Décision

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Normand c. R.

2025 QCCA 528

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-008067-231

(500-01-214166-214)

 

DATE :

 29 avril 2025

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

FRANCIS NORMAND

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelant se pourvoit contre une sentence prononcée le 20 juillet 2023 par l’honorable James L. Brunton de la Cour supérieure, district de Montréal, qui le condamne à une peine de 13 ans d’emprisonnement, moins la période de détention provisoire, sur une accusation d’homicide involontaire coupable.
  2.                 Pour les motifs du juge Doyon auxquels souscrit la juge Gagné, LA COUR :
  3.                 REJETTE l’appel.


  1.                 Pour sa part et pour d’autres motifs, le juge Bachand aurait réduit la peine à 9 ans d’emprisonnement moins la période de détention provisoire.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

Me Laurent Roger Morin

Pour l’appelant

 

Me Pierre-Olivier Bolduc

Me Katerine Brabant

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

15 novembre 2024

 


 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

  1.                 L’appelant était accusé du meurtre au deuxième degré de sa mère. Il a présenté une défense d’intoxication extrême menant à l’automatisme, ce qui aurait pu entraîner un acquittement, mais ce moyen de défense n’a pas été entériné par le juge en raison d’une absence de fondement factuel et de vraisemblance : R. c. Normand, 2023 QCCS 1956. Seule la défense d’intoxication volontaire a donc été portée à l’attention du jury, qui a manifestement entretenu un doute raisonnable sur la capacité de l’appelant de former l’intention spécifique de tuer, puisqu’il l’a acquitté de meurtre et condamné d’homicide involontaire coupable.
  2.                 La peine fut un emprisonnement de 13 ans, moins la période de détention provisoire : R. c. Normand, 2023 QCCS 2782. L’appelant a été autorisé à interjeter appel de la sentence.
  3.                 Voici comment le juge de première instance décrit les faits de l’affaire :

[6] En janvier 2021, M Normand vivait avec sa mère au premier étage d’un duplex. Son oncle, M. François Roux, demeurait dans un appartement au deuxième étage du duplex. Un deuxième appartement était occupé par Mme Jillian Grainger.

[7] Vers le 11 janvier 2021, sa mère a quitté pour passer quelques jours avec son ami. L’accusé en a profité pour consommer une quantité importante de crystal meth dès le départ de sa mère (+/- 1,5 gr.).

[8] Il a commencé à être aux prises avec des hallucinations suite à cette consommation. Les hallucinations auront duré toute la semaine. Il pouvait atténuer les effets des hallucinations pendant de courtes périodes de temps en consommant du GHB.

[9] Sa dernière consommation de crystal meth aurait eu lieu, au plus tard, dans la nuit du 15 au 16 janvier 2021. À ce moment, il n’avait plus de GHB donc, il ne pouvait plus atténuer les effets des hallucinations.

[…]

[18] Vers 01h30, le 17 janvier 2021, la voisine d’en-haut, Mme Jillian Grainger, est réveillée par la voix de la mère de M Normand. Mme Grainger avait demeurée neuf ans au-dessus de la résidence de M Normand et de sa mère. Elle avait entendu Mme Roux parler fort à maintes reprises dans le passé. Le 17 janvier, Mme Roux était très, très fâchée et elle parlait fort. Elle a également entendu une voix d’homme que l’ensemble de la preuve va révéler être celle de M Normand. Elle ne peut pas déterminer l’objet de la dispute.

[19] Mme Grainger situe la dispute verbale vis-à-vis la chambre à coucher de M Normand. Elle entend ensuite des bruits qu’elle associe avec une confrontation physique. La confrontation se déplace vers l’arrière de la résidence de Mme Roux et de M Normand. Le tout se termine avec M Normand qui crie fort, d’un ton colérique : « Fuck you! », trois fois.

[20] L’oncle de M Normand, M. François Roux, a témoigné qu’il s’est fait réveiller par la voix de sa sœur vers 01h30, le 17 janvier 2021. Sa sœur avait du caractère, mais il ne l’avait jamais entendue crier aussi fort. Il a décidé de descendre en bas pour lui dire de baisser le ton.

[21] En arrivant par la porte arrière, il a vu sa sœur ensanglantée par terre dans une aire commune. M Normand était debout à ses pieds avec les mains ensanglantées. Un couteau était par terre, près de M Normand.

[22] M. Roux a demandé à son neveu : « Qu’est-ce que tu as fait là? » Il n’a pas reçu de réponse. M Normand était figé, immobile. Il n’a exhibé aucune réaction suite à la question de son oncle. Selon ce dernier, il n’avait pas l’air enragé.

[23] La seule inférence raisonnable de toute la preuve, incluant les taches de sang, établit que Mme Roux a été attaquée dans ou près de l’entrée de la chambre à coucher de M Normand. Elle s’est déplacée, en saignant, vers l’arrière de sa résidence, passant par la salle de bain, avant de s’effondrer dans l’aire commune. M Normand l’a suivie ou l’a rejoint une fois qu’elle s’était effondrée. Alors qu’il était au pied de sa mère, il a lâché le couteau. Il a témoigné que le couteau lui appartenait et était normalement rangé, avec la lame fermée, dans le tiroir de sa table de chevet.

[24] L’autopsie a révélé la présence de 33 plaies par arme piquante et tranchante. Il y avait une plaie béante (numéro 1) située au cou. Les plaies numéros 2 à 17 étaient situées dans le thorax antérieur. Les plaies numéros 18 à 28 étaient situées à l’abdomen. Les plaies numéros 29 à 32 étaient situées dans le dos. La plaie numéro 33 était située au bras gauche de Mme Roux. Les blessures situées aux plaies 1 à 28, inclusivement, étaient mortelles. Concernant les plaies situées au thorax antérieur (numéros 2 à 17), une ou plusieurs ont été causées par un ou des coup(s) porté(s) avec beaucoup de force, car plusieurs côtes étaient coupées.

