Décision

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R. c. C.P.

2021 QCCS 4382

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre criminelle)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-01-204299-207

 

 

 

DATE :

15 OCTOBRE 2021

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MYRIAM LACHANCE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

SA MAJESTÉ LA REINE

POURSUIVANTE

c.

 

C... P...

ACCUSÉE

 


____________________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Ordonnance interdisant la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’une victime ou d’un témoin âgé de moins de dix-huit ans selon l’art. 672.501(3) C. cr.)

____________________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]           Le procès devant jury de C... P... devait débuter le 5 octobre 2021, concernant sur les chefs d’accusation suivants :

1.  Le ou vers le 25 avril 2020, à Ville A, district de Montréal, a causé la mort de X, commettant ainsi un meurtre au deuxième degré, l’acte criminel prévu à l’article 235 du Code criminel;

2.  Le ou vers le 25 avril 2020, à Ville A, district de Montréal, a tenté de causer la mort de Y, en la poignardant, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 239(1)b) du Code criminel.

[2]           Cependant, les parties ont demandé à ce que l’accusée soit jugée sans jury par un juge d’une cour supérieure de juridiction criminelle[1] puisque la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux au sens de l’article 16 du Code criminel (C. cr.) n’est plus contestée.

[3]           Ce changement de position fait suite à une contre-expertise demandée par la poursuite qui conclut, à l’instar de celle de la défense, que C... P... a commis les actes reprochés alors qu’elle était atteinte, à ce moment, de troubles mentaux de façon à la dégager de sa responsabilité criminelle.

[4]           Les parties ont choisi de procéder par un exposé conjoint des faits et cette preuve établit hors de tout doute raisonnable la commission des gestes reprochés à l’accusée quant aux deux chefs d’accusation.

[5]           Deux experts en psychiatrie légale ont aussi été entendus et leurs rapports d’expertises déposés en preuve.

[6]           Cette preuve d’expert démontre de façon prépondérante la présence d’un trouble mental au moment de la commission des gestes reprochés de façon à ce qu’il fût plus probable que le contraire que ce trouble mental privait l’accusée de la capacité de savoir que ses actes étaient mauvais.

[7]           En conséquence, un verdict de non-responsabilité criminelle s’impose et une ordonnance de détention dans un hôpital selon certaines modalités doit être prononcée.

1.            LE CONTEXTE

[8]           C... P..., qui n’a aucun antécédent judiciaire, a été arrêtée le 25 avril 2020, immédiatement après les gestes reprochés.

[9]           Mme P... a été hospitalisée compte tenu de blessures auto-infligées et a subi une chirurgie pour un trauma pénétrant au niveau thoracique. Elle a comparu le 27 avril 2020, alors qu’elle était encore hospitalisée, amenée dans un centre de détention le 30 avril 2020 et transférée à l’unité médicolégale de l’Hôpital et centre d’hébergement en santé mentale (HCHSM) de Shawinigan le 1er mai 2020.

[10]        Elle y est demeurée détenue jusqu’à son transfèrement dans un centre de détention pour la tenue du présent procès.

[11]        La commission des gestes reprochés à Mme P... n’est pas contestée et un exposé conjoint des faits[2] a été déposé à titre de preuve de ces gestes. Il convient de le reproduire ici :

      i.        L’accusée, C... P..., a été en couple avec monsieur A... D... durant de nombreuses années. Deux filles sont nées de cette union : Y (5 ans) et X (11 ans). Au moment des évènements, le couple vit séparément et se partage la garde de leurs deux filles.

    ii.        Le 25 avril 2020, l’accusée C... P... se rend chez son ex-conjoint, monsieur D..., pour y passer l’après-midi en compagnie de ses deux filles, ce qui arrivait fréquemment. Y joue au soccer dans la cour avec ses parents, alors que X s’amuse avec son cellulaire à l’intérieur.

   iii.        Une fois rentrés, monsieur D... et l’accusée consomment une bière et discutent pendant que les filles jouent à la PS4 et sur leur cellulaire. Monsieur D... est inquiet de certains propos tenus par l’accusée qui lui font peur. Il lui demande de cesser, ce que cette dernière fait immédiatement.

