Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Donais c. Municipalité de Saint-Sébastien

2021 QCTAT 4809

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

1034443-71-1907    1037974-71-1912

(CM-2019-3909)      (CM-2020-0093)

Dossier employeur :

792419

 

 

Montréal,

le 6 octobre 2021

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

François Demers

______________________________________________________________________

 

 

 

Manon Donais

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Municipalité de Saint-Sébastien

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

L’aperçu

[1]           Manon Donais est la directrice générale (la DG) de la municipalité de Saint-Sébastien (la municipalité). Elle intente deux recours contre son employeur. Le premier conteste ce qu’elle considère comme une destitution déguisée[1]. Le second est une plainte pour harcèlement psychologique[2].

[2]           La DG allègue que la municipalité, principalement par l’entremise de son maire, a manœuvré de façon à rendre sa situation intolérable et ainsi la pousser à quitter son emploi.

[3]           La municipalité conteste ces recours. Elle plaide que madame Donais n’a jamais été congédiée et qu’elle est libre de reprendre le travail. Elle ajoute que si le conseil municipal avait certaines insatisfactions quant à la manière dont la DG s’acquittait de ses tâches, les commentaires qui lui ont été faits ne peuvent pas être considérés comme du harcèlement.

[4]           Le Tribunal conclut que les interactions de la municipalité (principalement par l’intermédiaire du maire) avec la DG, lorsque considérées globalement, représentent du harcèlement psychologique et une destitution déguisée. Les recours sont donc accueillis.

Le contexte

[5]           Saint-Sébastien est une municipalité qui compte environ 800 citoyens dans un environnement essentiellement agricole.

[6]           La municipalité compte un maire et six conseillers. Bien qu’il n’y ait pas de parti politique à Saint-Sébastien, cinq des conseillers partagent très souvent les positions du maire. L’autre conseiller (monsieur MM) s’autoqualifie de « chef de l’opposition ».

[7]           Environ cinq employés travaillent à la municipalité, soit la DG, une adjointe administrative, un employé de voirie, un directeur des incendies (à temps partiel) et un employé saisonnier. Une inspectrice municipale contractuelle consacre une ou deux journées par semaine à la municipalité.

[8]           Madame Donais est engagée le 1er octobre 2008 et elle devient la DG le 1er janvier 2009 à la suite d’une période d’essai. Il s’agit de son premier poste de gestionnaire.

[9]           Martin Thibert est maire de la municipalité depuis le mois de novembre 2013. Il est réélu en novembre 2017. Celui-ci est propriétaire d’un commerce auquel il se consacre à temps plein. Il occupe aussi à divers moments d’autres fonctions dans la région telles administrateur à la Municipalité régionale de comté du Haut-Richelieu, président de la Régie Intermunicipale d'Approvisionnement en Eau Potable Henryville-Venise, marguiller et administrateur au conseil d’établissement de l’école primaire Capitaine-Luc-Fortin de Saint-Sébastien.

[10]        Madame Donais plaide que les comportements qui donnent lieu à ses plaintes ont débuté à l’été 2016. Elle s’absente de son emploi le 11 juin 2019 après avoir reçu un courriel du maire qui indique notamment que le « lien de confiance entre la majorité du conseil municipal et la directrice générale est brisé ». Elle informe la municipalité environ le 20 juillet 2019 qu’elle est en arrêt de travail pour cause de maladie.

Notes liminaires

La relation privilégiée

[11]        Toute cette affaire est teintée des conséquences de la fin d’une relation « privilégiée »[3] qu’ont entretenue le maire et la DG jusqu’au printemps 2015. La preuve est contradictoire quant à la véritable nature de cette relation. Toutefois, il découle de plusieurs communications écrites du maire que celle-ci n’était pas purement professionnelle et qu’elle dépassait même une simple relation amicale.

[12]        Par exemple, lorsque la DG demande au maire de maintenir une certaine distance (notamment en ne lui envoyant plus de messages textes pour lui souhaiter quotidiennement « bonjour » et « bonsoir ») celui-ci lui répond qu’il est « trop fâché » pour lui parler.

[13]        Le maire a aussi une réaction disproportionnée à la suite d’un conflit mineur relié à la communication d’informations à des tiers par la DG. Le maire écrit : « Je me suis sentis trahis t as pas idee.» [Transcription intégrale]

[14]        D’autres correspondances contemporaines témoignent de l’amertume du maire :

·         « je trouve très dommage que notre relation deviennent strictement protocolaire »;

·         « de toute façon ce que je fais n est jamais correct et ça m’a fait enormement de peine, mais je vivrai avec (…) »;

·         « quand j’aurai digere la pillule je te reviendrai pour se fixer un rendez vous au bureau ».

 

 

[Transcriptions intégrales]

[15]        Par la suite, leurs communications sont minimales. La DG les qualifie d’un peu brusques, brèves et précises. Ils se voient essentiellement pour les réunions du caucus[4] et du conseil municipal. Ils se téléphonent trois à cinq fois par mois et que pour des fins professionnelles.

[16]        Il découle de la preuve que cette situation a représenté un obstacle significatif à la collaboration maire-DG et a marqué la perception des protagonistes.

La municipalité

[17]        L’affaire se déroule dans une municipalité dans laquelle les élus et les employés se côtoient dans les différentes sphères de leurs vies. À titre d’exemple, la conjointe du maire est aussi conseillère municipale. L’adjointe administrative est une amie personnelle du maire. Un conseiller municipal est le voisin d’un employé. La conjointe d’un conseiller est présidente du Comité consultatif d’urbanisme. Le maire, qui exploite un garage automobile, répare pendant une certaine période la voiture de la DG et celle de ses enfants.

[18]        Les ressources de la municipalité sont limitées. Elle ne peut compter sur différents paliers de fonctionnaires. Bien que cela ne change rien aux attributions légales des élus municipaux[5], le Tribunal constate que ceux-ci s’impliquent parfois au-delà de ce que la loi prévoit. Ils sont « en charge » de certains dossiers de la municipalité. Ils y effectuent certaines tâches qui incombent normalement aux employés.

[19]        Cette situation n’est pas unique, mais elle peut être génératrice de frustrations puisqu’au quotidien la délimitation entre les tâches et responsabilités des élus et celles des fonctionnaires n’est pas aussi nette que ce que le Code municipal stipule.

