Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Service Sauvetage Animal c. Ville de Longueuil

2023 QCCS 3354

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

No :

505-17-013241-221

 

DATE :

31 août 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BERNARD JOLIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

SERVICE SAUVETAGE ANIMAL

et

FLORENCE MENEY

Demandeurs

c.

VILLE DE LONGUEUIL

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Défendeurs

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE POUR LA PRÉVENTION DE LA CRUAUTÉ ENVERS LES ANIMAUX

Tierce intervenante

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(SUR POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE)

______________________________________________________________________


Table des matières

I. APERÇU

II. LES QUESTIONS EN LITIGE

III. LE CONTEXTE

1. Question 1 : La Ville et le MFFP ont-ils une obligation d’équité procédurale envers les demandeurs, la SPCA ou les cerfs et, le cas échéant, ont-ils manqué à cette obligation?             

1.1 Principes juridiques applicables

1.2 Discussion

1.2.1 Meney, SSA, la SPCA

1.2.2 Les cerfs

1.2.3 Meney, SSA et la SPCA ont fait valoir leur point de vue.

2. Question 2 : Quelle norme de contrôle le Tribunal doit-il appliquer à la  Résolution et à la délivrance du Permis SEG?             

3. Question 3 : La Résolution et la délivrance du Permis SEG sont-elles déraisonnables?..

3.1 La recevabilité et la valeur probante de certains éléments de preuve

3.1.1 Les objections

3.1.1.1 Les articles de journaux et les vidéos

3.1.1.2 Les articles de revues scientifiques

3.1.1.3 Les déclarations sous serment

3.1.2 Les expertises

3.1.2.1 Le Rapport Stand

3.1.2.2 Le Rapport Autenne

3.1.2.3 Le Rapport Giroux

3.1.2.4 Le Rapport Cadieux-de Bellefeuille

3.2 Le cadre juridique

3.2.1 La Ville

3.2.2 Le MFFP

3.2.3 L'article 898.1 du Code civil du Québec (C.c.Q.)

3.3 La raisonnabilité de la Résolution et de la délivrance du Permis SEG

3.3.1 La Résolution

3.3.1.1 Historique

3.3.1.2 Les enjeux posés par la surpopulation de cerfs

3.3.1.3 Les solutions envisagées

3.3.2 La délivrance du Permis SEG

3.3.2.1 L’efficacité de la méthode

3.3.2.2 La validation de la taille de l’échantillonnage

3.3.2.3 La vérification des mesures préventives ou correctrices

3.3.2.4 L’éthique et le bien-être animal

3.3.3 Discussion

3.3.3.1 Incohérence du raisonnement

3.3.3.2 Le choix de la méthode de la chasse contrôlée à l’arbalète

3.3.3.2.1 Méthodes alternatives

3.3.3.2.2 Une décision raisonnable

IV. CONCLUSION

 

  1. APERÇU

[1]                Pour le bonheur des uns et au grand dam des autres, un cheptel de cerfs de Virginie occupe le Parc Michel-Chartrand, un milieu naturel situé dans une zone largement urbanisée de la Ville de Longueuil (la Ville).

[2]                Le 13 juillet 2022, estimant que la population de cerfs du Parc dépasse largement sa capacité d’accueil, le comité exécutif de la Ville adopte une résolution instruisant un représentant de la Direction du génie de déposer auprès du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (le MFFP)[1] une demande de permis l’autorisant à effectuer une chasse contrôlée des cerfs[2] (la Résolution).

[3]                Le 12 août 2022, le MFFP délivre à la Ville un permis l’autorisant à procéder à une chasse contrôlée à l’arbalète d’un maximum de 100 cerfs (le Permis SEG)[3].

[4]                Service Sauvetage Animal (SSA) et Florence Meney (Meney)[4] demandent l’annulation de la Résolution et du Permis SEG. La Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux (la SPCA) intervient au débat pour appuyer leurs prétentions. Ensemble, ils soulèvent plusieurs griefs qui, pour l’essentiel, se déploient en trois axes :

  • La Ville et le MFFP adoptent la méthode de chasse contrôlée à l’arbalète sans véritable consultation des citoyens et sans obtenir l’avis d’expert en bienêtre animal.
  • Le choix de la méthode de chasse contrôlée à l’arbalète est arbitraire, sans fondement raisonnable et manque gravement de transparence.
  • Leur évaluation des options possibles pour gérer la population de cerfs est incohérente et ne tient pas compte de l’intérêt des cerfs à vivre.

[5]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut au rejet de la demande et de l’intervention.

[6]                L’article 898.1 C.c.Q. prévoit que les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. Toutefois, cela n’empêche pas qu’ils puissent constituer une nuisance ou un danger et faire l’objet de mesures destinées à contrer l’une ou l’autre ou à y remédier de façon temporaire ou définitive. L’abattage fait partie de ces mesures.

[7]                De plus, si l’exercice peut apparaître utile ou souhaitable, la Ville et le MFFP n’avaient pas l’obligation formelle de consulter la population ou des experts indépendants en bien-être animal avant d’adopter la méthode de chasse contrôlée à l’arbalète comme mesure de contrôle du cheptel de cerfs.

[8]                Cela dit, dans les faits, la Ville a mis sur pied une Table de concertation lui permettant d’obtenir le point de vue de citoyens et de membres de la communauté scientifique. Également, les demandeurs et la SPCA ont exprimé leur position à la Ville avant qu’elle adopte la Résolution.

[9]                Enfin, ni les demandeurs ni l’intervenante ne démontrent le caractère déraisonnable des décisions de procéder à la chasse contrôlée des cerfs à l’arbalète.

[10]           D’abord, il ne fait aucun doute que la taille du cheptel excède de manière importante la capacité de support du Parc. Cette situation pose des risques pour la santé et la sécurité des personnes et affecte négativement l’écosystème du Parc entraînant la dégradation de ses milieux naturels et l’incapacité de l’habitat d’assurer le bien-être de la population de cervidés qui s’y trouve.

[11]           Ensuite, la Ville, de concert avec le MFFP, a exploré différentes avenues pour contrôler le cheptel par des méthodes létales, comme la capture-euthanasie, ou non létales, comme la relocalisation. Toutefois, en raison de l’inefficacité de ces méthodes et vu l’urgence d’intervenir, elle a opté pour la chasse contrôlée à l’arbalète.

[12]           Enfin, rien ne permet de conclure que cette méthode se veut la plus cruelle et la plus douloureuse de mettre ces cerfs à mort. Au contraire, la Ville et le MFFP ont élaboré des conditions de mise en œuvre de l’opération pour s’assurer qu’elle se déroule avec rapidité, efficacité et dans le respect de l’article 898.1 C.c.Q.

  1. LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           La présente affaire soulève trois questions, soit :

  1. La Ville et le MFFP ont-ils une obligation d’équité procédurale envers les demandeurs, la SPCA ou les cerfs et, le cas échéant, ont-ils manqué à cette obligation?
  2. Quelle norme de contrôle le Tribunal doit-il appliquer à la Résolution et à la délivrance du Permis SEG?
  3. La Résolution et la délivrance du Permis SEG sont-elles déraisonnables?

[14]           Avant d’aborder chacune d’elles, un retour sur le contexte s’impose.

III.            LE CONTEXTE

[15]           Les cerfs occupent le Parc depuis de nombreuses années. Toutefois, au fil du temps, leur nombre s’accroît et, conséquemment, la Ville met en place différentes mesures de mitigation afin d’atténuer les impacts de leur présence. Sans succès.

[16]           En 2020, en raison de l’inefficacité de ces mesures, la Ville élabore un Plan de gestion du cerf de Virginie à Longueuil (le Plan)[5] qui comporte deux volets. D’abord, il prévoit la capture et l’euthanasie d’un maximum de 15 cerfs dans le Parc. Ensuite, il vise l’intensification et l’encadrement de la chasse aux cerfs au boisé Du Tremblay, un autre parc-nature situé à proximité du Parc. Le 17 novembre, le conseil de la Ville adopte une résolution permettant l’abattage des cerfs[6].

[17]           Une fois rendu public, le Plan suscite la mobilisation de citoyens et d’organismes voués à la protection des animaux qui s’opposent à l’abattage des cerfs. Le 18 novembre, l’un d’eux, SSA, transmet à la Ville une « Proposition pour la situation des cerfs du Parc Michel-Chartrand »[7]. Reconnaissant les conséquences négatives résultant de la croissance du cheptel, il propose une solution alternative à l’abattage de 15 cerfs : en relocaliser le même nombre vers des refuges prêts à les accueillir.

[18]           La Ville reçoit la proposition favorablement et accepte que SSA la mette en œuvre[8]. À cette fin, le 2 décembre, celui-ci sollicite du MFFP la délivrance d’un permis SEG[9], elle-même assujettie à l’émission d’un certificat d’éthique par le Comité d’éthique de l’utilisation des animaux de l’Université de Montréal (le CÉUA).

[19]           Or, dans son évaluation du 18 février 2021, le CÉUA se dit d’avis que le protocole proposé par SSA présente des risques élevés de blessures et de morbidité parmi les cerfs. Ayant évalué le bien-être animal et la sécurité du projet, il conclut que le protocole ne répond pas aux normes du Conseil canadien de protection des animaux (le CCPA). Partant, il refuse d’émettre un certificat d’éthique[10]. En conséquence, le MFFP ferme le dossier de la demande de permis de SSA[11].

[20]           Le 23 mars, la Ville annonce la création d’une table de concertation sur l’équilibre écologique et la préservation du Parc (la Table) composée de 12 membres issus de milieux divers, dont des représentants de la Ville et du MFFP[12]. Dans le cadre de leurs travaux, ils invitent plusieurs intervenants du domaine animal dont Eric Dussault (Dussault), directeur général de SSA et de nombreux experts en biologie et en médecine vétérinaire.

[21]           Le 22 novembre, la Table dépose son Rapport de recommandations[13] les membres examinent différents scénarios afin de réduire le nombre de cerfs dans le Parc[14]. Ils écartent la relocalisation en raison du taux de mortalité important des cerfs relocalisés, des risques élevés de blessures, du manque de disponibilités des sites d’accueil et du potentiel de transmission de maladies dans les sites d’accueil[15].

[22]           Après avoir examiné toutes les possibilités, « les membres concluent que la seule option viable à court terme pour obtenir des résultats durables est de procéder dès 2022 à la réduction de la taille du cheptel par une méthode de capture et d’euthanasie afin d’atteindre la capacité de support du parc »[16].

[23]           En conséquence, le 23 décembre 2021, la Ville autorise son directeur général à octroyer à une firme spécialisée un contrat pour la capture et l’euthanasie de cerfs du Parc[17]. Elle demande et obtient également du MFFP la délivrance d’un permis SEG[18]. De là, elle annonce que l’opération se déroulera à l’automne 2022[19].

[24]           Le 18 janvier 2022, la SPCA écrit à la Ville pour lui faire part de son désaccord et de ses préoccupations à l’égard du processus décisionnel et de la solution retenue par la Ville[20]. Deux jours plus tard, SSA met la Ville en demeure et l’avise avoir la ferme intention de contester devant les tribunaux toute décision favorable à l’abattage des cerfs[21].

[25]           Toutefois, le 24 février 2022, la Ville apprend qu’à la suite d’un inventaire aérien réalisé par le MFFP, on dénombre désormais 108 cerfs dans le Parc comparativement à 72 cerfs recensés lors de l’inventaire réalisé le 10 mars 2021[22]. La Ville se voit alors contrainte de revoir son objectif de réduction du nombre de cerfs à court terme et, partant, de reconsidérer les moyens appropriés pour y parvenir[23].

[26]           Compte tenu de ce qui précède, Christine Provost (Provost), alors chef de division Milieux naturels et hydriques pour le service de l’environnement de la Direction du génie de la Ville et directement impliquée au dossier, parvient à la conclusion suivante :

« À la lumière des consultations d’experts dans le domaine, dont ceux ayant été consultés le 19 août 2021 par la Table, des résultats d’inventaires aériens et suite à la coupe de milliers d’arbres dans le Parc, j’ai conclu qu’une opération de chasse contrôlée devenait la seule façon d’agir dans les circonstances et recommandé de planifier cette opération, plutôt qu’une opération de capture et euthanasie, puisqu’il s’agissait dorénavant de la seule solution réaliste qui permettait de diminuer la population d’un aussi grand nombre de cerfs efficacement et à court terme; »[24].

[27]           Le 12 mai, SSA et Meney introduisent le Pourvoi en contrôle judiciaire (le Pourvoi). Ils recherchent alors notamment l’annulation de la résolution de la Ville, si elle existe, d’abattre les cerfs du Parc et l’émission d’une ordonnance lui enjoignant de les relocaliser. Ils sollicitent également une ordonnance enjoignant au MFFP de délivrer tout permis requis pour permettre cette relocalisation. Quelques jours plus tard, la SPCA intervient au dossier pour appuyer les demandeurs (l’Intervention).

[28]           Le 13 juillet, la Ville adopte la Résolution[25]. Puis, le 22 juillet, elle dépose auprès du MFFP une demande de permis l’autorisant à mettre en œuvre une opération de chasse contrôlée à l’arbalète[26]. Le 23 août, le MFFP fait droit à sa demande et lui délivre le Permis SEG.

[29]           SSA et Meney modifient alors le Pourvoi. Ils attaquent désormais la Résolution et le Permis SEG.

1.                 Question 1 : La Ville et le MFFP ont-ils une obligation d’équité procédurale envers les demandeurs, la SPCA ou les cerfs et, le cas échéant, ont-ils manqué à cette obligation?

[30]           Les demandeurs et la SPCA font valoir que la Résolution et la délivrance du Permis SEG affectent directement les cerfs du Parc. Conséquemment, la Ville et le MFFP se devaient de suivre un processus équitable et transparent menant tour à tour à l’adoption de la Résolution puis à la délivrance du Permis SEG.

[31]           Plus particulièrement, le nouveau statut juridique des animaux enchâssé dans le Code civil du Québec commande qu’un organisme public prenant une décision qui touche leurs intérêts mette en place un processus permettant la présentation de faits et d’arguments, incluant une démarche de consultation auprès du public et d’experts sur le bien-être animal. Or, la Ville et le MFFP auraient agi unilatéralement et sans considération pour les avis scientifiques contraires.

[32]           De plus, ils reprochent à la Ville son processus décisionnel opaque qui les aurait privés de faire valoir leur point de vue. L’exercice mené par la Table, ajoutent-ils, ne saurait combler cette lacune. Selon eux, ses travaux sont incomplets notamment en raison de l’absence de mécanisme d’information et de consultation du public. Enfin, les membres de la Table n’ont aucune expérience de gestion d’un cheptel de cerfs alors que sa composition exclut les citoyens préoccupés par la protection des cerfs, dont Meney, et tout groupe voué à la protection animale.

[33]           Ils ont tort.

1.1   Principes juridiques applicables

[34]           L’équité procédurale est un principe fondamental du droit administratif canadien dont l’objectif primordial se conçoit aisément : dans l’exercice de ses pouvoirs publics, le décideur administratif doit agir avec équité lorsqu’il rend une décision touchant les droits, les privilèges ou les biens d’un administré[27].

[35]           Toutefois, l’existence de l’obligation d’équité procédurale ne détermine pas quelles exigences s’appliqueront dans des circonstances données. En effet, la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas[28].

[36]           Les critères permettant de cerner la portée de l’obligation d’équité procédurale sont bien connus et, de manière non exhaustive, se résument comme suit :

1) Nature de la décision ainsi que du processus suivi pour y parvenir. Plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l’organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès.

2) Nature du régime législatif et des dispositions en vertu desquelles l’organisme administratif agit. L’absence de procédure de contestation ou d’appel d’une décision et l’impossibilité pour l’administré de pouvoir présenter une nouvelle demande militent en faveur de l’application de garanties procédurales plus étendues.

3) L’importance de la décision pour la personne visée. Ce facteur a une incidence significative sur la détermination de l’étendue des garanties procédurales. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses.

4) Attentes légitimes d’une personne. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure. En d’autres termes, un administré est en droit de s’attendre à ce qu’un organisme suive les règles de procédure que lui a imposé le législateur ou encore celles qu’il s’est lui-même imposées.

5) Choix de procédures que l’organisme fait lui-même. Ce facteur est particulièrement à considérer quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées.[29]

[Références omises]

[37]           Cela dit, il importe de qualifier la nature de la décision attaquée à savoir s’il s’agit d’un acte administratif ou normatif. En effet, l’existence ou non d’une obligation d’équité procédurale dépend de cette qualification.

[38]           Dans Ville de Québec c. Rivard[30], la Cour d’appel exprime en ces termes les effets de cette qualification :

[47]        La juge fait grand reproche à la Ville d’avoir enfreint les règles d’équité procédurale. Pour l’affirmer, elle se base sur l’affaire Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village)[24] et retient que les municipalités sont tenues de respecter les règles d’équité procédurale lorsque leurs décisions affectent la propriété d’une personne. Or, cette proposition mérite d’être nuancée.

[48]     L’obligation d’équité procédurale s’applique en présence d’une décision administrative, tel le refus de modifier un règlement municipal à la demande d’un citoyen[25]. Dans ces cas, l’obligation d’équité procédurale est balisée selon les cinq critères établis par la Cour suprême dans l’arrêt Baker[26].

