Décision

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Malogrosz c. R.

2025 QCCA 667

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

 MONTRÉAL

 :

500-10-008080-234

(500-01-211438-202)

 

DATE :

28 mai 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A.

 

 

PHILIP MALOGROSZ

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en première instance en vertu de l’article 486.4(1) C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.

  1.                 L’appelant porte en appel un jugement de la Cour du Québec, chambre criminelle (l’honorable Mélanie Hébert), l’ayant déclaré coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles (alinéa 267b) C.cr.) et de transmission non consensuelle d’une image intime (article 162.1 C.cr.).


  1.                 Pour les motifs du juge Bachand, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Weitzman, LA COUR :
  2.                 REJETTE l’appel.

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A.

 

Me Benoit Demchuck

CORBEIL DEMCHUCK ROY, AVOCATS

Pour l’appelant

 

Me Magalie Cimon

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

28 janvier 2025


 

 

 

MOTIFS DU JUGE BACHAND

 

 

  1.                 L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un jugement l’ayant déclaré coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles et de transmission non consensuelle d’une image intime[1]. Dans son avis d’appel, il reproche à la juge de première instance d’avoir commis certaines erreurs de droit en analysant la crédibilité et la fiabilité des témoignages. Il soutient aussi qu’elle s’est méprise en analysant certains documents électroniques et en interprétant la notion d’image intime employée par le législateur à l’article 162.1 C.cr.

* * *

  1.                 La preuve administrée par le ministère public est composée des témoignages de la plaignante et d’une de ses amies, ainsi que de certaines pièces, soit des extraits du dossier médical de la plaignante, de la correspondance électronique et une vidéo montrant l’image visée par le chef de transmission non consensuelle d’une image intime. L’appelant, qui entretenait une relation amoureuse avec la plaignante au début de la période durant laquelle se sont déroulés les événements à l’origine de l’affaire, a témoigné. Il a également produit en preuve des messages texte échangés entre la plaignante et lui.
  2.                 Au terme du procès, la juge a conclu que le témoignage de l’appelant n’était pas crédible et qu’il ne soulevait aucun doute raisonnable. Elle est arrivée à cette conclusion après avoir constaté que l’appelant avait ajusté son témoignage sur un point important, que certains aspects de son récit étaient contredits par la preuve documentaire alors que d’autres étaient invraisemblables, et qu’il avait eu une attitude méprisante durant son contre-interrogatoire. Quant à la plaignante, la juge l’a estimée honnête, sincère et transparente, et ce, malgré certaines imperfections qui, à la réflexion, se sont avérées sans conséquence importante sur le plan de la crédibilité et de la fiabilité de son témoignage. La juge a également retenu le témoignage de l’amie de la plaignante après avoir jugé peu significative une contradiction sur un point périphérique.
  3.                 Au terme de son analyse de la preuve, la juge a notamment retenu les faits suivants :
  1.      Durant la nuit du 8 au 9 février 2020, l’appelant a asséné à la plaignante un coup de poing au visage, après quoi elle s’est rendue à l’urgence, où elle est retournée à deux reprises durant la journée du 10 février. À cette date, la plaignante a mis fin à sa relation avec l’appelant, mais ce dernier l’a tout de même accompagnée lors de sa troisième visite à l’urgence.
  2.      Dans l’espoir de rester en bons termes avec l’appelant, la plaignante a gardé contact avec lui durant quelques semaines. Ils ont notamment échangé des messages texte les 5 et 6 mai 2020 qui, contrairement à la prétention du ministère public, n’étaient pas de nature à susciter chez la plaignante une crainte pour sa sécurité.
  3.      Leur relation s’est ensuite détériorée au point où la plaignante a décidé de bloquer l’appelant afin qu’il ne puisse plus communiquer avec elle.
  4.      En mai 2020, la plaignante a reçu d’une adresse courriel qui lui était inconnue une lettre décrivant sa relation avec l’appelant et la dépeignant de façon très négative. De manière concomitante, elle a reçu d’un numéro de téléphone qu’elle n’a pas reconnu un message texte ne contenant qu’un seul caractère — un cœur bleu. La preuve n’a cependant pas démontré hors de tout doute raisonnable que ces envois provenaient de l’appelant.
  5.      Toujours en mai 2020, l’amie de la plaignante a reçu de l’appelant une vidéo envoyée à partir d’un compte Instagram que ce dernier avait préalablement utilisé afin de communiquer avec les deux femmes. Cette vidéo montre notamment une image que la plaignante avait préalablement envoyée à l’appelant — et à personne d’autre. Il s’agit d’un égoportrait d’elle posant devant un miroir et montrant le haut de son corps, à partir du bas de son menton jusqu’au haut de ses cuisses, entièrement dévêtu. Son bras droit est placé de manière à cacher ses seins, alors que sa main gauche tient le téléphone dont elle s’est servie pour se photographier. L’éclairage fait en sorte qu’il n’est pas possible de discerner ses organes génitaux.
  6.        Après que son amie lui eut montré la vidéo, la plaignante a rencontré l’appelant afin de récupérer certaines images d’elle dont il était toujours en possession.
  7.      Le 22 septembre 2020, la plaignante a reçu du frère de l’appelant un appel auquel elle n’a pas répondu. Tout juste après, ses parents l’ont informée que sa voiture venait d’être vandalisée. Puis, elle a reçu un courriel intitulé « surprise ». La preuve n’a cependant pas démontré hors de tout doute raisonnable que l’appelant était à l’origine du vandalisme et du courriel.
  1.                 À la lumière de ces constats, la juge a déclaré l’appelant coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles et de transmission non consensuelle d’une image intime, mais elle l’a acquitté du chef de harcèlement.

