2024 QCCS 4032 | ||||||
COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | Laval | |||||
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No : | ||||||
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DATE : | 1er novembre 2024 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | Catherine Dagenais, J.C.S. | ||||
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VILLE DE LAVAL | ||||||
Demanderesse c.
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CLAUDE DE GUISE | ||||||
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JEAN GAUTHIER | ||||||
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JEAN BERTRAND | ||||||
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PIERRE LAMBERT | ||||||
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ROBERT TABLOT | ||||||
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GUY VAILLANCOURT | ||||||
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Défendeurs et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | ||||||
Mis en cause | ||||||
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JUGEMENT (demandes en irrecevabilité) | ||||||
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[23] La preuve a révélé l’existence de vastes complots. Considérant le nombre de conspirateurs – de 50 à 60 – et la durée – de janvier 1996 à septembre 2010, la Cour croit qu’il est permis de prétendre qu’il s’agit d’un des pires, sinon le pire, exemple de corruption municipale qui s’est retrouvé devant un tribunal canadien.
[24] Les complots étaient en forme pyramidale. L’ex-maire Gilles Vaillancourt et certains de ses fonctionnaires ont décidé qu’ils étaient pour profiter de presque chaque contrat de construction qui sera octroyé par la Ville de Laval. Le plan, en soi, était simple et dépendrait du silence des participants au fil des ans.
[25] Un appel d’offres pour un projet de construction sera lancé. Les soumissionnaires seront identifiés. Avant la date de la réception des soumissions, un co-conspirateur parmi les fonctionnaires de la Ville communiquera avec l’un des soumissionnaires pour lui annoncer que sa compagnie a été désignée gagnante de l’appel d’offres.
[26] Cette personne obtiendra la liste des autres soumissionnaires. Elle avait l’obligation de communiquer avec chacun des autres soumissionnaires pour arranger une soumission qui sera plus haute que la sienne. Lorsque les soumissions étaient rendues publiques, à cause de ce stratagème, la soumission de la compagnie désignée sera la plus basse. Le Comité exécutif et le Conseil de Ville donneront ensuite leur approbation à l’octroi du contrat à la compagnie désignée.
[27] En retour, la compagnie désignée s’engageait à remettre au maire Vaillancourt, via son parti PRO des Lavallois, une ristourne de 2% du prix du contrat, avant taxes. Des personnes désignées pour collecter le 2% estiment qu’environ 4 350 000 $ ont été remis durant la durée des complots (Gendron : 1 500 000 $ de 1996 à 2002; Desbois : 2 850 000 $ de 2002 à 2010).
[28] La perte pour les contribuables de la Ville de Laval n’était pas limitée au montant de la ristourne. La preuve, non-contredite, a démontré que le stratagème criminel a permis aux compagnies impliquées de faire des profits substantiellement plus élevés que dans un système légitime de soumissions libres. Quoi qu’il soit impossible de chiffrer avec exactitude la perte pour la Ville de Laval, elle est sûrement dans les dizaines de millions de dollars[3].
[14] L’article
- Les allégations de la requête introductive d'instance sont tenues pour avérées, ce qui comprend les pièces déposées à son soutien;
- Seuls les faits allégués doivent être tenus pour avérés et non pas la qualification de ces faits par le demandeur;
- Le Tribunal n'a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien- fondé des faits allégués. Il appartient au juge du fond de décider, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, si les allégations de faits ont été prouvées;
- Le Tribunal doit déclarer l'action recevable si les allégations de la requête introductive d'instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;
- La requête en irrecevabilité n'a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué;
- On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu'elle soulève des questions complexes;
- En matière d'irrecevabilité, un principe de prudence s'applique. Dans l'incertitude, il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès;
- En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d'être entendu au fond.
[15] Ainsi, au stade d’une demande en irrecevabilité, le rôle du tribunal consiste à déterminer si, en tenant pour avérées les allégations de la requête introductive d’instance, celles-ci peuvent donner ouverture aux conclusions recherchées. Le but de cette disposition est « d'éviter la tenue d'un procès lorsque le recours est dépourvu de fondement juridique, et ce, même si les faits à son soutien sont admis ». En effet, les tribunaux refusent de laisser perdurer un débat judiciaire lorsqu’il est manifeste que celui-ci est non fondé en droit. Toutefois, une telle demande ne sera accueillie que si la situation juridique est claire et sans ambiguïté, alors que le rejet « de l’action doit apparaître à la lecture des allégations de la requête introductive d’instance et des différentes pièces invoquées à son soutien ».
[…] En ce sens, une telle demande ne sera accueillie que si la situation juridique est sans ambiguïté puisqu’en cas de doute, les tribunaux doivent éviter de mettre fin prématurément à un procès. Une demande en irrecevabilité devra être accueillie « [lors] qu’il est manifeste que la demande ne présente aucune chance de succès » ou encore lorsque celle-ci est vouée à l’échec même si les faits allégués sont avérés. En cas de doute, la demande en irrecevabilité doit donc être rejetée[7].