 [Italiques dans l’original]

  1.                 L’appelant est âgé de 23 ans au moment de ces événements. Il a commencé à consommer des drogues au début de l’adolescence et, à 15 ou 16 ans, on peut considérer qu’il était toxicomane.
  2.                 Le juge précise qu’au cours des six mois précédant l’homicide, l’appelant consommait en moyenne :

-          70 à 100 ml de GHB par jour;

-          100 bières par semaine;

-          1 à 3 bouteilles de 26 onces de boisson forte, consommées surtout la fin de semaine.

  1.            Je note qu’une partie de la consommation ayant lieu « surtout la fin de semaine » (comme en l’espèce), il est permis de croire que le libre arbitre ne peut être totalement exclu de l’équation.
  2.            Devant nous, l’appelant invoque, pour déterminer la peine juste, le lien qui existe entre une consommation extrême comme celle-ci et les troubles de santé mentale qui l’accompagnent nécessairement. Il mentionne la possibilité d’une perte de contrôle. Il faut toutefois souligner que cet argument n’a pas été soulevé en première instance et qu’il n’y a aucune preuve, par expert ou autre, qui puisse permettre à la Cour d’aborder de la sorte cette question. En réalité, non seulement y a-t-il une preuve médicale insuffisante pour soutenir l’argument du lien à établir ici entre la toxicomanie et la maladie mentale, mais il y a même une preuve qui le contredit et qui exclut cette hypothèse. En effet, comme le rappelle le juge, le psychiatre qui a témoigné pour la défense n’a « décelé aucun problème psychiatrique ».
  3.            Ceci distingue le présent dossier de plusieurs des jugements et arrêts cités par l’appelant dont R. v. Edmunds, 2012 NLCA 26 (perte de contact avec la réalité causée par des troubles mentaux, ce qui permettait de réduire la peine), R. c. Martin, 2012 QCCA 2223 (problèmes de santé mentale) et R. v. Hicks, 1995 B.C.J. 545 (B.C. C.A.) (état psychotique de l’accusé). En somme, l’argument de l’appelant voulant que la « dénonciation et l’aspect punitif sont moins importants dans le cas de problèmes de santé mentale » n’est pas applicable en l’espèce. L’arrêt R. v. Badhesa, 2019 BCCA 70 ne lui est pas davantage utile puisqu’il y est question de dépression sévère.
  4.            J’ajoute qu’une consommation qui perdure pendant plusieurs années, sans la présence de troubles mentaux et sans démarche thérapeutique, constitue rarement une circonstance atténuante : Régimballe c. R., 2012 QCCA 1290, paragr. 62 et 63, Ivlev c. R., 2020 QCCA 1184, paragr. 30. Ce principe est d’autant plus pertinent lorsque l’accusé a été confronté antérieurement à des signaux d’alerte, mais n’y a pas répondu, ce qui est le cas en l’espèce. En effet, même sans véritables problèmes psychiatriques, l’appelant a fait trois séjours à l’hôpital durant l’année 2017. Le juge résume ainsi ces incidents :

[39] Le 14 janvier 2017, il a été rencontré dans l’entrée d’un bloc appartement. Il avait un trauma à la tête après s’être battu. Il ne coopérait pas avec le personnel médical. Il est contentionné. Il menace de frapper le personnel. Il informe le personnel que, s’ils s’approchent de lui, il va les mordre.

[40] Le 24 juin 2017, M Normand est retrouvé inconscient dans un parc. Il est agité et est contentionné en conséquence. Il crache sur les intervenants.

[41] Le 16 septembre 2017, il perd conscience alors qu’il voyage dans un autobus municipal. Il est contentionné sur une civière. Il se débat et ne veut pas coopérer.

  1.            Ces incidents prennent leur importance dans l’analyse de la responsabilité morale de l’appelant en ce que celui-ci peut difficilement prétendre qu’il ignorait les conséquences de sa consommation.
  2.            Par ailleurs, il n’y a au dossier aucune preuve, médicale ou autre, qui puisse soutenir la thèse qu’une dépendance qui a débuté à l’adolescence entraînerait, pour cette raison, une culpabilité morale moindre ou constituerait une circonstance atténuante lorsqu’une infraction est perpétrée à l’âge adulte. S’appuyer sur des éléments de preuve qui n’ont pas été déposés dans le dossier ou sur une preuve d’opinion présentée dans une autre affaire constitue une erreur de droit : R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, [2018] 3 R.C.S. 35, paragr. 49, et il n'y a pas de preuve que l’appelant souffrait d’une « maladie chronique du cerveau ».
  3.            La défense plaidait trois circonstances atténuantes, d’ailleurs retenues par le juge : le jeune âge de l’appelant, l’absence d’antécédents judiciaires et l’expression de remords sincères.
  4.            Le juge retient par ailleurs les facteurs aggravants suivants :

 il s’agit d’un cas qui constitue un mauvais traitement contre un membre de sa famille (art. 718.2(a)(ii) C.cr.);

 l’impact du crime sur M. François Roux qui a été témoin de la scène; qui a perdu sa sœur; qui avait la responsabilité de s’occuper des obsèques; qui avait la responsabilité de s’arranger pour le nettoyage de la résidence;

 la brutalité de la violence utilisée, faisant en sorte que, dans l’échelle des comportements qui peuvent être considérés comme des homicides involontaires, on s’approche ici à un quasi-meurtre; et

 l’absence de preuve qui permettra à la Cour de conclure, avec un certain degré d’optimisme, que M Normand ne reprendra pas ses habitudes de consommation à sa sortie de prison.