* * *

  1.                 Comme il a été mentionné en introduction, l’appelant reproche principalement à la juge d’avoir commis certaines erreurs de droit en analysant la crédibilité et la fiabilité des témoignages.
  2.            Dans son avis d’appel, il soutient que la juge a commis une première erreur de droit « dans son analyse de la crédibilité et la fiabilité des témoins présentés par l’intimé en se fondant d’une manière indue sur l’impression que laisse l’apparente sincérité de leur récit afin de justifier leurs lacunes »[2]. Précisant sa position dans son mémoire, l’appelant revient sur certaines contradictions que la juge a écartées après avoir expliqué pourquoi elle les estimait sans conséquence importante sur la force probante des témoignages de la plaignante et de son amie.
  3.            À mon avis, ce moyen, qui reproche essentiellement à la juge de ne pas avoir accordé suffisamment de poids à ces contradictions, ne soulève aucune question de droit et est donc irrecevable, l’appelant n’ayant pas demandé l’autorisation de se pourvoir sur le fondement du sous-alinéa 675(1)a)(ii) C.cr. À tout événement, même si l’appelant avait été autorisé à invoquer des moyens soulevant des questions de fait, cela n’aurait rien changé au résultat, puisqu’il n’a mis en lumière aucune erreur manifeste et déterminante. La Cour n’aurait donc pas été justifiée d’écarter les conclusions de fait tirées par la juge[3].
  4.            Dans l’avis d’appel, l’appelant reproche en outre à la juge d’avoir commis une seconde erreur de droit « dans son analyse de la fiabilité et la crédibilité de l’appelant en accordant une importance indue à la manière dont il a témoigné »[4]. L’appelant précise dans son mémoire que la juge se serait méprise en s’appuyant sur une considération non pertinente, soit le fait qu’il se serait comporté de manière méprisante envers la plaignante. Elle aurait ainsi commis une erreur semblable à celle que la Cour a relevée dans un arrêt rendu en 2012[5]. Voici l’extrait pertinent des motifs de la juge[6] :

