Décision

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Procureur général du Québec c. Luamba

2024 QCCA 1387

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

 

 

 :

500-09-030301-220

(500-17-114387-205)

 

DATE :

23 octobre 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

JULIE DUTIL, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A.

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT – défendeur

c.

 

JOSEPH-CHRISTOPHER LUAMBA

INTIMÉ – demandeur

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

INTIMÉE – intervenante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MIS EN CAUSE – défendeur

et

CANADIAN ASSOCIATION OF BLACK LAWYERS

MISE EN CAUSE – intervenante

et

BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION

CLINIQUE JURIDIQUE DE SAINT-MICHEL

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE

INTERVENANTES


 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

 

I. CONTEXTE.............................................................5

II.  RÈGLE DE COMMON LAW ET ART. 636 C.S.R.............................7

A.  L’arrêt Ladouceur...................................................7

B.  L’article 636 C.s.r...................................................13

III. JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE ...................................15

A.  L’arrêt Ladouceur et la règle du stare decisis........................15

B.  L’article 9 de la Charte..............................................16

C.  L’article 7 de la Charte..............................................16

D.  Le paragraphe 15(1) de la Charte....................................16

E.  La réparation......................................................17

IV. QUESTIONS EN LITIGE.................................................17

V.  ANALYSE.............................................................18

A.  Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée occasionne le profilage racial?              18

B.  Le juge a-t-il erré en concluant qu’il pouvait réexaminer l’arrêt Ladouceur?              29

C.  Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée à l’art. 9 de la Charte?              36

1.  L’atteinte......................................................36

2.  La justification de l’atteinte.....................................37

a)  Objectif urgent et réel........................................38

b)  Lien rationnel...............................................39

c)  Atteinte minimale............................................42

d)  Mise en balance des effets bénéfiques et préjudiciables..........46

D.  Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée à l’art. 7 de la Charte?              47

E.  Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée au par. 15(1) de la Charte?              48

1.  L’atteinte......................................................48

a)  Première étape : démontrer que la loi crée, à première vue ou par son effet, une distinction fondée sur un motif protégé              54

b)  Deuxième étape : démontrer que la loi impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage              60

2.  La justification de l’atteinte.....................................66

F.  Le juge a-t-il erré au chapitre de la réparation?.......................69

VI. CONCLUSION..........................................................70


 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Le présent pourvoi porte sur la validité constitutionnelle du pouvoir des policiers d’intercepter des véhicules routiers de façon aléatoire, en dehors d’un programme structuré et sans motif de croire ou de soupçonner qu’une infraction a été commise, pouvoir validé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Ladouceur[1] et codifié à l’art. 636 du Code de la sécurité routière[2].

[2]                Dans un jugement étoffé et soigneusement rédigé[3], le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure conclut que la règle de common law reconnue dans l’arrêt Ladouceur et l’art. 636 C.s.r.[4] portent atteinte aux art. 7 et 9 ainsi qu’au par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[5] et que ces atteintes ne sont pas justifiées selon l’article premier de la Charte. Il déclare inopérante la règle de droit contestée et suspend pour six mois la prise d’effet de cette déclaration, sauf en ce qui concerne les dossiers en cours dans lesquels la même règle de droit est contestée.

[3]                Le procureur général du Québec (« PGQ ») fait appel de chacune de ces conclusions. Il reproche au juge de première instance d’avoir erré en droit en concluant que le profilage racial est un effet de la règle de droit contestée, en écartant l’arrêt Ladouceur, en déterminant que la règle de droit contestée enfreint les art. 7 et 9 et le par. 15(1) de la Charte et ne peut être sauvegardée par l’application de l’article premier et, enfin, en déclarant cette règle de droit inopérante en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[6]. Subsidiairement, le PGQ soutient que le juge aurait dû suspendre la prise d’effet de cette déclaration d’inopérabilité pendant 12 mois.

[4]                Les intimés, Joseph-Christopher Luamba et l’Association canadienne des libertés civiles (« ACLC »)[7], défendent les conclusions du jugement de première instance et demandent à la Cour de rejeter le pourvoi. Leurs prétentions reçoivent l’appui d’une mise en cause, la Canadian Association of Black Lawyers (« CABL »). Le débat en appel est par ailleurs enrichi par la participation de trois intervenantes, la British Columbia Civil Liberties Association (« BCCLA »), la Clinique juridique de Saint-Michel (« CJSM ») et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (« CDPDJ »)[8].

[5]                Le procureur général du Canada (« PGC »), qui prêtait main-forte au PGQ en première instance, ne participe pas au débat en appel.

[6]                Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut qu’il y a lieu de confirmer le jugement de première instance, sauf en ce qui concerne la déclaration d’inopérabilité de la règle de common law et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’atteinte au droit garanti par l’art. 7 de la Charte.

I. CONTEXTE

[7]                L’intimé, M. Luamba, est un jeune étudiant d’origine haïtienne vivant à Montréal. Détenteur d’un permis de conduire depuis 2019, il a été intercepté au volant à trois reprises en l’espace d’un peu plus d’un an. À chaque fois, on lui a demandé de s’identifier et il fut libéré sans qu’une contravention lui soit remise.

[8]                Estimant avoir été victime de profilage racial lors de ces interceptions, M. Luamba intente en novembre 2020 un recours par lequel il attaque la validité constitutionnelle de la règle de common law octroyant aux policiers « le pouvoir d’intercepter un véhicule automobile et son conducteur sans motif raisonnable de croire ou de soupçonner qu’une infraction a été commise » et de l’art. 636 C.s.r., dans la mesure où celui-ci reprend essentiellement cette règle de common law[9].

[9]                Le litige ne met pas en cause les interceptions routières faites dans le cadre d’un programme structuré (p. ex., un programme de contrôles routiers ponctuels tel un barrage routier). Il ne vise pas non plus les interceptions faites par des agents de la paix autres que des policiers[10]. Bref, il ne concerne qu’une pratique bien précise, soit l’interception par un policier du conducteur d’un véhicule automobile de façon totalement discrétionnaire. Le juge de première instance précise en ces termes ce qui est visé :

[22] Ce jugement ne porte donc que sur une pratique policière spécifique : l’interception sur un chemin public par la police du conducteur d’un véhicule automobile de façon totalement discrétionnaire, sans motif réel ou même sans un simple soupçon d’infraction, à des fins de vérification et de contrôle dans un objectif de sécurité routière, hors du cadre d’un programme structuré et d’une façon non régie ou encadrée par une règle de droit. […]

[Renvoi et caractères gras omis]

[10]           Le juge désigne ce dont il est question en l’occurrence par le vocable « interception routière sans motif réel »[11]. Dans le présent arrêt, la Cour utilisera plutôt l’expression « interception routière sans motif requis », laquelle est plus neutre et axée sur les conditions (ou l’absence de conditions) d’exercice du pouvoir d’interception qui est en cause ici.

[11]           Comme mentionné précédemment, le juge conclut que la règle de droit contestée est incompatible avec le droit à la protection contre la détention arbitraire (Charte, art. 9), le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (Charte, art. 7) ainsi qu’avec le droit à l’égalité (Charte, par. 15(1)) et qu’elle ne peut être sauvegardée par l’application de l’article premier. Il souscrit ainsi à la position des intimés voulant que la règle de common law établie dans l’arrêt Ladouceur et l’art. 636 C.s.r. « ont été peu à peu perverti[s] et détourné[s] de leur fin première, c’est-à-dire la sécurité routière »[12], pour devenir « un sauf-conduit permettant aux policiers d’exercer une forme de profilage racial à l’égard des conducteurs noirs »[13], entraînant des violations répétées  et injustifiées  des droits fondamentaux de ces personnes.

[12]           En première instance, les intimés ont fait entendre de nombreuses personnes noires ayant vécu des interceptions routières sans motif requis. Plusieurs de ces témoins ont affirmé avoir été victimes de profilage racial dans ce contexte et ont expliqué les conséquences néfastes que ces expériences avaient eues sur eux ou sur leurs proches. La preuve offerte par ces témoins, à laquelle le juge a accordé foi, n’est pas remise en cause en appel. En effet, le PGQ ne conteste pas que ces personnes ont pu vivre du profilage racial dans le cadre d’interceptions routières sans motif requis ni que ces expériences ont pu avoir de sérieuses conséquences négatives sur elles, sur leurs proches ou sur leur entourage[14]. Il soutient toutefois que le profilage racial ne découle pas de la règle de droit contestée, mais résulte plutôt d’actes dérogatoires commis par des policiers dans l’exercice du pouvoir que leur confère cette règle.

[13]           Pour le PGQ, la preuve relative au profilage racial est donc sans pertinence quant à l’issue du litige. Il ne conteste d’ailleurs pas réellement la façon dont le juge a défini le profilage racial aux fins de son analyse, encore qu’il attaque les conclusions que celui-ci en a tirées (notamment quant à la qualification du profilage racial comme fait social nouveau survenu depuis l’arrêt Ladouceur).

II. règle de Common Law et art. 636 c.s.r.

[14]           Avant d’aborder le jugement entrepris et les questions en litige, il convient de présenter généralement les deux règles de droit qui furent contestées par l’intimé en première instance et, plus particulièrement, d’examiner d’un peu plus près le fondement de l’arrêt Ladouceur.

A. L’arrêt Ladouceur

[15]           Le juge et les parties au débat ont adopté la position selon laquelle la Cour suprême, dans l’arrêt Ladouceur, a reconnu l’existence d’une règle de common law « octroyant aux policiers le pouvoir de procéder à l’interception au hasard d’un véhicule routier et de son conducteur sans motif raisonnable de croire ou de soupçonner qu’une infraction a été commise, lorsque cette interception ne fait pas partie d’un programme structuré »[15]. Dans le dispositif de son jugement, le juge a déclaré inopérants tant l’art. 636 C.s.r. que « la règle de common law établie par Ladouceur »[16].

[16]           À la suite de l’audition du présent pourvoi, la Cour a invité les parties à déposer une argumentation écrite supplémentaire portant sur la question suivante :

L’arrêt Ladouceur reconnaît-il l’existence d’un pouvoir de common law d’interception routière sans motif réel, hors du cadre d’un programme structuré? Plus précisément, où trouve-t-on, dans l’arrêt Ladouceur, un élargissement de la règle de common law établie par l’arrêt Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2? Cette règle de common law, rappelons-le, « autorise l’arrêt de véhicules au hasard pour les fins visées par le programme R.I.D.E. » (Dedman, p. 36).

[17]           Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’examiner attentivement les arrêts Dedman c. La Reine[17], R. c. Husfky[18] et Ladouceur afin de définir, dans chaque cas, ce dont la Cour suprême était saisie.

[18]           C’est dans l’arrêt Dedman, rendu en 1985, que la Cour suprême se prononce pour la première fois sur l’existence d’un pouvoir d’interception routière au hasard. Sous la plume du juge Le Dain, la majorité conclut que la common law autorise l’interception de véhicules « au hasard pour les fins visées par un programme de promotion de la sobriété au volant »[19] (en l’occurrence, un programme appelé « R.I.D.E. »[20] implanté dans la province de l’Ontario). L’objectif de ce programme était de « déceler, décourager et diminuer la conduite avec facultés affaiblies »[21]. Dans le cadre de celui-ci, les policiers choisissaient un endroit où ils croyaient pouvoir intercepter plusieurs conducteurs avec les facultés affaiblies et s’y postaient pour effectuer des interceptions au hasard. Ils demandaient ensuite à chaque conducteur intercepté de leur présenter son permis de conduire et une preuve d’assurance, tout en prenant note de l’état général du conducteur et de son véhicule. Cette demande avait pour but de leur permettre de prendre contact ou d’engager la conversation avec le conducteur et de déceler s’il avait bu. Il est à noter que les agents affectés au programme R.I.D.E. étaient dotés d’alcootests approuvés, de manière à pouvoir demander un échantillon d’haleine « s’ils estim[aient] avoir des motifs de faire une telle demande »[22] à la suite de leur conversation ou prise de contact avec le conducteur.

[19]           À l’époque des faits à l’origine de cette affaire, la Charte n’était pas encore entrée en vigueur et aucune loi n'autorisait le programme R.I.D.E. Le juge Le Dain, pour la majorité, applique le critère énoncé par le juge Ashworth de la Cour d’appel de l’Angleterre dans l’arrêt R. v. Waterfield[23] et détermine qu’en vertu de la common law, la police a le pouvoir d’intercepter un véhicule pour les besoins de ce programme. Il ne se prononce pas sur l’existence ou non, en common law, d’un pouvoir d’interception au hasard en cours de patrouille, soit en dehors d’un programme structuré, afin d’effectuer des vérifications de routine.

[20]           Trois ans plus tard, dans l’arrêt Hufsky, la Cour suprême examine la question de la constitutionnalité de l’interception au hasard d’un véhicule par un agent de police alors qu’il effectue des « contrôles routiers ponctuels », à un endroit déterminé, « afin de vérifier les permis de conduire et la preuve d’assurance, l’état mécanique des véhicules et l’état ou la “sobriété” des conducteurs »[24]. Le ministère public plaidait que ces « contrôles routiers ponctuels » étaient autorisés par le par. 189a(1) du Code de la route de l’Ontario[25], lequel était alors libellé de la façon suivante :

189a(1). Un agent de police, dans l’exercice légitime de ses fonctions, peut exiger du conducteur d’un véhicule automobile qu’il s’arrête. Si tel est le cas, le conducteur obtempère immédiatement à la demande de l’agent identifiable à première vue comme tel.

189a(1). A police officer, in the lawful execution of his duties and responsibilities, may require the driver of a motor vehicle to stop and the driver of a motor vehicle, when signalled or requested to stop by a police officer who is readily identifiable as such, shall immediately come to a safe stop.

[21]           Le ministère public n’a pas prétendu qu’il existait un pouvoir fédéral d’origine législative d’intercepter au hasard et ne s’est pas fondé non plus sur « le pouvoir de common law d’arrêter [un automobiliste] au hasard, reconnu dans l’arrêt Dedman »[26]. Il s’est plutôt référé au raisonnement suivi dans cet arrêt pour faire valoir que le pouvoir d’interception conféré par le par. 189a(1) du Code de la route de l’Ontario était valide sur le plan constitutionnel.

[22]           L’appelant, qui était accusé d’avoir refusé de fournir un échantillon d’haleine pour un alcootest (contrairement au par. 234.1(2) C.cr. en vigueur à l’époque), prétendait, entre autres, que « la procédure [d’interception] au hasard et de contrôles routiers ponctuels »[27] permise par le par. 189a(1) portait atteinte au droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l’art. 9 de la Charte. Le juge Le Dain, pour la Cour, détermine que la détention résultant de « l’arrêt au hasard du véhicule de l’appelant pour les fins d’un contrôle routier ponctuel, quoique d’une durée relativement brève »[28], est nécessairement arbitraire puisqu’il n’existe « aucun critère de sélection des conducteurs à qui on demanderait de s’arrêter et de se soumettre au contrôle routier ponctuel »[29]. Le juge Le Dain conclut cependant que l’atteinte se justifie au regard de l’article premier de la Charte.

[23]           Dans l’arrêt Ladouceur, la Cour suprême est de nouveau saisie de la question de la constitutionnalité du par. 189a(1) du Code de la route ontarien. L’arrêt est rendu deux ans après Hufsky. Cette fois, l’interception en cause a été faite à partir d’une voiture de police en patrouille et non d’un point fixe dans le cadre d’un programme structuré, contrairement aux circonstances examinées dans les arrêts Dedman et Hufsky.

[24]           La Cour, à l’unanimité, conclut que le par. 189a(1) porte atteinte à l’art. 9 de la Charte, dans la mesure où il permet ce type d’interception routière sans motif. Selon les juges majoritaires, cette atteinte est toutefois justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[25]           Il ressort de ces trois arrêts que seul Dedman se prononce sur l’existence d’un pouvoir policier de common law. Dans les arrêts Hufsky et Ladouceur, l’analyse de la Cour suprême portait sur une disposition législative, soit le par. 189a(1) du Code de la route de l’Ontario. Il n’était pas nécessaire pour la Cour de déterminer s’il existait un pouvoir policier de common law équivalent à celui conféré par cette disposition.

[26]           Il est vrai que certains passages de l’arrêt Ladouceur peuvent sembler ambigus quant à la règle de common law établie dans Dedman. Il en est ainsi lorsque le juge Cory, qui écrit pour la majorité, mentionne que dans les dossiers Ladouceur et Hufsky, les actes des policiers « étaient autorisés principalement par le par. 189a(1) du Code de la route qui leur accordait un pouvoir discrétionnaire absolu d’interpeller des automobilistes à la condition que ce soit dans l’exercice légitime de leurs fonctions »[30]. L’emploi du mot « principalement » pourrait laisser entendre que les actes policiers en cause auraient aussi été autorisés par une autre règle de droit. Cette formulation appuie ainsi l’idée selon laquelle les policiers auraient, en vertu de la common law, le pouvoir d’intercepter des véhicules au hasard pour effectuer des contrôles routiers à des endroits fixes et prédéterminés (cf. arrêt Hufsky) ou des vérifications de routine à partir d’une voiture en patrouille (cf. arrêt Ladouceur). Un autre extrait des motifs du juge Cory peut porter à confusion à cet égard :

Le pouvoir d’un agent de police d’intercepter des véhicules automobiles au hasard découle du par. 189a (1) du Code de la route et est donc prescript par une règle de droit. Voir Hufsky, précité, à la p. 634. Ce pouvoir a également été justifié par notre Cour dans l’arrêt Dedman, précité, comme étant prescrit par la common law.[31]

[Soulignement ajouté]

[27]           Ces passages de l’arrêt Ladouceur peuvent toutefois être qualifiés d’observations incidentes. Comme le souligne le juge Green, de la Cour d’appel de Terre-Neuve-etLabrador, dans l’arrêt R. v. Griffin[32], le pouvoir d’interception en cause dans Ladouceur était d’origine législative et il n’était pas nécessaire pour la Cour suprême de s’en remettre aux pouvoirs de common law pour trancher le litige. Il mentionne ceci :

[…] In Dedman, the court held that a random stop, conducted as part of an organized programme designed to deter and detect impaired driving was still within the general scope of police duties and was not an unjustifiable use of power associated with the performance of those duties. Thus, in the context of an organized stopping programme, random stops of motorists are authorized at common law. In Ladouceur, a 5:4 majority of the Supreme Court recognized that the power of the police to conduct random stops of motorists for the purpose of investigating drinking-driving offences could be extended to random roving stops that depended solely upon the decision of the individual officer outside of any organized programme. In Ladouceur, however, the authority for this came from statute: what was then s. 189a(1) of the Ontario Highway Traffic Act. Cory, J. also stated, however, in obiter that:

The power of a police officer to stop motor vehicles at random is derived from s. 189a(1) of the Highway Traffic Act and is thus prescribed by law... The authority also has been justified by this court in its decision in Dedman, supra, as a prescription of the common law. [Emphasis added]

It was suggested in argument that this statement amounted to an extension of the Dedman common law authorization from organized random stops to roving random stops. I do not accept that this is so. Reliance on common law authorization was not necessary for the decision in Ladouceur and indeed was only commented on incidentally. The discussion at this point in Cory, J.'s judgment occurred in relation to the power of a police officer to stop vehicles at random generally without particularizing, at that point in the discussion, whether the types of stops being talked about were organized or roving. In that context, the reference to Dedman can only be taken as a re-affirmation of what Dedman actually decided, namely, that organized random stops were authorized at common law.[33]

[Soulignements ajoutés]

[28]           Certes, le raisonnement suivi par la Cour suprême dans l’arrêt Ladouceur (et dans l’arrêt Hufsky) rejoint celui du juge Le Dain dans l’arrêt Dedman. Cela s’explique probablement par le fait que le deuxième volet du critère de l’arrêt Waterfield appliqué dans l’arrêt Dedman volet qui consiste à déterminer si la conduite des policiers est raisonnablement nécessaire pour accomplir un devoir policier – présente des similitudes avec le critère de justification applicable selon l’article premier de la Charte. Les facteurs considérés par le juge Le Dain dans l’application de ce volet du critère de l’arrêt Waterfield (nature de la « liberté » individuelle entravée et ampleur de l’atteinte à cette liberté, importance de l’objet public poursuivi, nécessité de l’atteinte pour l’accomplissement du devoir policier) recoupent en effet les facteurs devant être pris en compte dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier. Dans l’arrêt Fleming, la Cour suprême reconnaît d’ailleurs expressément la similitude entre les deux cadres d’analyse :

[54] Il est possible de dresser des parallèles évidents entre certains concepts qui jouent un rôle important dans le contexte de la justification au regard de la Charte — comme ceux de l’atteinte minimale et de la proportionnalité — et la doctrine des pouvoirs accessoires […]. Par exemple, les trois facteurs énoncés dans l’arrêt MacDonald[34] exigent une évaluation de la proportionnalité. En outre, selon le concept de la nécessité raisonnable, il ne doit pas être possible dans les circonstances de recourir à d’autres mesures moins intrusives. Si les policiers peuvent accomplir leur devoir d’une manière qui porte moins atteinte à la liberté, le pouvoir invoqué n’est clairement pas raisonnablement nécessaire (voir Clayton, par. 21).[35]

[Soulignement ajouté]

[29]           Il pourrait donc être tentant de conclure que, dans l’arrêt Ladouceur, la Cour suprême a implicitement élargi le pouvoir policier de common law établi par l’arrêt Dedman, ou encore que, par analogie, les motifs du juge Cory dans Ladouceur devraient être interprétés comme satisfaisant au critère de l’arrêt Waterfield.

