Décision

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Gravel c. Agence du revenu du Québec

2025 QCCA 785

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-008215-244

(540-36-001171-213) (540-36-001207-223)

 

DATE :

 17 juin 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

JUDITH HARVIE, J.C.A.

MYRIAM LACHANCE, J.C.A.

 

 

RICHARD GRAVEL

9162-4676 QUÉBEC INC.

APPELANTS – appelants

c.

 

L’AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉS – intimés

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu le 1er mai 2024 par le juge Yvan Poulin de la Cour supérieure, district de Laval, lequel rejette leur appel contre deux décisions du juge Sylvain Lépine de la Cour du Québec, district de Laval, l’une les déclarant coupables de 84 chefs d’accusation en vertu de la Loi sur l’administration fiscale et de la Loi sur la taxe d’accise, l’autre condamnant notamment l’appelant Richard Gravel à une peine d’emprisonnement de 36 mois.
  2.                 Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Harvie et Lachance, LA COUR :
  3.                 DÉCLARE irrecevable la preuve nouvelle;


  1.                 REJETTE l’appel, sans frais de justice.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JUDITH HARVIE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MYRIAM LACHANCE, J.C.A.

 

Me Christopher R. Mostovac

Me Olivier Verdon

STARNINO MOSTOVAC

Me Alexandre Bergevin

ALEXANDRE BERGEVIN AVOCAT (2013)

Pour les appelants

 

Me Philippe Widawski

Me Shura Abdulhaq

DIRECTION PRINCIPALE DES POURSUITES PÉNALES, REVENU QUÉBEC

Pour les intimés

 

Date d’audience :

13 mars 2025


 

 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

  1.                 Une décision d’une juge de la Cour (Gravel c. Agence de revenu du Québec, 2024 QCCA 619) a autorisé les appelants à se pourvoir contre un jugement prononcé le 1er mai 2024 par le juge Yvan Poulin de la Cour supérieure, district de Laval (Gravel c. Agence du revenu du Québec, 2024 QCCS 1565), lequel rejette leur appel contre des décisions rendues par le juge Sylvain Lépine de la Cour du Québec, district de Laval, tant en ce qui a trait à la culpabilité (R. c. 9162-4676 Québec inc., 2021 QCCQ 8291) qu’à la peine (R. c. 9162-4676 Québec inc., 2022 QCCQ 1287).
  2.                 La première décision du juge de la Cour du Québec déclare les appelants coupables de 84 chefs d’accusation portés en vertu de la Loi sur l’administration fiscale (RLRQ, c. A-6.002) et de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. 1985, ch. E-15) (« Loi fédérale » et la seconde condamne l’appelant Richard Gravel à une peine d’emprisonnement de 36 mois, en sus d’amendes totalisant 1 239 279 $, ces dernières n’étant toutefois pas contestées en appel.
  3.                 Les condamnations sont fondées sur des allégations de déclarations fausses ou trompeuses dans le contexte de déclarations portant sur les taxes. Selon la poursuite, entre 2008 et 2011, les appelants auraient eu recours à un stratagème dans le but de tirer profit de crédits et de remboursements de taxes en utilisant des factures de complaisance.
  4.                 Conformément à l’article 291 du Code de procédure pénale (C.p.p.), les appelants ne peuvent soulever que des questions de droit et l’appel porte sur les erreurs qu’aurait pu commettre le juge de la Cour supérieure, et non celui de la Cour du Québec. La Cour n’interviendra donc que si une erreur de droit a été commise : BT Céramiques inc. c. Agence du revenu du Québec, 2020 QCCA 402, paragraphe 13.
  5.                 Les appelants soulèvent plusieurs questions que j’aborderai de la façon suivante : 1) la communication de la preuve, la demande de type Jarvis et la demande de dépôt d’une preuve nouvelle; 2) les délais; et 3) les autres moyens d’appel.

