Boisvenu c. Ribeyro | 2025 QCCS 3335 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | LONGUEUIL |
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No : | 505-17-010932-186 |
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DATE : | Le 15 septembre 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | SUZANNE COURCHESNE, J.C.S. |
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PIERRE HUGUES BOISVENU |
Demandeur/défendeur reconventionnel |
c. |
SYLVIA RIBEYRO |
Défenderesse/demanderesse reconventionnelle |
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JUGEMENT
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Table des matières
L’APERÇU..................................................................3
LE CONTEXTE..............................................................4
LES QUESTIONS EN LITIGE..................................................6
L’ANALYSE.................................................................7
1. LES ALLÉGATIONS DE HARCÈLEMENT SEXUEL ET D’AGRESSION SEXUELLE 7
1.1 Les faits reprochés..................................................7
1.2 Cadre juridique.....................................................7
1.2.1 Les règles applicables...........................................7
1.2.2 Le fardeau de preuve............................................8
1.2.3 L’appréciation de la crédibilité.....................................9
1.2.4 Les mythes et stéréotypes.......................................11
1.3 La trame factuelle..................................................11
1.3.1 Les premières communications..................................12
1.3.2 La première rencontre (30 septembre 2012).......................13
1.3.3 Les échanges à l’automne 2012..................................14
1.3.4 La rencontre du 3 janvier 2013...................................19
1.3.5 Les échanges entre les parties suivant la rencontre du 3 janvier 2013.20
1.3.6 Les relations subséquentes entre les parties (2013-2017)............23
1.4 Discussion........................................................26
1.4.1 Le témoignage des parties......................................26
1.4.2 Les allégations d’harcèlement sexuel.............................26
1.4.3 Les allégations d’agression sexuelle..............................27
- Le consentement........................................27
- La nature du ou des gestes posés.........................32
1.4.4 Conclusion sur l’agression sexuelle...............................34
1.5 Les dommages subis par la défenderesse.............................34
1.5.1 La réclamation.................................................34
1.5.2 Les dommages moraux.........................................35
- Rapport et témoignage de Cécile Barrière, psychologue......36
- Rapport et témoignage du Dr Gilles Chamberland, psychiatre.37
- Analyse et discussion....................................38
1.5.3 Les dommages pécuniaires......................................41
1.5.4 Les dommages punitifs.........................................41
2. LES ALLÉGATIONS DE DIFFAMATION................................43
2.1 Les faits reprochés.................................................43
2.2 Le cadre juridique..................................................44
2.3 La trame factuelle..................................................45
2.4 Discussion........................................................48
2.4.1 Le caractère diffamatoire des publications.........................48
2.4.2 La faute.......................................................49
2.4.3 Le préjudice et la causalité......................................51
3. LES ALLÉGATIONS DE POURSUITE-BÂILLON.........................52
3.1 Les faits reprochés.................................................52
3.2 Le cadre juridique..................................................53
3.3 Discussion........................................................53
3.3.1 La poursuite-bâillon.............................................53
3.3.2 Les dommages................................................55
4. LES FRAIS JUDICIAIRES ET LES FRAIS D’EXPERTISE.................55
- Le présent dossier oppose deux parties qui, au cours de leur vie respective, ont souffert de rudes épreuves personnelles qui les ont éventuellement amenées à unir leurs efforts pour la défense des droits des victimes d’actes criminels, plus particulièrement des enfants agressés ou assassinés.
- Leur collaboration s’est malheureusement terminée par ce litige dans le cadre duquel les parties s’accusent mutuellement d’être la source de dommages, pour l’un, découlant de propos diffamatoires, pour l’autre, d’harcèlement et agression sexuelle, d’abus de pouvoir et de poursuite-bâillon.
- Le contexte est le suivant.
- Le demandeur est un ancien fonctionnaire provincial, marié et père de trois enfants. En 2002, sa fille Julie est enlevée, violée et assassinée par un récidiviste. En 2005, sa fille Isabelle meurt dans un accident de voiture.
- En 2004, il fonde avec trois autres pères de famille endeuillés l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD). Il contribue à faire connaître la cause des droits des victimes d’actes criminels auprès du grand public québécois.
- Ses activités à titre de président de l’AFPAD l’occupent à temps plein jusqu’à ce qu’en janvier 2010, il soit nommé au Sénat par le gouvernement conservateur. Il quitte ses fonctions de sénateur en février 2024, ayant atteint l’âge de retraite obligatoire de 75 ans.
- La défenderesse est travailleuse autonome et enseigne le piano et le chant à son domicile. Elle est également militante pour les droits des enfants et des victimes d’actes criminels et administre à cette fin un site web et des comptes et pages publics sur différents médias sociaux. Au cours des premières décennies de sa vie, elle est victime de gestes d’abus physique et psychologique de la part de son père[2], d’agressions sexuelles de la part de son ex-mari et de méfaits, voies de faits et harcèlement de la part d’un ancien copain et d’un collègue de travail, dont elle conserve des séquelles physiques et psychologiques permanentes.
- À compter de 2010, elle entreprend des démarches publiques via des publications, des témoignages et éventuellement une pétition, afin de militer pour les droits des enfants victimes d’abus et de faire modifier les lois à cet égard.
- C’est dans ce contexte qu’en 2012, à la suite d’un contact initié par la défenderesse, les parties se rencontrent en raison de leur mission commune de protection des droits des victimes d’actes criminels. Elles échangent d’abord par courriel et par téléphone et deux rencontres ont lieu, au domicile de la défenderesse, le 30 septembre 2012 et le 3 janvier 2013. Elles correspondent fréquemment par courriel et via les réseaux sociaux[3].
- En 2014, la défenderesse lance une pétition électronique intitulée « Premiers ministres du Canada et du Québec : Justice pour les enfants agressés et assassinés ». Le demandeur appuie la démarche de la défenderesse, notamment en participant à une conférence de presse sur cette pétition qu’il entend déposer au Sénat lorsqu’elle aura atteint un certain nombre de signatures.
- En 2017, le demandeur soutient que la défenderesse se montre plus insistante pour le dépôt de sa pétition au Sénat et qu’en raison des procédures instaurées au parlement à cet égard, il s’est vu dans l’impossibilité d’obtempérer à sa demande. Suivant la communication de cette information, la défenderesse s’est mise à publier des allégations à l’endroit du demandeur, qu’il juge diffamatoires. Dans le cadre de ces publications, la défenderesse accuse le demandeur d’avoir posé des gestes sexuels déplacés envers elle et d’avoir abusé de son pouvoir à son encontre, le tout en lien avec des évènements qui se seraient produits lors de leur rencontre de janvier 2013[4].
- Le 20 octobre 2017, le demandeur met la défenderesse en demeure de cesser ses publications diffamatoires[5]. Selon lui, elle refuse d’y obtempérer et continue de le diffamer au moyen de différentes publications[6].
- Le 23 octobre 2017, la défenderesse porte plainte à l’égard du demandeur auprès du Bureau du comité sénatorial à l’éthique (BCSE)[7]. À l’exception d’un accusé-réception, cette plainte demeure sans suite[8].
- Le 1er février 2018, elle dépose une plainte contre le demandeur auprès de la Sûreté du Québec (SQ)[9]. Aucune accusation ne sera portée[10].
- Le 18 octobre 2018, le demandeur introduit une demande en injonction et dommages contre la défenderesse ainsi qu’une demande de non-publication et de non-diffusion (la DII). Sa demande pour l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire est rejetée ainsi que sa demande de confidentialité.
- Le 27 novembre 2018, la défenderesse souscrit à un engagement de s’abstenir de publier les écrits dont fait état la DII ou tout propos à cet égard jusqu’au jugement final, engagement auquel elle se conforme depuis[11].
- Le 19 décembre 2018, elle dépose une défense et demande reconventionnelle. Elle y allègue :
[17.1] Qu’à compter de septembre 2012, particulièrement le 26 novembre 2012, et au printemps 2013, le demandeur a tenu des propos déplacés constituant du harcèlement sexuel à son égard et qu’il lui a fait des avances à caractère sexuel;
[17.2] Que le 3 janvier 2013, le demandeur l’a agressée sexuellement chez elle, lors d’une visite initiée par lui;
[17.3] Qu’il a exercé des représailles à son égard afin de la bâillonner ainsi que des mesures d’intimidation.
- Elle demande le rejet du recours du demandeur et sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts[12].
- Le demandeur nie catégoriquement tout geste d’agression ou propos de nature sexuel de sa part envers la défenderesse et plaide que ses communications suivant la rencontre du 3 janvier 2013 démentent de telles accusations[13].
- La défenderesse se représente seule dans la présente instance jusqu’en juillet 2020. Depuis plusieurs années elle agit à titre d’aidante naturelle auprès de sa mère malade et âgée. Celle-ci décède en cours d’instance le 18 mars 2020.
- En juin 2023, à la suite de nombreuses séances de gestion, le dossier judiciaire est mis en état et fixé sur le rôle pour instruction au fond en mars 2025.
- Le présent litige soulève les principales questions suivantes qu’il convient de trancher dans cet ordre, puisque la décision du Tribunal sur la première question a un impact sur la détermination des questions subséquentes:
- Le demandeur a-t-il commis une ou des fautes à l’égard de la défenderesse, plus spécifiquement du harcèlement sexuel à l’automne 2012 et au printemps 2013, ainsi qu’une agression sexuelle en date du 3 janvier 2013?
- La demanderesse a-t-elle diffusé et partagé des publications diffamatoires à l’égard du demandeur et, le cas échéant, sa conduite est-elle fautive?
- Le recours du demandeur contre la défenderesse constitue-t-il une poursuite-bâillon?
- Selon les réponses à ces questions, le Tribunal devra déterminer si l’une ou l’autre, ou encore les deux parties, ont droit à des dommages et le cas échéant, en fixer le quantum.
- La défenderesse allègue qu’à l’automne 2012, le demandeur s’est livré à du harcèlement sexuel à son endroit, plus particulièrement lors d’échanges via Facebook en date du 26 novembre 2012.
- Le 3 janvier 2013, au terme d’une visite du demandeur à son domicile, elle soutient qu’il s’est jeté sur elle, a collé son corps contre elle, mis sa langue dans sa bouche et ses mains sur ses fesses, tenté de relever sa jupe, le tout en bougeant le bas de ses hanches et en collant le bas de son ventre contre elle, très rapidement, sans avoir obtenu son consentement, commettant ainsi une agression sexuelle[14].
- Le demandeur soutient au contraire qu’au cours de cette rencontre, les parties se sont embrassées, brièvement et consensuellement, sans plus. Il nie avoir posé quelque geste déplacé ou d’agression que ce soit envers elle et conteste également ses allégations d’harcèlement sexuel.
- Outre le témoignage des parties, seules lors de l’événement allégué, la preuve repose sur de très nombreuses communications écrites entre elles et avec des tiers, précédant et suivant la rencontre du 3 janvier 2013. Ces pièces sont toutes déposées de consentement[15].
- Le recours de la défenderesse est régi par les règles de la responsabilité civile extracontractuelle qui prévoient que toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui[16].
- Quant au reproche d’harcèlement sexuel, il doit être démontré d’une part que les propos à caractère sexuel étaient non désirés et d’autre part, le caractère continu et répétitif de ceux-ci ou de leur effet sur la victime[17].
- Eu égard aux allégations d’agression sexuelle, elles requièrent la preuve d’un contact de nature sexuelle, exercé par une partie envers l’autre, sans le consentement de cette dernière.
- Le fait d’initier un contact à caractère sexuel ou intime sur la personne d’autrui n’est pas en soi fautif. C’est l’absence de consentement valide qui fait en sorte qu’un tel acte s’écarte de la norme de diligence posée par l’article 1457 C.c.Q.
- Le fardeau de prouver la commission d’une faute civile incombe à la partie qui l’allègue[18]. La norme applicable est celle de la prépondérance de la preuve, soit que l’existence du fait reproché est plus probable que son inexistence[19]. Le tribunal n’a donc pas à être convaincu que l’agression se soit produite mais plutôt qu’il est probable qu’elle soit survenue.
- La défenderesse invoque un arrêt de la Cour suprême rendu dans l’affaire Non-Marine Underwriters, Lloyd’s of London c. Scalera[20] pour soutenir que le fardeau de démontrer le consentement à une activité sexuelle revient à la partie dont on cherche à engager la responsabilité civile, en l’occurrence le demandeur.
- Or, ce principe découlant de l’arrêt Scalera ne s’applique pas en droit civil québécois.
- D’abord, de façon générale, l’importation de la jurisprudence de common law en droit privé appelle à une grande prudence[21].
- Ensuite, les fardeaux de preuve exposés dans l’arrêt Scalera, lesquels découlent d’une caractéristique persistante du droit relatif au délit de voies de fait, ne peuvent s’appliquer en droit de la responsabilité civile québécois, ce régime étant éminemment fondé sur la notion de faute[22]. Il ne peut donc y avoir réparation que si l’acte reproché s’écarte des normes de conduite qui s’imposent à son auteur[23]. La charge de prouver la faute – comme le préjudice et le lien de causalité – repose sur celui ou celle qui s’en prétend victime[24]. Ce fardeau demeure le même lorsque l’acte fautif revêt un caractère sexuel[25].
- En conséquence, il revient à la partie qui se prétend victime d’agression sexuelle de démontrer le défaut de consentement, à titre d’élément constitutif d’une faute civile. En matière de violence sexuelle, la question du consentement est intégrée dans celle de la faute. Dit autrement, s’il n’y a aucune preuve au dossier que l’acte en litige n’était pas consensuel, son caractère fautif n’est pas établi.
- La force probante du témoignage des parties est laissée à l’appréciation du tribunal[26]. Lorsque la preuve est diamétralement opposée et que la crédibilité des parties est un enjeu crucial, le tribunal doit se prononcer et trancher[27].
- La partie qui allègue la commission d’un acte fautif à son endroit doit témoigner de son expérience des faits afin de mettre en preuve qu’elle n’a pas consenti à l’acte reproché. L’absence de consentement est subjective et déterminée par rapport à l’état d’esprit dans lequel se trouvait la plaignante au moment de la commission du geste[28]. Elle peut également administrer d’autres éléments de preuve tendant à démontrer qu’il y a eu absence de consentement.