   iv.        Ils finissent par s’installer sur le balcon extérieur de l’appartement situé au rez-de-jardin pour poursuivre leur conversation. Monsieur D... rapporte que l’accusée lui demande de reprendre la vie commune ce que ce dernier refuse. Monsieur D... rapporte que l’accusée pleure, dit ne pas comprendre pourquoi il ne veut pas, et rentre à l’intérieur. Monsieur D... reste à l’extérieur quelques minutes.

     v.        Il entend alors une de ses filles hurler. Il se précipite à l’intérieur de l’appartement et découvre ses filles ensanglantées sur le divan du salon. Il voit l’accusée se poignarder au thorax avec un couteau, lui attrape les mains pour l’empêcher de se blesser et la repousse à l’extérieur de l’appartement en hurlant à l’aide auprès de ses voisins.

   vi.        Y rapporte que sa mère s’est avancée sur sa sœur et elle en courant avec un couteau à la main, qu’elle a d’abord poignardé sa sœur avant de lui donner deux coups de couteau au thorax. 

  vii.        Monsieur D..., de même que plusieurs de ses voisins, contactent le 911. Il tente de porter secours à ses filles. Les premiers policiers arrivés sur les lieux vont s’affairer à prodiguer les premiers soins à X et Y. L’accusée est arrêtée dans l’entrée de l’immeuble.

 viii.        X est déclarée morte à l’hôpital dans les minutes suivant son arrivée. Son décès est attribuable à un traumatisme cardiothoracique par arme piquante et tranchante, soit un coup de couteau ayant causé une blessure mortelle qui l’a atteinte au cœur. Quant à Y, elle a le poumon et le diaphragme perforés par les deux coups de couteau reçus. Elle est transportée à l’hôpital et subit une intervention chirurgicale pour ses blessures.

   ix.        Suite à l’intervention de Monsieur D..., l’accusée se retrouve sur le palier de l’entrée de l’immeuble de son ex-conjoint. Interpellée par une voisine, elle a admis avoir fait du mal à ses enfants. Elle tiendra les mêmes propos à quelques infirmières lors de son hospitalisation.

     x.        L’accusée déclare à la première policière arrivée sur les lieux qu’elle avait fait une psychose. Elle mentionne cependant qu’elle n’a aucune blessure. Les premiers répondants ainsi que les voisins de Madame P... vont la décrire comme ayant un regard fixe, sans émotion, quoiqu’elle collabore et répond bien aux demandes faites par les policiers.

   xi.        Ce n’est que lors de son transport vers le centre de détention que les policiers sont informés que l’accusée s’est auto-infligée des blessures importantes. Questionnée à nouveau sur son état de santé, l’accusée répond qu’elle s’est poignardée au cœur. Elle est transportée à l’Hôpital Sacré-Cœur où elle subit une chirurgie majeure. Elle y sera hospitalisée jusqu’au 30 avril 2020 date à laquelle elle est transférée au centre de détention Leclerc.

[12]        Outre cet exposé des faits, la défense a fait entendre la Dre Marie-Frédérique Allard à titre d’experte en psychiatrie légale. Elle a déposé deux rapports, soit un premier confectionné le 28 juin 2020[3] concernant l’aptitude à comparaitre de Mme P... et un deuxième relatif à l’évaluation de sa responsabilité criminelle daté du 31 août 2020[4].

[13]        De son côté, la poursuite a fait entendre le Dr Gilles Chamberland, aussi en tant qu’expert en psychiatrie légale. Il a déposé son rapport daté du 29 septembre 2021[5], concernant la responsabilité criminelle de Mme P....

[14]        Les deux experts concluent que C... P... a commis les actes reprochés alors qu’elle était atteinte, à ce moment, d’un trouble mental et qu’il est plus probable que le contraire que ce trouble mental la privait de la capacité de savoir que ses actes étaient mauvais.

2.            L’ANALYSE

2.1  La preuve de la commission des infractions

[15]        La première étape du présent procès consiste à déterminer si la poursuite a démontré, hors de tout doute raisonnable, la commission des gestes reprochés à l’accusée.

[16]        Cette preuve n’est pas contestée et ressort de l’exposé conjoint des faits qui établit que Mme P... a commis l’acte illégal de poignarder les deux victimes au thorax et que cet acte a causé la mort de X.