  1.            On voit bien que, contrairement à ce qu’avance l’appelant, la dépendance aux drogues et à l’alcool ne fait pas partie des facteurs aggravants. Par ailleurs, au vu de la preuve, je ne peux voir comment il pourrait s’agir d’un facteur atténuant alors que, malgré les trois séjours à l’hôpital qui démontraient les effets dramatiques de sa consommation de drogues et d’alcool, l’appelant n’a entrepris aucune démarche thérapeutique.
  2.            Le juge revient sur un aspect du témoignage de l’appelant : « Ce qui est arrivé est un accident sûr à 110% sauf que c’est un accident que j’aurais pu éviter si je n’avais pas consommé ». Le juge ne partage pas cet avis. Selon lui, il ne saurait s’agir d’un accident puisque l’homicide est « dû au fait que, pendant des années, M Normand a témérairement abusé de l’alcool et des stupéfiants et il a poignardé sa mère 33 fois en sectionnant sa gorge ».
  3.            Il est vrai que le juge n’est pas très prolixe au moment d’expliquer sa conclusion sur la peine. En revanche, ayant conclu que les circonstances de l’homicide s’approchaient d’un « quasi-meurtre » – une conclusion qui est incontestable – et ne pouvaient donc se rapprocher de l’accident, la fourchette des peines s’établissait alors à un emprisonnement de 10 à 15 ans, selon l’arrêt Gavin c. R., 2009 QCCA 1, paragr. 38. Ces principes sont repris dans l’arrêt R. c. Vallée, 2017 QCCA 666 :

[9] […] Sans vouloir donner à la synthèse de la jurisprudence que ces auteurs présentent le caractère d’une codification – cela dépasserait la portée de leur propos – on note qu’ils distinguent deux catégories d’homicides coupables non spécifiés, dont chacune comporte une gradation. Il y a d’abord l’homicide involontaire coupable se rapprochant du meurtre (quasi-meurtre), pour lequel les peines d’emprisonnement vont de 9 ans à l’emprisonnement à perpétuité, avec prédominance des peines de 10 à 15 ans d’emprisonnement. Vient ensuite l’homicide involontaire coupable résultant d’un acte dangereux comportant une prévision objective du risque, pour lequel les peines s’étalent de 5 à 9 ans d’emprisonnement (avec possibilité de peines plus importantes dans les cas de « grande violence ») si cette prévision permet d’entrevoir la mort, de 5 à 7 ans lorsqu’elle permet d’entrevoir des lésions corporelles graves, et de 5 ans ou moins lorsqu’elle permet d’entrevoir des lésions corporelles (situation qui se rapproche de l’accident).

 [Renvoi omis]

  1.            Très récemment, cette fourchette a de nouveau été retenue par la Cour dans l’arrêt Lakehal c. R., 2025 QCCA 140, paragr. 136.
  2.            On sait que l’individualisation de la peine surpasse le respect de la fourchette, mais il reste qu’ici, le juge impose une peine qui cadre parfaitement dans celle-ci.
  3.            La lecture de l’entièreté du jugement démontre que le fait que l’appelant n’a pas entrepris de thérapie à la suite des incidents de 2017 est une considération importante pour le juge. Il pouvait légitimement conclure de la sorte, ainsi qu’on peut le lire dans l’arrêt Régimballe c. R., précité :

[61] Pour l’appelant, le juge aurait erré en considérant comme facteur aggravant son problème de consommation d’alcool, ajoutant que son état d’intoxication avancé au moment des faits devrait amoindrir son degré de responsabilité.

[62] Il est vrai que l'état d'intoxication peut être traité tantôt comme un facteur atténuant, tantôt comme un facteur aggravant, selon les circonstances. Il en est de même pour les problèmes d'alcoolisme. Lorsqu'il s'agit de crimes violents, la consommation d'alcool sera généralement considérée comme facteur aggravant ou, au mieux pour l'accusé, comme un facteur neutre.

[63] Le juge considère comme facteur aggravant le fait que le problème de consommation d'alcool dure depuis environ 20 ans et qu'une seule démarche thérapeutique a été entreprise par M. Régimballe, sans succès. Il n’en dit pas davantage sur ce sujet, mais à l’évidence, il associe ce constat aux faibles chances de réhabilitation de ce dernier, puisque son observation ne paraît pas reliée aux évènements en cause, mais plutôt au caractère général de l’appelant Régimballe. Dans ce contexte, on ne peut pas dire que le juge a accordé une trop grande importance à ce fait.

 [Renvois omis]

  1.            L’appelant s’en prend à la quatrième circonstance aggravante, plaidant qu’il n’y a aucune preuve qu’il ne s’amendera pas.
  2.            Le sujet était pourtant pertinent pour répondre à la suggestion de la défense qui proposait une peine d’emprisonnement de 7 ans.
  3.            La formule employée par le juge à propos du quatrième facteur aggravant n’est peut-être pas exemplaire. Il faut toutefois rappeler que la suggestion de la défense constituait une peine clémente et l’on comprend que le juge a voulu retenir cet aspect du dossier puisqu’en matière de toxicomanie, les traitements ou un véritable processus de réhabilitation peuvent constituer un facteur atténuant susceptible de fonder une peine plus clémente. C’est d’ailleurs ce que rappelle la Cour dans R. c. Muongholvilay, 2016 QCCA 232 :

[25]    Si le trafic de stupéfiants conduit en théorie à l’infliction de peines sévères qui interpellent les objectifs de dénonciation et de dissuasion, la Cour n’a pas pour autant indiqué qu’en cette matière le principe de l’individualisation de la peine ne trouvait jamais application. À titre d’exemple, une démarche probante de traitement de la toxicomanie s’attaquant à la source même du passage à l’acte et misant particulièrement sur une prise de conscience des torts causés, tant à l’égard d’une victime particulière qu’à l’égard de la communauté, ne peut être ignorée par le juge chargé d’infliger la peine. […]

 [Renvoi omis]