[30]           Selon la Cour, une telle approche doit toutefois être rejetée.

[31]           La reconnaissance de pouvoirs policiers en common law est bien encadrée. Dans l’arrêt Fleming, la juge Côté, pour la Cour suprême, appelle à la prudence avant de se prononcer sur l’existence de tels pouvoirs. Elle mentionne que « la primauté du droit exige que ces pouvoirs policiers soient strictement limités afin de protéger les libertés individuelles »[36]. Puisque l’établissement et la restriction de ceux-ci relèvent des législateurs, « les tribunaux doivent agir avec prudence lorsqu’ils sont appelés à se prononcer sur l’existence en common law de pouvoirs policiers proposés »[37]. Cependant, les tribunaux « ne peuvent abdiquer le rôle qui leur incombe d’adapter progressivement des règles de common law lorsqu’il existe des lacunes législatives »[38]. Or, il vaut de souligner que, dans les arrêts Hufsky et Ladouceur, il n’y avait pas de lacune législative à combler puisque le pouvoir policier contesté était fondé sur le par. 189a(1) du Code de la route ontarien. C’est donc à ce pouvoir d’origine législative que s’intéressaient ces deux arrêts et non à une règle issue de la common law.

[32]           La Cour conclut que l’arrêt Dedman a reconnu un pouvoir policier de common law limité, à savoir celui d’intercepter des véhicules au hasard dans le cadre d’un programme structuré (« aux fins visées par le programme R.I.D.E. »). La Cour est en outre d’avis que l’arrêt Ladouceur n’a pas élargi ce pouvoir policier de common law. La décision de la majorité dans cette affaire est fondée sur la légalité des « interceptions au cours d’une patrouille qui sont autorisées par la loi »[39]. En conséquence, les conclusions du jugement de première instance relatives à la règle de common law seront modifiées[40].

B. L’article 636 C.s.r.

[33]           L’article 636 C.s.r. est donc la seule règle de droit contestée qui doit être examinée par la Cour. Il s’agit de la disposition législative qui confère aux policiers québécois le pouvoir de procéder à des interceptions routières sans motif de croire ou de soupçonner qu’une infraction a été commise. Il énonce ceci :

636. Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du présent code, des ententes conclues en vertu de l’article 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.

636. Every peace officer recognizable as such at first sight may, in the performance of his duties under this Code, agreements entered into under section 519.65 and the Act respecting owners, operators and drivers of heavy vehicles (chapter P-30.3), require the driver of a road vehicle to stop his vehicle. The driver must comply with this requirement without delay.

[34]           Dans l’arrêt R. c. Soucisse[41], le juge Steinberg détermine que l’art. 636 C.s.r. est très semblable à la disposition analysée par la Cour suprême dans Ladouceur. Il en conclut que les enseignements de la Cour suprême dans cet arrêt sont directement transposables à l’art. 636, lequel doit par conséquent être jugé valide sur le plan constitutionnel :

In both cases the provision is incorporated into a law respecting highway safety, the police officer must be recognizable as such, and must be acting in the performance of his duties. Despite minor variances in the text, the similarity is so striking, that it compels the conclusion that the finding of the Supreme Court in Ladouceur applies equally to section 636 of the Highway Safety Code, and that section 636 is a justifiable infringement of section 9 of the Charter. Accordingly, section 636 of the Highway Safety Code is valid.[42]

[35]           Le juge Steinberg rejette par ailleurs la prétention voulant que la vérification de la sobriété des conducteurs ne soit pas permise en vertu de l’art. 636. Selon lui, la vérification de la sobriété des conducteurs est directement liée aux objectifs visés par le C.s.r.[43].

[36]           Il vaut de noter qu’à l’origine, l’art. 636 C.s.r. assujettissait le pouvoir d’interception (ou de remisage) d’un véhicule par un agent de la paix à l’exigence que celui-ci ait « un motif raisonnable de croire qu’une infraction [au C.s.r.] a été commise et que les circonstances l’exigent »[44]. Le législateur québécois a retiré cette exigence du libellé de l’art. 636 en 1990[45], quelques mois après le prononcé de l’arrêt Ladouceur, et ce, afin de refléter les enseignements de cet arrêt. Le libellé de l’art. 636 a par la suite été modifié à quelques reprises pour préciser les fonctions dans le cadre desquelles un agent de la paix peut exercer le pouvoir discrétionnaire que cette disposition lui confère. Ces dernières modifications de l’art. 636 sont sans pertinence quant à l’issue du pourvoi[46].

III. Jugement de PREMIÈRE INSTANCE

[37]           Dans un imposant jugement de 169 pages, le juge analyse soigneusement la preuve et les questions de droit qui lui sont soumises. Il est utile d’en faire un bref résumé.

A. L’arrêt Ladouceur et la règle du stare decisis

[38]           Le juge détermine qu’il peut réexaminer les conclusions auxquelles est arrivée la Cour suprême dans l’arrêt Ladouceur, les deux exceptions à la règle du stare decisis vertical énoncées dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Bedford[47] – nouvelle question de droit ou modification importante de la situation ou de la preuve – étant présentes. Il est d’avis que les questions juridiques fondées sur l’art. 7 et le par. 15(1) de la Charte sont nouvelles au sens de l’arrêt Bedford. En outre, en ce qui concerne la justification de l’atteinte à l’art. 9 de la Charte, l’évolution des faits sociaux depuis l’arrêt Ladouceur change radicalement la donne et justifie aussi de revoir ce précédent.

B. L’article 9 de la Charte

[39]           À l’instar de la Cour suprême dans Ladouceur, le juge conclut que l’interception routière sans motif requis viole le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l’art. 9 de la Charte. Pour lui, il ne fait donc aucun doute que l’art. 9 de la Charte « a été enfreint à répétition » en l’espèce[48]. Par ailleurs, il détermine que cette atteinte n’est pas le résultat d’une application dérogatoire par les policiers de la règle de droit contestée, mais qu’elle découle plutôt de la règle ellemême. Pour le juge, l’atteinte au droit garanti par l’art. 9 ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte.

[40]           Bien que cette conclusion suffise pour décider du litige, le juge estime utile de poursuivre son analyse au regard de l’art. 7 et du par. 15(1) de la Charte[49].

C. L’article 7 de la Charte

[41]           Le juge est d’avis que la règle de droit contestée enfreint les droits à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’art. 7 de la Charte. Il précise que la forme de liberté dont il est question ici doit être distinguée de celle qui est protégée par l’art. 9 : alors que « l’article 9 s’intéresse à la liberté physique, l’article 7 s’attache plutôt […] à la liberté de faire des choix personnels en tant qu’individu »[50]. Selon le juge, il ne fait aucun doute que la règle de droit contestée contrevient au droit des personnes noires « de vivre leur vie comme elles l’entendent et de se déplacer au volant d’un véhicule pour répondre à leurs besoins sans être harcelées par la police au seul motif de la couleur de leur peau »[51].

[42]           Le juge détermine que l’atteinte aux droits fondamentaux découlant de la règle de droit contestée n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Il conclut encore une fois que cette atteinte ne peut se justifier selon l’article premier.

D. Le paragraphe 15(1) de la Charte

[43]           Selon le juge, la règle de droit contestée est incompatible avec le droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) de la Charte. Cette règle est discriminatoire puisque même si elle est neutre en apparence, elle entraîne un effet préjudiciable disproportionné sur les personnes noires, un groupe protégé, et elle leur impose un fardeau ou les prive d’un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer « les désavantages systémiques ou historiques avec lesquels les collectivités noires doivent vivre et composer »[52].

[44]           Le juge conclut que la règle de droit contestée ne peut être sauvegardée par l’application de l’article premier, le PGQ n’ayant pas établi « que la pertinence de la règle de droit et son fondement rationnel justifient de [la] maintenir en état »[53] malgré son caractère discriminatoire.

E. La réparation

[45]           Le juge estime que la réparation appropriée relève de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 plutôt que de l’art. 24 de la Charte. De fait, il conclut que « la seule issue possible »[54] consiste à déclarer la règle de droit contestée inopérante en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il suspend toutefois la prise d’effet de son jugement pour une période de six mois afin de permettre au législateur de remédier à la situation (le cas échéant) et aux autorités concernées d’« informer […] les effectifs policiers et [de] mettre en place une mesure de contrôle moins attentatoire des droits des membres des collectivités racisées »[55].

IV. Questions en litige

[46]           Les parties soulèvent un grand nombre de questions et de moyens en appel, chacune – ou presque – y allant de sa propre formulation. En substance, les questions que pose le pourvoi sont les suivantes :

  1. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée occasionne le profilage racial?
  2. Le juge a-t-il erré en concluant qu’il pouvait réexaminer l’arrêt Ladouceur?
  3. Si la Cour répond par la négative aux deux questions précédentes, le juge atil erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée à l’art. 9 de la Charte?
  4. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée à l’art. 7 de la Charte?
  5. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée au par. 15(1) de la Charte?
  6. Le juge a-t-il erré en déclarant la règle de droit inopérante et en suspendant la prise d'effet de cette déclaration pendant six mois?

V. Analyse

A. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée occasionne le profilage racial?

[47]           Le PGQ soutient que le juge a commis une erreur en déterminant que le profilage racial est un effet de la règle de droit contestée et non de l’application dérogatoire de celle-ci par les policiers. Il plaide que, selon cette règle, le pouvoir d’interception se limite à des fins très précises liées à la sécurité routière, soit la vérification de la sobriété du conducteur, de la validité de son permis de conduire, de sa preuve d’assurance et de l’état mécanique du véhicule[56]. Elle n’autorise pas les interceptions à d’autres fins (par exemple, afin de mener une enquête criminelle) ni le profilage racial.

[48]           Selon le PGQ, il s’agit d’une erreur de droit sur une question cruciale qui emporte l’ensemble de l’appel puisque si le profilage racial n’est pas un effet de la règle de droit contestée, on ne peut conclure que celle-ci porte atteinte aux droits protégés par les art. 7 et 15 de la Charte. En outre, si le profilage racial n’est pas un effet de la règle de droit contestée, il ne constitue pas non plus un effet préjudiciable de celle-ci dans l’analyse de la justification de l’atteinte au droit protégé par l’art. 9 de la Charte. En conséquence, la preuve du profilage racial sur la justification n’est pas pertinente et ne peut changer la donne au sens des arrêts Bedford[57], Carter c. Canada (Procureur général)[58] et R. c. Comeau[59] de façon à permettre le réexamen de l’arrêt Ladouceur.

[49]           Puisque la Cour conclut que l’arrêt Ladouceur n’a pas élargi la règle de common law établie dans l’arrêt Dedman, laquelle ne vise que les interceptions effectuées dans le cadre d’un programme structuré, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’analyse de l’ensemble des questions en litige ne portera que sur l’art. 636 C.s.r.

* * *

[50]           La question de savoir si l’art. 636 C.s.r. est la source du profilage racial dans les interceptions routières sans motif requis est déterminante sur l’issue du pourvoi. Le PGQ ne conteste pas la preuve selon laquelle il y a du profilage racial lors d’interceptions routières effectuées en vertu de l’art. 636 C.s.r., mais, à son avis, cela n’entraîne pas l’invalidité constitutionnelle de la disposition, car c’est le comportement illégal des policiers dans son application qui en est la cause. La distinction est importante au chapitre de la réparation.

[51]           En effet, on distingue deux types d’atteintes à la Charte, soit celle causée par une règle de droit incompatible avec la Charte et celle découlant d’une application dérogatoire d’une règle de droit par ailleurs valide[60]. Ce n’est que le premier type d’atteinte qui peut entraîner l’invalidité d’une règle de droit et fonder une réparation en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[61]. Quant au deuxième type d’atteinte, il ne concerne que la validité d’un acte ou d’une décision de l’État. Or, en principe, le comportement inapproprié (illégal) des représentants de l’État ne saurait rendre inconstitutionnelle une règle de droit par ailleurs constitutionnelle[62]. La réparation, dans ce cas, découle de l’art. 24 de la Charte[63]. Il est donc essentiel de déterminer quel type d’atteinte est en cause en l’espèce.

[52]           Le PGQ soutient que, dans l’examen de la constitutionnalité de la règle de droit contestée, l’effet analysé doit être celui occasionné par une application légitime et régulière de celleci. Si le profilage racial est le résultat d’un comportement fautif des policiers, la réparation doit être celle prévue à l’art. 24 de la Charte, et non une déclaration d’inopérabilité en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[53]           La Cour ne partage pas ce point de vue. La question de savoir si l’art. 636 C.s.r. est en lui-même un vecteur de profilage racial, et donc la source des violations alléguées de la Charte, n’est pas seulement une question de droit, mais bien une question mixte de droit et de fait, car il faut examiner les effets de l’application de la disposition pour déterminer sa validité constitutionnelle. Le juge n’a pas commis d’erreur à cet égard. Même si l’art. 636 C.s.r. n’autorise pas expressément les interceptions routières fondées sur le profilage racial, la preuve a démontré que son effet est de permettre à celuici de s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’il confère aux policiers. C’est donc l’art. 636 C.s.r. qui est la source des violations alléguées de la Charte.

[54]           Lorsqu’une loi prévoit l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, il faut, dans la mesure du possible, l’interpréter et l’appliquer de manière compatible avec la Charte[64]. Cela n’est toutefois pas toujours possible. En effet, ce ne sont pas toutes les règles de droit attributives d’un pouvoir discrétionnaire qui peuvent être interprétées comme étant conformes à la Charte[65]. Il arrive qu’il soit impossible de conclure que le législateur n’avait pas l’intention d’autoriser la conduite attentatoire[66], ou encore d’interpréter une disposition législative (de manière à la garder dans les limites de la constitutionnalité) sans empiéter sur le rôle de celui-ci. Le juge Dickson s’exprime ainsi à cet égard dans l’arrêt Hunter c. Southam inc. :

Même si les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers, il incombe à la législature d’adopter des lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Constitution. Il n’appartient pas aux tribunaux d’ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives.[67]

[55]           Il arrive donc que des dispositions législatives ou des règles de droit prévoyant un pouvoir discrétionnaire portent nécessairement atteinte aux droits garantis par la Charte, et ce, même si elles n’autorisent pas expressément une telle atteinte[68]. Dans de tels cas, c’est généralement la loi ou la règle de droit elle-même qui doit être examinée au regard de la Charte[69].

[56]           Le fait que la loi ou la règle de droit contestée confère à un agent ou mandataire de l’État le pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer « dans les cas où il estime que son application entraînerait une violation de la Charte »[70] ne suffit pas en soi à en assurer la sauvegarde[71]. Les arrêts Morgentaler[72], Hunter, Bain et Nur[73], sur lesquels s’appuie le juge de première instance, illustrent ces principes.

[57]           Dans l’arrêt Morgentaler, la Cour suprême devait déterminer si les dispositions du Code criminel sur l’avortement violaient l’art. 7 de la Charte. La Cour a analysé les effets de l’art. 251 C.cr., lequel, à l’époque, criminalisait l’avortement et prévoyait une « défense » pour les avortements thérapeutiques. Le juge en chef Dickson, pour la majorité, mentionne que « comme c’est souvent le cas en matière d’interprétation, la simple lecture des dispositions législatives ne dit pas tout. Pour comprendre la nature et la portée véritables de l’art. 251, il est nécessaire d’examiner l’application pratique des dispositions »[74].

[58]           Le juge en chef Dickson examine donc la preuve de l’application de la loi à travers le Canada. Il reconnaît qu’une « application injuste de la loi peut être imputable à des forces externes qui n’ont rien à voir avec la loi elle-même »[75]. Il conclut cependant de la preuve qu’un grand nombre des problèmes les plus graves dans l’application de l’art. 251 C.cr. résultent dexigences administratives et de procédures établies par la loi elle-même. Il note ceci :

En d’autres termes, l’obligation du par. 251(4), neutre en apparence, qu’au moins quatre médecins soient disponibles pour autoriser et pratiquer un avortement, signifie en pratique qu’il serait absolument impossible d’obtenir un avortement dans près du quart de tous les hôpitaux au Canada.[76]

[59]           D’autres exigences administratives et procédurales découlant du par. 251(4) C.cr. réduisaient la possibilité d’obtenir des avortements thérapeutiques, incluant notamment l’absence d’une norme adéquate permettant de guider les comités de médecins dans la décision d’autoriser ou non un avortement thérapeutique. En vertu du par. 251(4), le comité de l'avortement thérapeutique pouvait autoriser un avortement thérapeutique dans les cas où il estimait que la poursuite de la grossesse pourrait mettre en danger la « vie ou la santé » de la femme enceinte. Or, le terme « santé » employé au par. 251(4) n’étant pas défini, il était ambigu et les comités à travers le pays le définissaient et l’appliquaient de façon fort différente[77]. La Cour a conclu que les divers problèmes d’application de cet article pour l’obtention d’avortements thérapeutiques – y compris l’absence d’une norme juridique claire devant être appliquée par les comités de médecins – entraînaient un manquement aux principes de justice fondamentale[78].

[60]           Dans l’arrêt Hunter, il s’agissait de déterminer si les par. 10(3) et 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions[79] étaient incompatibles avec l’art. 8 de la Charte. La Cour suprême a jugé que le pouvoir discrétionnaire que ces dispositions conféraient à la Commission sur les pratiques restrictives du commerce était inconstitutionnel puisqu’il ne prévoyait aucun critère objectif pour la délivrance d’une autorisation préalable de procéder à une fouille, une perquisition ou une saisie[80]. Le juge Dickson (tel qu’il était alors), pour la Cour, mentionne qu’il incombe à la législature d’adopter les lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Constitution[81].

[61]           Dans l’arrêt Bain, la Cour suprême devait déterminer si les dispositions du Code criminel régissant les récusations péremptoires et les mises à l’écart des candidats jurés étaient incompatibles avec l’al. 11d) de la Charte, qui protège le droit d’un accusé « d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable ». En vertu de ces dispositions, le ministère public possédait le pouvoir discrétionnaire de mettre à l’écart des candidats jurés sans donner de motifs, et ce, dans un rapport de 4,25 contre 1 en sa faveur, lorsque l’on comparait ce pouvoir avec le droit de l’accusé de récuser péremptoirement des candidats jurés. Dans son examen de la constitutionnalité des dispositions contestées, la Cour a considéré la manière irrégulière et inconstitutionnelle dont le ministère public pouvait utiliser son pouvoir discrétionnaire, soit dans le but de constituer un jury qui lui serait favorable. La majorité a conclu que la protection des droits fondamentaux ne doit pas reposer sur la confiance que le détenteur du pouvoir discrétionnaire agira de façon exemplaire. Le juge Cory, pour la majorité, écrit ceci à ce propos :

Il se peut bien qu'il ne soit pas possible de prouver que le juré sélectionné après que le ministère public a exercé ses mises à l'écart et ses récusations péremptoires est de fait partial. Néanmoins, le nombre beaucoup plus élevé de choix accordé au ministère public crée une impression profonde d'injustice dans le processus de sélection des jurés. Le jury est celui qui prend la décision finale. Le sort de l'accusé repose entre ses mains. Le jury ne devrait pas, par suite de la manière dont ses membres sont sélectionnés, sembler favoriser le ministère public au détriment de l'accusé. L'équité devrait être le principe directeur de la justice et la marque des procès criminels. Toutefois, tant que la disposition contestée du Code continue d'accorder au ministère public le pouvoir de sélectionner des jurés qui semblent lui être favorables, tout le processus du procès sera entaché d'une apparence d'injustice évidente et accablante. Les membres de la société seront laissés dans le doute quant au bien-fondé du processus qui permet au ministère public de disposer de quatre fois plus de choix que l'accusé dans la sélection des jurés.

