Procureure générale du Québec c. Vidéotron |
2019 QCCA 840 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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Nos : |
500-09-027032-176, 500-09-027042-175, 500-09-027043-173 |
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(500-17-077975-137, 500-17-077976-135) |
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DATE : |
LE 10 MAI 2019 |
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No 500-09-027032-176 (500-17-077975-137) |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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APPELANTE - intervenante |
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c. |
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VIDÉOTRON S.E.N.C. SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS ROGERS COMMUNICATIONS S.E.N.C. BELL CANADA COGECO CÂBLE INC. |
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INTIMÉES - demanderesses |
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et |
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VILLE DE GATINEAU |
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VILLE DE TERREBONNE |
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MISES EN CAUSE - défenderesses |
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et |
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FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS |
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INTERVENANTE |
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No 500-09-027042-175 (500-17-077975-137) |
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VIDÉOTRON S.E.N.C. SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS ROGERS COMMUNICATIONS S.E.N.C. BELL CANADA |
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APPELANTES - demanderesses |
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c. |
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VILLE DE GATINEAU |
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INTIMÉE - défenderesse |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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MISE EN CAUSE - intervenante |
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et |
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FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS |
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INTERVENANTE |
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No 500-09-027043-173 (500-17-077976-135) |
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VIDÉOTRON S.E.N.C. SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS ROGERS COMMUNICATIONS S.E.N.C. BELL CANADA |
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APPELANTES - demanderesses |
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c. |
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VILLE DE TERREBONNE |
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INTIMÉE - défenderesse |
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et |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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MISE EN CAUSE - intervenante |
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et |
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FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS |
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INTERVENANTE |
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ARRÊT |
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[1] La Procureure générale du Québec (« PGQ ») se pourvoit[1] contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Claudine Roy), rendu le 2 août 2017, lequel déclare invalides, inapplicables et inopérants constitutionnellement le Règlement numéro 718-2012 régissant toutes les interventions sur la propriété de la ville par les entreprises de télécommunication, de distribution, de transport et d’emmagasinage d’énergie de la Ville de Gatineau (« Gatineau ») ainsi que certaines dispositions de règlements tarifaires y afférents[2].
[2] De leur côté, Vidéotron s.e.n.c., Société Telus Communications, Rogers Communications s.e.n.c. et Bell Canada (collectivement les « Entreprises ») se pourvoient[3] contre le volet du jugement qui rejette leurs demandes de restitution des frais payés à Gatineau en vertu des dispositions réglementaires jugées inconstitutionnelles.
[3] Les Entreprises se pourvoient[4] également contre le volet du jugement qui rejette leur demande de restitution des frais payés à la Ville de Terrebonne (« Terrebonne ») en vertu de règlements similaires, lesquels ont toutefois été abrogés en cours d’instance.
[4] Compte tenu de la valeur de l’objet du litige pour Société Telus Communications et Rogers Communications s.e.n.c. dans le dossier impliquant Gatineau et pour les Entreprises dans le dossier impliquant Terrebonne, celles-ci ont présenté des requêtes pour permission d’appeler de bene esse. Un juge de la Cour a déféré ces requêtes à la présente formation[5].
[5] Ni Gatineau ni Terrebonne (collectivement les « Villes ») n’ont interjeté appel du jugement. Sur la question de la constitutionnalité des règlements, elles appuient la position de la PGQ, et sur la question de la restitution, elles défendent la conclusion de la juge selon laquelle les Entreprises auraient payé des frais de toute façon, que ce soit en vertu de règlements antérieurs ou en vertu de la Loi sur les télécommunications[6] et des décisions rendues par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC »).
[6] Le 12 octobre 2017, quatre mois après le prononcé du jugement de première instance, Gatineau a abrogé les règlements déclarés inconstitutionnels. Préalablement à l’audience, la Cour s’est enquise de la position des parties sur la nécessité de trancher la question constitutionnelle, compte tenu du principe de retenue rappelé par la Cour suprême dans l’arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray) :
Notre Cour a dit à maintes reprises qu’elle ne devait pas se prononcer sur des points de droit lorsqu’il n’est pas nécessaire de le faire pour régler un pourvoi. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit de questions constitutionnelles et le principe s’applique avec encore plus de force si le fondement de la procédure qui a été engagée a cessé d’exister.[7]
[7] À l’audience, les parties ont eu l’occasion de débattre à la fois du caractère théorique du pourvoi de la PGQ et du fond du litige.