LA COMMUNICATION DE LA PREUVE, LA DEMANDE DE TYPE JARVIS ET LA DEMANDE DE DÉPÔT D’UNE PREUVE NOUVELLE

  1.            Pour bien comprendre les questions que sous-tend ce chapitre, il faut avoir à l’esprit certains principes émanant de l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, c’est-à-dire qu’en matière fiscale, il existe deux véhicules procéduraux distincts pour assurer l’application de la loi : 1) la vérification administrative, qui ne vise pas la recherche de la responsabilité pénale même s’il peut arriver que l’on soupçonne par ailleurs la perpétration d’infractions, et 2) l’enquête pénale, dont l’objet prédominant est justement la recherche d’éléments de preuve pouvant établir l’existence d’infractions pénales. Il arrive que l’une précède l’autre, quoiqu’elles soient fondamentalement différentes.
  2.            La première permet aux vérificateurs d’exiger la transmission d’informations de la part de la personne visée par la vérification. Pour ce qui est de l’enquête pénale, elle doit respecter les exigences de la Charte canadienne des droits et libertés, par exemple, le droit de ne pas s’incriminer (art. 7) ou d’être protégé contre les fouilles et les saisies abusives (art. 8).
  3.            On voit la tension entre les deux : on ne peut pas utiliser les moyens accordés aux vérificateurs pour tenir insidieusement une enquête pénale. Ce serait faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire directement. Par conséquent, lorsque le dossier est transféré de l’équipe de la vérification à l’équipe des enquêtes, il faut être prudent et s’assurer que les règles sont respectées. En revanche, ce qui a été fait légalement au cours de la vérification demeure légal, même si le dossier est ultérieurement transféré aux enquêtes, et les informations obtenues pendant la vérification peuvent donc être remises aux enquêteurs. Par ailleurs, si les deux sont tenues simultanément, l’on ne pourra, aux fins pénales, utiliser les informations obtenues par la vérification après le début de l’enquête pénale.
  4.            Une demande de type Jarvis cherche donc généralement à obtenir réparation en démontrant que les autorités fiscales ont illégalement utilisé leurs pouvoirs de vérification aux fins d’une enquête pénale.
  5.            Je précise que « [l]a question de savoir si un examen constitue une vérification ou une enquête est une question mixte de fait et de droit » : Jarvis, paragraphe 100. Autrement dit, comme il ne s’agit pas d’une question de droit, cette qualification ne peut être remise en question dans le présent appel.
  6.            D’entrée de jeu, le cheminement du dossier au sein des autorités fiscales mérite d’être précisé. Les conclusions de fait du juge de la Cour du Québec à cet égard sont énoncées dans la décision du 8 février 2018, qui rejette les prétentions des appelants selon lesquelles les autorités fiscales auraient utilisé les pouvoirs de vérification pour mener illégalement une enquête pénale. Le juge de la Cour supérieure refuse d’intervenir à ce sujet en soulignant que les appelants ne font voir aucune erreur de droit à l’endroit de cette décision qui est tout à fait raisonnable.
  7.            Revenons donc au cheminement du dossier. Selon le juge de la Cour du Québec, une enquête ouverte en février 2010, appelée DORADE, vise un réseau de fournisseurs de factures fictives. L’appelante (9162-4676 Québec inc.) fait partie des entreprises soupçonnées. Cette enquête ne mène toutefois nulle part, de sorte qu’elle est fermée en juillet 2010 par les autorités fédérales et, en mai 2011, par les autorités provinciales. Aucune preuve ne permet de croire que le dossier a été, en tout ou en partie, transmis à la vérification. En juin 2011, un dossier de vérification distinct est ouvert en rapport avec les appelants. Le juge détermine que ce dossier devient cependant une enquête pénale le 8 novembre 2011, alors qu’un état de situation rédigé par la vérification indique ceci : « Dossier à soumettre à la Direction principale des enquêtes ». La preuve récoltée par la vérification après cette date est donc jugée irrecevable et, par conséquent, n’a pas été déposée en preuve.
  8.            Les accusations sont déposées en novembre 2014, les appelants comparaîtront en janvier et avril 2015 et le procès au fond commencera en novembre 2018, après le dépôt et l’audition de diverses requêtes.
  9.            La demande initiale de communication de la preuve était d’une ampleur singulière. Les appelants demandaient notamment la liste complète de toutes les personnes qui avaient eu accès au dossier durant une période de neuf ans (de 2008 à 2017), liste appelée « piste de vérification » ou « liste journalisée », en plus d’une quantité hors du commun de documents et d’informations couvrant cette longue période. Le but était de vérifier si les mises en garde de l’arrêt Jarvis avaient été respectées, et ce, sous prétexte que le dossier aurait pu avoir été transféré de la vérification aux enquêtes ou vice versa.
  10.            Je note que, dans leur argumentation écrite, les appelants font état de « multiples transferts du dossier des Appelants du Département de la vérification au Département des enquêtes de l’Agence de revenu du Québec (« ARQ »), […] ». Il n’y a pourtant aucune preuve à cet effet, ce qu’ils semblent bien admettre lors de leurs observations orales, tout en plaidant que ce ne pouvait qu’être le cas et que des échanges avaient nécessairement eu lieu.
  11.            Les motifs soutenant la demande de communication de preuve étaient d’une navrante pauvreté et ne constituaient que des généralités tirées des principes de l’arrêt Jarvis. En substance, selon les appelants, comme il y aurait eu une vérification « parallèlement (antérieurement ou simultanément) à l’enquête pénale », ils avaient le droit d’obtenir ces informations parce qu’il existait une possibilité que les règles de Jarvis aient été enfreintes. Les demandeurs arguaient essentiellement que les informations étaient d’une « pertinence probable » et, étant « d’une utilité pour les Requérants, ils sont pertinents et devraient être divulgués ».
  12.            Deux constats s’imposent : la demande ne tente pas de démontrer qu’il y a eu échange d’informations et elle n’indique aucunement en quoi les renseignements recherchés seraient pertinents; en réalité, ils ne serviront qu’à vérifier si des accrocs se sont produits.
  13.            Voilà, en somme, une demande s’apparentant à une recherche à l’aveuglette sans véritable démonstration de pertinence. Le droit à la communication de la preuve ne justifie généralement pas ce type de demande. Comme le rappelle la Cour d’appel de la Saskatchewan dans R. v. Anderson, 2013 SKCA 92, aux paragraphes 74 et 75, la défense n’a pas un droit strict d'obtenir la communication d’éléments de preuve sur la seule base « that there might be something of significance which might be useable by the defence ». C’est ce que conclut le juge de la Cour supérieure au paragraphe 37 de son jugement en se disant en accord avec la décision du juge de la Cour du Québec, alors qu’en appel à la Cour supérieure, les appelants ciblaient principalement les pistes de vérification :

[37] À la lumière de toutes les circonstances, le juge était bien fondé de rejeter cette demande sur la base de l’absence de pertinence. À défaut d’un fondement factuel ou juridique plus concret, le juge avait raison de conclure, comme il l’a fait, que « la demande de la liste journalisée de toute personne ayant accédé au dossier est beaucoup trop large » et que « la pertinence n’a pas été démontrée ». Cette conclusion repose sur l’état du dossier au moment précis où la requête en divulgation a été entendue et plaidée. Elle n’est caractérisée par aucune erreur révisable.

 [Renvois omis]

  1.            Je ne vois pas d’erreur de droit dans ces propos qui faisaient écho à la décision de la Cour du Québec du 15 juin 2017 :

[24]  La demande de la liste journalisée de toute personne ayant accédé au dossier est beaucoup trop large et la pertinence n’a pas été démontrée.

