Ville de Léry c. Sintra inc. |
2021 QCCA 861 |
||
COUR D'APPEL |
|||
CANADA |
|||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||
GREFFE DE |
|||
|
|||
No : |
|||
|
|||
|
|||
PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
|||
|
|||
DATE : Le 13 mai 2021 |
|
|
|
FORMATION : LES HONORABLES |
|
|
|
|
PARTIE APPELANTE |
AVOCAT |
|
|
PARTIE INTIMÉE |
AVOCAT |
|
|
En appel d’un jugement rendu le 12 mai 2020 par l’honorable Nicole-M. Gibeau de la Cour supérieure, district de Beauharnois. |
NATURE DE L’APPEL : |
Salle : Louis-H.-Lafontaine |
AUDITION |
13 h 00 |
Début de l’audience. Identification du dossier et des avocats. Remarques préliminaires de la Cour. |
13 h 01 |
Argumentation de Me Turcotte. |
13 h 27 |
Commentaire de la Cour et poursuite des représentations de Me Turcotte. |
13 h 40 |
Suspension de l’audience. |
13 h 44 |
Reprise de l’audience. La Cour avise Me St-Pierre qu’il ne sera pas nécessaire d’entendre ses représentations. PAR LA COUR : Arrêt unanime rendu séance tenante - voir page 3. Fin de l’audience. |
|
|
|
René Gutknecht, Greffier-audiencier |
ARRÊT |
[1] La Ville de Léry (la « Ville ») se pourvoit, avec permission[1], à l’égard du jugement du 12 mai 2020 prononcé par l’honorable Nicole-M. Gibeau de la Cour supérieure, district de Beauharnois[2], qui déclare que les sommes dues par celle-ci à Sintra inc. (« Sintra »)[3] en vertu d’un jugement antérieur portent intérêt à un taux de 4,25 %.
LE CONTEXTE
[2] En mars 2010, la Ville lance un appel d’offres pour des infrastructures sanitaires. Sintra obtient le contrat. Des litiges naissent entre les parties dans l’exécution de ce contrat. Sintra réclame des paiements pour des travaux supplémentaires et la Ville demande une indemnité pour des travaux qui n’auraient pas été exécutés et le remboursement de montants qui auraient été versés en trop.
[3] Le 3 juillet 2019, l’honorable Florence Lucas de la Cour supérieure, district de Beauharnois, condamne la Ville à verser 1 916 665 $ à Sintra, plus les intérêts calculés selon le contrat intervenu entre les parties[4] :
[654] CONDAMNE la Ville de Léry de payer à Sintra inc. la somme de 1 916 665 $ (taxes exclues), plus les intérêts conventionnels correspondant à un taux égal à celui de la Banque du Canada en vigueur au moment de l'ouverture des soumissions plus deux pour cent (2%) à compter de la date d'assignation.
[Soulignement ajouté]
[4] Le jugement de la juge Lucas n’est pas porté en appel. Par contre, les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation du dispositif de ce jugement portant sur les intérêts, lequel cite l’article 9.2.1. du contrat, qui reprend à son tour le contrat-type de construction préparé par le Bureau de normalisation du Québec. Cet article contractuel prévoit ce qui suit[5] :
9.2.1 […] Lorsque la remise de la retenue de garantie n’est pas effectuée dans le délai de 45 jours, un intérêt à un taux égal à celui de la Banque du Canada en vigueur au moment de l’ouverture des soumissions plus 2% est payé à l’entrepreneur.
[Soulignement ajouté]
[5] La Ville soutient que le « taux égal à celui de la Banque du Canada » correspond au taux directeur de la Banque du Canada, alors que Sintra soutient plutôt qu’il s’agit du taux préférentiel calculé et publié par cette institution.
[6]
Les parties présentent
conjointement une Demande pour faciliter l’exécution du jugement selon
l’article
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[7] La juge débute son analyse en rejetant la demande de rejet partiel du rapport de l’expert, tout en précisant qu’elle n’est pas liée par l’opinion exprimée par ce dernier[6].