Les questions en litige

[20]        L’affaire soulève deux questions :

Madame Donais a-t-elle fait l’objet d’une destitution déguisée?

Madame Donais a-t-elle fait l’objet de harcèlement psychologique?

Madame Donais a-t-elle fait l’objet d’une destitution déguisée?

Le droit

[21]        Le Code municipal contient des dispositions qui prévoient la procédure à suivre lorsqu’une municipalité désire imposer des mesures à l’un de ses fonctionnaires :

267.0.1. Un vote à la majorité absolue des voix des membres du conseil de la municipalité locale est requis pour que ce dernier puisse destituer, suspendre sans traitement ou réduire le traitement d’un fonctionnaire ou employé qui n’est pas un salarié au sens du Code du travail (chapitre C-27) et qui, depuis au moins six mois, occupe son poste ou a occupé, au sein de la municipalité, un poste dont le titulaire n’est pas un tel salarié.

(…)

267.0.2. La résolution destituant un fonctionnaire ou employé visé à l’article 267.0.1, le suspendant sans traitement ou réduisant son traitement doit lui être signifiée de la même façon qu’une citation à comparaître en vertu du Code de procédure civile (chapitre C25.01).

 

Sous réserve de l’article 89 de la Loi sur la police (chapitre P13.1), la personne qui fait lobjet dune mesure visée au premier alinéa peut, dans les 30 jours qui suivent la signification de la résolution, soumettre une plainte par écrit au Tribunal administratif du travail pour qu’il fasse enquête et dispose de sa plainte.

 

[22]        Le Code municipal ne contient aucune définition du terme « destitution ». Toutefois, la Cour d’appel dans l’arrêt Bonhomme c. Ville de Montréal[6] mentionne qu’il faut donner à cette notion une interprétation large qui inclut le fait de « priver quelqu’un de sa charge, de sa fonction ou de son emploi » et « comporte une idée de rétrogradation ».

[23]        Dans Haulard c. Ville de Hudson[7] le Tribunal aborde la possibilité d’une destitution déguisée :

[228] Ainsi, il est possible qu’un fonctionnaire-cadre municipal fasse l’objet d’une destitution déguisée. Les principes applicables pour le déterminer sont les mêmes que ceux développés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Farber c. Cie Trust Royal6 et Potter c. Commission des services d'aide juridique du Nouveau-Brunswick7. [229] Dans l’arrêt Potter, la Cour suprême précise l’analyse élaborée dans l’arrêt Farber lorsqu’elle doit décider si une suspension administrative avec solde constitue un congédiement déguisé. Il s’agit de vérifier si la modification unilatérale apportée par un employeur constitue une violation du contrat de travail et, le cas échéant, si cette modification est substantielle et porte sur une condition essentielle de ce contrat.

 

[230] De plus, toujours dans l’arrêt Potter précité, la Cour suprême confirme que les tribunaux peuvent appliquer l’arrêt Farber violation du contrat de travail, notamment lorsque le comportement de l’employeur rend la situation intolérable pour l’employé à son travail. Toutefois, le Tribunal doit alors déterminer si une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’employé, conclurait que l’employeur n’entend plus être lié par son contrat de travail.

[Nos soulignements]

[24]        Ainsi, la destitution à laquelle réfère l’article 267.0.1 du Code municipal peut notamment être une destitution déguisée qui peut revêtir la forme d’une modification significative et unilatérale des conditions de travail (destitution circonstancielle) ou encore une accumulation de comportements qui rend la situation intolérable aux yeux d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances (destitution induite).

[25]        On est en présence d’une destitution induite lorsqu’une personne raisonnable conclut d’une analyse des actes antérieurs de l’employeur que ceux-ci démontrent la manifestation de son intention de ne plus être lié par le contrat de travail[8], notamment lorsque le comportement de l’employeur est « teinté par la malice, la mauvaise foi ou l’arbitraire »[9].

[26]        L’analyse doit être globale et rétrospective afin de tenir compte de l’effet cumulatif des actes de l’employeur.

[27]        Dans son sens normal, le mot « intolérable » implique quelque chose qu’on ne peut pas supporter. Il doit s’agir d’une situation qui dépasse nettement les désagréments. Le caractère « intolérable » peut découler de l’intensité et de la fréquence des événements. Ainsi, des incidents moins sérieux, mais répétitifs peuvent, considérés dans leur ensemble, être intolérables. Des événements plus isolés, mais sérieux peuvent aussi avoir le même effet.

[28]        Dans tous les cas, la proximité des événements reprochés avec la fin d’emploi fera partie de l’évaluation. Des événements éloignés sont généralement moins susceptibles d’avoir un impact significatif.

[29]        L’existence de divergences d’opinions entre un employeur et une employée ne rend pas nécessairement le travail intolérable. Il en va de même de l’exercice légitime du droit de gestion de l’employeur, par exemple la formulation d’objectifs ambitieux ou la manifestation appropriée d’insatisfactions à l’égard de la performance.

Application du droit aux faits

[30]        La municipalité n’a adopté aucune résolution pour destituer la DG. Elle ne lui a pas non plus imposé de mesure disciplinaire. En fait, elle plaide qu’elle n’a pas de reproches à faire valoir qui seraient suffisants pour mettre fin à son emploi. Au contraire, elle demeure libre de reprendre le travail puisqu’elle n’a pas été remplacée.

[31]        La DG plaide que les deux aspects d’une destitution déguisée s’appliquent dans son cas. Selon elle, les agissements du conseil et du maire représenteraient des modifications à ses tâches, lesquelles sont prévues par le Code municipal. Toutefois, il n’y a eu ici aucune modification des conditions de travail ou des fonctions de la DG adoptée par le conseil municipal[10].

[32]        Ainsi, les événements soulevés par la DG sont plus susceptibles de constituer une destitution induite. D’ailleurs, c’est ce que la DG indique dans sa plainte lorsqu’elle écrit que la municipalité « par l’entremise de son maire et de la majorité au Conseil municipal, ont tenté de m’ammener à démissionner » [transcription intégrale].

[33]        La DG témoigne qu’à deux occasions, le maire lui mentionne que la municipalité n’aura jamais à payer une prime de départ prévue à son contrat de travail, car il va « assez l’écœurer » qu’elle donnera sa démission. Le maire nie avoir prononcé ces paroles.