- À l’inverse, la partie adverse, le demandeur, peut faire valoir toutes les circonstances qui tendent à nier l’existence d’une faute[29] et ainsi, soumettre sa propre preuve afin de réfuter les allégations d’agression sexuelle ou d’attaquer la crédibilité du témoignage de la victime présumée[30].
- Afin de déterminer la force probante de la preuve, le tribunal doit évaluer la crédibilité et la fiabilité de la version de chaque partie au regard, notamment, de contradictions, invraisemblances, incohérences, nuances ou encore de corroboration ou de confirmation découlant d’autres éléments de preuve, dont la preuve documentaire.
- En présence de versions contradictoires, le rôle du tribunal ne consiste pas à choisir un témoignage plutôt qu’un autre, mais à déterminer, au terme d’un exercice d’évaluation et de pondération des forces et faiblesses des récits et de l’ensemble de la preuve, de leur cohérence et de leur vraisemblance, lequel franchit la barre de la prépondérance des probabilités. La preuve doit être claire et convaincante pour satisfaire ce critère.
- Dans N. N. c. Mercure[31], la juge Guylaine Duplessis résume les principes applicables à l’appréciation de la crédibilité de la preuve testimoniale dans le contexte d’un recours de nature similaire :
[25] L’appréciation des témoignages relève de la discrétion judiciaire qui s’attarde à la crédibilité du témoin et à la fiabilité de sa version, au regard de l’ensemble de la preuve.
[26] La crédibilité et la fiabilité réfèrent à la personne et à ses caractéristiques. Le tribunal prend en considération plusieurs éléments, dont l’attitude générale du témoin, les contradictions, son honnêteté, son intelligence, son jugement, sa franchise, sa partialité, la précision de ses propos, ses réticences, la rancune, le caractère évasif de ses réponses et la vraisemblance du récit.
[27] La crédibilité réside dans la sincérité du témoin, son désir de dire la vérité comme il croit qu’elle est.
[28] La fiabilité, quant à elle, tourne autour de la question de savoir si ce que le témoin dit est effectivement exact. La fiabilité s’établit à partir de critères comme la capacité du témoin d’observer, de se souvenir et de raconter les événements en question.
[29] Évidemment, un témoin dont le témoignage n’est pas crédible sur un élément donné n’est pas fiable au sujet de cet élément. Cependant, un témoignage crédible, rendu par un témoin qui dit honnêtement ce qu’il croit être vrai, peut s’avérer inexact.
[30] C’est donc dire que la force probante qu’accordera le tribunal aux témoignages entendus est déterminante au regard de la démonstration des éléments constitutifs du fardeau de preuve de la partie qui recherche une condamnation.
[31] Dans son appréciation de la valeur probante des témoignages en matière d’agression sexuelle, le tribunal doit être sensible et tenir compte des potentielles incidences psychologiques que de tels traumatismes peuvent avoir sur les victimes.
(Références omises)
- Enfin, dans son appréciation de la preuve et de la valeur probante des témoignages, le tribunal doit se garder de se baser sur des mythes et stéréotypes concernant les victimes de violence sexuelle ou de tirer des inférences reposant sur de tels préjugés[32]. Les mythes et stéréotypes constituent de fausses conceptions ou représentations quant au comportement attendu d’une victime d’agression sexuelle et englobent des idées et des croyances très répandues qui ne sont pas vraies empiriquement[33].
- L’article 2858.1 C.c.Q. crée d’ailleurs une présomption de non-pertinence à l’égard de la preuve de faits pouvant être reliés à des mythes et stéréotypes, notamment le fait que la personne prétendue victime de la violence n’ait pas demandé que le comportement cesse, qu’elle soit demeurée en relation avec l’auteur allégué de la violence ou qu’elle ait tardé à dénoncer la violence alléguée, à exercer un recours ou à porter plainte.
- Cette disposition récente est d’application immédiate bien qu’il était déjà impossible de tirer des inférences fondées sur les mythes et stéréotypes avant l’entrée en vigueur de cet article[34].
- Entre 2012 et 2017, les parties ne se sont rencontrées physiquement qu’à trois occasions : le 30 septembre 2012 et le 3 janvier 2013, seules, au domicile de la défenderesse et le 13 novembre 2014 lors d’une conférence de presse tenue à l’hôtel Reine Elizabeth à Montréal, en présence de tiers et de journalistes.
- À l’exception de quelques conversations téléphoniques, elles ont surtout échangé par écrit, sur les réseaux sociaux et par courriel et toutes ces communications, privées et publiques, sont produites en preuve, de consentement[35]. La défenderesse conserve tous les échanges et enregistre plusieurs conversations, avec le demandeur et avec des tiers, qu’elle dépose également au dossier de la Cour.
- La chronologie des événements et les multiples échanges entre les parties, et pour certains, entre la défenderesse et des tiers, sont essentiels à l’appréciation des faits allégués et des témoignages, à l’évaluation de leur force probante et à l’analyse des questions en litige.
- En décembre 2011, la défenderesse initie un premier contact par écrit auprès du bureau du demandeur, alors sénateur, afin de lui exposer sa vision sur le système de justice criminelle[36]. Cette démarche demeure sans suite.
- Le 13 septembre 2012, la défenderesse écrit au demandeur, sur son compte public Facebook au Sénat. Elle l’informe de son vécu d’enfant victime d’actes criminels et d’entrave à la justice de la part de policiers. Le demandeur lui répond, s’intéresse à son histoire et propose qu’ils se parlent le soir si elle est disponible[37].
- Le 16 septembre 2012, ils discutent de vive voix pour la première fois au téléphone, échange que la défenderesse qualifie de respectueux et amical[38]. Elle en est très heureuse. Le demandeur écrit à la défenderesse avoir été impressionné par sa prestation téléphonique et avoir hâte de poursuivre ses échanges avec elle[39].
- Le lendemain, le demandeur lui écrit par courriel : "Je ne veux pas trop vous accaparer…votre conjoint va être choqué…". La défenderesse lui répond qu’elle vit bien tranquille toute seule et recentre l’entretien sur le sujet de la justice et ses démarches [40].
- Le soir même, en toute fin de soirée, le demandeur envoie le message suivant à la défenderesse[41] :
Merci pour dernier message. Je vous avoue que depuis notre dernier échange téléphonique je suis tout à fait curieux par rapport à votre passé et surtout par rapport à l’énergie spirituelle que m’a envoyé notre conversation. Vous m’avez touché vraiment et je suis persuadé que quelque part nous devons nous rencontrer. Pourquoi. Sans doute pour unir nos énergies pour pousser plus en avant la cause des victimes. Je suis persuadé que nous allons faire une bout de chemin ensemble. Comment. Je ne sais pas. Mais ce sera ensemble[42].
- Le 18 septembre en matinée, la défenderesse répond au demandeur que son message la touche beaucoup et elle termine son courriel par la phrase suivante[43] :
Ce sera un honneur de me battre à vos côtés M. Boisvenu, vous pouvez compter sur moi, promis.
- Les deux parties témoignent ensuite de leur intérêt mutuel à se rencontrer en personne[44].
- Le 23 septembre 2012, la défenderesse transmet au demandeur un long courriel portant sur la Charte canadienne et conclut en lui réitérant son intérêt à le rencontrer pour lui remettre un document sur lequel elle a beaucoup travaillé[45].
- Le demandeur manifeste sa hâte de la rencontrer pour en discuter face à face[46].
- Le 30 septembre 2012, le demandeur informe la défenderesse qu’il passera dans son coin le jour même et qu’il pourrait faire un arrêt quelques minutes chez elle, ce que la défenderesse accepte avec enthousiasme[47].
- La défenderesse est propriétaire d’une grande résidence en forme de L, qui compte deux entrées, l’une privée, l’autre qui donne accès au salon où elle enseigne la musique. C’est dans cette dernière section de sa résidence qu’elle accueille le demandeur. Ils s’assoient chacun à l’extrémité d’un divan trois places, de biais. Leur rencontre est qualifiée, autant par l’un que par l’autre, d’amicale, agréable et respectueuse.
- Ils échangent pendant plus de deux heures sur divers sujets liés au système judiciaire et à leur mission commune. Le demandeur s’ouvre aussi avec émotion sur les circonstances tragiques du décès de sa fille Julie. Ils discutent également de leurs relations passées et le demandeur, de sa séparation conjugale. La rencontre se termine par une poignée de main.
- À la suite de leur première rencontre, les parties échangent de manière régulière et leur relation devient plus amicale. La défenderesse utilise la première son prénom suivi de xx en signature de ses courriels. Le demandeur alterne entre le tutoiement et le vouvoiement et emploie également les xx[48]. Tous deux témoignent de leur souhait de se revoir[49].
- Les xxxxx augmentent, à l’initiative de la défenderesse, auxquels le demandeur répond, la plupart du temps dans le cadre d’échanges portant sur leur mission commune pour les victimes d’actes criminels et contre la violence faite aux enfants[50]. Les parties passent éventuellement au tutoiement mutuel.
- Le 7 novembre 2012, en réplique à un courriel de la défenderesse parsemé de multiples x dans lequel elle écrit : "Merci, ça fait des mois que j’ai pas ri de bon cœur !!!", le demandeur répond[51] :
Il me semble à compter tes X qu’il y a des mois que tu n’as pas été embrassée de bon cœur :-)
- Ce commentaire suscite la réponse suivante de la défenderesse[52] :
Hi hi… commentaire fort intéressant… disons que … j’avoue que j’ai une écœurantite aigüe généralisée des vrais becs et de tout le reste… séquelles compréhensibles… mais à de rares personnes que je choisis, j’aime leur faire savoir que je les aime et que s’ils n’existaient pas,,, ma vie serait encore moins belle…
- Le demandeur la remercie pour ce dernier message et précise qu’il sent qu’il s’adresse un peu à lui[53]. Le courriel suivant de la défenderesse débute par[54] :
Allo X joue gauche… X joue droite… :-)
- Le 26 novembre 2012, en soirée, lors d’un long échange sur Facebook avec la défenderesse tenu entre 20h30 et environ 00h10, le demandeur s’ouvre sur les difficultés de sa vie amoureuse. La défenderesse se montre empathique. En réponse à une question du demandeur, elle explique que dans son expérience, les hommes n’ont jamais été ses complices. Il la complimente, lui écrit qu’elle est brillante et belle et la conversation devient plus personnelle[55] :
Le demandeur : Je t’avoue Sylvia en toute franchise et pardonne-moi si je suis franc avec toi sur ce sujet. Quand je t’ai rencontrée la première fois, tu m’as beaucoup plus. Je vous trouve très belle et très femme. Alors c est dit. 😊
La défenderesse : Merci… et crois-tu qu’on pourrait être amis? Ou tu chercher un copine à tout prix?
Le défendeur: Absolument pas.. je ne cherche pas une copine à tout prix comme tu dis. Je prends un brave...😊. Être amis.. je crois que nous le sommes déjà. Je t ai juste exprimé mes observations toute masculines…excuse-moi de l’avoir fait. ☹
La défenderesse : ne t’excuse pas du tout !!! c’est juste que je suis tellement peureuse…
Le demandeur : Merci
La défenderesse : J’apprécie beaucoup avoir la chance de te connaître et je suis impressionné par ta personnalité! Pour moi l’amitié, c’est beaucoup plus que ce qu’on a là…
- La conversation se poursuit sur le ton de la confidence. Le demandeur s’excuse "si ses propos sont trop personnels". La défenderesse répond qu’elle est très à l’aise avec lui, qu’il ne la gêne pas. Le demandeur mentionne l’envie de partager un thé avec elle et qu’il n’hésiterait pas sur son trajet entre Montréal et Ottawa, à arrêter (chez elle) en prendre un. Cet échange s’ensuit :
La défenderesse : Ouiiiiiiiii!!
Le demandeur : ce oui est presque un cri d’invitation. Attention. 😊
La défenderesse : attention à quoi…
Le demandeur : je suis heureux que tant de gens soient sur votre page Aurore[56]
À l’homme que je suis 😊
La défenderesse : Il y en a davantage sur la tienne…Et 778 sur la page soutien à Isabelle presqu, autant que tout le monde en parle…
Tu crois que je dois avoir peur de l’homme que tu es?
Le demandeur: Bravo
La défenderesse : Je repose ma question… tu crois que je dois avoir peur de l’homme que tu es?
Le demandeur : Non pas du tout. Tu n’as aucune crainte à avoir.. je blaguais…mais je pourrais oser vous voler un baiser 😊 au hasard de notre conversation et à la douceur du thé que vous m offrirai
La défenderesse : Pierre…je ne veux tellement pas avoir l’air d’un Iceberg…mais…
Le demandeur: Mais
Et je ne vous sens pas comme un iceberg sois dit en passant
Vous êtes une femme tout à fait impressionnante et remplie d une mission qui vous rend différente
[…]
La défenderesse :
Le petit baisé volé m’a fait peur… lorsque je dis que je suis seule depuis août 2011, c’est vraiment seule, et je ne suis pas à la mode
Mon ex a eu beau se réessayer, et mon autre ex aussi…
Le demandeur : Ce n’est pas une question de mode. C’est une question de choix et je vous comprends. Quant au baiser, soyez sans crainte…je sais me retenir 😊.
je vous taquinais
La défenderesse : 😊
- La défenderesse évoque ensuite son désir de terminer la conversation, l’heure est tardive et elle souhaite aller se coucher. Elle précise :
La défenderesse : (…) merci pour cette belle soirée, et au plaisir de te revoir, puisque tu sais te retenir… 😊
Le demandeur : (…) 😊 je me retiens en tout Soyez sans crainte.