[8] Sur la question de fond, tout comme les parties, la juge constate l’ambiguïté du texte quant à la méthode de calcul des intérêts[7]. Elle résout cette ambiguïté (1) en tenant compte de la réalité commerciale qui exige un taux d’intérêt supérieur à celui fondé sur le taux directeur; (2) en tenant compte des modifications portées à la rédaction de la clause 9.2.1 par le Bureau de normalisation du Québec afin de clarifier l’ambiguïté résultant du texte antérieur; et (3) en interprétant le contrat en faveur de Sintra, laquelle a contracté l’obligation dans le cadre d’un contrat d’adhésion. La juge s’exprime comme suit[8] :
[49] La juge Lucas, dans son jugement du 3 juillet 2019, ne fait que reprendre le texte de l’article 9.2.1 du contrat sans qualifier le taux d’intérêt applicable.
[50] L’interprétation la plus plausible dans le cadre de cette réalité commerciale veut que les pénalités imposées au cocontractant en défaut aillent bien au-delà du simple taux directeur. D’ailleurs en 2019, le BNQ semble avoir clarifié une ambiguïté majeure quant au taux d’intérêt applicable au cas d’un manquement contractuel.
[51] Mais il y a plus.
[52] S’il subsiste un doute, Sintra soulève dans un deuxième temps que le Tribunal doit alors interpréter le contrat en sa faveur.
[53] Il s’appuie sur l’article
1432. Dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée. Dans tous les cas, il s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur.
[54] Or, la stipulation relative au paiement d’un intérêt est imposée et rédigée par la Ville; elle n’a pas été librement discutée avec Sintra.
[55] La justification de la lecture favorable au consommateur ou à l’adhérent repose sur cette idée que c’est à celui qui a maitrisé la conception des clauses de subir les conséquences d’une rédaction déficiente.
[56] Le Tribunal est par conséquent d’avis que « le taux égal à celui de la Banque du Canada en vigueur au moment de l’ouverture des soumissions » du paragraphe 644 du jugement du 3 juillet 2019 est le taux préférentiel publié ce jour par la Banque du Canada.
LA QUESTION EN APPEL
[9] La Ville soumet la seule question suivante : la juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant le contrat sur la base de principes généraux d’interprétation, plutôt que sur la base de la preuve présentée?
[10] Selon la Ville, l’expertise qu’elle a produite en première instance permet de déterminer que le taux directeur est le taux convenu. En effet, ce taux est celui fixé par la Banque du Canada, tandis que le taux préférentiel est plutôt un taux publié par cette institution et calculé statistiquement à partir du taux de base offert par les six grandes banques à chartes canadiennes. Le taux préférentiel ne serait donc pas celui de la Banque du Canada, mais plutôt celui des banques à chartes canadiennes.
ANALYSE
[11] Le texte en cause est ambigu en raison de son manque de précision[9]. En effet, il peut s’agir du taux directeur fixé par la Banque du Canada ou du taux préférentiel calculé par cette banque. En effet, même si la Banque du Canada ne fixe pas elle-même le taux préférentiel, il n’en demeure pas moins qu’elle le calcule et le publie. Il s’agit donc d’un taux calculé et publié par la Banque du Canada.
[12] L’utilisation des principes d’interprétation est donc requise pour déterminer le sens à donner à l’expression « taux de la Banque du Canada » afin de rechercher quelle a été l’intention commune des parties en utilisant cette expression.
[13] À cette fin, il faut tenir compte des éléments intrinsèques du contrat, tels que les termes de la disposition en cause et les autres clauses du contrat, afin de donner un effet utile à chacune d’entre elles. L’interprétation du contrat doit également s’appuyer sur sa nature, de même que sur son contexte extrinsèque, qui inclut notamment les circonstances factuelles entourant sa conclusion, l’interprétation que les parties lui ont donnée et les usages[10].