  1.            Devant la suggestion de l’appelant, les démarches pouvant mener à la réhabilitation étaient particulièrement importantes et, quelle que soit la formule, la probabilité ou la possibilité que l’accusé s’amende restait une question de preuve. La recherche d’une peine d’emprisonnement de 7 ans requérait ici la démonstration d’une démarche thérapeutique déjà entreprise ou considérée avec sérieux. L’appelant n’a pas fait cette démonstration, de sorte que le juge pouvait en tenir compte pour répondre à sa suggestion.
  2.            Par ailleurs, on ne peut prétendre que le juge a retenu la simple consommation à titre de facteur aggravant. Je le répète : ce n’est pas seulement la consommation de drogues par l’appelant qui, selon le juge, peut être la cause de l’homicide, mais aussi et surtout sa décision de ne pas se faire traiter malgré les événements passés (donc avoir omis d’entreprendre « une démarche probante de traitement », pour reprendre les termes de la Cour dans l’arrêt Muongholvilay), de sorte que l’appelant ne pouvait pas bénéficier de cette circonstance atténuante. Bien sûr, elle n’en devenait pas aggravante pour autant, mais elle demeurait pertinente en raison des arguments de l’appelant. Bref, même si le juge avait erré en retenant la seule consommation ou plutôt la dépendance au chapitre des facteurs aggravants (ce qu’il n’a pas fait, comme on vient de le voir), l’impact de cette erreur serait négligeable puisque la question demeurait de toute façon pertinente en raison des arguments de l’appelant.
  3.            En l’espèce, l’intoxication volontaire a joué son rôle premier : l’appelant a été acquitté de meurtre. S’il va de soi que cette circonstance peut aussi influer sur la peine (R. c. Quévillon, 1999 CanLII 13599 (C.A.)), celle-ci ne doit toutefois pas être indûment réduite pour cette raison.
  4.            Il n’est évidemment pas rare que l’intoxication soit en cause dans les cas d’homicides involontaires coupables. Elle est souvent le résultat d’une forme de négligence pouvant entraîner une conclusion de culpabilité morale élevée, comme le juge l’a fait ici et comme les tribunaux supérieurs en conviennent. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique le souligne dans l’arrêt R. v. Badhesa, précité :

[39] Intoxication by alcohol or drugs often figures prominently in manslaughter cases. While relevant to moral culpability, self-induced intoxication that leads to violence is typically the product of intentional risk-taking, which conduct is itself dangerous, irresponsible and blameworthy. In such circumstances, the offender is held fully accountable for his or her condition and principles of deterrence and denunciation are paramount in the determination of a fit sentence. This is because the offending conduct encroaches on our society’s basic code of values and warrants condemnation and punishment […]

[Renvoi omis]

  1.            Le caractère téméraire de la consommation de l’appelant, mentionné par le juge, entre dans cette catégorie.
  2.            Enfin, comme le rappelle la Cour dans Pozzobon c. R., 2019 QCCA 725 :

[55] En matière d’homicide involontaire coupable, les circonstances pouvant varier à l’infini, l’éventail des peines est particulièrement large : Gavin c. R., 2009 QCCA 1. C’est d’ailleurs ce que souligne le juge de première instance qui rappelle qu’« [u]ne foule d’éléments doivent être pris en compte par le Tribunal afin de déterminer la peine appropriée en matière d’homicide involontaire ». Cela étant, l’intimée rappelle la grande déférence qui est due au juge de première instance à l’égard de toute peine, mais encore plus, si cela est possible, à l’égard d’une peine infligée pour un homicide involontaire coupable.

  1.            Ici, l’appelant ne me convainc pas que le juge a commis une erreur susceptible de mener à la réformation de la peine ni que celle-ci est manifestement non indiquée. La pondération des divers facteurs demeure l’apanage du juge du procès, et l’appelant ne fait pas voir pourquoi la Cour devrait intervenir.
  2.            Je propose donc de rejeter l’appel.

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 


 

 

MOTIFS DU JUGE BACHAND

 

 

  1.            Avec égards pour l’opinion contraire, j’estime que le juge de la peine a commis une erreur de principe en omettant de considérer, à titre de circonstance atténuante, le problème de toxicomanie dont l’appelant souffre depuis l’adolescence. Je suis également d’avis que cette erreur a eu une incidence sur la peine d’incarcération qui lui a été infligée, dont la durée devrait selon moi être réduite à neuf ans.

* * *

  1.            Aux termes de l’article 718.1 C.cr., le principe fondamental qui doit guider tout exercice de détermination de la peine est celui de la proportionnalité[1]. Comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Ipeelee, « [l]a proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste »[2].
  2.            Cette exigence de proportionnalité comporte deux dimensions principales[3]. La peine doit d’abord être proportionnelle à la gravité de l’infraction. Mais elle doit aussi être proportionnelle au degré de culpabilité morale du délinquant, ce qui implique que, « dans tous les cas, […] la peine infligée […] doit correspondre à sa culpabilité morale et non être supérieure à celleci »[4].
  3.            Le degré de culpabilité morale d’un délinquant dépend notamment de l’étendue de son libre-arbitre — autrement dit, de sa capacité et de sa liberté décisionnelles — au moment où il a adopté le comportement réprimé[5]. Voilà pourquoi, par exemple, la culpabilité morale des adolescents, qui « sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral »[6], est présumée être moins élevée que celle des adultes[7]. C’est également pour cette raison que la culpabilité morale des délinquants atteints d’une déficience intellectuelle comportant de grandes limites cognitives est susceptible d’être atténuée par rapport à celle d’adultes en pleine possession de leurs facultés[8]. Il en va de même des délinquants souffrant d’un trouble de santé mentale ayant contribué à la commission de l’infraction[9].
  4.            Une affaire britanno-colombienne, Badhesa[10], illustre bien comment ces principes sont susceptibles de trouver application lorsque l’intoxication du délinquant a eu un rôle à jouer dans la commission du crime. Aux prises avec un problème de dépression sévère de longue date, l’accusé dans cette affaire était fortement intoxiqué à l’alcool lorsque, dans un moment de grande colère, il a battu à mort sa mère et agressé sa conjointe. Après avoir plaidé coupable à des accusations d’homicide involontaire et de voies de fait ayant causé des lésions corporelles, il fut condamné à une peine d’emprisonnement de 10 ans sur le premier chef et de 18 mois sur le second. Tout en reconnaissant que la dépression de l’accusé avait joué un rôle dans la commission des infractions, le juge de première instance a conclu que ce facteur n’atténuait pas de manière significative la culpabilité morale de l’accusé, car ce dernier avait eu un comportement répréhensible en consommant alcool et drogues de manière excessive dans les jours précédant le drame.
  5.            La Cour d’appel de la Colombie-Britannique accueillit l’appel après avoir constaté que le juge de première instance avait commis une erreur révisable en omettant de prendre en considération l’impact que le trouble de santé mentale de l’accusé avait eu sur sa consommation excessive et, partant, sur son intoxication au moment de la commission des infractions[11]. Aux yeux de la Cour, cet élément faisait en sorte que, sur le plan de la culpabilité morale, la situation de l’accusé se distinguait de celle d’une personne en santé qui décide de consommer de manière excessive et dont l’intoxication contribue ensuite à sa décision de commettre un crime :