- La défenderesse invite ensuite le demandeur à la contacter s’il passe "par ici", que ce sera un plaisir. Leur conversation reprend de plus belle et porte sur leur mère respective et sur la famille du demandeur. Celui-ci manifeste son admiration pour sa mère et ajoute :
Alors pour moi la femme est un trésor, le plus beau trésor que Dieu a offert à l’homme
A lui de le protéger
- Les parties mettent éventuellement un terme à leurs échanges, passé minuit. Elles se remercient mutuellement pour la belle soirée[57].
- Lors de son témoignage, le demandeur explique qu’il ne percevait aucune réticence de la part de la défenderesse, qu’il y avait une certaine réciprocité sur le plan affectif et qu’il ne sentait pas que son comportement ou ses propos étaient déplacés. Il la sentait réceptive. Il était impressionné par elle et par son charisme et il considérait possible une relation avec elle.
- La défenderesse offre une version ou perception différente de la situation. Elle n’éprouve aucune attirance physique envers le demandeur, au contraire. En cours de témoignage, elle dresse une comparaison entre l’âge et le physique du demandeur, et ceux de son ancien compagnon, un adepte du culturisme et retraité de la GRC[58]. Elle qualifie le demandeur de "pauvre vieux monsieur qui vivait des choses difficiles". Dans ses communications, elle cherche à le recadrer tout en préservant la relation car leur collaboration mutuelle était importante pour elle.
- Leurs communications par courriel et Facebook se poursuivent par la suite sur une base fréquente, principalement sur le sujet de la cause des victimes, jusqu’au 14 décembre 2012[59].
- À cette date, dans le cadre d’échanges entre diverses personnes, incluant les parties et l’abbé Raymond Gravel, sur la page publique du demandeur, celui-ci invite les intervenants à plus de retenue dans les propos publiés, précisant que cette page n’est pas le lieu de déversement de frustrations l’un envers l’autre[60].
- La défenderesse se sent directement visée par ce reproche qu’elle perçoit comme une forme de représailles[61]. Elle écrit le même soir au demandeur, par courriel, qu’elle a vu qu’il n’avait pas aimé ses propos, qu’elle n’écrirait plus sur ses pages et qu’elle avait compris[62].
- À une amie Facebook, Shanna Anderson, avec laquelle elle échange deux jours avant, la défenderesse tient des propos plus acerbes envers le demandeur et écrit à son amie qu’une semaine auparavant, le demandeur, qu’elle connait personnellement, lui a fait "de grosses avances"[63] :
(…) s’il veut me frencher, il ira voir ailleurs.
(…) et puis… jamais je ne lui ai dit qu’il m’intéressait. Il est venu chez moi parce que je l’ai contacté en tant que victime pour défendre la cause des enfants. Il m’a fait des avances par messages. Pourtant, il sait qu’à cause de ce que j’ai vécu je préfère être seule.
(…) disons que j’ai pleuré un bon coup… c’était lundi soir le 26 novembre
(…) en tout cas, je vais avoir une bonne raison pour refuser sa visite la prochaine fois qu’il passe dans mon coin…
- Le 16 décembre suivant, la défenderesse correspond sur Facebook pour la première fois avec un dénommé Éric Boisvert. Elle tient encore des propos fort négatifs envers le demandeur et confie à son interlocuteur un "secret", soit que le demandeur lui a envoyé "des avances claires et net" et qu’elle lui a "mis les points sur les "i". Elle précise qu’elle n’a pas le choix d’entretenir avec lui un genre d’amitié car la cause des enfants passe avant tout[64].
- Les parties n’ont aucune communication par la suite jusqu’au 31 décembre 2012 alors que la défenderesse, percevant un froid, prend l’initiative de souhaiter au demandeur, par courriel, une belle année 2013[65].
- Le demandeur lui répond le lendemain, la remercie et lui indique qu’il espère lui "faire la bise cette semaine en passant"[66].
- L’échange suivant s’ensuit, en date du 1er janvier 2013[67]:
La défenderesse : Merci mon préféré !!!
Ce serait un plaisir! Est-ce que tu aimes le vin rouge? Il faut bien trinquer à cette nouvelle année n’est-ce pas?
Sylvia xx
Le demandeur : Allo
Humm. Seulement qu’une coupe si non je ne pourrai reprendre la route 😊.
La défenderesse : Hi hi hi … j’offre aussi le gite si jamais le vin est trop bon 😊.
Le demandeur : Ca aussi c’est dangereux 😊.
La défenderesse : ;-)
- Les parties conviendront finalement de se voir le matin du 3 janvier. Le demandeur précise qu’il ne pourra pas rester longtemps, le temps d’un café.
- Cette rencontre se déroule en matinée le 3 janvier 2013 au domicile de la défenderesse.
- Le demandeur témoigne qu’il se présente par l’entrée privée de la résidence et non par celle de l’école de musique. La rencontre dure approximativement une heure trente minutes. Ils boivent du vin, ensuite du thé. Ils sont assis de biais sur le même divan, à une trentaine de centimètres. Environ 10 à 15 minutes avant son départ[68], un rapprochement naturel s’effectue, il lui touche la main et il lui dit : "je pense que je vais voler ce baiser". Il lui met ensuite les deux mains sur les épaules, il s’approche, elle également et ils échangent un baiser de courte durée au cours duquel il est possible que sa langue ait pénétré une ou deux secondes. Il s’agit d’un beau moment, réciproque. Le climat est serein, la défenderesse ne manifeste aucun malaise. Ils poursuivent leur conversation par la suite pendant plusieurs minutes, sur divers sujets, "comme deux personnes qui s’apprécient". Il quitte ensuite, la défenderesse est souriante, elle parait sereine. Ils se laissent comme deux bons amis.
- Selon la version de la défenderesse, le demandeur, à l’instar de la première rencontre, se présente par l’entrée de l’école de musique. Il est environ 12h30. Il quitte vers 12h50, donc la rencontre dure à peine une vingtaine de minutes. Ils échangent sur plusieurs sujets, notamment le voyage du demandeur dans le sud, ses plongées sous-marine, le manuscrit dont elle est l’auteur[69] et les coordonnées d’un sergent que le demandeur connait. Ils ne boivent que du thé.
- Au moment du départ du demandeur, dans la salle d’attente de l’école de musique, il lui saute dessus, l’enlace, se colle contre elle, met sa langue dans sa bouche, lui tripote les fesses, bouge ses hanches, met ses doigts sous la dentelle de sa jupe, avec une respiration hyper forte. Le tout dure environ dix secondes.
- La défenderesse fige d’abord mais ensuite, lève ses mains et recule. Elle prend le cartable contenant son manuscrit et le place devant elle. Elle lui sourit ensuite pour éviter un malaise, lui souhaite bon voyage et reparle brièvement de plongée sous-marine. Il semble perplexe, met son manteau et quitte. Elle barre la porte derrière lui.
- L’instant d’après, elle retourne à son ordinateur pour reprendre un échange avec une amie, Mireille Grenier, entrepris tout juste avant l’arrivée du demandeur.
À 12h53, elle répond aux derniers messages transmis par son amie entre 12h11 et 12h17. Celle-ci lui demande : "ta visite est-elle arrivée?" La défenderesse répond: "oui et repartie, petite courte visite! un ami."[70]
- À 12h58, donc dans les minutes suivant son départ de la résidence de la défenderesse, le demandeur lui écrit, de sa voiture:
Je m excuse. J’aurais du faire preuve de plus de retenu.
- La défenderesse ne répond pas.
- À 13h01, il ajoute :
Merci pour le thé
Prends soin de toi
Je vais lire ton livre en voyage
- À 13h12, la défenderesse écrit :
Ne t’excuse pas du tout s.v.p.… tout le plaisir fut pour moi… ;-).
- L’échange suivant s’ensuit :
Le demandeur (13h14) : Oui. J’ai senti. Un peu précipité dans les conditions. Non?
La défenderesse (13h15) : Merci pour cette très belle visite, sois très prudent dans tes plongées, profite du beau ciel bleu, de la mer, de la chaleur et du soleil… et sois très prudent… (je me répète…)
Sylvie xx
La défenderesse (13h17) : Précipité? Non…je me souviens plutôt que c’était très doux… ;-)
- Le demandeur explique lors de son témoignage qu’il souhaite par ses questions s’assurer que son initiative ne créerait pas un malaise dans leur amitié, qu’il désire connaitre la réaction de la défenderesse face au "vol de baiser". Il souhaite valider qu’elle se sent bien et que le geste posé ne l’a pas blessée ni offusquée. Il est réconforté par ses réponses.
- Pour sa part, la défenderesse exprime, en pleurant, qu’elle a "marché sur elle-même", qu’elle est alors en état de choc mais qu’elle ne peut pas lui dire qu’elle ne l’excuse pas, car s’il se sent humilié, leur collaboration va se terminer.
- Cette conversation écrite a lieu alors que le demandeur est en route, au volant de sa voiture. Il ne peut préciser s’il s’était arrêté pour écrire mais il confirme qu’il lui arrivait de texter au volant à l’époque, plus maintenant.
- Préalablement à leur rencontre au domicile de la défenderesse, le demandeur propose à la défenderesse d’ouvrir un compte msn, ce qu’elle accepte[72]. Selon lui, il s’agit d’un moyen de communication plus pratique et instantané[73]. À 13h18, à la suite des échanges reproduits précédemment, le demandeur invite la défenderesse à "ouvrir son msn", ce qu’elle fait. Les messages sur msn ne se conservent pas et ne sont donc pas produits en preuve.
- La défenderesse soutient que le demandeur lui a décrit ses fantasmes sexuels sur msn à la suite de leur rencontre et qu’elle est parvenue à l’amener à changer de sujet. Toutefois, vers 17h, toujours sur msn, il lui aurait demandé de lui parler de ses propres fantasmes sexuels. Elle met fin à ces échanges sur msn, en état de choc. Elle en vomit.
- À 18h02, elle lui écrit le courriel suivant[74] :
Désolée. Mes rêves sont secrets…
Xx
- Cette version est niée par le demandeur qui évoque que leurs échanges sur msn portaient sur des sujets liés à leurs intérêts communs. Il précise qu’il lui a possiblement demandé de lui parler de ses rêves de vie, mais pas de ses rêves intimes.
- Le lendemain 4 janvier 2013, en début d’après-midi, la défenderesse écrit[75] :
J’espère que tu vas bien, merci encore pour l’après-midi magique, prends bien soin de toi,
Sylvia xx
- Le demandeur la remercie pour ce beau message[76].
- La défenderesse explique au Tribunal l’usage du mot "magique" comme suit : selon elle, le demandeur était passé du "monsieur gentil" à une personne monstrueuse lors de cette rencontre, ce qui relève de la magie comme dans Harry Potter.
- Le 5 janvier 2013, la défenderesse lui souhaite à nouveau un bon voyage et l’invite à la prudence dans ses plongées, précisant qu’il est un "homme très précieux"[77].
- Le 6 janvier 2013, la défenderesse reçoit un message Facebook de la secrétaire du demandeur, Isabelle Lapointe, avec laquelle il entretenait alors une liaison. Mme Lapointe initie la conversation comme suit[78] :
Tu l’aimes mon boss toi!!
- Dans le cadre de leurs échanges, la défenderesse apprend que le demandeur est en voyage avec son épouse et non pas seul comme il le lui avait laissé entendre lors de leur rencontre du 3 janvier. Elle réalise également qu’il entretient toujours une relation avec Mme Lapointe.
- Le 14 janvier 2013, la défenderesse envoie un courriel au demandeur lui souhaitant bon retour de voyage[79].
- Le lendemain, elle lui écrit ceci au sujet de son échange avec Isabelle Lapointe[80] :
Bonjour Pierre,
Je ne veux pas te déranger longtemps…mais juste clarifier un peu si tu me le permets…
Dimanche le 6 janvier dernier, Isabelle Lapointe m’a envoyé un message personnel facebook plutôt étrange mais très clair…disant que tu es parti dans le sud avec ta femme… (et non pas ton ex-femme). De plus, selon ses propos, Isabelle semble être ta copine (et non pas ton ex-copine).
Rassure-toi, je ne suis pas fâchée contre toi, et je suis certaine que tu as tes raisons pour avoir agit avec moi de la sorte. Je n’ai absolument rien dit à Isabelle bien sûr.
J’aime quand les choses sont vraies et sans mensonges. J’espère qu’on sera encore amis, et je respecte tout autant qui tu es, crois-moi.
Je te souhaite beaucoup de paix dans ta vie, clarté dans ton cœur, et une très belle semaine.
Sylvia
- Le 16 janvier 2013, en réponse à ce courriel, le demandeur explique comme suit sa situation matrimoniale et affective[81] :
Bonjour,
Effectivement depuis ma séparation avec diane j’avais une liaison avec Isabelle. Comme je te l’expliquais, les règles du senat sont précises à ce chapitre.
Quant a ma situation avec diane. Nous sommes séparés depuis un an et négociations un divorce depuis cet automne.
Je te demande donc discretion avec mon personnel.
Quant à mon voyage, j’y etais avec Diane pour determiner si vraiment savoir si tout était fini. Tu comprendras qu’après 43 ans de vie commune, c’est très difficile pour tout le monde cette separation
Voilà
- La défenderesse le rassure de sa compréhension et de sa discrétion et le remercie d’avoir pris le temps de lui répondre[82].
- Par la suite, la défenderesse maintient ses contacts avec le demandeur. Au cours des mois et des années suivantes, elle lui procure du support lors des périodes difficiles qu’il traverse (médiatisation de sa relation avec son adjointe, son divorce, sa séparation avec Isabelle Lapointe[83], plainte contre lui au BCSE pour des dépenses injustifiées, décès de son frère jumeau)[84]. Elle sollicite aussi sa collaboration et son implication dans ses divers projets visant à obtenir justice pour les enfants maltraités et abusés.
- De son côté, le demandeur procure à la défenderesse du soutien et son apport, directement et via son bureau et ses contacts, dans ses démarches en lien avec une pétition intitulée "Justice pour les enfants agressés et assassinés"[85] qu’elle lance le 11 février 2014 et qu’elle souhaite déposer au Sénat, à la Chambre des communes et à l’Assemblée nationale[86]. Notamment, le 18 février 2014, le demandeur affirme sur les ondes de Radio X, à l’émission de Roby Moreault que l’objectif visé est de 50 000 signatures afin de lui permettre de déposer la pétition au Sénat[87]. Il accepte de promouvoir la pétition lors de points de presse.