Cinquièmement, lorsqu’il est contre-interrogé, l’accusé dit ne pas connaître la signification de l’expression « thot », T-H-O-T, qui apparaît à la lettre P-4, et ce, même encore aujourd’hui, « aujourd’hui » étant le moment où il témoigne. L’avocat du ministère public le confronte alors avec le fait que la plaignante a donné une définition de cette expression lors de son témoignage, inférant qu’il devrait donc connaître la signification de l’expression. La réponse de l’accusé à cette question n’est pas qu’il n’a pas entendu la réponse de la plaignante à ce sujet ou qu’il ne s’en souvient plus, sa réponse est essentiellement qu’il a des choses plus importantes dans sa vie en ce moment que les présentes procédures. Cette réponse, dans le contexte avec la gestuelle qui l’accompagnait, était tout simplement méprisante. Lorsque le ministère public confronte l’accusé avec le fait qu’il dit avoir écouté le témoignage de la plaignante et pris des notes durant celui-ci, la réponse de l’accusé est alors toute aussi méprisante. Il dit avoir pris des notes que sur les choses importantes, de façon méprisante. Et encore une fois, je note les propos, mais je note aussi le comportement qui y était associé. Ces constatations ébranlent la crédibilité de l’ensemble du témoignage de l’accusé, car elles ont un impact direct sur son honnêteté, son intégrité, et la sincérité du témoignage donné.

  1.            Comme on le constate en lisant cet extrait, la juge insiste sur le fait que l’appelant a fait preuve de mépris non pas envers la plaignante, mais plutôt envers le processus judiciaire. Cette distinction est déterminante. En effet, il ne fait aucun doute que l’attitude d’un témoin envers le fait d’avoir à témoigner, le processus judiciaire ou la recherche de la vérité fait partie des considérations dont le juge des faits peut tenir compte en appréciant sa crédibilité[7]. Quant au poids accordé par la juge à l’attitude méprisante de l’appelant, il s’agit d’une conclusion de fait que ce dernier n’a pas été autorisé à remettre en question dans le cadre du présent pourvoi.
  2.            Dans son mémoire, l’appelant soulève un nouvel argument à l’encontre de l’analyse que la juge a effectuée de la force probante de son témoignage. Il soutient qu’elle a commis une erreur révisable en constatant que certains messages texte échangés entre la plaignante et lui en septembre 2020 contredisaient de manière importante ses affirmations selon lesquelles il n’avait alors aucun intérêt à parler à la plaignante et que, s’il avait néanmoins accepté de communiquer avec elle, c’était en raison de l’insistance dont elle avait fait preuve. Là encore, l’appelant s’en prend à une conclusion de fait qu’il n’a pas été autorisé à remettre en question dans le cadre du présent pourvoi. À tout événement, j’estime que la juge n’a commis aucune erreur en constatant l’existence de cette contradiction et qu’elle pouvait raisonnablement y voir un élément entachant de manière importante sa crédibilité.
  3.            Le troisième moyen énoncé dans l’avis d’appel reproche à la juge d’avoir commis une erreur de droit en n’analysant pas la force probante des témoignages selon la même norme. Plus exactement, le juge aurait minimisé les lacunes dans le témoignage de la plaignante tout en retenant contre lui des lacunes similaires, voire moins importantes.
  4.            Ce moyen n’est pas fondé. À supposer même que l’examen inégal de la preuve du ministère public et celle de l’accusé constitue un moyen d’appel indépendant — une thèse à l’égard de laquelle la Cour suprême a exprimé de sérieuses réserves dans l’arrêt G.F.[8] —, le fardeau incombant à la partie l’invoquant est particulièrement lourd : il faut que le recours à un double standard « ressorte clairement du dossier et que l’on puisse en conclure que la juge a, par un tel prisme, eu une vision trompeuse de la valeur respective des témoignages »[9]. Or, aucun aspect de l’analyse de la force probante des témoignages effectuée par la juge — une analyse particulièrement détaillée et dont la qualité mérite d’être soulignée — ne donne à penser qu’elle a commis l’erreur qui lui est reprochée. Chacun des témoignages présentait des lacunes qui lui sont propres et que la juge a analysées de manière contextuelle et nuancée. Il est tout à fait loisible à un juge des faits de conclure que les imperfections d’un témoignage affectent sa force probante dans son ensemble tout en concluant que les lacunes d’un autre témoignage s’avèrent bénignes ou limitées, dans leur effet, à certains aspects du témoignage.

