et 747 du Code civil du Bas-Canada. Il écrit qu’un tel partage « n’opère pas aliénation de propriété mais […] n’est que déclaratif de cette propriété ». En conséquence, l’autorisation de l’appelante n’était pas requise.
[61] La Cour prend alors soin de souligner que, depuis le jugement de la Cour supérieure, la définition du mot aliénation a été modifiée. Cependant, le dossier ne révélant pas si l’acte de partage à l’amiable avait été fait avant ou après l’entrée en vigueur de ces modifications et les parties n’en ayant pas traité à fond, la Cour choisit de ne pas se prononcer sur leur portée.
[62] L’occasion lui est aujourd’hui offerte de le faire.
[63] La raison d’être de l’ajout des mots partage et déclaratif de propriété en 1982 se conçoit aisément. La Cour supérieure venait de s’interroger à savoir si un partage à l’amiable était un acte translatif ou plutôt déclaratif de propriété.
[64] Le législateur a choisi de résoudre la question en apportant deux modifications. D’abord, en incluant la notion d’acte déclaratif dans la définition d’aliénation et ensuite en ajoutant le mot partage dans l’énumération qui s’y trouve.
[65] Ainsi, la brèche qui a avait été mise en relief par le requérant Ouellet, soit celle de la dualité de régimes, venait d’être colmatée.
[66] De l’avis de la Cour, ces modifications datant de 1982 dissipent tout doute quant au fait qu’un partage en nature, qu’il soit judiciaire ou consensuel, est une aliénation au sens de la LPTAA.
[67] Cela dit, les autres arguments que soulève l’intimé ne font pas douter de la justesse de cette conclusion.
[68] D’abord, assujettir le partage judiciaire en nature à l’obtention d’une autorisation de la part de l’appelante n’équivaut pas à « retirer le partage judiciaire de la compétence judiciaire de la Cour supérieure lorsque le bien à partager est un immeuble situé en territoire agricole », comme l’affirme le juge d’instance[35]. L’appelante n’est pas compétente pour entendre une demande pour mettre fin à l’indivision. Sans réserve, elle en convient. Elle n'intervient que pour autoriser, en vertu des articles 28 et 29 de la LPTAA, le partage en nature qui provoque une aliénation ou un lotissement.
[69] L’argument que l’on tire de l’utilisation du mot personne aux articles 28, 29 et 58 de la LPTAA ne convainc pas davantage. Dans le contexte d’un partage judiciaire en nature, la personne qui doit obtenir l’autorisation de l’appelante n’est pas la Cour supérieure, mais plutôt celle qui en fait la demande.
[70] L’intimé plaide également que l’interprétation proposée par l’appelante aurait pour effet de priver, en pratique, le propriétaire indivis d’une terre agricole de son droit d’en obtenir le partage forcé en nature.
[71] Certes, la LPTAA est contraignante tout comme le sont, par exemple, la réglementation en matière de zonage dans le monde municipal et la Loi sur le patrimoine culturel[36] qui prévoit que le morcellement, la construction ou la démolition d’un immeuble situé dans une aire de protection requiert l’assentiment du ministre de la Culture et des Communications.
[72] Le principe selon lequel le droit de propriété n’est pas absolu fait partie de notre droit civil. On lit à l’article 947 du Code civil du Québec qu’il s’exerce « sous réserve des limites et des conditions d’exercice fixées par la loi ». L’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne[37] est d’ailleurs au même effet :
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. | 6. Every person has a right to the peaceful enjoyment and free disposition of his property, except to the extent provided by law. |
[73] En certaines matières, le législateur a choisi de restreindre l’exercice du droit de propriété au profit de la collectivité. La LPTAA en est un exemple, comme on le constate à la lecture de son article 1.1 :
1.1. Le régime de protection du territoire agricole institué par la présente loi a pour objet d’assurer la pérennité d’une base territoriale pour la pratique de l’agriculture, selon une diversité de modèles nécessitant notamment des superficies variées, et de favoriser, dans une perspective de développement durable, la protection et le développement des activités et des entreprises agricoles dans les zones agricoles dont il prévoit l’établissement. | 1.1. The object of the agricultural land preservation regime established by this Act is to secure a lasting territorial basis for the practice of agriculture, in accordance with a diversity of models requiring in particular varying areas of land, and to promote, in keeping with the concept of sustainable development, the preservation and development of agricultural activities and enterprises in the agricultural zones established by the regime. |
[74] Aussi contraignante que la LPTAA puisse être, la Cour suprême enseigne dans une trilogie d’arrêts rendus en 1989 qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’en atténuer la rigueur.