Malheureusement, il semblerait que, chaque fois que le ministère public se voit accorder par la loi un pouvoir qui peut être utilisé de façon abusive, il le sera en effet à l'occasion. La protection des droits fondamentaux ne devrait pas être fondée sur la confiance à l'égard du comportement exemplaire permanent du ministère public, chose qu'il n'est pas possible de surveiller ni de maîtriser. Il serait préférable que la disposition législative incriminée soit abolie.[82]

[Soulignement ajouté]

[62]           La Cour suprême, à la majorité, déclare donc les dispositions contestées inconstitutionnelles parce qu’elles permettent la formation d’un jury qui semble favorable au ministère public, ce qui est incompatible avec l’al. 11d) de la Charte[83].

[63]           L’arrêt Nur illustre également le principe voulant que la simple possibilité qu’un agent de l’État ne recoure pas à son pouvoir discrétionnaire – et ne porte donc pas atteinte aux droits fondamentaux – est insuffisante pour qu’une disposition incompatible avec les droits garantis par la Charte soit valide constitutionnellement[84].

[64]           En l’espèce, l’art. 636 C.s.r. ne prévoit aucun critère ou norme qui pourrait encadrer le travail des policiers dans la sélection des conducteurs à intercepter. Il n’y a aucun motif objectif ni balise objective pouvant les guider dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Voilà d’ailleurs précisément pourquoi, dans l’arrêt Ladouceur, la Cour suprême conclut au caractère arbitraire de la détention permise par le par. 189a(1) du Code de la route de l’Ontario[85], disposition jugée équivalente à l’art. 636 C.s.r.[86].

[65]           Dans les faits, même si l’art. 636 C.s.r. n’autorise pas expressément les interceptions routières sans motif requis fondées sur le profilage racial, il a nécessairement pour effet de permettre à ce dernier de s’immiscer dans l’exercice du pouvoir qu’il octroie aux policiers. L’exigence – d’origine prétorienne[87] – que ce pouvoir soit exercé dans la poursuite d’un objectif lié à la sécurité routière ne suffit pas à empêcher le profilage racial de jouer un rôle dans la sélection des conducteurs.

[66]           La Cour suprême, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), explique ainsi ce qu’est le profilage racial :

[33] […] D’abord élaboré à l’occasion de certains recours intentés contre des services policiers pour abus de pouvoir, le concept de profilage racial a depuis été étendu à d’autres contextes :

Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels [sic] la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.

Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée.[88]

[Soulignements omis]

[67]           Il importe de préciser que le profilage racial découle souvent d’un comportement inconscient plutôt que d’un racisme revendiqué, comme le soulignait la Cour dans l’arrêt Pierre-Louis c. Québec (Ville de)[89]. Voici comment l’experte de M. Luamba, Marie-Ève Sylvestre, dont la preuve ne fut pas contredite par le PGQ, s’exprime à ce sujet :

Il est essentiel de noter que le profilage prend souvent des formes subtiles et insidieuses plutôt que d’être le fait de comportements intentionnels et explicites. En d’autres mots, il n’est pas nécessaire que la personne en autorité soit explicitement raciste ou ait des motivations racistes pour qu’il y ait profilage. De fait, le profilage peut exister même en l’absence de valeurs racistes promues par des individus au sein d’une organisation. C’est ainsi que l’on constate aussi l’existence de profilage lorsque les actions, pratiques et décisions d’une personne en autorité ont des effets disproportionnés sur des groupes identifiés et ciblés.[90]

[Italiques dans l’original]

[68]           Le profilage racial peut aussi exister « indépendamment du fait que la conduite policière […] pourrait être justifiée hormis le recours aux stéréotypes négatifs fondés sur la race »[91].

[69]           En l’espèce, le juge de première instance conclut que c’est le pouvoir discrétionnaire accordé aux policiers par l’art. 636 C.s.r. qui permet au profilage racial de s’immiscer dans la sélection des conducteurs à intercepter. Selon le juge, l’exercice de ce pouvoir ne repose que sur l’intuition (ou le « flair policier ») et il est impossible de déterminer le processus mental menant à la sélection d’un conducteur donné. Le profilage racial peut ainsi survenir de façon inconsciente :

[632] En fait, le pouvoir discrétionnaire de priver momentanément un citoyen de sa liberté dans ce cadre est le plus arbitraire et le moins filtré qui soit. Ramené à sa plus simple expression, il ne repose que sur l’intuition puisqu’il n’exige ni motif réel, ni soupçon. Il est le produit d’un processus mental insondable. Il peut s’exercer sans laisser de trace comme on l’a vu. Il ne connait aucun encadrement précis si ce n’est de rappeler aux policiers que le profilage racial est interdit. Même le nouveau chapitre du Guide de pratiques policières (section 2.1.7, Interpellation policière) ne s’y attaque pas spécifiquement. Il est de fait illusoire d’identifier ce qui déclenche chez les policiers l’intuition qui mènera à une interception routière plutôt qu’à une autre. Le profilage racial s’exerce ainsi de façon insidieuse, sans que le policier ne soit pour autant mû par des valeurs racistes. Pour les victimes, la preuve de cette disposition d’esprit est quasi-insurmontable si ce n’est en ayant recours à une liste d’indicateurs de profilage racial et à une preuve circonstancielle quand c’est possible.

[633] Tous ces facteurs sont inhérents à la règle de droit qui autorise les interceptions routières sans motif réel en dehors d’un programme structuré. Elle devient ainsi par elle-même et en elle-même un vecteur de profilage racial […].

[Caractères gras et renvoi omis]

[70]           Comme le souligne le juge, la preuve du profilage racial est très complexe à faire. Par exemple, même si un policier qui procède à l’interception d’un conducteur noir ne lui pose aucune question ne cadrant pas avec le C.s.r. et respecte par ailleurs la lettre de la loi, le profilage racial peut avoir joué un rôle dans son choix d’intercepter ce conducteur. En raison de l’absence totale de critères régissant la sélection des conducteurs et des véhicules, des motifs de profilage racial présents même de façon inconsciente peuvent influer sur cette sélection. Dans plusieurs cas, les policiers ne sont pas conscients que la race du conducteur a joué un rôle dans l’interception du véhicule[92]. D’ailleurs, selon l’expert Massimiliano Mulone, retenu par M. Luamba, une très grande majorité de policiers croient que leur travail n’est pas influencé par le profilage racial[93].

[71]           La preuve d’expert et la littérature scientifique démontrent pourtant que le profilage racial joue un rôle dans les interceptions routières sans motif requis. Comme nous le verrons plus en détail dans la section de l’arrêt portant sur l’art. 15 de la Charte[94], l’expert Mulone explique que les populations non blanches, et en particulier les populations noires, « sont systématiquement plus interpellées et/ou interceptées[95], quel que soit l’endroit où l’on porte le regard, et ce, parfois dans des proportions très importantes (surtout lorsque l’on se concentre sur les jeunes hommes dans les analyses) »[96]. Selon lui, ces disparités ne peuvent être expliquées par une participation différentielle présumée des personnes noires à la criminalité. Ainsi, « où que l’on regarde, quelle que soit la manière dont on regarde (données policières, sondages auprès de la population, témoignages de citoyens, type d’intervention, etc.), quelle que soit l’époque que l’on étudie, les résultats sont les mêmes : les personnes noires sont visées de manière disproportionnée par les forces de l’ordre »[97]. Il ajoute que rien ne permet de penser que « les disproportions mises en lumière par les études récentes au Canada pourraient s’expliquer par l’existence d’une majorité de policiers qui abordent leur quart de travail avec la ferme intention de discriminer des personnes du fait de leur identité racisée »[98].

[72]           La preuve retenue par le juge confirme que le profilage racial est souvent inconscient et que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers d’effectuer des interceptions sans motif requis le favorise. L’expert Mulone explique par ailleurs en détail comment les biais cognitifs et les contraintes structurelles associées au fonctionnement du travail policier facilitent le profilage racial. Il mentionne entre autres ceci :

En mêlant ces deux formes d’explications […] on comprend bien comment le travail policier peut produire des discriminations raciales, et ce, sans que les policiers en soient conscients. Il existe en effet, dans l’organisation du travail de la police, des incitatifs qui, bien que n’étant nullement nourris par des valeurs racistes, poussent les policiers à intervenir dans des situations où leur jugement est en partie déterminé par des préjugés. Et les pratiques d’interpellation et d’interception, basées en partie sur une prédiction, sont particulièrement sensibles à ces biais, parce qu’elles ne sont pas forcément générées par un acte délictueux aisément identifiable. Si l’on revient à la distinction que la Commission ontarienne des droits de la personne fait entre le profilage racial et le profilage criminel[99], on se trouve ici dans des situations où les preuves observables de commission d’un acte délictueux sont généralement faibles, voire absentes (c’est même ce qui définit l’interpellation et une partie des interceptions), laissant le jeu libre aux « présomptions stéréotypées », surtout lorsqu’on considère que ces dernières sont pour la plupart inconscientes.[100]

[…]

[…] [C]ertaines pratiques [policières] sont plus susceptibles d’être sensibles à ces biais. C’est le cas de l’interpellation et de l’interception parce que, dans ces deux cas, les faits observables à partir desquels la décision d’intervenir se prend sont forcément moins évidents que lorsque la commission d’une infraction est observée.

Je l’ai dit, ces discriminations sont très insidieuses, car elles découlent en partie de processus cognitifs implicites et donc inconscients. Il n’y a donc pas forcément volonté de cibler un groupe plutôt qu’un autre, mais en permettant (et parfois en encourageant) des pratiques qui sont trop aisément influencées par ces biais inconscients, on ouvre la porte à des disparités de traitement au sein de la population canadienne. […][101]

[73]           L’experte Marie-Ève Sylvestre en arrive à la même conclusion : les policiers sont plus susceptibles d’être influencés par des stéréotypes racistes lorsqu’ils agissent de façon proactive, ou encore lorsqu’ils sont justifiés d’agir en se fondant sur des critères ou des « soupçons flous et mal définis »[102].

[74]           La position du PGQ selon laquelle le profilage racial n’est pas un effet de la règle de droit contestée ne peut donc être retenue. Les données disponibles depuis l’arrêt Ladouceur révèlent que les raisons de procéder à une interception routière sans motif requis relatives « à la conduite dune automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que de létat mécanique du véhicule »[103] ne suffisent pas à empêcher le profilage racial de s’immiscer dans ce type d’interception. Le profilage racial dans les interceptions routières sans motif requis est causé par le fait que l’art. 636 C.s.r. ne comporte aucun critère permettant d’encadrer l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’il confère aux policiers. En l’occurrence, le problème réside dans l’absence de limites adéquates dans la loi quant à l’exercice de ce pouvoir. C’est cette absence de balises suffisantes à l’article 636 C.s.r. qui, en favorisant le profilage racial, est la source des violations alléguées de la Charte.

[75]           À cet égard, le cas d’espèce doit être distingué de l’arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice)[104] que le PGQ invoque au soutien de sa position. Les dispositions contestées dans Little Sisters prévoyaient des balises suffisantes pour encadrer le pouvoir discrétionnaire qu’elles conféraient aux agents de l’État (douaniers). Selon la majorité, ces dispositions énonçaient en effet une norme appropriée pour encadrer le pouvoir discrétionnaire des agents des douanes, notamment parce qu’elles renvoyaient à la définition de l’obscénité prévue au par. 163(8) C.cr. Contrairement à ce qui était allégué, rien dans la législation applicable ou dans ses effets nécessaires ne prévoyait ou n’encourageait une quelconque différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle, la définition de l’obscénité s’appliquant sans distinction au matériel érotique homosexuel et au matériel érotique hétérosexuel[105]. Les violations alléguées de la Charte résultaient de l’administration des douanes et non de la loi ellemême. La distinction était faite au niveau administratif, dans la mise en œuvre de la législation.

[76]           Par contraste, l’art. 636 C.s.r. confère un pouvoir discrétionnaire absolu aux policiers en ne prévoyant aucun critère, exprès ou tacite, pour l’encadrer[106]. Même lorsque les policiers agissent dans un objectif de sécurité routière, le profilage racial peut s’immiscer dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Le juge de première instance ne commet donc aucune erreur lorsqu’il conclut que le problème découle de la règle de droit contestée et non d’une application dérogatoire de celle-ci.

[77]           Ce moyen d’appel est par conséquent rejeté.

B. Le juge a-t-il erré en concluant qu’il pouvait réexaminer l’arrêt Ladouceur?

[78]           La règle du stare decisis exige que les tribunaux suivent les précédents émanant de juridictions équivalentes (stare decisis horizontal) ou supérieures (stare decisis vertical)[107]. Cette règle ne s’applique qu’à la ratio decidendi d’une affaire[108]. En l’espèce, la question touche uniquement l’application du stare decisis vertical, l’arrêt Ladouceur provenant d’un tribunal hiérarchiquement supérieur.

[79]           La ratio decidendi de l’arrêt Ladouceur peut s’énoncer comme suit : 1) un pouvoir d’interception routière sans motif requis constitue une détention arbitraire et contrevient à l’art. 9 de la Charte; et 2) cette atteinte est justifiée selon l’article premier de la Charte[109]. Ainsi, la constitutionnalité du pouvoir d’interception sans motif requis au regard des art. 7 et 15 de la Charte ne fait l’objet d’aucun précédent contraignant et ne requiert pas l’application de la règle du stare decisis.

[80]           Plus précisément, seule la constitutionnalité du par. 189a(1) du Code de la route de l’Ontario au regard de l’art. 9 de la Charte a fait l’objet d’un examen par la Cour suprême dans Ladouceur, l’art. 15 de la Charte n’étant pas entré en vigueur au moment des faits de cette affaire[110]. Il est ainsi clair que l’argument de M. Luamba fondé sur l’art. 15 de la Charte constitue une nouvelle question de droit, tel que l’a conclu le juge de première instance[111].

[81]           Pour ce qui est de l’argument fondé sur l’art. 7 de la Charte, bien que la Cour suprême en fasse mention dans la formulation des questions constitutionnelles, les motifs de la majorité précisent qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question en raison des conclusions auxquelles elle parvient sur l’art. 9[112]. Une lecture globale de l’arrêt Ladouceur permet donc de conclure que la prétention fondée sur l’art. 7 n’a pas été tranchée au mérite dans cette affaire. Par conséquent, le juge avait raison de la qualifier de « nouvelle question de droit »[113].

[82]           Quant aux arguments fondés sur l’art. 9 de la Charte et sur la justification de l’atteinte à l’art. 9 au regard de l’article premier, le juge reconnaît que la règle du stare decisis vertical lui impose de suivre le raisonnement de l’arrêt Ladouceur[114]. Toutefois, en application des exceptions à la règle prévues par la Cour suprême dans les arrêts Bedford, Carter et Comeau, il s’autorise à réexaminer ce précédent en ce qui concerne le volet de l’application de l'article premier de la Charte.

[83]           Selon ces arrêts, un tribunal inférieur peut réexaminer un précédent contraignant d’un tribunal supérieur dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique est soulevée; (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne »[115].

[84]           La barre doit être élevée afin de justifier le réexamen d’un précédent contraignant[116], puisqu’il s’agit d’une exception extraordinaire au principe du stare decisis[117]. Comme la Cour le souligne dans l’arrêt Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec :

[264] Le critère de « la question juridique nouvelle » est exigeant. En matière constitutionnelle, il peut s’agir de nouvelles questions de droit en lien avec les chartes qui n’ont pas été avancées ou considérées dans le précédent que l’on cherche à réexaminer, ou encore d’arguments soulevés par suite d’une évolution importante du droit. Comme l’écrit la Cour suprême, sous la plume de la juge en chef McLachlin, dans l’arrêt Bedford, un tribunal de juridiction inférieure « peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit […] ».

[…]

[300] L’exception au principe du stare decisis relative à la modification de la situation ou de la preuve qui change radicalement la donne est également de portée restreinte :

[31] Non seulement l’exception estelle restreinte — la preuve doit « change[r] radicalement la donne » —, mais il ne s’agit pas d’une invitation générale à réexaminer les précédents qui font autorité sur le fondement de n’importe quel type de preuve. […][118]

[Renvois omis]

[85]           Il ne suffira pas de qualifier différemment une atteinte à un droit fondamental pour qu’elle constitue une nouvelle question de droit.

[86]           Quant à la seconde situation permettant de réexaminer un précédent, « ni une preuve actualisée, ni l’évolution des mentalités et des points de vue n’équiva[udront] à une modification de la situation ou de la preuve qui change radicalement la donne »[119] quant à la manière dont les juristes comprennent la question juridique en cause[120]. La Cour suprême envisage la possibilité pour un tribunal de s’écarter d’un précédent dans des circonstances établissant une évolution importante des faits législatifs et sociaux fondamentaux qui change radicalement la donne. Dans l’arrêt Comeau, elle écrit :

[31] […] la preuve d’une évolution importante des faits législatifs et sociaux fondamentaux — « qui intéressent la société en général » — constitue un type de preuve qui peut radicalement changer la donne dans le débat juridique visé : Bedford, par. 48-49; Carter, par. 47. Ainsi, il a été jugé que l’exception s’applique lorsque le contexte social sous-jacent qui encadrait le débat juridique original examiné a profondément changé.

[32] Dans Carter, par exemple, de nouveaux éléments de preuve relatifs aux préjudices associés à l’interdiction de l’aide médicale à mourir, aux attitudes du public envers cette aide et aux mesures qui peuvent être mises en place pour limiter le risque étaient pertinents. Compte tenu du cadre juridique qui existait alors, il était impossible de connaître cette preuve, ou alors celle-ci n’était pas pertinente, au moment où l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, a été rendu. Ces nouveaux faits législatifs et sociaux n’ont pas simplement fourni une autre réponse à la question posée dans Rodriguez. Ils ont plutôt changé radicalement la donne quant à la façon dont la Cour pouvait évaluer la nature des intérêts opposés en jeu.

[87]           En l’espèce, le juge de première instance note qu’il est « acquis » que les interceptions routières sans motif requis « constituent une forme de détention arbitraire »[121] contraire à l’art. 9 de la Charte. En ce qui concerne la justification de l’atteinte en vertu de l’article premier, il conclut que le critère de la nouvelle question juridique est satisfait, puisque le dossier pose « la question sous un angle différent en se fondant sur l’évolution des données et du contexte »[122].

[88]           Le juge conclut par ailleurs que « les faits sociaux et les données ont varié au fil du temps avec pour effet de modifier le contexte et de changer “la donne”, par rapport à ceux prévalant lorsque l’affaire Ladouceur a été entendue »[123].

[89]           Pour le PGQ, il y a là une erreur qui justifie l’intervention de la Cour. À son avis, la réalité du profilage racial est bien connue depuis longtemps au Canada, même si ce terme, maintenant consacré, n’était pas encore en usage à l’époque de l’arrêt Ladouceur. Par conséquent, il soutient que le juge se trompe en décidant que la preuve administrée devant lui a pour effet de « changer radicalement la donne ».

[90]           La Cour n’est pas d’accord. Au contraire, eu égard à l’ensemble de la preuve qualitative, quantitative, statistique et d’expert entendue, le juge n’a pas erré en concluant à une nouvelle réalité bien documentée au cours des vingt dernières années, laquelle change radicalement la donne.

[91]           Le juge fait une analyse détaillée de la preuve testimoniale présentée par M. Luamba et par plusieurs autres « personnes noires ayant vécu des expériences d’interceptions routières sans motif réel »[124].

[92]           Il retient que ce groupe de témoins est suffisant en nombre « pour jeter un éclairage diversifié sur les interceptions routières de conducteurs noirs, dégager des traits communs et conclure à une pratique policière qui ne peut être, une fois ces traits communs mis en lumière, qu’associée au profilage racial »[125]. Selon lui, cette preuve qualitative est crédible et concluante quant à l’existence du profilage racial[126].

[93]           Quant à la preuve quantitative, la preuve documentaire et la preuve d’expert, elle rejoint celle étudiée par la Cour suprême dans l’arrêt Le, analysé par le juge[127], où la Cour suprême reconnaît « l’existence d’un nombre disproportionné d’interventions policières auprès des collectivités racialisées et à faible revenu »[128]. À cet égard, comme l’explique le juge Cournoyer, alors de la Cour supérieure, dans l’affaire Dorfeuille :

[32] Même si la question du profilage racial a fait l’objet de nombreux commentaires dans la jurisprudence antérieure de la Cour suprême, l’arrêt R. c. Le représente la première décision substantielle sur la question du profilage racial entourant les interventions policières.