[49]        Il ne saurait être question d’imposer la même obligation d’équité procédurale à une municipalité qui adopte un règlement de zonage à son initiative, car les règles prévoyant la publicité précédant l’adoption des règlements municipaux sont bien connues et déterminées par le législateur. Lorsqu’une municipalité exerce une fonction uniquement législative, telle l’adoption d’un règlement de zonage à sa propre initiative, le processus décisionnel est soumis aux dispositions législatives habilitantes applicables.

[Références omises]

[39]           Aussi, généralement, on reconnaît que la résolution adoptée par une municipalité constitue un acte administratif par sa portée particulière ou ponctuelle par opposition à l’acte suivant lequel l’organisme crée ou modifie une règle de droit, par exemple, une loi, un règlement, un décret gouvernemental ou un arrêté ministériel[31].

[40]           Par ailleurs, la Loi sur la justice administrative[32] (la LJA) codifie les garanties d’équité procédurale dont jouit l’administré en regard d’une décision prise à son égard par l’Administration gouvernementale et qui relève de l’exercice d’une fonction administrative :

2. Les procédures menant à une décision individuelle prise à l’égard d’un administré par l’Administration gouvernementale, en application des normes prescrites par la loi, sont conduites dans le respect du devoir d’agir équitablement.

[…]

4. L’Administration gouvernementale prend les mesures appropriées pour s’assurer:

   que les procédures sont conduites dans le respect des normes législatives et administratives, ainsi que des autres règles de droit applicables, suivant des règles simples, souples et sans formalisme et avec respect, prudence et célérité, conformément aux normes d’éthique et de discipline qui régissent ses agents, et selon les exigences de la bonne foi;

   que l’administré a eu l’occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de la décision et, le cas échéant, de compléter son dossier;

   que les décisions sont prises avec diligence, qu’elles sont communiquées à l’administré concerné en termes clairs et concis et que les renseignements pour communiquer avec elle lui sont fournis;

   que les directives à l’endroit des agents chargés de prendre la décision sont conformes aux principes et obligations prévus au présent chapitre et qu’elles peuvent être consultées par l’administré.

5. L’autorité administrative ne peut prendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire ou une décision défavorable portant sur un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable:

   avoir informé l’administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée;

   avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent;

   lui avoir donné l’occasion de présenter ses observations et, s’il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.

Il est fait exception à ces obligations préalables lorsque l’ordonnance ou la décision est prise dans un contexte d’urgence ou en vue d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux personnes, à leurs biens ou à l’environnement et que, de plus, la loi autorise l’autorité à réexaminer la situation ou à réviser la décision.

[41]           Toutefois, ces dispositions n’écartent pas l’application des règles de l’équité procédurale issue de la common law car, comme le suggère la formulation de l’article 2 LJA, ces règles continuent de s’appliquer de manière supplétive[33].

1.2   Discussion

[42]           Le Tribunal conclut que Meney, SSA, la SPCA et les cerfs ne jouissent d’aucune garantie d’équité procédurale au regard du processus menant à l’adoption de la Résolution ou à la délivrance du Permis SEG.

[43]           De plus, si tant est qu’ils bénéficient d’une telle garantie, ils ont pu faire valoir leur point de vue avant que ces décisions soient prises.

1.2.1           Meney, SSA, la SPCA

[44]           Qu’il s’agisse de la Loi sur les cités et villes[34] ou de la Loi sur les compétences municipales (LCM)[35], le régime législatif en place ne prévoit aucune obligation de consultation préalablement à l’adoption d’une résolution par le conseil municipal. Comme le souligne la Cour d’appel :

[16]           Le Code municipal[2], la Loi des cités et villes[3], la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme[4], la Loi sur les élections et référendums dans les municipalités[5] (et peut-être d'autres lois) obligent les municipalités à consulter les citoyens dans certaines circonstances particulières, notamment en matière de zonage et d'emprunt.

[17]           Hors ces cas - bien que cela puisse être souhaitable dans un but de transparence - je vois difficilement comment on pourrait prétendre qu'une municipalité agit sans droit lorsqu'elle exerce son pouvoir réglementaire en l'absence de consultation préalable.[36]

[Références omises]

[45]           Certes, cet arrêt s’inscrit dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir réglementaire de la municipalité. Toutefois, le Tribunal est d’avis que ces enseignements s’appliquent mutatis mutandis à la présente affaire puisque, en adoptant la Résolution, la Ville ne vise pas un particulier[37].

[46]           C’est pourquoi, lorsqu’elle n’affecte pas les droits, les privilèges ou les biens d’un administré, l’adoption d’une résolution municipale n’impose généralement aucune obligation d’équité procédurale et, si tant est qu’elle existe, elle est de faible intensité, comme le souligne la Cour dans Ville de Vaudreuil-Dorion c. MRC de Vaudreuil-Soulanges :

[110]      Signalons que la Résolution a abrogé la résolution de 2006, ce qu’une résolution peut faire[62]. Aucune des parties n’a soulevé que la résolution n’était pas le mode approprié. Or, l’adoption d’une résolution n’est pas encadrée. Le professeur Gilles Rousseau de la faculté de droit de l'Université Laval a écrit au sujet de l’adoption des textes normatifs municipaux [63]:

Les termes « résolutions » et « règlements » servent à différencier les procédures types des décisions du conseil. L’on peut considérer la résolution comme la délibération simple ou ordinaire, puisqu’elle n’exige en principe que le vote de la majorité des membres présents du conseil municipal. Le terme règlement connaît en droit municipal québécois une signification très particulière. Il ne se définit pas par son contenu, par exemple, comme un acte à portée générale qui s’opposerait à l’acte individuel, mais par sa forme. Le règlement est l’acte pris en respectant une procédure spéciale, dont est exempte la résolution : il doit être précédé d’un avis dit de motion, donné lors d’une séance antérieure du conseil, et faire ensuite l’objet d’une publicité.

[111]      Dans l’arrêt Air Canada[64], la Cour suprême a écrit :

24.      D'une manière générale la résolution est utilisée pour les décisions administratives courantes. Elle est utilisée dans les cas où la loi le spécifie comme dans les articles mentionnés plus haut. Elle est également utilisée lorsque la loi est muette sur la manière dont la municipalité peut exprimer sa décision. La résolution est dénuée de toute formalité.

[112]      La loi offre donc peu de garanties procédurales quant à l’adoption de résolutions. En l’espèce, il apparaît qu’une résolution peut être présentée en tout temps, même séance tenante. Pour ne pas en débattre, un maire doit, comme l’a fait le maire Pilon, quitter la salle du conseil.

[113]      Le Tribunal ne considère pas que la Résolution constitue un acte de nature quasi-judiciaire entrainant des obligations procédurales autres que de donner un avis suffisant, ce qui a été fait en l’espèce[38].

[47]           De plus, Meney, SSA et la SPCA sont des tiers que la Résolution ou la demande de Permis SEG n’affectent pas directement en ce que ces décisions n’entrainent aucune conséquence sur leurs droits, privilèges ou leurs biens[39].

[48]           Dans Iredale c. Mont-Tremblant (Ville de)[40], un citoyen recherchait la nullité d’un permis délivré à Circuit Mont-Tremblant inc. par le ministre en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement pour la construction d’une piste de karting. Il estimait que le ministre aurait dû le consulter avant de délivrer le permis. Voici ce qu’en dit la Cour :

[199]     Le Tribunal est d'avis que le droit du demandeur, s'il en est un, n'était pas celui d'être impliqué dans le processus décisionnel du ministre, mais plutôt de s'attendre à ce que le processus fixé par la Loi sur la qualité de l'environnement[101] soit scrupuleusement respecté. Ce qui fut le cas.

[202]     Bref, le Tribunal est d'avis que le ministre n'avait aucune autre obligation d'équité procédurale que celle de s'en remettre rigoureusement aux dispositions de la Loi sur la qualité de l'environnement103, ce qu'il a fait, le rapport d'analyse en fait état104. À cette fin, le ministre a pris en ligne de compte la position du demandeur et des voisins immédiats du circuit, ce qui en soi faisait partie de l'exercice discrétionnaire que lui confère la loi.

[Références omises]

[49]           L’affaire Raymond c. Golberg[41] présentait une situation similaire alors qu’un citoyen sollicitait l’annulation d’un permis de construction délivré par la Ville à un de ses voisins ainsi que des résolutions autorisant sa délivrance. Il alléguait que les travaux envisagés auraient un impact sur la valeur de sa propriété et sa qualité de vie. Partant, il faisait valoir que la Ville devait l’informer et lui permettre de faire valoir son point de vue. La Cour traite la question comme suit :

[191]     Mais, de façon plus fondamentale à qui s'adresse l'obligation de la ville ou du CCU?  La ville et le CCU sont-ils tenus à l'obligation d'équité procédurale envers les tiers non directement affectés par la décision?

[192]     En d'autres termes, une municipalité qui s'apprête à octroyer un permis de construction ou de modification d'un immeuble, a-t-elle l'obligation d'en informer toutes les personnes qui peuvent, à des degrés divers, être plus ou moins affectés par la construction ou la modification?

[193]     A la connaissance du soussigné, il n'existe pas, sauf dans des cas spécifiques (tels les demandes de dérogations mineures à un règlement de zonage ou les demandes de démolition) d'obligation découlant d'une loi ou d'un règlement pour une municipalité de communiquer préalablement à des propriétaires riverains ou adjacents la nature et l'étendue d'une demande de permis de construction ou de modification d'un bâtiment, et ce, même si la nouvelle construction ou la modification affecte l'environnement immédiat du propriétaire voisin.  Aucun des procureurs au dossier n'a d'ailleurs été en mesure de soumettre une quelconque autorité doctrinale ou jurisprudentielle sur la question.

[194]     Un propriétaire riverain, voisin ou adjacent ou même un contribuable de la municipalité (justifiant d'un intérêt suffisant et adéquat pour le faire) peut attaquer en nullité un permis émis en violation ou en contravention de ses droits.  C'est là le recours approprié et c'est là le recours exercé par la demanderesse.  En l'instance, la demanderesse a été adéquatement entendue, même si son recours judiciaire a été institué après la recommandation du CCU et l'approbation du projet par le Conseil.[51]

[195]     Nulle part la réglementation municipale, la Loi des cités et villes, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme ne prévoient-elles un mécanisme obligeant une municipalité à aviser préalablement les tiers ou à recueillir leurs commentaires ou objections face à une telle demande de permis, avant de l'émettre.

[Références omises]

[50]           Enfin, quant au Permis SEG, rappelons que c’est la Ville qui en demande la délivrance. C’est donc elle, et personne d’autre, qui bénéficie des garanties procédurales liées à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de le délivrer.

[51]           Somme toute, la preuve ne permet pas de conclure que la Résolution et la délivrance du Permis SEG affectent les droits, privilèges ou les biens propres de Meney, de SSA ou de la SPCA. Tout au plus, ils se font les porte-voix de l’intérêt des cerfs et du public, ce qui ne leur permet pas de revendiquer de garanties procédurales[42].

1.2.2           Les cerfs

[52]           À l’égard des cerfs, SSA et la SPCA proposent une facette novatrice de l’obligation d’équité procédurale qui s’articule de la manière suivante.

[53]           L’article 898.1 C.c.Q. prévoit que les animaux ne sont pas des biens, qu’ils sont des êtres doués de sensibilité et qu’ils ont des impératifs biologiques. Ce nouveau statut juridique appelle donc un processus décisionnel qui prend en compte leurs intérêts.

[54]           Ainsi, lorsqu’un organisme public envisage prendre une décision qui touche les intérêts des animaux, la procédure qui y mène se doit d’être équitable et permettre la présentation de faits et d’arguments pertinents par des experts en bien-être animal.

[55]           Séduisant au premier regard, l’argument ne résiste pas à l’analyse.

[56]           D’abord, l’obligation d’un organisme public d’agir équitablement existe en faveur de toute personne physique ou morale sujette de droit[43]. Or, les animaux ne sont pas des personnes et leur octroyer le bénéfice de l’équité procédurale aurait pour effet de leur conférer ce statut.

[57]           Certes, ils ne sont plus des biens et on reconnaît qu’ils sont doués de sensibilité et qu’ils possèdent des impératifs biologiques. Toutefois, ils demeurent assujettis au régime juridique des biens[44]. Ainsi, ils en conservent plusieurs attributs dans leurs rapports avec les personnes. Par exemple, ils peuvent être hypothéqués[45] et leurs propriétaires sont tenus de réparer le préjudice qu’ils causent[46].

[58]           C’est pourquoi les tribunaux concluent que l’obligation d’agir équitablement s’impose à l’égard du propriétaire de l’animal[47] par opposition à l’animal lui-même.

[59]           Or, les cerfs qui occupent le Parc sont des animaux sauvages auxquels on attribue généralement le statut de biens sans maître[48] :

« Les animaux sauvages en liberté et la faune aquatique sont réputés être des biens sans maître (Art. 934 C.c.Q). Ils sont néanmoins susceptibles d’appropriation et constituent des res nullius. Le droit québécois reconnaît tacitement la chasse et la pêche comme mode d’acquisition de la propriété. En principe, le gibier et le poisson appartient, par voie d’occupation, à celui qui l’attrape et le capture, même illégalement, et même si l’activité est pratiquée sans autorisation sur la propriété d’autrui. »[49]

[60]           Par ailleurs, il est exact que l’article 898.1 C.c.Q. a valeur de norme comportementale qui s'applique à la manière dont l’organisme public met en œuvre une décision visant à gérer les nuisances animales[50]. Cependant, cette disposition n’a pas pour effet de le contraindre à consulter un expert en bien-être animal en amont de la décision. L’astreindre à une telle obligation constituerait une entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ce que le législateur se garde de lui imposer.

[61]           De plus, la proposition des demandeurs et de la SPCA introduirait des facteurs aléatoires au processus décisionnel d’un organisme public. Par exemple, quels sont les critères qui permettent d’établir qu’une personne ou un organisme possède une expertise en bienêtre animal? Quel mandat l’organisme public doit-il lui confier? L’organisme public sera-t-il lié par les recommandations d’un expert?

[62]           La présente affaire illustre parfaitement les difficultés qu’elle pose alors que les demandeurs et la SPCA remettent en question l’expertise des personnes impliquées pour la Ville et le MFFP et de celle de certaines personnes consultées, la méthodologie suivie pour consulter ces personnes et la fiabilité de leurs recommandations.

[63]           Somme toute, en l’absence d’obligation d’équité procédurale, la Ville ou le MFFP n’avaient pas l’obligation de faire appel à un expert en bien-être animal ni de consulter la population avant de prendre leur décision.

1.2.3           Meney, SSA et la SPCA ont fait valoir leur point de vue.

[64]           En effet, contrairement à ce qu’ils prétendent, les demandeurs et la SPCA ont pu faire valoir leur point de vue, à la fois pour leur compte et pour celui des cerfs, avant l’adoption de la Résolution et la délivrance du Permis SEG.

[65]           Dans un jugement rendu en cours d’instance le 7 décembre 2022, la Cour s’exprime comme suit :

[58] Par cette déclaration sous serment Dr De Nicola affirme avoir besoin d’information supplémentaire avant de pouvoir donner son avis d’expert sur un plan visant à gérer la population de cerfs au Parc. Il ajoute avoir visiter le Parc le 18 août 2022 et il émet l’avis préliminaire que l’abattage des cerfs ne permettra pas de rétablir l’équilibre écologique dans le Parc à court terme et qu’il est hautement improbable que l’utilisation de l’arbalète permette de réduire le cheptel à 15 bêtes.

[59] Le Tribunal considère, contrairement à ce que plaident les demandeurs, que ceux-ci n’ont pas été empêchés de soumettre cette preuve à la Ville avant juillet 2022 puisque la SSA a été invitée à la table de concertation et y ont été entendus le 19 août 202139. De plus, en mars 2022, SSA est informée que la Ville ira de l’avant avec l’abattage des cerfs40. Qu’en juillet suivant la Résolution soit prise de modifier la méthode d’abattage ne change rien à la finalité laquelle est contestée par SSA depuis le début du dossier.[51]

[Références omises]

[66]           De plus, par mise en demeure transmise à la Ville le 18 janvier 2022[52], les procureurs de SSA l’informent qu’ils ont le « mandat d’entreprendre toutes les démarches judiciaires nécessaires contre tout ordre d’euthanasie pouvant avoir été rendu à l’égard des cerfs de Virginie du Parc Michel-Chartrand ». Ainsi, quelle que soit la position qu’adoptera la Ville, ils ont « la ferme intention de contester toute décision favorable à l’abattage des cerfs ».

[67]           Enfin, dans leur Pourvoi, introduit deux mois avant l’adoption de la Résolution, les demandeurs font valoir leur point de vue de manière détaillée, alléguant, entre autres, que la décision annoncée par la Ville d’abattre les cerfs est déraisonnable parce qu’elle manque de transparence pour les citoyens concernés[53] et que la Table n’avait pas réalisé ses travaux de manière indépendante de la Ville et du MFFP[54]. C’est pourquoi ils demandent au Tribunal d’« Annuler la décision de la défenderesse Ville, si elle existe, d’abattre les cerfs de Virginie du parc Michel-Chartrand ».

