| Société québécoise d'information juridique c. Commission d'accès à l'information | 2025 QCCQ 859 |
| COUR DU QUÉBEC « Division administrative et d’appel » |
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| CANADA |
| PROVINCE DE QUÉBEC |
| DISTRICT DE | MONTRÉAL |
| LOCALITÉ DE | MONTRÉAL |
| « Chambre civile » |
| N° : | 500-80-044651-231 |
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| DATE : | 19 mars 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE STEVE GUÉNARD, J.C.Q. | |
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| SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE D’INFORMATION JURIDIQUE |
| Appelante |
| c. |
| COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC Intimée -et- TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL Intervenant |
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| JUGEMENT
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- La Société québécoise d’information juridique (ci-après SOQUIJ) interjette appel d’une Décision interlocutoire, datée du 6 décembre 2023, rendue par la Commission d’accès à l’information (CAI)[1]. Cette Décision rejette sa Requête en irrecevabilité présentée à l’encontre d’une demande de révision.
- Le Juge Gatien Fournier, J.C.Q., accorde, le 3 octobre 2024, la permission d’en appeler de la décision interlocutoire rendue par la CAI[2].
- Un bref récapitulatif s’impose.
CHRONOLOGIE PERTINENTE
- Une justiciable formule, en date du 22 mars 2022, une demande de rectification à SOQUIJ afin que des décisions rendues contenant son nom soient retirées de son site internet ou que son nom soit remplacé par des initiales.
- Les décisions en question émanent du Tribunal administratif du logement (TAL) et du Tribunal administratif du travail (TAT).
- Il est acquis au débat que ces décisions réfèrent au nom complet de cette justiciable.
- Personne ne remet en doute qu’aucune demande de huis clos ou d’anonymisation ne fut soumise devant l’un ou l’autre de ces tribunaux.
- SOQUIJ refuse en date du 31 mars 2022 d’accéder à la demande de cette justiciable, et ce, en précisant notamment à cette dernière qu’elle est tenue, conformément à sa loi constitutive, de publier et de diffuser les jugements rendus par les tribunaux judiciaires ainsi que par les organismes exerçant des fonctions juridictionnelles.
- Insatisfaite d’une telle réponse, la justiciable formule à cette même date une demande de révision de cette décision de la responsable de l’accès à l’information de SOQUIJ, et ce, devant la CAI.
- SOQUIJ produit une requête en irrecevabilité à l’encontre de cette demande de révision, arguant que la CAI ne possède tout simplement pas la compétence juridictionnelle afin de trancher celle-ci. SOQUIJ y postule que la CAI a déjà en mains, dès ce moment, l’ensemble des éléments pertinents lui permettant d’accueillir, en amont d’une audition au fond, sa demande en irrecevabilité.
- La CAI, dans le cadre d’une Décision interlocutoire rendue le 6 décembre 2023, rejette la demande en irrecevabilité, stipulant essentiellement qu’il lui appartiendra de trancher les arguments soumis de part et d’autre, et ce, lors d’une audition au fond.
- En profond désaccord avec cette Décision interlocutoire de la CAI, SOQUIJ produit, le 22 décembre suivant, une demande de permission d’en appeler devant la Cour du Québec.
- La justiciable décide alors, en date du 8 février 2024, de se désister rétroactivement de sa demande de révision.
- SOQUIJ sollicite cependant l’autorisation de la Cour du Québec de poursuivre sa démarche, requérant de cette dernière qu’elle exerce sa discrétion afin d’entendre malgré tout la demande de permission d’en appeler.
- Le Juge Gatien Fournier, saisi d’une telle demande, exerce sa discrétion et rend jugement, le 10 avril 2024, autorisant la poursuite du processus devant la Cour du Québec, désignant du même coup la CAI à titre d’intimée en la présente instance.
- Le Juge Fournier, en date du 3 octobre 2024, accueille la demande pour permission d’en appeler, précisant que la Décision de la CAI présente, à son avis, des faiblesses apparentes ou erreurs de droit qui apparaissent manifestes et déterminantes au point de justifier, le cas échéant, d’infirmer celle-ci. Il illustre d’ailleurs sa pensée aux paragraphes 23 et suivants de son Jugement :
[23] D’abord, la juge administrative se serait méprise sur l’interprétation de l’article 55 de la Loi sur l’accès en concluant que celui-ci ne rend pas l’ensemble du Chapitre III de cette même loi inapplicable aux renseignements ayant un caractère public tels que ceux dont il est question en l’instance, à savoir les renseignements personnels contenus dans une décision juridictionnelle.
[24] En effet, puisque les décisions visées par la demande de rectification présentée par la Demanderesse à SOQUIJ ont été rendues par un organisme public dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle ne siégeant pas à huis clos et n’étant pas visées par des ordonnances de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion, les renseignements personnels qu’elles contiennent ne sont pas confidentiels.
[25] Du coup, ces renseignements personnels concernant la Demanderesse ont un caractère public en vertu de la Loi sur l’accès, et ce faisant, ils ne seraient pas soumis aux règles de protection des renseignements personnels prévues au Chapitre III de la Loi sur l’accès rendant l’article 89 de la Loi sur l’accès inapplicable et la compétence de la CAI inexistante.
[26] La juge administrative ne semble, par ailleurs, pas reconnaître la controverse jurisprudentielle qui prévaut actuellement au sein de la CAI.
[27] Dans la cause Grenier c. Tribunal administratif du travail, la CAI a reconnu ne pas avoir compétence pour statuer sur une demande de révision portant sur une demande de rectification refusée par un organisme public exerçant une fonction juri[dictionnelle], en l’occurrence ici, le Tribunal administratif du travail.
