Goyette c. Ville de Ste-Marguerite-du-Lac-Masson |
2019 QCCS 2233 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
700-17-015377-186 |
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DATE : |
5 juin 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
BERNARD SYNNOTT, J.C.S. |
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Sylvie Goyette |
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André Émond |
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Demandeurs |
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c. |
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Ville de Ste-Marguerite-du-Lac-Masson |
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Défenderesse |
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Procureur général du Québec |
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Mis-en-cause |
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TRANSCRIPTION DES MOTIFS D’UN JUGEMENT RENDU ORALEMENT LE 30 avril 2019[1] |
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[1] Les demandeurs se pourvoient en contrôle judiciaire contre ce qu’ils qualifient de décision révisable de la Ville de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson (la Ville). Ils soutiennent que la Ville refuse sans droit d’émettre un certificat d’autorisation leur permettant d’installer un quai sur un terrain appartenant à cette même Ville.
[2] Celle-ci refuse que les demandeurs installent un quai sur son terrain.
[3] Les demandeurs fondent leur droit à la pose du quai, sur une servitude de passage qui grève le terrain de la Ville et qui a été consentie par un propriétaire antérieur.
[4] Ils soutiennent aussi que la Ville refuse de compléter le formulaire du gouvernement provincial qu’ils lui ont transmis pour signature. Selon eux, ce formulaire leur permettrait d’obtenir le droit d’installer le quai. La Ville refuse de donner suite à leur demande puisqu’elle nie le droit des demandeurs à l’installation du quai.
[5]
Elle réplique par une demande d’enlèvement du quai fondée sur l’article
[6] Le 3 mars 2003, le demandeur fait l’acquisition d’une résidence située au [...], érigée sur le lot numéro 30-142 du cadastre officiel du Québec. Sa conjointe Sophie Goyette, également demanderesse, en devient copropriétaire indivise le 21 avril 2010[3].
[7] La propriété est située du côté de la rue qui ne fait pas front sur le lac. L’accès au lac est rendu possible par une servitude de passage consentie sur des lots faisant front au lac et dont la Ville est devenue propriétaire.
[8] L’acte notarié créant la servitude de passage est publiée au registre foncier le 29 juin 1965. Il se lit comme suit[4] :
[…] la partie de première part crée, par les présentes, une servitude réelle et perpétuelle de passage sur lesdits lots 30-144, 30-141, 31-3 ci-dessus décrits, en faveur du dit lot 30-142 ci-dessus décrit appartenant à la partie de seconde part, présente et acceptant.
La présente servitude est accordée aux conditions suivantes :
1. La partie de première part se réserve le droit d’accorder semblable servitude de passage sur les dits lots, 30-144, 30-141, 31-3 en faveur de tous autres emplacements avoisinants.
2. Tous les travaux de construction et d’entretien des dits lots 30-144, 30-141, 31-3 concernant le chemin ou droit de passage, seront à la charge de la partie de seconde part, ses ayants droits et ayants causes, à frais communs avec tous ceux y ayant droit.
[Soulignement ajouté]
[9] Les pièces P-2a) et D-6 permettent de comprendre la situation des lieux. Il s’agit d’une part, d’un plan montrant la subdivision des lots et qui est joint à l’acte de servitude P-2 et d’autre part, d’un plan de localisation et de piquetage.
[10] En résumé, la servitude de passage se situe sur 3 lots :
· Lot 30-144: il s’agit de la rue Baron-Louis-Empain;
· Lots 30-141 et 31-3 : il s’agit de deux lots donnant sur le lac Masson.
[11] Le 5 novembre 1975, la Ville fait l’acquisition de gré à gré des lots en cause[5].
[12] Vers l’année 2011, les demandeurs contemplent l’idée d’y installer un quai. Ils jugent ne plus pouvoir bénéficier pleinement de la servitude. Ils soutiennent que le lac est difficile d’accès à l’emplacement de la servitude.
[13] Conformément à des procédures judiciaires récemment modifiées, ils soutiennent maintenant que les lieux sont constitués aussi d’un escarpement d’une hauteur de 8 pieds, les privant de la pleine jouissance de leurs droits.