[68]           Pour sa part, dans sa mise en demeure transmise à la Ville le 18 janvier 2022[55], la SPCA l’informe qu’elle s’oppose à la mise à mort de 75 cerfs ainsi qu’à toutes méthodes létales de gestion du cheptel.

[69]           Elle réitère cette position dans son Acte d’intervention conservatoire du 26 mai 2022. Elle y ajoute que la décision de la Ville de procéder par la méthode de capture-euthanasie ne respecte pas l’équité procédurale notamment parce que prise sans consultation préalable auprès d’un organisme de protection des animaux indépendant. C’est pourquoi elle demande au Tribunal d’annuler la décision d’abattre les cerfs.

[70]           Somme toute, pour leur compte et celui des cerfs, les demandeurs et l’intervenante ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue tout au long du processus suivi par la Ville et menant à l’adoption de la Résolution. Leur position est demeurée inchangée : quels qu’en soient les motifs, toute solution létale sera considérée comme déraisonnable.

2.                 Question 2 : Quelle norme de contrôle le Tribunal doit-il appliquer à la  Résolution et à la délivrance du Permis SEG?

[71]           D’une seule voix, les parties plaident que la norme de la décision raisonnable s'applique au contrôle des décisions attaquées. Le Tribunal se rallie à cette proposition. En effet, rien ne permet de réfuter la présomption d'application de cette norme[56].

[72]           Cela dit, lorsquappelé à se prononcer sur le caractère raisonnable d’une décision administrative, le Tribunal doit se garder de substituer sa décision à celle du décideur administratif. Ainsi, il ne doit pas tenter de prendre en compte l'éventail des conclusions qu'aurait pu tirer le décideur. Il ne doit pas non plus se livrer à une analyse de novo ou chercher à terminer la solution correcte au problème[57].

[73]           Le rôle du Tribunal consiste plutôt à déterminer si la décision attaquée est à la fois fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifié à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision[58]. Ces contraintes varient en nombre et en importance selon le contexte. Certaines présentent un intérêt particulier pour décider de la présente affaire :

a)            Le régime législatif applicable;

b)            Les principes d'interprétation des lois;

c)             La preuve portée à la connaissance du décideur et des faits dont il peut prendre connaissance d'office;

d)            Les observations des parties;

e)            L’impact potentiel de la décision sur l'individu qui en fait l'objet[59].

[74]           Il incombe à la partie qui conteste la décision den démontrer le caractère déraisonnable. Ce fardeau exige la démonstration que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu'on ne peut pas dire qu'elle satisfait aux exigences de justification, d'intelligibilité et de transparence. Seules les lacunes suffisamment capitales ou importantes permettent de conclure à une décision déraisonnable[60].

[75]           Ces principes s'appliquent également lorsque la décision à contrôler émane non pas d'un tribunal administratif, mais plutôt d'un organisme gouvernemental comme une ville ou un ministère. Dans ces cas, en l'absence de motifs accompagnant la décision, sa raisonnabilité s'appréciera au regard du dossier dans son ensemble[61]. Le contexte législatif sera alors susceptible de jouer un rôle déterminant[62].

[76]           Enfin, la jurisprudence dégage certaines considérations particulières qui précisent le cadre d'analyse d'une décision émanant d'un corps public.

[77]           Ainsi, dans l'arrêt Catalyst[63], la Cour suprême souligne que les règlements municipaux ne sont pas des décisions quasi judiciaires, mais font plutôt intervenir toute une gamme de considérations non juridiques, notamment sur les plans social, économique et politique. Aussi, la révision des résolutions ou des règlements municipaux doit refléter le large pouvoir discrétionnaire traditionnellement conféré aux municipalités par les législateurs provinciaux[64].

[78]           Par ailleurs, lorsque la décision émane d’un ministère, la première étape consiste à évaluer la marge d’exercice de la discrétion ministérielle. Si l'encadrement que lui impose le législateur la restreint, le contrôle s'exerce en regard des conditions, des impératifs ou des règles déjà précisées[65].

[79]           Si, au contraire, la discrétion ministérielle est large, il faut considérer les données et les sources sur lesquelles elle s'appuie. La décision raisonnable est fondée sur certaines données objectives, même incomplètes, ou sur certains éléments ou normes existants. Inversement, la décision déraisonnable participe de la fantaisie, du caprice, de l'ignorance volontaire, du bon plaisir ou de la négligence[66].

[80]           Bref, on ne pourra attaquer l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'une autorité publique que si :

  • L’auteur agit sans compétence ou excède sa compétence;
  • L’auteur ne se conforme pas à la procédure prescrite, aux règles de la justice naturelle ou au principe de l'équité procédurale;
  • L’auteur poursuit une finalité impropre, agit de mauvaise foi ou par malice ou de façon discriminatoire;
  • L’auteur agit de façon injuste notamment en omettant d'examiner les faits ou de façon raisonnable ou absurde[67].

3.                 Question 3 : La Résolution et la délivrance du Permis SEG sont-elles déraisonnables?

[81]           Afin de déterminer si la Résolution et la délivrance du Permis SEG sont ou non déraisonnables, le Tribunal doit d’abord se pencher sur certains aspects de la preuve et circonscrire le cadre juridique applicable à chacune de ces décisions.

3.1   La recevabilité et la valeur probante de certains éléments de preuve

3.1.1           Les objections

[82]           À l’instruction, la Ville et le MFFP s’opposent à certains témoignages ainsi qu’à la production de plusieurs documents que SSA, Meney et la SPCA souhaitent introduire en preuve. Le Tribunal prend alors ces objections sous réserve et en dispose maintenant comme suit. De plus, les témoignages d’Édith Cadieux (Cadieux) et Sonia de Bellefeuille (de Bellefeuille), expertes du MFFP, donnent lieu à plusieurs objections. Le Tribunal en disposera dans la section suivante.

3.1.1.1            Les articles de journaux et les vidéos

[83]           La première catégorie de documents se compose d’articles de journaux[68] et de vidéos[69]. Sommairement, ces documents visent à démontrer l’existence de solutions alternatives à l’abattage des cerfs et à souligner l’intérêt public des enjeux. La Ville et le MFFP font valoir que ces documents constituent du ouï-dire et sont sans pertinence.

[84]           Ils ont raison. Il est bien établi que de tels documents ne font pas preuve de leur contenu[70]. En l’espèce, aucun de leur auteur ne témoigne sur leur contenu pour attester de leur véracité. De plus, ils sont sans pertinence pour le litige.

[85]           Il en est de même d’une copie d’une page du compte Facebook de la SPCA datée du 21 janvier 2022[71]. Celle-ci tente de produire cette pièce pour soutenir que la lettre transmise par elle à la Ville le 18 janvier 2022[72] a été vue par 91 000 personnes sur les réseaux sociaux. Si tant est que ce soit le cas – ce que la pièce ne révèle pas – ce fait est sans pertinence sur le sort du litige.

[86]           Partant, le Tribunal accueille les objections à la production des pièces P-21, P-28, P-32, P-36, I-4, I-5, I-6, I-9 et I-13.

3.1.1.2            Les articles de revues scientifiques

[87]           SSA, Meney et la SPCA cherchent également à produire différents articles de revues scientifiques[73]. La Ville et le MFFP s’y opposent faisant valoir que ces documents constituent du ouï-dire et, en l’absence de témoignage d’un expert sur ce sujet, dépourvus de valeur probante. Le Tribunal partage ce point de vue. Comme le souligne la Cour dans l’affaire Diggs :

[11]           En revanche, il est manifeste qu’il n’existe aucune raison de produire un article scientifique comme pièce. Un tel document constitue non seulement du ouï-dire, mais même si on ne souhaite que démontrer son existence, sans témoignage d’un expert un tel document est inadmissible et sa valeur probante est nulle. Aussi, le constat qu’un article scientifique existe n’aura aucune incidence sur le débat à venir. En conclusion, pour l’une ou l’autre de ces raisons, ce document ne peut pas être produit.[74]

[88]           Toutefois, les demandeurs et l’intervenante plaident que, justement, contrairement à cette affaire, l’existence de ces articles scientifiques pourrait avoir une incidence sur le débat. En effet, ils prétendent qu’il s’agit de littérature dont la Ville ou le MFFP aurait dû tenir compte au moment de prendre leurs décisions. Selon eux, le défaut de le faire est un facteur que le Tribunal aura à considérer dans l’appréciation du caractère raisonnable de ces décisions.

[89]           Dans cette optique, le Tribunal conclut au rejet des objections à la production des pièces P-40, P-47, I-13, I-14 et I-15, mais permet leur production strictement pour établir leur existence et non leur contenu.

[90]           Par ailleurs, la SPCA cherche à produire le AVMA Guidelines for the Euthanasia of Animals[75]. À l’instar des articles de revues scientifiques, ce document exprime des opinions. En l’absence de production par un témoin compétent, il ne peut faire preuve de son contenu. Toutefois, le Tribunal permet sa production exclusivement afin d’en établir l’existence.

[91]           Enfin, SSA et Meney souhaitent produire un courriel d’Anthony de Nicola (De Nicola) datée du 25 avril 2023[76] pour faire la preuve de son contenu. Vu l’absence de De Nicola pour produire ce courriel, le Tribunal fait droit à l’objection à sa production[77].

3.1.1.3            Les déclarations sous serment

[92]           La Ville et le MFFP s’opposent également à la preuve de certaines allégations contenues au Pourvoi et à l’Intervention, chacune appuyée d’une déclaration sous serment.

[93]           Au paragraphe 145.3 du Pourvoi, les demandeurs remettent en question l’efficacité de l’usage de l’arbalète comme méthode de chasse contrôlée. Cette allégation, comme l’ensemble de celles contenues au Pourvoi, repose sur la déclaration sous serment de Dussault, directeur général de SSA. Or, la preuve est silencieuse à l’égard d’une quelconque expertise dont pourrait s’autoriser Dussault pour opiner sur cette question.

[94]           Le Tribunal accueille donc l’objection à la preuve des allégations contenues au paragraphe 145.3 du Pourvoi par la déclaration sous serment de Dussault.

[95]           Par ailleurs, aux paragraphes 24 et 31.1 à 31.4 de son Intervention, la SPCA fait valoir les risques que comporte la chasse à l’arbalète pour les animaux. Ces allégations prennent notamment appui sur un article de revue scientifique[78] et un article de journal[79] dont nous avons traité plus haut. Elles sont également appuyées par la déclaration sous serment de Sophie Gaillard (Gaillard), directrice générale par intérim de la SPCA.

[96]           Or, Gaillard n’est pas l’auteure de ces articles. De plus, à l’instar de Dussault, la preuve est muette sur l’expertise de Gaillard qui lui permettrait de formuler les opinions exprimées dans ces paragraphes.

[97]           Partant, le Tribunal accueille l’objection à la preuve des faits allégués aux paragraphes 24 et 31.1 à 31.4 de l’Intervention par la déclaration sous serment de Gaillard.

3.1.2           Les expertises

[98]           Les demandeurs produisent deux rapports d’expert. Le premier s’intitule « Compterendu de service d’opération SATP » daté du 18 novembre 2022 préparé par Services technologiques A.N.D. (le Rapport Stand)[80]. Ce rapport fait état du nombre de cerfs inventoriés dans le Parc le 12 novembre 2022.

[99]           Le second (le Rapport Autenne) est l’œuvre de Geoffroy Autenne (Autenne) et comprend deux parties : l’une portant sur la sensibilité et la santé animale et l’autre sur les méthodes de régulation de la population de cerfs du Parc. À l’instruction, la production de ce rapport fait l’objet d’un débat notamment en raison de son dépôt tardif. Par jugement rendu séance tenante, le Tribunal autorise la production de la Partie II du rapport sous réserve des objections et en y retranchant la mention « … la chasse à l’arbalète ou à l’arc contrevient de manière évidente avec le respect de la sensibilité animale prévu par le Code civil du Québec » que l’on retrouve à sa page 14.

[100]       Pour sa part, la SPCA produit un rapport préparé par Valéry Giroux (Giroux) qui porte sur l’éthique animale et la philosophie morale (le Rapport Giroux)[81]. Le MFFP demande le rejet de ce rapport, demande que la Cour rejette le 7 décembre 2022.

[101]       Enfin, le MFFP produit une « Expertise relative au dénombrement des cerfs du parc Michel-Chartrand » préparée par Mmes Cadieux et de Bellefeuille, toutes deux biologistes au sein du MFFP (le Rapport Cadieux-de Bellefeuille)[82]. Ce rapport, daté du 17 février 2023, consiste à valider l’inventaire de cerfs réalisé le 24 février 2022 et à commenter le Rapport Stand.

3.1.2.1            Le Rapport Stand

[102]       D’entrée de jeu, le Tribunal souligne que le Rapport Stand n’apparaît d’aucune utilité à la solution du litige. En effet, il expose des constats à la suite d’un exercice de dénombrement réalisé le 10 novembre 2022, soit bien après l’adoption de la Résolution et la délivrance du Permis SEG. Or, c’est à travers le prisme du dossier tel que constitué devant le décideur que doit s’exercer le contrôle judiciaire[83].

[103]       Mais il y a plus. Le Rapport Stand indique que le mandat consiste à « dénombrer les sources de chaleur pouvant représenter des cerfs de Virginie présents dans le parc Michel-Chartrand à Longueuil à l’aide de prises de photos infrarouges à partir d’un aéronef télépiloté (ci-après nommé drone) ».

[104]       Or, ce rapport présente de nombreuses faiblesses qui affectent significativement sa valeur probante. Par exemple, il est tout à fait silencieux quant à l’expertise de l’entreprise ou du pilote du drone, Guillaume Richer-Lalonde, en matière d’inventaire faunique. De fait, le profil de ce dernier révèle que ses missions de vols se rapportent à des domaines fort distants de l’inventaire faunique : évènementiel, commercial, industriel et artistique[84].

[105]       Aussi, la méthode suivie vise à identifier des sources de chaleur. Dans un endroit comme le Parc, les sources de chaleur peuvent être nombreuses et rien n’indique comment l’auteur les distingue. D’ailleurs, le rapport mentionne que « … Stand ne peut être tenu responsable de facteurs externes ou inconnus qui auraient pu affecter l’exactitude du dénombrement[85] » sans identifier ces facteurs ni la marge d’erreur qui en résulte.

[106]       Tout cela mène à la conclusion mal assurée du rapport que « nous pouvons dénombrer environ une soixantaine de sources de chaleur présentes pouvant représenter des cerfs de Virginie dans le parc lors de la collecte » (Soulignements du Tribunal).

3.1.2.2            Le Rapport Autenne

[107]       Sommairement, le Rapport Autenne avance que la capture et le déplacement des cerfs et la stérilisation par vasectomie s’avèrent deux méthodes de gulation du cheptel qui peuvent être mises en œuvre sans contrevenir aux impératifs biologiques des animaux.

[108]       Quant à la chasse à l’arbalète, Autenne y écrit qu’elle est doublement contreindiquée. D’une part, en raison de son manque d’efficacité et, d’autre part, pour l’importance du stress et de la souffrance qu’elle provoque inévitablement à l’animal.

[109]       À l’instruction, Autenne élabore sur ces deux axes de son rapport. La Ville et le MFFP soulèvent plusieurs objections lors de son témoignage, objections que le Tribunal prend sous réserve et qui touchent chacun des deux sujets abordés par lui.

[110]       En premier lieu, ils plaident quAutenne ne possède pas les qualifications requises pour opiner sur la chasse à l’arbalète. Ils ont raison.

[111]       D’abord, c’est à titre d’expert en médecine vétérinaire que le Tribunal le qualifie et qu’il livre son témoignage. Cette qualification rejoint sa note biographique[86] qui fait état de son expertise agrovétérinaire et en médecine vétérinaire avec un intérêt marqué pour l’univers équestre. Toutefois, rien n’indique une expertise en matière de chasse, qu’il s’agisse de chasse à l’arbalète ou autre.

[112]       De fait, il n’a jamais participé à une chasse à l’arbalète, une activité interdite en France, où il réside.

[113]       Enfin, lors de son témoignage, il confirme que l’essentiel du contenu de son rapport qui traite de la chasse à l’arbalète provient d’extrait de revues spécialisées. Par exemple, il tire son affirmation quant à l’imprécision du tir à l’arbalète du site www.bowhunting.com alors que les photographies apparaissant aux pages 10 et suivantes du rapport proviennent directement d’une revue spécialisée sur le tir à l’arc[87]. C’est de cette même revue qu’il tire l’intégralité du texte figurant aux pages 11, 12 et 13 de son rapport qu’il fait sien sans autres commentaires.

[114]       Partant, le Tribunal accueille l’objection et rejette l’extrait du Rapport Autenne sous la rubrique « De la chasse à l’arbalète »[88] et son témoignage sur cette question.

[115]       En second lieu, la Ville et le MFFP s’opposent également à la preuve de la méthode de relocalisation des animaux dite du panneautage[89] ainsi qu’à celle de la stérilisation. Selon eux, cette preuve doit être écartée puisque rien ne démontre que ces méthodes alternatives étaient à la connaissance des décideurs au moment de prendre leur décision.

[116]       Ils ont tort et le Tribunal rejette l’objection. La relocalisation et la stérilisation sont des méthodes considérées par la Ville et le MFFP comme le révèlent le rapport de la Table[90] et les déclarations sous serment de Provost et de Stéphane Lamoureux, (Lamoureux) biologiste du MFFP.