[17]        Une fois cette étape franchie, il y a lieu d’analyser l’application du paragraphe 16(1) C. cr. qui prévoit que « la responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais ».

2.2  La défense de trouble mental selon l’article 16 C. cr.

[18]        La présomption ne pas avoir été atteint de troubles mentaux peut être renversée par prépondérance des probabilités selon le paragraphe 16(2) C. cr.

[19]        Dans l’affaire Tran[6], mon collègue le juge Labrie adhérait aux propos du juge Boucher dans le dossier Jutras[7] qui résumait l’application de ce moyen de défense :

[10] Ce moyen de défense repose sur le principe voulant que la responsabilité criminelle soit fondée sur la volonté morale du délinquant. Le moyen de défense doit être établi selon un test à deux volets. D’abord, le délinquant doit avoir été atteint d’un trouble mental au moment des actes qui lui sont imputés. Ensuite, le trouble mental doit avoir engendré l’une ou l’autre des situations suivantes: soit que l’accusé était incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes, soit qu’il était incapable de savoir que ses actes étaient mauvais (voir notamment: R. c. Bouchard-Lebrun, [2011] 3 R.C.S. 575; R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290; R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99; R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; R. c. Turcotte, 2013 QCCA 1916).

[20]        Dans le présent dossier, les deux volets de cette défense sont démontrés de façon prépondérante par la preuve d’expert émanant des deux parties.

[21]        Du côté de la défense, deux rapports de la psychiatre Marie-Frédérique Allard ont été déposés en preuve.

[22]        En complément à ces deux rapports, la psychiatre Allard a témoigné afin de préciser certains aspects de son diagnostic voulant que l’accusée souffrait d’un trouble psychotique non spécifié au moment des gestes reprochés.

[23]        L’extrait suivant du rapport d’évaluation de la responsabilité criminelle de Mme P... daté du 31 août 2020, résume bien l’opinion la psychiatre Allard:

En plus de l’examen psychiatrique formel, des propos rapportés par madame P..., des informations collatérales obtenues de la part de sa famille, d’autres informations confirment ou évoquent que madame souffrait d’un trouble psychotique au moment des gestes du 25 avril 2020, notamment les messages envoyés à sa sœur M… et à monsieur G… T…, l’évaluation psychiatrique effectuée par le docteur Desjardins, le témoignage de madame L… B…, l’interrogatoire de madame P... en date du 26 avril, etc.

À mon avis, il ne fait aucun doute qu’au moment des gestes délictueux du 25 avril 2020, que madame P... souffrait d’un trouble psychotique. Je précise que ni l’alcool ni la consommation de cannabis ne peuvent expliquer ce trouble psychotique et malgré que madame ait pu consommer de l’alcool et un peu de cannabis lors de cette soirée, qu’elle ne souffrait pas d’un trouble psychotique induit par une consommation volontaire de substances.

[…]

Il faut aussi se questionner sur le lien direct entre les symptômes de ce trouble mental et les gestes que madame a posés. Je considère que madame P... a agi directement sur ses convictions délirantes que sa vie et celle de ses filles étaient en danger. Au moment des gestes délictueux, madame P... souffrait d’un trouble psychotique qui n’altérait pas nécessairement sa capacité de juger de la nature ou de la qualité de ses actes. Dans un sens, madame P... avait la capacité de juger de la conséquence physique de ses gestes, soit de savoir que poignarder ses filles pouvait causer leur mort. Par contre, madame P..., en raison des symptômes psychotiques qui l’affectaient, n’avait plus la capacité de faire un choix rationnel sur le caractère bon ou mauvais de ses comportements. Sa capacité générale de distinguer le bien du mal était préservée, mais elle ne pouvait appliquer rationnellement cette connaissance dans la situation où elle se trouvait. Son état psychotique la privait de son jugement et altérait grandement sa perception de la réalité. Dans ce sens, le trouble psychotique dont elle souffrait la rendait incapable de savoir que l’acte qu’elle posait était mauvais dans les circonstances. 

J’en arrive donc à la conclusion, qu’à mon avis, les critères de l’article 16 du Code criminel canadien étaient remplis au moment des gestes délictueux.