[34]        La version de la DG est appuyée des notes d’une travailleuse sociale qu’elle a rencontrée en octobre 2017, soit bien avant le dépôt de la plainte.

[35]        Il est toutefois déterminant que le conseiller MM, qui selon la DG aurait été présent à au moins une occasion lorsque le maire aurait fait l’affirmation, n’en a aucun souvenir. Nul doute que celui qui se qualifie de chef de l’opposition se souviendrait d’une telle affirmation incriminante si elle avait été prononcée devant lui. Cela minimise la force probante du témoignage de la DG.

[36]        Quoi qu’il en soit, dans la présente affaire, l’analyse repose sur les actions de la municipalité (principalement par l’intermédiaire du maire).

Est-ce qu’une personne raisonnable considérerait que la situation de madame Donais était devenue intolérable?

[37]        La DG soulève des événements qui se sont déroulés entre 2016 et juin 2019. Le Tribunal note que quant à ceux survenus pendant les années 2016 et 2017, il s’agit d’incidents distants et plutôt isolés. Puisqu’ils n’ont pas d’impact direct sur la décision, le Tribunal n’y fera pas référence, sauf lorsqu’ils sont nécessaires pour comprendre des événements postérieurs.

[38]        Les mois qui précèdent l’arrêt de travail de la DG comportent plusieurs événements qui seront abordés plus bas en fonction des cinq catégories identifiées par la DG. En effet, celle-ci allègue que le maire et son groupe de conseillers :

·        lui font des reproches injustifiés;

·        usurpent des responsabilités qui lui incombent en fonction du Code municipal;

·        s’immiscent dans la gestion des employés;

·        la prive d’informations nécessaires à l’exercice de ses fonctions;

·        ne l’implique pas dans des événements importants.

 

LA CHRONOLOGIE

[39]        Dans la présente affaire, il est nécessaire de présenter une fastidieuse chronologie des événements afin de permettre de saisir l’accumulation, le rythme et la progression des comportements de l’employeur.

Mars 2018

[39.1]   Le 7 mars 2018, le maire tient une réunion avec des bénévoles de la municipalité au sujet d’un éventuel déménagement de la bibliothèque municipale. Il n’en informe pas la DG qui l’apprend après coup par un employé municipal.

Juin 2018

[39.2]   La municipalité doit prendre une décision relative à l’attribution d’un contrat. L’avocate de la municipalité a des réticences face à la position du conseil municipal et l’expose à la DG. Celle-ci écrit aux élus pour leur proposer des avenues possibles. Elle écrit aussi qu’elle ne réussit pas à joindre le maire sur son téléphone portable. Quelques minutes plus tard, le maire répond par écrit qu’il tente de joindre la DG sans succès et qu’il contactera l’avocate directement. Trois minutes plus tard, la DG écrit qu’elle est pourtant à son poste.

Juillet 2018

[39.3]   Le maire publie une page Facebook qui compte plus de 2 000 « amis ». Il s’en sert notamment pour communiquer au sujet d’événements locaux. Le 1er juillet 2018, il demande aux résidents de Venise-en-Québec, Saint-Sébastien, Henryville et Clarenceville de réduire leur consommation d’eau. Bien que la publication ne le mentionne pas, on comprend du public visé que le maire s’exprime alors à titre de président de la Régie Intermunicipale d'Approvisionnement en Eau Potable Henryville-Venise. La DG n’est pas informée directement par le maire de cette situation. Elle l’apprend par un tiers quelques jours plus tard.

[39.4]   Le 3 juillet, la DG cherche à joindre le maire par téléphone sans succès. Elle apprend dans la journée que le maire avait pourtant téléphoné à l’inspectrice municipale au sujet d’un dossier de la municipalité.

Septembre 2018

[39.5]   La DG gère une situation de bris d’aqueduc. Elle garde les élus informés de ses démarches. Elle décide avec l’entrepreneur chargé des travaux de les reporter de deux jours en raison des conditions météo. La conjointe du maire (aussi conseillère municipale) écrit un courriel blâmant la DG. Elle lui reproche de ne pas avoir sollicité l’avis des élus avant de reporter les travaux.

Novembre 2018

[39.6]   Au début du mois de novembre, le maire est préoccupé par la performance de la DG. Il convoque une réunion des élus le 7 novembre pour en discuter. À l’issue de cette rencontre, trois conseillers (MH, MM et MB) sont mandatés pour rencontrer la DG afin d’aborder sa santé (ils voulaient s’assurer qu’elle s’était remise de certains problèmes), son horaire de travail et l’avancement de certains dossiers.

[39.6.1]              La DG ne voit pas cette rencontre d’un bon œil. Elle témoigne : « j’avais l’impression que j’allais au tribunal », « on allait déposer un grief contre moi ». Elle sent « qu’on lui tape sur la tête » alors qu’elle n’a rien à se reprocher.

[39.6.2]              Pourtant, elle reconnaît que la rencontre qui se déroule le 9 novembre se passe assez bien. Elle constate que les élus sont véritablement préoccupés par sa santé et qu’ils lui offrent une certaine forme de soutien. Dans une ambiance qu’elle qualifie de « détendue », ils lui posent des questions sur certains dossiers et elle a la possibilité de donner ses explications. Ils lui permettent même d’aborder ses sujets de préoccupation, notamment ses difficultés de communication avec le maire.

[39.6.3]              L’un des conseillers présents (MB) appelle le maire pour lui faire un compte-rendu de la rencontre. Celui-ci n’est pas satisfait de la façon dont la réunion a été tenue. Selon lui, le mandat donné aux trois conseillers n’a pas été suivi. Cependant, plutôt que de leur adresser ses critiques, il écrit le 13 novembre un long courriel à la DG (avec copie aux conseillers) pour faire valoir les reproches qui selon lui auraient dû être abordés. Dans ce courriel qu’il admet avoir écrit sur le coup de l’émotion (« j’étais fâché » témoigne-t-il) on peut lire notamment :

·        « DES CITOYENS » [transcription intégrale] se plaignent de la façon dont ils sont reçus par la DG à l’hôtel de ville;

·        les mauvaises relations avec le personnel;

·        les projets (USEP[11], trottoirs, rang Sainte-Marie) « n’avancent pas ».