3.1.2.3            Le Rapport Giroux

[117]       Le Rapport Giroux répond aux trois questions suivantes :

  • En quoi le bien-être animal relève-t-il de la philosophie morale?
  • Quelles sont les implications du fait qu’un être soit sensible?
  • Tuer un cerf consiste-t-il à lui causer un tort?

[118]       Dans son rapport, Giroux souligne que, lorsqu’il s’agit des animaux qui n’appartiennent pas à l’espèce Homo sapiens, l’étude de leur bien-être exclut souvent leur intérêt à persister dans leur existence. Or, ajoute-t-elle, il s’agit là d’une anomalie puisque la notion de bien-être, telle qu’elle est analysée par les philosophes dans l’immense corpus littéraire qu’ils lui consacrent, englobe l’intérêt individuel à ne pas mourir et surtout celui de ne pas se voir intentionnellement ôter sa vie.

[119]       À la seconde question, elle répond qu’à partir du moment où un être est sensible, il a une perspective subjective sur le monde dont il fait l’expérience au « je ». Il peut avoir une impression positive ou négative de ce qu’il vit, en jouir ou en souffrir. Il est capable de plaisir et de douleur, d’expériences conscientes qu’il perçoit comme agréables ou non. On peut dire de ses expériences et de sa vie qu’elles ont de la valeur parce que lui-même en accorde.

[120]       Enfin, en réponse à la troisième question, elle conclut que puisqu’il ne fait aucun doute que les cerfs de Virginie sont sentients, ils ont nécessairement intérêt à ne pas souffrir. Et à moins qu’ils ne soient condamnés à une vie ne valant pas la peine d’être vécue, ils ont également intérêt à ne pas être tués. Les mettre à mort, s’il y a moyen de l’éviter sans les condamner à une vie excessivement pénible, consiste à leur causer un tort considérable, peut-être même l’un des pires que l’on puisse causer à un être sentient.

[121]       À l’instruction, le Tribunal reconnait Giroux experte en philosophie morale et éthique animale et, lors de son témoignage, elle reprend l’essentiel de son rapport.

[122]       La Ville et le MFFP plaident que le Tribunal ne saurait accorder de valeur probante à ce témoignage et au contenu du rapport. Selon eux, ils n’offrent pas l’objectivité et l’impartialité requise. Ensuite, ils n’apportent aucune utilité technique ou scientifique susceptible d’assister le Tribunal. Enfin, leur teneur participe de l’interprétation législative, usurpant ainsi le rôle du Tribunal.

[123]       Ils ont tort quant au premier point et raison sur les deux autres.

[124]       La preuve révèle que Giroux est très engagée dans la défense des droits animaux. Véganiste et antispéciste convaincue, elle participe à plusieurs manifestations[91] dont certaines en compagnie de Gaillard. Interrogée sur la conférence intitulée « Le véganisme comme mouvement de justice sociale »[92], elle affirme que les gestes véganes sont politiques et que les animaux méritent justice.

[125]       Enfin, elle co-signe un « Mémoire sur le Projet de loi no. 54 : Loi visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal »[93] où elle exprime l’avis que le Projet qui a donné naissance à l’art. 898.1 C.c.Q. ne va pas assez loin dans la protection du bien-être des animaux. À telle enseigne qu’elle y propose « d’envisager sérieusement la possibilité d’accorder la personnalité juridique à tous les êtres sensibles ».

[126]       De toute évidence, Giroux entretient des liens privilégiés avec Gaillard et, avec elle, participe activement à la défense et à la promotion des droits des animaux sous toutes ses facettes. Toutefois, cela ne suffit pas à dépouiller son rapport et son témoignage de toute valeur probante. Il faut déterminer si le manque d’indépendance de l’experte la rend incapable de fournir une opinion impartiale dans les circonstances propres de la présente affaire[94]. Aussi, le fait pour un expert d’endosser la théorie de cause de la partie qui la mandate ne suffit pas pour conclure à sa partialité[95].

[127]       Après avoir entendu le témoignage de Giroux, le Tribunal ne peut conclure à son manque d’objectivité et d’impartialité en raison des causes qu’elle épouse ou des liens entretenus avec Gaillard.

[128]       Toutefois, l’opinion de Giroux n’est d’aucun secours pour le Tribunal. Elle ne lui fournit aucun éclairage sur des aspects techniques, scientifiques ou autres qui l’assisterait dans la détermination du caractère raisonnable de la Résolution ou de la délivrance du Permis SEG.

[129]       Comme elle le souligne dans son rapport, la raison pour laquelle elle est invitée à se prononcer sur le projet d’abattre des cerfs du Parc est que « l’enjeu éthique qu’il soulève relève principalement de son champ de recherche, soit la philosophie morale[96]». Or, si intéressante soit la question, elle ne fait pas partie du spectre des considérations dont le Tribunal doit tenir compte.

[130]       Enfin, l’opinion de Giroux tend à interpréter le sens et la portée de l’article 898.1  C.c.Q. en ce qu’il confèrerait aux animaux un droit à la vie. Comme elle le mentionne, « on ne peut tuer un animal sentient sans contrevenir à ses intérêts »[97]. Ce qui fait dire à la SPCA que, dans la présente affaire, « le raisonnement de la Ville et du Ministère à cet égard est incohérent et ne tient pas compte de l’intérêt des cerfs à vivre »[98].

[131]       Si c’est là la portée que la SPCA souhaite attribuer à l’opinion de Giroux, elle empiète sur des questions de droit que le Tribunal sera appelé à trancher, ce qui la rend irrecevable[99].

[132]       Considérant qu’ils n’apportent aucun éclairage pertinent au Tribunal et qu’ils tendent à interpréter le sens et la portée de l’article 898.1 C.c.Q., le Tribunal n’accorde aucune valeur probante au Rapport Giroux et au témoignage de Giroux.

3.1.2.4            Le Rapport Cadieux-de Bellefeuille
  • Le rapport

[133]       Pour les motifs qui suivent, le Tribunal attribue une forte valeur probante au rapport et aux témoignages livrés en son soutien par Cadieux et de Bellefeuille.

[134]       D’abord, il s’avère indéniable qu’elles possèdent toutes deux une vaste expertise dans le domaine.

[135]       Cadieux détient un diplôme d’études supérieures et une maîtrise en gestion de la faune et un doctorat en biologie. Elle joint le MFFP en 2011 et occupe depuis plusieurs fonctions liées à la gestion de la faune. Elle contribue également à plusieurs ouvrages sur le sujet dont le Plan de gestion du cerf de Virginie du Québec 2020-2027 élaboré par de Bellefeuille. Enfin, elle a conçu plusieurs protocoles d’inventaires fauniques en plus de participer à la réalisation de plusieurs de ces inventaires.

[136]       Pour sa part, biologiste, de Bellefeuille joint le MFFP en 2015 et occupe aujourd’hui le poste de coordonnatrice provinciale de la gestion du cerf. Au cours des 20 dernières années, elle participe à plusieurs projets de gestion des cerfs et d’étude de leur comportement. Elle est l’auteure de plusieurs publications sur le sujet, dont le « Rapport sur la révision du système de suivi des populations de cerfs de Virginie au Québec : une approche simplifiée et scientifiquement approuvée ». Enfin, elle compte une cinquantaine d’heures de vol en hélicoptère dans le cadre de travaux liés à la capture et à l’inventaire de cervidés.

[137]       Puisqu’elles sont toutes deux à l’emploi du MFFP, les demandeurs et l’intervenante avancent qu’on ne saurait attribuer de valeur probante à leur témoignage et au contenu de leur rapport.

[138]       Le Tribunal n’est pas d’accord.

[139]       Comme le reconnaît l’intervenante, le lien d’emploi entre une partie et l’expert qu’elle présente ne fait pas obstacle à la recevabilité de son rapport ou de son témoignage[100]. Toutefois, selon elle, ce lien affecte immanquablement leur valeur probante.

[140]       Le Tribunal ne peut se ranger à cette proposition sans nuance. Si une telle conséquence est possible, on ne peut prétendre qu’elle soit, en tout état de cause, certaine.

[141]       Ici, la preuve ne permet pas de conclure que les expertes ont fait preuve de partialité ou étaient animées d’idées préconçues dans l’exécution de leur mandat. Leurs services ont été retenus par le Procureur général du Québec, une entité autonome et distincte du MFFP. Enfin, elles n’ont pas été impliquées directement dans la présente affaire qui, de la perspective du MFFP, relève de Lamoureux avec qui elles n’ont aucun lien hiérarchique.

[142]       Par ailleurs, le Tribunal est également d’avis que l’inventaire réalisé en février 2022 est fiable. La méthode suivie, élaborée par le ministère entre 1987 et 1990 a été validée et reconnue par la communauté scientifique, a fait l’objet de publications dans des revues spécialisées révisées par des pairs et a été adoptée dans d’autres juridictions.

[143]       Le protocole élaboré pour la réalisation de l’inventaire des cerfs s’appuie donc sur des méthodes reconnues et sur l’expérience acquise par les experts du MFFP, particulièrement à l’égard d’inventaires réalisés en milieu urbain.

[144]       Dans le cas qui nous occupe, le protocole adopté permet d’observer tous les cerfs présents plutôt que d’évaluer leur nombre en extrapolant un échantillonnage. Les conditions dans lesquelles l’inventaire est réalisé permettent de maximiser la fiabilité des résultats : par temps clair, à basse altitude et en hiver, l’absence de feuilles dans les arbres et la présence de neige au sol facilitant alors le repérage.

  • Les objections

[145]       Lors du témoignage de Cadieux et de de Bellefeuille, les parties leur posent nombre de questions sur les méthodes de régulation du cheptel de cerfs telles que la vasectomie, la relocalisation ou la chasse à l’arbalète ou, généralement, sur la sensibilité animale. Le Tribunal a permis l’administration de cette preuve sous réserve des objections.

[146]       Lors de leur contre-interrogatoire, les demandeurs et l’intervenante saisissent alors l’occasion pour tenter de produire certaines pièces par ces deux expertes : P-40, P-45, P-47, P-48, I-14 et I-15. La Ville et le MFFP s’y sont opposés.

[147]       Le Tribunal accueille les objections à ces témoignages et à la production de ces pièces.

[148]       Au départ, les questions posées à l’origine des objections visaient à donner la réplique à Autenne alors que le Tribunal venait tout juste d’autoriser son témoignage et la production d’une partie de son rapport sous réserve des objections. Or, nous l’avons vu, le Tribunal accueille en partie les objections à cette production.

[149]       De plus, bien que Cadieux et de Bellefeuille revendiquent toutes deux une expertise considérable sur tous les aspects de la gestion des cerfs, le rapport au soutien duquel elles témoignent se restreint aux méthodes d’inventaire. Même en adoptant une approche généreuse, le Tribunal ne peut y voir un lien suffisant qui leur permettrait d’opiner sur les méthodes de régulation du cheptel ou la sensibilité animale, des questions sans incidence sur la fiabilité de l’inventaire.

[150]       Quant aux objections à la production des pièces par les demandeurs et l’intervenante, le Tribunal en dispose comme suit :

        Pièces P-40, P-47, I-14 et I-15 :

Le Tribunal a déjà permis leur production pour établir leur existence. Quant à la preuve de leur contenu, il accueille l’objection. Elles constituent du ouï-dire et Cadieux et de Bellefeuille ne sont pas les témoins compétentes pour les produire.

        Pièce P-45 :

Il s’agit d’une photographie de Cadieux tirée de son profil Facebook la montrant avec ses « trophées de chasse ». Le Tribunal accueille l’objection. Cette pièce s’avère sans pertinence pour la présente affaire.

        Pièce P-46 :

Elle consiste en une capture d’écran du profil Facebook de Cadieux où elle partage une pétition. Cette pièce est sans pertinence pour le débat et le Tribunal accueille l’objection.

        Pièce P-48 :

Il s’agit d’un courriel transmis au cours de l’instruction par De Nicola aux procureurs des demandeurs où il s’exprime sur le succès d’une opération de stérilisation des cerfs à Staten Island. Le Tribunal accueille l’objection. Ce document comprend du ouï-dire et Cadieux et de Bellefeuille ne sont certainement pas les témoins compétentes pour le produire.

3.2   Le cadre juridique

3.2.1           La Ville

[151]       Les municipalités ne possèdent aucun pouvoir inhérent. De manière constante, la jurisprudence rappelle quelles ne jouissent que de ceux que lui délèguent les législatures des provinces ou qui découlent de pouvoirs ainsi délégués.

[152]       Le 1er janvier 2006, le législateur québécois adopte la LCM qui établit le cadre des compétences accordées aux municipalités :

4. En outre des compétences qui lui sont conférées par d’autres lois, toute municipalité a compétence dans les domaines suivants :

  1. La culture, les loisirs, les activités communautaires et les parcs;
  2. Le développement économique local dans la mesure prévue au chapitre III;
  3. La production d'énergie et les systèmes communautaires de télécommunications;
  4. L'environnement;
  5. La salubrité;
  6. Les nuisances;
  7. La sécurité;
  8. Le transport.

Elle peut aussi adopter toute mesure non réglementaire dans les domaines prévus au premier alinéa ainsi qu'en matière de services de garde à l'enfance. Néanmoins, une municipalité locale ne peut déléguer un pouvoir dans ces domaines que dans la mesure prévue par la loi.

[153]       L’entrée en vigueur de cette loi ne modifie pas le principe selon lequel une municipalité n’a de pouvoir que ceux délégués par les législatures. Toutefois, sa facture témoigne d’une volonté du législateur québécois de conférer aux municipalités des pouvoirs en termes généraux leur permettant d'exercer efficacement la plénitude de leurs compétences[101].

[154]       Cette volonté s'exprime également à l'article 2 LCM qui codifie la règle suivant laquelle une loi habilitante bénéficie d'une interprétation large et libérale de manière à favoriser ses objets[102] :

2. Les dispositions de la présente loi accordent aux municipalités des pouvoirs leur permettant de répondre aux besoins municipaux, divers et évolutifs, dans l'intérêt de leur population. Elles ne doivent pas s'interpréter de façon littérale ou restrictive.

[155]       Ainsi, il est reconnu que les municipalités possèdent la compétence pour adopter des mesures visant à contrôler les animaux sur leur territoire notamment parce qu'ils peuvent constituer des nuisances[103].

[156]       Somme toute, la Ville a compétence pour adopter une résolution visant à solliciter la délivrance d'un permis de chasse à l'arbalète afin de contrôler la population de cerfs sur son territoire. De fait, les demandeurs et la SPCA ne contestent pas cette compétence non plus que la validité du règlement CO-2022-1207 adopté par la Ville[104] pour permettre cette chasse.

3.2.2           Le MFFP

[157]       La Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (LCMVF)[105] encadre la gestion de la faune au Québec. Sa disposition préliminaire énonce ses différents objets, dont la reconnaissance à toute personne du droit de chasser.

DISPOSITION PRÉLIMINAIRE

La présente loi a pour objet la conservation de la faune et de son habitat, leur mise en valeur dans une perspective de développement durable et la reconnaissance à toute personne du droit de chasser, de pêcher et de piéger, conformément à la loi. À cet effet, elle établit diverses interdictions relatives à la conservation des ressources fauniques ainsi que diverses normes en matière de sécurité et elle énonce les droits et obligations des chasseurs, pêcheurs et piégeurs.

[158]       L'article 1.3 LCMVF confirme également que toute personne a le droit de chasser :

« 1.3 Toute personne a le droit de chasser, de pêcher et de pêcher conformément à la loi.

Le premier alinéa n'a pas pour effet toutefois d'établir une prépondérance de ce droit à l'égard d'autres activités pouvant s'exercer sur le même territoire. »

[159]       Pour sa part, le Règlement sur la chasse[106] (le Règlement) encadre l'activité de chasse. Notamment, il identifie les zones et les périodes où la chasse est autorisée ainsi que les engins de chasse permis. Plus particulièrement, les articles 3.1, 5, 9.1, 14 et 31 du Règlement autorisent l'utilisation de l'arbalète comme engin de chasse et en circonscrivent ses conditions d'utilisation.

[160]       Aussi, nul ne peut chasser s'il n'est titulaire d'un permis délivré à cette fin[107].

[161]       L'article 47 LCMVF permet au ministre de délivrer un permis pour des fins scientifiques éducatives ou de gestion de la faune (un permis SEG) autorisant une personne à passer outre certaines dispositions de la LCMVF ou d'un règlement adopté en vertu de cette loi. Ce permis SEG permet par exemple de déroger aux conditions relatives aux périodes de chasse ou au nombre maximum d'animaux qu'un chasseur peut récolter.

[162]       À cet égard, la procédure de délivrance des permis SEG (la Procédure)[108] balise l'analyse des demandes de ce type de permis. Dans le cas d'un permis à des fins de gestion de la faune on doit notamment :

  • Évaluer l'efficacité de la méthode préconisée et s'assurer que les appareils de capture sont adaptés aux buts poursuivis.
  • S'assurer que la taille d'échantillonnage et la quantité de spécimens prélevés correspondent aux objectifs poursuivis et évaluer la durée utile de la période d'échantillonnage afin d'éviter de perturber inutilement le milieu ou les populations animales locales.
  • S'assurer, avant de délivrer un permis visant le contrôle des populations animales, que des mesures correctrices ou préventives ont été prises afin d'éliminer la source des problèmes rencontrés avec ces animaux.