[33] Bien que divisée sur l’issue du pourvoi, la Cour prend unanimement connaissance d’office de l’existence du profilage racial lors d’interventions policières.[129]

[Renvois omis]

[94]           Plusieurs études quantitatives américaines postérieures à Ladouceur se sont penchées sur le profilage racial dans le cadre d’interceptions routières et ont permis d’illustrer les disparités de traitement de l’action policière à l’encontre des minorités visibles[130]. De même, de nombreuses études au Canada se sont intéressées au profilage racial dans la manière dont il teinte tant les interpellations[131] que les interceptions routières[132].

[95]           La littérature canadienne permet aujourd’hui de constater de manière manifeste la surreprésentation des personnes noires et des membres d’autres groupes racisés dans les interceptions routières. Comme l’expose l’expert Mulone dans l’extrait de son rapport cité précédemment :

[…] dans le cas des discriminations raciales par la police au Canada, la convergence des résultats est extrêmement forte : où que l’on regarde, quelle que soit la manière dont on regarde (données policières, sondages auprès de la population, témoignages de citoyens, type d’intervention, etc.), quelle que soit l’époque que l’on étudie, les résultats sont les mêmes : les personnes noires sont visées de manière disproportionnée par les forces de l’ordre au Canada.[133]

[96]           Le rapport d’expertise de Mme Sylvestre fait par ailleurs entrevoir la multiplicité des articles contemporains discutant de la notion de profilage racial et exposant ses conséquences personnelles et professionnelles sur celles et ceux qui en sont victimes[134].

[97]           La revue de la littérature contemporaine sur la question du profilage racial permettait au juge de dégager les constats suivants :

  • La notion de « profilage racial » fait maintenant partie intégrante de la littérature et a fait l’objet de discussions approfondies[135]. Elle constitue désormais un sujet d’étude distinct de la notion beaucoup plus large de « discrimination raciale » employée à l’époque de l’arrêt Ladouceur[136]. Les études qui en traitent ciblent plus particulièrement le processus de sélection des conducteurs qui font l’objet des interceptions routières « aléatoires »;
  • Des données de nature quantitative sont désormais disponibles et permettent de brosser un portrait plus objectif de la réalité. Il n’est plus seulement question d’anecdotes relatées dans des rapports : de nombreuses études permettent d’établir statistiquement la prévalence substantiellement accrue des interceptions routières envers les personnes noires, et ce, avec des données empiriques;
  • Les interceptions routières sont aujourd’hui spécifiquement étudiées dans un contexte canadien;
  • Les conséquences du profilage racial sur les personnes qui en sont victimes ont été plus largement documentées et démontrent le préjudice subi par celles-ci, notamment en raison de la fréquence des interceptions.

[98]           Rappelons que, dans l’arrêt Ladouceur, le juge Cory affirme que « [c]es interpellations sont et doivent être relativement brèves et nexigent la présentation que de quelques documents. Linconvénient causé au conducteur est minime »[137]. Or, en l’espèce, la preuve administrée en première instance permet de constater que l’inconvénient considéré comme « minime » dans Ladouceur ne cadre aucunement avec la réalité d’aujourd’hui. La littérature contemporaine illustre les conséquences considérables du profilage racial sur le plan humain pour les conducteurs et conductrices qui en sont victimes : maux de tête, colère, insomnie, traumatisme, problèmes de concentration, perte d’appétit, dépression, anxiété, panique, absences au travail, détresse psychologique, etc.[138].

[99]           De plus, dans l’arrêt Ladouceur, le juge Cory estime que les craintes qu’il y ait des abus dans l’exercice par les policiers de leur pouvoir discrétionnaire « ne sont pas fondées. Il y a déjà des mécanismes en place pour empêcher les abus. Les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi »[139]. Or, l’ensemble de la littérature contemporaine et la preuve administrée en première instance exposent malheureusement un portrait différent de la situation : le profilage racial s’entremêle avec des préoccupations légitimes de lutte à la criminalité et de sécurité routière[140], de sorte que, combiné à l’absence d’exigence de motifs justifiant une interception, le pouvoir codifié à l’art. 636 C.s.r. ouvre la porte à de nombreux abus documentés.

[100]      Dans l’arrêt Comeau, la Cour suprême souligne que l’exception relative à la nouvelle preuve s’appliquant à la règle du stare decisis « s’applique lorsque le contexte social sous-jacent qui encadrait le débat juridique original examiné a profondément changé »[141]. En l’espèce, le juge aborde les changements intervenus dans le contexte social depuis l’arrêt Ladouceur et constate que les enjeux du profilage racial n’étaient pas suffisamment connus lorsque la Cour suprême a statué. Il écrit :

[50] Tel qu’on le définit maintenant, le profilage racial était inconnu en 1990 au moment où a été rendu l’arrêt Ladouceur, lequel occupe ici une place centrale puisque c’est lui qui a établi la règle de common law dont le demandeur attaque aujourd’hui la constitutionnalité. Tout au plus retrouve-t-on dans cet arrêt-clé les deux brefs passages suivants, le premier pour le compte de la minorité sous la plume du juge Sopinka, le second souscrit au nom de la majorité des juges de la Cour sous celle du juge Cory :

Par contre, l'interception au hasard d'un véhicule au cours d'une patrouille permettrait à un agent de police d'intercepter n'importe quel véhicule, n'importe quand, n'importe où. La décision pourrait reposer sur un caprice. Chacun des agents de police aura des motifs différents. Certains auront tendance à arrêter les conducteurs plus jeunes, d'autres les voitures plus vieilles, et ainsi de suite. Comme le souligne le juge Tarnopolsky, des considérations raciales peuvent aussi entrer en ligne de compte. Mon collègue dit que, dans ces circonstances, il serait possible de prouver l'existence d'une violation de la Charte. Cependant, s'il n'est pas nécessaire de fournir quelque motif que ce soit, ni même d'en avoir, comment pourra-t-on savoir?

Finalement, il faut démontrer que la vérification de routine ne porte pas atteinte gravement au droit garanti par l'art. 9 au point de l'emporter sur l'objectif législatif. Ce qui nous préoccupe à ce stade-ci, c'est la perception du risque d'abus de ce pouvoir par les fonctionnaires chargés d'appliquer la loi. À mon avis, ces craintes ne sont pas fondées. Il y a déjà des mécanismes en place pour empêcher les abus. 

(Le Tribunal souligne)

[51] Mis bout à bout, ces deux passages de Ladouceur mettent en lumière le fait qu’au moment où la Cour suprême s’est prononcée, les risques du profilage racial, s’ils étaient pressentis, n’étaient pas encore suffisamment connus pour que le plus haut tribunal s’y arrête.

[Renvoi omis]

[101]      Le PGQ ne fait voir aucune erreur manifeste et déterminante dans les conclusions du juge qui le mènent à affirmer « que les faits sociaux et les données ont varié au fil du temps avec pour effet de modifier le contexte et de changer la donne par rapport à ceux prévalant lorsque l’affaire Ladouceur a été entendue »[142], et que « le profilage racial, selon les paramètres qui le distinguent du racisme proprement dit […], était inconnu de la Cour suprême au moment de décider de l’affaire Ladouceur »[143].

[102]      En effet, le juge conclut à bon droit que les risques de profilage racial, s’ils étaient alors pressentis, n’étaient pas encore suffisamment connus. Il était donc bien fondé à réexaminer l’arrêt Ladouceur, et, partant, la justification du pouvoir d’interception routière sans motif requis au regard de l’article premier de la Charte.

C. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée à l’art. 9 de la Charte?

1. L’atteinte

[103]      À l’instar de la Cour suprême dans Ladouceur, le juge conclut que le pouvoir d’interception routière sans motif requis viole le droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l’art. 9 de la Charte[144]. Il note que, selon la jurisprudence[145], intercepter un véhicule automobile et ordonner au conducteur de s’immobiliser à des fins de vérification équivaut à le priver de sa liberté par contrainte, dans la mesure où il y a une responsabilité pénale associée au refus d’obtempérer[146]. Par conséquent, il détermine que l’interception autorisée par l’art. 636 C.s.r. constitue une forme de détention en ce que « des conséquences juridiques sérieuses sont associées au fait de ne pas obtempérer »[147]. Il est également d’accord avec la position exprimée par la Cour suprême dans Ladouceur selon laquelle cette détention est arbitraire. En effet, puisqu’il n’existe aucun critère pour guider les policiers quant au choix des conducteurs à intercepter, ce choix est laissé à leur entière discrétion. Or, « [u]n pouvoir discrétionnaire est arbitraire s’il n’y a pas de critère, exprès ou tacite, qui en régit l’exercice »[148].

[104]      Le PGQ ne remet pas en cause la conclusion du juge sur l’atteinte à l’art. 9 de la Charte. Il n’y a donc pas lieu de s’y attarder plus longuement. L’atteinte étant admise, il s’agit de déterminer si celle-ci est justifiée au regard de l’article premier.

2. La justification de l’atteinte

[105]      L’arrêt R. c. Oakes[149] énonce le critère permettant de déterminer si une violation de la Charte est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. La Cour suprême l’a récemment résumé comme suit dans l’arrêt R. c. Ndhlovu :

[119] Une violation de la Charte est justifiée en vertu de l’article premier lorsque l’objet de la loi contestée « est urgent et réel et que les moyens choisis sont proportionnels à cet objet » (Carter, par. 94). Une loi est proportionnée à son objet si les moyens adoptés sont rationnellement liés à cet objet, si la loi porte atteinte de façon minimale au droit en question, et si les effets bénéfiques de la loi l’emportent sur ses effets préjudiciables (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136140). L’analyse est axée sur les mesures attentatoires et non sur l’ensemble du régime législatif. […][150]

[106]      En ce qui concerne le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Oakes, le juge retient que l’objectif poursuivi par l’art. 636 C.s.r. est d’assurer la sécurité routière, en répondant aux préoccupations du législateur liées à cet objectif, soit : réduire le nombre d’infractions et d’accidents de la route ainsi que le nombre de décès qui y sont attribuables, réduire les coûts d’indemnisation des assureurs et combattre la conduite avec les facultés affaiblies. Il conclut que le PGQ a fait une preuve convaincante que ces préoccupations demeurent urgentes et réelles[151].

[107]      Quant au deuxième volet, le juge estime que le PGQ ne parvient pas à démontrer que la restriction au droit garanti à l’art. 9 est proportionnée à l’objectif poursuivi. À son avis, les données sur lesquelles la majorité a fondé sa décision dans Ladouceur ont vieilli et doivent être écartées[152].

[108]      Selon le juge, puisque le PGQ n’a pas rempli son fardeau d’établir une corrélation entre le recours aux interceptions routières sans motif requis et l’amélioration du bilan de la route, il ne fait pas la démonstration que la règle de droit contestée porte une atteinte minimale au droit garanti et que ses effets bénéfiques l’emportent sur ses effets négatifs. Ainsi, il décide que la règle de droit contestée ne peut être sauvegardée par l’application de l’article premier.

[109]      Le PGQ soutient que le juge a erré en concluant que l’atteinte ne peut être justifiée au regard de l’article premier, chacun des volets du critère de l’arrêt Oakes étant ici rempli.

[110]      Qu’en est-il?

a)     Objectif urgent et réel

[111]      Le premier volet de l’analyse consiste à formuler l’objectif législatif de la mesure attentatoire et à déterminer si celui-ci est urgent et réel. Ce critère est peu exigeant et il est généralement rempli.

[112]      L’objectif doit être défini avec un niveau approprié de généralité. L’importance de l’objectif risque d’être exagérée si celui-ci est formulé trop largement. À l’inverse, une définition trop étroite de l’objectif risque de simplement constituer une répétition du moyen choisi par le législateur pour y parvenir[153].

[113]      La formulation de l’objectif d’une disposition législative se rattache à l’intention du législateur à l’époque de son adoption[154]. En l’espèce, l’Assemblée nationale du Québec a modifié l’art. 636 C.s.r. pour en retirer l’exigence des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise, et ce, à peine six mois après le prononcé de l’arrêt Ladouceur[155]. Les débats parlementaires entourant la modification font précisément référence à cet arrêt[156]. Renvoyant à ces débats et aux arrêts Hufsky et Ladouceur, le juge de première instance cerne correctement l’objectif de la disposition :

[692] Assurer la sécurité routière, réduire le nombre d’infractions et d’accidents graves de la route, diminuer le nombre de décès reliés à ces derniers, réduire les coûts d’indemnisation des assureurs publics ou privés, combattre l’intoxication au volant qui représente encore aujourd’hui une cause importante d’accidents de la route […].

[114]      Au Québec, de 2015 à 2019, les accidents attribuables à l’alcool ont causé en moyenne 85 décès et 220 blessés graves annuellement[157]. Il est parfaitement légitime que le législateur se dote de moyens pour enrayer les comportements routiers problématiques.

[115]      La jurisprudence confirme par ailleurs que la sécurité routière[158], la lutte contre l’alcool au volant[159] et l’intégrité du système de délivrance de permis[160] sont des objectifs urgents et réels[161]. Il est donc sans contredit que l’objectif de l’art. 636 C.s.r. est lui aussi urgent et réel.

b)     Lien rationnel

[116]      Quant au critère du lien rationnel, il « consiste à déterminer si, pour le législateur, la disposition représente un moyen rationnel d’atteindre son objectif »[162]. Le critère applicable ne requiert « que l’existence d’un lien rationnel et non une parfaite correspondance »[163].

[117]      L’analyse commande « une certaine déférence » envers le législateur face aux moyens choisis afin de faire progresser un intérêt pressant de l’État[164]. Dans l’arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), une majorité de la Cour suprême souligne d’ailleurs que cette déférence s’impose tout particulièrement lorsqu’une loi vise à modifier un comportement au sein de la société :

[154] […] Par contre, dans les cas où une loi vise une modification du comportement humain, comme dans le cas de la Loi réglementant les produits du tabac, le lien causal pourrait bien ne pas être mesurable du point de vue scientifique. Dans ces cas, notre Cour s'est montrée disposée à reconnaître l'existence d'un lien causal entre la violation et l'avantage recherché sur le fondement de la raison ou de la logique, sans insister sur la nécessité d'une preuve directe de lien entre la mesure attentatoire et l'objectif législatif : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, aux pp. 768 et 777; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, à la p. 503. […][165]

[118]      Au bout du compte, le législateur doit établir « qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement »[166].

[119]      La question en l’espèce est de déterminer si le pouvoir d’interception routière sans motif requis prévu à l’art. 636 C.s.r. constitue un moyen rationnel d’assurer la sécurité routière et, plus précisément, de réduire le nombre d’accidents graves de la route, de diminuer le nombre de décès et de blessures reliés à ces derniers, de réduire les coûts d’indemnisation des assureurs publics ou privés et de combattre l’intoxication au volant.

[120]      Dans l’arrêt Ladouceur, le juge Cory conclut que les interceptions au hasard revêtent un lien rationnel avec la sécurité routière[167]. Selon lui, la vérification aléatoire du permis, laquelle est rendue possible par la disposition attaquée, est susceptible de dissuader les conducteurs sans permis de prendre le volant. Les policiers pourront par ailleurs intercepter ceux qui choisissent tout de même de conduire illégalement.

[121]      Dans son analyse de la justification de l’atteinte au droit garanti par l’art. 9, le juge de première instance se dit en désaccord avec cette conclusion. Pour lui, la démonstration que le moyen retenu par le législateur est rationnellement lié à son objet n’a pas été faite :

[693] […] Dans le présent cas, il n’y a pas de preuve particularisée démontrant le lien entre le type d’interpellation qu’autorise l’arrêt Ladouceur et la diminution progressive depuis 1990 du nombre d’accidents de la route ou d’infractions au Code de la sécurité routière ou au Code criminel. Il n’y a pas non plus de preuve démontrant que mettre fin aux interceptions routières sans motif réel entrainerait une remontée des accidents routiers graves liés à l’alcool, à la drogue ou à l’absence de permis de conduire. […]

[Italiques dans l’original]

[122]      Avec égards, le juge se méprend sur l’analyse du critère du lien rationnel. Ce critère est peu exigeant[168] et n’imposait pas au PGQ le fardeau de démontrer avec précision une corrélation entre la mesure attentatoire et « le fléchissement des infractions au Code criminel et au Code de la sécurité routière »[169]. Comme la Cour suprême l’affirme dans l’arrêt Carter, « lorsqu’une activité pose certains risques, la prohiber constitue un moyen rationnel de réduire les risques »[170].

[123]      Par ailleurs, en toute logique, l’on peut penser que les stratégies de détection de l’alcool au volant contribuent à dissuader les conducteurs téméraires de prendre le volant en situation d’intoxication[171].

[124]      La Cour suprême reconnaît dans l’arrêt R. c. Brown[172] que la dissuasion est susceptible de permettre l’établissement d’un lien rationnel entre le moyen et l’objectif d’une mesure attentatoire, et ce, même si l’efficacité de cette dissuasion est limitée. Dans cette affaire, il était question de la constitutionnalité de l’art. 33.1 C.cr., lequel avait pour effet d’exclure l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme comme moyen de défense face à des accusations d’infractions violentes lorsque l’accusé s’écartait de façon marquée de la norme de diligence raisonnable énoncée au par. 33.1(2)[173]. Concluant que l’art. 33.1 C.cr. porte atteinte à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte, la Cour se penche sur le critère du lien rationnel, qu’elle résume ainsi : « [i]l doit y avoir un lien causal, fondé sur la raison ou la logique, entre la violation et l’avantage recherché »[174]. La Cour applique ensuite ce critère :

[131] Je reconnais la critique du juge Paciocco selon laquelle l’art. 33.1 ne produit pas d’effet dissuasif significatif appuyant l’objectif de protection visé par le Parlement. Dans l’arrêt Sullivan, le juge Paciocco écrit que, [traduction] « [p]our être efficace, la dissuasion exige que l’on puisse prévoir [...] des conséquences pénales » (par. 121). [traduction] « Je ne suis pas convaincu », poursuitil, « quune personne raisonnable anticiperait le risque que, en sintoxiquant volontairement, elle puisse se retrouver dans un état d’automatisme et commettre involontairement un acte violent » (ibid.).

[132] […] Il est raisonnable que le Parlement s’attende à ce que cette disposition ait un modeste effet dissuasif sur ces individus. Cet effet dissuasif agit « en amont », comme l’écrit le professeur Parent (p. 187), en dissuadant ceux qui envisagent de s’intoxiquer à un degré aussi extrême. En conséquence, il existe un lien rationnel entre l’art. 33.1 et son objectif de protection.[175]

[Soulignements ajoutés]

[125]      Par ailleurs, bien que la preuve d’un fléchissement des infractions en matière de conduite avec les facultés affaiblies puisse servir à démontrer l’existence d’un lien rationnel, l’absence d’une telle preuve n’est pas décisive. En effet, un fléchissement des infractions routières pourrait également vouloir dire que le pouvoir policier ne permet pas une détection efficace et qu’il ne contribue en conséquence que peu ou pas à l’accomplissement de l’objectif législatif. L’expertise de Mme Sylvestre souligne la complexité se rattachant à l’évaluation du caractère dissuasif des interceptions routières, car il est difficile d’isoler la variable pertinente[176]. Il demeure néanmoins logique de penser que les stratégies de détection de l’alcool au volant contribuent à dissuader les conducteurs téméraires de prendre le volant lorsque leurs facultés sont affaiblies, tel que le soutient l’expert Beirness[177].

[126]      Ajoutons que le pouvoir d’interception aléatoire vise non seulement à détecter les conducteurs en état d’ébriété, mais également les conducteurs sans permis ou assurance valides ainsi que les véhicules en mauvais état mécanique. En toute logique, chaque interception susceptible de mener à une telle détection contribue à assurer la sécurité routière.

[127]      Par conséquent, la Cour est d’avis que le pouvoir d’interception sans motif requis constitue un moyen rationnel de contribuer à l’objectif législatif de sécurité routière.

c)     Atteinte minimale

[128]      Le critère de l’atteinte minimale consiste à déterminer s’il existe des moyens moins attentatoires d’atteindre l’objectif législatif « de façon réelle et substantielle »[178] et si « la restriction du droit est raisonnablement adaptée à l’objectif »[179]. Il s’agit d’une étape cruciale dans l’analyse effectuée au regard de l’article premier de la Charte. En effet, ce critère est déterminant dans une proportion significative – voire dans la majorité – des litiges en matière de Charte où une règle de droit est invalidée[180].