* * *

  1.            Le quatrième moyen d’appel reproche à la juge de ne pas s’être suffisamment mise en garde contre la faillibilité inhérente de la correspondance électronique en retenant, sur le seul fondement du témoignage de l’amie de la plaignante, que le compte Instagram utilisé pour transmettre la vidéo décrite plus haut[10] appartenait à l’appelant. La juge aurait notamment fait fi des enseignements de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Aslami[11], ainsi que des principes relatifs à l’obligation incombant aux policiers de procéder à des enquêtes approfondies afin d’éviter des erreurs judiciaires[12].
  2.            Là encore, l’appelant — qui, soit dit en passant, n’a jamais soulevé l’irrecevabilité de la vidéo et de la correspondance électronique en première instance — qualifie à tort d’erreurs de droit des erreurs que la juge aurait commises dans le cadre d’une analyse strictement factuelle. Ses arguments sont donc irrecevables.
  3.            Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que l’analyse de la juge n’est entachée d’aucune erreur manifeste et déterminante. Il ne fait aucun doute qu’elle était consciente de l’importance d’analyser avec soin l’origine des correspondances électroniques invoquées par les parties. C’est d’ailleurs précisément parce qu’elle a entretenu un doute sur l’origine de certaines d’entre elles que l’appelant a été acquitté de l’accusation de harcèlement. La juge a également examiné avec soin la question de savoir si la preuve soulevait un doute raisonnable quant à la possibilité que la plaignante et son amie aient orchestré un coup monté afin de nuire à l’appelant. Elle a conclu que ce n’était pas le cas. Enfin, il convient de souligner que sa conclusion quant au lien entre l’appelant et le compte Instagram utilisé pour transmettre la vidéo ne s’appuie pas seulement sur le témoignage de l’amie de la plaignante. Elle s’appuie également sur le témoignage de la plaignante elle-même, qui a relaté certains faits circonstanciels tendant à démontrer que l’appelant était l’auteur de la vidéo — dont le fait qu’elle n’a transmis l’image litigieuse à personne d’autre et le fait que la vidéo montre des messages textes qu’elle et lui se sont échangés.

* * *

  1.            La dernière question que soulève ce pourvoi a trait à la notion d’image intime employée par le législateur à l’article 162.1 C.cr.
  2.            Le premier paragraphe de cette disposition précise que l’infraction consiste notamment en le fait de sciemment transmettre une image intime d’une personne sachant que cette dernière n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non. Le second paragraphe précise ce que constitue une image intime :

162.1 […]

Définition de image intime

(2) Au présent article, image intime s’entend d’un enregistrement visuel  —  photographique, filmé, vidéo ou autre  —  d’une personne, réalisé par tout moyen, où celle-ci :

a) y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite;

b) se trouvait, lors de la réalisation de cet enregistrement, dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée;

c) a toujours cette attente raisonnable de protection en matière de vie privée à l’égard de l’enregistrement au moment de la perpétration de l’infraction.

162.1 […]

Definition of intimate image

(2) In this section, intimate image means a visual recording of a person made by any means including a photographic, film or video recording,

(a) in which the person is nude, is exposing his or her genital organs or anal region or her breasts or is engaged in explicit sexual activity;

(b) in respect of which, at the time of the recording, there were circumstances that gave rise to a reasonable expectation of privacy; and

(c) in respect of which the person depicted retains a reasonable expectation of privacy at the time the offence is committed.