[163]       La Procédure prévoit également ce qui suit :

La société étant de plus en plus sensible au traitement des animaux, il est important de s’assurer que les manipulations réalisées dans le cadre d’un permis SEG ne compromettent pas de façon importante le bien-être de l’animal, et ce, peu importe la catégorie du permis délivré (scientifique, éducative ou de gestion de la faune). Toutefois, puisque les différentes interventions possibles ne posent pas toutes un risque élevé pour le bien-être de l’animal, le niveau d’encadrement des manipulations peut être ajusté en fonction de ce niveau de risque.

[164]       C'est pourquoi lorsque les manipulations visées par la demande de permis SEG posent un plus grand risque pour le bien-être de l'animal ou si elles ne sont pas documentées par une procédure normalisée de fonctionnement, le projet doit obtenir un certificat de bons soins aux animaux, délivré par un comité de protection des animaux accrédité par le Conseil canadien de protection des animaux[109].

3.2.3           L'article 898.1 du Code civil du Québec (C.c.Q.)

[165]       Au cœur de la présente affaire, l'article 898.1 C.c.Q. se lit comme suit :

Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques.

Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables.

[166]       Adoptée en 2015, cette disposition modifie le statut juridique de l'animal. Désormais, il n'est plus un bien selon les catégories traditionnelles du Code civil du Québec. De surcroît, il est doué de sensibilité et possède des impératifs biologiques[110].

[167]       Combiné à l’adoption de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal[111] – qui ne s’applique pas à la présente affaire – cet article élève le bien-être animal au rang des valeurs faisant l’objet d’un large consensus social[112].

[168]       Dans Road to Home, la Cour d’appel attribue à cette disposition la valeur d’une norme comportementale qui dicte la conduite qui s’impose aux personnes interagissant avec un animal :

[56]        Il n’y a aucune incompatibilité entre cette disposition législative et les art. 31 et 32 du règlement 16-060 ou avec les art. 33, 36 et 49 du règlement 18-042, ni d’incompatibilité entre cette disposition législative et les autres articles des deux règlements. Le fait que les animaux (incluant, cela va sans dire, les chiens de toutes sortes) sont des êtres doués de sensibilité n’empêche pas qu’ils puissent occasionnellement constituer une nuisance ou un danger et faire l’objet de mesures destinées à contrer l’une ou l’autre ou à y remédier de façon temporaire ou définitive[40]. Au nombre de ces mesures figure l’euthanasie qui, selon les règlements en cause, peut être ordonnée lorsque le chien est déclaré dangereux.

[57]        Il n’y a en cela rien qui contrevienne à l’article 898.1 C.c.Q. En affirmant que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, ayant des impératifs biologiques, le législateur dicte du même coup la conduite que doivent avoir tous ceux et celles qui interagissent avec de tels êtres. Cette disposition, qui a donc valeur de norme comportementale, s’applique certainement à la manière dont les villes mettent en œuvre les règlements qu’elles adoptent en vertu de la Loi sur les compétences municipales afin de gérer les nuisances animales ou les animaux errants ou dangereux. Ainsi, lorsqu’une disposition réglementaire (comme c’est ici le cas) prévoit l’euthanasie d’un animal, on devra y procéder d’une façon conforme à l’art. 898.1 C.c.Q., c’est-à-dire respectueuse de la sensibilité animale reconnue par le législateur. Il n’est pas impossible non plus que l’art. 898.1 C.c.Q. ait un effet direct sur le contenu même d’un tel règlement, qui ne pourrait pas, devant un éventail de possibilités, prescrire l’utilisation du moyen le plus cruel ou le plus douloureux afin de mettre un animal à mort (en l’espèce, les règlements ne prescrivent rien de tel).[113]

[Références omises]

[169]       Cela dit, dans ce même arrêt, la Cour d'appel ajoute que l'article 898.1 C.c.Q. et la Loi sur le bien-être et la sécurité de l'animal[114] nont pas pour effet d'attribuer ou de retirer des compétences aux municipalités. Toutefois, ensemble, elles établissent un cadre législatif général utile à l'appréciation du contenu des règlements municipaux et à la manière dont ils doivent être appliqués[115].

[170]       Dans l'arrêt Doucet[116], la Cour d'appel s'exprime comme suit sur cette question :

 [59]        Le pouvoir municipal de restreindre le nombre d’animaux par demeure relève de la compétence en matière de nuisance. L’étendue de cette compétence n’a pas été altérée par l’adoption de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l'animal[41] ni par la reconnaissance que les animaux ne sont pas des biens, mais plutôt des êtres doués de sensibilité possédant des impératifs biologiques[42]. Malgré ce changement de statut, les animaux demeurent une source possible de nuisance. D’ailleurs, la compétence sur la nuisance n’est pas tributaire de la valeur morale accordée à des êtres vivants. À titre d’exemple, la compétence en matière de nuisance permet aux municipalités de réglementer les bruits émanant de l’activité humaine.

[Soulignements du Tribunal]

[171]       À ce sujet, les auteurs Michaël Lessard et Romane Bonenfant, se fondant sur l’arrêt Road to Home, sont également d’avis que l’article 898.1 C.c.Q. n’a pas pour effet d’empêcher une municipalité d’ordonner la mise à mort d’animaux dangereux ou constituant une nuisance :

Or, reconnaître que les animaux sont des êtres doués de sensibilité ne les empêche pas de constituer une nuisance ou un danger. Cette reconnaissance, soulignons-le, n’a pas qu’un effet déclaratoire : elle a aussi un effet normatif. Cependant, ce dernier suppose au plus de respecter la sensibilité des animaux ainsi que leurs impératifs biologiques, mais non d’interdire leur mise à mort.

[…]

Ainsi, l’article 898.1 CcQ n’interdit pas explicitement la mise à mort d’animaux et ne saurait, de l’avis de la Cour d’appel, être interprété comme l’interdisant implicitement, notamment en raison du contexte législatif et socioéconomique québécois.[117]

[Soulignements du Tribunal]

[172]       Une autre auteure souligne que l’article 898.1 C.c.Q., bien qu’ayant une portée limitée[118], permet néanmoins deux avancées majeures pour les droits des animaux, soit la reconnaissance qu’ils sont doués de sensibilité et qu’ils peuvent ressentir la douleur, de même que la reconnaissance qu’ils possèdent des impératifs biologiques :

L’évolution du droit pour la protection des animaux s’appuie sur une éthique fondée sur le respect de la sensibilité propre à l’animal apte à ressentir la douleur ou à éprouver des émotions. L’absence d’émotions négatives telles la souffrance, l’angoisse ou la peur, est une composante majeure du bien-être. Cette éthique se base elle-même sur le développement récent des connaissances impulsées par la neurobiologie et l’éthologie. Par la voie de la déréification, le droit québécois rejoint enfin l’éthique et la science dans la reconnaissance, tellement évidente, de la nature sensible des animaux. []

[…]

 

Une autre avancée significative du premier alinéa de l’article 898.1 du Code civil du Québec est l’intégration, dans le droit commun, de la notion d’impératifs biologiques particuliers à chaque espèce animale. Les éthologues privilégient depuis longtemps l’idée selon laquelle chaque animal « doit pouvoir exprimer les comportements propres à son espèce dans le milieu naturel ». Cette idée est d’ailleurs soutenue par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), lequel souligne que les tentatives d’amélioration de la bientraitance des animaux d’élevage passent inévitablement par la possibilité pour l’animal d’exprimer les comportements propres à son espèce.[119]

[Références omises]

[173]       Ainsi, puisque la Loi sur les compétences municipales ne dicte pas la méthode que les municipalités peuvent employer pour la mise à mort d’un animal, elle doit donc être conforme à l’article 898.1 C.c.Q. L’intention qui se dégage du nouveau cadre législatif applicable aux animaux est qu’il est nécessaire « de s’assurer qu’on le fasse dans le respect de la sensibilité de ceux-ci et d’une manière qui soit aussi douce et rapide que possible »[120].

3.3   La raisonnabilité de la Résolution et de la délivrance du Permis SEG

[174]       Les demandeurs et la SPCA invoquent de nombreux motifs pour attaquer la Résolution et la délivrance du Permis SEG. Plusieurs se recoupent ou visent indistinctement ces deux décisions. Pour faciliter la compréhension, le Tribunal propose de les traiter ensemble.

[175]       Avant de procéder à l’analyse, nous examinerons d’abord la preuve factuelle des démarches menant à chacune des décisions attaquées.

3.3.1           La Résolution

3.3.1.1            Historique

[176]       Le plan directeur des parcs et espaces verts de la Ville attribue au Parc une vocation de parc-nature. Il comprend des sentiers pédestres et également de grandes zones de conservation où la Ville cherche à maintenir l'important couvert forestier et la riche biodiversité floristique et faunique quil abrite.

[177]       Depuis de nombreuses années, un cheptel de cerfs y habite.

[178]       Au fil du temps, le cheptel croît au point où, en 2009, une étude conclut que le nombre de cerfs dépasse la capacité de support du milieu[121]. Un premier inventaire aérien réalisé en 2012[122] révèle la présence de 41 cerfs dans le Parc, un nombre significativement plus élevé que la densité recommandée par les biologistes du MFFP[123].

[179]       Au cours des années qui suivent, la Ville entreprend de nombreuses actions afin d'atténuer l'impact de la présence des cerfs dans le Parc[124] :

  • Conférences éducatives sur les impacts de la présence de cerfs dans le Parc;
  • Activité de sensibilisation par des agents de protection de la faune (MFFP) et des policiers à vélo pour informer les visiteurs des conséquences du nourrissage artificiel;
  • Étude d'impact du brout sur la forêt du Parc;
  • Amélioration de la signalisation routière aux abords du Parc;
  • Construction d’exclos;
  • Protection des végétaux;
  • Chasse des cerfs dans le Boisé Tremblay, un parc-nature situé à proximité.

[180]       De plus, dès 2008, la Ville adopte le Règlement CO-2008-523 sur le contrôle des animaux qui interdit aux citoyens de nourrir les cerfs.

[181]       En 2017, le MFFP procède à un second inventaire aérien qui révèle la présence de 32 cerfs dans le Parc[125], un nombre, encore là, trop élevé. Quelques mois plus tard, la Ville cesse définitivement le nourrissage des cerfs.

[182]       Toutefois, les mesures mises en place par la Ville ne permettent pas de juguler les impacts inhérents à la présence des cerfs en surnombre dans le Parc.

[183]       Au mois d'août 2020, la Ville reçoit une étude[126] qui révèle que le brout des cerfs constitue une menace qui pèse lourdement sur la végétation du Parc. Plus particulièrement, il fait obstacle à la régénération de feuillus de qualité et favorise l'implantation d'une flore exotique envahissante.

[184]       Depuis, le nombre de cerfs continue de croître. Des inventaires réalisés en 2021[127] et en février 2022[128] dénombrent respectivement 72 et 108 cerfs dans le Parc.

3.3.1.2            Les enjeux posés par la surpopulation de cerfs

[185]       À l'automne 2020, la Ville prépare le Plan[129] dont elle communique les détails à la population en novembre 2020[130]. Élaboré avec la collaboration du MFFP[131], le Plan prévoit une réduction du nombre de cerfs par une intervention ciblée soit la capture et l'euthanasie d'un maximum de 15 cerfs[132].

[186]       Le Plan fait état des nombreuses conséquences négatives attribuables à la surpopulation de cerfs et qui justifie l'intervention ciblée :

  • Mise en péril de la biodiversité végétale et animale;
  • Très faible régénérescence des boisés;
  • Plantations actuelles et futures compromises alors que la Ville s'apprête à investir 15M$ dans le verdissement et le reboisement du Parc;
  • Accroissement des risques d'accident d'automobile alors qu'en 2019 le service 911 a reçu 38 appels relatifs à des accidents impliquant un cerf;
  • Dommages aux propriétés (14 plaintes de citoyens et 8 réclamations totalisant plus de 35 000 $ entre 2016 et 2020);
  • Danger pour la santé publique, le cerf étant un hôte de la tique à pattes noires, un vecteur de la bactérie causant la maladie de Lyme.

[187]       Le Plan souligne également qu'une densité élevée de cerfs nuit à leur propre espace. Le manque de nourriture les affaiblit et peut même entraîner leur mort.

[188]       Par ailleurs, il n'est pas sans intérêt de souligner que SSA reconnaît les conséquences néfastes d'une surpopulation de cerfs. Dans la proposition qu'il soumet le 16 novembre 2020 à la Ville pour relocaliser les cerfs[133].,il énumère, en substance, les mêmes impacts négatifs résultant d'une trop grande densité de cerfs.

[189]       Enfin, dans son rapport publié en novembre 2021, la Table formule les mêmes constats : la population de cerfs dans le Parc est en croissance et a très largement dépassé la capacité de support du Parc, au détriment de l'habitat même du cervidé, de la forêt qui peine à se régénérer, de la biodiversité et de l'équilibre écologique du Parc. Sa conclusion est limpide :

« Pour les membres de la Table, les impacts de la surpopulation de cerfs ne font aucun doute, tout comme la nécessité de réduire de façon importante, urgente et durable les effets associés à leur présence dans le parc »[134].

3.3.1.3            Les solutions envisagées

[190]       Dans le Plan, la Ville analyse les méthodes de gestion possibles[135] et les inconvénients qui s'y rattachent.

-         Chasse contrôlée : elle n'est pas permise dans le Parc et présente d'importants enjeux de sécurité.

-         Déplacement au boisé Du Tremblay avec pression de chasse supplémentaire alors que la chasse y est permise : stress sur les bêtes au moment de la capture et du transport et risque de retour des cerfs.

-         Déplacement dans les Laurentides : stress accru des bêtes au moment de la capture et du transport pouvant mener à la mort et risque d'y transporter des maladies.

[191]       Finalement, la Ville retient la méthode de capture-euthanasie puisque c'est celle qui respecte le plus le bien-être animal et présente le moins d'enjeux logistiques et de sécurité[136]. Le 1er novembre, le MFFP lui délivre le permis requis et la Ville rend public le Plan.

[192]       Toutefois, le 16 novembre, SSA dépose à la Ville une proposition alternative. Elle offre de prendre en charge une opération visant à relocaliser 15 cerfs dans des refuges de la faune, prêts à les accueillir[137]. La Ville accepte alors la proposition et suspend son projet de capture-euthanasie sur le point de débuter.

[193]       Cependant, le projet de SSA prend fin abruptement le 18 février 2021 alors que le CÉUA refuse d'émettre le certificat de bons soins des animaux[138], exigence préalable à la délivrance d'un permis de relocalisation par le MFFP. Le rapport du CÉUA fait état de nombreux risques associés au projet pour justifier le refus. Il souligne, entre autres, « le stress et les souffrances que vont donc subir les animaux vont être très élevés, probablement au point de causer des blessures graves, voire mortelles ».

[194]       Au même moment, la Ville apprend également que l'inventaire aérien conduit par le MFFP dénombre 72 cerfs dans le Parc[139] soit près du double par rapport à l'inventaire précédent. C'est pourquoi, le 29 mars 2021, elle annonce qu'elle souhaite prendre un temps de réflexion pour identifier les meilleures solutions à long terme et, qu'à cette fin, elle met la Table sur pied[140].

[195]       La Table se compose de représentants d'organismes du milieu, de la Ville dont Provost, de Lamoureux du MFFP et de citoyens. Dans le cadre de leurs travaux, ils visitent le Parc, mènent des entrevues, consultent des experts et des intervenants, dont Dussault, ainsi que nombre d'ouvrages spécialisés[141].

[196]       Le 19 août 2021, ils tiennent une séance de travail portant exclusivement sur la gestion de la surpopulation de cerfs[142]. Au cours de cette séance, plusieurs experts et intervenants font des présentations, expriment leur point de vue et répondent aux questions : Anaïs Gasse (Gasse), biologiste au MFFP, Stéphane Lair (Lair) et JeanPierre Vaillancourt (Vaillancourt), professeurs titulaires à la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, ce dernier étant également responsable du CÉUA, et Dussault, représentant de SSA.

[197]       Au cours de cette séance de travail, les méthodes de gestion de la faune suivantes font l'objet de présentations et de discussions :

Méthodes non létales

Méthodes létales

a)      Capture et relocalisation

a)   Réintroduction de prédateurs

b)      Clôture et méthode d’exclusion

b)   Capture et euthanasie

c)      Répulsifs et effarouchement

c)    Appel à des tireurs experts

d)      Stérilisation et contraception

d)   Chasse sportive

e)      Nourrissage artificiel

e)   Chasse contrôlée

 

[198]       Ces méthodes exposées, certains participants expriment leur opinion quant à celle à privilégier :

  • Gasse favorise la chasse contrôlée comme moyen de gestion des populations en milieu urbain et périurbain[143];
  • Dussault reconnaît que, vu le nombre élevé de cerfs, la relocalisation s’avère impraticable. Il propose donc de confiner les cerfs en enclos, de les nourrir et de stériliser les femelles[144];
  • Sans prendre position, Lair fait une présentation des méthodes qui suggère néanmoins que les méthodes létales seraient les plus conciliantes avec le bien-être animal[145].