[8] Pour les motifs qui suivent et vu la façon dont la Cour entend statuer sur l’obligation de restitution des Villes, il n’est pas nécessaire de trancher la question constitutionnelle. Les règlements en cause ayant été abrogés, le pourvoi de la PGQ est devenu théorique et la Cour est d’avis, eu égard au principe de retenue applicable et aux critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général)[8], de ne pas trancher le pourvoi au fond.
[9] Quant aux appels des Entreprises, la juge de première instance n’a pas erré en refusant la restitution. Les requêtes pour permission d’appeler de bene esse sont donc accueillies, mais les appels sont rejetés.
I. Contexte
[10] La question de l’occupation des emprises publiques par les entreprises de télécommunication constitue un enjeu local de longue date[9]. Le Parlement en était conscient[10] en 1993, lors de l’adoption de la Loi sur les télécommunications. Cette loi oblige les entreprises de télécommunication à obtenir l’agrément des municipalités avant de construire des lignes de transmission. Tout différend sur le sujet relève du CRTC.
[11] Il convient de citer les dispositions pertinentes de la Loi sur les télécommunications :
43. (1) Au
présent article et à l’article 44, « entreprise de distribution »
s’entend au sens du paragraphe (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l’article 44, l’entreprise canadienne et l’entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public. (3) Il est interdit à l’entreprise canadienne et à l’entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public — ou au-dessus, au-dessous ou aux abords de ceux-ci — sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente. (4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celui-ci peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.
[…] 44. Sur demande d’une administration municipale ou autre administration publique, le Conseil peut : a) soit obliger, aux conditions qu’il fixe, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution à enfouir les lignes de transmission qu’elles ont, ou projettent d’avoir, sur le territoire de l’administration en question ou à en modifier l’emplacement; b) soit ne leur en permettre la construction, l’exploitation ou l’entretien qu’en exécution de ses instructions. |
43. (1) In this section and section 44, “distribution undertaking” has the
same meaning as in subsection (2) Subject to subsections (3) and (4) and section 44, a Canadian carrier or distribution undertaking may enter on and break up any highway or other public place for the purpose of constructing, maintaining or operating its transmission lines and may remain there for as long as is necessary for that purpose, but shall not unduly interfere with the public use and enjoyment of the highway or other public place.
(3) No Canadian carrier or distribution undertaking shall construct a transmission line on, over, under or along a highway or other public place without the consent of the municipality or other public authority having jurisdiction over the highway or other public place. (4) Where a Canadian carrier or distribution undertaking cannot, on terms acceptable to it, obtain the consent of the municipality or other public authority to construct a transmission line, the carrier or distribution undertaking may apply to the Commission for permission to construct it and the Commission may, having due regard to the use and enjoyment of the highway or other public place by others, grant the permission subject to any conditions that the Commission determines. […] 44. On application by a municipality or other public authority, the Commission may (a) order a Canadian carrier or distribution undertaking, subject to any conditions that the Commission determines, to bury or alter the route of any transmission line situated or proposed to be situated within the jurisdiction of the municipality or public authority; or (b) prohibit the construction, maintenance or operation by a Canadian carrier or distribution undertaking of any such transmission line except as directed by the Commission. |
[12] En 1996, le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (« CERIU ») crée un groupe de travail composé d’intervenants issus des entreprises d’utilité publique ainsi que des municipalités afin d’établir un « environnement de réel partenariat pour l’usage multifonctionnel des emprises publiques »[11]. En 1998, le CERIU publie un « Guide de gestion des réseaux techniques urbains dans les emprises publiques » qui préconise l’utilisation d’un formulaire type de demande de consentement municipal[12].
[13] Plusieurs municipalités québécoises et entreprises de télécommunication optent pour l’utilisation de ce formulaire, uniformisant ainsi leurs pratiques[13]. Néanmoins, l’insatisfaction demeure chez les villes face à la croissance constante des demandes d’intervention, car celles-ci doivent supporter les conséquences économiques engendrées par les opérations effectuées sur les voies publiques, notamment la dégradation prématurée de la chaussée liée aux travaux d’excavation[14].
[14]
Parallèlement, le CRTC développe une jurisprudence sur les articles
[15] Au printemps de l’année 2008, Gatineau entreprend un projet de réhabilitation de ses réseaux d’aqueduc et d’égouts dans le secteur de Hull, ce qui nécessite des travaux de contournement et de soutènement des réseaux appartenant à Bell Canada. Cette dernière exige alors de la municipalité le paiement des coûts afférents à ces interventions, ce qui surprend monsieur Sylvain Boudreau, coordonnateur des réseaux techniques urbains pour Gatineau[16].