[39]   Intoxication by alcohol or drugs often figures prominently in manslaughter cases. While relevant to moral culpability, self-induced intoxication that leads to violence is typically the product of intentional risk-taking, which conduct is itself dangerous, irresponsible and blameworthy. In such circumstances, the offender is held fully accountable for his or her condition and principles of deterrence and denunciation are paramount in the determination of a fit sentence. […]

[40]   However, an offender’s volitional and decision-making capacity in connection with self-induced intoxication and related violence may stem, at least in part, from mental illness or other cognitive disability. Depending on the circumstances, both the mental illness and related self-induced intoxication may reduce the offender’s moral culpability. The criminal law views individuals as autonomous and rational beings and seeks to impose criminal liability solely on those who are responsible for the state they were in when an offence is committed: R. v. Bouchard-Lebrun, 2011 SCC 58 at paras. 48, 68. Similar concerns animate the determination of a fit sentence: R. v. Friesen, 2016 MBCA 50 at para. 18. Impaired reasoning, delusional disorders and other compromised mental conditions distinguish those afflicted from ordinary, fully accountable offenders for sentencing purposes: R. v. Ayorech, 2012 ABCA 82 at para. 12. Where an offender is found to be criminally responsible, but suffering from a serious mental illness or disability, a more lenient disposition than would otherwise be called for may well be appropriate to reflect a diminished level of criminal responsibility: R. v. Ramsay, 2012 ABCA 257 at para. 21.

[Soulignements ajoutés]

En fin de compte, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a substitué des peines d’emprisonnement de sept ans et d’un an à celles infligées en première instance.

  1.            Selon moi, ce raisonnement est en partie transposable à la situation d’un accusé dont l’intoxication au moment de la commission des infractions est due à un problème de toxicomanie. La raison tient au fait que, alors qu’elle était jadis considérée comme une condition essentiellement due à une faute morale, la toxicomanie est aujourd’hui considérée comme une maladie chronique du cerveau qui, entre autres choses, affecte la capacité de la personne qui en souffre à contrôler sa consommation de la substance dont elle est dépendante[12]. Ainsi, lorsqu’elle décide de consommer de manière excessive, la personne souffrant de toxicomanie n’agit pas de manière aussi libre que celle qui ne souffre d’aucun problème de dépendance ni trouble de santé mentale.
  2.            Est-ce à dire qu’un problème de toxicomanie atténuera toujours la culpabilité morale du délinquant qui était intoxiqué au moment de passer à l’acte? Non. À la différence d’un problème de santé mentale comme la dépression, un problème de toxicomanie tire souvent sa source de décisions prises en toute liberté par la personne concernée de commencer, puis de continuer, à consommer. Dans de telles circonstances, la toxicomanie pourrait difficilement être considérée comme un facteur atténuant, car elle découlera de comportements répréhensibles adoptés par le délinquant alors que sa capacité et sa liberté décisionnelles étaient entières[13].
  3.            Toutefois, ce raisonnement ne saurait trouver application lorsque, comme en l’espèce, on a affaire à un délinquant qui souffre d’un problème de toxicomanie remontant à l’adolescence. Le caractère répréhensible de choix de vie conduisant vers la toxicomanie est forcément atténué lorsqu’ils sont faits avant le passage à l’âge adulte. Ainsi, dans le cas d’un problème de toxicomanie qui perdure depuis l’adolescence, la culpabilité morale du délinquant dont l’intoxication a contribué au comportement criminel est atténuée en raison de la combinaison de deux facteurs ayant affecté sa capacité et sa liberté décisionnelles : premièrement, son jeune âge lorsqu’il est devenu toxicomane; deuxièmement, le fait qu’au moment des événements, sa capacité à contrôler sa consommation était affectée par sa toxicomanie.
  4.            On trouve une illustration de ce raisonnement dans un jugement américain qui a retenu l’attention de la doctrine[14]. Même s’il ne présente évidemment aucune valeur de précédent, j’estime utile d’y faire référence, car on y trouve une analyse particulièrement fouillée, nuancée et convaincante des principes dont je viens de discuter. L’affaire concerne un délinquant qui avait volé des armes trouvées dans une résidence où il était entré par effraction alors qu’il était intoxiqué. Il avait 23 ans au moment de la commission de l’infraction, et il souffrait de dépendance à l’alcool et à certaines drogues depuis l’âge de 14 ans.
  5.            Après avoir retracé l’évolution des connaissances scientifiques et juridiques en matière de toxicomanie, puis souligné qu’il était désormais acquis que la toxicomanie est une maladie chronique du cerveau ayant de sérieuses conséquences sur la maîtrise de soi, le juge a rappelé le principe fondamental selon lequel la peine infligée à un délinquant doit correspondre à sa culpabilité morale. Il a ensuite abordé le lien entre toxicomanie et culpabilité morale, tout en insistant sur le fait qu’un problème de toxicomanie ne méritait pas toujours d’être considéré à titre de circonstance atténuante[15] :

[I]n most cases, […] addiction mitigates a defendant’s culpability. By physically hijacking the brain, addiction diminishes the addict’s capacity to evaluate and control his or her behaviors. Rather than rationally assessing the costs of their actions, addicts are prone to act impulsively, without accurately weighing future consequences. This is certainly true for Hendrickson, whose criminal history coincides with, and directly relates to, periods of drug abuse. […]

The capacity to evaluate the consequences of one’s actions is central to one’s culpability. This is why we consider the defendant who commits a crime during a momentary lapse in judgment less blameworthy than the defendant who commits a crime after a period of sober calculation. […] [T]he idea that capacity affects culpability is not limited to sentencing; it echoes throughout the criminal law. The first-degree murderer is more culpable than the second-degree murderer. The defendant acting on free will is more culpable than the defendant acting under coercion. The adult is more culpable than the child. Simply put, we expect those with a better capacity for decision-making to make better decisions.