 

  1.            Il est acquis au débat que les deuxième et troisième critères sont remplis : la plaignante avait une attente raisonnable de protection en matière de vie privée au moment où elle s’est prise en photo, et elle avait toujours cette attente au moment où l’image litigieuse a été transmise à son amie.
  2.            L’argument principal de l’appelant est qu’une image montrant une personne nue, mais sans que ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale soient visibles, et sans qu’elle se livre à une activité explicite, n’est pas visée par l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. La juge a rejeté cette thèse. Elle a conclu que l’énumération se trouvant à l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. est disjonctive, ce qui veut dire qu’une image tombera dans le champ d’application de cet alinéa si la personne (i) y figure nue, (ii) y figure exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale (iii) ou y figure se livrant à une activité sexuelle explicite. Puis, après avoir constaté que la plaignante figurait nue sur l’image litigieuse, elle a conclu qu’il s’agissait bien d’une image intime au sens du paragraphe 162.1(2) C.cr.
  3.            La juge a eu raison de conclure que l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. contient une énumération disjonctive. Toute ambiguïté que l’on pourrait déceler dans le libellé de la version française se dissipe à la lecture de la version anglaise : « in which the person is nude, is exposing his or her genital organs or anal region or her breasts or is engaged in explicit sexual activity »[13]. De plus, retenir la thèse de l’appelant introduirait une incohérence entre la définition d’image intime et les situations visées par l’infraction de voyeurisme prévue au paragraphe 162(1) C.cr., dont le libellé — y compris dans la version française — ne renferme aucune ambiguïté :

Voyeurisme

162 (1) Commet une infraction quiconque, subrepticement, observe, notamment par des moyens mécaniques ou électroniques, une personne — ou produit un enregistrement visuel d’une personne — se trouvant dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée, dans l’un des cas suivants :

a) la personne est dans un lieu où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne soit nue, expose ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livre à une activité sexuelle explicite;

b) la personne est nue, expose ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livre à une activité sexuelle explicite, et l’observation ou l’enregistrement est fait dans le dessein d’ainsi observer ou enregistrer une personne;

c) l’observation ou l’enregistrement est fait dans un but sexuel.

Voyeurism

162 (1) Every one commits an offence who, surreptitiously, observes — including by mechanical or electronic means — or makes a visual recording of a person who is in circumstances that give rise to a reasonable expectation of privacy, if

(a) the person is in a place in which a person can reasonably be expected to be nude, to expose his or her genital organs or anal region or her breasts, or to be engaged in explicit sexual activity;

(b) the person is nude, is exposing his or her genital organs or anal region or her breasts, or is engaged in explicit sexual activity, and the observation or recording is done for the purpose of observing or recording a person in such a state or engaged in such an activity; or

(c) the observation or recording is done for a sexual purpose.

[Soulignements ajoutés]

  1.            Cette incohérence serait d’autant plus problématique qu’à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi ayant conduit à l’ajout de l’article 162.1 C.cr., le ministre de la Justice a précisé que l’alinéa (2)a) — dont le libellé était alors identique à celui qui a reçu l’assentiment du Parlement — contenait une définition de la notion d’image intime qui se voulait similaire aux situations visées par l’infraction de voyeurisme[14].
  2.            S’il suffit donc qu’une image présente une personne nue pour être visée par l’alinéa 162.1(2)a) C.cr., la question se pose toutefois de savoir si, sur l’image litigieuse, la plaignante est bel et bien nue au sens de cette disposition. L’appelant est d’avis que ce n’est pas le cas, puisque la partie inférieure du corps de la plaignante n’est pas visible sur l’image litigieuse. Ainsi, selon lui, l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. ne vise que la nudité totale — c’est-à-dire la situation d’une personne qui figure entièrement dévêtue sur une image.
  3.            Quel sens revêt le terme « nu/nude » à l’alinéa 162.1(2)a) C.cr.?
  4.            La Cour suprême a eu l’occasion de se pencher sur la notion de nudité dans l’arrêt Verrette, rendu en 1978[15]. L’affaire soulevait la question du sens à donner à ce terme pour interpréter la disposition établissant l’infraction de nudité dans un endroit public. Cette infraction est aujourd’hui codifiée à l’article 174 C.cr., qui se lit comme suit :

Nudité

174  (1) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, sans excuse légitime, selon le cas :

Nudity

174  (1) Every one who, without lawful excuse,

a) est nu dans un endroit public;

(a) is nude in a public place, or

b) est nu et exposé à la vue du public sur une propriété privée, que la propriété soit la sienne ou non.

(b) is nude and exposed to public view while on private property, whether or not the property is his own,

is guilty of an offence punishable on summary conviction.