[16] Ce dernier, qui est d’avis que les contribuables n’ont pas à supporter ces frais, entreprend alors des recherches à l’échelon national afin de savoir comment d’autres municipalités gèrent cet enjeu[17]. Il apprend que certaines grandes villes canadiennes ont conclu des ententes fondées sur la jurisprudence du CRTC (accord d’accès municipal ou municipal access agreement) prévoyant un partage des coûts avec les entreprises de télécommunication[18].
[17] Inspiré par l’approche canadienne, monsieur Boudreau contacte l’Union des municipalités du Québec (« UMQ ») pour mettre en branle un processus de négociation afin que les villes québécoises puissent coordonner leurs efforts pour conclure de tels accords avec les entreprises de télécommunication. L’UMQ décide alors de mettre en place une table de concertation à laquelle participent Gatineau et Terrebonne[19].
[18] En 2009, la table de concertation amorce des négociations avec Bell Canada dans l’espoir de conclure une entente type à laquelle se soumettront les autres entreprises de télécommunication[20]. L’UMQ décrit ainsi le contexte et l’objectif de ces pourparlers :
Le 27 février 2009, le conseil d'administration de I'UMQ mandatait une table de concertation municipale afin qu'elle définisse les bases de partage des coûts entre les municipalités et les entreprises propriétaires de réseaux techniques urbains quant aux interventions réalisées dans les emprises publiques.
Les travaux de cette table s'inspirent en grande partie de l'étude de la FCM [Fédération canadienne des municipalités] et d'une série de décisions du CRTC favorables aux municipalités. Jusqu’ici, les travaux ont été orientés vers un projet d'entente avec Bell Canada. Après plusieurs phases de négociations, les parties ont réussi à s'entendre sur une majorité de points visés par la négociation, sans toutefois avoir convenu des aspects tarifaires. Les demandes de I'UMQ trouvent leur appui sur la politique réglementaire 2009-150 du CRTC.
[…]
En cas d'échec des pourparlers, un règlement type sera élaboré et diffusé aux villes membres de I'UMQ afin qu'elles soient en mesure de récupérer les coûts causés par les interventions des entreprises de télécommunications. Même s'il devait y avoir entente avec Bell, ce règlement permettra d'étendre le nouveau régime de recouvrement des coûts « causals » à l'ensemble des entreprises de télécommunications.[21]
[Caractères gras ajoutés]
[19] Le 22 avril 2012, alors que les négociations sont dans une impasse, l’UMQ adopte un projet de règlement relativement aux interventions sur les propriétés municipales par les entreprises de télécommunication[22]. Des représentants de Gatineau et de Terrebonne expliquent plus précisément les motivations qui ont mené à l’élaboration de ce règlement type :
Il y a deux ans environ, la table de concertation municipale a initié une série de rencontres afin de négocier une entente d'accès à l’emprise avec Bell Canada. Après 18 mois, les négociations achoppaient essentiellement sur le point numéro 1, soit les frais de demande d'intervention. Devant cet échec, I'UMQ mandatait la firme KPMG afin d'établir avec une grande précision, quels étaient les coûts réels d'analyse de ce genre de demandes. Ainsi, la firme KPMG créa un outil informatique permettant à chaque municipalité d'établir son propre coût d'analyse de demande d’intervention. De plus, afin d'éviter de se relancer dans des procédures de négociations avec les différentes compagnies de télécommunication, le comité a décidé de rédiger un projet de règlement municipal dans lequel on retrouve l’ensemble des éléments qui définissent les coûts causals.
Aujourd'hui le projet de règlement est terminé et a été approuvé par les directions du Greffe de quelques municipalités. Il est important de noter que ce projet de règlement vise principalement les compagnies de télécommunication (Bell, Vidéotron, Telus, etc.). Ces dernières sont sous l'autorité du CRTC et l'esprit du projet de règlement est basé sur leurs décisions et politiques.
[…]
En terminant, quelques grandes municipalités du Québec adopteront le projet de règlement afin de tester son application. Par la suite, ce règlement pourra s’étendre à l’ensemble des municipalités du Québec.[23]
[Caractères gras ajoutés]
[20] Le 9 octobre 2012, Gatineau adopte le Règlement numéro 718-2012 régissant toutes les interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication[24] (« Règlement 718-2012 »). Ce règlement, lequel est inspiré du projet de l’UMQ, a pour objectif de permettre « une gestion efficace de l’emprise publique vis-à-vis les infrastructures […] de télécommunication [et] de recouvrer les coûts causals » liés aux activités des entreprises de télécommunication[25].