[…]

This is not to say, however, that addiction is limitlessly mitigating. For example, addiction may not be mitigating, or may be less mitigating, where there is no nexus between the defendant’s addiction and offense; or where the defendant has had numerous opportunities for treatment and has either declined drug treatment or failed to meaningfully attempt to complete drug treatment. Also, there may be some point at which a defendant no longer gets the “benefit” of addiction-based mitigation—like the defendant who, after sentencing, repeatedly violates his or her terms of supervised release by using drugs or alcohol. Addiction could even be aggravating in certain situations. Each case must be carefully considered on its own […].

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

  1.            Le juge a ensuite conclu que la toxicomanie dont souffrait l’accusé devait être considérée à titre de circonstance atténuante, et il l’a fait en mettant justement l’accent sur le fait que ce problème s’était développé durant l’adolescence[16] :

I find that Hendrickson’s addiction is mitigating, especially when considered together with Hendrickson’s youth. Hendrickson has been addicted to drugs since he was 14 years old. He is now only 23 years old. Hendrickson has abused brain-altering drugs through most of the years during which his adolescent brain was still physically developing. As a result, Hendrickson has sadly, but predictably, made poor decisions based on impulse and immaturity. Letters from Hendrickson’s family members, received as Defendant’s Exhibit A, confirm this. For example, Hendrickson’s mother observed that Hendrickson is “young and immature,” that he “has struggled with drugs off and on ever[] since he [] first started using them,” and that “drugs had a huge influence on his decision making.” Hendrickson’s aunt commented that Hendrickson “has always been mentally younger than he looks” and that “he doesn’t stop to think about his actions before he does them.” These observations are consistent with the scientific evidence discussed above, and they support the conclusion that Hendrickson’s addition is mitigating.

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

  1.            Dans la présente affaire, il est acquis au débat (i) que l’appelant était intoxiqué au moment de l’homicide, (ii) que son état d’intoxication a joué un rôle dans sa décision de passer à l’acte, et (iii) qu’il est « accroc aux stupéfiants et à l’alcool » depuis l’âge de 15 ou 16 ans[17]. En outre, compte tenu des constats du juge relativement aux habitudes de consommation de l’appelant, tout porte à croire que le problème de toxicomanie dont il souffre est d’une certaine gravité[18]. Dans les circonstances, j’estime qu’il faut y voir une circonstance atténuante qui devait être prise en considération dans l’évaluation de sa culpabilité morale. En omettant de le faire, le juge de la peine a commis une erreur de principe[19].

* * *

  1.            Se pose maintenant la question de savoir si cette erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine[20]. La réponse ne va pas de soi, car on peut imaginer des situations où l’existence de circonstances particulièrement aggravantes neutralisera tout effet potentiellement atténuateur d’un problème de toxicomanie méritant d’être qualifié de circonstance atténuante. Comme c’est toujours le cas en matière de détermination de la peine, tout est question de circonstances.
  2.            J’estime toutefois qu’en l’espèce, l’omission de tenir compte du problème de toxicomanie de l’appelant à titre de circonstance atténuante a conduit le juge à lui infliger une peine disproportionnée, notamment en ce qu’elle s’avère déraisonnablement sévère au regard de l’objectif pénologique de réinsertion sociale et du principe d’harmonisation des peines.
  3.            Il est déjà acquis que l’objectif de réinsertion sociale — qui reflète une « valeu[r] moral[e] fondamental[e] »[21] et est « intimement lié à la dignité humaine en ce qu’il véhicule la conviction que chaque individu possède la capacité nécessaire pour se repentir et réintégrer la société »[22] — revêt une importance accrue lorsque, comme en l’espèce, on a affaire à un délinquant relativement jeune qui n’avait aucun antécédent au moment de la commission de l’infraction : la réinsertion sociale constituera alors, avec la dissuasion spécifique, un des deux « objectifs premiers » dans le processus de détermination de la peine[23]. En outre, et comme le rappellent les auteurs Parent et Desrosiers, il est également acquis que la réinsertion sociale revêt une importance particulière lorsque le délinquant souffre d’une dépendance à l’alcool et aux drogues qui a contribué au passage à l’acte[24].
  4.            L’importance de cet objectif pénologique s’accroît substantiellement, me sembletil, lorsque le comportement criminel d’un délinquant jeune et sans antécédent est notamment dû à un problème de toxicomanie qui l’afflige depuis l’adolescence et qui, pour cette raison, a un effet atténuant sur sa culpabilité morale. Évidemment, dans les cas les plus graves, une peine d’emprisonnement s’imposera. Toutefois, le principe fondamental de la proportionnalité commandera que la durée de l’emprisonnement soit ajustée de manière à refléter adéquatement l’importance à accorder à l’objectif de réinsertion sociale ainsi que le caractère atténué de la culpabilité morale du délinquant.
  5.            La présente affaire fait assurément partie des cas dans lesquels une peine d’emprisonnement s’avère nécessaire. Toutefois, compte tenu de cet ajustement à la baisse qui s’impose au regard du principe de proportionnalité, une peine d’emprisonnement d’une durée 13 ans me paraît excessive.
  6.            Pour comprendre pourquoi, il est utile de se référer à nouveau aux enseignements des auteurs Parent et Desrosiers, dont l’étude de la jurisprudence pertinente les conduit à regrouper en plusieurs sous-catégories les homicides involontaires méritant la qualification de quasi-meurtres :
  1.      les agressions extrêmement violentes commises par des individus présentant un indice de dangerosité élevé, où la peine maximale — l’emprisonnement à perpétuité — pourra s’avérer indiquée[25];
  2.      les agressions très violentes, sans arme et commises dans un contexte présentant peu ou pas de circonstances atténuantes, où la peine indiquée avoisinera les 15 années d’emprisonnement[26];
  3.      les affaires comportant une ou quelques circonstances atténuantes — telles la jeunesse du délinquant, son intoxication au moment de la commission de l’infraction, l’expression de remords sincères et véritables, ou encore le caractère isolé ou spontané du crime —, où la peine indiquée variera généralement entre 10 et 15 ans d’emprisonnement[27];
  4.      les affaires comportant plusieurs circonstances atténuantes, lesquelles donnent généralement lieu à des peines d’emprisonnement d’environ 10 ans[28];
  5.      enfin, les cas comportant plusieurs facteurs atténuants significatifs se rapportant aux circonstances de l’affaire et au degré de responsabilité de l’individu, où la peine variera généralement entre deux et huit ans d’emprisonnement[29].
  1.            Il ressort de cette synthèse qu’une peine d’emprisonnement d’une durée de 13 ans est généralement réservée à des cas où la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant, sans être extrêmes, sont néanmoins supérieures à la moyenne. Plus exactement, on se situe alors dans la portion supérieure des affaires comportant seulement une ou quelques circonstances atténuantes. Or, selon moi, ce n’est pas à cette catégorie qu’appartient la présente affaire. Il s’agit à tout le moins d’une affaire comportant plusieurs circonstances atténuantes : le jeune âge du délinquant; les remords sincères qu’il a exprimés; le lien entre son crime et le problème de toxicomanie qui l’afflige depuis l’adolescence; l’absence d’antécédents judiciaires; le fait que l’extrême violence dont il a fait preuve lorsqu’il a tué sa mère était tout à fait sans précédent.
  2.            Les enseignements de l’auteur Ruby permettent eux aussi de mettre en lumière le caractère excessif de l’infliction d’une peine d’emprisonnement de 13 ans dans la présente affaire. Dans une section de son traité consacrée aux quasi-meurtres où la victime est l’un des parents du délinquant, M. Ruby cite en exemple cinq affaires dans lesquelles les peines infligées varient entre un sursis au prononcé de la peine (suivant une incarcération préventive de six mois et demi) et huit ans d’emprisonnement[30]. Dans ce dernier cas[31], l’infraction avait été commise dans des circonstances présentant plusieurs similitudes avec celles de la présente affaire, notamment en ce que le délinquant avait commencé à consommer alcool et drogues alors qu’il était âgé de 13 ans. Il était cependant au début de la quarantaine au moment de passer à l’acte et n’était donc pas, contrairement à l’appelant dans le présent dossier, un délinquant jeune. Voici le résumé que M. Ruby fait de cette affaire[32] :