[199]       Enfin, au cours de cette rencontre, les membres élaborent les critères à considérer pour évaluer les différentes méthodes de gestion :

  1. réalisable;
  2. durable;
  3. techniquement réalisable;
  4. financièrement réaliste;
  5. reproductible;
  6. appuyée par la science;
  7. éthique (bien-être animal);
  8. sécuritaire (population, usagers);
  9. sensible aux préoccupations citoyennes;
  10. réalisable à court terme;
  11. durable à long terme[146].

[200]       Dans le rapport de la Table, déposé le 22 novembre 2021, les membres soulignent que la population de cerfs dépasse très largement la capacité du Parc au détriment même de l'habitat du cervidé, de la forêt qui peine à se régénérer de la biodiversité et de l'équilibre écologique du Parc. Pour eux, les impacts de la surpopulation de cerfs ne font aucun doute, tout comme la nécessité de réduire de façon importante, urgente et durable les effets associés à leur présence[147].

[201]       Aussi, ils formulent en ces termes leur analyse des options possibles et de leurs recommandations :

« En faisant appel à des experts et des études scientifiques sur le sujet, les membres de la Table ont pris le soin d'analyser rigoureusement les avantages et inconvénients de toutes les options possibles :

 Ne rien faire, en acceptant les impacts, au détriment du bien-être des animaux et les risques de la cohabitation avec les cerfs;

 Créer des corridors migratoires pour faciliter leur déplacement vers d'autres secteurs;

 Confiner ou exclure les cerfs à l'aide d'enclos et/ou d'exclos;

 Nourrir artificiellement les cerfs pour limiter leur impact sur la flore du parc;

 Stériliser les cerfs pour stabiliser leur nombre (contraception hormonale, vaccin, chirurgie, etc.);

 Déplacer les cerfs (répulsion, effarouchement, déplacement, etc.);

 Employer des méthodes létales pour diminuer leur nombre (chasse, euthanasie, prédateurs, etc.)

Ces options ont été évaluées individuellement et de façon combinée selon différents critères, dont le bien-­être animal, la validité scientifique, la faisabilité à court terme, la durabilité des résultats, la sécurité des personnes et l'acceptabilité sociale.

Au terme d'une analyse rigoureuse, les membres de la Table concluent d'abord à l'urgence de réduire le nombre de cerfs dans le parc Michel-Chartrand afin d'éviter des dommages additionnels sur les milieux naturels du parc, déjà fortement fragilisés. Après avoir évalué toutes les possibilités, les membres concluent que la seule option viable à court terme pour obtenir des résultats durables est de procéder dès 2022 à la réduction de la taille du cheptel par une méthode de capture et d'euthanasie afin d'atteindre la capacité de support du parc. Selon les experts, l'automne est la saison à privilégier pour cette approche. D'autres approches efficaces complémentaires, soit la stérilisation chirurgicale et l'accroissement de la chasse en secteurs périphériques, devront être étudiées concurremment en vue de maintenir à plus long terme une population de cerfs correspondant à la capacité de support des milieux naturels du parc. Selon les experts et les études consultés par la Table, afin d'être efficaces, les méthodes de stérilisation doivent être réalisées sur des petites populations isolées et pratiquées chez plus de 80 % de la population et elles sont généralement accompagnées par une méthode de contrôle létal.

La relocalisation des cerfs pour diminuer leur nombre dans le parc Michel-Chartrand n'a pas été retenue par les membres de la Table pour plusieurs raisons: taux de mortalité élevé des cerfs relocalisés dans les cas étudiés; stress élevé que cette opération cause chez les bêtes; risques élevés de blessures lors de la capture et du déplacement des bêtes; disponibilité et capacité limitées des sites d'accueil; potentiel de transmission de maladies dans les sites d'accueil.»[148]

[202]       Les membres de la Table recommandent donc l'utilisation d'une méthode létale pour réduire le cheptel soit la capture-euthanasie. Bien qu’elle soit plus efficace, ils ne recommandent pas la chasse contrôlée à l’arbalète en raison du règlement CM 2013 162[149]  qui, à cette époque, prohibe lutilisation d'armes dans le Parc[150].

[203]       Toutefois, le 25 février 2022, la Ville reçoit les résultats d'un nouvel inventaire aérien conduit par le MFFP qui révèle que le nombre de cerfs a une fois de plus augmenté, passant à 108[151]. Cette information contraint la Ville à considérer un nouvel objectif de réduction du nombre de cerfs et, par conséquent, à réévaluer la méthode pour y parvenir[152].

[204]       De fait, l'opération de capture-euthanasie ne permettait de réduire le cheptel que de 60 cerfs, ce qui, dorénavant, s'avère insuffisant pour atteindre un nombre approprié à la capacité du Parc[153]. C'est pourquoi, après consultation avec les membres de son équipe et avec les représentants du MFFP, Provost décide d'opter pour la chasse contrôlée à l'arbalète[154], « la seule solution réaliste qui permettait de diminuer la population d’un aussi grand nombre de cerfs efficacement et à court terme »[155].

[205]       De là, la Ville modifiera sa réglementation sur l’utilisation d’armes afin de permettre la mise en œuvre de cette solution[156].

3.3.2           La délivrance du Permis SEG

[206]       Pour l'essentiel, la preuve des démarches du MFFP menant à la délivrance du Permis SEG repose sur la déclaration sous serment souscrite par Lamoureux. Détenteur d'un baccalauréat en écologie et d'une maîtrise en biologie, il entre à l'emploi du MFFP en avril 2021 à titre de biologiste responsable de la faune terrestre en milieu urbain et périurbain à la Direction de la gestion de la faune de l’Estrie, de Montréal, de la Montérégie et de Laval.

[207]       Quant au cerf de Virginie, ses fonctions l'amènent notamment à accompagner les municipalités et autres gestionnaires de territoire dans l'élaboration de mesures de gestion en milieu urbain et périurbain. Dès son entrée en fonction au MFFP, il s'implique dans le dossier des cerfs du Parc. Il sera en contact fréquent avec Provost et devient membre de la Table dès sa création au printemps 2021.

[208]       Il procède également à l'analyse de la demande de la Ville pour la délivrance d'un permis SEG et en recommande la délivrance. Dans le cadre de cet exercice, il prend en considération plusieurs articles scientifiques et documents de référence[157] et plus particulièrement :

        L'historique des demandes de permis SEG pour le contrôle de la population de cerfs au Parc;

        Le rapport de la Table[158];

        Le plan de contrôle du cerf de Virginie au Québec 2022-2027[159];

        Le Rapport sur la situation du cerf de Virginie dans l'est de Montréal qui porte notamment sur les méthodes de gestion de la surpopulation de cerf[160];

        Les données de l'inventaire aérien conduit au Parc le 22 février 2022[161];

        L'Étude sur les impacts de fréquentation du parc, sur les équipements et les ressources naturelles, Volet forêt-faune et capacité de support, Parc régional de Longueuil[162];

        L’Inventaire d'arbres dans le parc-nature : Rapport d'inventaire des peuplements forestiers[163].

[209]       Il échange également avec des citoyens et des intervenants sur les enjeux que soulève la surpopulation de cerfs dans le Parc. Membre de la Table, ses travaux l’amènent à consulter des experts et une abondante littérature scientifique[164].

[210]       De manière plus particulière, Lamoureux analyse la demande de Permis SEG de la Ville suivant les critères pertinents énoncés dans la Procédure.

3.3.2.1            L’efficacité de la méthode

[211]       Ce premier critère vise à s'assurer de l'efficacité de la méthode préconisée et que les engins proposés conviennent aux buts poursuivis.

[212]       À partir de son expertise, de ses échanges avec des experts et des intervenants et de l'abondante littérature consultée, il conclut que la demande de la Ville satisfait à ce critère. Plus particulièrement, il s’appuie sur le rapport de la Table et sur le Plan de gestion du cerf de Virginie au Québec 2022-2027.

[213]       Du rapport de la Table, Lamoureux retient, entre autres, les éléments suivants :

  • Il y a urgence à réduire la taille du cheptel[165];
  • La surpopulation des cerfs pose des risques pour la santé humaine et la sécurité des animaux;[166]
  • Les membres de la Table ont soigneusement analysé les avantages et les inconvénients associés aux options possibles[167];
  • Les membres de la Table ont exclu la méthode de relocalisation des cerfs en raison notamment du taux élevé de mortalité des cerfs relocalisés et des risques élevés de blessures aux cervidés[168].

[214]       Quant à un scénario de relocalisation, il relève également la demande de permis SEG déposée par SSA et qui lui fut refusée en raison de l'impossibilité de fournir un certificat de bons soins aux animaux attestant que son plan opérationnel respectait les impératifs biologiques des cerfs[169].

[215]       Somme toute, il retient des travaux et du rapport de la Table que ses membres recommandent unanimement l'adoption d'une méthode létale pour réduire la taille du cheptel[170].

[216]       Par ailleurs, son analyse s'appuie également sur le Plan de gestion du cerf de Virginie au Québec 2022-2027, un ouvrage de référence rédigé par deux biologistes du MFFP œuvrant à la coordination provinciale de la gestion du cerf de Virginie avec la collaboration de 13 autres biologistes du ministère[171].

[217]       Ce plan souligne la densité excessive de la population de cerfs dans plusieurs régions, dont celle comprenant le Parc, et documente les nombreuses conséquences négatives qui en résultent. Il considère également la chasse sportive et la chasse contrôlée comme des outils de gestion efficaces :

« Plus de 100 ans de recherches et d’expériences de gestion aux États-Unis et dans l’est du Canada ont montré que la chasse est la meilleure méthode pour gérer les populations de cerfs de Virginie et qu’elle a des bénéfices écologiques, sociaux et économiques (NECWS et NEDTC, 2009). Lorsque diverses contraintes limitent l’utilisation de la chasse sportive traditionnelle, le Ministère propose la chasse contrôlée comme outil de gestion. La chasse contrôlée est beaucoup plus restrictive que la chasse sportive traditionnelle, car les chasseurs, triés sur le volet, sont dirigés sur le territoire et ils doivent respecter des conditions particulières bien définies (p. ex., types d’engins autorisés, nombre de chasseurs, horaire, emplacement pour le tir). Ce type de chasse peut permettre de résoudre des problématiques de surabondance locale lorsque la chasse sportive normale ne permet pas de réduire les populations ou est difficilement réalisable à cause des particularités du territoire. La chasse contrôlée, lorsqu’elle est réalisée en collaboration avec tous les acteurs du milieu, bénéficie d’une bonne acceptabilité sociale (p. ex., projet-pilote de l’île aux Hérons à Montréal).[172]

3.3.2.2            La validation de la taille de l’échantillonnage

[218]       Lamoureux participe à l’inventaire réalisé le 24 février 2022[173]. Il explique en détail le protocole suivi et validé par le Rapport Cadieux-de Bellefeuille[174] auquel le Tribunal a déjà accordé une grande valeur probante.

[219]       Cet inventaire permet de dénombrer la présence de 108 cerfs dans le Parc. À ce nombre, Lamoureux considère que plusieurs autres s’ajouteraient au printemps 2022. En effet, la littérature scientifique qu’il consulte suggère un taux de gestation chez les femelles adultes de 85.8% et qu’une biche peut donner naissance à 1 à 3 faons par portée[175].

[220]       S’appuyant à nouveau sur la littérature scientifique, il conclut que le nombre de cerfs dépasse largement la capacité de support du Parc établie à environ 10 à 15 cerfs[176], conclusion à laquelle en arrive la Table[177]. C’est pourquoi il recommande d’autoriser une récolte maximale de 100 cerfs à l’intérieur d’une période de six mois[178].

3.3.2.3            La vérification des mesures préventives ou correctrices

[221]       Lamoureux détaille son analyse des mesures préventives ou correctrices prises ou envisagées afin d’éliminer la source des problèmes rencontrés avec les cerfs. Il note ainsi les deux permis SEG antérieurement délivrés à la Ville et la demande de permis SEG formulée par SSA, aucune des trois n’ayant pu être mise en œuvre[179].

[222]       Sa participation aux travaux de la Table lui permet de prendre connaissance du Plan qui énumère les nombreuses mesures mises en place par la Ville, sans succès[180]. Elle lui permet également de constater les différents scénarios envisagés par la Ville pour corriger la situation tels que :

  • la création de corridors migratoires;
  • l’installation d’enclos ou d’exclos;
  • le nourrissage artificiel des cerfs;
  • la stérilisation ou la relocalisation des cerfs;
  • l’emploi de méthodes létales pour réduire leur nombre[181].

[223]       Dans le cadre de son analyse, il considère la littérature scientifique[182] pour évaluer si la relocalisation pourrait s’avérer une alternative possible à une solution létale. À l’instar de la Table, il conclut à l’inefficacité de cette solution notamment en raison des risques élevés de stress, de blessures et de mortalité pour l’animal[183].

[224]       Aussi, bien qu’il la considère, il exclut également la garde en captivité des cerfs. Selon la littérature scientifique qu’il consulte, elle expose l’animal à des risques élevés de myopathie musculaire. De plus, le nombre de sites de garde est très limité et il n’en connaît aucun pouvant accueillir 100 cerfs[184].

[225]       Enfin, il considère la mise en œuvre d’un programme de stérilisation pour freiner la croissance du cheptel, un scénario également envisagé par la Table. Toutefois, les études scientifiques qu’il consulte préconisent une réduction du cheptel préalablement à la stérilisation[185].

3.3.2.4            L’éthique et le bien-être animal

[226]       Ce critère vise à s’assurer que les manipulations réalisées dans le cadre d’un permis SEG ne compromettent pas de façon importante le bien-être de l’animal, et ce, peu importe la catégorie du permis délivré, scientifique, éducative ou de gestion de la faune.

[227]       Aussi, puisque la chasse contrôlée à l’arbalète ne nécessite aucune manipulation ou aucun soin de l’animal alors vivant, Lamoureux conclut qu’elle ne requiert pas l’obtention d’un certificat de bons soins préalablement à la délivrance d’un permis SEG.

[228]       À cet égard, dans son analyse, Lamoureux considère d’abord que l’usage de l’arbalète est un moyen de chasse largement répandu et autorisé par la LCMVF et le Règlement[186]. Pour s’assurer de réduire les souffrances animales et assurer une mort rapide des cerfs, il recommande d'intégrer plusieurs conditions au permis de chasse après avoir sollicité, par l’entremise d’une collègue, l’avis d’experts en grande faune et en utilisation de l’arbalète. Parmi ces conditions figurent les suivantes :

  • L’opération de chasse contrôlée doit être réalisée par bloc de X[187] jours avec période de pause minimale de X entre chaque bloc afin d’éviter que les cerfs modifient leur comportement en raison de la présence des chasseurs, permettant ainsi à ces derniers de tirer à courte distance[188];
  • Fermeture du Parc au public avec présence policière. Outre des considérations de sécurité publique, cette condition permet d’éviter des distractions aux chasseurs ou de faire fuir les cerfs[189];
  • Sites prédéterminés pour l’appâtage permettant d’immobiliser l’animal offrant ainsi des conditions optimales pour un tir précis et efficace[190];
  • Pour assurer un tir précis causant une mort rapide, les cerfs doivent être abattus à une distance maximale de X soit bien en deçà de la portée habituellement jugée efficace[191];
  • Par mesure préventive, un conducteur de chien de sang doit accompagner les chasseurs pour repérer rapidement la bête qui pourrait survivre au tir initial[192].

[229]       Par ailleurs, Lamoureux s’assure également de l’expertise des chasseurs mandatés[193]. Selon le témoignage de l’un d’entre eux, les membres de l’équipe retenue ont plus de 15 ans d’expérience de chasse à l’arbalète et chacun d’eux s’est équipé d’un engin neuf muni d’une lunette de visée[194].

[230]       De plus, ce même chasseur affirme également qu’à la distance autorisée, l’arbalète est plus facile à utiliser et aussi efficace qu’un fusil et qu’un tir à l’arbalète entraîne une mort rapide[195].

[231]       Enfin, il ajoute qu’il n’a jamais raté un tir lors d’une chasse à l’arbalète et n’a jamais eu à utiliser plus d’une flèche pour atteindre un animal[196].

3.3.3           Discussion

[232]       Le Tribunal conclut que les demandeurs et la SPCA ne démontrent pas que la Résolution et la délivrance du Permis SEG sont déraisonnables. Ces décisions figurent parmi les issues possibles en regard des contraintes factuelles et juridiques qui s’imposaient à la Ville et au MFFP.

[233]       Fondamentalement, ils plaident que la Résolution et la délivrance du Permis SEG sont déraisonnables parce que contraires à l’article 898.1 C.c.Q.

[234]       L’essentiel de leur argument repose sur la prémisse que la nature sensible des cerfs exige que, lorsque possible, on doive privilégier les méthodes de contrôle qui permettent de les maintenir en vie aux méthodes létales, envisageables qu’en dernier recours. En écartant les méthodes qui permettraient de les garder en vie, telle que la relocalisation, la Ville et le MFFP ne considèrent pas, comme ils le doivent, l’intérêt des cerfs à vivre[197].

[235]       Ils ont tort.