[75] Dans le premier, Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole)[38], le juge Beetz écrit dans des motifs unanimes que la LPTAA est une loi de zonage. Il ajoute :
Or les lois et règlements de zonage tendent pour la plupart à « stériliser » une partie du droit de propriété et certains le font de façon draconienne. Les tribunaux ne peuvent pour autant refuser de s’y conformer et de les appliquer.
[76] Dans le second, Veilleux c. Québec (Commission de protection du territoire agricole)[39], il affirme le caractère d’ordre public des interdictions contenues dans la LPTAA.
[77] Dans le troisième, Gauthier c. Québec (Commission de protection du territoire agricole)[40], il donne pleinement effet à la volonté du législateur de protéger les terres agricoles nonobstant les restrictions importantes que la LPTAA apporte au droit de propriété :
Il est vrai que, ne bénéficiant pas de droits acquis à utiliser, aliéner et lotir son terrain sans l’autorisation de la Commission, autorisation que la Commission a déjà refusée, les lots en question perdent une grande partie de leur valeur.
Cet effet de la Loi peut paraître injuste, particulièrement lorsque le promoteur a, de façon parfaitement licite, investi des fonds considérables et du temps dans son projet. Néanmoins, le législateur a cru nécessaire, pour atteindre l’objectif de la Loi, d’édicter une prohibition générale contre l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, l’aliénation et le lotissement de tout lot situé dans une zone agricole sans l’autorisation de la Commission. Tout en protégeant les droits acquis suivant des critères relativement traditionnels, tels celui de l’usage ou du permis dérogatoire, limités il est vrai à une partie de la superficie du lot, le législateur a en outre laissé l’examen de toute utilisation dérogatoire proposée à un tribunal spécialisé, la Commission, tribunal qui aurait la tâche d’évaluer les effets de toute utilisation dérogatoire proposée sur les terres agricoles de la province. Les tribunaux, tout comme le citoyen, doivent respecter la volonté du législateur. Il n'est pas de leur ressort d’adoucir les rigueurs de la Loi.
[Soulignement ajouté]
[78] Par ailleurs, même en dehors du champ d’application de la LPTAA, il existe des cas où les tribunaux ne jugeront pas opportun d’ordonner le partage en nature. Il doit alors se faire par aliénation[41].
[79] L’article 476 du Code de procédure civile prévoit même la possibilité pour le tribunal de nommer un ou plusieurs experts pour l’éclairer sur la façon de procéder au partage :
476. Le tribunal qui accueille la demande en partage d’un bien indivis peut ordonner soit le partage en nature, soit la vente des biens. | 476. In granting an application for the partition of undivided property, the court may order either a partition in kind or the sale of the property. |
Le tribunal peut nommer un expert, ou plusieurs s’il y a lieu, pour évaluer les biens, composer les lots et les partager, si les biens peuvent être commodément partagés ou attribués, ou les vendre, selon les modalités fixées par le tribunal. Une fois les opérations exécutées, l’expert prépare un rapport, le produit au greffe et en remet une copie aux indivisaires. | The court may appoint an expert, or more than one expert if necessary, to assess the value of the property, divide the property into lots and distribute the lots, if the property can conveniently be divided and distributed, or to sell the property in the manner determined by the court. On completion of the operations, the expert prepares a report, files it with the court office and delivers a copy to the co-owners. |
L’expert doit faire homologuer son rapport et sa demande d’homologation peut être contestée par tout intéressé. Le tribunal qui homologue le rapport peut, le cas échéant, ordonner au greffier ou à toute autre personne qu’il désigne de procéder au tirage des lots; un procès‑verbal de cette opération doit être produit au dossier. | The expert must have the report homologated; the homologation application may be contested by any interested person. When homologating the report, the court may, if necessary, direct the court clerk or any other person it designates to hold a drawing of the lots; minutes of this operation must be filed in the court record. |
[80] Ainsi, il est inexact de dire que l’impossibilité de procéder à un partage en nature a pour effet de neutraliser la règle d’ordre public selon laquelle nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision.
[81] Reste enfin l’argument de l’enchevêtrement procédural et juridictionnel qui résulterait de la soumission du partage judiciaire en nature à la compétence de l’appelante.