[14] Afin de mettre leur projet à exécution, le 29 juin 2018, ils rencontrent la mairesse de la Ville, madame Gisèle Dicaire.
[15] Une fois dans le bureau de la mairesse, documents, photos et jurisprudence à l’appui, les demandeurs lui exposent leurs droits et justifient leur démarche. Ils ont bien l’intention d’installer un quai puisqu’ils ne font qu’exercer leurs droits.
[16] La mairesse les écoute attentivement. Elle est réceptive et ouverte.
[17] À la fin de la réunion elle les remercie et leur indique qu’elle soumet le tout à la directrice générale, madame Julie Forgues qui fera le suivi et qui les contactera.
[18] Pour les demandeurs, il s’agit d’un acquiescement à la demande et l’obtention de l’accord définitif de la Ville n’est qu’une question de formalité.
[19] Dès le lendemain, soit le 30 juin 2018, ils procèdent à l’achat d’un quai[6]. Ils n’en informent pas la Ville.
[20] Au début du mois de juillet 2018, le demandeur requiert de la Ville qu’elle vienne visiter les lieux. Il veut convenir de façon définitive de l’endroit où le quai sera installé.
[21] Le 5 juillet 2018, madame Manon Desloges, inspectrice en environnement, se rend sur les lieux et y rencontre le demandeur.
[22] Elle n’a vu aucun document, ni aucun titre et encore moins l’acte de servitude.
[23] Le demandeur et madame Desloges inspectent les lieux. Il lui dit qu’il entend exercer les droits que lui confère l’acte de servitude et qu’il installera un quai sur le terrain de la Ville.
[24] N’ayant pas analysé les documents auxquels le demandeur réfère, elle ne soulève pas d’objection et demeure neutre. Le demandeur témoigne qu’elle lui indique toutefois que pour installer un quai, il doit payer les 100 $ requis par la règlementation.
[25] Pour le demandeur, cette neutralité et cette absence de contestation de l’inspectrice constituent un acquiescement. Pour lui, tout se passe pour le mieux et par le biais de la mairesse et de l’inspectrice, la Ville acquiesce à la démarche.
[26] Madame Desloges témoigne qu’elle parle en tout temps au conditionnel puisqu’elle n’a pas vu les actes d’acquisition et de servitude.
[27] Elle mentionne à Monsieur qu’un certificat d’autorisation est requis pour l’installation d’un quai et qu’un montant de 100$ doit être payé pour l’obtention du certificat d’autorisation. Il s’agit d’une démarche préalable à l’étude du dossier.
[28] En réponse aux interrogations du demandeur, elle l’informe d’un amendement à venir de la règlementation en cours quant aux superficies acceptables des quais. La Ville veut l’arrimer à la règlementation des autres municipalités qui bordent le lac.
[29] Elle lui dit de continuer ses démarches avec la mairesse et avec madame Forgues. Elle lui indique qu’elle pourra l’aider à remplir la paperasse nécessaire à l’étude de la demande d’émission du certificat d’autorisation.
[30] Le 6 juillet 2018, la demanderesse téléphone au bureau de la mairesse pour faire un suivi. Elle ne reçoit pas de retour d’appel de cette dernière mais la directrice générale, madame Forgues, l’appelle pour fixer une rencontre.
[31] La rencontre a lieu le 10 juillet 2018. Sont présents les demandeurs, madame Forgues et monsieur Simon Provencher, urbaniste de la Ville (l’urbaniste).
[32] Les demandeurs sont encouragés et les échanges sont cordiaux.
[33] Pour l’urbaniste une chose demeure claire : aucune décision n’est arrêtée. Il en avise les demandeurs. Il leur dit que la Ville doit vérifier la situation avec ses avocats et obtenir une opinion juridique à cet égard. Il pourra leur revenir par la suite.
[34] Le 18 juillet 2018, l’urbaniste leur revient. Il a obtenu l’opinion juridique requise.
[35] Il leur transmet un courriel[7]. Il confirme l’existence d’une servitude de passage mais nie le droit des demandeurs à l’installation d’un quai.