[21] Le 11 février 2013, Terrebonne adopte le Règlement numéro 561 régissant toutes les interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication[26] (« Règlement 561 »), lequel est un calque de celui adopté quelques mois plus tôt par Gatineau[27].
[22] Les dispositions du Règlement 718-2012 de Gatineau et du Règlement 561 de Terrebonne sont pratiquement identiques. En gros, elles obligent toute entreprise de télécommunication à obtenir un permis de la ville avant d’effectuer des travaux sur la propriété municipale et à effectuer ces derniers selon les conditions prescrites. Les entreprises doivent par ailleurs s’engager à payer les coûts causals déterminés par la ville. Enfin, les règlements accordent de larges pouvoirs aux Villes en ce qui concerne la modification de l’échéancier des travaux, l’arrêt des travaux, la correction des travaux et la délocalisation ou le déplacement des infrastructures d’une entreprise de télécommunication.
[23] À la suite de l’adoption du Règlement 718-2012 et du Règlement 561[28], les Entreprises ainsi que Cogeco Câble inc. (« Cogeco ») décident de faire front commun et de contester devant la Cour supérieure la constitutionnalité de ces règlements et des dispositions tarifaires y afférentes. Pendant l’instance, les Entreprises acceptent de payer sous protêt les frais exigés par les Villes. Elles en réclament toutefois le remboursement dans l’éventualité où les dispositions réglementaires seraient déclarées inconstitutionnelles[29].
[24] Le 7 juillet 2014, considérant la contestation de son Règlement 561 devant la Cour supérieure, Terrebonne décide de l’abroger et d’adopter à la place la politique de facturation des coûts causals proposée par l’UMQ[30].
[25] Le 2 août 2017, la juge de première instance conclut que les règlements attaqués sont invalides, inapplicables et inopérants constitutionnellement. Elle refuse toutefois la restitution des frais payés par les Entreprises, estimant que celles-ci auraient payé des frais de toute façon et qu’elles « tireraient bénéfice de la situation »[31].
[26] Le 12 décembre 2017, à la suite de négociations avec les Entreprises et Cogeco devant mener ultimement à un accord d’accès municipal[32], Gatineau abroge le Règlement 718-2012[33].
II. Jugement entrepris
[27] Vu la conclusion à laquelle en vient la Cour sur le caractère théorique du pourvoi de la PGQ, il n’est pas nécessaire de résumer le jugement in extenso, il suffit d’en donner les grandes lignes.
[28] Après avoir exposé le contexte d’adoption des règlements, la juge se penche sur l’opportunité de se prononcer sur leur constitutionnalité. La PGQ et les Villes prétendaient alors que la question centrale consistait à déterminer qui des Villes ou des Entreprises (ainsi que Cogeco) devaient payer pour les coûts reliés aux travaux sur l’emprise publique et qu’il revenait au CRTC de statuer sur cette question. Les Villes ayant choisi d’agir par règlement, « créant ainsi des normes légales de comportement les liant aussi bien que les Demanderesses », la juge considère que celles-ci « sont en droit de faire statuer sur la constitutionnalité des règlements par une cour supérieure »[34].
[29] La juge énonce ensuite la compétence constitutionnelle dévolue aux provinces et au Parlement et examine la validité des règlements sous l’angle du partage des compétences. Se fondant sur la preuve extrinsèque, elle retient que « l’adoption des Règlements avait principalement pour but d’utiliser ceux-ci comme levier pour négocier des accord d’accès municipal »[35]. Plus loin, elle « constate que les Villes sont insatisfaites du mécanisme mis en place par le CRTC et qu’elles ont choisi d’imposer leurs propres normes réglementaires »[36].
[30] En définitive, la juge détermine que le caractère véritable des règlements porte sur « la planification, la construction, l’emplacement, l’entretien et le maintien en place des réseaux de télécommunication »[37]. Pour elle, « l’objet véritable est la gestion des réseaux de télécommunication »[38]. Après avoir rejeté la théorie du double aspect, elle conclut que « [c]ette matière relève de la compétence du Parlement et non de celle des Villes »[39] et, partant, que les règlements sont invalides.
[31] La juge examine ensuite la doctrine de l’exclusivité des compétences et celle de la prépondérance fédérale. Notons qu’elle aurait pu s’abstenir de le faire puisque l’analyse du caractère véritable suffisait pour trancher le litige. Quoi qu’il en soit, elle conclut que les règlements sont à la fois inapplicables et inopérants en vertu de ces doctrines.