- Lorsqu’il lui propose une rencontre chez elle le 14 mai 2013, elle accepte de le revoir[88]. Elle le réinvite chez elle le 8 août 2013[89]. Ces visites ne se concrétisent pas. La défenderesse affirme lors de son témoignage qu’elle se serait trouvé une défaite si le demandeur avait confirmé sa visite, de crainte de se retrouver seule avec lui à nouveau.
- Les parties ne se reverront physiquement qu’à la conférence de presse organisée par la défenderesse, à laquelle le demandeur et Me Marc Bellemare participent, le 13 novembre 2014 à l’hôtel Reine Élizabeth à Montréal[90].
- La défenderesse soutient qu’en raison de la crainte qu’elle éprouve envers le demandeur à la suite de l’événement du 3 janvier, elle retient les services d’une agence de sécurité pour cette conférence de presse tenue dans un lieu public. Cependant, dans le cadre d’un échange préalable avec le demandeur, la défenderesse explique qu’elle n’a pas le choix d’avoir un agent de sécurité à la porte lors de cette conférence "afin que personne n’y sème le chaos"[91], dans le contexte d’un conflit avec une dame dont elle disait subir du harcèlement.
- En mars 2015, la pétition atteint 48 500 signataires et la défenderesse demande au demandeur s’il est possible de la présenter au Sénat[92]. Le demandeur lui répond et lui soumet ses commentaires détaillés[93].
- Le 29 août 2017, la défenderesse demande au demandeur d’écrire la préface de son livre, ce qu’il accepte[94].
- Le 11 octobre 2017, la défenderesse informe le demandeur que sa pétition a recueilli plus de 63 000 signatures[95]. Elle est prête à la déposer au Sénat. Le 13 octobre suivant, le demandeur lui répond que la présentation de la pétition au Sénat ne lui apportera aucune visibilité puisque les séances ne sont pas télévisées contrairement à la Chambre des communes. Comme elle ne peut pas déposer la pétition aux deux chambres, elle doit faire un choix. Il propose de la mettre en contact avec un député conservateur. La défenderesse lui répond qu’elle tient à un dépôt au Sénat, institution prestigieuse dont les membres ont un pouvoir intellectuel. Le demandeur lui dit qu’il doit vérifier la procédure[96].
- Le lendemain, la défenderesse se plaint de l’absence de réponse du demandeur et effectue un rappel public sur sa page Facebook de ses promesses faites en ondes de déposer sa pétition au Sénat, à la Chambre des communes et à l’Assemblée nationale[97]. Le demandeur n’apprécie pas cette pression sur le dépôt de la pétition et le manque de discrétion de la défenderesse. Il lui rappelle qu’il ne peut rien faire pour la Chambre des communes ni l’Assemblée nationale et qu’il vérifie les règles pour le Sénat[98]. La défenderesse publie ce message du demandeur sur sa page Facebook, reprochant au demandeur son "message inacceptable" dans le but de la "faire taire"[99]. S’ensuit un échange entre les parties sur la page Facebook de la défenderesse où le demandeur lui reproche son attitude agressive. Selon elle, il s’agit plutôt d’une discussion nécessaire qui se doit d’être publique[100].
- Le même jour, le demandeur, par l’intermédiaire de son directeur parlementaire François Delisle, lors d’une conversation téléphonique avec la défenderesse que celle-ci enregistre, cherche à obtenir qu’elle retire ses publications de son site Facebook. En contrepartie, il vérifiera les procédures pour le dépôt de la pétition au Sénat et à la Chambre. La défenderesse refuse le retrait de ses publications dont elle minimise la portée négative. Elle fait mention à M. Delisle lors de cet entretien de choses inacceptables et inappropriées que le demandeur a faites en privé chez elle, qu’elle n’a pas l’intention d’en parler mais qu’elle espère qu’il respectera sa promesse[101].
- C’est à la suite d’échanges tendus entre les parties au sujet de cet entretien avec M. Delisle que la défenderesse reproche pour la première fois au demandeur les gestes posés le 3 janvier 2013[102]. Celui-ci tente de calmer le jeu mais en vain. Le 17 octobre 2017, la défenderesse le menace de publier un article intitulé "Sans parole et vieux cochon", précisant qu’il "marche sur des œufs". Insatisfaite de la réponse du demandeur qui fait mention de chantage et d’approche qui "frise le criminel", la défenderesse avise le demandeur qu’un journaliste très connu a déjà tout entre les mains[103].
- Par la suite, le demandeur allègue que la défenderesse a publié des allégations diffamatoires à son endroit, dont le contenu sera analysé sous la section Diffamation.
- En novembre 2017, la défenderesse prend connaissance d’une publicité du gouvernement du Québec incitant les victimes d’agression sexuelle à dénoncer et d’un document gouvernemental sur la définition d’une agression sexuelle et ses conséquences[104]. En octobre 2017 et en janvier 2018, elle porte plainte contre le défendeur respectivement au BSCE et à la SQ, pour agression sexuelle.
- Les deux parties s’expriment avec éloquence et aisance.
- Le témoignage du demandeur est sobre et concis, quoique vague et contradictoire à certains égards, ce qui porte atteinte à la crédibilité de son récit. Nous y reviendrons.
- À l’opposé, la défenderesse est ultra préparée, connait les pièces et les pages par leur numéro et est très précise et rigoureuse dans son témoignage. Elle calcule le nombre de messages et le nombre d’occasions où elle a dû mettre ses limites ou blâmer le demandeur; elle interprète les propos échangés avec lui et des tiers selon sa perception de la situation. Il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une analyse rétrospective ou d’un véritable souvenir contemporain de la signification de ses messages.
- De plus, elle s’exprime de manière quelque peu théâtrale et son témoignage est entrecoupé de pleurs qui paraissent, par moments, feints ou exagérés. Nous en traiterons au chapitre des dommages.
- Les échanges du 7 novembre 2012[105] et en soirée du 26 novembre 2012[106], les propos alors tenus par le demandeur, ses questions sur la vie affective de la défenderesse, ses compliments sur son intelligence et sa beauté intérieure et extérieure et ses confidences sur sa propre vie affective, ne correspondent aucunement à des propos à caractère sexuel, répétitifs ou graves, de nature à constituer une faute civile envers la défenderesse. Il s’agit tout au plus de flirt de la part du demandeur. Ils ont pu être la source de malaises, d’inconfort ou même d’une certaine crainte chez elle mais ils ne correspondent pas à des actes répréhensibles de nature à représenter du harcèlement sexuel.
- Il en va tout autant des commentaires du demandeur lors des échanges entre les parties en date du 17 mars 2013[107], que la défenderesse interprète en isolant certains mots ou expressions pour en conclure qu’il s’agit d’harcèlement sexuel[108], ce qui n'est pas le cas au regard d’une lecture intégrale de la conversation.
- Quant aux échanges avec le demandeur sur msn le 3 janvier 2013 suivant leur rencontre, la preuve est contradictoire et ne repose que sur le témoignage des parties. Le commentaire écrit de la défenderesse mettant fin à cet échange en invoquant le caractère secret de ses rêves tend à confirmer la nature sexuelle des propos du demandeur mais ne permet pas de conclure à du harcèlement sexuel envers elle. La preuve testimoniale de la défenderesse ne convainc pas, selon la balance des probabilités, qu’il y ait eu de la part du demandeur lors de cet échange, communication répétitive de propos inappropriés envers elle.
- Les reproches d’harcèlement sexuel ne sont pas fondés.
- Le Tribunal doit déterminer si, selon la balance des probabilités, lors de la rencontre entre les parties le 3 janvier 2013, au domicile de la défenderesse, il y a eu échange d’un baiser entre deux personnes consentantes ou plutôt une agression sexuelle, soit un ou des gestes de nature sexuelle, posés par le demandeur sur la défenderesse, sans le consentement de celle-ci.
- La version des faits des parties sur la rencontre du 3 janvier 2012 converge sur certains aspects (le contenu de leurs discussions, la remise du manuscrit de la défenderesse, le partage d’un thé, leur position physique sur le divan). Il est aussi admis qu’il y a eu un baiser initié par le demandeur.
- Pour le reste, le récit diverge et pour la plupart des éléments contradictoires, la version de la défenderesse est plus fiable. Notamment :
[134.1] L’heure d’arrivée du demandeur : il indique être arrivé vers 11h (en chef), plutôt vers 11h30-11h45 (en contre-interrogatoire) et que la rencontre a duré environ une heure trente minutes; or, les échanges sur Facebook entre la défenderesse et son amie Mireille Grenier précédant et suivant la visite du demandeur tendent à démontrer que celui-ci est arrivé au plus tôt vers 12h10 et a quitté vers 12h50[109]. De plus, le demandeur avait pris le soin d’informer la défenderesse qu’il ne pouvait pas rester longtemps, "le temps d’un café", ce qui confirme la version de la défenderesse sur la brièveté de la rencontre;
[134.2] Le partage de vin : le demandeur soutient que les parties ont bu du vin lors de sa visite avant de partager un thé; selon la défenderesse, elle n’a offert que du thé au demandeur; d’ailleurs, à quelques occasions par la suite, le demandeur lui écrit qu’il aimerait bien partager cette "fameuse bouteille de vin" avec elle[110]. Aussi, lorsqu’il lui écrit dans les minutes suivant la rencontre du 3 janvier 2013, il la remercie pour le thé[111].
[134.3] Le lieu de la visite : le demandeur soutient que cette rencontre se déroule dans la partie privative de la résidence de la demanderesse alors qu’elle a lieu au même endroit que lors de la rencontre de septembre 2012, soit dans la section de l’école de musique. En y ajoutant le partage de vin, le demandeur cherche à évoquer une atmosphère d’intimité que nie catégoriquement la défenderesse, plus crédible à cet égard.
- Fait plus important, le message spontané du demandeur, transmis à 12h58 dans les minutes suivant sa sortie de chez la défenderesse ("Je m excuse. J’aurais du faire preuve de plus de retenu") est déterminant et le Tribunal en tire une inférence défavorable au défendeur.
- Cet élément de preuve convainc, dans un premier temps, que l’événement allégué est survenu non pas sur le divan au cours de leur conversation comme le prétend le demandeur mais plutôt au moment de son départ, dans la salle de réception des élèves, comme le soutient la défenderesse, pour les motifs suivants.
- Le témoignage du demandeur à ce sujet est contradictoire : en interrogatoire en chef, il précise que l’échange du baiser survient alors que les parties sont assises sur le divan du salon privé de la défenderesse, à la fin d’une rencontre d’une heure et demie. Il se lève ensuite, la remercie et lui annonce qu’il doit quitter. Elle parait sereine, précise-t-il, "le vol du baiser n’a pas été un drame". En contre-interrogatoire, sa version change et il ajoute dix à quinze minutes de conversation entre les parties, à la suite du baiser. Il décrit la situation comme étant chaleureuse et très douce, une conversation "entre deux personnes qui s’apprécient". Elle l’accompagne à la porte, souriante.
- Si tel est le cas, si la situation est aussi sereine et agréable qu’il la décrit, pourquoi envoie-t-il ce message d’excuse à la défenderesse pour son manque de retenue, dans les minutes suivant son départ? Pourquoi ne pas en discuter avec elle dès après l’échange du baiser, si leur conversation se poursuit ainsi pendant plusieurs minutes? Le récit du demandeur ne tient pas la route et porte à conclure que le baiser s’est produit au moment du départ.
- Ensuite, si tant est que le geste posé était pleinement consensuel et qu’il s’agissait d’un "beau moment romantique" comme il le décrit, il est pour le moins étonnant qu’il transmette à la défenderesse, dès après, ses excuses pour son manque de retenue et qu’il s’interroge si son geste n’était pas "précipité". Il se questionnait manifestement lui-même sur le consentement de la défenderesse, après le fait. Son explication voulant qu’il souhaitait valider auprès d’elle que le "baiser volé" ne l’avait pas blessée ou offusquée, appuie plutôt l’affirmation de la défenderesse que le geste n’était pas consensuel et qu’elle y a réagi négativement ou à tout le moins avec surprise, d’où la perplexité du demandeur à son départ et ses messages transmis dans les minutes subséquentes.
- Au surplus, le demandeur était clairement avisé au regard de ses récents échanges avec la défenderesse que celle-ci 1) était une victime d’actes criminels, incluant d’actes de nature sexuelle; 2) atteinte d’une "écœurantite aiguë généralisée des vrais becs et de tout le reste"; 3) avait eu peur "du petit baiser volé" et 4) le reverrait avec plaisir, puisqu’il "savait se retenir"[112].
- En initiant le contact physique avec elle, tel qu’il l’admet, le demandeur devait préalablement vérifier et s’assurer du consentement de la défenderesse, d’autant plus qu’elle l’avait clairement et maintes fois avisé lors de leurs communications antérieures, sans ambiguïté, qu’elle n’en avait pas du tout envie. Le récit du demandeur à cet égard est imprécis, évasif et se limite à une phrase prononcée dans les instants précédant le baiser : "Je pense que je vais te voler ce baiser" et à un rapprochement de la défenderesse, nié par celle-ci.
- Le témoignage du demandeur et ses messages suivant son départ le 3 janvier 2013 démontrent qu’il a vérifié, ou plutôt cherché à valider, le consentement de la défenderesse après son geste, et non avant. Aussi, le mot "volé", bien qu’il ait selon le demandeur une signification romantique, est défini dans son acception propre comme l’acte de prendre ce qui appartient à quelqu’un, contre son gré ou à son insu[113].
- Le demandeur invoque, subsidiairement, un argument de croyance sincère mais erronée du consentement de la défenderesse[114]. Ce moyen de défense est valable face à une accusation d’agression sexuelle portée en vertu du Code criminel (C.cr)[115]. Notre collègue le juge Enrico Forlini dans L.B. c. Sheehy[116] conclut que les dispositions pertinentes du Code criminel établissent une norme de conduite qui doit être considérée dans l’appréciation de la faute au sens de l’article 1457 C.c.Q. Le Tribunal partage cet avis.