[36] Il ajoute : « l’endroit est très praticable là où il y a un peu de sable. Voir photo en annexe. Il n’y a pas non plus d’algues qui empêchent votre passage. Selon notre règlementation, chaque propriété a droit à un seul accès au lac.[8]»
[37] Au préalable, l’urbaniste visite les lieux : ne portant que de simples souliers de travail, il peut se rendre facilement au lac. Au moment de sa visite, il constate que la servitude comprend un petit bout de plage qui est identifié au plan produit[9]. La baignade est praticable sans nécessité de quai. La grosse roche plate qui se trouve sur le bord de la berge et de la plage n’est pas glissante et l’accès à l’eau se fait sans dangerosité.
[38] Le demandeur admet que par le passé, il s’est baigné à cet endroit sans utiliser de quai.
[39] Le 18 juillet 2018, les demandeurs installent le quai acheté le 30 juin 2018.
[40] Dès que la Ville est avisée de la situation, elle leur transmet une lettre et les somme d’enlever le quai. La lettre est signée le 19 juillet 2018 par Robert Geoffroy, inspecteur en urbanisme et signifiée aux demandeurs le même jour.
[41] Il y est mentionné que le quai est installé sans certificat d’autorisation et que les demandeurs doivent le démanteler dans les 3 jours de la signification de la lettre, à défaut de quoi des procédures judiciaires suivront, incluant l’émission d’un constat d’infraction.
i. L’assiette de la servitude
[42] Les demandeurs se méprennent sur l’assiette de la servitude dont la superficie est supérieure à ce qu’ils avancent au cours de leur témoignage.
[43] En analysant les témoignages, les pièces P-2a) et D-6 ainsi que les photos produites en preuve, le Tribunal est à même de constater que la superficie de la servitude est plus importante que ce que les demandeurs avancent dans leurs témoignages respectifs.
[44] Elle comprend un bout de plage que les demandeurs qualifient comme étant celle de monsieur Varin, le propriétaire du lot voisin. À ce sujet, la preuve ne peut supporter l’argument mis de l’avant, puisqu’il est démontré que la Ville est aussi propriétaire d’une partie de la plage.
[45] À cet endroit, tout comme pour une bonne partie de la servitude de passage, l’accès au lac ne cause pas problème. Certes, il existe un escarpement de quelques pieds sur une partie de la servitude mais cet escarpement n’empêche pas les demandeurs d’exercer leurs droits puisqu’ils peuvent avoir accès au lac sans embûche à partir de la grande majorité de l’étendue de la servitude.
ii. L’acquiescement de la Ville et le certificat d’autorisation
[46] Le Tribunal ne peut retenir que les rencontres des demandeurs avec les représentants de la Ville, élus ou non, constituent quelque forme que ce soit de demande de permis ou de certificat d’autorisation ou encore d’acquiescement au projet de quai.
[47] La jurisprudence et les auteurs reconnaissent unanimement qu’une demande de permis ou de certificat d’autorisation ne peut se faire que selon les conditions de la règlementation. En l’espèce, il doit s’agir d’une demande écrite qui doit être adressée aux autorités compétentes et qui doit être accompagnée des documents pertinents.
[48] Pour avoir droit à un permis, la demande doit être substantiellement complétée, à défaut de quoi, l’on ne peut avoir de droit à l’émission du permis. Un permis ne peut être demandé verbalement.
[49] En l’absence de demande de certificat d’autorisation ou de permis, le pourvoi en révision judiciaire des demandeurs est donc voué à l’échec. Il ne peut y avoir de refus d’une demande de permis inexistante.
[50] Il est par ailleurs également reconnu par la jurisprudence qu’une municipalité ne s’exprime que par règlement ou résolution de son Conseil. À ce sujet, le Tribunal réfère notamment à l’arrêt de la Cour suprême : Air Canada c. Dorval (Cité de)[10].
[51] Dans un tel contexte, bien que la mairesse puisse avoir été rassurante et polie, ses paroles ne peuvent d’aucune façon lier la municipalité. Il en va également pour les fonctionnaires municipaux, sauf évidement s’il existe un règlement de délégation de pouvoirs adopté conformément à la Loi.