[32] Sur la question du remboursement (ou de la restitution) des frais, la juge précise que la réclamation exclut « les coûts que les Demanderesses veulent facturer aux Villes lorsque ces dernières exigent le déplacement, la relocalisation ou l’ajustement de leurs équipements »[40]. Cette dernière réclamation a été déférée au CRTC.
[33] Quant aux frais payés par les Entreprises pour obtenir des permis d’intervention, les montants ne sont pas contestés et varient de quelques milliers de dollars dans le cas de Rogers Communications s.e.n.c., à plus de 500 000 $ dans le cas de Bell Canada.
[34] Considérant « certaines particularités du dossier », la juge ne suit pas l’arrêt Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances)[41] et refuse la restitution. Elle conclut que les Entreprises auraient payé des frais de toute façon, que ce soit en vertu de règlements antérieurs ou en vertu de la Loi sur les télécommunications et des décisions rendues par le CRTC, et que la restitution leur permettrait de tirer bénéfice de la situation.
[35] La juge accueille donc partiellement la demande dans le dossier impliquant Gatineau, déclare invalides, inapplicables et inopposables le Règlement 718-2012 ainsi que les dispositions tarifaires y afférentes et rejette la demande dans le dossier impliquant Terrebonne.
III. Questions en litige
[36] Par suite de l’abrogation du Règlement 718-2012, les questions suivantes se posent :
1. Le pourvoi de la PGQ est-il théorique?
2. Dans l’affirmative, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire de décider du pourvoi malgré son caractère théorique?
[37]
Quant aux pourvois des Entreprises, il s’agit de décider si la juge
pouvait refuser la restitution en vertu de l’article
IV. Analyse du pourvoi de la PGQ
A. La doctrine du caractère théorique
[38] Le droit en cette matière est clair. Dans l’arrêt de principe Borowski c. Canada (Procureur général)[42], la Cour suprême adopte une démarche analytique en deux temps :
La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. […][43]
[39] Le juge Sopinka, rendant le jugement de la Cour, précise que la première étape de l’analyse exige qu’on se demande s’il reste un litige actuel ou si, au contraire, le substratum du litige a disparu. Il donne quelques exemples de circonstances pouvant faire disparaître un litige et rendre la question théorique, dont ceux-ci :
Dans l'affaire Moir v. The Corporation of the Village of Huntingdon (1891), 19 R.C.S. 363, l'abrogation du règlement municipal contesté avant l'audition du pourvoi a entraîné la conclusion que l'appelant n'avait pas d'intérêt réel et qu'une décision n'aurait pas de conséquence pour les parties, sauf pour les dépens. De même, dans une situation analogue à l'espèce, le Conseil privé a refusé de se prononcer sur la constitutionnalité de dispositions législatives contestées parce que les lois en cause avaient été abrogées avant l'audition: Attorney-General for Alberta v. Attorney-General for Canada, [1939] A.C. 117 (C.P.)[44]
[40] La deuxième étape de l’analyse consiste à exercer le pouvoir discrétionnaire de juger ou non l’affaire malgré son caractère théorique. Pour ce faire, la Cour suprême formule des lignes directrices fondées sur les trois assises de la doctrine du caractère théorique : (i) le système contradictoire; (ii) l’économie des ressources judiciaires; et (iii) la fonction du tribunal dans l’élaboration du droit[45].
[41] Dans l’arrêt récent Impérial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé[46], la Cour résume ainsi ces trois facteurs :
[1203] En ce qui concerne le système contradictoire, la Cour suprême mentionne qu’il est l’un des principes fondamentaux du système juridique canadien et qu’il tend à garantir aux parties ayant intérêt dans un litige l’occasion de débattre de tous ses aspects. Elle rajoute que cette exigence peut être remplie malgré la disparition du litige actuel, si le débat contradictoire demeure, par exemple quant aux conséquences accessoires à la solution du litige.
[1204] En ce qui concerne l’économie des ressources judiciaires, elle impose de les « rationner et répartir » entre les justiciables. La Cour suprême mentionne que cette économie n’empêche pas d’entendre des affaires devenues théoriques quand la décision du tribunal « aura des effets concrets sur les droits des parties, même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l’action ». Elle ajoute qu’il peut être justifié « de consacrer des ressources judiciaires à des questions théoriques de nature répétitive et de courte durée », mais qu’il est normalement préférable d’attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire. Finalement, la Cour suprême écrit qu’il est justifié d’utiliser les ressources judiciaires pour répondre à une question théorique d’importance nationale, pourvu qu’il y ait un coût social si celle-ci est laissée sans réponse.