Nu

Nude

(2)  Est nu, pour l’application du présent article, quiconque est vêtu de façon à offenser la décence ou l’ordre public.

(2)  For the purposes of this section, a person is nude who is so clad as to offend against public decency or order.

Consentement du procureur général

Consent of Attorney General

(3)  Il ne peut être engagé de poursuites pour une infraction visée au présent article sans le consentement du procureur général.

(3)  No proceedings shall be commenced under this section without the consent of the Attorney General.

  1.            La question en litige dans Verrette concernait l’effet à donner au deuxième paragraphe. La Cour suprême a conclu qu’il s’agissait d’une disposition déterminative — autrement dit, une disposition ayant pour effet d’élargir le sens de la notion de nudité employée au paragraphe précédent, plutôt que de la limiter[16]. Ce faisant, elle a toutefois précisé que, telle qu’employée dans cette disposition, la notion de nudité correspondait à une nudité totale, soit le fait d’être complètement dévêtu[17].
  2.            Étant donné que « nu » au paragraphe 174(1) C.cr. signifie complètement nu, ce terme ne devrait-il pas avoir la même signification au sens de l’alinéa 162.1(2)a) C.cr.?
  3.            Certes, il est bien établi « [qu’]à moins que le contexte ne s’y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et avoir le même sens tout au long d’un texte législatif »[18]. Cette « présomption d’uniformité d’expression »[19] est cependant réfragable. En présence d’éléments contextuels militant fortement en faveur d’interprétations divergentes d’un même terme, il peut être justifié, et parfois même nécessaire, de s’en écarter.
  4.            Lorsque l’on compare l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. et l’alinéa 174(1)a) C.cr., une chose saute aux yeux. Dans le cas de l’infraction de nudité dans un endroit public, une interprétation étroite de la notion de nudité — limitée à la nudité totale — n’est pas susceptible de conduire à des résultats qui risqueraient de contrecarrer l’objectif poursuivi par le législateur, car les cas de nudité partielle susceptibles de porter atteinte aux intérêts que cherche à protéger le législateur seront couverts par la disposition déterminative se trouvant au paragraphe suivant. Ainsi, la personne qui se trouve en public vêtue uniquement d’une chemise déboutonnée ne sera pas nue au sens de l’alinéa 174(1)a) C.cr., mais elle pourra être considérée comme étant « vêtu[e] de façon à offenser la décence ou l’ordre public/so clad as to offend against public decency or order » au sens du paragraphe 174(2) C.cr.
  5.            L’absence d’une telle disposition déterminative à l’article 162.1 C.cr. change la donne. S’il fallait interpréter « nue/nude » comme n’incluant que les situations de nudité totale, il s’ensuivrait, par exemple, qu’une image montrant une personne vêtue uniquement de pantalons baissés jusqu’aux genoux et cachant ses organes génitaux et ses seins avec ses mains ne constituerait pas une image intime, alors qu’une image montrant la même personne adoptant la même pose, mais étant cependant entièrement dévêtue, tomberait dans le champ d’application du paragraphe 162.1(2) C.cr. Or, lorsque l’on tient compte des intérêts que cherche à protéger le législateur, on réalise qu’il serait absurde de qualifier différemment ces deux images : l’objectif de protéger l’intimité, l’intégrité, l’autonomie et la dignité d’une personne qui se trouve dans une situation de vulnérabilité au moment de la prise la photo est tout aussi pressant dans un cas comme dans l’autre. Limiter la notion de nudité à la situation d’une personne complètement dévêtue aurait donc pour effet de restreindre de manière arbitraire la portée de l’infraction de transmission non consensuelle d’une image intime.
  6.            Il s’ensuit qu’en l’espèce, on ne peut conclure à l’inapplicabilité de l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. à l’image litigieuse au seul motif qu’on n’y voit pas le corps entièrement dénudé de la plaignante. La question est plutôt de savoir si cette dernière y est suffisamment dévêtue pour que l’on puisse la considérer comme étant « nue/nude » au sens de cette disposition.
  7.            Comment tracer la ligne entre les situations de nudité partielle visées par l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. et celles qui ne le sont pas? Il ne me semble pas nécessaire, dans le cadre de la présente affaire, de tenter de définir un critère qui permettrait de délimiter de manière précise et exhaustive les contours de la notion de nudité au sens de cette disposition. Quel que soit le critère applicable, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il est rempli en l’espèce, car, du point de vue de l’atteinte potentielle à l’intimité, à l’intégrité, à l’autonomie et à la dignité de la personne concernée, je ne vois pas de différence significative entre une image la montrant entièrement dévêtue et une image — comme celle dont il s’agit en l’espèce — la montrant dévêtue à partir du haut des cuisses.
  8.            La juge de première instance a donc eu raison de conclure que l’image litigieuse constitue une image intime au sens du paragraphe 162.1(2) C.cr.