10. Toute entreprise ou toute personne physique qui, à quelque titre que ce soit, a participé à une fraude ou à une manœuvre dolosive dans le cadre de l’adjudication, de l’attribution ou de la gestion d’un contrat public est présumée avoir causé un préjudice à l’organisme public concerné. […]
Mme Vallée : Bien, en fait, l'objectif était vraiment de venir toucher toute personne et... Mais c'est parce que, là, en même temps, je songe à l'alternative que vous apportez, c'est-à-dire d'introduire à l'intérieur... d'introduire un article qui préciserait clairement la volonté de toucher ceux et celles qui ont pu contribuer... sans nécessairement être l'entreprise contractante, mais qui ont pu contribuer d'une façon ou d'une autre à la situation de fraude ou de manœuvre dolosive, et je comprends qu'il est important que ce lien-là ne se fasse pas exclusivement avec les administrateurs et les dirigeants de l'entreprise, mais bien avec tous ceux qui auraient gravité autour de l'environnement.
[...]
Le Président (M. Ouimet) : […] Est-ce qu'on inclut le complice, là, la personne qui a participé, sans être l'entrepreneur qui a signé le contrat, mais le tiers qui a participé activement, sciemment à la manœuvre dolosive ou à la fraude? Je comprends que nous souhaitons que cette personne soit visée par l'article 10. […]
[…]
Mme Vallée : […] Alors, plutôt que d’importer ce concept lourd là, le « à quelque titre que ce soit » réfère, dans le fond, à cet esprit-là. L’objectif : peu importe le rôle que tu as pu jouer, à partir du moment où une entreprise ou une personne physique a contribué de quelconque façon à la fraude ou à la manœuvre dolosive, elle est responsable. Et pas question de dire : Oui, mais moi, j’ai juste fait un petit bout, là. Tu as participé, ta participation… En bout du compte, la participation a mené à cette fraude-là, a amené une surfacturation – parce que c’est ça, là, pratico-pratique – alors tu es responsable au même titre que les autres. […]
[…]
Mme Vallée : […] Donc « à quelque titre que ce soit », on fait le tour du jardin quant à qui et comment « a participé à une fraude ou à une manœuvre dolosive » donc la participation à laquelle vous faites référence; et « à quelque titre que ce soit », donc peu importe, là, le statut et la façon dont la participation s’est exprimée.
11. Le préjudice est présumé correspondre à la somme réclamée par l’organisme public concerné pour le contrat visé lorsque cette somme ne représente pas plus de 20% du montant total payé pour le contrat visé.
[…]
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
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| __________________________________CAtherine Dagenais, j.c.s. | |
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Me Alexandre Thériault-Marois | ||
Me Geneviève Lalande | ||
Avocats de la demanderesse, Ville de Laval | ||
LESAJ, Avocats et notaires | ||
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Me Francis Desrochers Avocat de la mise en cause, le Procureur général du Québec Bernard, Roy (Justice-Québec) | ||
Me Calin Popovici | ||
Avocat du défendeur Jean Gauthier | ||
Popovici Chouliareas Légal inc. | ||
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Me Pierre Éloi Talbot | ||
Me Julien Ouellet | ||
Avocats du défendeur Pierre Lambert | ||
LJT Avocats S.E.N.C.R.L. | ||
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M. Claude de Guise Défendeur
M. Jean Bertrand Défendeur | ||
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Me Luc Olivier Herbert | ||
Avocat du défendeur Robert Talbot | ||
Ekitas Avocats et Fiscalistes inc. | ||
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Me Sylvain Deslauriers | ||
Avocat du défendeur Guy Vaillancourt | ||
Deslauriers et Cie, Avocats S.A. | ||
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Date d’audience : | Le 18 octobre 2024 | |
[1] RLRQ, c. R-2.2.0.0.3.
[2] Par. 73 à 121 de la Demande introductive d’instance modifiée.
[3] R. c. Accurso,
[4] Par. 11 à 61, 80, 89 à 113, 149 à 153 de la Demande.
[5] Claude de Guise n’a pas déposé de demande en irrecevabilité et en abus.
[6] Fanous c. Gauthier,
[7] Mallat c. Autorité des marchés financiers de France,
[8] R. c. Fedele,
[9] R. c. Fedele,
[10] GBI Experts-conseils c. Ville de Montréal,
[11] Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc.,
[12] Le Défendeur Jean Bertrand articule quelque peu différemment sa demande en irrecevabilité mais ses arguments, dans leur essence, sont similaires à ceux des quatre autres Défendeurs.
[13] Art. 16 de la Loi.
[14] Assemblée nationale du Québec, Commission permanente des institutions, Journal des débats, 41e lég., 1e session, vol. 44, n° 25, 18 février 2015, pp. 2-7, 20 et 21.
[15] Accurso c. R.,
[16] Fanous c. Gauthier,
[17] Voir entre autres les par. 11 à 61, 95 à 98, 103 à 107, 110 à 113, 122 à 143 de la Demande, ainsi que notamment les pièces P-5, P-9 à P-13 et P-15.
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