  1.            Par conséquent, j’estime que la preuve nouvelle ne doit pas être admise puisqu’elle n’apporte rien en cherchant à démontrer que l’information a été détruite en novembre 2017, contrairement aux obligations des autorités fiscales. Comme les appelants n’ont pas démontré que cette preuve était pertinente, c’est-à-dire qu’elle avait une certaine utilité (R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451), sa destruction ne peut les aider dans leur appel. Il en est de même de l’argument selon lequel la preuve nouvelle démontrerait que la piste de vérification était facilement accessible, contrairement aux prétentions de la poursuite.
  2.            Par ailleurs, les appelants ne peuvent vraiment plaider que le résultat est inéquitable. En effet, le juge de la Cour du Québec a néanmoins ordonné par la suite le dépôt de nombreux documents en vue d’en déterminer la pertinence dans un processus continu de communication de preuve. En effet, lors de procédures subséquentes et à la suite de commentaires de la part des appelants, la poursuite a communiqué une piste de vérification pour la période du 1er juillet 2011 au 28 septembre 2012, période qui s’était avérée pertinente au dépôt ultérieur d’une demande de type Jarvis. Le point de départ de cette période s’explique par le fait qu’une vérification visant précisément les appelants avait récemment été entreprise. Ceux-ci ne présenteront aucune demande supplémentaire, même s’ils plaideront devant la Cour supérieure qu’une période couvrant quelques mois supplémentaires aurait été nécessaire.
  3.            C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la remarque suivante du juge de la Cour supérieure, remarque qui s’inscrit dans la dynamique du procès et que l’on peut difficilement contester :

[39] L’on ne saurait retenir l’argument des appelants selon lequel cette divulgation aurait dû être plus large et couvrir quelques mois de plus. Une revue des transcriptions du procès révèle que les appelants, qui ont utilisé les pistes de vérification telles que divulguées, n’ont formulé aucune demande de divulgation formelle pour la période de quelques mois additionnels qu’ils invoquent maintenant en appel. En l’absence d’une telle demande, les appelants ne sauraient maintenant se plaindre du caractère trop limité de ces éléments, qui sont de toute façon très périphériques au débat. En tout état de cause, les appelants ne démontrent pas de possibilité raisonnable que la non-divulgation de cet élément a influé sur l’issue ou l’équité globale du procès.

[Renvoi omis]

  1.            J’ajoute que les appelants estiment que le moment où l’enquête pénale a commencé n’est pas le 8 novembre 2011, mais bien le 15 septembre 2011, et même avant. Ils reprochent même au juge de la Cour du Québec de ne pas avoir tranché cet argument. Plusieurs remarques s’imposent.
  2.            D’abord, lorsqu’un juge conclut à une situation de fait, il n’a pas à éliminer les autres hypothèses. En retenant l’affirmation du juge de la Cour du Québec que l’enquête pénale remontait au 8 novembre 2011 et en expliquant pourquoi, le juge de la Cour supérieure a rejeté l’argument des appelants. Aucun des juges n’avait en plus à expliquer que ce n’était pas le 15 septembre.
  3.            Ensuite, comme je l’ai mentionné précédemment, cet argument porte tout au plus sur une question mixte; même s’il est possible que, dans certains cas, l’omission de se pencher sur une thèse puisse constituer une question de droit, ce n’est pas le cas ici. Je le rappelle : tout est affaire de contexte et ce n’est pas parce que des soupçons existent qu’une vérification constitue une enquête pénale. De même, une vérification et une enquête pénale peuvent exister en parallèle sans que les règles soient nécessairement enfreintes. C’est au juge du procès d’en décider et la déférence s’impose.
  4.            Enfin, l’argument du 15 septembre est fondé sur une preuve fragile. Les appelants invoquent principalement deux pièces : P-51 et P-55. Si, dans P-51, on indique qu’en août « l’hypothèse du stratagème de fausses factures commence à se confirmer […] », rien ne permet de croire qu’une enquête pénale est en cours. Le reste du document ne permet aucunement de conclure autrement. Comme l’écrit à bon droit le juge de la Cour supérieure :

[74] La Cour [suprême] souligne que le critère de l’objet prédominant n’empêche pas les autorités fiscales de mener parallèlement une enquête criminelle et une vérification administrative, étant toutefois entendu que les pouvoirs de contrainte exercés dans le cadre d’une vérification ne peuvent être utilisés dans le but de faire progresser une enquête pénale.

[75] Au regard du premier facteur, la Cour [suprême] explique que « la simple existence de motifs raisonnables de croire qu’il peut y avoir eu perpétration d’une infraction est insuffisante en soi pour conclure que l’objet prédominant d’un examen consiste à établir la responsabilité pénale du contribuable ».

[76] Elle [la Cour suprême] précise aussi que « même lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner la perpétration d’une infraction, il ne sera pas toujours exact de dire que l’objet prédominant de l’examen est d’établir la responsabilité pénale du contribuable », ajoutant à ce sujet que « les tribunaux doivent se garder d’imposer des entraves de nature procédurale aux fonctionnaires » et qu’il « ne serait pas souhaitable de « forcer la main des autorités réglementaires » en les privant de la possibilité de recourir à des peines administratives moindres chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une conduite plus coupable ».

[77] En l’espèce, les appelants n’ont pas démontré que la décision sur la requête Jarvis est caractérisée par une erreur justifiant une intervention en appel. Cette décision, qui est supportée par la preuve, n’est ni déraisonnable ni caractérisée par une erreur de droit.

[Renvois omis]

  1.            Quant à P-55, l’extrait qui intéresse les appelants n’est que pur ouï-dire.
  2.            Bref, non seulement s’agit-il d’une question mixte de fait et de droit, mais, en plus, les appelants n’établissent pas les bases factuelles de leur argument.
  3.            Ils ne me convainquent donc pas que le juge de la Cour supérieure aurait commis une erreur de droit en ce qui a trait à la communication de la preuve ou à la demande de type Jarvis, ni que la décision serait déraisonnable.