La condition psychiatrique de madame P... s’est certes améliorée depuis le début de son séjour hospitalier, mais elle demeure encore très fragile. Madame nécessite toujours des soins médicaux intrahospitaliers et elle nécessite toujours la prise d’une médication adaptée à sa condition mentale. C’est pourquoi je recommande que madame P... demeure hospitalisée dans notre établissement pendant la durée des procédures judiciaires.[8]

[Soulignement ajouté]

[24]        De son côté, la poursuite dépose un rapport d’expertise psychiatrique daté du 29 septembre 2021, rédigé par le Dr Gilles Chamberland qui rend un diagnostic de « trouble du spectre de la schizophrénie (298.9 [DSM-V]), probable » et de « trouble psychotique induit par une substance, possible ».

[25]        Le psychiatre Chamberland a témoigné afin d’expliquer les fondements de son diagnostic et les extraits suivants de son rapport récapitulent adéquatement son opinion :

Avec les informations disponibles, le diagnostic à retenir pour Mme P... est celui d’un trouble du spectre de la schizophrénie. La psychose dont a souffert Madame s’est étendue sur une période de plusieurs mois. Elle semble avoir début [sic] par un délire érotomane où des éléments de persécution et de bizarrerie se sont ajoutés graduellement. Il ne s’agit pas simplement d’un trouble délirant, étant donné que Madame rapporte des idées de référence, alors que des liens non logiques étaient faits entre des paroles de chanson, des dates de naissance, des prénoms, avec des éléments de réalité auxquels Madame donnait des sens particuliers. Il est même question de symptômes propres à la schizophrénie tel que de recevoir des messages de la télévision ou de croire que les personnes ont changé d’identité.

[…]

En ce qui concerne l’intensité de la psychose vécue par Madame et les symptômes dont elle a souffert, ceux-ci sont de la nature à donner ouverture à l’article 16 du Code criminel canadien. En effet, la description que fait Madame de son état est de nature à l’empêcher de comprendre réellement le geste qu’elle pose, mais surtout à ne plus savoir que ce geste est mauvais.

Le récit que fait Madame de l’évolution de ses symptômes est tout à fait cohérent avec les connaissances médicales se rapportant à un tel trouble. De la même façon, les informations au dossier, la façon dont Madame avoir [sic] récupéré de cet épisode sont aussi cohérentes avec les connaissances psychiatriques sur le sujet. D’ailleurs, Madame nécessitera, selon nous, la prise d’une médication antipsychotique à très long terme. Sa fragilité fait en sorte que toute tentative, dans le futur, de retrait complet des antipsychotiques la mettrait à risque important de rechute.[9]

[Soulignement ajouté]

[26]        Le psychiatre Chamberland témoigne qu’il s’agit d’une des expertises les plus difficiles qu’il a eu à effectuer puisque les traits de personnalité limite de Mme P... ont complexifié son diagnostic.

[27]        Il explique que la psychose toxique demeure une possibilité compte tenu de l’histoire de consommation de Mme P..., mais que face à la preuve observée, il est plus probable qu’elle souffrait d’un trouble du spectre de la schizophrénie.

[28]        Ce diagnostic rejoint celui de la Dre Allard en ce sens tous deux sont d’avis que le 25 avril 2020, Mme P... souffrait d’un trouble psychotique d’une intensité telle que cela l’empêchait de savoir que les actes commis envers X et Y étaient mauvais.

[29]        Il importe également de souligner que les psychiatres Allard et Chamberland excluent toute simulation de symptômes psychotiques. Ces symptômes ont d’ailleurs évolué pendant plusieurs mois de façon à désorganiser sa pensée jusqu’au passage à l’acte qualifié de « très rapide ».

[30]        Les psychiatres Allard et Chamberland prennent soin de noter que le confinement et l’isolement résultant de la pandémie actuelle ont accentué l’investissement de Mme P... dans son délire de persécution et ses idées paranoïdes.

2.3  Les recommandations

[31]        Suite à un verdict de non-responsabilité criminelle, les psychiatres Allard et Chamberland recommandent que Mme P... poursuive la médication prescrite par son médecin traitant et qu’elle s’abstienne totalement de consommer des drogues, incluant du cannabis.