[39.6.4]              Son courriel aborde aussi le sujet des communications entre lui et la DG. Il conteste véhément de ne pas être assez disponible. Le ton est sévère : « À quel moment Manon, m’as-tu demandé une quelconque aide? Je suis EN TOUT TEMPS DISPONIBLE POUR TOUT CE QUI ATTRAIT À LA MUNICIPALITÉ. » (…) « Donc si tu avais demandé l’aide à laquelle tu aspires, on aurait pas besoin d’assigner les dossiers importants à négocier à un Conseiller. »

[39.6.5]              Il s’en suivra une litanie de courriels d’élus appuyant pour la plupart le maire dans sa démarche et dans le contenu du message.

[39.7]   Le 20 novembre 2018, le maire rencontre la DG seul à seul pendant environ une heure.

[39.7.6]              Selon le maire il s’agit d’une rencontre cordiale. Si ses souvenirs de cette rencontre sont assez vagues, il témoigne que selon lui à la fin « tout était réglé ». Son témoignage sur le contenu de cette rencontre n’aborde aucun des dossiers mentionnés dans le courriel du 13 novembre (USEP, trottoirs, rang Sainte-Marie).

[39.7.1]              Selon la DG ils auront une discussion superficielle sur certaines préoccupations, mais sans régler quoi que ce soit. Ils abordent leurs difficultés de communication sans parler des dossiers spécifiques.

[39.8]   À la même époque, la municipalité désire faire construire des trottoirs sur une section de la rue principale. Ces travaux impliquent le ministère des Transports et n’avancent pas au rythme souhaité par les élus. Le 8 novembre, la DG informe les élus que l’entrepreneur chargé des travaux propose de les remettre au printemps puisque l’autorisation du ministère n’a toujours pas été reçue.

[39.9]   Le maire répond que ce dossier a beaucoup trainé. Quelques jours plus tard, après avoir parlé au représentant du ministère le maire écrit : « Il n’avait aucune réponse à me donner sauf qu’il dit que c’est toujours aussi long. »

Janvier 2019

[39.10]À la fin de la séance du conseil municipal du 15 janvier, la DG mentionne aux élus qu’elle avait maintenant dix ans de service au sein de la municipalité. Aucun élu ne la félicite ou ne fait un commentaire à ce sujet.

 

Mars 2019

[39.11]La municipalité décide d’embaucher un nouvel employé. La DG prépare un contrat de travail et le soumet au maire. Le 18 mars, la personne choisie pour occuper le poste rencontre un conseiller municipal par hasard. Il lui mentionne qu’il désire conclure l’affaire rapidement. Le conseiller en avise le maire qui contacte directement le candidat et conclut une entente avec lui sans l’intervention de la DG.

[39.12]Le conseil municipal s’apprête à adopter une position contraire à la recommandation du Comité consultatif d’urbanisme (CCU). Le 27 mars, un conseiller municipal dont la conjointe est présidente du CCU écrit aux élus et à la DG à propos de l’attitude de l’inspectrice municipale lors de la réunion du CCU. La DG rencontre l’inspectrice à ce sujet. La preuve est contradictoire sur l’information confidentielle que la DG communique ou non à l’inspectrice. Le Tribunal retient qu’au moins certaines informations ont été communiquées. Cela a causé un émoi; le patron de l’inspectrice[12] a même jugé nécessaire de s’impliquer. À l’issue de cette affaire :

·        les élus blâment la DG d’avoir communiqué trop d’informations confidentielles;

·        la DG parle à l’inspectrice pour régler la situation;

·        le maire communique directement avec l’inspectrice pour lui expliquer son rôle, lui faire certains reproches et ultimement lui réitérer la confiance du conseil.

 

Avril 2019

[39.13]Le 3 avril 2019, le maire informe les conseillers et la DG qu’il organise le 14 mai une consultation publique sur l’avenir de la municipalité pour avoir le pouls des citoyens sur les projets futurs. L’événement est présenté comme important par le maire dans la publication municipale « Le Sébastinois ». Le maire n’a pas préalablement consulté, ni même informé la DG de cette initiative. Il a fixé la date sans vérifier sa disponibilité et celle-ci ne pourra y assister, car elle sera en vacances.

[39.14]La municipalité est en discussion avec un de ses employés au sujet de la modification de ses conditions de travail. Le maire rencontre l’employé seul à seul pour trouver une solution.

 

 

Mai 2019

[39.15]Le maire prend arrangement pour qu’une personne soit supervisée par un employé municipal lors de la réalisation de travaux communautaires. La DG est tenue à l’écart de cette démarche, elle l’apprendra après le fait.

[39.16]Le 23 mai 2019, le maire écrit à la DG et à certains élus pour convoquer ces derniers à une réunion. Son courriel mentionne que « des points seront alors discutés concernant la relation entre le conseil municipal et la direction générale. Il est de plus en plus évident que des changements devront être apportés (…) ». Les « points » qui doivent être discutés ne sont pas identifiés.

Juin 2019

[39.17]AH est directeur du service d’incendie de la municipalité. Le 7 juin, il remet sa démission.

[39.17.1]           Sa lettre mentionne que le conseil municipal a pris des décisions sans le consulter et n’a pas respecté les procédures (sans mentionner de détails). S’en suit une série de courriels dans lesquels tous cherchent à comprendre cette décision. Le maire termine l’un de ses courriels ainsi : « Il ne devrait pas être au courant de nos discussions sauf si on lui coule de l’info. »

[39.17.2]           Le 10 juin les élus se réunissent informellement pour discuter de la démission de AH. La DG est invitée à se joindre à eux 30 minutes plus tard. La DG témoigne que les élus lui posent alors de nombreuses questions et elle comprend qu’on sous-entend qu’elle a révélé de l’information confidentielle à AH.

[39.18]Le maire témoigne qu’une fois la rencontre terminée des élus discutent informellement. Leur constat : « On l’a encore échappé. »

[39.18.1]           Le maire explique sa pensée lors de son témoignage :

On a fait une rencontre et on n’a toujours pas de solution. Quand on parle d’un point, on dérape souvent vers un autre sujet.

 

Comme conseil on a des points qu’on n’est pas d’accord et quand on les apporte on se fait donner une réponse et pis là on passe à un autre appel.

 

(…) On finit par dire ben là ça n’a pas bien été les derniers mois, mais là la DG nous dit que ça va bien. Mais quand on sort dehors on se dit on l’a encore échappé c’est-à-dire qu’on est pas satisfait du travail, on est pas satisfait de ce qui arrive à la municipalité, mais on a pas de solution. On l’échappe parce qu’organise une rencontre pour que les dossiers avancent pis pour qu’on améliore l’atmosphère pis ça fonctionne pas bien. C’est un peu pour ça que je décide d’écrire un courriel.