- Le Juge Fournier identifie en ces termes la question faisant l’objet de l’autorisation d’en appeler :
[39] AUTORISE l’appel sur la question de droit ou de compétence suivante :
Est-ce que la Commission d’accès à l’information a compétence pour entendre des demandes de révision (retrait ou anonymisation) de décisions rendues par des organismes exerçant des fonctions juridictionnelles aux termes des articles 89, 94 et 134.2 de la Loi sur l’accès?
- Pour sa part, le TAT dépose le 20 novembre 2024 un Acte d’intervention volontaire à titre conservatoire. Le TAT y argue notamment qu’elle seule – à titre d’organisme exerçant des fonctions juridictionnelles - possède la compétence de rectifier, de modifier et/ou d’anonymiser les décisions qu’elle rend. Le TAT y supporte ainsi la position de SOQUIJ.
ANALYSE
- La nature de la question soumise et la norme de contrôle applicable
- Les articles 147 et 147.1 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[3] (ci-après la LAI) énoncent qu’une personne directement intéressée peut interjeter appel d’une décision finale ou interlocutoire de la CAI sur toute question de droit ou de compétence.
- Dans le cas d’une décision interlocutoire, une permission d’en appeler doit en outre être accordée, la partie appelante devant également établir à cette étape préliminaire en quoi la décision finale ne pourra pas remédier au préjudice subi en raison de ladite décision interlocutoire.
- La Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov[4], édicte que la norme de contrôle que doit appliquer le tribunal siégeant, comme en l’espèce, en appel, est tributaire de la nature des questions en litige.
- Conformément aux enseignements maintes fois réitérés et découlant de l’arrêt Housen c. Nikolaisen[5], une question de droit devra être évaluée à la lumière du critère de la décision correcte[6].
- En l’espèce, il apparait indéniable que la question soumise se présente comme étant une question de droit. Il s’agit ici essentiellement de l’interprétation de diverses dispositions législatives apparaissant à la LAI, le tout à la lumière d’une demande en irrecevabilité présentée par SOQUIJ.
- D’ailleurs, tant la CAI que le TAT concèdent, à bon droit, que la question soumise se qualifie de question de droit[7], d’où l’application du critère de la décision correcte. Ainsi, aucune déférence n’est de mise[8].
- La Décision de la CAI rejetant la demande en irrecevabilité
- La CAI rejette la demande en irrecevabilité présentée par SOQUIJ en articulant son raisonnement ainsi :
- SOQUIJ est un organisme public qui détient des renseignements personnels;
- SOQUIJ est ainsi visée, de prime abord, par l’application de la LAI[9], n’étant pas exclue de celle-ci[10];
- La CAI est chargée de réviser les décisions portant sur des demandes de rectification, conformément notamment à l’article 135 LAI;
- La demande de cette justiciable peut se qualifier de demande de rectification;
- Les motifs soulevés au soutien de la demande en irrecevabilité pourront être analysés au mérite afin d’établir si les renseignements visés par la demande de rectification constituent bel et bien des renseignements personnels visés à l’article 54 de la LAI, ouvrant donc la porte à la demande en rectification prévue à l’article 89 LAI et, en cas de réponse défavorable, à une demande en révision devant la CAI conformément à l’article 134.2 LAI.
- SOQUIJ formule une série de reproches quant à un tel raisonnement. Après analyse, de telles récriminations sont bien fondées. Voici pourquoi.
- D’entrée de jeu, il est utile de noter que la CAI concède sans difficulté, lors de ses représentations en appel et à bon droit, qu’elle possède le pouvoir de trancher une demande en irrecevabilité qui lui est soumise[11].
- Constitue un lieu commun que de rappeler qu’un tribunal, saisi d’une demande en irrecevabilité, doit agir avec prudence. Seule une demande clairement irrecevable, même en présumant du bien-fondé des faits allégués, pourra ainsi être rejetée préliminairement[12].
- Cela dit, une demande qui est clairement irrecevable, et dont le résultat final apparait manifeste, doit être déclarée comme telle et être rejetée.
- Rien ne sert de laisser vivoter une demande qui ne pourra clairement pas être accueillie lors d’une audition au fond et qui est, par le fait même, vouée à l’échec.
- C’est le cas ici.
- La Cour d’appel, dans l’arrêt Dostie c. Procureur général du Canada[13], réitère les principes applicables en ces termes :
[21] Bref, lorsqu’elle est sans fondement au regard du droit applicable, tous les faits allégués étant tenus pour avérés (comme si la partie demanderesse les avait démontrés), l’action en justice peut être rejetée à un stade préliminaire de l’instance, et donc sans procès, c’est-à-dire sans « instruction/trial » au sens des art. 265 et s. C.p.c. À l’inverse, s’il est possible que les faits allégués, malgré la difficulté d’en faire la preuve au procès, ouvrent la porte, selon le droit applicable, aux conclusions recherchées, le tribunal ne peut prononcer l’irrecevabilité du recours, sachant que « [l]es questions de fait ou mixtes de fait et de droit doivent être laissées à l’appréciation du juge statuant sur le fond et ne peuvent ainsi être tranchées dans le cadre d’une demande en irrecevabilité »
[22] Par « droit applicable », on entend, bien sûr, le droit applicable au fond de l’affaire. Mais, et cela est tout aussi important, l’on entend également par là les règles plus techniques régissant :
- l’aspect temporel des actions en justice (la prescription, par ex., ou l’obligation d’agir dans un délai raisonnable ou sans retard);
- les obligations ou contraintes procédurales propres à certains types de recours (la rétractation de jugement, par ex., l’action pour vices cachés ou l’action déclaratoire);
- les interdictions ou immunités de poursuite (celle d’un État étranger, par ex., ou encore celles que prévoient la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ou la Loi sur l’assurance automobile);
- le caractère théorique des questions soulevées (les tribunaux n’étant pas tenus de statuer en pareil cas) ou leur non-justiciabilité (elles échappent alors par leur nature aux attributions judiciaires).