[14] Notons d’emblée que la juge de première instance n’était pas liée par l’opinion de l’expert[11]. Cette opinion portait sur un domaine qui ne relevait pas du champ d’expertise de l’expert, soit l’interprétation de dispositions contractuelles[12]. Bien que la juge n’ait pas rayé cette opinion du rapport de l’expert, elle aurait pu le faire.
[15] La juge de première instance a conclu, avec raison, que la réalité commerciale en l’espèce rend plus plausible l’interprétation proposée par Sintra voulant que ce soit le taux préférentiel publié par la Banque du Canada auquel il faut se référer. Cette interprétation obéit à un impératif commercial évident, puisqu’aucune des parties au contrat n’emprunte selon le taux directeur, mais plutôt selon le taux préférentiel, ce dernier taux répondant à la véritable réalité commerciale quotidienne des parties.
[16] Au contraire, il est difficile de trouver une logique commerciale à l’interprétation proposée par la Ville. Rappelons que le taux directeur n’a pas vocation à s’appliquer entre les particuliers ou les entreprises : il a une incidence sur les prêts journaliers entre les différentes banques canadiennes. En conséquence, pourquoi le contrat aurait-il choisi ce taux comme référence? La Ville n’offre d’ailleurs aucune explication quant à la logique commerciale qui aurait pu sous-tendre ce choix.
[17] Devant une interprétation d’un texte ambigu d’un contrat commercial qui répond à la logique commerciale des rapports entre les parties et une autre interprétation qui n’y répond pas, c’est la première qui doit prévaloir.
[18] Mais il y a plus. Comme le souligne la juge de première instance, le contrat-type du Bureau de normalisation du Québec, tel que mis à jour, indique clairement que le taux applicable est fondé sur le taux préférentiel, soit « un taux égal correspondant à la moyenne des taux de base des prêts aux entreprises publiée par la Banque du Canada en vigueur au moment de l’ouverture des soumissions plus 2 % »[13].
[19]
Bien qu’il ne s’agisse pas du même contrat que celui conclu par les
parties en l’espèce, c’est néanmoins un indice important qui confirme la
logique commerciale qui s’applique en l’espèce. En effet, les rédacteurs des
clauses-types ont modifié la terminologie utilisée au paragraphe 9.1.2 du
contrat. La juge a conclu que cette modification semble avoir servi afin de
mettre fin à l’ambiguïté du texte antérieur[14].
L’article
[20] En somme, la Ville n’a pas démontré que la juge de première instance aurait erré en droit ou en fait en concluant comme elle l’a fait. En l’occurrence, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir afin de réformer le jugement.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[21] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
|
JULIE DUTIL, J.C.A. |
|
JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
|
ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1]
Ville de Léry c. Sintra inc. (Région Rive-Sud),
[2]
Sintra inc. c. Ville de Léry,
[3] Dans les procédures en appel, l’intimée est décrite comme « Sintra inc. (Région Rive-Sud) », alors que les deux jugements de la Cour supérieure la concernant la décrivent comme « Sintra inc. ». Puisqu’il s’agit d’une question d’exécution du jugement de la Cour supérieure et en l’absence d’une preuve de changement du nom corporatif, la désignation de l’intimée sera la même que celle devant la Cour supérieure.
[4]
Sintra inc. c. Ville de Léry,
[5] Jugement de première instance, par. 34.
[6] Id., par. 27-28.
[7] Id., par. 36.
[8] Id., par. 49-56.
[9]
Didier Lluelles et Benoît Moore,
[10]
Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc.,
[11]
Ludmer c. Attorney General of Canada,
[12]
Services Sani-Marchand inc. c. Montréal-Nord (Ville de),
[13] BNQ 1809-900-III/2019, art. 9.2.1.
[14] Jugement de première instance, par. 50.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.