[52] Ce principe a d’ailleurs été réitéré par l’honorable juge Wagner de la Cour suprême dans Immeubles Jacques Robitaille c. Québec (Ville de)[11] :
[25]
Bien qu’une municipalité n’ait pas l’obligation de prendre tous les
moyens à sa disposition pour assurer le respect de ses règlements, et qu’elle
ne puisse être contrainte de les appliquer (art.
[Soulignement ajouté]
[53] De toute façon, ni la mairesse, ni les représentants de la Ville n’ont laissé croire aux demandeurs qu’une décision finale était prise.
[54] La rencontre avec monsieur Provencher et la directrice générale au cours de laquelle les demandeurs sont informés que la Ville consultera ses avocats avant de leur revenir en est l’une des démonstrations.
[55] Les demandeurs ont agi trop rapidement même si leur bonne foi n’est pas en cause.
[56] Leur compréhension d’un acquiescement de la Ville était manifestement erronée. Les agissements et propos des représentants de la Ville constituaient sans contredit une vérification diligente, ce que les demandeurs ne pouvaient ignorer.
[57] Ils devaient faire preuve de patience et s’abstenir d’installer leur quai, dans la mesure où aucune décision finale n’avait été prise ou qu’aucun certificat d’autorisation n’avait été émis.
iii. Le droit au quai et l’accès
[58] Quant au droit à l’installation d’un quai ou d’un escalier, la jurisprudence est constante. Dans l’affaire Bordeleau c. Nantel[12], l’honorable Pierre Dallaire de cette Cour écrit :
[124] Quant aux demandeurs, il ressort clairement de leur témoignage qu’ils savent que leur droit de passage jusqu’au lac ne leur donne aucun « droit de plage » sur ce qu’ils reconnaissent être la plage privée des défendeurs [35].
[59] Dans cette affaire le juge Dallaire réfère à plusieurs jugements voulant qu’un acte de servitude doit être interprété de manière restrictive en faveur du fond servant et qu’une servitude de passage vers le lac n’inclut pas le droit à l’installation d’un quai[13]. Il s’exprime comme suit :
[125] […] un acte de servitude s’interprète de manière restrictive, en faveur du fonds servant. […] une servitude de passage vers le lac n’inclut pas le droit à l’installation d’un quai […]
[…]
[132] Le seul élément un tant soit peu discutable ici est la question de la mise en place d’un quai fixe ou d’une plate-forme située à quelques pieds de la rive. Si la jurisprudence est claire à l’effet qu’un droit de passage donnant accès au lac ne permet pas d’y construire un quai [44] rattaché à la rive, on peut s’interroger sur le droit d’implanter dans le lac qui fait partie du domaine public une plate-forme qui ne touche pas à la rive mais sur laquelle on peut « sauter » à partir de la rive.
[60] Au paragraphe 134 du même jugement, le juge Dallaire écrit :
[134] Il n’y a donc pas lieu, dans le présent dossier, de « déclarer » les droits des parties découlant de la servitude de passage. Le résumé que fait l’auteur Pierre-Claude Lafond [46] de ce qui est inclus ou non dans une servitude d’accès à un lac est amplement suffisant pour guider une personne de bonne foi. Il écrit :
«2062. L'exercice d'une servitude d'accès à un lac - qui inclut implicitement un droit de passage - autorise son titulaire à utiliser le plan d'eau, à y pratiquer des activités aquatiques (baignade, pêche, circulation en embarcation) et à entreposer de l'équipement nautique léger sur l'assiette du droit de passage et sur la grève.
Langevin c. Gestion François Cousineau inc.
Cutler
c. Deslauriers,
Pelletier
c. Leroux,
Roy
c. Lacasse,
Bernèche c. Diioia,
Lefebvre c. Fraichot,
Béland c. Bériau,
Pareille servitude de passage vers un lac autorise son titulaire à y transporter des embarcations pour leur utilisation (y compris en véhicule). Si elle permet de laisser au bord de l'eau des embarcations pendant une courte période, par exemple pendant la période estivale, elle n'inclut toutefois pas le droit d'y laisser de l'équipement en permanence.