[1205] Pour ce qui est de la fonction du tribunal, la Cour suprême invite les tribunaux à la prudence et à ne pas s’écarter du rôle traditionnel de trancher des différends et de contribuer à l’élaboration du droit sans empiéter sur les rôles de l’exécutif et du législatif. […][47]
[Soulignement dans l’original; renvois omis]
[42] Conformément à ces lignes directrices, la Cour doit tenir compte de chacune des raisons d’être de la doctrine du caractère théorique, tout en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un processus mécanique et que « [l’]absence d’un facteur peut prévaloir, malgré la présence de l’un ou des deux autres, ou inversement »[48].
B. Le caractère théorique du pourvoi de la PGQ
[43] Le pourvoi de la PGQ attaque les déclarations d’invalidité, d’inapplicabilité et d’inopérabilité du Règlement 718-2012. Ce règlement ayant été abrogé après le prononcé du jugement de la Cour supérieure (et après la formation de l’appel), la Cour est d’avis que le substratum du pourvoi a disparu et qu’il n’y a plus de litige actuel ni de différend concret à trancher.
[44] Il y a, bien sûr, la question de la restitution des frais payés aux Villes, mais la PGQ n’a pas d’intérêt réel dans cette question et les Villes qui, elles, ont un intérêt n’ont pas fait appel du jugement. Elles plaident qu’il n’y a pas lieu à la restitution de toute façon. Ce débat qui oppose les Villes et les Entreprises ne peut donc servir de fondement distinct au pourvoi de la PGQ qui est par ailleurs théorique.
[45] La PGQ et la Fédération canadienne des municipalités font valoir l’importance de la question pour le public. Bien que cette considération soit pertinente à la deuxième étape de l’analyse de la doctrine du caractère théorique, elle n’est d’aucune utilité pour décider si le pourvoi satisfait au critère du « litige actuel ».
[46] La PGQ insiste sur la valeur erga omnes du jugement. Selon elle, le jugement fait perdre à la province ainsi qu’aux villes et municipalités « la compétence de réglementer les modalités d’exécution des travaux sur leur propre propriété »[49].
[47] Cet argument n’est pas fondé. D’abord, la juge de première instance prend bien soin de préciser qu’un règlement ayant pour objet la gestion des emprises publiques pourrait être valide :
[148] Un règlement qui se limiterait à la gestion des emprises publiques pourrait être valide. Par exemple, une ville peut exiger des informations des Entreprises sur les interventions projetées, coordonner les interventions des différentes entreprises d’utilité publique, assurer la sécurité publique, etc. Mais les Règlements vont beaucoup plus loin; à tel point que l’aspect de gestion de l’emprise publique devient l’accessoire du principal.
[48] Ensuite, l’argument ne tient pas compte du fait que le jugement statue sur la constitutionnalité de règlements précis et en fonction du contexte propre à l’affaire. La juge le dit clairement :
[91] Le Tribunal ne se prononce que sur la constitutionnalité des règlements de Gatineau et Terrebonne. Il analyse l’objet de ces règlements seulement. La documentation concernant d’autres villes, d’autres ententes ou d’autres règlements ne sert qu’à expliquer la démarche et la réflexion de Gatineau et de Terrebonne pour demander la formation de la table de concertation de l’UMQ, puis l’étude des coûts causals de KPMG et enfin, la rédaction d’un règlement type par l’UMQ.
[49] Du reste, pour déterminer le caractère véritable des règlements, la juge se réfère à la preuve extrinsèque liée au contexte de leur adoption. Elle retient, entre autres choses, « que les Villes sont insatisfaites du mécanisme mis en place par le CRTC et qu’elles ont choisi d’imposer leurs propres normes réglementaires »[50]. Cette conclusion est spécifique aux règlements adoptés par Gatineau et Terrebonne.
[50] Le pourvoi de la PGQ étant théorique, il est nécessaire d’aborder la deuxième étape de l’analyse portant sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
C. L’application des critères relatifs à l’exercice du pouvoir discrétionnaire
[51] Le premier critère, celui ayant trait à l’exigence du débat contradictoire, ne fait pas problème ici. Les parties ont eu l’occasion de plaider le pourvoi au fond.
[52] Pour cette raison, on pourrait croire que le deuxième critère se rapportant à l’économie des ressources judiciaires est aussi satisfait. Or, selon les enseignements de l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), le fait que la Cour a entendu le pourvoi au fond ne saurait jouer en faveur de la PGQ : « [i]l serait anormal qu’en mettant en délibéré la question de la nature théorique et en entendant le pourvoi au fond, la Cour compromette son pouvoir discrétionnaire de le décider »[51].