* * *

  1.            Pour ces motifs, je propose à la Cour de rejeter l’appel.

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 


[1] R. c. Malogrosz, C.Q., Montréal, n° 500-01-211438-202, 7 septembre 2023, Hébert, j.c.q. [jugement entrepris].

[2] Avis d’appel de verdicts de culpabilité, paragr. 5.1.

[3] R. c. Kruk, 2024 CSC 7, paragr. 82.

[4] Avis d’appel de verdicts de culpabilité, paragr. 5.2.

[5] LSJPA — 1228, 2012 QCCA 1631, paragr. 138 : « Ensuite, [la juge] évoque le mépris dont l’appelant a fait preuve à l’endroit du plaignant dans son témoignage. Avec égards, cette considération est sans pertinence avec sa crédibilité, et encore moins avec sa culpabilité. Certes, le fait de mépriser quelqu’un attire rarement la sympathie, mais cela ne peut d’aucune manière constituer un indice que l’on ment en affirmant ne pas l’avoir agressé sexuellement » [renvoi omis]. Voir aussi : LSJPA — 1521, 2015 QCCA 1229, paragr. 28; LSJPA — 1711, 2017 QCCA 843, paragr. 36.

[6] Jugement entrepris, p. 15-16.

[7] Voir par ex., en ce sens, R. c. Bourdeau, 2022 ONCA 662, paragr. 54.

[8] R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 99-101.

[9] Gauthier c. R., 2020 QCCA 714, paragr. 114. Voir aussi Lemieux c. R., 2023 QCCA 480, paragr. 21.

[10] Supra, paragr. [7e)].

[11] R. v. Aslami, 2021 ONCA 249, paragr. 11, 24, 28 et 30.

[12] À ce chapitre, l’appelant invoque l’arrêt Dulude c. R., 2022 QCCA 1096.

[13] Soulignements ajoutés. Deux juges de cours provinciales n’ont eu aucune difficulté à conclure au caractère disjonctif de l’énumération contenue à l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. : R. v. Verner, 2017 ONCJ 415, p. 12; R v. Winsor, 2024 ABCJ 5, paragr. 21.

[14] Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 41e légis., 2e sess., vol. 147, n° 25, 27 novembre 2013, p. 1437.

[15] R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838.

[16] La Cour suprême a ainsi rejeté la prétention de l’accusé selon laquelle le deuxième paragraphe devait être lu en corrélation avec le premier, ce qui aurait eu comme conséquence que l’infraction aurait seulement visé une personne nue dans un endroit public et dont le comportement a offensé la décence et l’ordre public.

[17] Id., p. 846-847.

[18] Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), 1992 CanLII 121 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 385, p. 400. Voir aussi : R. c. Zeolkowski, 1989 CanLII 72 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1378, p. 1387; R. c. Middleton, 2009 CSC 21, paragr. 11; Mayco Financial Corporation c. Rosenberg, 2015 QCCA 1231, paragr. 28; Association des chirurgiens dentistes du Québec c. Ministre de la Santé et des Services sociaux, 2021 QCCA 170, paragr. 42; Diamond Provencher c. Adam, 2024 QCCA 404, paragr. 32.

[19] Voir par ex. : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragr. 81; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, paragr. 44.

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