[82] Un fois la compétence administrative épuisée, explique l’intimé, le dossier serait susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant les tribunaux de droit commun. C’est au terme d’un processus long, coûteux et compliqué que le débat sur l’indivision pourrait enfin débuter devant la Cour supérieure.
[83] Ce que l’intimé redoute, en plus d’être hypothétique, ne permet pas de court-circuiter la compétence administrative de l’appelante ni de réécrire la LPTAA.
[84] Un constat s’impose : la demande introductive d’instance en partage d’un immeuble indivis de l’intimé est prématurée. Le partage demandé aurait dû être autorisé par l’appelante avant qu’elle ne soit produite au greffe de la Cour supérieure. En effet, les tribunaux de droit commun ne peuvent usurper la compétence que le législateur a confiée à l’appelante d’autoriser une aliénation en zone agricole autrement prohibée par la LPTAA[42].
[85] Il y a donc lieu d’infirmer le jugement entrepris et de rejeter la demande introductive d’instance en partage d’un immeuble indivis, sauf recours.
[86] Quant aux frais de justice, il n’y a pas lieu de déroger à la règle selon laquelle ils sont dus à la partie qui a eu gain de cause.
[87] ACCUEILLE la demande de permission d’appeler de bene esse;
[88] ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice;
[89] INFIRME le jugement de première instance et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu, REMPLACE le dispositif de ce jugement par le suivant :
[41] ACCUEILLE le moyen déclinatoire;
[42] REJETTE la demande introductive d’instance en partage d’un immeuble indivis, sauf recours;
[43] AVEC les frais de justice.
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. | |
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| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |
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| ÉRIC HARDY, J.C.A. | |
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Me Émilie Pelletier | ||
CPTAQ Avocats | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Maryse Lapointe | ||
Me Jessica Leblanc | ||
Lapointe Legal | ||
Pour l’intimé | ||
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Me Rémi Jolicoeur | ||
BHLF avocats | ||
Pour l’intervenante | ||
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Date d’audience : | 10 novembre 2023 | |
[1] Lapointe c. Perez,
[2] Id., paragr. 1, 2, 11 et 40.
[3] Id., paragr. 41.
[4] RLRQ, c. P-41.1.
[5] Union des producteurs agricoles c. Lapointe,
[6] Code de procédure civile, art. 30.
[7] Larivière c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal),
[8]
[9] Concept Special Risks Ltd. c. Telmosse,
[10] Jugement entrepris, paragr. 16 et 17.
[11] Id., paragr. 20.
[12] Centre Paul-André Crépeau en droit privé et comparé, Dictionnaire de droit privé en ligne, Université McGill, Montréal, en ligne : https://nimbus.mcgill.ca/pld-ddp/dictionary/search.
[13] Jugement entrepris, paragr. 23 et 24.
[14] Id., paragr. 27.
[15] Id., paragr. 30.
[16] Id., paragr. 28.
[17] Id., paragr. 29 et Code civil du Québec, art. 1037, al. 1.
[18] Jugement entrepris, paragr. 31 à 33.
[19] Id., paragr. 36.
[20] Id., paragr. 37.
[21] Id., paragr. 39.
[22] Id., paragr. 38.
[23] Association québécoise des pharmaciens propriétaires c. Régie de l'assurance maladie du Québec,
[24] Voir le paragr. 25 du présent arrêt.
[25] Jugement entrepris, paragr. 31.
[26] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov,
[27] Loi d'interprétation, RLRQ, c. I-16, article 41, al. 2.
[28] LPTAA, article 1.1.
[29] Loi sur la protection du territoire agricole, L.Q. 1978, c. 10, art. 1 al. 1 (3).
[30] Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole, L.Q., 1982, c. 40, art. 1.
[31] Jugement du 11 juillet 1980 dans le dossier 200-05-000747-803.
[32] Arrêt du 6 avril 1983 dans le dossier 200-09-000463-809.
[33] Équivalent de l’article 1030 du Code civil du Québec.
[34] Équivalent de l’article 884 du Code civil du Québec.
[35] Jugement entrepris, paragr. 28.
[36] RLRQ, c. P-9.002, article 49.
[37] RLRQ, c. C-12.
[38]
[39]
[40]
[41] Code civil du Québec, article 1037.
[42] LPTAA, article 55.
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