LES DÉLAIS

  1.            Les appelants ont présenté deux demandes d’arrêt des procédures au motif que les délais étaient déraisonnables. La première, quelques jours avant le procès, la seconde, après la preuve de la poursuite, mais avant celle de la défense. Le juge de la Cour du Québec les a rejetées toutes les deux et le juge de la Cour supérieure a confirmé ces décisions.
  2.            Cette affaire a commencé avant que la Cour suprême ne prononce son arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27.
  3.            Après avoir décrit correctement le droit applicable, le juge de la Cour supérieure souligne qu’à l’occasion de la première demande, le juge de la Cour du Québec conclut que l’affaire est suffisamment complexe pour constituer une circonstance exceptionnelle au sens de l’arrêt Jordan et pour expliquer les longs délais sans que ceux-ci puissent être qualifiés de déraisonnables. Il ne voit pas d’erreurs dans cette conclusion, même si les appelants plaident que l’affaire était plutôt simple. J’estime suffisant, aux fins de cet appel, de reprendre de larges extraits du jugement de la Cour supérieure qui démontrent amplement la complexité de ce dossier et le caractère raisonnable de la décision :

[13] La communication de la preuve initiale est composée de déclarations d’environ 150 témoins et de documents variés totalisant environ 95 000 pages, incluant les fruits des perquisitions. Les dossiers sont reportés de consentement en septembre puis en novembre 2015 pour que les appelants prennent connaissance de la communication de la preuve et que certains éléments additionnels leur soient remis.

[14] Les dossiers sont ensuite ajournés en mars, mai, août et septembre 2016 devant le juge de première instance, qui assume alors la gestion de l’instance. Durant cette période, certains éléments de preuve additionnels et des documents utiles aux fins d’une conférence de facilitation devant un autre juge sont remis aux appelants. Puisque la conférence de facilitation n’aboutit ultimement pas à une entente, un procès doit conséquemment être fixé.

[15] Lors de l’audience de septembre 2016, le juge fixe le procès au 18 septembre 2017 pour une durée totale de 19 jours continus. La durée anticipée des procédures découle de la décision de la poursuite de restreindre certains aspects de sa preuve à charge afin de raccourcir le débat et de l’affirmation de la défense voulant qu’aucune requête préliminaire ne serait présentée sauf une requête Jordan « mais encore là, le cas échéant, on verra ».

[16] La durée anticipée des procédures résulte aussi des propos de l’avocat de la défense qui indique, lorsque questionné par le juge quant au temps qui lui sera nécessaire en défense, qu’il y a pour l’instant « zéro temps » nécessaire pour la défense sauf celui pour le contre-interrogatoire des témoins de la Couronne (cinq jours) qui est déjà calculé dans les 19 jours.

[17] Les procédures qui ont suivi se sont révélées très différentes de ce qui avait été annoncé :

a) En février 2017, les appelants signifient une requête en communication de la preuve par laquelle ils réclament de nombreux éléments devant à leur avis leur être communiqués par l’ARQ. Aux fins de cette procédure, ces éléments sont regroupés en 24 thèmes. La requête est débattue le 11 mai 2017 et le juge rend jugement le 15 juin 2017, rejetant la communication de certains éléments, ordonnant à l’ARQ de vérifier l’existence ou non de certains autres éléments, et ordonnant la production sous scellés de certains autres éléments pour détermination de leur caractère privilégié ou non.

b) En août 2017, les appelants signifient une requête Jordan sollicitant l’arrêt des procédures pour cause de délais déraisonnables. Comme le procès doit s’amorcer le mois suivant, le juge entend les parties le 28 août 2017 et rend jugement le 8 septembre 2017, rejetant la requête en arrêt des procédures sur la base de la complexité de l’affaire.

c) Le 7 septembre 2017, les appelants signifient une requête Jarvis de 44 pages sollicitant l’exclusion des éléments de preuve découlant des mandats de perquisition et des vérifications de l’ARQ, et réclamant leur acquittement et la remise des éléments de preuve. La requête est présentable la première journée du procès qui ne peut s’amorcer comme prévu.

Après avoir rejeté une demande de rejet sommaire présentée par l’ARQ, le juge permet aux appelants de présenter une preuve au soutien de leur requête Jarvis. Le débat sur cette question s’échelonne ensuite sur 19 jours d’audition répartis entre le 18 septembre et le 14 décembre 2017. Cette requête non annoncée monopolise à elle seule les 19 jours prévus pour le procès en entier. Les appelants produisent une soixantaine de pièces et font entendre 16 témoins travaillant pour la plupart à l’ARQ.

Le 9 février 2018, le juge statue sur cette requête et détermine que l’ARQ a « franchi le Rubicon » à compter du 8 novembre 2011, concluant qu’une « relation contradictoire » s’était installée avec les appelants à compter de cette date. Le juge déclare irrecevable la preuve récoltée par les vérificateurs à partir de cette date, mais détermine que les mandats de perquisition obtenus par la division des enquêtes étaient valides.

d) Le 27 mars 2018, le juge rejette une requête en rectification déposée par les appelants et des débats s’engagent au sujet des éléments devant être jugés irrecevables du fait de la décision du 9 février 2018. Les appelants annoncent alors qu’ils « entrevoient une autre requête pour invalider les mandats de perquisition ».

e) Le 3 mai 2018, les appelants signifient une « requête en détermination et identification des éléments inadmissibles suite au jugement de type Jarvis ». Le 5 septembre 2018, ils signifient une requête en contestation des mandats de perquisition et en exclusion de la preuve.

Le débat sur ces deux nouvelles requêtes s’échelonne sur cinq jours répartis entre le 8 et le 15 novembre 2018. Le 21 novembre 2018, le juge statue sur ces requêtes et rejette la contestation des mandats de perquisition et la demande d’exclusion de preuve. Il confirme la recevabilité de la preuve de l’ARQ faisant l’objet de contestation.

[18] Le procès au fond s’amorce finalement le 22 novembre 2018. En raison du temps nécessaire pour statuer sur les requêtes non annoncées, les premiers témoins sont entendus plus de 14 mois après la date qui avait initialement été fixée pour le début du procès (18 septembre 2017). La preuve de l’ARQ est présentée entre le 22 novembre 2018 et le 15 février 2019, de même que le 29 avril et le 3 mai 2019.

[19] Au total, l’ARQ fait entendre 47 témoins et dépose une preuve documentaire composée, entre autres, de contrats entre Trimax et des sous-traitants, de factures de sous-traitant, de feuilles de temps, de feuilles de compilation, de documents relatifs aux centres d’encaissement, de la comptabilité de Trimax et des déclarations de taxes transmises aux autorités fiscales.