[236]       Si l’article 898.1 C.c.Q. reconnaît que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, il ne reconnaît pas toutefois leur droit ou leur intérêt à vivre. Il n’impose pas non plus de privilégier des méthodes de contrôle qui assure leur maintien en vie aux méthodes létales. Nous l’avons vu, cette disposition a valeur de norme comportementale qui dicte la conduite de toute personne interagissant avec eux[198].

[237]       Ainsi, elle n’interdit pas, en soi, l’abattage ou l’euthanasie d’un animal qui constitue une nuisance ou présente un danger indu. Cependant, dans ces cas, on ne peut utiliser le moyen le plus cruel ou le plus douloureux[199].

[238]       La portée de cette disposition s’apparente à celles contenues dans la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal qui a pour objet d’établir des règles pour protéger les animaux dans une optique visant à garantir leur bien-être et leur sécurité tout au long de leur vie. Dans Road to Home[200], la Cour d’appel conclut que l’intention du législateur en adoptant cette loi n’est pas d’interdire en toutes circonstances de mettre fin à la vie des animaux. Il s’agit plutôt de s’assurer qu’on le fasse dans le respect de leur sensibilité et d’une manière qui soit aussi douce et rapide que possible.

[239]       Cette interprétation de l’article 898.1 C.c.Q. s’harmonise avec la LCVMF et ses règlements qui autorisent la chasse et l’encadrent notamment pour des fins de sécurité, de conservation et de protection de la faune. C’est ainsi que l’article 47 LCMVF prévoit la délivrance d’un Permis SEG en application d’une directive interne qui reconnaît la valeur de norme comportementale énoncée à l’article 898.1 C.c.Q.

[240]       Cela dit, examinons maintenant les motifs invoqués par les demandeurs et la SPCA pour attaquer la Résolution et la délivrance du Permis SEG.

3.3.3.1            Incohérence du raisonnement

[241]       Les demandeurs reprochent à la Ville son inaction pendant de nombreuses années alors qu’elle était parfaitement consciente de l’augmentation de la population de cerfs[201]. Ce n’est qu’en 2020 qu’elle entreprend une opération de réduction du cheptel alors qu’elle sait depuis au moins 2012 que sa taille excède la capacité d’accueil du Parc.

[242]       Cette affirmation appelle des nuances. À partir de 2008, la Ville adopte de nombreuses mesures visant à atténuer l’impact attribuable à la présence des cerfs tel qu’un règlement interdisant leur nourrissage ou l’installation d’exclos[202].

[243]       Cela étant, le Tribunal ne peut y voir une incohérence dans le raisonnement de la Ville. Même en acceptant qu’elle ait fait preuve de laxisme jusqu’en 2020, cela ne suffit pas pour conclure au caractère déraisonnable de la Résolution.

[244]       Ils font valoir également l’incohérence du raisonnement suivie par la Ville menant à l’adoption de la Résolution. Après avoir choisi la méthode de capture-euthanasie, elle se ravise pour celle de la relocalisation pour finalement opter pour la chasse contrôlée à l’arbalète[203].

[245]       Or, c’est à la demande de SSA que la Ville suspend son opération de capture-euthanasie pour lui permettre d’entreprendre des démarches pour relocaliser les cerfs. Nous l’avons vu, cette démarche échoue. De là, la Table recommande l’application d’une méthode létale, en l’occurrence la capture-euthanasie. Toutefois, un inventaire subséquent change la donne : le cheptel s’est accru rendant inefficace l’opération de capture-euthanasie envisagée. C’est pourquoi la Ville adopte la chasse contrôlée à l’arbalète, une autre solution létale. Dans cette optique, on ne peut qualifier d’incohérent le raisonnement menant à l’adoption de la Résolution.

[246]       Ils avancent enfin qu’on ne peut se fier au raisonnement de la Ville et du MFFP, chacun s’appuyant sur la décision de l’autre pour justifier la sienne. Ainsi, il est impossible « d’identifier clairement l’entité responsable de cette prise de décision »[204].

[247]       Cette proposition est inexacte. La preuve révèle plutôt que les deux travaillent en étroite collaboration et en mettant en commun leurs connaissances dans le but d’identifier la meilleure méthode dans les limites de leurs compétences respectives. Le Tribunal n’y voit rien d’incohérent ou de répréhensible. Bien au contraire.

3.3.3.2            Le choix de la méthode de la chasse contrôlée à l’arbalète

[248]       Selon les demandeurs et la SPCA, rien ne justifiait l’adoption de cette méthode pour réduire la taille du cheptel. D’abord, avant même de la retenir, les décideurs se devaient d’évaluer les méthodes alternatives non létales en faisant appel à des experts indépendants en bienêtre animal. Ensuite, le choix de cette méthode est, en soi, déraisonnable particulièrement en ce qu’elle ne prend pas en compte le bien-être animal.

3.3.3.2.1           Méthodes alternatives

[249]       D’abord, ils reprochent à la Ville et au MFFP d’avoir omis de considérer des méthodes alternatives à la chasse contrôlée à l’arbalète et, à cette fin, de faire appel à des experts. Cette proposition est inexacte.

[250]       Nous l’avons vu, la Ville et le MFFP n’avaient pas à faire appel à un expert indépendant en bien-être animal avant de décider de la méthode à retenir pour réduire la taille du cheptel. Néanmoins, ils ont analysé plusieurs méthodes en mettant à profit de nombreuses ressources scientifiques.

[251]       Dès l’automne 2020, la Ville analyse différentes méthodes pour contrôler le cheptel[205] :

  1. Chasse contrôlée;
  2. Déplacement des cerfs au boisé Du Tremblay où la chasse est permise et intensification de cette chasse;
  3. Déploiement des cerfs dans les Laurentides;
  4. Capture et euthanasie des cerfs.

[252]       Elle retient cette dernière option après avoir soupesé les avantages et les inconvénients propres à chacune, incluant le bien-être des cerfs. Toutefois, elle suspend sa mise en œuvre pour permettre à SSA d’aller de l’avant avec sa proposition de relocalisation qui, nous l’avons vu, ne s’est jamais concrétisée.

[253]       Puis, la Ville met sur pied la Table avec pour mandat de proposer des solutions durables notamment aux enjeux posés par la surpopulation de cerfs. Pendant six mois, ses membres, dont Provost et Lamoureux, consultent des experts et des intervenants ainsi qu’une abondante littérature scientifique. Ils prennent le soin d’analyser en détail les avantages et les inconvénients de toutes les options possibles, létales ou non[206].

[254]       Parmi les méthodes non létales considérées figurent la stérilisation et la relocalisation, deux méthodes que privilégient les demandeurs et la SPCA à toutes solutions létales.

[255]       Or, la stérilisation pourrait s’avérer une méthode efficace dans la mesure où on procède d’abord à une réduction de la taille du cheptel[207].

[256]       Quant au scénario de relocalisation, la Ville l’envisage une première fois avec la proposition de SSA[208]. Puis, elle l’examine à nouveau en 2021 à la suite du dépôt du rapport de la Table[209]. Enfin, dans son analyse de la demande de la Ville pour la délivrance d’un permis SEG, Lamoureux se penche également sur la faisabilité de cette méthode.

[257]       Qu’il s’agisse du CÉUA, des membres de la Table, de la Ville ou du MFFP, tous parviennent à la même conclusion : la relocalisation n’offre qu’une solution à court terme et présente des risques élevés de morbidité, de blessures et de stress pour le cerf relocalisé. Lors de la rencontre tenue le 19 août 2021 avec les membres de la Table et d’autres experts, Dussault lui-même reconnaît que l’augmentation de la population de cerfs dans le Parc rend impraticable leur déplacement[210].

[258]       Toutefois, les demandeurs et la SPCA persistent à faire valoir que la relocalisation et la stérilisation constituent des alternatives valables à une méthode létale. Ils s‘appuient sur des articles scientifiques[211] ainsi que sur le Rapport Autenne.

[259]       Or, le Tribunal a accueilli l’objection à l’égard du contenu des articles scientifiques I-14 et I-15.

[260]       Par ailleurs, le fait que le Rapport Autenne privilégie la méthode de la relocalisation ou de la stérilisation à celle de la chasse contrôlée à l’arbalète ne suffit pas à rendre la Résolution ou la délivrance du Permis SEG déraisonnable. Le raisonnement de la Ville et du MFFP les menant à écarter ces méthodes s’appuie sur une abondante preuve scientifique.

[261]       De toute évidence, dans ce domaine comme dans bien d’autres, il existe des divergences scientifiques sur les approches à préconiser. Toutefois, le rôle du Tribunal consiste à contrôler la légalité des décisions et non leur opportunité et le choix de la Ville et du MFFP d’écarter ces méthodes était justifié.

[262]       Somme toute, les demandeurs et la SPCA ne démontrent pas que la Résolution et la délivrance du Permis SEG sont déraisonnables en ce que la Ville et le MFFP ont fait défaut de considérer des méthodes de contrôle non létales. Dans cette optique, la chasse contrôlée à l’arbalète fait partie des issues possibles en regard des faits à la connaissance des décideurs.

3.3.3.2.2           Une décision raisonnable

[263]       Pour différents motifs, les demandeurs et la SPCA plaident que le choix de la méthode de la chasse contrôlée à l’arbalète est déraisonnable.

[264]       D’abord, les demandeurs font valoir que l’inventaire conduit en février 2022 et sur lequel la Ville et le MFFP s’appuient pour justifier l’adoption de la chasse contrôlée à l’arbalète est erroné. Le Tribunal a déjà traité cette question et a conclu à l’inutilité et à la faible valeur probante du Rapport Stand et à la fiabilité du Rapport Cadieux-de Bellefeuille qui confirme les résultats de cet inventaire.

[265]       Ils invoquent également l’absence de preuve que les cerfs constituent une nuisance justifiant une opération de chasse contrôlée à l’arbalète. De fait, ils font grand cas que l’on puisse même réduire les cerfs au rang de nuisance puisque le législateur reconnaît désormais qu’ils sont des êtres sensibles dotés d’impératifs biologiques[212].

[266]       Or, au risque de redite, qu’ils soient doués de sensibilité n’empêche pas que les cerfs puissent constituer une nuisance et, dans ces cas, l’article 898.1 C.c.Q. n’interdit pas l’abattage ou l’euthanasie[213].

[267]       En l’espèce, la preuve ne laisse aucun doute : les cerfs constituent une nuisance et leur nombre pose des risques sérieux pour les citoyens, l’équilibre écologique du Parc et met même en péril leur propre existence.

[268]       Par ailleurs, les demandeurs et la SPCA font état de l’absence de preuve de mesures correctives ou préventives mises en place par la Ville pour éliminer la source des problèmes.

[269]       Cette assertion est inexacte. Nous l’avons vu, la Ville a notamment adopté nombre de mesures pour contrôler le cheptel[214]. Le MFFP lui a également délivré deux permis SEG qui n’ont pu être mis en œuvre.

[270]       De plus, contrairement à ce que plaident les demandeurs et la SPCA, en marge de la demande de délivrance d’un Permis SEG, la Ville s’active.

[271]       Ainsi, elle optimise la chasse aux cerfs dans le boisé Du Tremblay, un espace vert connecté au Parc. De fait, en 2021, la Ville obtient un permis SEG permettant une chasse contrôlée dans ce boisé et qu’elle met en œuvre à l’automne 2021. Aussi, à la fin de l’année 2021, elle installe des caméras de chasse entre les deux sites pour documenter les mouvements des cerfs de l’un à l’autre[215].

[272]       Également, à l’annexe jointe à la demande de Permis SEG[216], la Ville fait état des suivis scientifiques en élaboration sur l’incidence de la présence des cerfs sur l’abondance de tiques au Parc, la stérilisation de femelles cerfs et les suivis de population de cerfs en Montérégie.

[273]       Enfin, dans un communiqué de presse daté du 20 juillet 2022, le cabinet de la mairesse annonce qu’« une fois le cheptel réduit à la capacité de soutien du parc, nous pourrons envisager des méthodes de contrôle à long terme, comme la stérilisation, comme le prévoit la Table de concertation »[217].

[274]       Ultimement, les demandeurs et la SPCA avancent quaucune preuve n’établit le caractère raisonnable du choix de privilégier l’arbalète pour la chasse contrôlée des cerfs et que rien ne démontre l’efficacité de cette arme comme méthode de gestion.

[275]       Plus particulièrement, plaident-ils, la preuve est silencieuse à l’égard de toute forme d’analyse que la chasse contrôlée à l’arbalète tient compte du bien-être de l’animal et minimise ses souffrances au moment de l’opération. Il appartenait à la Ville et au MFFP de s’en assurer préalablement à la prise de décision en recourant aux services d’experts indépendants.

[276]       La proposition des demandeurs et de la SPCA repose sur des prémisses erronées. D’abord, tel que discuté auparavant, les dispositions de l’article 898.1 C.c.Q. n’ont pas pour effet de contraindre le décideur à faire appel à un expert indépendant préalablement à la prise de décision susceptible d’affecter le bien-être animal.

[277]       Ensuite, il n’appartient pas à la Ville et au MFFP de démontrer le caractère raisonnable de leur décision. Il revient plutôt aux demandeurs et à la SPCA d’en démontrer le caractère déraisonnable et ils n’y parviennent pas.

[278]       En premier lieu, ils font valoir que la chasse à l’arbalète se caractérise par un taux de blessure très élevé en ce que plusieurs animaux atteints par une flèche ne meurent pas sur le coup. À cet égard, la SPCA s’appuie sur un article de revue scientifique[218] et un article paru dans le Journal de Montréal[219] dont le Tribunal a refusé d’admettre la preuve du contenu[220].

[279]       Par ailleurs, ils mettent de l’avant le Rapport Autenne et le témoignage de son auteur selon qui la chasse à l’arbalète est contre-indiquée en raison de son manque d’efficacité et du stress et de la souffrance qu’elle cause inévitablement à l’animal. Ici encore, il s’agit d’éléments de preuve non admis par le Tribunal[221]

[280]       Aussi, la SPCA plaide que la Ville elle-même reconnaît dans son protocole de capture datée du 8 décembre 2021[222] que la chasse contrôlée à l’arbalète comporte plusieurs inconvénients. Entre autres, puisqu’elle fait appel à des compétences humaines, il y a possibilité d’erreurs. De plus, il y a « risque de cerfs blessés errants ».

[281]       Toutefois, le fait que cette méthode ne soit pas infaillible ne rend pas son adoption déraisonnable. D’ailleurs, la preuve révèle qu’il en est ainsi des autres méthodes telles que la capture-euthanasie ou la relocalisation qui posent des risques élevés de stress, de blessures ou de morbidité.

[282]       Enfin, les demandeurs et la SPCA invoquent également le caractère déraisonnable de la délivrance du Permis SEG en ce qu’elle n’a pas été précédée par la délivrance du certificat de bons soins aux animaux comme l’exige la Directive[223]. Ce certificat est requis lorsque les manipulations réalisées dans le cadre d’un permis SEG posent un plus grand risque pour le bien-être animal.

[283]       À cet égard, Lamoureux explique que, puisque la chasse ne requiert aucun soin ni aucune manipulation alors que l’animal est vivant, ce certificat n’est pas requis pour la délivrance du Permis SEG. Le Tribunal ne peut conclure que cette lecture de la Directive, au demeurant non contraignante[224], soit déraisonnable.

[284]       Cela dit, le Tribunal conclut que la Ville et le MFFP démontrent le caractère raisonnable de leur décision respective au regard du bien-être animal.

[285]       La chasse se veut une méthode de gestion de la faune reconnue et largement répandue. De fait, s’appuyant sur des études scientifiques, le Plan de gestion du cerf de Virginie 20202027 exprime l’avis qu’il s’agit de la meilleure méthode de gestion de cette espèce[225]. Dans le Rapport sur la situation du cerf de Virginie dans l’est de Montréal, des biologistes universitaires décrivent la méthode de chasse contrôlée comme une opération de courte durée qui engendre peu de stress aux animaux[226]. C’est d’ailleurs la méthode appliquée pour contrôler le cheptel présent dans le boisé Du Tremblay.

[286]       Incidemment, la chasse demeure une activité légale et reconnue en dépit de l’adoption de l’article 898.1 C.c.Q. Au cours de la saison de chasse 2021, on rapporte la récolte de plus de 52 000 cerfs dans l’ensemble du Québec dont 9 642 par l’arbalète[227].

[287]       Par ailleurs, l’arbalète fait partie des engins de chasse reconnus pour la chasse aux cerfs[228]. Aussi, on l’utilise à de nombreuses reprises dans le cadre d’opération de chasse contrôlée, notamment dans certains états américains[229].

[288]       Ensuite, la Ville et le MFFP conjuguent leurs efforts afin de mettre en place une opération efficace encadrée par le plan préliminaire d’intervention préparé par la Ville et qui réduit au maximum les risques de stress ou de blessure pour le cerf. À cette fin, le Permis SEG[230] prévoit plusieurs conditions particulières décrites aux paragraphes 88 et suivants de la déclaration sous serment de Lamoureux et que nous avons déjà examinées.

[289]       Bref, la Ville et le MFFP ont tout mis en place afin que l’opération de chasse contrôlée à l’arbalète s’exécute dans le respect de la sensibilité des cerfs permettant qu’il soit mis fin à leur vie d’une manière aussi douce et rapide que possible.