 

[Transcription intégrale]

[39.19]Le 11 juin, le maire écrit à la DG. Elle ne reviendra pas au travail après avoir reçu ce courriel qui mérite d’être cité en entier :

Bon matin Manon,

J’ai beaucoup réfléchis cette nuit et je dois avouer que le lien de confiance entre la majorité du conseil et la direction générale est brisé. Es ce que je crois qu'il est impossible de le réparer ... non. Cependant, des choses devront changer je le crois fermement. Donc, je vais analyser le contrat dr la municipalité avec la directrice et proposer une rencontre seul entre nous 2 par la suite. Ma reflexion qui suit est:

1-     d avoir parlé et montré un courriel à Annick n’aurait jamais dû arriver.

2-     je crois que Alain en sait plus que ce qui a ete dit, mais ce n'est que mon impression

3-     d'appeler m. Morin pour qu'il vienne recevoir la lettre de m. Hetu??? Sous prétexte qu'll s'occupe du volet incendie je trouve cela inacceptable.. jusqu'àpreuve du contraire je suis le maire.

4-     le responsable de la voirie n a pas participé a I'embauche de m. Dulude

5-     j entends trop de choses qui me laissent perplexe.

6-     l atmosphére n est pas au mieux entre le conseil et la direction.

7-     il faut trouver des solutions rapidement, car nous atteindrons un point de non retour

8-     les demandes du conseil se doivent d'étre respectées et exécutées et ce méme si cela ne fait pas tjs  l'affaire du personnel.

Et j 'en passe...

Sur ce je vous souhaite une bonne journée et si vous avez des pustes de solution je suis ouvert, De plus sachez que ces constatations proviennent d’echanges avec certains membres du conseil ainsi que du personnel.

[Transcription intégrale]

ANALYSE

 

[40]        Une analyse globale de ces événements permet de tirer les conclusions qui suivent.

[41]        Le maire et les conseillers sont convaincus que la DG exécute ses fonctions sans l’enthousiasme et l’intensité nécessaires. Selon eux, les dossiers avanceraient plus rapidement si la DG s’activait davantage.

[42]        Toutefois, les élus ne gèrent pas cette situation en identifiant précisément les attentes et les faits donnant lieu aux insatisfactions ni en fixant des objectifs spécifiques avec des échéances à rencontrer.

[43]        C’est d’ailleurs ce que reconnaît spontanément le maire à l’issue de la rencontre du 10 juin lorsqu’il mentionne: « On l’a encore échappée. »

[44]        En effet, le Tribunal retient de cette réponse et des explications du maire à l’audience que les réunions du caucus et du conseil municipal ne permettent pas d’aborder leurs sujets de préoccupation en allant au fond des choses de façon à obtenir les réponses désirées et d’adopter les résolutions qu’ils estiment nécessaires. Au contraire, selon l’expression utilisée par le maire, les discussions « dérapent » lors des réunions qu’il dirige.

[45]        L’accumulation des éléments suivants convainc le Tribunal que le 11 juin 2019, la municipalité n’avait plus l’intention d’être liée par le contrat de travail de la DG. En effet, considérés globalement, ces éléments ont rendu la situation de la DG intolérable.

[46]        Premièrement, plutôt que de formuler des reproches spécifiques, la municipalité, par l’entremise du maire, blâme la DG en utilisant des sous-entendus, notamment :

·        « des changements devront être apportés » (courriel du 23 mai 2019);

·        « j entends trop de choses qui me laissent perplexe. » (courriel du 11 juin 2019);

·        « l atmosphére n est pas au mieux entre le conseil et la direction. » (courriel du 11 juin 2019);

·        « des choses devront changer je le crois fermement. » (courriel du 11 juin 2019);

·         « il faut trouver des solutions rapidement, car nous atteindrons un point de non retour » (courriel du 11 juin 2019);

·        « Il est de plus en plus évident que des changements devront être apportés. » (courriel du 23 mai 2019);

·        tant lors de la réunion du 10 juin que dans le courriel du 11 juin, le maire laisse entendre que la DG aurait coulé de l’information au directeur du service des incendies sans toutefois l’affirmer.

 

[47]        Deuxièmement, la municipalité, par l’entremise du maire, blâme la DG en se contentant de généralités. Son courriel du 13 novembre 2018 en est un exemple :

·        « Des citoyens ce sont effectivement plaints de la façon dont ils étaient reçus à la Municipalité et ce à quelques reprises ». Or, ni les citoyens ni leurs problèmes ne sont mentionnés dans le courriel;

·        « Nos projets n’avancent pas. (…) Tout est stagnant et devra être repoussé (…) »;

·        le maire affirme aussi qu’il « faut trouver des solutions », mais sans identifier à quels problèmes. Le 11 juin 2019, il demande même à la DG d’identifier elle-même des pistes de solution sans qu’elle puisse savoir précisément ce qu’il juge problématique.

 

[48]        Cette absence de détail et de précision se reflète aussi dans les témoignages du maire et des conseillers qui ont été entendus et n’est pas étrangère, au moins en partie, à leur pratique de ne pas prendre de notes ni de documenter leurs interventions.

[49]        Troisièmement, les reproches de la municipalité, par l’entremise du maire, sont fondés sur des impressions plutôt que sur des faits :

·        « je crois que Alain en sait plus que ce qui a ete dit, mais ce n'est que mon impression. » (courriel du 11 juin 2019). Le maire témoigne toutefois que la veille (le 10 juin) MM admet aux élus que c’est lui qui donne de l’information à AH.

·        Le maire reproche aussi à mots couverts dans ce courriel que la DG aurait convoqué MM pour qu’il vienne recevoir la démission de AH : « D'appeler [MM] pour qu'il vienne recevoir la lettre de m. [AH] ??? » AH témoigne plutôt que c’est lui qui a demandé à MM d’être présent lorsqu’il viendrait porter sa lettre de démission.