[20] Peu après le début de la présentation de la preuve de l’ARQ, les appelants déposent une requête sollicitant l’arrêt des procédures en raison de l’inconduite alléguée d’un enquêteur de l’ARQ. Cette requête, qui interrompt le déroulement du procès, est signifiée le 17 décembre 2018, entendue sur cinq jours à la mi-janvier 2019 puis rejetée le 23 janvier 2019. Dans sa décision, le juge conclut à l’absence totale de crédibilité des deux témoins assignés par les appelants au soutien de leurs allégations.

[21] L’ARQ clôt sa preuve le 3 mai 2019. Les appelants signifient ensuite une requête en non-lieu qui est débattue le 24 mai 2019 et rejetée le 18 juin 2019. Le 5 juillet 2019, l’avocat des appelants annonce qu’ils ont « identifié entre 50 et 60 témoins qui viendront témoigner en défense » et qu’ils « commencent à essayer de les localiser ». Il dit qu’il veut l’automne pour les rencontrer et qu’il souhaite que le Tribunal réserve quatre semaines complètes en février 2020 pour la présentation de sa défense. Il dit que « ce n’est pas une question de délai, on s’entend ».  Le juge fixe le dossier pour quatre semaines à compter du 23 mars 2020 pour la présentation de la défense.

[22] Le 1er novembre 2019, les appelants font volte-face et informent le juge de première instance qu’ils entendent présenter une nouvelle requête Jordan.  Ils disent avoir besoin de temps pour préparer leur requête qui est finalement signifiée le 20 janvier 2020 et fixée pour audition le 4 mars 2020. La journée même de l’audition, le juge la rejette sommairement en concluant, entre autres, qu’elle est « dépourvue de tout mérite ».

[23] La présentation de la défense ne peut s’amorcer aux dates prévues en raison de la pandémie de Covid-19. La preuve de la défense est présentée entre le 10 août et le 2 décembre 2020. L’appelant Richard Gravel ne témoigne pas, mais fait entendre une vingtaine de témoins. La preuve de la défense est déclarée close le 2 décembre 2020. Des arguments écrits sont produits par les parties et le dossier est mis en délibéré en mars 2021 après les plaidoiries finales.

[…]

[60] En second lieu, force est de constater que les appelants n’ont pas démontré d’erreurs manifestes et déterminantes dans l’évaluation que fait le juge de la complexité de la présente affaire. Réitérons qu’en tant que juge gestionnaire, le juge du procès se trouvait dans une position privilégiée pour évaluer la complexité de l’affaire ainsi que la façon dont la poursuite et la défense menaient le dossier. À la lumière de toutes les circonstances, le juge pouvait très bien conclure qu’il s’agissait ici d’une affaire dont la complexité justifiait un tel dépassement du plafond.

[61] Les affirmations dans le mémoire des appelants selon lesquelles la preuve était d’une simplicité « désarmante » et que le comportement de la poursuite a été la seule véritable cause des délais tout au long des procédures sont incompatibles avec une analyse objective du déroulement de l’instance et des différentes étapes. Un examen de la chronologie des procédures telles que résumées précédemment contredit ces affirmations et révèle des gestes concrets de la part de la poursuite pour que l’affaire puisse être instruite diligemment, telle la réduction de sa preuve à charge et la préparation d’un projet d’admissions. Le dossier démontre également que des procédures ont été signifiées tardivement par la défense, un fait souligné par le juge dans ses motifs.

[62] Il ressort du jugement que le juge se livre comme il se doit à une appréciation qualitative et globale de la complexité du dossier en soupesant l’ensemble des circonstances. Bien qu’il n’utilise pas explicitement les mots « plan concret » dans le cadre de son analyse, il n’en résulte pas pour autant d’erreur révisable. Rappelons à cet égard le principe bien connu voulant que « les juges du procès sont censés connaître le droit qu’ils appliquent tous les jours », lequel est réitéré par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. G.F., où la Cour rappelle l’importance d’une interprétation fonctionnelle et contextuelle des motifs du juge du procès en précisant que « les juridictions d’appel ne doivent pas décortiquer avec finesse les motifs du juge du procès à la recherche d’une erreur ». Notons par ailleurs que le dossier permettait au juge de conclure que la poursuite avait pris des mesures raisonnables pour réduire les délais causés par la complexité de l’affaire, d’autant qu’il se trouvait aux premières loges en tant que juge gestionnaire.

[63] Les appelants n’ont pas démontré d’erreur permettant d’écarter la déférence dont doit faire preuve une cour d’appel en se penchant sur une décision fondée sur la complexité d’une affaire. Il n’y a pas matière à intervention et ce moyen d’appel doit échouer.

[Je souligne; renvois omis]

  1.            Pour ce qui est de la deuxième demande concernant les délais, le jugement de la Cour supérieure est tout aussi convaincant :

[64] Les appelants n’ont pas non plus démontré que le juge a erré en rejetant sommairement leur seconde requête sans l’entendre sur le fond. Compte tenu du déroulement subséquent des procédures et des allégations à l’appui de cette nouvelle requête, le juge était bien fondé de la rejeter sommairement en application de son pouvoir de gestion d’instance.

[65] Comme déjà mentionné, cette seconde requête en arrêt des procédures pour cause de délais a été signifiée après que la poursuite eut déclaré sa preuve close et avant la présentation de la défense. Elle a été signifiée après que les appelants eurent eux-mêmes requis un ajournement de plus de six mois pour préparer leur défense, disant qu’il ne s’agissait pas d’une question de délais.