[32]        La psychiatre Allard soumet également une recommandation de détention dans un centre hospitalier, préférablement à l’Hôpital et centre d’hébergement en santé mentale (HCHSM) de Shawinigan, où elle traite l’accusée depuis mai 2020. Cette recommandation est appuyée sans réserve par le psychiatre Chamberland.

[33]        Finalement, la poursuite demande à ce que des interdictions de contacts soient imposées par la Cour afin de protéger certaines personnes affectées par le présent dossier.

[34]        Cette demande est reliée à la déclaration de victime rédigée par M. A... D....

[35]        Cette déclaration a été lue par la procureure de la poursuite, puisque M. D... ne souhaitait pas assister à l’audience, non pas par manque d’intérêt, au contraire, mais dans un souci de sérénité face à l’issue de ce procès.

[36]        Le présent verdict est difficile à accepter pour M. D.... Colère, peine, douleur et incompréhension l’habitent encore avec force, et cette situation est tout à fait compréhensible.  

[37]        Il a tout de même eu le courage d’écrire une longue lettre[10] pour lui et ses filles. Un père ne devrait jamais devenir le porte-voix de son enfant parce qu’il a été tué ou gravement blessé, de surcroit, quand un tel drame survient devant ses yeux.

[38]        Malgré tout, M. D... a réussi à partager l’impact que ce tragique évènement a eu sur leur vie. La perpétration de ces infractions par l’accusée a eu de nombreuses répercussions et elles se font encore sentir.

[39]        La petite X est morte à 11 ans. Elle était une enfant joyeuse, choyée et bien entourée. X aimait l’école, avait beaucoup d’amis et voulait poursuivre ses études afin de réaliser son souhait de devenir policière.

[40]        Le départ subit de X est d’autant plus triste et choquant qu’il est survenu dans les bras de son père et en présence de sa petite sœur Y.

[41]        Cette dernière pleure encore souvent la perte de sa grande sœur. Elle l’adorait. Y dort maintenant avec la douillette de sa sœur et lui souhaite bonne nuit avant de s’endormir.

[42]        Toutefois, Y fait encore de nombreux cauchemars et se réveille souvent en pleurs. Elle a des difficultés à l’école, a peur du noir, mais surtout, elle a peur des couteaux.

[43]        Lors des évènements, Y était âgée de 5 ans. Elle a été victime d’un important traumatisme physique. Les blessures infligées par un couteau ont laissé des traces et pendant des mois, elle a été incapable de regarder son corps. 

[44]        M. D... continue de veiller sur sa fille et lui apporte le réconfort dont elle a besoin. Il a aussi installé un petit le lieu de recueillement à la mémoire de X à la maison.

[45]        M. D... ne souhaite plus avoir aucun lien avec Mme P.... Il considère qu’elle a détruit sa vie et celle de ses enfants. Il veut maintenant passer à une autre étape et continuer son chemin sans devoir la croiser.

[46]        Mme P... s’est adressée à la Cour après la lecture de cette lettre. Elle a exprimé aimer ses enfants profondément et souhaiter que M. D... se porte mieux.

3.            LA CONCLUSION

[47]        Le présent procès s’est déroulé devant juge seul à la demande des parties puisque la commission des gestes reprochés et la défense de trouble mental n’étaient pas contestées.

[48]        Dans un premier temps, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits qui démontrent que C... P... a commis les gestes reprochés dans les deux chefs d’accusation, soit le meurtre non prémédité de X et la tentative de meurtre de Y, le 25 avril 2020, et ce hors de tout doute raisonnable.

[49]        Dans un deuxième temps, les parties ont chacune déposé une expertise en psychiatrie légale et fait témoigner leur expert, les psychiatres Marie-Frédérique Allard et Gilles Chamberland.

[50]        Cette preuve établit de façon prépondérante que lors de la commission des gestes reprochés, C... P... était atteinte, à ce moment, d’un trouble mental, soit une psychose décrite comme un trouble psychotique non spécifié par la Dre Allard et un trouble du spectre de la schizophrénie par le Dr Chamberland.

[51]        Ces opinions opinent dans le même sens, c’est-à-dire qu’au moment des évènements reprochés, Mme P... était aux prises avec un trouble mental qui la rendait incapable de distinguer le bien du mal.