[23] Dans ces derniers cas, sont au cœur de l’analyse les conditions mêmes de l’ouverture du recours, sans égard aux mérites de l’action sur le fond.
[24] Enfin, le tribunal saisi d’une demande d’irrecevabilité ne peut refuser de statuer et renvoyer l’affaire au juge du fond parce que la question de droit soulevée à ce stade préliminaire est difficile ou complexe ou parce qu’un procès lui paraît préférable, opportun ou intéressant : il est tenu de trancher et de décider de la recevabilité ou de l’irrecevabilité de l’action. C’est une erreur de ne pas le faire et de s’en remettre au juge du fond. Comme le rappelle l’arrêt Giroux c. Hydro-Québec :
[65] Une requête en irrecevabilité sous l'article 165(4) C.p.c. ne sera accueillie que si le juge est convaincu que l'action n'est pas fondée en droit en supposant que tous les faits allégués soient vrais. Le juge doit faire preuve de prudence. Il doit s'abstenir de mettre prématurément fin à un procès à moins d'être convaincu du bien-fondé de la requête. Toutefois, à l'instar du juge André Rochon, je ne crois pas que cette règle de prudence puisse mener à occulter le principe de base de l'art. 165 C.p.c. [renvoi omis] Ce n'est pas parce qu'une situation de fait est complexe, ou qu'une question de droit présente des difficultés, qu'il faille en renvoyer l'étude au juge du fond. Le juge saisi d'une demande d'irrecevabilité doit trancher quelle que soit la difficulté [renvoi omis].
[25] Le juge doit donc décider des moyens d’irrecevabilité qui lui sont présentés en vertu de l’art. 168 al. 2 C.p.c. et ne peut échapper à cette obligation.
[Le Tribunal souligne]
- D’entrée de jeu, il importe de rappeler que la trame factuelle pertinente s’avère toute simple. Il est reconnu de tous que cette justiciable a requis de SOQUIJ qu’elle expurge son nom, son identité, de diverses décisions rendues par le TAL et le TAT.
- La trame non contredite établit que celle-ci n’a en aucun moment demandé à ces deux tribunaux quelconque mesure d’anonymisation, de huis clos ni quelconque mesure visant à assurer la confidentialité de son identité.
- Par voie de conséquence, la justiciable en venait donc à requérir de la CAI que cette dernière impose une rectification quant à cette situation qu’elle juge fâcheuse. Elle demandait donc à la CAI de rendre – à toutes fins pratiques et sous le couvert d’une demande de révision– cette ordonnance de confidentialité qui n’a jamais été requise du TAL et du TAT.
- Cela dit, force est de constater que la CAI ne peut, une fois saisie d’une telle trame narrative, imposer le remède ici recherché.
- La CAI ne siège pas en appel ou en révision des décisions du TAL ou du TAT.
- Avec égards, une audition au fond n’était pas nécessaire, et encore moins souhaitable, afin d’en arriver à une telle conclusion. Celle-ci apparait inéluctable et incontournable, d’où le bien-fondé de la demande en irrecevabilité.
- Voyons voir plus précisément pourquoi.
- Les dispositions pertinentes de la LAI, leur interaction ainsi que les erreurs de droit commises par la CAI
- L’article 134.2 LAI énonce que la CAI a compétence exclusive afin d’entendre les demandes de révision formulées en vertu de la présente loi.
- SOQUIJ constitue un organisme public qui peut détenir des renseignements personnels et qui est donc assujetti aux effets et aux remèdes prévus par la LAI. Le TAT également d’ailleurs.
- Là n’est pas la question.
- Personne ne remet non plus en doute qu’un justiciable peut requérir d’un organisme public la rectification, en certaines circonstances, d’un renseignement personnel le concernant.
- Le droit à la vie privée et à la protection des renseignements personnels demeurent indéniables et fondamentaux[14].
- Mais de telles constatations ne permettent pas d’avaliser le raisonnement proposé en l’espèce par la CAI. Et ce, pour plusieurs motifs.
- D’emblée, il est utile de constater que la CAI passe sous silence (à l’exception d’une brève note de bas de page) le libellé de l’article 29.1 LAI[15].
- L’article 29.1 LAI se décline pourtant ainsi :
29.1. La décision rendue par un organisme public dans l’exercice de fonctions juridictionnelles est publique.
Toutefois, un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement contenu dans cette décision lorsque celle-ci en interdit la communication, au motif qu’il a été obtenu alors que l’organisme siégeait à huis-clos, ou que celui-ci a rendu à son sujet une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion ou que sa communication révélerait un renseignement dont la confirmation de l’existence ou la communication doit être refusée en vertu de la présente loi.
Un organisme public doit également refuser de communiquer un renseignement susceptible de révéler le délibéré lié à l’exercice de fonctions juridictionnelles.
[Le Tribunal souligne]
- L’article 53 (paragraphe 2) LAI abonde dans le même sens lorsqu’il stipule :
53. Les renseignements personnels sont confidentiels sauf dans les cas suivants:
1° la personne concernée par ces renseignements consent à leur divulgation;
2° ils portent sur un renseignement obtenu par un organisme public dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle; ils demeurent cependant confidentiels si l’organisme les a obtenus alors qu’il siégeait à huis-clos ou s’ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion.
[Le Tribunal souligne]
- Personne, à bon droit, ne remet en doute en l’espèce que le TAL et le TAT constituent bel et bien des organismes exerçant une fonction juridictionnelle.
- Certes, des ordonnances de huis clos, de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion peuvent être rendues.