[66] Avec égards, je suis d’avis que les arguments soulevés en appel à l’encontre du rejet sommaire sont sans mérite. Dans les circonstances de l’espèce, et au vu du déroulement de l’instance, il ne fait nul doute que le juge pouvait rejeter cette requête sur la base du caractère particulièrement complexe de l’affaire sans l’entendre au fond. […]

[Renvois omis]

  1.            Outre la complexité intrinsèque de l’affaire, on voit que certaines décisions de la défense ont considérablement contribué à la hausse des délais et, dans les circonstances décrites avec précision par le juge de la Cour supérieure, je suis d’avis que l’argument des appelants est sans mérite. Ils ne me convainquent pas qu’une erreur de droit soit à l’origine du jugement.
  2.            J’ajoute que l’argument des appelants selon lequel le juge de la Cour du Québec a erronément omis de considérer la question du « plan concret » établi par la poursuite pour réduire les délais causés par la complexité de l’affaire, contrairement aux enseignements de l’arrêt Jordan, paragraphe 79, n’est pas fondé.
  3.            Dans R. c. Rice, 2018 QCCA 198, au paragraphe 90, la Cour explique que la poursuite doit « prendre des mesures pour mitiger autant que possible les difficultés ». C’est ce que le juge de la Cour du Québec a conclu.
  4.            En effet, même s’il n’utilise pas le terme précis « plan concret », il en respecte l’essence. Ainsi, il mentionne que la poursuite a procédé à une classification des 165 témoins annoncés selon chaque chef d’accusation; il note le consentement de la poursuite à la tenue d’une conférence de facilitation pénale et constate la remise à la défense d’un projet d’admissions pour plus de 100 témoins alors que celle-ci n’a fait aucune admission.
  5.            Tout ceci permet de conclure que le juge de la Cour du Québec a bel et bien vérifié si la poursuite avait un plan concret afin de diminuer les retards causés par la complexité de l’affaire. Le juge de la Cour supérieure a donc eu raison d’écrire que, même si le juge de la Cour du Québec n’avait pas utilisé l’expression précise « plan concret », celui-ci n’avait pas commis d’erreur (voir le paragraphe 62 du jugement cité précédemment).

LES AUTRES MOYENS D’APPEL

LE DOUBLE STANDARD DANS L’ÉVALUATION DE LA CRÉDIBILITÉ
  1.            Dans Figaro c. R., 2019 QCCA 1557, la Cour rappelle le lourd fardeau de la partie qui invoque l’emploi d’un double standard par le juge du procès :

[19]  C’est une évidence qu’une évaluation soignée des témoignages contradictoires n’exige pas un examen ou des motifs égaux sur un plan quantitatif et il s’ensuit qu’une évaluation inégale ne démontre pas une erreur si la partie qui s’y attaque ne peut cibler précisément une faille ou une lacune déterminante. La jurisprudence rappelle clairement qu’un moyen d’appel de cette nature exige une démonstration convaincante de l’application d’un double standard inéquitable dans l’appréciation de la preuve contradictoire. Il s’agit d’un seuil exigeant. En l’absence d’une telle démonstration, cette question relève de l’appréciation de la crédibilité des témoignages et mérite une grande déférence.

[Renvoi omis]

  1.            À mon avis, les appelants ne relèvent pas ce lourd fardeau. Rien dans le jugement ne démontre que le juge de la Cour du Québec a appliqué un double standard en étant plus strict ou sévère à l’égard de la preuve de la défense qu’à l’égard de celle de la poursuite. Les reproches des appelants relèvent plutôt de l’appréciation de la crédibilité des témoignages, une question de fait.
  2.            Les appelants précisent qu’il y a erreur notamment dans la mesure où le juge de la Cour du Québec discrédite le témoin de la défense Sylvie Simard sur la base d’un seul argument qui est erroné. Une telle erreur n’est toutefois pas déterminante puisque le juge a donné de nombreux motifs le menant à rejeter la version d’autres témoins de la défense. De toute façon, même si l’on donnait foi à l’argument des appelants, cette erreur n'aurait aucun impact, considérant les propos du juge selon lesquels, peu importe le poids accordé aux témoins de la défense, la preuve documentaire saisie dans les locaux de Trimax (l’entreprise de l’appelant Gravel) était accablante.
  3.            De plus, l’essence du témoignage des travailleurs assignés à comparaître par la poursuite consistait à démontrer qui était leur véritable employeur. Or, les faiblesses que les appelants ont identifiées dans leurs témoignages sur leur mode de rémunération ne contredisent pas la réalité, c’est-à-dire qu’ils recevaient leur paye chez Trimax alors qu’ils étaient des employés de sous-traitants selon la documentation saisie, une preuve servant à établir le stratagème de fausses facturations.
LES « FACTURES EN BLANC »
  1.            Les appelants plaident que le juge de la Cour supérieure a commis une erreur de droit en refusant d’intervenir en raison du terme « factures en blanc » utilisé par le juge de la Cour du Québec lorsqu’il a qualifié les documents trouvés dans le bureau de l’appelant Gravel de « factures en blanc du sous-traitant Gestion Laro ». Selon les appelants, il s’agit d’une conclusion fondée sur un fait inexistant, qui est susceptible de faire croire erronément que M. Gravel avait connaissance de l’existence du stratagème visant à réclamer de faux crédits de taxe sur la base de fausses factures de sous-traitants.
  2.            Il s’agit vraisemblablement de la pièce P-12.6.4 composée de douze documents vierges de type lettre portant l’entête « 9222-4443 QUEBEC INC. », soit la désignation numérique associée à l’entreprise Gestion Laro, et l’adresse correspondant à cette entreprise.
  3.            Il est vrai que les factures émanant de Gestion Laro (P-10.2.11) n’ont pas la même apparence, de sorte qu’il aurait sans doute été préférable de qualifier les autres documents de « documents en blanc », comme le fait le juge de la Cour supérieure, plutôt que de « factures en blanc ».
  4.            En revanche, selon le dossier, les documents P-12.6.4 ont été déposés en preuve sous la désignation « Entête de lettre — Facture ». On voit donc qu’il y une certaine confusion sur la qualification de ces documents.
  5.            Quoi qu’il en soit, ce qui importe, c’est l’utilisation qu’en a fait le juge et non la qualification qu’il leur a accolée.
  6.            S’il est vrai que, selon le jugement, ces documents font partie des éléments de preuve permettant de conclure à la connaissance de l’appelant, il ne s’agit que de l’un des nombreux éléments de preuve pris en compte par le juge de la Cour du Québec pour conclure de la sorte :

[313]  M. Gravel possède dans son bureau un dossier sur chacun des sous-traitants. Curieusement ses dossiers comprennent une photocopie de la carte d’assurance-maladie ou du permis de conduire de chacun des individus qui sont les prête-noms de sous-traitant.