- En vertu de l’article 265 (4) C.cr., un accusé peut, selon certaines conditions, démontrer qu’il croyait que la plaignante avait consenti aux actes reprochés. Il doit d’abord démontrer qu’une telle croyance est vraisemblable, qu’il a pris des mesures objectivement raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante et qu’il croyait sincèrement que celle-ci avait communiqué son consentement[117]. Il s’agit d’une question de fait.
- Les critères exposés par la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Pineault[118] recoupent la norme de conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, en plus d’accorder une place appropriée à l’interdiction des mythes et stéréotypes relatifs à la violence sexuelle dans l’évaluation de la croyance sincère.
- Bien que l’ensemble des principes et fardeaux découlant du droit criminel ne puissent pas être importés en bloc en matière civile, la croyance sincère mais erronée d’un défendeur à l’existence d’un consentement de sa victime alléguée – lorsque cette croyance est interprétée strictement, comme en droit criminel – constitue un fait susceptible d’écarter sa responsabilité extracontractuelle.
- Au regard des faits tels qu’établis par la preuve et surtout du témoignage du demandeur et de ses communications contemporaines aux faits reprochés, le Tribunal n’est pas convaincu selon la balance des probabilités, d’une croyance sincère du demandeur quant au caractère consensuel des gestes reprochés.
- D’une part, tel qu’indiqué, le récit du demandeur est vague et contradictoire à plusieurs égards sur la séquence et le déroulement des faits le 3 janvier 2013, ce qui affecte sa crédibilité. D’autre part, lorsqu’interrogé sur les raisons pour lesquelles il croyait au consentement de la défenderesse, il invoque d’abord un rapprochement physique de la défenderesse, sur le divan au cours de leur conversation, lorsque le demandeur s’est avancé vers elle pour initier le baiser. Le Tribunal écarte cette version pour les motifs évoqués plus haut et croit plutôt celle de la défenderesse voulant que le geste posé se soit produit dans la salle d’attente, les parties debout, au moment du départ du demandeur. Les excuses et l’usage du mot "précipité" par le demandeur lorsqu’il qualifie lui-même son geste dans les minutes suivant son départ tendent à établir qu’il ne s’est pas assuré de la volonté de la défenderesse d’y participer avant de l’initier.
- Au surplus, la preuve ne démontre pas que le demandeur a pris des mesures objectivement raisonnables avant d’entreprendre son geste pour s’assurer du consentement de la défenderesse, surtout au regard de leurs échanges du 7 et du 26 novembre 2012[119]. Le consentement doit être communiqué par des paroles ou des actes et le demandeur ne fait valoir aucun geste ni propos de la défenderesse lui permettant de croire qu’elle consentait au geste reproché. Le silence, la passivité ou le comportement équivoque de la défenderesse ne peuvent constituer des éléments de consentement à un contact sexuel avec le demandeur, quel qu’il soit.
- Enfin, le demandeur réfère aux réponses de la défenderesse à ses questions formulées dès après son départ, qui sont à son avis "réconfortantes". Le demandeur ne peut invoquer des faits subséquents au geste posé pour démontrer sa croyance sincère mais erronée au consentement de la défenderesse au moment où il initie cet acte intime.
- Par ailleurs, les réponses de la défenderesse aux messages transmis par le demandeur, en apparence rassurantes sur le caractère consensuel du geste posé, permettent-elles de confirmer son consentement aux actes reprochés, au moment de leur commission ? Le Tribunal ne le croit pas.
- D’une part, la défenderesse témoigne de son état de choc à la suite du contact initié par le demandeur mais aussi de sa crainte qu’un sentiment de rejet que provoquerait chez lui une réaction et des réponses négatives de sa part ne mette fin à leur collaboration pour la cause des enfants qui, pour elle, est précieuse et "passe avant tout"[120].
- D’autre part, ses déclarations postérieures ne peuvent, dans les circonstances précitées, représenter la reconnaissance subséquente d’un consentement concomitant au geste posé[121]. Ses propos écrits le lendemain quant à un "après-midi magique" et ses explications à cet égard[122] laissent perplexes mais ne permettent pas pour autant de conclure à un consentement de sa part au geste du demandeur. Ils confirment plutôt l’assertion de la défenderesse voulant qu’elle craignait que sa réaction au geste posé ainsi que sa réponse directe de la veille ("Désolée. Mes rêves sont secrets…")[123] ne froissent le demandeur et ne mettent fin à leur collaboration, d’où ses efforts pour maintenir le contact avec lui.
- Il n’existe pas de règle invariable sur la réaction attendue de la part d’une personne victime d’un acte sexuel non désiré. La défenderesse a choisi de poursuivre sa collaboration avec le demandeur en dépit du geste posé, ce qui ne démontre pas qu’elle y a consenti.
- Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que l’absence de consentement est établie selon la balance des probabilités.
- La défenderesse convainc qu’elle ne désirait pas le contact sexuel initié par le demandeur et qu’elle l’a subi contre son gré. Le Tribunal est également convaincu selon la prépondérance de la preuve que le demandeur ne pouvait, tenant compte des circonstances, éprouver une croyance erronée mais sincère du consentement de la défenderesse au geste qu’il a initié.
- Enfin, si le Tribunal n’adhère pas à la version du demandeur quant au caractère consensuel du baiser échangé, il n’écarte pas pour autant tout son témoignage sur les événements allégués et n’accorde pas une crédibilité sans faille à la défenderesse quant à la portée des gestes posés par le demandeur le 3 janvier 2013, pour les motifs suivants.
- Plusieurs propos tenus par la défenderesse à des tiers, dans les mois et les années suivant la date de l’événement lorsqu’elle s’ouvre à ce sujet, définissent la nature des gestes qu’elle reproche au demandeur.
- Le 2 février 2013, dans le cadre d’échanges Facebook avec Mireille Grenier au sujet du demandeur et de leur rencontre du 3 janvier 2013, la défenderesse s’exprime en ces termes[124] :
(…) Le 3 janvier il est venu ici et encore de la grosse séduction une chance que je me suis méfiée j’ai juste accepter certaines choses en étant sur mes gardes et puis… il m’avait menti !!!! J’ai vite su que c’est pas vrai qu’il est en séparation avec son ex-femme (…) et tout ça via sa secrétaire avec qui il couche depuis un an… le gros bordel !!!!
(…) bien moi j’ai été pognée pour frencher avec lui… quand j’y repense… washh… j’étais tellement mal à l’aise il s’était plaint, m’a raconté qu’il s’en allait en voyage dans le sud faire de la plongée car malheureux en amour mais … sa secrétaire m,a dit qu’il était parti avec SA FEMME (…) il m’a menti pour me frencher… c’est dégueulasse ça!!!
- La défenderesse précise lors de son témoignage sur ces propos qu’elle se sentait coupable d’avoir cru le demandeur, de lui avoir ouvert sa porte et d’avoir été seule avec lui.
- Le 25 décembre 2013, la défenderesse répond, à la suite de propos colériques reçus d’Isabelle Lapointe, l’ex-conjointe et adjointe du demandeur[125] :
(…) Il n’y a jamais eu "quelque chose" entre lui et moi, c’est juste un ami et un homme que j’admire pour ses convictions morales. (…) Cependant, c’est vrai que le sénateur m’a crusé deux secondes vers Noel 2012, mais j’ai mis fin très vite à ça.
- En mars 2014, dans le cadre d’un échange avec Marinella De Oliveira, une amie commune des parties, au sujet des propos d’Isabelle Lapointe envers elle, la défenderesse mentionne la rencontre du 3 janvier 2013 en ces termes[126] :
Je ne méritais tellement pas ça, car lors des tentatives du sénateur, je l’ai repoussé!
(…) quand j’ai su que le sénateur était avec Isabelle, vers juin, j’ai pas informée Isabelle de ces gugues[127] d’adolescents, car je ne savais même pas qu’ils étaient ensemble en janvier…
- Lors d’un échange subséquent avec Mme De Oliveira en date du 26 mai 2015, la défenderesse décrit comme suit l’événement du 3 janvier 2013[128] :
(…) car j’imagine que l’événement dont il parle, c’est la fois où il est venu chez moi pour me frencher????
(…) il a dit qu’il va me téléphoner…calvaire… y pourrait pas m’appeler pour me féliciter de ma pétition au lieu des enfantillages de bécotage d’il y a deux ans ???
(…) En fait, j’ai raconté brièvement les écarts de Pierre-Hughes à toi, Caroline (impossible qu’elle ait parlé…), Marie-Paule (impossible aussi) et Me Bellemare (impossible…)
(…) Et qu’il frenchait à gauche et à droite… ça coûte cher ça aussi…hi hi hi…
- La défenderesse précise qu’elle trouvait le demandeur très immature, d’où l’usage des termes enfantillages et bécotage. Elle soutient qu’elle ne divulgue pas tout à Mme De Oliveira, de l’événement du 3 janvier 2013.
- Enfin, à une date qui n’est pas précisée, la défenderesse écrit ceci à Caroline Moreau[129] :
Ça ne se fait pas d’aller chez une victime pour la frencher, et ensuite vouloir la faire taire et en étant fâché contre elle…
- En octobre 2017, dans le contexte du conflit avec le demandeur sur le dépôt de sa pétition, elle fait mention pour la première fois, dans ses échanges, d’une tentative du demandeur de relever sa jupe lors de l’événement du 3 janvier 2013[130]. En tout temps auparavant, elle ne fait mention que de "french" et de "bécotage". Le demandeur nie catégoriquement avoir tenté de soulever la jupe de la défenderesse, précisant que cette affirmation "fait partie de son imaginaire" et que le contact s’est limité à un seul baiser, sans autre geste.
- Le fardeau de prouver la nature des gestes reprochés au demandeur incombe à la défenderesse. Le fait que la défenderesse réfère constamment à un "french" (baiser avec la langue ou baiser profond) lorsqu’elle se confie à des tiers, dont certains représentent pour elle des personnes de confiance[131], sur les écarts de conduite du demandeur envers elle le 3 janvier 2013, tend à démontrer que le geste posé n’incluait pas les attouchements et frottements qu’elle lui reproche par la suite. Ce n’est pas le caractère tardif de la dénonciation à cet égard ni l’absence de corroboration mais plutôt la référence toujours circonscrite à un "french" jusqu’en octobre 2017, qui affaiblit la crédibilité de la défenderesse sur la portée du geste posé par le demandeur.
- Sa preuve ne franchit pas le seuil de la prépondérance des probabilités à cet égard.
- Au terme de son analyse de la preuve et des témoignages et de son appréciation de la crédibilité des parties, le Tribunal conclut qu’il est établi, selon la balance des probabilités, que le 3 janvier 2013 vers 12h50, au moment de son départ de la résidence de la défenderesse, dans la salle d’attente des élèves, le demandeur a enlacé la défenderesse et l’a embrassée, en utilisant sa langue, sans le consentement de celle-ci, pendant quelques secondes.
- Ce geste constitue un contact sexuel non consensuel, soit une agression sexuelle et par conséquent, une faute civile.
- La défenderesse ne parvient pas à convaincre le Tribunal de manière prépondérante que ce geste a été accompagné d’attouchements sur ses fesses, de frottements et de tentatives de relever sa jupe, comme elle le soutient.
- La défenderesse réclame du demandeur des dommages totalisant 300 000$.
- Ces dommages découlent d’une part, selon ses allégations, de l’agression sexuelle du 3 janvier 2013 et du harcèlement sexuel allégué, et d’autre part, de la poursuite bâillon et de mesures de représailles et d’intimidation que le demandeur aurait exercées contre elle, dont il sera traité dans les sections suivantes[132].
- Les allégations d’harcèlement sexuel ne sont pas retenues. Le Tribunal doit donc déterminer si des dommages résultent directement de la faute commise par le demandeur envers la défenderesse le 3 janvier 2013, telle que définie plus haut et, le cas échéant, se prononcer sur leur valeur.
- La réclamation totale de la défenderesse est composée de dommages moraux (150 000$), dommages pécuniaires (20 000$) et dommages punitifs (50 000$). Elle réclame également le remboursement d’honoraires et débours extrajudiciaires (80 000$) sous sa demande reliée à ses allégations de poursuite-bâillon.
- La défenderesse allègue une série de dommages résultant directement des gestes posés par le demandeur. Il importe de distinguer ceux qui découlent de l’agression sexuelle du 3 janvier 2013 de ceux qui auraient plutôt été causés par la poursuite intentée par le demandeur et par les actes de représailles et d’intimidation qu’elle lui reproche.
- Lors de son témoignage, la défenderesse décrit comme suit les conséquences découlant de l’agression de janvier 2013 :
- Ouverture "d’anciennes blessures";
- Prise de poids de 30 à 50 livres dans les mois suivants;
- Symptômes de boulimie;
- Pleurs fréquents;
- Périodes d’insomnie;
- Vision de "mauvaises images" de ce qu’elle a vécu (flashbacks), le demandeur ressemblant physiquement à son géniteur;
- Peur des hommes;
- Sentiment de honte et de dégoût;
- Difficulté de concentration et à finir ses journées.
- Elle a également rédigé un document de 22 pages en date du 29 juin 2021 dressant la liste des douleurs physiques (au nombre de 31) et psychologiques (au nombre de 177) qui selon elle, lui ont été causées par le demandeur[133].
- De manière plus significative, la défenderesse soutient présenter un trouble de stress post-traumatique (TSPT) découlant des faits reprochés au demandeur, incluant l’agression sexuelle.
- Ce diagnostic repose sur l’expertise de la psychologue Cécile Barrière qui a évalué la défenderesse au cours de cinq rencontres en janvier et février 2019 et rédigé un rapport initial[134]. Elle modifie celui-ci le 20 janvier 2021 à la suite d’une 6ème rencontre tenue en octobre 2020, "pour préciser certains dommages psychologiques à la lumière de l’évolution récente"[135].