[129]      Bien que le gouvernement ne soit pas tenu de recourir au moyen le moins attentatoire possible pour réaliser son objectif[181], il lui incombe tout de même de démontrer que le moyen utilisé pour atteindre l’objectif de sécurité routière est nécessaire et que l’atteinte aux droits constitutionnels est minimale[182]. Or, en l’espèce, le PGQ ne présente aucun argument ni aucune preuve sur l’atteinte minimale, que ce soit dans sa déclaration d’appel, dans son mémoire d’appel ou à l’audience.

[130]      Le PGQ s’en remet essentiellement aux conclusions de la majorité de la Cour suprême dans Ladouceur selon lesquelles (1) l’interception des véhicules constitue « la seule façon de vérifier le permis de conduire et lassurance dun conducteur, létat mécanique dun véhicule ou la sobriété dun conducteur »[183]; et (2) seules les interceptions effectuées « au hasard » font naître un véritable risque de détection des conducteurs sans permis et permettent donc de les garder hors de la route[184]. Également, dans l’arrêt Ladouceur, le juge Cory note que les interceptions effectuées dans le cadre d’un programme structuré – tel qu’un barrage routier – ne dissuaderaient pas les conducteurs avec autant d’acuité qu’un pouvoir d’interception « au hasard » puisqu’un barrage est souvent visible de loin et s’effectue à des endroits connus, ce qui permettrait aux conducteurs téméraires d’y échapper[185]. De plus, selon lui, il serait plus difficile d’implanter des programmes structurés efficaces dans les régions rurales[186]. Enfin, un pouvoir d’interception ne pouvant être utilisé qu’en présence de motifs précis ne revêtirait pas le même caractère dissuasif[187].

[131]      Ces considérations ne peuvent plus être retenues aujourd’hui. Comme expliqué ci-haut[188], la preuve déposée en première instance en lien avec le profilage racial oblige la Cour à réexaminer les conclusions de l’arrêt Ladouceur. Notamment, contrairement à ce qu’affirmait à l’époque le juge Cory, on ne peut plus considérer que les interceptions routières sans motif requis sont « relativement brèves » et que « [l]inconvénient causé au conducteur est minime »[189], de sorte que la loi qui les autorise satisfait au critère de l’atteinte minimale.

[132]      La possibilité d’envisager une autre disposition législative qui permettrait d’atteindre de façon substantielle l’objectif visé par l’art. 636 C.s.r, tout en limitant le recours possible au profilage racial, démontre que l’atteinte n’est pas minimale. Soulignons qu’il n’est pas nécessaire de définir une solution de rechange qui atteindrait l’objectif exactement dans la même mesure que la règle de droit contestée[190].

[133]      En l’espèce, le juge conclut que la preuve administrée n’établit pas l’efficacité accrue des interceptions sans motif requis par rapport aux barrages routiers. Il écrit :

[684] La preuve de la défense ne permet pas non plus d’établir en quoi la mise en place de barrages routiers de façon systématique ne permettrait pas d’atteindre les mêmes résultats que les interceptions routières sans motif réel, comme le propose l’ACLC qui produit en ce sens un rapport de recherche du Insurance Institute for Highway Safety, basé en Virginie, et dont la conclusion principale se lit ainsi :

This study demonstrated that a sobriety checkpoint enforcement program using only three to five police officers can be a very effective deterrent against drinking and driving in jurisdictions that are much more rural in nature. These checkpoints can be maintained over a long period of time without outside funding. Because of the simplicity and ease with which these checkpoints were conducted, police administration in the experimental communities have embraced the concept and continued the program after the conclusion of the formal research study. This is particularly important in more rural communities with fewer staff resources, but it also may be appropriate on certain roadways in more urban areas.

[Renvoi omis; italiques dans l’original]

[134]      Cette conclusion du juge trouve écho dans les motifs dissidents du juge Sopinka dans l’arrêt Ladouceur. En effet, pour le juge Sopinka, le pouvoir absolu d’intercepter au hasard un conducteur au cours d’une patrouille n’est pas un « ajout nécessaire aux nombreuses méthodes d’application des lois déjà disponibles »[191]. Il note que les programmes structurés de contrôles routiers ponctuels (qui atteignent déjà, selon lui, « les limites extrêmes de larticle premier »[192]) permettent de servir les fins de l'application de la loi tout en étant moins envahissants et moins susceptibles de donner lieu à des abus que le pouvoir absolu qu'on cherche à justifier. La Cour est d’avis que le passage du temps a démontré que les craintes du juge Sopinka étaient fondées.

[135]      Notons par ailleurs que les policiers disposent aussi d’autres pouvoirs leur permettant d’intervenir auprès de conducteurs pour des considérations de sécurité routière ou publique. Par exemple, ils peuvent validement intercepter un véhicule en vertu de leur pouvoir de détention aux fins d’enquête lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’un conducteur est impliqué dans un crime donné et qu’il est nécessaire de le détenir[193]. La doctrine des pouvoirs accessoires issue de la common law autorise également l’interception d’un véhicule lorsque cela « est raisonnablement nécessaire eu égard à l’ensemble des circonstances »[194]. L’unique « ajout » de l’art. 636 C.s.r. est d’habiliter les policiers à contrôler les conducteurs sans motif requis, en dehors d’un programme structuré.

[136]      N’ayant offert aucune justification sur la nécessité d’octroyer aux policiers un pouvoir discrétionnaire presque illimité, le PGQ ne fait pas la démonstration que le juge fait erreur en concluant que d’autres stratégies pour atteindre l’objectif législatif sont disponibles et permettent d’arriver au même résultat[195] (comme des barrages routiers, des programmes de sécurité routière désignés et encadrés, des initiatives de sensibilisation du public et des méthodologies permettant de s’assurer que les interceptions sont réellement aléatoires plutôt que discriminatoires).

[137]      En définitive, le juge ne commet donc aucune erreur lorsqu’il conclut :

[772] En aucune façon le ministère public n’a-t-il pu démontrer que d’autres moyens, moins susceptibles de laisser libre cours au profilage racial, ne permettraient pas d’atteindre le même résultat. Il aurait été difficile de le faire puisque, comme on l’a vu précédemment, la part contributoire des interceptions routières sans motif réel dans l’atteinte des objectifs de sécurité routière ou de réduction des accidents de la route ou des infractions au C.s.r. ou au Code criminel n’a pas été établie. C’est au ministère public qu’il revenait de prouver l’absence de moyens moins attentatoires d’atteindre de façon réelle et substantielle l’objectif de sécurité routière. Il n’a pas réussi à assumer ce fardeau.

[Italiques dans l’original]

[138]      Le PGQ ayant échoué à démontrer que le moyen utilisé pour atteindre l’objectif poursuivi par l’art. 636 C.s.r. ne constitue pas une atteinte minimale au droit fondamental garanti par l’art. 9 de la Charte, cette atteinte ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte.

d)     Mise en balance des effets bénéfiques et préjudiciables

[139]      Ce dernier critère consiste à « soupeser l’atteinte portée aux droits du demandeur au regard des avantages pour la société de la mesure contestée, en se demandant si les avantages découlant de la limitation [aux droits du demandeur] sont proportionnels aux effets préjudiciables »[196].

[140]      Une fois décidé que le critère de l’atteinte minimale n’est pas rempli, il n’est pas nécessaire de poursuivre avec la mise en balance des effets bénéfiques et préjudiciables afin de trancher la question de la justification au regard de l’article premier de la Charte[197].

[141]      Quelques constats s’imposent néanmoins. Premièrement, bien que la Cour conclue à l’existence d’un lien rationnel entre la disposition législative contestée et ses objectifs, cette conclusion n’altère aucunement celle du juge sur l’absence de preuve convaincante concernant les effets bénéfiques de cette disposition législative. Le juge explique que le pouvoir d’interception sans motif requis revêt une efficacité limitée et que la preuve ne permet pas de constater, de façon concrète, la contribution de ce pouvoir à la sécurité routière[198]. Au contraire, écrit-il, le survol des statistiques déposées en preuve ne permet pas de « mettre le doigt sur une seule donnée permettant d’établir une corrélation entre le recours spécifique aux interceptions routières sans motif réel et le fléchissement des infractions au Code criminel et au Code de la sécurité routière »[199].

[142]      Deuxièmement, quant aux effets préjudiciables, le juge expose de manière détaillée et percutante comment les considérations raciales négatives qui s’immiscent dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers ont des répercussions importantes sur les personnes noires, leur famille et leur entourage[200] :

[737] […]

h) à la longue, les interceptions routières sans motif réel qui ciblent de façon disproportionnée un segment de la population marquent à la fois le cœur et l’esprit des personnes noires interpellées, génèrent de la crainte et de l’humiliation chez les conducteurs noirs en général et dans leur entourage et engendrent à la fois de la méfiance envers les pouvoirs de la police et le sentiment d’être traités de façon différenciée et injuste; […]

[Italiques dans l’original]

[143]      Le juge souligne par ailleurs que les interceptions sans motif requis résultant du profilage racial sont particulièrement susceptibles de ne mener à la découverte d’aucune infraction[201]. Dans ces situations, le remède de l’exclusion d’éléments de preuve prévu au par. 24(2) de la Charte n’est d’aucune utilité (alors qu’il s’agissait de l’une des considérations retenues par la majorité dans l’arrêt Ladouceur[202]).

[144]      La mise en balance des effets bénéfiques et préjudiciables de l’art. 636 C.s.r. ne permet donc pas de justifier la violation de l’art. 9 de la Charte par l’article premier[203].

[145]      En conclusion, le juge de première instance était bien fondé à statuer que l’atteinte au droit garanti par l’art. 9 découlant de l’art. 636 C.s.r. ne peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte[204].

D. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée à l’art. 7 de la Charte?

[146]      Vu la conclusion à laquelle en vient la Cour sur l’atteinte non justifiée au droit garanti par l’art. 9 de la Charte, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

[147]      En effet, l’art. 9 garantit à chacun le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. À l’instar des autres garanties juridiques prévues aux art. 8 et 10 à 14, il vise une atteinte spécifique au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale[205]. Il est conçu « pour protéger, d’une manière précise et dans un contexte précis, le droit […] énoncé à l’art. 7 »[206].

[148]      Autrement dit, et pour paraphraser le juge Lamer (tel était alors son titre) dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act, l’art. 9 est une illustration d’une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui va à l’encontre des principes de justice fondamentale[207].

[149]      Dans la mesure où l’art. 9 illustre de manière plus précise et complète le droit garanti à l’art. 7 dans le contexte considéré en l’espèce, la conclusion de la Cour selon laquelle l’art. 636 C.s.r. porte atteinte d’une manière non justifiée à l’art. 9 rend superflue toute analyse distincte au regard de l’art. 7[208].

[150]      D’ailleurs, dans l’arrêt Ladouceur, la Cour suprême n’a pas jugé nécessaire de décider si les interceptions au hasard portaient atteinte à l’art. 7, étant donné qu’elle a déterminé que celles-ci violaient l’art. 9 de la Charte[209].

[151]      En s’abstenant de répondre à cette question, la Cour n’émet aucune opinion sur la justesse de l’analyse à laquelle le juge s’est livré.

E. Le juge a-t-il erré en concluant que la règle de droit contestée porte une atteinte injustifiée au par. 15(1) de la Charte?

1. L’atteinte

[152]      Le par. 15(1) de la Charte garantit l’application égale de la loi sans discrimination :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[153]      Il est bien établi que cette disposition de la Charte protège l’égalité réelle[210]. Par contraste avec l’égalité formelle[211], l’égalité réelle « reconnaît que des désavantages systémiques persistants ont eu pour effet de restreindre les possibilités offertes aux membres de certains groupes de la société et elle vise à empêcher tout acte qui contribue à perpétuer ces désavantages »[212]. Elle « repose sur l’idée que toute différence de traitement ne produira pas forcément une inégalité et qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités »[213]. En d’autres termes, l’égalité réelle « n’admet pas la simple différence ou absence de différence comme justification d’un traitement différent »[214]; contrairement à l’égalité formelle, elle « transcende les similitudes et distinctions apparentes »[215].

[154]      En application de cette « norme fondamentale »[216] d’égalité réelle, la Cour suprême reconnaît que le par. 15(1) offre non seulement une protection contre la discrimination directe, mais également contre la discrimination indirecte (ou « discrimination par suite d’un effet préjudiciable »)[217]. Cette forme de discrimination « survient lorsqu’une loi en apparence neutre a une incidence disproportionnée sur des membres de groupes bénéficiant d’une protection contre la discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue »[218]. Plutôt que de cibler directement les membres d’un groupe protégé et de les soumettre à un traitement distinct, « la loi le fait indirectement »[219].

[155]      C’est cette forme de discrimination dont il s’agit ici : l’art. 636 C.s.r., quoique neutre en apparence, aurait un effet disproportionné et discriminatoire sur les conducteurs de race noire.

[156]      Le critère applicable pour statuer sur une demande fondée sur le par. 15(1) de la Charte a évolué au fil du temps[220]. Dans l’arrêt Sharma, rendu peu de temps après le jugement de première instance, la Cour suprême vient clarifier l’état du droit sur la question[221]. Elle rappelle d’abord les deux volets du critère :

[28] Le critère à deux volets applicable pour évaluer une demande fondée sur le par. 15(1) n’est pas en cause en l’espèce. Ce critère oblige le demandeur à démontrer que la loi ou la mesure de l’État contestée :

a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;

b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage […].

[Renvois omis]

[157]      La forme de discrimination alléguée n’influe pas sur l’analyse : le même critère s’applique, « peu importe que la discrimination alléguée soit directe ou indirecte »[222]. La mise en application de ce critère est toutefois susceptible de poser des défis particuliers lorsqu’il est question de discrimination par suite d’un effet préjudiciable[223]. Pour limiter les difficultés, l’analyse effectuée à chacune des étapes doit demeurer distincte[224].

[158]      La première étape consiste à se demander si la loi contestée crée un effet disproportionné sur les membres du groupe protégé par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ce groupe[225].

[159]      Dans Sharma, la Cour suprême précise que « [l’]obligation de démontrer l’existence d’un effet disproportionné entraîne nécessairement un exercice de comparaison »[226]. Il n’est toutefois plus question d’exiger un « groupe de comparaison aux caractéristiques identiques »[227]. La comparaison s’établit « entre le groupe demandeur et d’autres groupes ou la population générale »[228]. L’exercice de comparaison doit permettre de constater que « le demandeur est traité différemment des autres, que ce soit directement ou indirectement »[229].

[160]      Dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, le demandeur doit démontrer un lien de causalité entre la loi contestée et l’effet discriminatoire[230]. Ce lien sera établi si le demandeur prouve que « la loi contestée crée un effet disproportionné en raison d’une distinction fondée sur un motif protégé ou contribue à cet effet »[231].

[161]      Deux types d’éléments de preuve sont utiles pour prouver l’effet disproportionné de la loi : les éléments de preuve portant sur « tous les éléments contextuels de la situation du groupe de demandeurs »[232] et les éléments de preuve portant sur les conséquences pratiques (réelles) de la loi sur le groupe[233].

[162]      Idéalement, les allégations de discrimination par suite d’un effet préjudiciable devraient être étayées par ces deux types d’éléments de preuve[234]. Dans Sharma, la Cour suprême énonce les facteurs dont les tribunaux devraient tenir compte pour décider si le demandeur s’est acquitté de son fardeau de preuve :

[49] […] À cet égard, les tribunaux devraient tenir compte des facteurs suivants :

a) Aucune forme particulière de preuve n’est requise.

b) Le demandeur n’a pas à démontrer que la loi ou la mesure de l’État contestée était la seule ou la principale cause de l’effet disproportionné; il lui suffit de démontrer que la loi était une cause (c’estàdire que la loi a créé l’effet disproportionné en question sur un groupe protégé ou y a contribué).

c) Le lien de causalité peut être établi par une inférence raisonnable. Selon la nature de la loi contestée ou de la mesure de l’État contestée, le lien de causalité peut être évident et ne nécessiter aucune preuve. Lorsque des éléments de preuve sont requis, les tribunaux doivent garder à l’esprit qu’il n’existe pas nécessairement de statistiques. Des témoignages d’experts, des études de cas ou d’autres preuves qualitatives peuvent suffire. Dans tous les cas, les tribunaux devraient examiner les éléments de preuve qui visent à démontrer l’existence d’un lien de causalité pour s’assurer qu’ils sont conformes aux normes associées à leur discipline.

d) Les tribunaux devraient examiner attentivement les preuves scientifiques […].

e) Si les preuves scientifiques sont nouvelles, les tribunaux ne devraient les admettre que si elles ont un [traduction] « fondement fiable » […].

[Italiques dans l’original]

[163]      En somme, à la première étape, le demandeur doit démontrer que la disposition contestée crée un effet disproportionné pour un motif protégé sur le groupe de demandeurs par rapport à d’autres groupes ou qu’elle contribue à cet effet[235]. Bien que ce fardeau ne soit pas excessif, le demandeur doit s’en acquitter[236].

[164]      La deuxième étape de l’analyse oblige le demandeur à prouver que « la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage subi par le groupe touché »[237]. Le fait de laisser subsister un tel désavantage ne suffit pas[238]. L’objectif à cette étape « est d’examiner l’effet du préjudice causé au groupe touché »[239].

[165]      L’accent est donc mis « non pas sur la question de “savoir s’il existe une attitude […] discriminatoire” ou si une distinction “perpétue une attitude négative” à l’endroit d’un groupe défavorisé, mais plutôt sur l’effet discriminatoire de la distinction »[240]. Comme l’explique la juge Abella dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. A. :

[332] À la base, l’art. 15 résulte d’une prise de conscience que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu’il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination. Les actes de l’État qui ont pour effet d’élargir, au lieu de rétrécir, l’écart entre le groupe historiquement défavorisé et le reste de la société sont discriminatoires. […][241]

[166]      Le préjudice « peut prendre la forme d’une exclusion ou d’un désavantage économique, d’une exclusion sociale, de préjudices psychologiques, de préjudices physiques ou d’une exclusion politique »[242]. Il doit par ailleurs être apprécié au regard des désavantages historiques ou systémiques auxquels fait face le groupe protégé[243].

[167]      La loi doit avoir une incidence négative sur les membres du groupe ou entraîner une aggravation de leur situation :

[37] Qu’elle vise à déterminer si un désavantage est perpétué ou si un stéréotype est appliqué, l’analyse requise par l’art. 15 appelle l’examen de la situation des membres du groupe et de l’incidence négative de la mesure sur eux. Il s’agit d’une analyse contextuelle, non formaliste, basée sur la situation véritable du groupe et sur le risque que la mesure contestée aggrave sa situation.[244]

[168]      La loi n’a toutefois pas à avoir en soi « pour effet de créer des obstacles sociaux ou physiques de fond qui [rendent] une règle, une exigence ou un critère particulier désavantageux pour le groupe de demandeurs »[245]. En effet, « [i]l n’est pas nécessaire de conclure que la loi crée la discrimination qui a cours dans la société” pour conclure à une violation de l’art. 15 »[246].

[169]      Les facteurs contextuels à considérer dans l’analyse varieront en fonction de la nature de chaque affaire. Il n’y a pas de « modèle rigide »[247] ni de formule à suivre. La présence de préjugés et l’application de stéréotypes peuvent s’avérer « un indice éloquent »[248] du désavantage et du caractère discriminatoire de la loi contestée, mais il ne s’agit pas d’un élément essentiel[249]. De même, « un demandeur n’est pas tenu de prouver que la distinction [créée par la loi] est arbitraire »[250], encore que ce facteur puisse lui aussi constituer un indice du caractère discriminatoire de la loi[251].

[170]      Toujours dans l’arrêt Sharma, la Cour suprême précise que la connaissance d’office peut jouer un rôle à cette étape[252]. Qui plus est, « [l]es tribunaux peuvent inférer qu’une loi a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage, lorsqu’une telle inférence est étayée par la preuve disponible »[253].

[171]      Finalement, la Cour suprême invite les tribunaux à tenir compte du « contexte législatif plus large »[254] pour déterminer si une distinction est discriminatoire. Les facteurs pertinents à cet égard comprennent « les objets du régime [législatif], la question de savoir si la politique est conçue dans l’intérêt de divers groupes, l’affectation des ressources, les objectifs d’intérêt public particuliers visés par le législateur et la question de savoir si les limites prévues par le régime tiennent compte de ces facteurs »[255].

* * *

[172]      Ces principes étant posés, qu’en est-il en l’espèce?

[173]      Le juge conclut que les intimés se sont déchargés de leur fardeau de preuve à chacune des deux étapes, et donc que la règle de droit contestée porte atteinte au par. 15(1) de la Charte.