[314]  Il possède également dans son bureau des doubles de factures de sous-traitants sous une autre forme que l’original.

[315]  On retrouve dans son bureau des factures en blanc du sous-traitant Gestion Laro.

[316]  Il possède des factures des sous-traitants qui portent une date antérieure à la date où ses clients lui envoient des feuilles de temps pour des semaines travaillées.

[317]  Selon Mme Sylvie Simard, c’est Richard Gravel qui supervise les factures et les feuilles de compilation.

[318]  Des employés se retrouvent dans la colonne DAS des feuilles de compilation (et donc employés de Trimax) et n’apparaissent pas sur les relevés ou RAS soumis par Trimax.

[319]  Les heures de certains employés sur les feuilles de temps et de compilation se retrouvent à la fois comme employés de Trimax et d’un sous-traitant.

[320]  Le total des heures travaillées sur les feuilles de compilation ne correspond pas aux heures totales travaillées sur les feuilles de temps.

[321]  Certains employés ont travaillé pour plus d’un sous-traitant, changeant d’employeur de semaine en semaine.

[322]  M. Gravel est donc parfaitement au courant que les factures pour lesquelles son entreprise demande des crédits ou des remboursements sont fausses.

  1.            La question des « factures en blanc » était donc sans véritable effet, étant entendu que la possession de documents vierges portant l’entête d’un sous-traitant est en soi préoccupante, et le juge de la Cour supérieure pouvait légitimement rejeter cet argument dans les mots suivants :

[113] Lorsque replacée et analysée dans son contexte, l’utilisation par le juge de l’expression « facture en blanc » ne comporte pas d’erreur révisable. Il est entendu que l’analyse des motifs doit être effectuée de manière globale et contextuelle. Le paragraphe 35 du jugement démontre que le juge était pleinement conscient que les entêtes des documents en blanc étaient semblables, mais pas identiques aux factures saisies. Rien ne permet de conclure que le juge a mal considéré cet aspect du dossier lors de son analyse. La conclusion du juge n’est d’aucune façon fondée sur des éléments « inventés ».

[Renvoi omis]

LA FORMULATION DES ACCUSATIONS FÉDÉRALES
  1.            Les appelants estiment que le juge de la Cour supérieure a commis une erreur de droit en ne tranchant pas l’un de leurs arguments en appel, soit que le juge de la Cour du Québec aurait erré en les condamnant en vertu des chefs d’accusation fondés sur la Loi fédérale. Selon leur argumentation écrite dans le présent appel, le libellé des chefs exigeait la démonstration que « Trimax était soit le mandant ou le représentant des sous-traitants ou que Richard Gravel Gravel était l’administrateur de facto des sous-traitants […] », ce qui n’a pas été fait. Le juge de la Cour supérieure devait donc les acquitter de ces accusations.
  2.            En d’autres mots, les appelants sont d’avis que la démonstration de leur culpabilité exigeait la preuve qu’ils avaient l’obligation de remettre le montant de taxe pour les sous-traitants visés par les chefs d’accusation.
  3.            Pour les intimés, cet argument n’a pas été mis de l’avant à titre de moyen d’appel exigeant l’attention de la Cour supérieure. Selon eux, il s’agissait tout au plus d’un argument périphérique additionnel en lien avec une question tout autre. Ils précisent que la lecture du mémoire des appelants devant la Cour supérieure permet de constater que la question centrale consistait à déterminer si le juge de première instance avait erré en étant d’avis que certains sous-traitants étaient des prête-noms et en tirant des inférences négatives de cette conclusion.
  4.            Voici comment les chefs fondés sur la Loi fédérale sont rédigés :

[…] a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a participé, consenti à leur énonciation dans ses déclarations produites ou faites aux termes de l’article 238 de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985) ch. E-15 et modifications), pour la période de déclaration du […], en omettant de déclarer et de remettre un montant de taxe nette de […] pour la société […], commettant ainsi une infraction à l’alinéa 327 (1) a) de cette Loi […].

[Je souligne]

  1.            On voit que, selon la stricte lecture du chef, il est nécessaire de démontrer l’omission de remettre un montant de taxe pour le sous-traitant.
  2.            Dans les circonstances de l’espèce, il faut toutefois pousser plus loin l’analyse au stade de l’appel.
  3.            Devant la Cour supérieure, l’argument principal des appelants (je me base sur l’argumentation écrite puisque les observations orales n’ont pas été déposées dans le dossier) portait sur la qualification de prête-noms. Ce n’est qu’incidemment que les appelants indiquent aussi que la rédaction des chefs « fédéraux » exige « une preuve qui démontre que les Appelants contrôlaient les sous-traitants ou avaient la responsabilité de remettre les taxes à leur place ». Immédiatement après ces mots, les appelants concluent sur ce point :

163. Le juge commet donc des erreurs de droit en qualifiant, sans preuves, des sociétés et leurs administrateurs de prête-noms et en tirant des inférences négatives de l'utilisation de prête-noms, alors qu'il n'y a aucune preuve démontrant que les Appelants utilisaient eux-mêmes, ou étaient au courant de l'utilisation de ceux-ci.

164.  Cette absence de preuve empêche le juge de tirer une inférence permettant de conclure que les Appelants devaient remettre des montants de taxes nettes pour les sous-traitants.

165.  Pour condamner les Appelants en vertu des chefs de TPS (dossier 540-73-000296-147), le juge se devait de justifier et de conclure que Trimax était soit le mandant ou le représentant des sous-traitants ou que Richard Gravel était l'administrateur de facto des sous-traitants, une preuve qui n'a pas été faite lors du procès.