[53] Si l’on s’en tient aux facteurs qui justifieraient, selon la Cour suprême, de consacrer des ressources judiciaires à l’affaire, force est d’admettre qu’un arrêt de la Cour sur la question soulevée par le pourvoi de la PGQ n’aurait pas d’effet concret sur les droits des parties. Rappelons que Terrebonne a abrogé le Règlement 561 et a tout simplement adopté la politique de facturation des coûts causals proposée par l’UMQ. De son côté, Gatineau a saisi le CRTC d’une demande d’approbation de l’accord d’accès municipal proposé aux Entreprises et a abrogé le Règlement 718-2012. Elle ne l’a pas remplacé par un règlement similaire. Ainsi, la question de la constitutionnalité de ces règlements précis n’est plus d’actualité et n’est pas susceptible de refaire surface. De plus, comme on le verra plus loin, il n’est pas nécessaire de trancher cette question pour statuer sur l’obligation de restitution des Villes.
[54] Il ne s’agit pas non plus d’une question « de nature répétitive et de courte durée »[52] pouvant difficilement être soumise aux tribunaux, comme c’est souvent le cas en matière d’habeas corpus (demandes relatives au transfert et à l’isolement des détenus) ou de garde en établissement[53]. Selon toute vraisemblance, la question pourra être soumise à une cour d’appel ou à la Cour suprême à l’égard d’un règlement municipal en vigueur[54].
[55] Enfin, même si la question en jeu revêt une importance à l’échelle nationale, cet élément ne suffit pas. Encore faut-il qu’il y ait un coût social si cette question est laissée sans réponse. Cette démonstration n’a pas été faite ici.
[56] Au surplus, la PGQ a plaidé en première instance que les recours des Entreprises ne permettraient pas de solutionner des difficultés réelles. Elle estimait alors que le fait de se prononcer sur la validité constitutionnelle des règlements « n’aurait aucune utilité pratique » vu l’obligation des entreprises de télécommunication d’obtenir l’agrément des Villes en vertu du paragraphe 43(3) de la Loi sur les télécommunications[55] et la compétence du CRTC en cette matière. Maintenant que les règlements ne sont plus en vigueur et que Gatineau, de fait, s’est adressée au CRTC, on voit mal comment le fait pour la Cour de laisser la question sans réponse entraînerait un coût social.
[57] Quant au troisième critère, celui de la fonction du tribunal dans l’élaboration du droit, il joue ici contre l’exercice du pouvoir discrétionnaire de décider du pourvoi au fond. Sauf si elle est saisie d’un renvoi par le gouvernement, le rôle traditionnel de la Cour consiste à examiner et, au besoin, réformer des jugements rendus par des cours d’instance inférieure. Elle ne se prononce pas dans l’abstrait ni ne donne d’opinion juridique.
[58] Dans le cas présent, si la Cour décidait de juger l’affaire au fond, elle devrait s’intéresser uniquement au jugement rendu par la Cour supérieure, en fonction des dispositions réglementaires en cause et de la preuve extrinsèque qui a été administrée. Ces dispositions n’étant plus en vigueur, il ne revient pas à la Cour, à moins d’un renvoi, de donner son opinion sur les limites de la compétence des provinces, villes et municipalités de réglementer les modalités d’exécution des travaux des entreprises de télécommunication sur leur territoire. Le pourvoi de la PGQ à l’encontre du jugement de première instance ne saurait être assimilé à un renvoi.
[59] Pour ces motifs, la Cour est d’avis de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur le fond du pourvoi de la PGQ malgré son caractère théorique. Ce faisant, elle n’exprime aucun avis sur la constitutionnalité du Règlement 561 de Terrebonne ou du Règlement 718-2012 de Gatineau.
V. Analyse des pourvois des Entreprises
A. Les règles applicables à la réclamation des Entreprises
[60] Les Entreprises reprochent à la juge d’avoir appliqué une grille d’analyse de droit privé. Selon elles, le droit constitutionnel exige la restitution intégrale, de sorte que la juge ne jouissait d’aucune discrétion pour la refuser.