[174]      Le PGQ ne remet en cause ni les conclusions de fait du juge ni son analyse. Il se contente d’affirmer que ce ne sont pas toutes les interceptions routières qui constituent du profilage racial et que cette détermination doit être faite au cas par cas, en fonction du contexte propre à l’interception en cause. Cela rejoint son argumentation sur la première question en litige voulant que le profilage racial ne soit pas le résultat de la règle de droit contestée.

[175]      La Cour, on l’a vu, est d’avis que le juge n’a pas erré en concluant que l’art. 636 C.s.r. est en lui-même un vecteur de profilage racial. L’analyse du moyen d’appel fondé sur le par. 15(1) de la Charte pourrait donc s’arrêter ici. Il convient néanmoins de dire quelques mots sur la preuve administrée en première instance, laquelle démontre de façon convaincante que les intimés se sont effectivement déchargés de leur fardeau à chacune des deux étapes de l’analyse.

a)     Première étape : démontrer que la loi crée, à première vue ou par son effet, une distinction fondée sur un motif protégé

[176]      Comme le note le juge de première instance, « la règle de droit contestée est d’apparence neutre puisqu’elle permet à la police d’intercepter n’importe quel véhicule à l’aveugle, sans motif, ni soupçon, pour une vérification de routine »[256]. Dans les faits, cependant, elle a une incidence nettement disproportionnée sur les conducteurs noirs (par rapport aux autres groupes de conducteurs, notamment les conducteurs blancs).

[177]      Comme déjà mentionné, la preuve de l’expert Mulone  non contredite par le PGQ  révèle que les membres de la population noire sont systématiquement plus interceptés par la police[257]. Cet expert rapporte que les études établissant la surreprésentation des conducteurs noirs dans les interceptions routières (discrétionnaires) « sont si nombreuses et les résultats si convergents qu’un terme spécifique en a émergé dans le monde anglosaxon : driving while Black »[258].

[178]      L’expert Mulone s’appuie sur plusieurs études canadiennes récentes[259] pour mettre en lumière la disparité de traitement des personnes noires dans les interpellations policières en général et dans les interceptions routières en particulier. À ce sujet, il est utile de souligner les résultats des études menées à Ottawa (2016/2019), à Montréal (2019) et à Repentigny (2021).

[179]      Les études menées à Ottawa font voir que le nombre total d’interceptions routières (« traffic stops ») effectuées sur le territoire de la ville a drastiquement chuté entre 2013 et 2018. Toutefois, la surreprésentation des personnes noires dans les interceptions (par rapport aux personnes blanches) est généralement demeurée stable dans le temps. Ainsi, entre 2013 et 2015, les conducteurs noirs étaient 2,3 fois plus souvent interceptés que les conducteurs blancs (relativement à leur poids démographique). Entre 2015 et 2018, ils étaient encore entre 2,2 et 2,3 fois plus interceptés que les conducteurs blancs[260]. Il est vrai que la disproportion des interceptions impliquant des conducteurs noirs a diminué chez les jeunes conducteurs (1624 ans) au cours de la période pertinente, passant d’un coefficient de 8,3 à 6,7 (par rapport à leur poids démographique). Néanmoins, la surreprésentation des jeunes conducteurs noirs dans les interceptions routières demeure d’une ampleur inacceptable (« unacceptably high »)[261].

[180]      Les études menées à Montréal et à Repentigny portent précisément sur le rôle que joue l’identité racisée des personnes interpellées ou interceptées par la police. Elles s’appuient notamment sur des données statistiques récoltées auprès du Service de police de la ville de Montréal (« SPVM ») et du Service de police de la ville de Repentigny (« SPVR »). Les données montréalaises concernent presque exclusivement les interpellations (période de référence : 2014-2017), tandis que les données repentignoises concernent à la fois les interpellations et les interceptions routières (période de référence : 2016-2019).

[181]      Dans le cadre de ces études, auxquelles l’expert Mulone a participé, les chercheurs ont développé deux indicateurs de suivi en matière de profilage racial : 1) l’indice de disparité de chances d’interpellation IDCI »), mesurant la disproportion entre la population des personnes interpellées (ou interceptées) et la population générale; et 2) l’indice de « surinterpellation » en regard des infractions (« ISRI »), mesurant la disproportion observée dans les interpellations (ou interceptions) au regard du poids relatif de chaque groupe dans le total d’infractions enregistrées par la police[262].

[182]      À Montréal, on constate que :

-          Une personne noire a 4,24 fois plus de chances de se faire interpeller qu’une personne blanche (IDCI = 4,24).

-          Ces disparités ne peuvent être expliquées par la participation présumée (issue des statistiques officielles de la criminalité) des personnes noires à la criminalité. En effet, ces personnes sont surinterpellées de 66% relativement à leur participation présumée aux infractions criminelles (ISRI = 1,66). Et elles sont surinterpellées de 137% relativement à leur participation présumée aux infractions aux règlements municipaux (ISRI = 2,37).

-          Bien que les disparités soient plus marquées chez les jeunes (entre 15 et 34 ans) et chez les hommes, elles se caractérisent pour la population noire par une généralisation à tous les groupes d’âge et à tous les genres (en comparaison, les discriminations qui touchent la population arabe sont circonscrites aux jeunes hommes âgés entre 15 et 24 ans).

-          Les discriminations qui visent les personnes noires sont stables dans le temps, du moins en ce qui concerne les 4 années étudiées.

-          Les disparités sont aussi relativement stables sur le plan géographique […].

-          Cela étant dit, il existe des variations importantes entre les différents quartiers […].

-          Si la criminalité ne semble pas être corrélée à ces variations, la diversité ethnoculturelle l’explique en partie. Ainsi, dans les quartiers peu divers, les personnes noires ont 7,91 fois plus de chances d’être interpellées que les personnes blanches, un taux qui redescend à 3,22 dans les quartiers très divers.[263]

[183]      L’expert Mulone précise que même si l’étude de Montréal porte majoritairement sur les interpellations policières, « il y a tout lieu de croire que les disproportions qu’on observe dans les interpellations se reflètent à un degré divers dans les interceptions routières »[264].

[184]      Quant à l’étude menée à Repentigny, elle démontre que :

-          Une personne noire a entre 2,61 et 3,29 fois plus de chances d’être interpellée qu’une personne [blanche] (IDCI = 2,61 ou 3,29, selon le calcul de la population de référence).

[…]

-          Peu importe le mode de calcul (en excluant la population flottante, en excluant les personnes avec des antécédents judiciaires, en excluant les interpellations faites autour des lieux d’intérêts comme les bars ou un motel, connus pour abriter des activités délinquantes, etc.), les personnes noires sont toujours entre deux fois et demie et trois fois plus à risque de se faire interpeller que les personnes blanches.

-          Comme à Montréal, la participation présumée à la criminalité des groupes concernés n’explique pas les disparités observées. En effet, les personnes noires sont surinterpellées de 61% en regard de leur participation présumée à la criminalité (ISRI = 1,61). Ce résultat est renforcé par le fait que la disparité de traitement reste relativement semblable si on exclut du calcul de l’IDCI les individus avec un casier judiciaire : les personnes noires sans casier judiciaire ont entre 2,43 et 3,07 fois plus de chances d’être interpellées que les personnes blanches sans casier judiciaire.[265]

[Renvoi omis]

[185]      En définitive, l’expert Mulone conclut que « les personnes noires sont visées de manière disproportionnée par les forces de l’ordre au Canada »[266], notamment dans le cadre des interceptions routières sans motif requis. Il souligne l’absence d’études montrant « des résultats contraires à ces fortes réitérations temporelle et géographique de[s] disparités de traitement »[267] vécues par les personnes noires. Il rejette sans ambages la « théorie de la pomme pourrie » : pour lui, il ne fait aucun doute que le problème est structurel (systémique) et relève du profilage racial[268].

[186]      La preuve de l’experte Sylvestre va dans le même sens que celle de l’expert Mulone. Elle conclut elle aussi que les personnes noires sont davantage interceptées (et interpellées) que les personnes blanches et qu’elles font l’objet de profilage racial dans les interceptions routières sans motif requis[269]. À la lumière des résultats obtenus dans le cadre de son projet de recherche sur le profilage racial dans les interceptions routières, elle conclut à « une utilisation abusive du pouvoir discrétionnaire des policiers et [à] l’utilisation de prétextes et de ruses qui sont des indicateurs clairs de profilage racial »[270].

[187]      La preuve des experts Mulone et Sylvestre est également étayée par la preuve testimoniale offerte par M. Luamba et par plusieurs autres témoins ordinaires. Cette preuve, que le juge analyse en détail[271], illustre concrètement les désavantages auxquels les personnes noires font face en tant que groupe dans leurs interactions avec la police (notamment lorsqu’il est question d’interceptions routières sans motif requis)[272]. Le juge qualifie cette preuve de crédible et « concluante sur l’existence du profilage racial »[273]. Le PGQ, on l’a vu, ne remet pas en cause ces déterminations factuelles, lesquelles commandent un haut degré de déférence en appel[274].

[188]      Cette preuve quantitative et qualitative, non contredite par la preuve du PGQ, est renforcée par d’autres études qui montrent la façon dont le profilage racial teinte les interventions policières[275]. Elle trouve également appui dans les rapports de commissions gouvernementales et dans la jurisprudence. Voici quelques exemples.

[189]      Dans un rapport publié en 2020, la Commission ontarienne des droits de la personne (« CODP ») conclut que les personnes noires sont largement surreprésentées dans les accusations relatives aux infractions de la route « hors de vue » (c.àd. les infractions qui sont constatées uniquement lorsqu’un agent de police décide de vérifier la plaque d’immatriculation d’un conducteur ou d’intercepter « aléatoirement » un véhicule). La CODP note qu’en proportion de leur représentation dans la population torontoise, les personnes noires sont quatre fois plus susceptibles d’être accusées d’une telle infraction[276]. Paradoxalement, elles sont aussi moins susceptibles d’être déclarées coupables de l’infraction qui leur est reprochée que les personnes blanches. Selon la CODP, ce constat étaye l’idée selon laquelle « en raison de préjugés raciaux, les personnes noires courent davantage le risque d’encourir des accusations de faible gravité et peu susceptibles d’aboutir à une condamnation »[277]. Ce constat réfute aussi l’argument selon lequel les disproportions observées pourraient s’expliquer par la plus grande propension des personnes noires à la criminalité.

[190]      La CDPDJ arrive au même constat : les personnes noires sont surreprésentées dans les interpellations (ou interceptions) policières. Selon la CDPDJ, la disproportion est particulièrement marquée chez les jeunes Noirs. La surreprésentation de ces derniers parmi les personnes interpellées (ou interceptées) par la police se serait d’ailleurs nettement accentuée avec la « lutte aux gangs de rue », l’une des priorités d’intervention du SPVM depuis le milieu des années 2000[278].

[191]      En terminant, rappelons que, dans l’arrêt Le, la Cour suprême reconnaît que « [l]es membres des minorités raciales font l’objet d’un nombre disproportionné de contacts avec la police et le système canadien de justice pénale »[279].

[192]      Ainsi, le juge ne commet pas d’erreur en répondant par l’affirmative à la question de savoir si la règle de droit contestée crée, par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré, soit la race[280]. La Cour fait sienne la conclusion à laquelle arrive le juge à la première étape de l’analyse :

[823] À cette première étape, le Tribunal conclut que la règle de droit, qui permet une sélection des conducteurs basée exclusivement sur l’intuition des policiers sans autre motif, a un effet préjudiciable considérant l’incidence disproportionnée des interceptions routières sans motif réel sur les personnes noires. Le Tribunal par ailleurs n’a plus à déterminer si le demandeur a réussi ou non à prouver que les conducteurs noirs sont interpellés de la sorte sur la base de leur couleur de peau. La preuve de l’effet disproportionné sur la communauté protégée suffit.

[Caractères gras omis; italiques dans l’original]

[193]      Comme on vient de le voir, cette conclusion est amplement étayée par la preuve.

b)     Deuxième étape : démontrer que la loi impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage

[194]      Selon la Cour, la preuve démontre également que l’effet préjudiciable causé par l’art. 636 C.s.r. renforce, perpétue et accentue le désavantage (historique et systémique) subi par les personnes noires.

[195]      Historiquement, les collectivités noires ont une perspective et une expérience différentes des pratiques policières tels que les contrôles « de routine » ou les interceptions routières « aléatoires ». Comme le souligne la CODP :

Peu de gens savent que les Noirs ont été considérés comme des « biens » jusqu’à tard dans les années 1800 ici au Canada. Le Canada a son propre passé esclavagiste, malgré l’appel lancé par le lieutenantgouverneur John Graves Simcoe en 1792 en vue de mettre fin à la « pratique » de l’esclavage. Des patrouilles sanctionnées par la Fugitive Slave Act de 1850 du Congrès américain poursuivaient les esclaves et surveillaient les Noirs en général, aussi loin au nord que le Canada.

C’est dans ce contexte historique que les relations des communautés noires avec la police se sont établies et ont initialement été définies.[281]

[196]      Il faut tenir compte de ce contexte pour bien comprendre comment l’art. 636 C.s.r. renforce, perpétue et accentue le désavantage subi par les personnes noires. Cela est d’autant plus important que l’expérience subjective des personnes noires interpellées ou interceptées à répétition par la police a tendance à être minimisée[282]. Les effets du profilage racial (et de la « surinterpellation ») ne sont pourtant pas anodins pour les personnes (et les collectivités) noires.

[197]      La preuve d’expert, la littérature scientifique et les rapports de commissions gouvernementales démontrent que le profilage racial dans les interventions policières (dont les contrôles de routine ou les interceptions routières « aléatoires ») a des conséquences multiples et profondes pour les personnes ciblées[283]. Ces éléments de preuve établissent notamment que :

-         Les personnes noires « éprouvent souvent un sentiment d’humiliation, de peur, de colère, de frustration et d’impuissance en raison du profilage racial dont elles se sentent victimes »[284]. L’exposition fréquente à des interpellations, interceptions et fouilles policières peut avoir des conséquences négatives (et parfois durables) sur leur santé physique[285] et sur leur santé mentale[286];

-         Les personnes noires qui subissent du profilage racial peuvent par exemple développer des traumatismes (voire un syndrome de stress posttraumatique)[287] ou souffrir de dépression ou d’anxiété[288];

-         De nombreuses familles racisées modifient « la façon dont [elles] élèvent leurs enfants afin de les préparer à réagir à de telles interactions avec la police, jugées inévitables »[289]. Plusieurs personnes développent par ailleurs des « stratégies » afin de se protéger contre le profilage racial et les interceptions arbitraires (p. ex. filmer les interceptions, éviter de se rendre dans certains quartiers ou de conduire certains modèles de voitures, faire preuve d’une extrême prudence et vigilance au volant, etc.)[290];

-         Le profilage racial mine la confiance des personnes noires envers la police et les institutions publiques[291]. Il crée un sentiment de méfiance, voire carrément d’hostilité[292], envers les forces de l’ordre et le système judiciaire[293];

-         La perte de confiance dans la légitimité, l’intégrité et l’objectivité de la police et du système judiciaire peut mener certaines personnes à refuser de collaborer avec la police[294], et même à développer des comportements antisociaux (p. ex. refus d’obéir à la loi ou participation au crime)[295]. En outre, les personnes qui craignent la police ou qui remettent en question sa légitimité sont moins susceptibles de faire appel à elle en cas de besoin[296], « ce qui renforce leur vulnérabilité et augmente leurs taux de victimisation »[297];

-         Le profilage racial a un effet négatif sur l’estime de soi des personnes noires[298] (ex. sentiment d’être un « criminel », un « déchet »[299], ou encore un « citoyen de seconde zone »[300]). Il peut aussi y avoir une incidence négative sur leur motivation à l’école ou au travail ainsi que sur leur accès à l’éducation ou à l’emploi[301];

-         Le profilage racial amenuise le sentiment d’appartenance des membres de la communauté noire à la société québécoise[302]. La surinterpellation des personnes noires « produit ou accentue […] un désengagement civique (Lerman & Weaver, 2014) et ultimement accroît le sentiment d’insécurité chez les membres de la population ciblée (Livingstone, Rutland & Alix, 2018; Livingstone, Meudec & Harim, 2020) »[303];

-         Le profilage racial peut amener les personnes noires à intérioriser des stéréotypes négatifs à propos d’elles-mêmes et de la communauté noire[304];

-         Le profilage racial « pav[e] la voie à une judiciarisation accrue »[305] des personnes noires et « renforce la marginalisation et l’exclusion sociale »[306] des communautés noires;

-         Dans certains cas, les interceptions peuvent « dérap[er] vers des abus physiques »[307]. Fait à noter, les personnes noires sont fortement surreprésentées dans les interactions violentes avec la police[308].

[198]      Ici encore, la preuve trouve écho dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Le, la Cour suprême reconnaît que « [l’]effet des interventions policières excessives à l’égard des minorités raciales et du fichage des membres de ces collectivités, en l’absence de tout soupçon raisonnable de la tenue d’une activité criminelle, constitue plus qu’un simple désagrément »[309]. Selon la Cour suprême, ce type de pratique « a un effet néfaste sur la santé physique et mentale des personnes visées et a une incidence sur leurs possibilités d’emploi et d’éducation », en plus de « contribue[r] à l’exclusion sociale continue des minorités raciales, [de] favorise[r] une perte de confiance dans l’équité du système de justice pénale et [de] perpétue[r] la criminalisation »[310].

[199]      Quant à l’effet discriminatoire de la distinction, la preuve démontre que le profilage racial a pour effet de perpétuer et de renforcer la discrimination à l’égard des personnes noires. L’expert Mulone décrit bien la dynamique qui sous-tend les interventions policières proactives (comme les interceptions routières sans motif requis) et la « logique de cercle vicieux » qui fait en sorte que les discriminations raciales vont engendrer d’autres discriminations raciales. Il vaut de reproduire ce long passage de son rapport d’expertise :

L’interpellation et l’interception (ainsi que l’ensemble des pratiques proactives policières) sont fondamentalement un exercice de prédiction. Il s’agit de prédire si l’individu qui suscite la suspicion chez le policier est vraiment en train de cacher quelque chose, de mériter une intervention policière, ou pas. Parfois la prédiction s’avère juste. Parfois fausse (et le biais de confirmation, discuté plus haut, tend à faire en sorte que l’on se rappelle beaucoup plus des bonnes prédictions que de celles qui ont échoué). Ce qui est sûr par contre, c’est que les outils de prédiction conduisent à ce que Bernard Harcourt appelle un « effet de cliquet » (Harcourt, 2007; 2011). Cette prophétie autoréalisatrice se construit de la manière suivante : les policiers cherchent à « viser » le plus juste possible dans leur intervention (intervenir auprès de quelqu’un qui a effectivement quelque chose à se reprocher); pour savoir qui doit être ciblé en priorité, ils peuvent se référer aux statistiques policières de la criminalité (mais également à leur propre vécu, à ce qui leur a été enseigné, à leurs préjugés ou à d’autres éléments comme les circulaires qui sont diffusées quotidiennement […]); or, ces statistiques montrent que certains groupes racisés sont plus criminalisés que d’autres, et cette caractéristique visible devient l’un des critères pour cibler les « bonnes personnes »; comme on surveille plus un groupe (considéré comme plus criminel), on attrape forcément plus souvent des individus en provenance de ce groupe; à la fin de l’année, en regardant les statistiques, on se rend compte qu’on avait bien raison de cibler en priorité tel groupe plutôt que tel autre; en fait, leur participation aux statistiques de la criminalité devrait même avoir augmenté; dès lors, on va mettre encore plus de ressources pour cibler cette communauté.

Cette dynamique est importante à mettre de l’avant, et ce, pour au moins deux raisons. D’une part, parce qu’elle obéit à une logique de cercle vicieux et qu’à ce titre, elle est extrêmement difficile à briser. Ensuite, parce que tant qu’on n’agit pas activement contre elle, elle va reproduire et accentuer des discriminations raciales existantes. De la même manière qu’il est logique d’imaginer qu’on cherche à augmenter les interventions policières dans les endroits où la criminalité est plus élevée et/ou sérieuse (Tiratelli, Quinton & Bradford, 2018), un accroissement des interpellations et des interceptions sur une population donnée va forcément accroître le nombre d’infractions criminelles détectées (Hinkle & Weisburd, 2008). Ainsi, des pratiques discriminatoires vont engendrer des discriminations à leur tour. Autrement dit, les discriminations raciales vont justifier d’autres discriminations raciales (Balibar, 2007; Bessone, 2013).[311]

[Soulignements ajoutés]

[200]      Dans le même ordre d’idées, la CDPDJ relève que :

[l]’application inégale et discriminatoire de la loi qui se fait dans le contexte de la sécurité publique donne une fausse image de la réalité. En conséquence, les personnes appartenant à une communauté « profilée » vont courir plus de risques d’être interpellées, arrêtées, traduites en justice et exposées à un traitement différent et inégal à toutes les étapes du processus judiciaire.[312]

[Renvoi omis]

[201]      Le juge de première instance souligne, à bon droit, que « [c]e n’est pas au demandeur que revient le fardeau d’expliquer pourquoi la règle de droit a cette cascade d’effets ou d’établir la raison pour laquelle les personnes noires au volant ont à subir un désavantage particulier »[313]. Il suffit de constater que la règle de droit contestée, parce qu’elle « ouvre la porte à un traitement différencié des personnes de race noire au volant »[314], a pour effet d’élargir l’écart entre les personnes noires (un groupe historiquement défavorisé) et le reste de la société[315].