Roy
c. Lacasse,
Lefebvre c. Fraichot,
À l'inverse, elle n'autoriserait pas le droit d'utiliser les abords du lac ou le parc riverain pour y faire des pique-niques et des feux de camp, y prendre des bains de soleil, s'en servir comme terrain de jeux ou pour y séjourner. Ces privilèges sont réservés au titulaire d'une servitude de plage.
Pelletier c. Leroux,
Roy
c. Lacasse,
Dunn
c. Léveillé,
Lefebvre c. Fraichot,
[61] Dans l’affaire Roy c. Lacasse[14], le juge Martin Bureau de cette Cour, écrit dans un même contexte:
[111] À ce titre, il apparaît assez clair tant de la doctrine que de la jurisprudence que le droit de passage ne permet pas d'y stationner des véhicules, sauf pour de courtes périodes servant à l'embarquement ou au débarquement d'objets ou de personnes. Le droit de passage vers le lac inclut certainement le droit de s'y baigner et d'y laisser pendant la baignade des objets personnels légers et des vêtements. Il ne permet pas toutefois de s'y installer avec des chaises ou d'y manger. Il ne permet pas non plus de l'utiliser comme terrain de jeux.
[112] Il y est permis de laisser en bordure du lac pour des périodes ne dépassant pas quelques heures un équipement nautique léger, tel une chaloupe, un canot ou un pédalo mais non pas de l'y entreposer pour plus d'une demi-journée.
[113] Il est permis à des invités d'accoster sur le rivage avec leurs embarcations dans les limites de la largeur du droit de passage (20 pieds) pour y laisser monter ou descendre des passagers en autant que le libre accès pour les autres usagers ne soit pas entravé.
[114] Il est également permis aux usagers d'y faire transiter pendant la période hivernale les équipements permettant l'installation sur le lac de cabanes à pêche, en autant que les réglementations municipales et provinciales l'autorisent. Il est permis de reprendre ces équipements en fin de saison.
[62] Dans l’affaire Kose c.Trinh[15], le Tribunal s’exprime comme suit :
[18] Cela étant, il nous faut aussi composer avec la règle jurisprudentielle selon laquelle un droit de passage permettant d’accéder à un lac n’emporte pas le droit d’y construire un quai en l’absence de précision à cet effet dans l’acte de servitude [11] :
[…]
[63] Le Tribunal précise toutefois au paragraphe 19 du même arrêt :
[19] Or, cette règle ne s’applique pas avec la même rigueur lorsque l’usage du quai est nécessaire à l’exercice de la servitude comme le prescrit l’article 1177 in fine du Code civil du Québec [12].
[64] Dans l’arrêt Charbonneau c. Moreau[16], traitant d’une servitude de passage, la Cour d’appel s’exprime comme suit :
[97]
Le droit d’utiliser un quai ne s’y trouve pas. La servitude de passage
vers le lac ou d’accès au lac n’emporte pas l’usage du quai. La servitude
s’étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice selon l’article
[65] Dans l’arrêt Green c. Biron[17], la Cour d’appel écrit :
[38] Il y a donc lieu ici d'appliquer la règle jurisprudentielle qu'une servitude permettant l'accès à un lac n'entraîne pas l'usage d'un quai si cet usage n'est pas nécessaire ou si les titres ne font pas voir que le droit de passage est assorti du droit à l'installation ou à l'usage d'un quai [8]. […]
[66] Le Tribunal réfère également au jugement du juge Claude Villeneuve, dans Bouchard c. Ste-Catherine-de-Hatley (Municipalité de)[18] :
[56] Dans un tel cas, la jurisprudence est à l’effet qu’une servitude de passage vers le lac ou d’accès au lac ne confère pas, en règle générale, le droit d’installer un quai [32].
[67] En l’espèce, il s’agit d’une servitude de passage. En conséquence, les demandeurs ne peuvent y installer un quai.
[68] Au surplus, la preuve ne justifie pas l’installation d’un quai puisqu’une telle installation n’est pas nécessaire à l’exercice de la servitude de passage.
[69] L’assiette de servitude est d’une largeur suffisante pour permettre aux demandeurs d’en jouir pleinement, sans l’érection d’un escalier ou la pose d’un quai.