- Cependant, la Cour Suprême rappelle que de telles ordonnances ne peuvent être octroyées que par le Tribunal entendant la demande principale associée à un tel dossier[16].
- Du reste, de telles ordonnances, heurtant le caractère public des audiences et les valeurs fondamentales y étant associées[17], ne peuvent être prononcées qu’en conformité avec des critères très stricts énoncés par la Cour Suprême dans divers arrêts de principe[18].
- Ces critères, reconnait la Cour Suprême, s’appliquent non seulement aux tribunaux judiciaires mais également aux tribunaux administratifs / organismes exerçant des fonctions juridictionnelles[19].
- La Cour Suprême du Canada renchérit en rappelant d’ailleurs que le tribunal saisi du litige au fond possède un pouvoir de surveillance eu égard à la transparence de l’instance et de son dossier, bénéficiant ainsi de la faculté, non seulement de trancher mais également de réexaminer l’opportunité d’émettre une ordonnance de confidentialité[20], et ce, même en aval de la transmission de sa décision[21].
- Le principe est à ce point ancré que la Cour Suprême du Canada préfère parfois elle-même retourner une telle question à l’instance précédente[22].
- Ainsi donc, la question qui se posait en l’espèce à la CAI était, par le fait même, de déterminer l’identité de l’organisme (CAI ou TAT par exemple) qui possède la compétence – exclusive du reste – afin d’octroyer le remède ici recherché par cette justiciable.
- Or, poser la question est y répondre.
- Seuls le TAT et le TAL pouvaient « rectifier », modifier ou anonymiser les décisions que ceux-ci avaient rendues.
- Cela apparait indéniable.
- De conclure à l’effet contraire signifierait que tant la CAI que le TAT possèdent la compétence exclusive de prononcer ce même remède. Or, et par définition, une compétence exclusive ne se partage pas.
- Cela dit, les renseignements obtenus par un organisme dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle ne sont pas confidentiels. Ils sont par ailleurs publics par la simple application des articles 29.1 et 53 (2) LAI, précités.
- Dans cette même foulée, l’article 55 (1) LAI stipule qu’un renseignement qui a un caractère public au sens de la loi n’est pas soumis aux règles de protection des renseignements personnels. Cette disposition se décline en ces termes :
55. Un renseignement personnel qui a un caractère public en vertu de la loi n’est pas soumis aux règles de protection des renseignements personnels prévues par le présent chapitre[23]. N’est pas non plus soumis à ces règles un renseignement personnel qui concerne l’exercice par la personne concernée d’une fonction au sein d’une entreprise, tel que son nom, son titre et sa fonction, de même que l’adresse, l’adresse de courrier électronique et le numéro de téléphone de son lieu de travail.
[Le Tribunal souligne]
- Certes, la CAI dans sa Décision réfère le lecteur, in extenso, à l’article 57 LAI qui énonce diverses situations où un renseignement personnel a un caractère public. Cela dit, et ce faisant, elle occulte – en réalité – les effets des articles 29.1, 53 (2) et 55 (1) LAI, précités.
- L’impact de cette omission est ici palpable et évident, et elle entraine la CAI vers le rejet de la demande en irrecevabilité.
- Pourtant, la CAI précise, au paragraphe 27 de sa Décision, qu’elle doit déterminer si le renseignement personnel visé par la rectification a un caractère public.
- Or, et tel que déjà précisé, cela est clairement le cas.
- En effet, le renseignement dont il est question, à savoir le nom de cette justiciable, possède ici un caractère public, faute par celle-ci d’avoir demandé au TAL et/ou au TAT une quelconque mesure afin d’anonymiser leurs décisions.
- Dans ces circonstances, il apparait clairement que le remède prévu à l’article 89 LAI ne peut pas trouver application en l’espèce, cet article étant ainsi rédigé :
89. Toute personne qui reçoit confirmation de l’existence dans un fichier d’un renseignement personnel la concernant peut, s’il est inexact, incomplet ou équivoque, ou si sa collecte, sa communication ou sa conservation ne sont pas autorisées par la loi, exiger que le fichier soit rectifié.
- Après tout, il apparait clairement du dossier que le remède qui était sollicité – de SOQUIJ puis de la CAI - était soit de procéder à une modification de la version produite de ces décisions rendues par le TAT et le TAL, soit de requérir une interdiction de publication et de non-diffusion de décision[24]. Ni plus, ni moins.
- En l’espèce, une audition au fond n’était pas requise afin de constater qu’un seul résultat apparait possible à la lumière des dispositions législatives précitées.
- Il est dans l’intérêt de tous que le justiciable soit orienté, plus tôt que plus tard, voire dès que possible, vers le bon forum[25]. Il en va d’une saine administration de la justice et du respect du principe – directeur – de proportionnalité[26].
- La CAI, refusant en l’espèce d’accueillir l’irrecevabilité et refusant par le fait même de décliner compétence, en vient à s’arroger une compétence qui relève plutôt, tout particulièrement, du TAT et du TAL quant à leurs décisions.
- La CAI erre lorsqu’elle opine, au paragraphe 32 de sa Décision, que les renseignements personnels obtenus dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle, non visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion, ne sont pas confidentiels mais tout en demeurant visés par le chapitre III de la Loi (ce qui inclut l’article 89 LAI).
- La CAI persiste ici à même son Mémoire, au paragraphe 64 en postulant ce qui suit :
64. Ainsi, bien que les renseignements personnels soient à caractère public et qu’ils ne soient pas soumis aux règles de protection des renseignements personnels, ces renseignements peuvent tout de même faire l’objet d’une demande de rectification.
- En réalité, la simple combinaison des effets des articles 29.1, 53 (2) et 55 (1) LAI permet de conclure à l’effet contraire, et ce, même à l’étape d’une demande en irrecevabilité.