[202]      Tout comme le juge, la Cour en vient à la conclusion que les intimés se sont acquittés du fardeau qui était le leur à la deuxième étape de l’analyse.

* * *

[203]      En résumé, une preuve abondante établit que l’art. 636 C.s.r. a pour effet de créer une distinction fondée sur un motif énuméré au par. 15(1), soit la race[316], et qu’il agit d’une manière qui a pour effet de renforcer, perpétuer ou accentuer le désavantage subi par les personnes de race noire. L’atteinte au droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) est donc démontrée.

[204]      Il reste à déterminer si le PGQ a établi que cette atteinte au droit protégé par le par. 15(1) peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte.

2. La justification de l’atteinte

[205]      Comme mentionné précédemment[317], la Cour est d’avis que l’objectif de l’art. 636 C.s.r. est urgent et réel et que le moyen choisi par le législateur, c’est-à-dire le fait d’autoriser les interceptions routières sans motif requis, présente un lien rationnel avec cet objectif. Il n’est toutefois pas satisfait au critère de l’atteinte minimale.

[206]      Bien que cette dernière conclusion permette de rejeter la défense de justification, il convient d’ajouter ceci au chapitre de la mise en balance des effets bénéfiques et préjudiciables en lien avec l’atteinte au droit à l’égalité.

[207]      Les effets délétères de l’art. 636 C.s.r. sur les conducteurs noirs sont nombreux et sérieux (problèmes de santé physique et mentale, sentiment d’exclusion, marginalisation et « surjudiciarisation », perte de confiance envers la police et le système de justice, désengagement civique, perpétuation et renforcement de stéréotypes racistes, etc.)[318]. Ces effets ne doivent pas être pris à la légère.

[208]      Le profilage racial et la « surinterpellation » des personnes noires entraînent par ailleurs des conséquences négatives pour la société dans son ensemble. Des études montrent l’existence d’un « lien clair » entre la confiance des membres du public envers les services policiers et la sécurité publique. La CODP note, par exemple, que « [l]es gens sont moins susceptibles de coopérer aux enquêtes policières et d’accepter de témoigner devant les tribunaux s’ils ont une perception négative des forces policières »[319]. Dans un autre rapport, la CODP fait observer que l’un des coûts sociaux du profilage racial est la méfiance accrue à l’égard de nos institutions :

L’un des coûts sociaux du profilage racial est en lien étroit avec l’« atteinte à nos perspectives d’avenir » : c’est la méfiance prononcée qui grandit, tant chez les enfants que chez les adultes, à l’égard de nos principales institutions.

Nul ne peut contester que la confiance de la population dans les institutions et systèmes – système de justice pénale, maintien de l’ordre, contrôle douanier et frontalier et système scolaire - est une pierre d’angle de la démocratie et de toute société où règne [sic] l’ordre et l’harmonie. Toutes ces institutions exigent des citoyens une collaboration positive et coopérative, afin qu’elles puissent s’acquitter de leur mandat de façon optimale. Par exemple, un système de justice ne peut être fort que si les citoyens ont confiance en l’équité du processus; le maintien de l’ordre dans la collectivité se fonde sur la confiance des citoyens en la police et sur leur volonté de collaborer avec elle […].[320]

[209]      L’expert Mulone souligne, quant à lui, que le déficit de légitimité de la police auprès de la population peut aussi mener à une augmentation des crimes violents (dans certains cas)[321].

[210]      Par contraste, les effets bénéfiques de l’art. 636 C.s.r. paraissent plutôt ténus. Comme déjà mentionné[322], le dossier tel que constitué ne comporte aucun élément de preuve permettant de conclure que les interceptions routières sans motif requis sont un moyen efficace d’assurer la sécurité routière[323]. Or, le PGQ avait le fardeau de faire la preuve « du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation »[324].

[211]      Il est vrai que, d’un point de vue strictement logique, l’interception d’un seul conducteur en état d’ébriété ou sans permis est susceptible de contribuer à la sécurité routière en « chassant » ce conducteur de la route. Tout comme le juge Sopinka, dissident dans l’arrêt Ladouceur, la Cour s’interroge toutefois à savoir « [c]ombien de conducteurs innocents » il faut intercepter pour « attraper » un seul conducteur délinquant[325]. Le PGQ n'a fourni aucune donnée à ce sujet.

[212]      La directrice générale de la recherche et du développement en sécurité routière de la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ »), Mme Lyne Vézina, admet d’ailleurs qu’elle ne sait pas s’il existe des statistiques ou des études démontrant un lien entre les interceptions routières sans motif requis et l’amélioration du bilan routier[326].

[213]      De même, le dossier ne comporte aucune preuve quant à l’effet dissuasif des interceptions routières sans motif requis (par opposition aux interceptions effectuées à un point fixe dans le cadre de barrages routiers ou d’autres opérations structurées).

[214]      L’expert du PGQ, Douglas Beirness, concède qu’il ne connaît aucune étude démontrant l’effet dissuasif des interceptions routières sans motif requis[327]. En fait, selon lui, les interceptions faites à un point fixe dans le cadre de barrages routiers ou d’autres types de programmes structurés (opérations visibles, connues et/ou publicisées) permettent d’atteindre l’objectif de la dissuasion générale :

The value of the large checkpoint program is that you’re having an impact on drivers who are not stopped as well as those who are. The random patrol point is only having an impact on those drivers who are stopped.[328]

[215]      Mme Vézina insiste elle aussi sur l’importance de la dissuasion, notamment en augmentant la perception du risque d’être intercepté (et la probabilité d’être effectivement intercepté). Elle souligne l’importance des « opérations nationales concertées avec les organisations policières »[329] et de la « visibilité » des interceptions routières[330] à cet égard. Son témoignage tend donc également à confirmer l’efficacité des barrages routiers et des autres types d’opérations d’interception structurées sans que l’on puisse de quelque façon conclure que les interceptions routières sans motif requis ont les mêmes effets bénéfiques.

[216]      En définitive, la Cour ne peut conclure que les « avantages » des interceptions routières sans motif requis l’emportent sur leurs effets préjudiciables. L’atteinte au par. 15(1) de la Charte n’est donc pas justifiée au regard de l’article premier.

F. Le juge a-t-il erré au chapitre de la réparation?

[217]      La Cour ayant conclu que le profilage racial résulte de l’art. 636 C.s.r., que ce dernier porte atteinte aux droits garantis par les art. 9 et 15 de la Charte et que cette atteinte ne peut se justifier selon l’article premier, la réparation appropriée est une déclaration d’invalidité fondée sur le par. 52 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[218]      Le juge a suspendu la déclaration d’invalidité pour une période de six mois. Le PGQ demande à la Cour que la suspension soit plutôt de douze mois. Or, il ne fait valoir aucun argument qui pourrait justifier d’intervenir sur cette question.

[219]      La suspension de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité d’une loi ou d’une règle de droit est une mesure « extraordinaire »[331], car elle a pour effet de maintenir en vigueur une loi ou une règle de droit qui porte atteinte à la Charte. Une telle suspension ne devrait être accordée qu’en de rares cas, soit seulement lorsque le gouvernement[332] est en mesure de démontrer que « le risque que représente une déclaration avec effet immédiat sur un intérêt public identifiable, fondé sur la Constitution, l’emporte sur les conséquences néfastes de la suspension de l’effet de cette déclaration »[333]. Le gouvernement doit également « établir la durée que doit avoir la suspension de la prise d’effet d’une déclaration »[334].

[220]      La prorogation de la suspension de la prise d’effet d’une déclaration d’invalidité constitutionnelle « pose encore plus problème »[335], en ce qu’elle perpétue encore davantage la violation de la Charte. Le gouvernement qui sollicite une telle prorogation doit établir l’existence de « circonstances exceptionnelles »[336] ou de « raisons impérieuses »[337] justifiant la prorogation. En l’occurrence, le PGQ ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

[221]      Ce moyen d’appel doit donc également échouer.

VI. CONCLUSION

[222]      La Cour conclut que la règle de droit autorisant les interceptions routières sans motif requis en dehors de tout programme structuré, édictée à l’art. 636 C.s.r., entraîne le profilage racial. Cette règle de droit viole les art. 9 et 15 de la Charte et ne peut se justifier au regard de l’article premier. Il n’est pas nécessaire de déterminer si cette règle de droit contrevient également à l’art. 7 de la Charte.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[223]      ACCUEILLE l’appel en partie;

[224]      INFIRME en partie le jugement de première instance, à la seule fin de modifier les paragraphes 866 à 870 de la façon suivante :

[866] ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance remodifiée;

[867] DÉCLARE que les conditions sont réunies pour réexaminer l’arrêt R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257;

[868] DÉCLARE que l’article 636 du Code de la sécurité routière viole les droits garantis par les articles 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, sans pouvoir être justifié dans le cadre d’une société libre et démocratique, et qu’il est de ce fait invalide;

[869] DÉCLARE inopérant l’article 636 du Code de la sécurité routière;

[870] SUSPEND pour six mois à compter de la notification de l’avis de jugement la prise d’effet de la déclaration d’inopérabilité, à l’exception de tout dossier judiciaire dans lequel l’article 636 du Code de la sécurité routière a été contesté et dont les procédures sont encore en cours;

[225]      LE TOUT, avec les frais de justice contre le procureur général du Québec.

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A.

 

Me Michel Déom

Me Luc-Vincent Gendron-Bouchard

Mme Aurélie Fortin, stagiaire en droit

bernard, roy (justice - québec)

Pour l’appelant procureur général du Québec

 

Me Mike Siméon

mike siméon, avocat

Pour l’intimé Joseph-Christopher Luamba

 

Me Bruce Johnston

Me Lex Gill

Me Louis-Alexandre Hébert-Gosselin

trudel johnston & lespérance

Pour l’intimée Association canadienne des libertés civiles

 

Me Joshua Wilner

Me Claude Joyal

Me Rym Laoufi

ministère de la justice canada

Pour le mis en cause procureur général du Canada

 

Me Karine Joizil

Me Bianca Annie Marcelin

Me Sajeda Hedaraly

mccarthy tétrault

Pour la mise en cause Canadian Association of Black Lawyers

 

Me Ivan da Fonseca

Me Claire K.A. Peacock

delegatus services juridiques

Pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association

 

Me Fernando Belton

belton avocats

Me Sarah Warda El Alaoui

lafortune cadieux

Pour l’intervenante Clinique juridique de Saint-Michel

 

Me Christine Campbell

Me Emma Tardieu

bitzakidis clément-major fournier

Pour l’intervenante Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Dates d’audience :

 5 et 6 mars 2024

 


[1]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257 (Ladouceur).

[2]  Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2 (C.s.r.).

[3]  Luamba c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3866 (jugement de première instance).

[4]  Le juge de première instance utilise l’expression « règle de droit contestée » au singulier pour désigner « l’effet conjugué de la règle de common law et de l’article 636 C.s.r. » (jugement de première instance, par. 52). La majorité des parties au débat en appel utilisent toutefois l’expression « règles de droit contestées » au pluriel. Vu sa conclusion sur l’inexistence d’une règle de common law autorisant les interceptions routières sans motif requis, infra, par. [14] à [32], la Cour utilisera l’expression « règle de droit contestée » au singulier pour parler uniquement de l’art. 636 C.s.r.

[5]  Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, c. 11 (Charte).

[6]  Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (Loi constitutionnelle de 1982).

[7]  Initialement désignée comme mise en cause dans les procédures d’appel, l’ACLC a présenté une requête pour changer sa désignation pour celle d’intimée. Cette requête a été accueillie le 19 septembre 2023 par un juge de la Cour : Procureur général du Québec c. Luamba, C.A. Montréal, no 500-09-030301-220, 19 septembre 2023, Schrager, j.c.a.

[8]  La BCCLA, la CJSM et la CDPDJ ont été autorisées à intervenir au débat à titre amical : Procureur général du Québec c. Luamba, 2023 QCCA 1243 (Schrager, j.c.a.).

[9]  Notons ici que M. Luamba contestait initialement la validité constitutionnelle du par. 320.27(2) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Il s’est toutefois désisté de ce volet de sa demande lors des plaidoiries en première instance : jugement de première instance, note infrapaginale 5.

[10]  Id., par. 26.

[11]  Id., par. 22.

[12]  Id., par. 16.

[13]  Id., par. 18.

[14]  Voir notamment : déclaration d’appel, 25 novembre 2022, par. 13.

[15]  Demande introductive d’instance modifiée, 2 février 2021, par. 47. Voir aussi : jugement de première instance, par. 22, 52 et 54.

[16]  Jugement de première instance, par. 869.

[19]  Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, p. 36.

[20]  L’acronyme signifie Reduce Impaired Driving Everywhere.

[21]  Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, p. 25, citant « l’exposé de la cause ».

[22]  Ibid.

[23]  R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (Waterfield), p. 661, cité dans Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, p. 33 [soulignement ajouté] :

[traduction] Il serait difficile, de lavis de cette Cour, denfermer en des limites rigoureuses les termes généraux dont on sest servi pour définir les fonctions des agents de police et au surplus cest inutile dans la présente affaire. Dans la plupart des cas, il est probablement plus facile de se demander ce que lagent faisait en réalité et notamment si sa conduite constitue de prime abord une atteinte illégale à la liberté personnelle ou à la propriété. Si tel est le cas, il y a lieu de rechercher a) si cette conduite entre dans le cadre général dun devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que dans le cadre général dun tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir relié à ce devoir. Ainsi, comme on peut affirmer en termes généraux que les agents de police ont le devoir dempêcher le crime et le devoir, lorsque le crime a été perpétré, de traduire le délinquant en justice, il est également évident, selon la jurisprudence, que, lorsque laccomplissement de ces devoirs généraux comporte des atteintes à la personne ou aux biens dun particulier, les pouvoirs des policiers ne sont pas illimités. […]

Ce critère, aussi appelé « doctrine des pouvoirs accessoires », a été précisé et appliqué par de nombreux arrêts ultérieurs. Voir notamment : Fleming c. Ontario, 2019 CSC 45 (Fleming), par. 43 et s.; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, par. 77-78 (motifs concordants du j. Moldaver); R. c. MacDonald, 2014 CSC 3.

[24]  R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, p. 625. Notons que les faits à l’origine de cette affaire sont survenus après l’entrée en vigueur de la Charte.

[25]  À l’époque, le Code de la route, L.R.O. 1980, c. 198.

[26]  R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, p. 631.

[27]  Id., p. 628.

[28]  Id., p. 632.

[29]  Id., p. 633.

[30]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1275-1276.

[31]  Id., p. 1278.

[33]  Id., p. 509. Voir cependant : Wayne Gorman, « Arbitrary Detentions and Random Stops », (1999) 41 C.L.Q. 41, p. 52.

[34]  Dans l’arrêt R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, la Cour suprême a précisé, au par. 37, que les trois facteurs suivants doivent être soupesés pour déterminer s’il est satisfait au deuxième volet du critère de l’arrêt Waterfield :

1.  l’importance que présente l’accomplissement [du] devoir [policier] pour l’intérêt public (Mann, par. 39);

2.  la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir (Dedman, p. 35; Clayton, par. 21, 26 et 31);

3.  l’ampleur de l’atteinte à la liberté individuelle (Dedman, p. 35).

[35]  Fleming c. Ontario, 2019 CSC 45. Voir aussi : John Burchill, « A Horse Gallops Down a Street…Policing and the Resilience of the Common Law », (2018) 41:1 Man.L.J. 161, p. 175; Richard Jochelson, « Ancillary Issues with Oakes: The Development of the Waterfield Test and the Problem of Fundamental Constitutional Theory », (2013) 43:3 R.D. Ottawa 355, p. 366-367.

[36]  Fleming c. Ontario, 2019 CSC 45, par. 38.

[37]  Id., par. 41.

[38]  Id., par. 42 [soulignement ajouté].

[40]  Les parties ont adopté la position erronée selon laquelle l’arrêt Ladouceur a reconnu l’existence d’un pouvoir policier de common law de procéder à des interceptions routières sans motif requis. Compte tenu de cette position, aucune d’entre elles n’a demandé à la Cour de déterminer si, dans les faits, un tel pouvoir existe en common law. La Cour ne se prononce donc pas sur cette question.

[41]  R. c. Soucisse, [1994] R.J.Q. 1546 (C.A.) (Soucisse).

[42]  Id., p. 1550-1551.

[43]  Id., p. 1551. Voir aussi : LSJPA – 1530, 2015 QCCA 1315, par. 28; Éthier c. R., 2022 QCCS 535, par. 72.

[44]  La version initiale de l’art. 636 C.s.r., adoptée en 1986, prévoyait ainsi que :

636. Tout agent de la paix qui, dans l’exécution des fonctions qui lui sont conférées en vertu du présent code, a un motif raisonnable de croire qu’une infraction à ce code a été commise et que les circonstances l’exigent, peut sans la permission du propriétaire, prendre possession d’un véhicule routier, le conduire et le remiser aux frais du propriétaire.

636. Every peace officer who, in the performance of the duties conferred on him under this Code, has reasonable cause to believe that an offence against this Code has been committed and that it is required by the circumstances, may, without the owner’s permission, take possession of a road vehicle, drive it and impound it at the expense of the owner.

De même, la version ultérieure de l’art. 636, adoptée en 1987, énonçait que :

636. Tout agent de la paix qui, dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu du présent code, a un motif raisonnable de croire qu’une infraction à ce code a été commise et que les circonstances l’exigent, peut:

  faire immobiliser un véhicule routier;

  sans la permission du propriétaire, prendre possession d’un véhicule routier, le conduire et le remiser aux frais du propriétaire.

636.  Every peace officer who, in the performance of the duties conferred on him under this Code, has reasonable cause to believe that an offence against this Code has been committed and that it is required by the circumstances, may

(1)  stop a road vehicle;


(2)  without the owner’s permission, take possession of a road vehicle, drive it and impound it at the expense of the owner.

 

[45]  Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1990, c. 83, art. 236. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 1991 : id., art. 263.

[46]  Selon la version de l’art. 636 C.s.r. qui fut modifiée en 1990, un agent de la paix avait le pouvoir d’intercepter un véhicule « dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du présent code ». La dernière version de l’art. 636 prévoit quant à elle qu’un agent de la paix a ce pouvoir dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du C.s.r., des ententes conclues en vertu de l’art. 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, RLRQ, c. P30.3.

[47]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 (Bedford).

[48]  Jugement de première instance, par. 607.

[49]  Id., par. 705.

[50]  Id., par. 734.

[51]  Id., par. 738.

[52]  Id., par. 828.

[53]  Id., par. 831.

[54]  Id., par. 847.

[55]  Id., par. 857.

[56] Le PGQ s’appuie sur les arrêts suivants : R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 30; R. c. Nolet, 2010 CSC 24, par. 3, 22 et 25; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, p. 628-629.

[57]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72.

[58]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 (Carter).

[61]  R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, par. 59.

[62]  R. c. Khawaja, 2012 CSC 69, par. 83.

[63]  R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, par. 61; Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 1053, no XII-4.42.

[64]  Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 22. Voir aussi : R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 53; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077-1078.

[65]  Voir par exemple : Canada (Procureur général) c. Way, 2015 QCCA 1576, par. 61 et 72-73, désistement d’appel à la Cour suprême, 7 septembre 2016, no 36746.

[68]  Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 30. Voir par exemple : R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30 (Morgentaler), p. 60-62 et 64-73 (motifs du j. en chef Dickson) et p. 92 et s. (motifs du j. Beetz).

[69]  Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 30.

[70]  R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1078 (motifs majoritaires du j. Lamer, tel qu’il était alors).

[71]  R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, par. 74; R. c. Nur, 2015 CSC 15 (Nur), par. 87 et s.; R. c. Anderson, 2014 CSC 41, par. 17; R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91 (Bain), p. 103-104.

[72]  R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30.

[73]  R. c. Nur, 2015 CSC 15.

[74]  R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, p. 65.