[70] Les demandeurs ont accès à une petite plage qui leur permet d’accéder librement et sans encombre au lac, prenant toujours pour acquis que l’acte de servitude ne leur confère qu’un droit de passage vers le lac. Ils ont aussi accès à une partie du terrain de la Ville, libre d’obstacles à la baignade.
[71] En d’autres mots, les lieux visés par la servitude ne sont pas escarpés dans son ensemble. Au contraire, le lac est accessible pleinement via la servitude et la situation des lieux.
[72] Dans un tel contexte, la demande d’ordonnance mise de l’avant par les demandeurs doit être rejetée.
iv. La révision judiciaire
[73] La révision judiciaire quant à l’émission d’un permis doit également être rejetée puisque l’on ne peut réviser une décision qui n’a pas eu lieu, c’est-à-dire, un refus de permis, la Ville n’ayant reçu aucune demande à cet effet.
[74] Les tribunaux exigent que pour avoir droit au recours en révision judiciaire, anciennement le mandamus, la demande de permis doit être substantiellement complète. Ici, il y a absence complète de demande de permis.
CONCLUSIONS
[75] Compte tenu de la situation des lieux et de la possibilité d’exercer pleinement les droits conférés par la servitude de passage sans l’érection d’un quai ou d’un escalier, le Tribunal ne peut faire droit à la demande.
[76] Également, Le Tribunal ne révisera pas le refus d’émission du permis puisque la demande est inexistante.
[77] Il n’y a, par ailleurs, pas lieu d’émettre d’ordonnance de ne pas entraver l’exercice paisible de la servitude puisqu’aucune preuve ne permet de conclure que la Ville empêche l’exercice paisible de la servitude.
[78] Il n’y a pas non plus lieu, d’ordonner à la défenderesse de compléter l’annexe D du formulaire P-9 puisque la défenderesse, exerçant son droit de propriété ou de refus, peut refuser de compléter le formulaire. Il n’y a aucune assise juridique qui permette d’ordonner à la défenderesse de compléter ce formulaire.
[79] Comme le quai est toujours amarré ou installé, la demande reconventionnelle sera accueillie puisqu’elle est fondée sur l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[19].
[80] Il s’agit d’une situation où la discrétion judiciaire doit être exercée en faveur de la Ville, compte tenu des circonstances et de l’absence de droits des demandeurs.
[81] REJETTE la demande introductive d’instance modifiée, pourvoi en contrôle judiciaire et ordonnance de sauvegarde des demandeurs;
[82] ACCUEILLE la défense modifiée (2) et demande reconventionnelle datée du 24 avril 2019;
[83] DÉCLARE que la servitude des demandeurs ne permet pas l’installation d’un quai, ni d’un escalier;
[84] ORDONNE aux demandeurs d’enlever leur quai, et ce, dans les quarante-cinq (45) jours du présent jugement;
[85] AUTORISE la défenderesse à enlever le quai des demandeurs à leur frais, à défaut par les demandeurs de se conformer au présent jugement;
[86] LE TOUT sans frais, compte tenu des circonstances et de la bonne foi des demandeurs.
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__________________________________BERNARD SYNNOTT, j.c.s. |
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Me Josée Bergeron |
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PERRON, GRÉGOIRE |
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Pour les demandeurs |
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Me Pascal Comeau |
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PRÉVOST, FORTIN, D’AOUST |
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Pour la défenderesse |
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Me Karine Godhue |
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MINISTÈRE DE LA JUSTICE (DGAJLAJ) |
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Pour le mis-en-cause |
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Date d’audience : |
30 avril 2019 |
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[1]
Comme le permet l’article
[2] L.R.Q., c. A-19.1.
[3] Pièce P-1 en liasse.
[4] Pièce P-2, extrait.
[5] Pièce P-3.
[6] Pièce P-4.
[7] Pièce P-5.
[8] Idem.
[9] Pièce D-6.
[10]
[11] [2014] 1 R.C.S., p. 794, par.25.
[12]
Bordeleau c. Nantel,
[13]
Green c. Biron,
[14]
[15]
Kose c. Trinh,
[16]
[17]
[18]
[19] Voir note 2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.