- En fait, le raisonnement de la CAI l’amène à rejeter la requête en irrecevabilité sur la base qu’elle détient une compétence générale quant à SOQUIJ en raison de son statut d’organisme public en vertu de la LAI.
- Cela dit, la CAI ne peut rejeter une demande en irrecevabilité sur la simple base qu’elle possède une juridiction quant aux parties, en ce que SOQUIJ n’est pas exclue de l’application de la LAI.
- Afin de rejeter une telle demande en irrecevabilité, encore faut-il qu’il puisse y avoir une possibilité – même lointaine - que le remède requis par le justiciable puisse être accordé. Encore faut-il – en effet - que la CAI détienne une compétence juridictionnelle quant à l’essence du litige tel qu’il est mû devant elle.
- Or, ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce.
- L’avocate de la CAI, en toute honnêteté intellectuelle dans le cadre de sa plaidoirie, concède qu’il n’y a aucun cas de figure qui permettrait à la CAI de procéder à la rectification d’une décision rendue par un organisme dans le cadre de ses attributions en matière juridictionnelle.
- Ainsi donc, il est établi, et cela découle d’une simple lecture de la LAI, que la CAI ne pourra pas, dans aucune circonstance, octroyer le remède qui était ici réclamé par cette justiciable.
- La CAI ne possède tout simplement pas cette compétence juridictionnelle d’octroyer un tel remède et donc de trancher l’essence même du litige qui lui est soumis en l’espèce par cette justiciable.
- De conclure à l’effet contraire en raison du statut d’organisme public de SOQUIJ ne peut susciter l’adhésion du Tribunal. En fait, d’avaliser un tel raisonnement signifierait que des auditions au fond seraient requises, peu importe le sujet ou le remède évoqué, et ce, dès que l’organisme visé se qualifie en vertu de la LAI.
- Cela n’est manifestement pas l’intention du législateur. Encore une fois, la CAI est outillée afin de trancher les demandes en irrecevabilité qui peuvent lui être soumises.
- La CAI erre également, avec égards, lorsqu’elle conclut, au paragraphe 43 de sa Décision, que le législateur n’a pas exclu du processus de rectification prévu à l’article 89 LAI une demande visant des renseignements personnels dans le cadre de décisions rendues par des organismes exerçant des fonctions juridictionnelles.
- Pourtant, de tels renseignements, nous l’avons vu, ont un caractère public en vertu de la LAI.
- Simplement dit, la porte d’entrée d’un tel recours est ici fermée, faute d’être en présence d’un renseignement personnel pouvant faire l’objet d’une rectification par SOQUIJ ou par la CAI. L’article 89 LAI ne peut ici trouver application afin de rectifier des décisions rendues par des organismes juridictionnels comme le TAT et le TAL.
- La jurisprudence des tribunaux supérieurs[27] rappelle d’ailleurs que ceux-ci doivent normalement s’abstenir d’intervenir sur des sujets ayant été dévolus, par le législateur, à un tribunal administratif.
- Un tel principe, qui s’applique aux tribunaux supérieurs, doit nécessairement recevoir une application – au moins équivalente – par un organisme comme la CAI.
- L’attentisme[28] proposé par la CAI apparait clairement du paragraphe 96 de son Mémoire. Tentant de contredire l’argument voulant qu’une controverse jurisprudentielle existe bel et bien en son sein[29], la CAI s’y exprime ainsi :
96. Ainsi, ce commentaire reflète bien l’état de la jurisprudence au sein de la Commission : la Commission a compétence pour entendre de telles demandes de révision, mais elle ne peut y faire droit en raison du principe que seul le tribunal ayant rendu la décision peut rendre une telle ordonnance.
[Le Tribunal souligne]
- La CAI, dans le cadre de sa plaidoirie, abonde dans le même sens. Aucune décision de la CAI accueillant une demande de rectification d’une décision émanant d’un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles n’a pu être répertoriée. Il appert, simplement dit, qu’il n’en existe pas.
- Bref, la CAI reconnait que le poids de sa jurisprudence est de rejeter – systématiquement – de telles demandes de rectification d’une décision rendue par un organisme juridictionnel lorsque ce dernier n’a pas prononcé d’ordonnance de confidentialité ou de huis clos.
- Si tel est le cas, à quoi bon attendre?
- L’attentisme proposé par la CAI n’est pas requis, et encore moins souhaitable, lorsque cette dernière est confrontée à une trame comme celle en l’espèce.
- La CAI détenait, dans le cas sous étude, l’ensemble des éléments pertinents afin de trancher – dans le sens souhaité par SOQUIJ - la demande en irrecevabilité qui lui était soumise.
- Du reste, personne ne prétendait en l’espèce au caractère inexact, incomplet ou équivoque des informations que la justiciable souhaitait voir expurger du texte des décisions rendues par le TAL et le TAT. Ainsi donc, le fait qu’une telle analyse puisse parfois être pertinente ne module en rien le cadre d’analyse très précis – et restreint - s’appliquant en l’espèce.
- De toute façon, de prétendre que la CAI puisse détenir la compétence juridictionnelle de modifier le libellé d’une décision rendue par de tels tribunaux apparaitrait particulièrement mal fondé.
- Autres dispositions législatives confirmant le résultat auquel la CAI aurait dû en arriver
- L’ensemble des dispositions précitées de la LAI sont d’ailleurs conséquentes de diverses autres dispositions législatives et règlementaires s’appliquant à SOQUIJ, bonifiant d’autant la conclusion à laquelle la CAI devait irrémédiablement arriver.