·        Le maire témoigne qu’il avait, de même que les conseillers qui lui sont loyaux, le « feeling » que la DG donnait de l’information à MM (le « chef de l’opposition ») avant les autres. Aucune information spécifique n’est avancée au soutien de cette affirmation. En fonction de la preuve présentée à l’audience, « l’impression » du maire n’a aucune base et le reproche sous-entendu est injustifié. Il est d’ailleurs plus vraisemblable que l’information ait été transmise (s’il y en a eu) par MM qui était plus près de AH.

 

[50]        Quatrièmement, le maire ne respecte pas les attributions légales de la DG lorsqu’il règle personnellement des dossiers qui incombent exclusivement à celle-ci, notamment :

·        il conclut directement des contrats de travail (mars et avril 2019);

·        discute de dossiers directement avec l’inspectrice municipale (juillet 2018 et mars 2019);

·        engage la municipalité dans la supervision de travaux communautaires (mai 2019).

 

[51]        Il ressort du témoignage du maire que ses interventions sont motivées par un souci d’efficacité. C’est le cas par exemple lorsqu’en décembre 2016 il s’approprie la tâche d’autoriser pendant les fins de semaine un employé à faire le déneigement du parc et de la patinoire. C’est aussi pour être efficace qu’il donne des instructions le 21 décembre 2017 à l’adjointe administrative au sujet d’une enseigne lumineuse. Il n’en demeure pas moins que ces interventions sont intempestives et en porte-à-faux du Code municipal.

[52]        Cinquièmement, la municipalité écarte la DG d’événements significatifs l’empêchant ainsi d’accomplir ses fonctions, notamment :

  • la consultation au sujet du déménagement de la bibliothèque municipale en mars 2018;
  • la consultation publique sur l’avenir de la municipalité en mai 2019. Une consultation de cette nature est susceptible d’avoir un impact sur la municipalité, ses finances, l’affectation de ses ressources. Il ne s’agit pas d’une activité politique, mais bien d’une consultation par le conseil municipal. Les attentes de la DG d’être impliquée dans la démarche sont légitimes.

 

[53]        Sixièmement, lors des rencontres individuelles entre le maire et la DG celui-ci esquive la confrontation plutôt que d’aborder franchement les sources d’insatisfaction et établir des livrables objectifs. Ainsi les conflits ne sont pas résolus. C’est notamment ce qui est arrivé le 20 novembre 2018.

[54]        Septièmement, et il s’agit d’un élément déterminant, la municipalité formule à répétition à la DG des reproches non fondés.

[55]        Le courriel du 11 juin 2019 en est un exemple patent. Il reproche à la DG de ne pas respecter les directives du conseil municipal. Il s’agit d’un reproche grave. Or, le maire n’identifie pas dans son courriel les demandes du conseil que la DG n’aurait pas respectées.

[56]        Lors de son interrogatoire principal, à la suggestion de son procureur, le maire identifie indirectement (en lien avec l’item 8 du courriel du 11 juin), deux dossiers qui n’auraient pas avancés : l’usine de traitement des eaux (l’USEP) et le rang Sainte-Marie. Il ajoute spontanément un troisième : l’achat d’un camion cube. Pourtant, en contre-interrogatoire il mentionne qu’il ne se souvient pas de ce qu’il avait en tête lorsqu’il a écrit l’item 8 de son courriel du 11 juin.

[57]        Même en admettant que le maire référait à ces trois dossiers pour reprocher à la DG de ne pas « respecter et exécuter » les demandes du conseil municipal, force est de constater que la municipalité n’a pas été en mesure de prouver que ses insatisfactions avaient une base factuelle raisonnable pour faire un reproche à la DG le 11 juin 2019.

 

Le camion cube

[58]        C’est un événement qui remonte à mai 2016. Voilà ce qui suffit pour écarter cet événement comme un reproche légitime trois ans plus tard.

[59]        Ajoutons toutefois quelques détails. Le maire et certains conseillers décident de procéder à l’achat d’un camion pour le service des incendies (incidemment sans en parler au directeur du service). Usurpant les fonctions de la DG, ils négocient eux-mêmes le prix et font l’inspection du camion au garage du maire. Ils donnent un numéro de téléphone à la DG et lui disent d’acheter le camion au prix convenu. Le camion ne sera pas acheté, notamment parce que ses dimensions ne lui permettaient pas d’entrer dans le garage du service des incendies. Le maire considère encore que ce dernier élément est peu pertinent.

L’USEP

[60]        La municipalité désire agrandir son assiette fiscale en permettant de nouvelles constructions. L’usine de traitement des eaux qu’elle utilise est la propriété et est gérée par la municipalité voisine d’Henryville. Cette usine n’a toutefois pas la capacité de traiter un volume supplémentaire.

[61]        Depuis au moins 2015, la municipalité sollicite la collaboration d’Henryville pour construire une nouvelle usine ou autrement trouver une solution. Henryville fait la sourde oreille.

[62]        Dans son témoignage principal, le maire fait une description superficielle de l’insatisfaction de la municipalité quant au rythme d’avancement de ce dossier. Le seul reproche spécifique qu’il dévoile serait d’avoir repoussé pendant cinq ou six mois un appel au ministère pour solliciter une médiation. Le conseiller MB témoigne avoir fait cette demande lors de quatre caucus.

[63]        C’est en contre-interrogatoire que le procureur de la DG dépose des résolutions du conseil municipal de Saint-Sébastien qui font état du blocage par la municipalité voisine depuis des années :

·        Le 27 mai 2016, une résolution demande une rencontre avec Henryville;

·        le 5 juillet 2016, une résolution demande de retenir le paiement des factures d’assainissement des eaux usées;

·        le 1er août 2017, une résolution invite Henryville à une rencontre;

·        le 5 décembre 2017, une résolution demande pour la troisième fois une rencontre avec Henryville;

·        le 15 janvier 2019, une résolution demande l’intervention d’un médiateur nommé par le ministre des Affaires municipales.

 

[64]        La DG admet qu’elle n’a pas donné suite à la résolution du 15 janvier avant la réunion suivante du conseil municipal.

[65]        Il ressort de la preuve que le dossier progresse, bien que lentement à cause de défis techniques, mais surtout du manque de collaboration d’Henryville. Il s’agit donc d’un dossier avec une composante politique importante. Cet aspect ne relève pas de la DG, mais plutôt du conseil municipal.

[66]        En considérant la preuve présentée par la municipalité, le Tribunal conclut que le seul reproche qui a été démontré est de ne pas avoir immédiatement donné suite à la résolution demandant l’intervention du ministère. Or, c’est le retard de tout le projet qui est imputé sans raison à la DG, et ce, à répétition.