[Je souligne]

  1.            On voit que l’argument selon lequel le juge ne pouvait tirer l’inférence que les appelants devaient remettre la taxe est tributaire du principal argument, soit que la preuve de l’existence de prête-noms n’a pas été faite. On peut donc comprendre pourquoi le juge de la Cour supérieure n’a pas traité de cet argument après avoir rejeté celui sur la question des prête-noms.
  2.            C’est sans surprise que l’argument porte d’abord et avant tout sur la preuve de prête-noms, puisque la thèse de la poursuite exige l’utilisation d’un stratagème en se servant de faux documents démontrant l’existence de faux sous-traitants, de fausses déclarations et de fausses dépenses.
  3.            D’ailleurs, les chefs « provinciaux » ne comportent pas le libellé en cause, se limitant à reprocher des déclarations fausses ou trompeuses et de faux remboursements de taxe prétendument payée ou payable.
  4.            En somme, tout le procès s’est tenu sur la base d’un stratagème frauduleux fondé sur de fausses déclarations et la question du rôle des appelants au sein des sous-traitants ou encore le libellé des chefs « fédéraux » n’étaient pas du tout l’objet du litige. C’est vraisemblablement pourquoi, au procès, l’argument n’a été soulevé qu’à l’étape des plaidoiries, plusieurs années après le dépôt des accusations.
  5.            Par ailleurs, on constate que le paragraphe 327(1)a) de la Loi sur la taxe d’accise, sur lequel sont fondés les chefs, reprend essentiellement les mots de ceux-ci (« a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation dans une déclaration, […] ») et non ceux de l’article 329 qui prévoit l’omission de verser la taxe. Il va de soi que la poursuite ne plaidait pas que les appelants devaient remettre la taxe puisqu’il n’y avait pas de véritables transactions.
  6.            Dans ces circonstances, les mots « en omettant de déclarer et de remettre un montant de taxe nette » sont superfétatoires et ne constituent qu’une illustration du bénéfice recherché par les appelants.
  7.            Dans l’arrêt Rosen c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 83, la Cour suprême écrit au paragraphe 5 :

[…] Cependant, si des détails sont fournis de plein gré ou si la cour ordonne d'en fournir, ceux-ci doivent être prouvés. Conclure autrement, dans la plupart des cas et en l'espèce notamment, induit l'accusé en erreur non pas quant à l'infraction qu'il a commise, mais quant à l'actus reus que la poursuite s'engage à prouver. […]

[Je souligne]

  1.            Or, dans le présent cas, il est manifeste que les appelants n’ont subi aucun préjudice, de sorte que le texte litigieux peut tout simplement être ignoré ou encore biffé puisqu’il n’est ni pertinent ni relié au litige.
LA SENTENCE
  1.            Au paragraphe 66 de sa décision, le juge de la Cour du Québec identifie les facteurs atténuants suivants en ce qui a trait à M. Gravel :

          Il est père de famille avec à sa charge une famille.

          Dans la présente cause, les droits constitutionnels ont été violés et suite à une décision sur une requête de type Jarvis, le Tribunal a déclaré qu’il y avait eu violation et a écarté une partie de la preuve.

  1.            L’appelant reproche au juge de la Cour du Québec de ne pas avoir donné effet à ces facteurs ou, à tout le moins, de ne pas avoir analysé leur impact. Le juge de la Cour supérieure aurait donc commis une erreur de droit en n’intervenant pas.
  2.            Pourtant, le juge de la Cour du Québec s’exprime ainsi :

[72]  Cette peine doit être individualisée et tenir compte de la situation du défendeur, elle est axée sur l’individu.

[…]

[77]  Avec raison, la défense allègue certains principes qui peuvent réduire la peine : l’emprisonnement est une mesure d’exception, l’empilement judiciaire, la violation des droits fondamentaux (requête Jarvis), l’écoulement du temps et la différence entre une fraude criminelle et une fraude fiscale

[…]

[83]  Le Tribunal prend en considération qu’il s’est placé en règle depuis quelques années face aux autorités fiscales, qu’il est un actif pour la société, qu’un certain temps s’est écoulé depuis les accusations, qu’il a subi des pressions sociales et que des effets ont eu lieu sur la poursuite de ses affaires.

[84]  De plus, le Tribunal considère la violation aux droits fondamentaux qui a fait en sorte qu’il a dû exclure une certaine preuve suite à une requête de type Jarvis.

  1.            Le juge de la Cour supérieure a donc eu raison de rejeter l’argument en ces termes :

[138] L’appelant ne convainc pas que la peine totale de 36 mois d’incarcération est manifestement non indiquée. Aux fins de sa décision sur la peine, le juge analyse et soupèse toutes les circonstances de l’affaire. Il fait référence au fait que la peine doit être proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité de l'accusé. Il recense une série de décisions prononcées en matière de fraude fiscale qu’il annexe à son jugement sous forme de tableau. Bien qu’aucune de ces affaires ne soit identique au présent cas sur le plan factuel, le juge constate une fourchette de peine variant de 12 à 42 mois selon les circonstances propres à ces affaires, les sommes éludées, la durée et nature du stratagème frauduleux, le profil des défendeurs et les termes de la loi en cause.

[…]

[141] Dans son exercice d’individualisation de la peine, le juge traite de la situation personnelle et familiale de l’appelant, notant entre autres qu’il est père de famille, qu’il exploite une nouvelle entreprise et qu’il est en conformité avec les instances gouvernementales. Le juge indique qu’il tient compte de l’argument de la défense concernant « l’empilement judiciaire », faisant alors référence aux conséquences financières plus globales des infractions pour l’appelant. Le juge indique aussi qu’il tient compte de la violation de type Jarvis, de l’écoulement du temps et de la différence entre une fraude criminelle et une fraude fiscale.

[142] L’argument de l’appelant selon lequel le juge dit tenir compte de ces facteurs sans réellement les considérer ne peut être retenu. Le fait qu’il n’ait pas expliqué dans les moindres détails l’impact précis de chacun de ces facteurs ne signifie pas qu’il n’en a pas tenu compte. Il vaut de rappeler que la détermination d’une peine juste et appropriée est « un art délicat » qui reflète la pondération de la culpabilité morale du délinquant et des circonstances de l’infraction. Il s’agit d’un exercice individualisé qui se veut holistique et non pas mathématique. Il s’agit d’une détermination qui nécessite de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l'infraction.

[Renvoi omis]

  1.            Pour tous ces motifs, je propose donc que la Cour déclare irrecevable la preuve nouvelle et rejette l’appel.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.