- Le Règlement sur la diffusion de l’information et la protection des renseignements personnels[30] constitue une règlementation adoptée directement en vertu de la LAI. Son article 6 (1) se détaille ainsi :
6. Un organisme public qui rend des décisions motivées dans l’exercice de fonctions juridictionnelles les expédie à la Société québécoise d’information juridique qui les diffuse, conformément au règlement adopté en vertu de l’article 21 de la Loi sur la Société québécoise d’information juridique (chapitre S-20), sur son site Internet mettant à la disposition du public les décisions des tribunaux judiciaires, des tribunaux administratifs et autres organismes.
- Dans la même veine, l’article 4 du Règlement sur la cueillette et la sélection des décisions judiciaires[31] énonce :
4. Le nom d’une partie ou personne impliquée est mentionné sauf interdiction législative ou judiciaire.
- Le caractère public des processus se déroulant devant les tribunaux n’est pas surprenant et découle de la simple application de diverses autres dispositions législatives, dont l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[32] qui est ainsi rédigé :
23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.
Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.
[Le Tribunal souligne]
- L’article 56 de ladite Charte spécifie d’ailleurs que cette notion de tribunal inclut, inter alia, un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires.
- Une présomption existe d’ailleurs voulant qu’une décision judiciaire soit publique[33].
- En effet, n’obtiens pas l’anonymisation d’une décision qui veut[34].
- Certes, SOQUIJ demeure assujettie à la LAI. Là n’est pas la question et le présent Jugement n’en vient pas à dédouaner cette dernière de ses obligations découlant de cette législation.
- Cela dit, la CAI ne siège pas en appel des décisions d’une série de tribunaux judiciaires ou d’organismes exerçant une fonction juridictionnelle[35].
- Diverses autres décisions de la CAI supportent l’argumentaire proposé par SOQUIJ
- La CAI, dans l’affaire Grenier c. Tribunal administratif du travail[36], sous la plume du juge administratif Philippe Berthelet, en est d’ailleurs venue à rejeter une demande de rectification et de caviardage de diverses décisions du TAT.
- Me Berthelet, à juste titre, s’y exprime ainsi :
[7] Le présent litige soulève donc les questions suivantes :
- La demande de rectification est-elle recevable?
[8] La Commission conclut que la demande de rectification n’est pas recevable.
[13] La décision du responsable du TAT n’a pas à être révisée.
[14] Il n’appartient pas au responsable de l’accès d’un organisme public de caviarder des renseignements personnels obtenus dans le cadre des fonctions juridictionnelles de cet organisme.
[15] Le TAT exerce des fonctions juridictionnelles.
[16] En l’espèce, la demande vise trois décisions rendues par le TAT à la suite de divers recours.
[17] Ces décisions n’ont pas fait l’objet d’ordonnances de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion par les juges administratifs saisis.
[18] En l’absence de telles ordonnances, les renseignements ainsi obtenus par le TAT dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles ne sont pas confidentiels, en vertu de l’article 53 de la Loi sur l’accès : (…)
[21] Les renseignements dont on demande le caviardage ont par conséquent un caractère public.
[22] Aussi, les renseignements personnels qui ont un caractère public comme ceux en l’espèce ne sont pas soumis aux règles de protection des renseignements personnels prévus par le chapitre III de la Loi sur l’accès : (…)
[23] Le droit à la rectification faisant partie du chapitre III de la Loi sur l’accès, ce recours n’est par conséquent pas recevable à la demanderesse en l’espèce.
[24] La faculté de se prononcer sur le mérite de la demande, par ailleurs assujettie à des critères spécifiques, et de rendre par conséquent inaccessibles les renseignements visés, demeurent par conséquent non pas de la juridiction de la Commission, mais bien de la compétence des juges administratifs saisis des recours entrepris devant eux, si tant est qu’il soit encore possible de le faire, ce à quoi la Commission n’a pas à se prononcer.
[26] Par conséquent, le recours entrepris par la demanderesse en vertu de la Loi sur l’accès n’est pas recevable.
[Le Tribunal souligne]
- L’avocat de SOQUIJ postule à bon droit que cette décision de la CAI illustre bien qu’un courant jurisprudentiel émanant de cette dernière conclut à l’irrecevabilité de telles demandes, dénotant ainsi, minimalement, la présence d’une controverse jurisprudentielle.
- Même ce postulat est ici contesté par la CAI. Son avocate prétend plutôt que Me Berthelet, dans cette affaire Grenier, a plutôt tranché la question au mérite et non pas à l’étape d’une demande – procédurale – en irrecevabilité. La CAI abonde dans le même sens dans sa Décision aux paragraphes 35 et ss.
- Le décideur de la CAI aurait simplement usé, postule l’intimée, d’une formulation malheureuse en référant, dans cette Décision Grenier, au caractère « recevable » ou non de la demande lui étant soumise.
- Après tout, ajoute ici la CAI, Me Berthelet, au paragraphe 27 de son Jugement n’en vient qu’à Rejeter la demande de révision.
- Il ne s’agirait pas là d’un rejet sur la base d’une irrecevabilité, et ce, considérant que la conclusion du jugement ne se lit pas « Accueille la demande en irrecevabilité » ou quelconque formulation équivalente.
- Avec égards, l’on joue ici avec les mots.
- Le décideur de la CAI, dans cette affaire Grenier, prend la peine de préciser – deux fois plutôt qu’une d’ailleurs[37] - que la demande lui étant présentée n’est pas recevable[38]. Il ajoute au surplus – comme nous l’avons vu - que la faculté de se prononcer sur le mérite de la demande (…) demeure par conséquent non pas de la juridiction de la Commission mais bien de la compétence des juges administratifs saisis des recours entrepris devant eux.
- Ce raisonnement est limpide et, avec égards pour l’opinion contraire, bien fondé.
- La CAI, comme nous le verrons ci-après, abonde également dans le même sens dans d’autres décisions rendues dans les dernières années.