[52]        En conséquence de la preuve analysée, la Cour doit rendre des verdicts de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux selon l’article 672.34 C. cr. concernant les deux chefs d’accusation.

[53]        Une audience en vertu du paragraphe 672.45(2) C. cr. permet aussi de déterminer la décision à rendre suite à ce verdict.

[54]        En application de l’article 672.54c) C. cr. la Cour a, d’une part, considéré la sécurité du public qui est le facteur prépondérant et, d’autre part, l’état mental de l’accusée, sa réinsertion sociale et ses autres besoins, ce qui mène à une décision ordonnant la détention de l’accusée dans un hôpital sous réserve de certaines modalités.

[55]        Comme suggéré par les psychiatres Allard et Chamberland, il est opportun de recommander que le mandat de détention, sous la responsabilité de la Commission d’examen des troubles mentaux, soit octroyé à l’Hôpital et centre d’hébergement en santé mentale (HCHSM) de Shawinigan.

[56]        Enfin, la Cour tient compte de la déclaration de M. D... en vue de fixer les modalités de cette détention[11].

[57]        Tel que demandé par la poursuite, il est souhaitable pour la sécurité de certains témoins, d’imposer à l’accusée, à titre de modalité de la décision, des interdictions de communication.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[58]        PRONONCE un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux à l’égard de Mme C... P... quant aux deux chefs d’accusation;

[59]        ORDONNE la détention de Mme C... P... dans un centre hospitalier en vertu de l’article 672.54c) du Code criminel;

[60]        ÉMET la recommandation que ce lieu de détention soit l’Hôpital et centre d’hébergement en santé mentale (HCHSM) de Shawinigan;

[61]        ORDONNE à l’accusée de prendre la médication prescrite par son médecin traitant;

[62]        INTERDIT à l’accusée de consommer des drogues et stupéfiants, incluant le cannabis, sauf sur prescription médicale validement obtenue;

[63]        INTERDIT à l’accusée de communiquer ou tenter de communiquer directement ou indirectement avec A... D... sauf dans le cadre de l’application de droits d’accès à l’égard de Y (2014-[...]) établis par un tribunal compétent;

[64]        INTERDIT à l’accusée de communiquer ou tenter de communiquer directement ou indirectement avec Y (2014-[...]) jusqu’à sa majorité, sauf en conformité avec les modalités d'accès prévues par un jugement émanant d'un tribunal compétent.

 

 

 

mYRIAM LACHANCE, j.c.s.

 

 

 

Me Jasmine Guillaume et Me Roxanne Laporte

Bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales

Procureures de la poursuivante

 

 

Me Véronique Robert et Me Yalda Machouf Khadir

Roy Robert, avocats

Procureures de l’accusée

 

 

Dates d’audience : 5, 8, 13 et 15 octobre 2021

 



[1]     Paragraphes 473(1) et (1.1) C. cr.

[2]     P-1 : Exposé conjoint des faits.

[3]     D-1 : Rapport d’évaluation de l’aptitude à comparaitre de C... P... rédigé par la psychiatre Marie-Frédérique Allard le 28 juin 2020.

[4]     D-2 : Rapport d’évaluation de la responsabilité criminelle de C... P... rédigé par la psychiatre Marie-Frédérique Allard le 31 août 2020.

[5]     P-2 : Rapport d’évaluation de la responsabilité criminelle de C... P... rédigé par le psychiatre Gilles Chamberland le 29 septembre 2021.

[6]     R. c. Tran, 2019 QCCS 5211

[7]     R. c. Jutras, 2017 QCCS 4629.

[8]     D-2 : Rapport d’évaluation de la responsabilité criminelle de C... P... rédigé par la psychiatre Marie-Frédérique Allard le 31 août 2020, p. 38-39.

[9]     P-2 : Rapport d’évaluation de la responsabilité criminelle de C... P... rédigé par le psychiatre Gilles Chamberland le 29 septembre 2021, p. 66-67.

[10]    P-3 : Déclaration de A... D... déposée en conformité avec le paragraphe 672.5(14) C. cr.

[11]    Article 672.541 et paragraphe 672.5(14) C. cr.

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