            Le rang Sainte-Marie

[67]        Ce chemin public a été endommagé par le passage de très nombreux camions pendant la construction d’une autoroute avant 2013.

[68]        La réfection de ce chemin implique la demande au gouvernement provincial d’une subvention spéciale, car une procédure particulière (« réserver une date » selon le maire) n’aurait pas été suivie avant le passage des camions.

[69]        Le maire témoigne de l’insatisfaction du conseil sur l’avancement de ce dossier, mais sans donner de détails sur ce que la municipalité aurait demandé à la DG de faire, ce qu’elle aurait omis de faire ou ce qu’elle aurait fait incorrectement.

[70]        Pour autant que le reproche tienne à l’absence de la « réserve de date », il remonte à de nombreuses années. Autrement, tout ce que la preuve révèle est une insatisfaction générale parce que le dossier « n’avance pas ».

            Les trottoirs

[71]        Le dossier des trottoirs de la rue Principale était réglé le 11 juin 2019, mais la municipalité a reproché à la DG de ne pas l’avoir fait progresser assez rapidement, notamment dans le courriel du maire du 13 novembre 2018 (voir le paragraphe 39.6.3). Il s’agit aussi d’une démonstration de reproches injustifiés selon la preuve de la municipalité.

[72]        La municipalité désire faire construire des trottoirs sur une section de la rue Principale. Ces travaux impliquent le ministère des Transports et n’avancent pas au rythme souhaité par les élus.

[73]        Le 8 novembre la DG informe les élus que l’entrepreneur chargé des travaux propose de les remettre au printemps puisque l’autorisation du ministère des Transports n’a toujours pas été reçue.

[74]        Le 13 novembre 2018, le maire écrit un courriel dans lequel il mentionne que ce dossier a beaucoup trainé. Le maire témoigne que la DG aurait dû relancer le ministère plus souvent. Il ajoute toutefois du même souffle qu’il n’est pas au courant des activités quotidiennes de la DG.

[75]        Considérant que la résolution du conseil municipal autorisant un appel d’offres pour les trottoirs est adoptée le 4 septembre 2018 et que la réalisation des travaux implique le ministère des Transports, il apparaît illusoire de réaliser les travaux avant l’hiver.

[76]        Compte tenu du manque de détail de la preuve de la municipalité quant à ce qui aurait été demandé à la DG de faire, ce qu’elle aurait omis de faire ou ce qu’elle aurait fait incorrectement, le Tribunal conclut qu’aucun reproche sérieux ne peut être retenu contre la DG.

[77]        Ajoutons que lorsque le maire décide de se mêler du dossier en communiquant directement avec le représentant du ministère des Transports, il n’obtient aucun résultat différent. Il se fait même dire que les délais encourus sont normaux (voir le paragraphe 39.9).

LE COMPORTEMENT DE LA DG

[78]        L’analyse de l’ensemble de la preuve révèle que le comportement de la DG n’est pas toujours sans faille. Elle l’admet notamment en ce qui concerne l’appel au ministère des Affaires municipales dans le dossier de USEP qui aurait pu être fait plus rapidement.

[79]        Il est probable que certains dossiers aient pu progresser plus rondement si la DG s’y était prise autrement. La preuve révèle aussi qu’il est vraisemblable que la DG ait partagé à quelques occasions de l’information sensible avec des employés de la municipalité.

[80]        De plus, une personne raisonnable ne considérerait pas certains des éléments soulevés par la DG comme étant la manifestation d’un désir de la voir quitter son emploi. Il en va notamment d’exemples d’incivilité ou de manque de tact :

·        Le 6 septembre 2018, le maire se présente au bureau de la municipalité pour une réunion de la Régie. Il dit « bonjour » à deux employées présentes, mais pas à la DG. Il l’ignore aussi à la sortie de la réunion.

·        Le 12 septembre 2018, la DG écrit un courriel aux élus pour les informer de la progression d’un dossier. Le conseiller Morin répond à tous pour transmettre ses remerciements à la DG. Le maire réagit en demandant de ne pas faire de réponse à tous dans pareils cas. La DG considère que le message du maire est qu’il n’est pas nécessaire de lui dire merci. Elle considère que c’est insultant.

[81]        Cependant, ces éléments sont peu pertinents dans le cadre de la présente décision. Ce n’est pas principalement le comportement de la DG qui est à l’étude, mais bien celui de la municipalité puisqu’il est question de destitution déguisée.

Conclusion

[82]        Il ressort de cette revue de la preuve que l’insatisfaction de la municipalité à l’égard de la performance de la DG est bien réelle et il est même possible qu’elle soit en partie justifiée. Tous les élus qui ont témoigné ont mentionné qu’ils ne voulaient pas voir la DG quitter son poste. Cela n’empêche pas que leurs actions n’étaient pas compatibles avec ce vœu.

[83]        En effet, l’incompétence des élus (à tenir des réunions sans qu’elles ne « dérapent »), le laxisme (dans la tenue de documents permettant d’identifier les attentes, les livrables et les échéances) et une dose de rancœur (liée à la fin de la « relation privilégiée » entre le maire et la DG) sont à l’origine des événements rapportés plus haut et dont l’accumulation a rendu intolérable la situation de la DG. Il y a donc destitution déguisée et la plainte doit être accueillie.

Madame Donais a-t-elle fait l’objet de harcèlement psychologique?

Le droit

[84]        L’article 81.18 de la LNT définit ainsi le harcèlement psychologique :

81.18.   Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel.

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

L’article 81.19 de la LNT impose à l’employeur les obligations suivantes :

81.19.   Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, incluant entre autres un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel.

[85]        L’extrait suivant de la décision dans Fortin c. Paquet Nissan inc.[13] reflète l’état du droit sur cette question:

[102]     Le Tribunal doit vérifier si le plaignant a subi une conduite vexatoire au sens de la LNT, soit celle qui :

-    est humiliante ou abusive;

-    se manifeste par des comportements répétés qui sont hostiles ou non désirés;

-    porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique;

-    entraîne un milieu de travail néfaste.

[103]     Les comportements qui découlent d’une situation normale dans un contexte de relations de travail, de l’exercice légitime des droits de direction, d’une situation conflictuelle, de la conduite du plaignant lui-même ou d’une attitude de victimisation ne peuvent constituer du harcèlement psychologique.