- L’avocate de la CAI postule en l’espèce que ces décisions démontrent au contraire que la CAI préfère trancher de telles demandes « au mérite » plutôt qu’à l’étape d’une demande en irrecevabilité.
- Évidemment, l’on comprendra aisément que la CAI ne peut se saisir d’une demande en irrecevabilité que si celle-ci lui est soumise. Ainsi, le fait que la CAI ait « tranché au fond » certains dossiers ne signifie pas pour autant qu’une demande en irrecevabilité ne pouvait pas être soumise.
- En d’autres termes, le fait que la CAI ait pu entendre, dans le passé, de telles demandes au fond, ne représente nullement un motif permettant de rejeter, en soi, la demande en irrecevabilité présentée en l’espèce par SOQUIJ.
- Du reste, la CAI est un tribunal statutaire[39]. Le fait que le législateur n’ait pas précisé, en toutes lettres, qu’elle ne possède pas une compétence particulière ne permet pas, comme pour un tribunal de droit commun, de lui confier un tel pouvoir par simple déduction ou inférence.
- Cela dit, la CAI, dans l’affaire Dandurand c. Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ)[40], y conclut ainsi :
[21] Malgré les préoccupations de la demanderesse, le droit est clair à cet égard. Les renseignements personnels obtenus par un organisme public dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle n’ont pas un caractère confidentiel à moins qu’ils ne soient visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion ou qu’ils ont été obtenus alors que l’organisme siégeait à huis-clos : (…)
[22] La demanderesse pouvait s’adresser au tribunal en question afin de requérir des ordonnances spécifiques en lien avec la diffusion de certains renseignements. Elle ne l’a pas fait. (…)
[25] En l’espèce, les deux décisions publiques rendues par la CRT dans l’exercice de fonctions juridictionnelles ne peuvent faire l’objet d’une rectification par la Commission afin d’y caviarder tous renseignements personnels permettant d’identifier la demanderesse.
[26] En l’absence d’ordonnance de la CRT au contraire, les renseignements personnels concernant la demanderesse et contenus dans les deux décisions en litige ont un caractère public au sens de l’article 55 de la Loi sur l’accès: (…)
[Le Tribunal souligne]
- La CAI conclut de la même façon dans l’affaire Bouchard c. Société québécoise d'information juridique (SOQUIJ)[41], puis également dans l’affaire Lamarre c. Régie du bâtiment du Québec[42].
- La CAI, dans cette affaire Lamarre, s’exprime notamment ainsi :
[21] La RBQ soutient toutefois que les renseignements personnels concernant le demandeur sont de nature publique et ne sont donc pas soumis aux règles de protection des renseignements personnels prévue à la Loi sur l’accès.
[22] L’article 55 de la Loi sur l’accès prévoit en effet que les renseignements personnels à caractère public ne sont pas soumis aux règles de protection prévues au chapitre III : (…)
[31] En l’espèce, la Commission constate que les deux décisions arbitrales impliquant le demandeur ont effectivement été diffusées sur le site internet de la CCAC. Elles sont donc publiques au sens de l’article 55 de la Loi sur l’accès, ce qui les soustrait à une possible rectification.
[33] De plus, malgré les prétentions formulées par le demandeur, les règles de droit sont explicites à cet égard. En effet, les renseignements personnels obtenus par un organisme public dans l’exercice d’une fonction juridictionnelle n’ont pas un caractère confidentiel à moins qu’ils ne soient visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion ou qu’ils aient été obtenus alors que l’organisme siégeait à huis clos.
[37] Ainsi, en l’absence d’une ordonnance rendue par la Cour supérieure, les renseignements personnels concernant le demandeur, contenus dans le jugement dans lequel il est interpellé à titre de défendeur et de demandeur reconventionnel, ont maintenant un caractère public au sens de l’article 55 de la Loi sur l’accès:
- L’état du droit apparait bien fixé[43].
- Par ailleurs, le fait que la Responsable de l’accès à l’information de SOQUIJ ait ici référé la justiciable, dans le cadre de sa décision refusant la rectification[44], à la possibilité de demander une révision de celle-ci devant la CAI n’a pas l’effet surprenant, voire dirimant, proposé par l’avocate de la CAI à même son Mémoire[45].
- Il s’agit là, sans plus, que la manifestation d’une Responsable de l’accès qui respecte le libellé de l’article 101 LAI qui prévoit une telle obligation. Du reste, la réponse de cette dernière est très détaillée et expose, clairement, les motifs de son refus.
- Du reste, une partie ne peut conférer une compétence juridictionnelle, par admission, à un tribunal ou à un organisme juridictionnel ne détenant pas une telle compétence.
- La compétence juridictionnelle, comme nous le savons, est une matière intéressant l’ordre public[46].
- L’avocate de la CAI, à même son Mémoire, réfère également le Tribunal en l’espèce à l’arrêt de la Cour d’appel dans Domtar inc c. Produits Kruger ltée[47], plus particulièrement au paragraphe 35 qui se décline ainsi :
[35] Cela étant, il faut interpréter les pouvoirs conférés à la Régie de l'énergie de manière à ce que celle-ci puisse exercer ses fonctions et user pleinement de la compétence qui lui est dévolue par le législateur. Il ne s'agit pas, bien sûr, de l'investir de pouvoirs que la loi ne lui aurait pas donnés, mais, simplement, de donner leur entière portée à ceux qui lui ont été conférés.
- En réalité, et tel qu’il appert de ce paragraphe, la Cour d’appel énonce notamment qu’il n’y a pas lieu d’investir un tribunal de pouvoirs que la loi ne lui a pas donnés.
- Cet extrait de l’arrêt Domtar n’est donc, avec égards, d’aucun secours à la CAI en l’espèce.