IV.            CONCLUSION

[290]       Les demandeurs et l’intervenante ne parviennent pas à démontrer le caractère déraisonnable de la Résolution et de la délivrance du Permis SEG.

[291]       La Résolution s’inscrit dans l’exercice légitime des pouvoirs que la loi attribue à la Ville en matière de parcs, d’environnement, de nuisances, de salubrité et de sécurité. Elle est intimement liée à la surpopulation de cerfs dans le Parc et aux nombreux enjeux qu’elle soulève. Elle est également le fruit d’un long processus de consultation et de réflexion qui intègre des considérations importantes pour le bien-être et la sensibilité des cerfs.

[292]       Quant à elle, la délivrance du Permis SEG par le MFFP résulte d’une analyse approfondie qui examine toutes les options. Une fois la décision arrêtée de procéder par la chasse contrôlée à l’arbalète, le MFFP s’assure que le Permis SEG comprenne toutes les conditions permettant une exécution de l’opération respectueuse de la sensibilité animale.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[293]       REJETTE le Pourvoi en contrôle judiciaire remodifié;

[294]       REJETTE l’acte d’intervention volontaire modifié;

[295]       Avec frais de justice incluant les frais d’experts.

 

 

__________________________________BERNARD JOLIN, j.c.s.

 

Me Anne-France Goldwater

Me Louis Cornillaut

goldwater dubé

Avocat(e)s de Service Sauvetage Animal

 

Me Simon Vincent

Me Jean-Pierre Baldassare

bélanger sauvé s e n c r l

Avocats de la Ville de Longueuil

 

Me Stéphanie Garon

Me Simon Larose

bernard-roy (justice-québec)

Avocat(e)s du Procureur général du Québec

 

Me Marie-Claude St-Amant

melançon marceau grenier cohen s.e.n.c

Avocate de la tierce intervenante

 

 

Dates d’audience :

24, 25, 26 et 27 avril 2023

 


[1]  Aujourd’hui désigné ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

[2]  Pièce P-29.

[3]  Pièce P-33.

[4]  L’utilisation, selon le cas, des seuls prénoms ou noms de famille, dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et d’en faciliter la compréhension et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

[5]  Pièces DV-1 et DV-2.

[6]  Pièce P-3.

[7]  Pièce P-6.

[8]  Pièces P-7, P-8, P-9.

[9]  Pièces P-10; PGQ-1.

[10]  Pièce P-13.

[11]  Pièce PGQ-2.

[12]  Pièce P-15.

[13]  Pièce P-17.

[14]  Pièce P-17, p. 19.

[15]  Pièce P-17, p. 20.

[16]  Pièce P-17, p. 20.

[17]  Sommaire décisionnel SD-2021-3898, Pièce P-22.

[18]  Déclaration sous serment de Stéphane Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 8 c).

[19]  Pièce P-20.

[20]  Pièce I-3.

[21]  Pièce P-19.

[22]  Pièce P-22.

[23]  Déclaration sous serment de Provost du 20 janvier 2023, par. 31 et 32.

[24]  Id., par. 33.

[25]  Pièce P-29.

[26]  Pièce DV-9.

[27]  Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 79 et 90.

[28]  Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682-683; Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, p. 654; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21.

[29]  Patricia BLAIR et Alexandre OUELLET, « Notion d’équité procédurale », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit public », Droit administratif, fasc. 13, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, à jour au 1er octobre 2020, par. 16. Voir également, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 77; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 22-27; Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, par. 5.

[30]  2020 QCCA 146.

[31]  Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc., 2019 QCCA 1402 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, 2020-04-09, 38886), par. 51; Transport en commun La Québécoise inc. c. Réseau de transport métropolitain, 2019 QCCA 752 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 202002-06, no. 38709), par. 39-40; MRC de Vaudreuil Soulanges c. Compagnie de recyclage de papiers MD inc., 2019 QCCA 2022, par. 4; Ville de Québec c. Ville de l'Ancienne-Lorette, 2021 QCCA 1344, par. 69; Fraternité des policiers de Châteauguay inc. c. Ville de Mercier, 2017 QCCA 1251.

[32]  RLRQ c.J-3.

[33]  Jean-Yves BRIÈRE, « Justice administrative » dans Collection de droit 2022-2023, École du Barreau du Québec, vol. 8, Droit public et administratif, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2022, p. 172; Berthiaume c. Réseau de transport de Longueuil, 2018 QCCS 5997, par. 68.

[34]  RLRQ, c.C-19.

[35]  RLRQ, c.C-47.1.

[36]  Pavages Chenail inc. c. St-Rémi (Corp. municipale de la ville de), J.E. 2001-2132 (C.A.).

[37]  Ville de Vaudreuil-Dorion c. Municipalité régionale de comté de Vaudreuil-Soulanges, 2023 QCCS 2102, par. 102 à 105.

[38]  Ville de Vaudreuil-Dorion c. Municipalité régionale de comté de Vaudreuil-Soulanges, 2023 QCCS 2102.

[39]  Selon le professeur Denis Lemieux, l’application de l’obligation d’équité procédurale suivant la LJA implique que la Résolution de l’administration gouvernementale comporte « des conséquences juridiques » pour l’administré; Denis LEMIEUX, Justice administrative : Loi commentée, 3e éd. Brossard, Éditions CCH, 2009, p. 83.

[40]  2011 QCCS 760; appel accueilli pour un autre motif 2013 QCCA 1348.

[41]  2008 QCCS 5925.

[42]  Kachkar (Re), 2014 ONCA 250, par. 44-46.

[43]  Société de l'assurance automobile du Québec c. Cyr, 2008 CSC 13, par. 48.

[44]  Art. 898.1, al. 2; Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187, par. 22.

[45]  Art. 2864, al. 2 C.c.Q.

[46]  Art. 1466 C.c.Q.

[47]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. Note 44, par. 73; Trahan c. Ville de Montréal, 2019 QCCS 4607, par. 17; Auclair c. Ville de Montréal, 2018 QCCS 3937, par. 6,7.

[48]  Au paragraphe 12 du Pourvoi, les demandeurs allèguent d’ailleurs que les cerfs ne sont pas la propriété de personne.

[49]  Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2008, par. 2350; voir également Mariève LACROIX, « Commentaires sur l’art. 934 C.c.Q. », dans Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 934-555, EYB20078DCQ997 (la Référence).

[50]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. Note 44, par. 57.

[51]  Service Sauvetage Animal et al. c. Ville de Longueuil et al., 7 décembre 2022, p. 15-16.

[52]  Pièce P-18.

[53]  Par. 77 du Pourvoi du 12 mai 2022.

[54]  Par. 88 du Pourvoi du 12 mai 2022.

[55]  Pièce I-3.

[56]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 16 et 17.

[57]  Id., par. 83.

[58]  Id., par. 101.

[59]  Id., par. 106.

[60]  Id., par. 100.

[61]  Id., par. 137.

[62]  Ville de Brossard c. Ville de Longueuil, 2022 QCCA 1139, par. 50.

[63]  Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2.

[64]  Id., par. 19.; Ville de Brossard c. Ville de Longueuil, 2022 QCCA 1139, par. 55.

[65]  Bellefleur c. Québec (Procureur général), J.E. 93-719 (C.A.), par. 64; Lemire c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 1842, par. 131.

[66]  Bellefleur c. Québec (Procureur général), J.E. 93-719 (C.A.), par. 64.

[67] Québec (Procureur général) c. Germain Blanchard ltée, 2005 QCCA 605, par. 47; Bellefleur c. Québec (Procureur général), préc. note 64, par. 61.

[68]  Pièces P-21, P-28, I-5, I-6 et I-13.

[69]  Pièces P-32, P-36, I-9.

[70]  Droit de la famille — 22937, 2022 QCCS 2113, par. 122-123; Ndiaye c. Adiélou Investissement International Canada inc., 2019 QCCS 2726, par. 126; Fortier c. Québec (Procureur général), 2013 QCCS 591, par. 264; art. 2832 C.c.Q.

[71]  Pièce I-4.

[72]  Pièce I-3.

[73]  Pièces P-40, P-47, I-12, I-14 et I-15.

[74]  Diggs c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 1669, par. 11; Carrier c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 2084, par. 21, 22; Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, 2020 QCCS 4016, par. 59 et 64 à 67.

[75]  Pièce I-7.

[76]  Pièce P-48.

[77]  Art. 2843 C.c.Q.

[78]  Pièce I-12.

[79]  Pièce I-13.

[80]  Pièce P-34.

[81]  Pièce I-11.

[82]  Pièce PGQ-22.

[83]  Procureure générale du Québec c. Association des juristes de l'État, 2018 QCCA 1763, par. 28 à 31; Dupont c. Université du Québec à Trois-Rivières, 2008 QCCA 2204, par. 56 à 58; Prud'homme c. Commission de la fonction publique, 2021 QCCS 2935, par. 12 à 19.

[84]  Pièce P-34, p. 403.

[85]  Pièce P-34, p. 396.

[86]  Pièce P-42.1.

[87]  Pièce PGQ-37.

[88]  Pièce P-42, p. 9 à 14.

[89]  Id. p.15 et ss.

[90]  Pièce P-17.

[91]  Pièce PGQ-30.

[92]  Pièce PGQ-34.

[93]  Pièce PGQ-35.

[94]  Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 106.

[95]  Paintwell Ltd. c. Entreprises Géraldeau et Fils inc., 2023 QCCS 2257, par. 108.

[96]  Pièce I-11, p. 2.

[97]  Pièce I-11, p. 6.

[98]  Plan d’argumentation de la SPCA, par. 97.

[99]  Raymond Chabot Grant Thornton c. Directeur général des élections du Québec, 2018 QCCS 5697, par. 31.

[100]  Plan d’argumentation de la SPCA, par. 41.

[101]  Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165, par. 30.

[102]  Ontario c. Canadien Pacifique ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031; Wallot c. Québec (Ville de), par. 31; Abattoir Agri-Bio inc. c. Municipalité de Saint-Agapit, 2022 QCCS 3330, par. 73.

[103]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. note 44, par. 56; Doucet c. Ville de Saint-Eustache, 2018 QCCA 282, par. 54-56.

[104]  Pièce PGQ-12.

[105]  RLRQ c. C-61.1.

[106]  RLRQ. C-61.1, r.-12.

[107]  Art. 38 LCMVF.

[108]  Pièce PGQ-5.

[109]  Pièce PGQ-5.

[110]  Raymond c. Centre vétérinaire Groupe Dimension Multi Vétérinaire inc., 2023 QCCS 77, par. 41-43; Martine LACHANCE « Le nouveau statut juridique de l’animal au Québec ».

[111]  RLRQ c. B-3.1.

[112]  Trahan c. Ville de Montréal, 2019 QCCS 4607, par. 29-30.

[113]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. note 44, par. 56 et 57.

[114]  Chapitre B-3.1.

[115]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. note 44, par. 52;

[116]  Doucet c. Ville de Saint-Eustache, 2018 QCCA 282, par. 59.

[117]  Michaël LESSARD et Romane BONENFANT, « Euthanasie, abattage et mise à mort d’animaux : comment interpréter la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal? Commentaire sur Road to Home Rescue Support c Ville de Montréal », 2020 (50-1) Revue générale de droit 319, p. 326.

[118]  Martine LACHANCE, « Le nouveau statut juridique de l'animal au Québec » (2018) R. du N., vol 120-2, p. 335, à la page 346.

[119]  Id., p. 347-349.

[120]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. Note 44, par. 65.

[121]  Pièce PGQ-9.

[122]  Pièce P-22, p. 4.

[123]  Interrogatoire au préalable de Provost du 31 janvier 2023, p. 40.

[124]  Pièce DV-2, p. 17.

[125]  Pièce P-22, p. 5.

[126]  Pièce PGQ-10.

[127]  Pièce P-22, p. 6.

[128]  Pièces DV-5 et DV-5.1.

[129]  Pièce DV-1.

[130]  Pièce DV-2.

[131]  Interrogatoire au préalable de Provost du 31 janvier 2023, p. 68, 86, 87.

[132]  Pièce DV-2, p. 11.

[133]  Pièce P-2.

[134]  Pièce P-17, p. 19.

[135]  Pièce DV-2, p. 21 et suiv.

[136]  Pièce DV-2, p. 24.

[137]  Pièce P-2.

[138]  Pièce P-13.

[139]  Pièce P-22, p. 6.

[140]  Pièce DV-3.

[141]  Pièce P-17, p. 25-28.

[142]  Pièce DV-4.

[143]  Pièce DV-4.1, p. 32.

[144]  Pièce DV-4.

[145]  Interrogatoire au préalable de Provost du 31 janvier 2023, p. 161-162.

[146]  Pièce DV-4.1, p. 4.

[147]  Pièce P-17, p. 19.

[148]  Pièce P-17, p. 19-20.

[149]  Pièce PGQ-11.

[150]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 31 et 32; Interrogatoire de Lamoureux, p. 87 et 88.

[151]  Pièces DV-5, DV-5.1.

[152]  Déclaration sous serment de Provost, par. 31.

[153]  Id., par. 32.

[154]  Interrogatoire au préalable de Provost du 31 janvier 2023, p. 190-193.

[155]  Déclaration sous serment de Provost, par. 33.

[156]  Pièce DV-7.

[157]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 16 et 17.

[158]  Pièce P-17.

[159]  Pièce PGQ-6.

[160]  Pièce PGQ-7.

[161]  Pièce PGQ-8.

[162]  Pièce PGQ-9.

[163]  Pièce PGQ-10.

[164]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 19-20; Pièce P-19, p. 25 à 28.

[165]  Id., par. 23.

[166]  Id., par. 24.

[167]  Id., par. 25; Pièce P-17, p. 19.

[168]  Id., par, 26; Pièce P-17, p. 20.

[169]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 27, 28, 29.

[170]  Id., par. 30, 31, 32.

[171]  Id., par. 34 et suiv.

[172]  Pièce PGQ-6, p. 23.

[173]  Pièce PGQ-8.

[174]  Pièce PGQ-22; Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 50 et ss.

[175]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 60; Pièce PGQ-13.

[176]  Id., par. 22 et 60; Pièce PGQ-14.

[177]  Pièce P-17, p. 19 à 21.

[178]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 63.

[179]  Id., par. 65.

[180]  Pièces DV-1, DV-2 et P-19, p. 28.

[181]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 67.

[182]  Pièces PGQ-16, PGQ-17, PGQ-18.

[183]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 70 à 77.

[184]  Id., par. 70 à 80; Pièce PGQ-16.

[185]  Id., par. 81-82; Pièces PGQ-20; P-17, p. 20.

[186]  Id., par. 86.

[187]  Les X correspondent à des informations confidentielles comprises dans le Permis SEG.

[188]  Id., par. 90, 91.

[189]  Id., par. 92, 93.

[190]  Id., par. 94 et 95.

[191]  Id., par. 95 et 96; Pièce PGQ-21.

[192]  Déclaration sous serment de Lamoureux du 20 janvier 2023, par. 98, 99.

[193]  Id., par. 100.

[194]  Interrogatoire du chasseur par Me Goldwater du 2 février 2023, p. 19 et suiv.

[195]  Déclaration sous serment du chasseur du 20 janvier 2023, par. 17 et 21.

[196]  Interrogatoire du chasseur par Me Goldwater du 2 février 2023, p. 31; voir également, p. 28 et 32 et Déclaration sous serment du chasseur du 20 janvier 2023, par. 12.

[197]  Plan d’argumentation de la SPCA, par. 96, 97, 98; Plan d’argumentation de SSA, par. 102.

[199]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. note 44, par. 57, 58.

[200]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, note 44, par. 65.

[201]  Plan dargumentation de SSA, par. 32 à 38.

[202]  Interrogatoire au préalable de Provost, p. 55 à 73; Pièce DV-2, p. 19.

[203]  Plan d’argumentation de SSA, par. 44.

[204]  Plan d’argumentation de SSA, par. 49.

[205]  Pièce DVP-2, p. 20 et suiv.

[206]  Pièce P-17, p. 19.

[207]  Déclaration sous serment Lamoureux, par. 81-82; Interrogatoire au préalable de Provost, p. 181. Pièces PGQ-20; P-17, p. 20.

[208]  Pièce P-2.

[209]  Pièce P-17, p. 20.

[210]  Pièce DV-4.

[211]  Pièces I-14 et I-15.

[212]  Plan d’argumentation de SSA, par. 86, 87.

[213]  Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal, préc. note 44, par. 56 à 58.

[214]  Pièces DV-1, DV-2, P-19, p. 28.

[215]  Pièce P-33, p. 14.

[216]  Pièce P-33, p. 16.

[217]  Pièce P-31, p. 4.

[218]  Pièce I-12.

[219]  Pièce I-13.

[220]  Voir supra par. 83 et ss.

[221]  Voir supra par. 108 et ss.

[222]  Pièce I-8, p. 4.

[223]  Pièce PGQ-5, p. 27-28.

[224]  Québec (Procureur général) c. Germain Blanchard ltée, 2005 QCCA 605, par. 84; 150187 Canada inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2021 QCCS 2359, par. 79.

[225]  Pièce PGQ-6, p. 23.

[226]  Pièce PGQ-7, p. 65.

[227]  Pièce DV-6.

[228]  Pièce PGQ -6, p. 31.

[229]  Protocole de capture, p. 4, Pièce I-8.

[230]  Pièces P-33, DV-10.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.