[104]     Aux fins de cette appréciation des faits, le critère d’analyse est celui de la personne raisonnable, normalement diligente et prudente qui, placée dans les mêmes circonstances que la victime, estimerait avoir fait l’objet d’une conduite vexatoire ayant porté atteinte à sa dignité et à son intégrité et ayant entraîné un milieu de travail néfaste. Dans cette perspective, la perception du plaignant est pertinente, mais non déterminante.

[105]     Enfin, le Tribunal doit analyser la situation dans son ensemble et faire une appréciation globale de la preuve afin de mettre en perspective les divers comportements, paroles, gestes ou actes pour déterminer leur caractère vexatoire. Même si l’examen cas à cas demeure peut être pertinent et nécessaire, l’analyse globale permet d’évaluer le degré réel de gravité de l’ensemble des conduites.

Application du droit aux faits

[86]        Dans la présente affaire, les éléments qui ont rendu la situation de la DG intolérable sont aussi constitutifs de harcèlement psychologique, car :

·        les actions du conseil et plus particulièrement du maire sont humiliantes et abusives et;

·        il s’agit de comportements répétés hostiles et non désirés et;

·        ces comportements ont porté atteinte à la dignité de la DG et ont compromis son intégrité psychologique et entraînés un milieu de travail néfaste.

[87]        La plainte ne peut toutefois être accueillie que si la municipalité n’a pas pris les moyens pour prévenir la situation ou qu’elle n’a pas agi pour faire cesser le harcèlement lorsqu’on l’a porté à son attention.

[88]        Il n’y a eu aucune preuve d’éléments démontrant que la municipalité a adopté quelque mesure que ce soit pour prévenir le harcèlement psychologique, notamment en faisant adopter une politique à ce sujet.

[89]        D’autre part, une salariée qui s’estime victime de harcèlement doit le dénoncer à l’employeur. On fait généralement exception à cette règle lorsque le harceleur est la personne ayant le plus d’autorité dans l’organisation.

[90]        La personne ayant manifesté le plus de comportements harcelants dans la présente affaire est le maire de la municipalité. Dans les circonstances particulières de l’affaire, le Tribunal croit que cela exemptait la DG de dénoncer formellement le harcèlement dont elle s’estimait victime.

[91]        En effet :

·        en l’absence d’une politique claire, la forme et le destinataire d’une plainte n’ont pas été déterminés par la municipalité;

·        une dénonciation au maire n’était pas envisageable, notamment en raison des conséquences liées à la fin de leur « relation privilégiée »;

·        une dénonciation au conseil municipal n’offrait pas, du moins de la perspective de la DG, de possibilités réelles de solution puisque la preuve révèle que les conseillers appuient presque tous en bloc et sans réserve les actions du maire;

·        même le conseiller MM (le « chef de l’opposition ») témoigne que dans les réunions pendant lesquelles les échanges entre la DG et le maire étaient « pénibles à vivre », lui-même n’est pas intervenu. Il témoigne que tous les conseillers laissaient les choses aller. Il ajoute « on se regardait les pieds » et « tout le monde demeurait renfermé sur lui-même et n’osait pas s’aventurer ».

 

[92]        Enfin, puisque la municipalité nie l’existence du harcèlement subi par la DG, il n’est pas étonnant de constater qu’aucune mesure n’a été mise en place pour le faire cesser.

[93]        Ainsi, puisqu’il y a eu harcèlement et que la municipalité a failli à ses obligations prévues à l’article 81.19 de la LNT, cette plainte doit être accueillie.

Moyens de réparation

[94]        Il a été convenu avec les parties que le Tribunal se prononcerait dans un premier temps sur le bien-fondé des recours et que les mesures de réparation seraient, le cas échéant, traitées ultérieurement.

[95]        Il est toutefois utile de mentionner que dès la première journée d’audience le 29 janvier 2020, madame Donais a indiqué qu’elle renonçait à être réintégrée dans son poste si elle avait gain de cause. Les motifs justifiant ou non cette renonciation ainsi que les conséquences qui y sont reliées s’il en est, seront abordés, le cas échéant, lors de l’examen des mesures de réparation.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE                  la plainte fondée sur l’article 267.0.1 du Code municipal du Québec (RLRQ, c. C-27.1.);

ANNULE                        la destitution imposée le 11 juin 2019;

ORDONNE                    à Municipalité de Saint-Sébastien de réintégrer Manon Donais dans son emploi avec tous ses droits et privilèges dans les trente (30) jours de la notification de la présente décision;

CONSTATE                   que Manon Donais renonce au bénéfice de l’ordonnance de réintégration;

ACCUEILLE                  la plainte fondée sur l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (RLRQ, c. N-1.1);

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer les autres mesures de réparation appropriées.

 

 

 

__________________________________

 

François Demers

 

 

 

 

 

 

 

Me Daniel Cayer

CAYER OUELLETTE & ASSOCIÉS, AVOCATS

Pour la partie demanderesse

 

Me Charles Gaulin

CAIN LAMARRE, S.E.N.C.R.L.

Pour la partie défenderesse

 

 

Date de la mise en délibéré :         5 août 2021

 

 FD/ab

 



[1]           Plainte en vertu de l’article 267.0.1 du Code municipal du Québec (RLRQ, c. C-27.1.) (le code municipal).

[2]           Plainte en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (RLRQ, c. N-1.1) (la LNT).

[3]           Selon le terme utilisé par le maire dans un courriel à la DG du 13 avril 2015.

[4]           Une rencontre privée des élus à laquelle participe parfois la DG.

[5]           Nadeau c. Municipalité de St-Prosper, 2010 QCCRT 0044.

[6]           JE-84-284 (C.A.).

[7]           2017 QCTAT 2852.

[8]           Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, [2015] 1 RCS 500, par. 33.

[9]           Comeau c. Notre-Dame-de-l'Ile-Perrot (Ville), 2007 QCCRT 0596.

[10]          Contrairement à la situation qui prévalait dans Bastien c. Saint-Justin (Municipalité), 2010 QCCRT 0165.

[11]          L’usine d’épuration des eaux, nous y reviendrons.

[12]          L’inspectrice est une employée d’une société avec laquelle la municipalité a un contrat de services.

[13]          Fortin c. Paquet Nissan inc., 2018 QCTAT 58.

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