- La CAI commet donc une erreur de droit lorsqu’elle décide de déférer au juge du fond une décision qui peut être rendue immédiatement.
- Cette erreur est ici déterminante quant au sort du litige.
- Dans ces circonstances, la Cour du Québec doit ici accueillir l’appel dans le but d’infirmer la Décision de la CAI ayant rejeté la demande en irrecevabilité présentée par SOQUIJ.
- Cette demande en irrecevabilité était ici bien fondée et aurait dû être accueillie. Le Tribunal, appelé à rendre la décision qui aurait dû être rendue, accueillera ladite Requête en irrecevabilité.
- Y a-t-il lieu d’aller plus loin?
- Les conclusions additionnelles, de nature déclaratoire, proposées par SOQUIJ
- En effet, SOQUIJ propose[48] le prononcé de deux conclusions additionnelles qui sont ainsi libellées :
DÉCLARER que la Commission d’accès à l’information du Québec n’a pas compétence pour entendre des demandes de retrait ou d’anonymisation des jugements des tribunaux ou des décisions d’organismes exerçant des fonctions juridictionnelles;
DÉCLARER que de telles demandes ne s’appuient sur aucun droit reconnu dans la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels;
- La CAI conteste subsidiairement l’octroi de telles conclusions, et ce, dans l’optique où le Tribunal accueillait la conclusion principale de l’appel logé par SOQUIJ, plaidant qu’il n’appartient pas à la Cour du Québec, même siégeant en appel, de prononcer un tel jugement de nature déclaratoire qui en viendrait, par sa nature, à dépasser le cadre du litige précis impliquant les parties.
- La CAI a raison sur ce point.
- Les parties pourront assurément prendre acte du contenu du présent Jugement, et ce, dans l’objectif d’agir de manière conséquente dans le futur.
- Cela dit, il n’appartient pas à la Cour du Québec, en l’espèce, de prononcer des conclusions de nature déclaratoire comme le lui propose SOQUIJ.
- La compétence juridictionnelle en matière de jugements déclaratoires appartient normalement à la Cour Supérieure du Québec, tribunal de droit commun[49].
- Certes, il appartient parfois à la Cour du Québec de prononcer de telles conclusions[50], usant pour ce faire notamment de l’article 49 du Code de procédure civile.
- Après tout, la Cour du Québec possède toutes les attributions nécessaires afin de trancher les litiges qui lui sont présentés.
- L’accessoire, comme le veut l’adage consacré, suit le principal.
- Or, en l’espèce, le principal concerne l’audition d’un appel dans le cadre d’un litige précis. Certes, une telle situation peut se représenter dans le futur, mais cela ne signifie pas – en soi – que la Cour du Québec devrait spécifiquement prononcer de telles conclusions déclaratoires.
- La Cour du Québec est un tribunal statutaire qui entend, en l’espèce, un appel se qualifiant également de statutaire[51].
- L’avocat de SOQUIJ soumet que de telles conclusions additionnelles pourraient être « utiles », et ce, afin que le Jugement du Tribunal « puisse avoir un impact », le tout dans l’objectif de « donner l’heure juste » et d’éviter que la CAI tente de prétendre, dans le futur, que le présent cas « n’est qu’un cas d’espèce ».
- Cela dit, l’avocat de SOQUIJ reconnait – à juste titre et en toute honnêteté intellectuelle – qu’il n’est peut-être pas « totalement nécessaire » que le Tribunal prononce de telles conclusions dans les circonstances.
- Le Tribunal s’accorde ici avec ce propos.
- Certes, l’avocat de SOQUIJ réfère le Tribunal à l’arrêt de la Cour d’appel dans Québec (Conseil de la magistrature) c. Québec (Commission d’accès à l’information)[52].
- Dans cet arrêt, la Cour d’appel déclare notamment la CAI sans compétence à l’égard des activités déontologiques du Conseil de la magistrature du Québec. Elle y déclare également inopérant, au niveau constitutionnel, l’article 6 de la LAI quant au Conseil de la magistrature du Québec.
- Cela dit, cet arrêt de la Cour d’appel doit être replacé dans son contexte.
- Il s’agissait là d’un appel d’une décision de la Cour Supérieure, tribunal de droit commun, se prononçant sur une requête en révision judiciaire.
- Les conclusions déclaratoires y étant recherchées représentaient l’essence même (le principal) de ce qui était requis de la Cour Supérieure, puis par la suite de la Cour d’appel.
- Ce n’est pas le cas en l’espèce.
- Avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal considère que l’appel logé par SOQUIJ, bien que d’une importance indéniable, est plus ciblé.
- Le Tribunal tranchera donc cet appel ciblé.
- Évidemment, les parties devront prendre acte du raisonnement et du résultat du présent appel, amendant d’autant leur conduite future.
- Cela étant, de telles conclusions additionnelles ici requises par SOQUIJ n’apparaissent pas nécessaires dans les circonstances et ne seront pas accordées.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement l’appel;
INFIRME la Décision de la Commission d’accès à l’information rendue le 6 décembre 2023 dans le dossier de ce tribunal portant le numéro 1028635-J;
ACCUEILLE la Requête en irrecevabilité de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ);
REJETTE les autres conclusions de nature déclaratoire requises par l’Appelante;
LE TOUT, sans frais de justice[53].
| __________________________________ STEVE GUÉNARD, J.C.Q. |
Me Raymond Doray | Lavery, de Billy, S.E.N.C.R.L. Avocats de l’Appelante | Me Andréanne Fortin Me Sheila York Desmeules & Associés Avocates de l’Intimée Me Léa Attal Fitzback, Bond Roussel Avocate de l’Intervenant |
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Date d’audience : | 13 février 2025 |
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