- Mme Barrière a été la psychologue traitante de la défenderesse en 2002, au cours d’une dizaine de séances de consultation alors qu’elle souffrait de troubles anxieux et d’idées suicidaires. Elle la revoit brièvement en 2006 dans le contexte d’une démarche de changement de nom pour se dissocier de son géniteur. En janvier 2019, la défenderesse la contacte pour la rédaction d’un rapport dans le cadre du présent litige.
- Selon Mme Barrière, depuis 2010, en dépit des épreuves qu’elle avait vécues jusque-là, incluant des abus physiques graves durant son enfance, la défenderesse allait bien, avait un bon niveau d’énergie, était bien compensée et n’avait plus d’idées suicidaires. Elle la décrit comme une dame anxieuse qui a souffert de trouble de stress post-traumatique non diagnostiqué durant sa jeunesse et de troubles de comportements alimentaires dans le passé dont elle était en rémission depuis des années. La défenderesse est parvenue à donner un sens à sa vie et à ses épreuves passées par sa démarche militante visant à protéger les enfants abusés. Elle demeure "vulnérable à tous climats d'insécurité psychologique même si elle présente un apparent bon niveau de fonctionnalité sociale".
- Mme Barrière explique que la défenderesse utilise le clivage, un mécanisme de défense qui l’amène à percevoir les gens et les événements sans zones grises ni nuance. L’agression a eu pour effet de lui faire perdre ses points de repère habituels et suscité un sentiment d’horreur et de dégoût qu’elle tente par la suite d’occulter. Lors de l’agression, elle venait de voir la "partie noire" du demandeur alors qu’elle croyait s’être protégée. Par ailleurs, elle craint de perdre ce qui était sain pour elle et un allié dans sa cause pour les enfants victimes.
- Plus spécifiquement en lien avec l’agression sexuelle, Mme Barrière décrit comme suit les symptômes chez la défenderesse:
(…) Suite à l’agression sexuelle de janvier 2013, Madame Ribeyro présente un fonctionnement psychologique diminué dû à la perte de sa stabilité mentale, à la perte d’intérêt et de plaisir dans son travail et dans sa vie. Les symptômes anxieux réapparaissent entraînant des difficultés interpersonnelles dans sa vie privée et au travail, par exemple elle a des difficultés de rendement –elle fait des erreurs quand elle accompagne ses élèves au piano, elle perd des élèves, entre autres elle a des conflits avec les hommes intéressés à elle, elle a des comportements impulsifs envers des hommes-élèves intéressés à elle qu’elle renvoie…
- Pour elle, la défenderesse présente tous les critères diagnostiques du TSPT. Elle est en complet désaccord avec l’expert en demande qui conclut à une personnalité histrionique probable.
- Selon la psychologue Barrière, l’agression du 3 janvier 2013 est un premier trauma, la poursuite intentée par le demandeur, un second. Elle précise par ailleurs que la poursuite judiciaire a un impact plus important chez la défenderesse que celui de l’agression.
- Elle recommande des séances de psychothérapie spécialisée pour les TSPT à raison de 20 rencontres par trauma, qu’elle évalue à environ 3 000$ pour traiter les séquelles de l’agression sexuelle chez la défenderesse.
- Le psychiatre Dr Gilles Chamberland est mandaté par la partie demanderesse afin de procéder à l’évaluation de la défenderesse, ce qu’il effectue le 25 février 2022 dans le cadre d’une rencontre d’une durée de quatre heures (sa plus longue en 25 ans, précise-t-il). Cette entrevue est enregistrée, transcrite et produite en preuve[136].
- L’expert Chamberland rend son rapport daté du 16 juin 2022 aux termes duquel il conclut que la défenderesse ne souffre pas de séquelles au niveau psychiatrique découlant des fautes reprochées au demandeur, encore moins d’un TSPT[137].
- Il précise que la rencontre avec la défenderesse a été particulièrement longue et qu’il était difficile de baliser leurs échanges et d’obtenir les informations recherchées tant elle contrôlait l’entrevue et cherchait avant tout, preuve à l’appui, à le convaincre du bien-fondé de ses allégations à l’encontre du demandeur. Le Tribunal est en mesure de le constater à l’écoute de la rencontre.
- Au terme de son évaluation, Dr Chamberland est d’avis que la défenderesse ne souffre d’aucune pathologie psychiatrique et que les symptômes qu’elle évoque tant au niveau de l’humeur que de l’anxiété, ne correspondent à aucun diagnostic psychiatrique.
- Il pose plutôt un diagnostic de trouble de la personnalité histrionique probable. Le mécanisme de clivage décrit par la psychologue Barrière a, selon lui, façonné la personnalité de la défenderesse.
- Selon Dr Chamberland, elle présente un examen mental somme toute normal si ce n’est de ses éléments de personnalité. Alors que la défenderesse a été en mesure de contenir ses émotions dans le but de préserver le soutien du demandeur, il précise qu’en cas de pathologie psychiatrique, il n’est pas possible de retenir les symptômes, lesquels doivent entrainer une souffrance significative ou un impact sur le fonctionnement. Or, la défenderesse a été en mesure de poursuivre ses activités, ses tâches quotidiennes, son travail d’enseignante et ses démarches pour sa pétition d’envergure en soutien aux enfants, en plus de maîtriser la conduite de son dossier judiciaire.
- Il conclut que même en tenant pour acquis les faits qu’elle allègue, il ne décèle chez elle aucun traumatisme à la suite des événements évoqués ni aucune séquelle causée par les agissements du demandeur. Il ajoute qu’une simulation doit être fortement suspectée selon les critères du DSM-5 mais il conclut que ce n’est pas le cas pour la défenderesse qui, tenant compte de sa personnalité, croit sincèrement ce qu’elle allègue.
- Le Tribunal accorde peu de valeur probante à l’opinion diagnostique de la psychologue Barrière pour les motifs suivants.
- D’abord, sa relation antérieure de psychologue traitante, bien que datant de plusieurs années, affecte son impartialité[138]. Le langage utilisé dans son rapport démontre qu’elle peine à s’imposer la distance que requiert le processus d’expertise et qu’elle adopte le discours et les prétentions de la défenderesse pour fonder son opinion sur les séquelles découlant des différents reproches adressés au demandeur. Elle prend d’ailleurs connaissance de l’ensemble des échanges entre les parties, sur Facebook et par courriel[139]. Il est difficile de distinguer à la lecture de son rapport modifié, ce qui émane de la version de la défenderesse de ce qui provient de l’interprétation que l’experte en retient. Les extraits suivants sèment le doute:
(…) "Madame Ribeyro a refusé de façon répétée les avances sexuelles du sénateur Boisvenu (…) Cependant les propos à caractères sexuels ont persisté ce qui a tout l’apparence du harcèlement sexuel. Et il y a le 3 janvier 2013, l’agression, quand il a tenté de la forcer par ses gestes sexuels face auxquels elle s’est défendue (…) Et dépassant ses peurs, elle l’a confronté ce qui a enclenché les poursuites de Monsieur Boisvenu. Le sénateur Boisvenu a réagi de la façon qu’on connait : il a mis divers moyens de pression pour tenter de s’assurer du silence de Madame Ribeyro ce qui a provoqué d’intenses peurs et précipité ses réactions de défense psychologique"[140].
(Le Tribunal souligne)
- Elle ajoute en fin de rapport que le fonctionnement professionnel de la défenderesse comme professeur de chant et de piano a été affecté ainsi que sa réputation. Ce sont inévitablement des éléments qu’elle ne peut objectiver et dont la mention affecte son objectivité et sa crédibilité. D’ailleurs, la preuve ne permet pas de confirmer de telles conséquences sur la carrière de la défenderesse.
- Ensuite, le diagnostic de TSPT parait inapproprié au regard des critères objectifs applicables[141], de la preuve factuelle et d’expertise et des constats du Tribunal en cours d’audience. Dr Chamberland explique notamment, ce que le Tribunal retient, que le niveau de fonctionnement de la défenderesse est incompatible avec un TSPT et qu’elle ne présente pas, notamment, les symptômes envahissants de reviviscence, telle une hallucination vivide de l’événement traumatique.
- Par ailleurs, comme l’indique Dr Chamberland, la défenderesse ne prend aucun médicament, ne recherche aucun traitement et ne consulte aucun professionnel de la santé alors qu’elle avait aisément accès à la psychologue Barrière qui l’avait suivie et traitée avec succès en 2002. Bien qu’elle se dise en grande détresse psychologique, elle décide de la mandater comme expert pour les fins de son recours plutôt que de rechercher son aide professionnelle dès 2013 afin de soulager ou atténuer ses souffrances et symptômes.
- Enfin, le Tribunal a pu constater tout au cours de l’audience que la défenderesse est une personne fort intelligente, vive d’esprit, organisée, éloquente et dont la mémoire et la capacité de concentration et d’attention sont impressionnantes. Lors d’instants d’émotion, elle était en mesure de se recomposer rapidement. Son expression émotionnelle était souvent fluctuante, parfois superficielle. Elle s’exprime par moments, autant à l’écrit qu’oralement, de manière théâtrale ou dramatique. Sa liste de 22 pages de douleurs physiques et psychologiques en représente un bon exemple[142]. Ses pleurs en cours de témoignage semblaient par moments feints ou forcés. Ces éléments atténuent la crédibilité de son récit quant aux séquelles qu’elle identifie comme découlant du geste sexuel posé par le défendeur.
- L’appréciation du Tribunal à cet égard rejoint les conclusions du Dr Chamberland, qui va jusqu’à porter un diagnostic de personnalité histrionique probable. Les conclusions de cet expert à cet égard doivent faire l’objet de réserves d’autant qu’il n’est pas requis de conclure, dans le cas présent, à un tel diagnostic pour se prononcer sur la détermination des dommages. Néanmoins, le Tribunal conclut de la preuve d’expertise et factuelle que la défenderesse ne souffre pas de séquelle de nature psychiatrique ni de limitation fonctionnelle résultant du geste sexuel posé par le demandeur.
- Cela dit, même si la défenderesse ne présente pas de séquelles psychiatriques ni de TSPT découlant de l’acte reproché, elle éprouve indéniablement des souffrances morales qui se manifestent chez elle par les divers symptômes qu’elle décrit en cours de témoignage. À cet égard, le rapport du Dr Barrière est utile afin de définir les antécédents découlant des traumatismes vécus par la défenderesse pendant sa jeunesse et de confirmer qu’il s’agit d’une personne atteinte de séquelles psychologiques antérieures et par conséquent, présentant une fragilité, une vulnérabilité et une insécurité préexistantes dont le Tribunal doit tenir compte. Cette situation explique les réactions subjectives de la défenderesse au geste posé et la preuve convainc qu’elle demeure affectée de souffrances morales et d’une diminution de jouissance de la vie qui découlent directement du geste posé par le demandeur. Celui-ci a réactivé et ravivé chez elle certains traumas passés dont elle était asymptomatique depuis plusieurs années.
- Son préjudice correspond à des souffrances morales qui doivent être compensées monétairement sous la forme de pertes non pécuniaires, pour les symptômes qu’elle décrit lors de son témoignage, soit épisodes de boulimie, prise de poids, pleurs, périodes d’insomnie, flashbacks, sentiment de honte et de dégoût, difficultés de concentration et à terminer ses journées[143].
- Il reste à déterminer la quotité de l’indemnité au regard de l’étendue du préjudice subi. Un tel exercice demeure imparfait et relève d’un exercice essentiellement discrétionnaire, basé sur la preuve ainsi que sur les précédents jurisprudentiels, dont chaque cas comporte ses particularités et chaque victime, son bagage et ses vulnérabilités, ce qui ajoute au caractère délicat de la démarche.
- Le Tribunal doit tenir compte en l’occurrence de la théorie du crâne fragile ou théorie des prédispositions[144] – qui requiert que l’auteur de la faute assume les risques inhérents à la personnalité et aux vulnérabilités de la victime – de la fiabilité affaiblie du témoignage de la défenderesse qui magnifie et amplifie ses dommages[145], et enfin, de la nature et de la gravité objective du geste posé, soit un baiser profond, imposé, de courte durée et qui ne s’est pas reproduit.
- Au regard de jugements récents en matière de gestes fautifs à caractère sexuel et des indemnités accordés dans ces affaires[146], tenant compte des faits et circonstances particulières du présent dossier, le Tribunal estime qu’un montant de 15 000$ est équitable et raisonnable afin de compenser les dommages moraux de la défenderesse résultant du geste fautif commis le 3 janvier 2013.
- La défenderesse réclame des pertes pécuniaires au montant de 20 000$.
- La preuve ne permet pas de conclure que de tels dommages résultent directement du geste posé par le demandeur.
- D’abord, la défenderesse ne démontre pas une perte de revenus. Elle est travailleuse autonome et gagne sa vie en enseignant le chant et le piano. Or, ses revenus nets découlant de ses activités professionnelles ont fluctué de 2011 (avant les événements reprochés) à 2020, entre 11 400$ en 2011 et 17 850$ en 2019[147], sans qu’elle ne subisse une diminution notable au cours des années suivant les faits reprochés.
- Quant aux séances de psychothérapie, pour les motifs évoqués précédemment, le Tribunal ne retient pas que la défenderesse souffre d’un TSPT ni d’un préjudice psychiatrique qui requiert une intervention professionnelle. Néanmoins, ses souffrances morales entrainent une recrudescence de certains symptômes qu’elle était parvenue à résoudre avant les événements impliquant le demandeur.
- En conséquence, le Tribunal lui accorde un montant de 1 500$, soit une dizaine de séances de thérapie, à l’instar de 2002.
- La défenderesse réclame 50 000$ en dommages punitifs au motif que le demandeur aurait porté atteinte à son droit à la dignité et à l’intégrité protégés par les articles 1 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[148] (la Charte).
- Le droit aux dommages-intérêts punitifs est codifié aux articles 1621 C.c.Q. et 49 de la Charte.
- L’article 49 de la Charte donne ouverture à l’octroi de dommages-intérêts punitifs lorsqu’il y a preuve d’atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnus par la Charte.