In Lafantaisie, the adult offender, suffering from a severe addiction to morphine and crack cocaine, impulsively killed his elderly mother with little or no provocation. Lafantaisie lived with his mother, who was caring and supportive, and who entrusted him with her finances. One night, after he returned from a drug binge, she confronted him about withdrawing all of her savings to support his habit. He strangled her, watched her for a short time and then placed her body in a plastic bag. It was unclear whether she died before or after a plastic bag was placed over her head. Remorseful and emotionally distraught, the offender turned himself in and cooperated with the police. The court noted a range of 4 to 15 years for alcohol/drug influenced manslaughter, categorized this case as “near murder” and sentenced him to 8 years’ imprisonment.

  1.            Dans une autre affaire mentionnée par M. Ruby, le délinquant — alors âgé de 47 ans et souffrant de dépression sévère — avait étranglé à mort sa mère alors qu’il était fortement intoxiqué en plus d’être sous l’effet de divers médicaments. Il s’était ensuite vu infliger une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée de deux ans moins un jour, laquelle peine fut confirmée en appel[33]. Fait à noter, il ressortait du dossier qu’au moment du prononcé de la peine, le délinquant avait fait des efforts substantiels en vue de se réhabiliter et il était de la plus haute importance que la démarche thérapeutique se poursuive sans interruption. Sur ce plan, l’affaire se distingue nettement du présent dossier, qui — comme le juge de première instance l’a noté à juste titre — est peu étoffé quant aux démarches entamées ou même envisagées par l’appelant en vue de traiter son problème de toxicomanie. À mon avis, cette lacune doit conduire à mitiger l’ajustement devant être effectué afin de refléter adéquatement l’importance à accorder à l’objectif de réinsertion sociale, au caractère atténué de la culpabilité morale de l’appelant ainsi qu’au principe d’harmonisation des peines.
  2.            Un autre facteur m’incite à mitiger l’effet atténuant du problème de toxicomanie dont souffre l’appelant : l’absence de preuve médicale. Bien que tous s’entendent sur le fait que l’appelant souffre de toxicomanie, l’absence de preuve médicale sur sa maladie fait en sorte qu’on ne peut accorder à cette circonstance atténuante un poids considérable dans l’analyse. C’est essentiellement pour cette raison qu’à mon avis, la présente affaire ne saurait être rangée parmi celles comportant des circonstances atténuantes significatives se rapportant au degré de culpabilité morale du délinquant — les affaires où la peine variera généralement entre deux et huit ans d’emprisonnement[34].

* * *

  1.            L’analyse qui précède me conduit à proposer à la Cour d’intervenir afin de réduire à neuf ans (avant l’application du crédit pour la période de détention préventive) la durée de la peine d’emprisonnement infligée en première instance. J’estime que l’objectif de dissuasion spécifique sera amplement servi par une peine d’une telle durée. En outre, une peine plus sévère me semble difficilement justifiable au regard du principe d’harmonisation des peines, surtout lorsque l’on tient compte de la culpabilité morale atténuée de l’appelant. Enfin, je suis d’avis que la réinsertion sociale de l’appelant, qui est aujourd’hui âgé de 28 ans, serait inutilement compromise par une peine d’emprisonnement aux termes de laquelle sa liberté continuerait d’être limitée au-delà de cette période de neuf ans.