[75]  Ibid.

[76]  Id., p. 66.

[77]  Id., p. 6869.

[78]  Id., p. 6970.

[79]  S.R.C. 1970, ch. C23.

[80]  Hunter c. Southam inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 165168.

[81]  Id., p. 169. Voir également : R. v. Canfield, 2020 ABCA 383, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 11 mars 2021, no 39376.

[82]  R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91 (Bain), p. 103.

[83]  Id., p. 104 (motifs du j. Cory); voir aussi : p. 156 (motifs du j. Stevenson).

[84]  R. c. Nur, 2015 CSC 15, par. 91.

[85]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1276.

[86]  R. c. Soucisse, [1994] R.J.Q. 1546 (C.A.), p. 1550-1551.

[87]  Voir notamment : R. c. McColman, 2023 CSC 8, par. 30; R. c. Nolet, 2010 CSC 24, par. 22; R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37, par. 41; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, p. 624 et s.; R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1287; R. c. Soucisse, [1994] R.J.Q. 1546 (C.A.), p. 1551.

[88]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39. La citation est tirée de : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Le profilage racial : mise en contexte et définition (2005), p. 15 (pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, annexe MM53). La Cour suprême a repris cette définition dans R. c. Le, 2019 CSC 34 (Le), par. 77. C’est aussi la définition qu’a retenue le juge en l’espèce : jugement de première instance, par. 38-41.

[89]  Pierre-Louis c. Québec (Ville de), 2014 QCCA 1554, par. 59, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 16 juin 2015, no 36055. Voir aussi : R. v. Dudhi, 2019 ONCA 665, par. 75; Peart v. Peel Regional Police Services (2006), 43 C.R. (6th) 175 (C.A. Ont.), par. 93 et 95, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 29 mars 2007, no 31798; R. v. Brown (2003), 173 C.C.C. (3d) 23 (C.A. Ont.), par. 8.

[90]  Pièce P-4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, p. 12.

[91]  R. c. Dorfeuille, 2020 QCCS 1499 (Dorfeuille), par. 46. Voir aussi : R. c. Ngarukiye, 2023 QCCS 4677, par. 136; R. v. Sitladeen, 2021 ONCA 303, par. 52; R. v. Dudhi, 2019 ONCA 665, par. 62, 64 et 85; Peart v. Peel Regional Police Services (2006), 43 C.R. (6th) 175 (C.A. Ont.), par. 91 et 95, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 29 mars 2007, no 31798; pièce P-32, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Québec), Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés : Rapport de consultation sur le profilage racial et ses conséquences, mars 2011, p. 10.

[92]  Pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, annexe MM-48, David M. Tanovich, The Colour of Justice: Policing Race in Canada, Toronto, Irwin Law, 2006, p. 144. Voir aussi : R. v. Sitladeen, 2021 ONCA 303, par. 54.

[93]  Pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 16 et 29.

[94]  Infra, par. [152] à [216].

[95]  L’interpellation correspond à toute intervention où un policier cherche à collecter « des informations sur un ou des individus […] dans un but opérationnel […], et ce, sans avoir le pouvoir de contraindre le citoyen de lui répondre » (pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 2). La demande d’information formulée par le policier n’implique en principe aucune obligation de la part du citoyen. En règle générale, l’interpellation ne constitue pas une forme de détention visée par l’art. 9 de la Charte puisque, par définition, la personne interpellée est libre de partir. Il en va autrement de l’interception routière, qui implique une forme de contrainte (voir, à ce sujet : infra, par. [103] et [104]).

[96]  Pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 16.

[97]  Id., p. 18. Voir aussi : Steven Penney, « Driving While Innocent: Curbing the Excesses of “Traffic Stop” Power », (2019) 24 Rev. can. D.P. 339, p. 363-367.

[98]  Pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 23.

[99]  La Commission ontarienne des droits de la personne distingue ainsi le profilage racial du profilage criminel : « [...] le “profilage racial” se distingue du “profilage criminel”, lequel ne prend pas pour base des stéréotypes, mais se fonde sur un comportement réel ou sur des renseignements relatifs à une présumée activité de la part d’une personne qui répond à un certain signalement. En d’autres termes, le profilage criminel diffère du profilage racial, puisque le premier découle de preuves objectives d’un comportement délictueux, tandis que le second se fonde sur des présomptions stéréotypées » : pièce P-4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, annexe MES-055, Commission ontarienne des droits de la personne, Un prix trop élevé : les coûts humains du profilage racial – Rapport d’enquête, 2003, p. 7.

[100]  Pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 27.

[101]  Id., p. 29.

[102]  Pièce P-4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, p. 17.

[103]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1287 (motifs majoritaires du j. Cory).

[104]  Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69 (Little Sisters).

[105]  Id., par. 125.

[106]  Cf. R. c. Husfky, [1988] 1 R.C.S. 621, p. 633, cité dans : R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1277.

[107]  R. c. Kirkpatrick, 2022 CSC 33, par. 178; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, par. 64.

[108]  R. c. Henry, 2005 CSC 76, par. 54-59; R. c. Lapointe, 2021 QCCA 360, par. 33, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 mars 2022, no 39655.

[109]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1271.

[110]  Charte, par. 32(2).

[111]  Jugement de première instance, par. 146.

[112]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1278. Le juge Cory, pour la majorité, écrit : « Étant donné qu’il a été déterminé que les interpellations au hasard pour une vérification de routine violent l'art. 9 de la Charte, il n’est pas nécessaire de décider si ces interpellations au hasard portent atteinte à l’art. 7 ».

[113]   Jugement de première instance, par. 141.

[114]  Id., par. 87-123. La règle du stare decisis entre en ligne de compte ici, non seulement à la lumière de la ratio decidendi de l’arrêt Ladouceur, mais également à l’égard de celle formulée par la Cour suprême dans un pourvoi connexe, R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291, et par notre Cour dans R. c. Soucisse, [1994] R.J.Q. 1546 (C.A.).

[116]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, par. 44.

[118]  Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254, demandes d’autorisation d’appels et d’appel incident à la Cour suprême, no 41231. La citation est tirée de l’arrêt R. c. Comeau, 2018 CSC 15, par. 31.

[119]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, par. 46.

[120]  R. c. Comeau, 2018 CSC 15, par. 34.

[121]  Jugement de première instance, par. 144.

[122]  Id., par. 145.

[123]  Id., par. 148.

[124]  Id., par. 160 [italiques dans l’original] (voir aussi les par. 161-370).

[125]  Id., par. 166. [caractère gras omis].

[126]  Id., par. 370.

[127]  Id., par. 379-390.

[128]  R. c. Le, 2019 CSC 34, par 97.

[129]  R. c. Dorfeuille, 2020 QCCS 1499.

[132]  Pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, annexe MM-19, Lorne Foster, Lesley Jacobs et Bobby Siu, Race Data and Traffic Stops in Ottawa, 2013-2015: A Report on Ottawa and the Police Districts, octobre 2016.

[135]  Voir à cet effet l’éclairant rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, qui discute en détail de la notion de profilage racial, de son apparition, de sa définition et de sa reconnaissance : id., p. 8-16.

[136]  Le juge note que le profilage racial est de nos jours bien défini et se distingue du racisme : jugement de première instance, par. 391 et 573.

[137]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1286.

[138]  Pièce P-4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, p. 49-54. Voir également : R. c. Le, 2019 CSC 34, par. 95.

[139]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1287.

[140]  Le rapport d’expertise de Massimiliano Mulone témoigne d’une confusion qui peut survenir chez les forces de l’ordre entre profilage racial et profilage criminel : pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 20.

[141]  R. c. Comeau, 2018 CSC 15, par. 31.

[142]  Jugement de première instance, par. 148.

[143]  Id., par. 573.

[144]  C’est également ce qui est décidé précisément en lien avec l’art. 636 C.s.r. dans l’arrêt R. c. Soucisse, [1994] R.J.Q. 1546 (C.A.), p. 1550-1551.

[145]  R. c. Grant, 2009 CSC 32; R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1287; R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S.  621; R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; Trask c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 655; Rahn c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 659; Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574, p. 587.

[146]  Jugement de première instance, par. 604.

[147]  Id., par. 605.

[148]  R. c. Husfky, [1988] 1 R.C.S. 621, p. 633, cité dans : R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1277. Ce principe a été réitéré à plusieurs reprises. Voir par exemple : R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, p. 740; R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, p. 700; LSJPA – 1530, 2015 QCCA 1315, par. 19; R. v. Donnelly, 2016 ONCA 988, par. 70.

[149]  R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S.103 (Oakes).

[150]  R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38 (Ndhlovu).

[151]  Jugement de première instance, par. 692.

[152]  Id., par. 693.

[153]  Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, par. 46.

[154]  La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 50.

[155]  Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1990, c. 83, art. 236.

[156]  Assemblée nationale, Commission permanente de l’aménagement et des équipements, Journal des débats, 34e lég., 1re sess., no 65, 18 décembre 1990, p. 3730-3731.

[157]  Pièce PGQ-16, Portrait alcool au volant SAAQ, 26 avril 2022, p. 2.

[158]  Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 45-47; R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, p. 636.

[159]  Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, par. 80; R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37, par. 55.

[160]  Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 45-47.

[161]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1280.

[162]  Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, par. 126.

[163]  R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, par. 121 [italiques dans l’original].

[164]  Lavoie c. Canada, 2002 CSC 23, par. 59.

[165]  RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199.

[166]  Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 48. Voir aussi : Société RadioCanada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, par. 70.

[167]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1283-1284.

[168]  Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, par. 228.

[169]  Jugement de première instance, par. 690.

[170]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, par. 100. Voir aussi : Procureur général du Québec c. Gallant, 2021 QCCA 1701, par. 211.

[171]  Voir par exemple : pièce PGQ-27, Rapport d’expertise de Douglas Beirness, Rapport d’expertise, 19 mai 2022.

[172]  R. c. Brown, 2022 CSC 18.

[173]  Id., par. 76.

[174]  Id., par. 128, citant : RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 153.

[175]  R. c. Brown, 2022 CSC 18.

[176]  Pièce P-4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, p. 39.

[177]  Pièce PGQ-27, Rapport d’expertise de Douglas Beirness, 19 mai 2022. Pour sa part, l’expert Mulone estime que les pratiques policières basées sur la prédiction seraient inefficaces, puisque leur caractère ciblé délégitimerait les forces de l’ordre auprès des communautés visées et ferait en sorte que les groupes non surveillés de la population échappent plus facilement à la détection : pièce P-1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 30-32.

[178]  Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 55. Voir aussi : R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, par. 70.

[179]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, par. 102.

[180]  Errol P. Mendes, « Section 1 of the Charter after 30 Years: The Soul or the Dagger at its Heart? », dans Errol Mendes et Stéphane Beaulac (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 5e éd., Markham (Ont.), LexisNexis, 2013, 293, p. 318. La Cour suprême le reconnaît dans R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, par. 79.

[181]  Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, par. 149; Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, par. 43.

[182]  R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, par. 118; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136137.

[183]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1284.

[184]  Ibid.

[185]  Id., p. 1284-1285.

[186]  Id., p. 1285.

[187]  Ibid.

[188]  Supra, par. [78] à [102].

[189]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1286.

[190]  Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, par. 55.

[191]  R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1266.

[192]  Ibid.

[193]  Hugues Parent, Traité de droit criminel, t. IV : « Les garanties juridiques », 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, p. 524 et s.

[194]  R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, par. 36. Voir aussi : R. c. Clayton, 2007 CSC 32, par. 32, 33 et 40-41.

[196]  R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, par. 130, renvoyant à : R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, par. 77, citant Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 125.

[197]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, par. 122.

[199]  Id., par. 690 [italiques dans l’original].

[200]  Voir notamment : id., par. 438-440, 445-446, 455-460 et 737.

[201]  Id., par. 839; voir aussi : Pièce P-1 Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 7.

[202] R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1287.

[203]  La Cour reviendra plus en détail sur le critère de la mise en balance dans son analyse de la justification de l’atteinte au droit à l’égalité garanti par le par. 15(1) de la Charte (infra, par. [207] à [216]).

[204]  Jugement de première instance, par. 704.

[205] Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 502-503.

[206] Id., p. 502.

[207] Ibid.

[208] C’est aussi la conclusion à laquelle en vient la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, p. 1012. Voir également, en lien avec une atteinte à l’art. 8 de la Charte : R. c. Rodgers, 2006 CSC 15, par. 23-24.

[209] R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, p. 1278.

[210]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 40; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, par. 25; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, par. 17.

[211]  Au sujet de l’égalité formelle, voir notamment : Ontario (Procureur général) c. G., 2020 CSC 38, par. 44; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 2; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 166.

[212]  Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, par. 17.

[213]  Ibid. Voir aussi : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 164168; Procureur général du Québec c. Centre de lutte contre l'oppression des genres, 2024 QCCA 348, par. 111 (motifs majoritaires des j. Marcotte et Hogue) et 219 (motifs concordants du j. Hamilton).

[214]  Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 39.

[215]  Ibid.

[216]  Id., par. 2.

[217]  Voir notamment : Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 4345; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 64; Eldridge c. ColombieBritannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 61; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 8283; Commission ontarienne des droits de la personne c. SimpsonSears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, p. 551.

[218]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 30. Voir aussi : Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 64.

[219]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39 (Sharma), par. 29. Voir aussi : Procureur général du Québec c. Kanyinda, 2024 QCCA 144, par. 83, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 3 octobre 2024, no 41210.

[220]  Cf. Jugement de première instance, par. 777-812.

[221]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 33.

[222]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 48 (voir aussi le par. 49).

[223]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 29.

[224]  Id., par. 30.

[225]  Id., par. 31 et 40; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 52; Procureur général du Québec c. Kanyinda, 2024 QCCA 144, par. 84, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 3 octobre 2024, no 41210.

[226]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 41.

[227]  Ibid.; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 94; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, par. 27; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 55-64; Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l’État, 2017 QCCA 103, par. 35.

[228]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 31.

[229]  Id., par. 41.

[230]  Id., par. 44.

[231]  Id., par. 42 [italiques dans l’original].

[232]  Id., par. 49; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 43. Les éléments de preuve relatifs à la situation du groupe peuvent provenir du demandeur (ou d’autres témoins ordinaires), de témoins experts ou d’un avis juridique : Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 57.

[233]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 49. Les conséquences pratiques de la loi peuvent être démontrées à l’aide d’une preuve statistique, « surtout si le bassin de gens touchés négativement par un critère ou une norme compte à la fois des membres d’un groupe protégé et des membres des groupes plus avantagés » : Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 58 [italiques dans l’original].

[234]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 49. Mais ces deux types d’éléments de preuve ne sont pas toujours requis : Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 61.

[235]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 50.

[236] Ibid.

[237]  Id., par. 51.

[238] Id., par. 52.

[239]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 76.

[240]  Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, par. 28 [italiques dans l’original], citant Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5, par. 327 et 330. De même, il n'est pas nécessaire de prouver l’existence d’un but ou d’une intention discriminatoire pour qu’il y ait atteinte au par. 15(1) : Eldridge c. ColombieBritannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 62.

[241]  Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5.

[242]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 52.

[243]  Ibid.; Ontario (Procureur général) c. G., 2020 CSC 38, par. 40; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 76; Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, par. 22.

[244]  Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12. Voir aussi : R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 52.

[245]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 71.

[246]  Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, par. 32, citant : Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 84 [italiques dans l’original].

[247]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 76; Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5, par. 331 (motifs dissidents quant au résultat de la j. Abella); Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 66.

[248]  R.O. c. Ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2021 QCCA 1185, par. 43, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 31 mars 2022, no 39880.

[249]  Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 78.

[250]  Id., par. 80.

[251]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 53. Voir aussi : Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10, par. 202.

[252]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 55 b).

[253]  Id., par. 55 c) [italiques omis]. Cf. Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 75.

[254]  R. c. Sharma, 2022 CSC 39, par. 56.

[255]  Id., par. 59.

[256]  Jugement de première instance, par. 815.

[257]  Pièce P1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 16.

[258]  Id., p. 5. Voir aussi : pièce P4, Rapport d’expertise de MarieÈve Sylvestre, 7 février 2022, p. 9.

[259]  Voir : pièce P1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, annexes MM16, Commission ontarienne des droits de la personne, Under suspicion: Research and consultation report on racial profiling in Toronto, avril 2017, MM19, Lorne Foster, Lesley Jacobs et Bobby Siu, Race Data and Traffic Stops in Ottawa, 2013-2015: A Report on Ottawa and the Police Districts, octobre 2016, MM25, Curt Taylor Griffiths, Ruth Montgomery et Joshua J. Murphy, City of Edmonton Street Checks Policy and Practice Review, juin 2018, MM39, Vancouver Police Department (Drazen Manojlovic), Understanding Street Checks: An examination of a proactive policing strategy, septembre 2018, MM56, Scot Wortley, Racial Disparity in Arrests and Charges: An analysis of arrest and charge data from the Toronto Police Service, juillet 2020 et MM-57, Scot Wortley, Use of force by the Toronto Police Service, juillet 2020; Victor Armony, Mariam Hassaoui et Massimiliano Mulone, Portrait de recherche sur les interpellations dans le dossier profilage : Rapport présenté au Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR), juin 2021 (en ligne); pièce P23, Ottawa Police Services Board and Ottawa Police Service (Dr. Lorne Foster and Dr. Les Jacobs), Traffic Stop Race Data Collection Project II – Progressing Towards Bias-Free Policing: Five Years of Race Data on Traffic Stops in Ottawa, novembre 2019; pièce P24, Service de Police de la Ville de Montréal (Victor Armony, Mariam Hassaoui et Massimiliano Mulone), Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées : Analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial, août 2019; pièce P27, Nova Scotia Human Rights Commission (Dr. Scot Wortley), Halifax, Nova Scotia: Street Check Report (and appendices), mars 2019; pièce P-29, Commission ontarienne des droits de la personne, Un impact collectif : Rapport provisoire relatif à l’enquête sur le profilage racial et la discrimination envers les personnes noires au sein du service de police de Toronto, novembre 2018; pièce P-31, Commission ontarienne des droits de la personne, Pris à partie – Rapport de recherche sur le profilage racial en Ontario, avril 2017.

[260]  Pièce P1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 7; pièce P23, Ottawa Police Services Board and Ottawa Police Service (Dr. Lorne Foster and Dr. Les Jacobs), Traffic Stop Race Data Collection Project II – Progressing Towards Bias-Free Policing: Five Years of Race Data on Traffic Stops in Ottawa, novembre 2019, p. 40.

[261]  Pièce P23, Ottawa Police Services Board and Ottawa Police Service (Dr. Lorne Foster and Dr. Les Jacobs), Traffic Stop Race Data Collection Project II – Progressing Towards Bias-Free Policing: Five Years of Race Data on Traffic Stops in Ottawa, novembre 2019, p. 41.

[262]  Pièce P1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 12-13.

[263]  Id., p. 13-14.

[264]  Témoignage de Massimiliano Mulone, 20 juin 2022.

[265]  Pièce P1, Rapport d’expertise de Massimiliano Mulone, 31 janvier 2022, p. 15-16.

[266]  Id., p. 18.

[267]  Ibid.

[268]  Témoignage de Massimiliano Mulone, 20 juin 2022; pièce P24, Service de Police de la Ville de Montréal (Victor Armony, Mariam Hassaoui et Massimiliano Mulone), Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées : Analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial, août 2019, p. 20. Voir aussi : pièce P4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, p. 13.

[269]  Pièce P4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, p. 43 et s.

[270]  Id., p. 64.

[271]  Jugement de première instance, par. 168370.

[272]  Certaines décisions récentes des tribunaux inférieurs illustrent aussi le phénomène. Voir par exemple : R. c. Sale Nkouendji, 2024 QCCM 26 et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil, 2020 QCTDP 21.

[273]  Jugement de première instance, par. 370.

[274]  Voir notamment : Eurobank Ergasias S.A. c. Bombardier inc., 2024 CSC 11, par. 91; Salomon c. MatteThompson, 2019 CSC 14, par. 3233; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 1037; J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 7677, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 2 mars 2017, no 36924.

[275]  Voir notamment : pièce P4, Rapport d’expertise de Marie-Ève Sylvestre, 7 février 2022, annexe MES055, Commission ontarienne des droits de la personne, Un prix trop élevé : les coûts humains du profilage racial – Rapport d’enquête, 2003, p. 1112.

[276]  Pièce P19, Commission ontarienne des droits de la personne, Un impact disparate : Deuxième rapport provisoire relatif à l’Enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne sur le profilage et la discrimination raciale par le service de police de Toronto, août 2020, p. 7.

[277]  Id., p. 8.

[278]  Pièce P-32, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Québec), Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés : Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences, mars 2011, p. 26