- L’article 1621 C.c.Q. détermine les critères d’appréciation des dommages-intérêts punitifs :
1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
(Le Tribunal souligne)
- La Cour suprême définit le concept d’atteinte illicite et intentionnelle dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[149] :
121. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
(Le Tribunal souligne)
- Le Tribunal attribue un caractère fautif au geste posé par le demandeur le 3 janvier 2013 envers la défenderesse dont il a, de manière illicite, porté atteinte aux droits à la dignité et à l’intégrité. La preuve démontre que le demandeur était avisé par la défenderesse qu’elle éprouvait une "écœurantite aigue pour les vrais becs" et qu’elle avait eu peur de sa proposition de lui "voler un baiser". Il lui avait promis qu’il savait se retenir, ce qu’il a manifestement négligé de faire quelques semaines plus tard lors de leur deuxième rencontre.
- En conséquence, le demandeur a agi en toute connaissance des "conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables" que sa conduite engendrerait chez la défenderesse, sachant qu’elle souffrait déjà de "séquelles compréhensibles" découlant notamment de gestes sexuels non consensuels dont elle a été victime dans le passé, ce qui justifie l’octroi de dommages punitifs.
- Dans le cadre des critères d’évaluation, le Tribunal doit notamment tenir compte de la gravité de la conduite reprochée : le demandeur a posé un geste isolé, un baiser profond, de courte durée, qu’il a immédiatement regretté au regard de ses messages subséquents.
- Utilisant son pouvoir discrétionnaire et tenant compte des critères prévus à l’article 1621 C.c.Q., le Tribunal condamne le défendeur à verser à la défenderesse 2 500$ à titre de dommages punitifs pour atteinte à son intégrité et à sa dignité.
- Le demandeur exerce un recours en diffamation contre la défenderesse alléguant que celle-ci, dans les heures après qu’elle apprend qu’il ne peut déposer sa pétition au parlement, se met à publier des propos diffamatoires à son égard concernant des gestes sexuels déplacés et d’abus de pouvoir qu’il aurait exercés envers elle[150].
- Malgré l’envoi d’une mise en demeure, elle persévère, publie sur son site internet un article intitulé "J’accuse un sénateur du Canada d’agression sexuelle", transmet un enregistrement partiel de la conversation téléphonique avec le directeur parlementaire du demandeur au bureau de la députée du Parti Québécois Véronique Hivon, partage ses publications sur le demandeur et invite le public à les partager, en plus de communiquer avec divers journalistes à ce sujet.
- Le demandeur soutient que les propos tenus dans les publications de la défenderesse sont mensongers et portent atteinte à sa dignité, son honneur et sa réputation.
- Subsidiairement, même si le Tribunal en venait à la conclusion qu’il y a eu agression sexuelle, le demandeur soumet que certains des propos tenus par la défenderesse dans ses publications dépassent de loin la simple dénonciation et sont de nature diffamatoire.
- Pour la défenderesse, sa dénonciation de l’agression sexuelle dont elle a été victime aux mains du demandeur était dans l’intérêt public et n’est pas fautive. De plus, elle plaide que le demandeur échoue à prouver quelque dommage que ce soit lié à ses publications.
- La diffamation se définit comme l’atteinte fautive à la réputation d’autrui[151]. Elle consiste en "la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables"[152].
- Le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, celles de la liberté d’expression et du droit à la réputation. Il obéit aux règles générales de la responsabilité civile prévues à l’article 1457 C.c.Q. et requiert que la partie demanderesse démontre, de manière prépondérante, la commission d’une faute, un préjudice et un lien causal entre les deux.
- Pour établir le préjudice, le demandeur doit convaincre que les propos litigieux sont diffamatoires. L’analyse de la nature diffamatoire des propos ou des écrits s’effectue suivant une norme objective à savoir si, pour un "citoyen ordinaire", les propos tenus ou les écrits, pris dans leur ensemble et dans le contexte dans lequel ils ont été écrits, ont déconsidéré la réputation d’une personne[153].
- Le demandeur doit ensuite démontrer que l’auteur des propos diffamatoires a commis une faute puisque la diffamation et la faute sont deux éléments distincts et cumulatifs de la responsabilité civile. En effet, la preuve du préjudice ne permet pas de présumer qu’une faute a été commise. La démonstration d’une faute n’établit pas non plus l’existence d’un préjudice susceptible de réparation[154].
- L’appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances[155]. La conduite reprochée peut être malveillante, dans l’intention de nuire, ou encore de nature négligente, sans volonté de causer du tort.
- Trois situations peuvent engager la responsabilité de l’auteur de propos diffamatoires :
- lorsqu’il prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers en les sachant faux;
- lorsqu’il diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’il devrait les savoir fausses;
- lorsqu’il tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers[156].
- Ainsi, la diffusion d’une information véridique peut parfois constituer une faute.
- Toutefois, en droit civil, la véracité des propos peut permettre de prouver l’absence de faute dans des circonstances où l’intérêt public est en jeu[157].
- La notion d’intérêt public est "un instrument permettant de déterminer le point d’équilibre entre la protection de la réputation et la liberté d’expression."[158] La société accepte, dans une certaine mesure et dans certaines circonstances, qu’une atteinte à la réputation est justifiée lorsque des questions – dont on considère que la société a intérêt à ce qu’elles soient portées au grand jour – sont en jeu[159].
- Une question est d’intérêt public si : 1) elle éveille l’attention publique de façon démontrable; 2) elle préoccupe sensiblement le public parce qu’elle concerne le bien‑être de citoyens; 3) elle jouit d’une notoriété publique considérable; ou 4) elle suscite une controverse importante[160].
- Les faits reprochés se déroulent entre le 15 octobre 2017 et le 23 octobre 2018.
- Le 15 octobre 2017, la défenderesse reproduit sur sa page Facebook le message du demandeur qui lui reproche d’utiliser son espace public pour lui mettre de la pression sur le dépôt de la pétition. Elle qualifie ce message d’inacceptable et lui reproche de vouloir la faire taire[161].
- Le 19 octobre 2017, la défenderesse annonce sur sa page Facebook qu’elle porte plainte au BCSE "contre le sénateur Boisvenu pour gestes sexuels et abus de pouvoir" envers elle[162].
- Le 20 octobre 2017, le demandeur transmet à la défenderesse, par l’intermédiaire de ses avocats, une mise en demeure de retirer et de cesser tout propos ou publication pouvant porter atteinte à sa dignité, son honneur et sa réputation[163].
- Le 23 octobre 2017, elle dépose sa plainte au BCSE, laquelle comporte 18 pages et 113 annexes[164].
- Le 24 octobre 2017, elle publie sur son site internet portant son propre nom, un article intitulé "Un cochon masqué au gouvernement ?" sans y identifier le défendeur et dans lequel elle pose l’hypothèse suivante : "si un cochon masqué haut gradé d’un gouvernement, sans votre accord, essayait d’entrer tour à tour dans votre corps, dans votre « aura », dans votre « âme » et ensuite dans votre portefeuille… Comment vous sentiriez-vous?"[165]
- La défenderesse ne nomme pas le demandeur dans ses publications suivant la mise en demeure mais celui-ci soutient que les informations qu’elles contiennent sont suffisamment précises pour qu’il soit facilement identifié.
- En janvier 2018, la défenderesse porte plainte contre le demandeur auprès de la SQ. Cette plainte compte 101 pages[166].
- À l’automne 2018, la défenderesse allègue qu’afin "de pouvoir tourner la page dans son processus de guérison et protéger un minimum d’autres citoyens vulnérables d’un danger réel provenant du parlement du Canada, dans la foulée de la vague de dénonciations d’agressions sexuelles d’intérêt public", elle reprend ses publications dans lesquelles elle prend soin de censurer toute information permettant d’identifier le demandeur[167].
- C’est ainsi que le 18 septembre 2018, elle publie sur son site internet un texte intitulé "J’accuse un sénateur du Canada d’agression sexuelle" dans lequel elle décrit les gestes qu’elle reproche au demandeur, qu’elle ne nomme pas mais identifie comme un sénateur qui prétend aider les femmes victimes d’actes criminels et leur donner une voix. Elle précise qu’elle souhaite obtenir de sa part des excuses publiques et suggère que peut-être "d’autres femmes trouveront le courage de le dénoncer, car il est improbable qu’il ait agi ainsi seulement avec moi." Elle invite les internautes à partager sa publication[168].
- Elle publie également sur sa page Facebook ce même texte qu’elle précède de la question suivante : "Il a sûrement fait d’autres victimes, en êtes-vous une?"[169] et partage cette publication sur d’autres pages de médias sociaux qu’elle administre[170].
- Elle transmet cette publication à différents médias d’informations, notamment Radio-Canada, TVA nouvelles et la Presse, et les informe de la poursuite du demandeur envers elle[171], déposée le 16 octobre 2018.
- D’autres publications lui sont également reprochées[172]. Aussi, elle commente les publications de plusieurs personnes en référant à ses allégations contre le demandeur[173].
- Le 22 octobre 2018, la défenderesse transmet à toutes les collègues sénatrices du demandeur un courriel dont l’objet est : "J’ai été agressée sexuellement par un de vos confrères". Elle y fait mention de sa plainte au BCSE, de sa dénonciation du demandeur à la SQ pour agression sexuelle et de la poursuite en dommages exercée contre elle par leur confrère[174].
- La défenderesse échange également via Facebook sur sa situation impliquant le demandeur, avec des personnalités publiques et des journalistes auxquels, pour certains, elle transmet sa plainte à la SQ ou au BCSE[175].
- Le demandeur allègue qu’après avoir communiqué avec lui pour s’enquérir du fondement des accusations de la défenderesse, les journalistes ont refusé de diffuser l’information[176].
- Le 23 octobre 2018, la défenderesse publie un texte intitulé : "Mr. Boisvenu me poursuit pour 250 000$ et plus!"[177]
- Depuis le 27 novembre 2018, la défenderesse respecte un engagement souscrit dans le cadre de la présente instance de s’abstenir de publier les écrits dont fait état la DII ou tout propos à cet égard, jusqu’au jugement final.
- Le demandeur doit en premier lieu établir que les propos litigieux lui ont directement causé un préjudice, soit qu’ils ont porté atteinte à sa réputation[178].
- Un sentiment d’humiliation, de tristesse ou de frustration chez la personne qui prétend avoir été diffamée est insuffisant pour fonder un recours en diffamation. L’examen du préjudice est axé non pas sur la victime elle-même mais sur la perception des autres, selon le critère objectif du "citoyen ordinaire", qui constitue une représentation de la société et de sa perception de l’atteinte[179].
- Le Tribunal doit apprécier le contenu des propos reprochés dans leur globalité et tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit leur publication[180]. L’analyse de cette impression devra se faire en fonction du contexte dans lequel les propos ont été exprimés et non en examinant seulement quelques phrases ou expressions soigneusement extraites de l’ensemble.
- Un "citoyen ordinaire" estimerait-il que les propos litigieux, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation du demandeur?
- Le Tribunal répond par l’affirmative à cette question.
- Le 19 octobre 2017, la défenderesse annonce publiquement sur sa page Facebook qu’elle porte plainte contre le demandeur, qu’elle identifie par son nom, pour agression sexuelle et abus de pouvoir envers elle[181]. Ce faisant, le demandeur est facilement identifiable dans les écrits subséquents, bien qu’il n’y soit plus nommé. Ensuite, les propos contenus dans certaines publications, pris dans leur ensemble et aux yeux du citoyen raisonnable, déconsidèrent la réputation du demandeur, plus précisément celle du 24 octobre 2017, intitulée "Un cochon masqué au gouvernement?"[182] et les publications d’octobre 2018 soulevant notamment la probabilité que le demandeur ait fait d’autres victimes[183].
- Ils sont diffamatoires puisque, considérés dans leur globalité, ils incitent à croire que le demandeur serait un agresseur envers les femmes, ce qui aux yeux d’un citoyen ordinaire, provoque une perte d’estime ou de considération à son endroit et déconsidère sa réputation, surtout au regard de la mission dont le demandeur est porteur envers les victimes d’actes criminels et à laquelle il s’identifie. Des propos peuvent être diffamatoires par l’idée qu’ils expriment explicitement ou par les insinuations qui s’en dégagent[184] et ces affirmations suggèrent clairement que d’autres personnes, en plus de la défenderesse qui allègue une agression sexuelle commise par le demandeur à son égard, ont probablement été agressées sexuellement par lui.
- Le demandeur n’est pas nommé dans ces publications mais il est facilement identifiable lorsque la défenderesse précise : "J’ai été agressée sexuellement par un sénateur du Canada qui prétend aider les femmes victimes d’actes criminels et leur donner une voix"[185].
- L’ensemble de ces propos pris dans leur contexte global déconsidèrent l’estime et la considération qu’inspirent le demandeur et portent atteinte à sa réputation.
- L’expression de propos diffamatoires n’entraînera la responsabilité de son auteur que s’il a commis une faute. La faute correspond à une conduite qui s’écarte de la norme de comportement qu’adopterait une personne raisonnable. La preuve de l’intention malveillante ou de la mauvaise foi de l’auteur des propos litigieux n’est pas un prérequis.
- Dans la détermination de la commission d’une faute, la nature et la gravité des propos, les objectifs poursuivis par les déclarations ou les écrits de l’auteur, la manière dont la diffusion a été faite et l’intérêt public sont des éléments à considérer[186]. Le Tribunal doit également tenir en considération le contexte particulier dans lequel les propos ont été diffusés.
- La véracité des propos est un autre facteur dont il faut tenir compte en procédant à l’analyse contextuelle globale de la faute. Même s’il n’est pas toujours déterminant en soi puisque, bien que vrais, des propos peuvent néanmoins avoir été tenus fautivement[187], ce facteur revêt une importance indéniable en l’espèce. Sachant que le demandeur a bel et bien, selon la prépondérance de preuve, commis une agression sexuelle envers elle de la nature d’un baiser avec la langue sans son consentement, la défenderesse a-t-elle eu une conduite fautive en diffusant les propos qui lui sont reprochés? Sa conduite reposait-elle sur des motifs valables?