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 


[1] Voir, à ce sujet, R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 30.

[2] R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, paragr. 37. Voir aussi : R. c. SafarzadehMarkhali, 2016 CSC 14, paragr. 70; R. c. Hills, 2023 CSC 2, paragr. 57.

[3] Comme l’explique bien le professeur Berger, la jurisprudence récente de la Cour suprême reflète une conception de l’exigence de proportionnalité plus riche que ne le laisse entrevoir le libellé de l’article 718.1 C.cr. étant donné l’importance qui y est accordée à la situation et à l’expérience particulières du délinquant (« individualized proportionality ») : Benjamin L. Berger, « Proportionality and the Experience of Punishment », dans David Cole et Julian Roberts (dir.), Sentencing in Canada — Essays in Law, Policy and Practice, Toronto, Irwin Law, 2020, p. 368.

[4] R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, paragr. 42.

[5] Comme la Cour suprême le soulignait dans R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, paragr. 45, « [u]n principe directeur fondamental de notre droit criminel veut que les auteurs d’une infraction criminelle soient considérés comme des personnes douées de raison et autonomes qui font des choix ».

[6] R. c. D.B., 2008 CSC 25, paragr. 41.

[7] Ibid. Voir aussi l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, ch. 1.

[8] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 91. Voir aussi : K.F. c. R., 2021 QCCA 67, paragr. 25; Ricard-Perras c. R., 2023 QCCA 1333, paragr. 15-16.

[9] R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, paragr. 128. Voir aussi : R. c. Martin, 2012 QCCA 2223, paragr. 37 et s.; R. v. Badhesa, 2019 BCCA 70, paragr. 39 et s.; R. c. Pond, 2020 NBCA 54, paragr. 34 et s.; R. v. Botticelli, 2022 BCCA 344, paragr. 21; R. v. Lowry, 2024 BCCA 1, paragr. 86.

[10] R. v. Badhesa, 2019 BCCA 70.

[11] Id., paragr. 35 et 46.

[12] Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, paragr. 101; R. v. Hansen, 2012 BCCA 142, paragr. 26; R. v. Ellis, 2022 BCCA 278, paragr. 12. Voir aussi l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis dans Robinson v. California, 370 U.S. 660, 667 (1962).

[13] Voir p. ex., en ce sens, Mirko Bagaric et Sandeep Gopalan, « A Sober Assessment of the Link Between Substance Abuse and Crime — Eliminating Drug and Alcohol Use from the Sentencing Calculus », (2016) 56 Santa Clara L. Rev. 243, p. 257 et s. et 284 et s. Pour un autre point de vue, voir Leslie E. Scott, « Substance Use Disorder’s (SUD) Impact on Criminal Decision-Making and Role in Federal Sentencing Jurisprudence: Arguing for Culpability-Based SUD Mitigation », (2022) 19 Ohio State J. Crim. Law 471, p. 514 et s.

[14] United States v. Hendrickson, 25 F. Supp. 3d. 1166 (N.D. Iowa 2014). Voir notamment : Mirko Bagaric et Sandeep Gopalan, « A Sober Assessment of the Link Between Substance Abuse and Crime — Eliminating Drug and Alcohol Use from the Sentencing Calculus », (2016) 56 Santa Clara L. Rev. 243, p. 277 et s.; Leslie E. Scott, « Drug Decriminalization, Addiction, and Mass Incarceration: A Theories of Punishment Framework for Ending the “War on Drugs” », (2021) 48 N. Ky. L. Rev. 267, p. 297; Leslie E. Scott, « Substance Use Disorder’s (SUD) Impact on Criminal Decision-Making and Role in Federal Sentencing Jurisprudence: Arguing for Culpability-Based SUD Mitigation », (2022) 19 Ohio State J. Crim. Law 471, p. 513 et s.

[16] Id., p. 1175.

[17] Jugement entrepris, paragr. 33. Ce constat n’est pas remis en question en appel. En outre, dans son exposé d’appel, l’intimé reconnaît que l’appelant souffre de toxicomanie (v. paragr. 13, 15, 18 et 21).

[18] Le juge a retenu de la preuve qu’à l’époque de l’homicide, l’appelant consommait en moyenne 70 à 100 ml de GHB par jour, 100 bières par semaine et une à trois bouteilles d’alcool fort par semaine, principalement durant le week-end.

[19] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, paragr. 26 : « Comme l’a confirmé notre Cour dans [R. c. Lacasse, 2015 CSC 64], la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (par. 41) ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine (par. 44). Parmi les erreurs de principe, mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant ».

[20] Ibid. : « Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (Lacasse, par. 44) ».

[21] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 4; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 48.

[22] R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 8.

[23] R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, paragr. 132 : « La réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction ».

[24] Hugues Parent et Julie Desrosiers, Traité de droit criminel, t. III (« La peine »), 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 44 (n° 24d)). Voir aussi R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, paragr. 128, où la Cour suprême souligne que « [l]orsqu’une maladie mentale existait au moment de la perpétration de l’infraction et a contribué au comportement du délinquant, le juge qui prononce la peine devrait envisager de prioriser la réinsertion sociale et le traitement du délinquant au moyen de l’intervention communautaire ».

[25] Id., p. 745-746 (n° 581).

[26] Id., p. 746-747 (n° 581).

[27] Id., p. 747-748 (n° 582).

[28] Id., p. 748-750 (n° 583).

[29] Id., p. 750 (n° 583).

[30] Clayton Ruby, Sentencing, 10e éd., Toronto, LexisNexis, 2020, p. 1045-1046 (n° 23.145-23.146).

[31] R. v. LaFantaisie, 2004 ABPC 106.

[32] Clayton Ruby, Sentencing, 10e éd., Toronto, LexisNexis, 2020, p. 1046 (n° 23.146).

[33] R. v. Turcotte, 2000 CanLII 14721 (ON CA).

[34] Supra, paragr. [53].

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