- L’examen global et contextuel des propos tenus par la défenderesse dans ses diverses publications permet de conclure que sa dénonciation d’un abus sexuel et de pouvoir exercés envers elle par le demandeur n’est pas fautive, pour les motifs suivants.
- Bien qu’ils soient susceptibles en soi de déconsidérer la réputation du demandeur, ses propos sont fondés sur certains faits vécus par elle dans le cadre de ses interactions avec le demandeur et reposent sur un objectif valable, soit celui d’exposer et de dénoncer, dans l’intérêt public, cette situation personnelle qu’elle a vécue avec le demandeur.
- Celui-ci est une personnalité publique qui au moment des faits reprochés, est sénateur canadien et reconnu comme un défenseur des droits des victimes d’actes criminels.
- La sphère privée des personnes qui exercent des activités touchant les intérêts du public, qu’elles soient politiques, économiques ou culturelles, est plus restreinte que celle d’individus qui n’ont pas de responsabilité envers la collectivité[188]. Ainsi, si le fait qu’une personne choisit de participer à la vie publique ne confère pas de licence pour porter atteinte à sa réputation et à son honneur, elle doit néanmoins démontrer un niveau de tolérance plus élevé en raison de son engagement public qui l’expose inévitablement à la critique[189].
- Par ailleurs, la dénonciation de personnes ayant abusé d’autrui est d’intérêt public. Les faits se déroulent à une époque où un mouvement de dénonciation d’inconduites et d’agressions sexuelles prend naissance et permet aux victimes de libérer leur parole et d’amorcer leur processus de guérison[190].
- Le fait d’avoir été victime d’un geste sexuel déplacé, quelle que soit sa nature, de la part d’un sénateur alors en exercice, dans le cadre de leurs interactions visant à promouvoir l’intérêt des victimes d’actes criminels, présente un intérêt public et justifie une dénonciation publique. L’acte posé par le demandeur s’inscrit dans le cadre de ses fonctions de sénateur alors qu’il rend visite à une personne qui manifeste un intérêt et une intention claire de collaborer avec lui à sa mission envers les victimes d’actes criminels et non à entretenir une relation intime avec lui. Cette dénonciation est d’intérêt public et justifie, dans les circonstances, l’expression des propos dénoncés même si le contexte et le moment de leur diffusion laissent croire que la défenderesse était motivée par une intention malveillante envers le demandeur.
- Quant aux propos qui évoquent d’autres victimes potentielles, ils ne doivent pas être pris isolément mais plutôt être considérés dans le contexte global des publications de la défenderesse qui se questionne publiquement à cet égard et appelle à la dénonciation d’autres personnes qui se considéreraient victimes de gestes de même nature posés par le demandeur.
- Même si l’insinuation, basée sur sa seule expérience personnelle, que le demandeur a probablement fait d’autres victimes parait reposer sur la seule conviction personnelle de la défenderesse et non sur des faits tangibles, vérifiés et avérés, ils s’inscrivent globalement dans le cadre d’une dénonciation de gestes inappropriés, se justifient dans de telles circonstances et leur publication ne relève pas d’un comportement fautif, négligent ou téméraire de la part de la défenderesse.
- Enfin, l’usage des épithètes "cochon" et "porc" dans deux écrits distincts de la défenderesse pour désigner le demandeur[191], sans toutefois le nommer, n’est certes pas de bon goût et est grossier, mais n’est pas en soi fautif dans le contexte global. Aussi, la simple injure ne suffit pas à soutenir un recours en diffamation dont l’objectif n’est pas de réparer l’effet des propos litigieux sur la dignité ou la sensibilité de la personne visée mais plutôt de l’indemniser pour la déconsidération de sa réputation qui en résulte[192].
- Pour l’ensemble de ces motifs, le Tribunal conclut que bien qu’elle ait propagé des propos qui déconsidèrent la réputation du demandeur, la conduite de la défenderesse n’était pas fautive dans le contexte de leur diffusion.
- Considérant que le Tribunal ne conclut pas à la faute de la défenderesse, il n’est pas requis de se prononcer sur les dommages réclamés par le demandeur et sur leur valeur. Néanmoins, le Tribunal s’y attarde succinctement.
- Il s’agit de se pencher à cette étape sur les conséquences des propos diffamatoires sur la réputation du demandeur, soit sur l’estime ou la considération que les gens lui portent, et sur le dommage moral que ces écrits ont pu lui causer.
- À cet égard, la preuve est plutôt sommaire.
- D’abord, le demandeur soutient voir reçu des centaines de messages haineux sur sa page Facebook du Sénat. Or, aucun de ces messages n’est mis en preuve bien que le demandeur n’ait quitté ses fonctions qu’en 2024. Il ne produit qu’un seul message dont on ignore le site de publication, adressé au demandeur et dans lequel on lui reproche principalement sa poursuite contre la défenderesse[193].
- Par ailleurs, le demandeur témoigne d’une diminution de ses relations avec les médias entre 2018 et 2021. Il explique cependant que les journalistes avec qui il a discuté des faits en litige n’ont pas diffusé les informations provenant des publications de la défenderesse. Il n’est pas démontré que les propos de la défenderesse aient reçu une quelconque attention médiatique.
- Aussi, le demandeur évoque que depuis 2018, il n’a plus été invité par des écoles ou des universités à prononcer des conférences. Or, la démonstration que cette situation découle directement des propos diffamatoires n’est pas établie de manière probante.
- La vie publique du demandeur est demeurée active jusqu’à ce qu’il quitte ses fonctions en 2024[194].
- Il allègue également une perte de cheveux et des problèmes de sommeil sans convaincre selon la balance des probabilités que ces dommages découlent directement des propos litigieux et de leur impact sur le demandeur.
- Sur le plan psychologique, le demandeur a bénéficié de six séances de thérapie réparties sur deux semaines à l’hiver 2019 auprès d’une thérapeute en relation d’aide pour se confier sur l’impact émotionnel de l’accusation d’agression sexuelle, de l’acharnement et de multiples allégations sur les réseaux sociaux[195]. Il décrit la tristesse, l’humiliation, le sentiment d’impuissance et la peur du jugement des autres qu’il éprouve depuis les publications litigieuses et leurs conséquences. Il évoque des tensions dans ses relations conjugales et familiales.
- Le demandeur ne consulte pas de professionnel par la suite.
- Un des amis, Mohamed Emir témoigne du changement d’humeur chez le demandeur à compter de 2017. Il le décrit comme replié sur lui-même et moins présent.
- Tenant compte de la preuve soumise par le demandeur, le Tribunal lui aurait accordé pour le préjudice moral résultant des propos litigieux un montant de 25 000$.
- Considérant les conclusions du Tribunal sur le recours en diffamation, il n’y a pas lieu d’accorder de tels dommages, non plus que des dommages punitifs et les ordonnances de nature injonctive.
- La défenderesse soutient que le recours en dommages et injonction pour diffamation entrepris contre elle par le demandeur est une poursuite-bâillon visant à la faire taire, à réprimer sa liberté d’expression et à l’appauvrir. Malgré le retrait de ses publications, le demandeur a persisté dans son recours et forcé la défenderesse à se défendre contre ses allégations.
- Elle reproche également au demandeur d’avoir cherché à la bâillonner préalablement à l’institution des procédures, notamment par la voix de son directeur parlementaire et par sa mise en demeure transmise quelques jours plus tard.
- Outre des dommages moraux et punitifs, elle réclame du demandeur le remboursement de ses honoraires et débours extrajudiciaires pour un montant de 80 000$.
- Les articles 51 et suivants du Code de procédure civile (C.p.c.) prévoient qu’un tribunal peut déclarer une demande en justice abusive et sanctionner son auteur. L’abus peut résulter, notamment, sans égard à l’intention, du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public, soit par une poursuite-bâillon.
- Une poursuite-bâillon est une action entreprise non pas dans l’objectif de faire valoir le bien-fondé d’une demande légitime mais dans le seul but de neutraliser la liberté d’expression d’autrui[196].
- Une véritable poursuite-bâillon cherche à instrumentaliser le processus judiciaire dans une stratégie visant à modifier le rapport de force. En diffamation, il importe de distinguer l’action entreprise afin de censurer un débat public, du recours légitime qui vise à corriger une atteinte à la réputation[197].
- Par ailleurs, la barre est haute et le corridor est étroit pour conclure à un abus de procédure de la part d’une partie envers l’autre[198].
- Le demandeur cherche-t-il à instrumentaliser le recours judiciaire dans l’unique objectif de limiter la liberté d’expression de la défenderesse et de l’intimider?
- Les circonstances entourant l’introduction des procédures en diffamation du demandeur importent.
- D’abord, la défenderesse soulève la question de l’agression sexuelle pour la première fois auprès du demandeur dans le cadre d’échanges houleux entre les parties concernant le dépôt de la pétition[199]. Elle énonce ensuite ceci dans un courriel adressé au demandeur en date du 17 octobre 2017[200] :
Aie. Ne recommence pas. Tiens-toi à tes promesses de sénateur et fais-le. Tu marches sur des œufs là. Mon article intitulé "Sans parole et vieux cochon" est prêt et je n’ai qu’à appuyer sur un bouton. Ça ne nuirait qu’à toi, pas aux enfants victimes.
- Suivant les premières publications de la défenderesse les 15 et 19 octobre 2017, le demandeur la met en demeure, le 20 octobre suivant, de cesser ses publications et à défaut, la menace de poursuites judiciaires. La défenderesse émet certaines publications par la suite sans toutefois nommer le demandeur. Ce n’est qu’une année plus tard, en octobre 2018, à la suite de nouvelles publications de la part de la défenderesse où elle suggère notamment que "le sénateur" a pu faire d’autres victimes, que celui-ci dépose son recours en diffamation.
- Le demandeur a expliqué au Tribunal, avec une apparente sincérité, que la décision d’intenter ses procédures judiciaires a été difficile à prendre et qu’il a dû s’y résoudre devant la recrudescence des publications de la défenderesse à l’automne 2018. Il percevait une forme de vengeance de la part de la défenderesse à son endroit.
- L’action judiciaire du demandeur recherche la cessation de propos qu’il considère diffamatoires à son égard et la compensation pour les dommages qui en découlent. Les arguments du demandeur n’étaient pas sans fondement aucun puisque le Tribunal, au terme de son analyse, attribue aux écrits de la défenderesse un caractère diffamatoire bien qu’il ne retienne pas une conduite fautive de sa part dans le contexte de leur publication.
- Le montant de la réclamation du demandeur, quoique élevé, n’est pas disproportionné et correspond aux indemnités accordées en semblable matière[201]. La preuve administrée ne permet pas de conclure à de telles indemnités au regard du préjudice subi par le demandeur mais les sommes telles que réclamées ne sont pas manifestement excessives.
- Le demandeur a eu recours aux tribunaux comme moyen direct de faire valoir ses droits et le bien-fondé d’une demande légitime. Bien que son recours soit rejeté pour les motifs énoncés précédemment, il n’a pas été exercé dans l’objectif principal de limiter la liberté d’expression de la défenderesse mais dans celui de réparer ce qu’il considère être une atteinte fautive à sa réputation.
- Pour ces raisons, le Tribunal détermine que la demande introductive d’instance du demandeur ne constitue pas une poursuite-bâillon et ne franchit pas la barre élevée de l’abus.
- Les dommages moraux chez la défenderesse résultant de ce qu’elle considère des manœuvres de la part du demandeur pour la faire taire et limiter son droit de parole sont, au regard de la preuve, plus importants que ceux qui résultent de l’agression sexuelle du 3 janvier 2013. Notamment, la défenderesse évoque des idées suicidaires qui se seraient manifestées après le 16 octobre 2017 et la psychologue Barrière confirme l’impact plus important chez la défenderesse, de la poursuite judiciaire que du geste sexuel reproché. Le Tribunal a également pu le constater au cours du témoignage de la défenderesse.
- Si le Tribunal avait conclu à un recours abusif de la part du demandeur, de la nature d’une poursuite-bâillon, il aurait accordé à la défenderesse des dommages moraux de 40 000$. La réclamation en remboursement des honoraires d’avocats ne sera pas traitée, vu les conclusions qui précèdent.
- La règle prévoit que les frais de justice sont dus à la partie qui a gain de cause[202], en l’occurrence, la défenderesse-demanderesse reconventionnelle.
- Quant aux frais d’expertise, ils incluent ceux qui sont afférents à la rédaction du rapport, à la préparation et à la tenue du témoignage, et dans la mesure utile, à la présence de l’expert pour assister à l’instruction[203].
- L’objet du mandat de l’experte psychologue Barrière était de se prononcer sur les dommages psychologiques chez la défenderesse résultant des fautes reprochées au demandeur. Sa présence en salle d’audience les deux premières journées d’audience lors de l’administration de la preuve en demande n’était pas utile et le Tribunal retranche de sa facture[204] pour les seules fins de la détermination des frais de justice, les honoraires chargés pour "observation du procès" les 19 et 20 mars 2025.
- Les frais d’expert seront par conséquent réduits à 3 612$.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE la demande introductive d’instance du demandeur;
- ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle de la défenderesse;
- CONDAMNE le demandeur à payer à la défenderesse 16 500$ à titre de dommages-intérêts compensatoires, avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 16 décembre 2018;
- CONDAMNE le demandeur à payer à la défenderesse 2 500$ à titre de dommages punitifs, avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du présent jugement;
- LE TOUT, avec les frais de justice en faveur de la défenderesse, incluant les frais d’expert limités à 3 612$.
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| __________________________________ SUZANNE COURCHESNE, J.C.S. |
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Me Marie-Sophie Demers Me Juliette de Grandpré |
BERNIER FOURNIER INC. |
Avocats de la partie demanderesse/défenderesse reconventionnelle |
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Me Patrick Martin-Ménard Me Brigitte Antoine |
MÉNARD MARTIN AVOCATS |
Avocats de la partie défenderesse/demanderesse reconventionnelle |
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Dates d’audience : | Les 19, 20, 21, 24, 25 et 26 mars 2025 |
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