[61] Elles s’appuient en cela sur les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances)[56]. Cet arrêt porte sur « la possibilité d’invoquer les règles relatives à la restitution pour recouvrer des sommes perçues en vertu de dispositions législatives ultérieurement déclarées ultra vires »[57]. Le juge Bastarache, rendant le jugement de la Cour, conclut « que d’une manière générale, elles peuvent l’être »[58], mais décide de trancher l’affaire « en fonction de principes constitutionnels plutôt que de la notion d’enrichissement sans cause »[59]. Il s’en explique ainsi :
33 Il existe au moins deux catégories distinctes de restitution : (1) la restitution consécutive à un acte fautif; (2) la restitution pour enrichissement sans cause […] La présente affaire soulève une notion différente de restitution, fondée sur le principe constitutionnel suivant lequel des taxes ne devraient pas être levées sans autorisation légale. […]
34 […] Je ne trancherai pas ce pourvoi comme une question d’enrichissement sans cause. En l’espèce, les contribuables utilisent un recours relevant d’un droit constitutionnel. Ce recours est en fait le seul qui soit approprié, puisqu’il soulève d’importants principes constitutionnels qui ne seraient pas pris en considération si l’action était abordée sous l’angle d’une autre catégorie de restitution. […]
[…]
40 La restitution de taxes ultra vires n’entre pas vraiment dans l’une ou l’autre des deux catégories établies en matière de restitution. Elle constitue plutôt une troisième catégorie, distincte de l’enrichissement sans cause. L’action en recouvrement de taxes perçues sans autorisation légale et l’action pour enrichissement sans cause relèvent toutes les deux de la justice restitutive, mais ces recours ont été élaborés dans notre système juridique selon des voies différentes et avec des objectifs distincts. L’action en recouvrement de taxes est solidement fondée, à titre de recours de droit public, sur un principe constitutionnel qui découle des plus anciennes tentatives de la démocratie pour circonscrire le pouvoir du gouvernement dans le cadre de la primauté du droit. L’enrichissement sans cause, en revanche, tire son origine de l’action indebitatus assumpsit de la common law, par laquelle le demandeur peut obtenir réparation à l’égard de dommages de nature quasi-contractuelle […][60]
[Renvois omis]
[62]
Notons qu’il existe au Québec une autre catégorie de restitution :
celle fondée sur la répétition de l’indu (article
41 D’un point de vue comparatif, il est
intéressant de signaler que, au Québec, notre Cour a indiqué que les actions en
recouvrement de taxes illégalement perçues pouvaient être engagées selon la
voie plus simple que je suggère. Selon la Cour, ces actions pouvaient en effet
être intentées en vertu de l’art.
[Renvois omis]
[63] Ainsi, en décidant de trancher le pourvoi sous l’angle du principe constitutionnel suivant lequel des taxes ne devraient pas être levées sans autorisation légale, le juge Bastarache ne dit pas que les règles de la répétition de l’indu et celles, plus larges, de la restitution des prestations ne peuvent pas s’appliquer à une action en recouvrement de sommes illégalement perçues.
[64]
Ces règles sont prévues aux articles
1491. Le paiement fait par erreur, ou simplement pour éviter un préjudice à celui qui le fait en protestant qu’il ne doit rien, oblige celui qui l’a reçu à le restituer. […] 1492. La restitution de ce qui a été payé indûment se fait suivant les règles de la restitution des prestations. 1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu’une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu’elle a reçus sans droit ou par erreur, ou encore en vertu d’un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d’une force majeure. Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder à l’une des parties, débiteur ou créancier, un avantage indu, à moins qu’il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l’étendue ou les modalités de la restitution. |
1491. A payment made in error, or merely to avoid injury to the person making it while protesting that he owes nothing, obliges the person who receives it to make restitution. […] 1492. Restitution of payments not due is made according to the rules for the restitution of prestations. 1699. Restitution of prestations takes place where a person is bound by law to return to another person the property he has received, either without right or in error, or under a juridical act which is subsequently annulled with retroactive effect or whose obligations become impossible to perform by reason of superior force. The court may, exceptionally, refuse restitution where it would have the effect of according an undue advantage to one party, whether the debtor or the creditor, unless it considers it sufficient, in that case, to modify the scope or modalities of the restitution instead. |
[65] Dans l’arrêt Marcotte c. Longueuil (Ville de), le juge LeBel rappelle que ces règles forment le droit commun du Québec en cette matière :
[35] J’ajoute que les
demandes de remboursement de toutes les taxes foncières et d’affaires versées
dans les quatre secteurs visés par les projets de recours collectifs paraissent
peu compatibles avec les principes gouvernant la répétition de l’indu et la
restitution des prestations selon le Code civil du Québec,
notamment aux art. 1492 et 1699. Ces principes constituent
d’ailleurs le droit commun du Québec en ces matières, même en droit
municipal depuis l’entrée en vigueur du Code civil du Québec (Doré
c. Verdun (Ville),
[Caractères gras ajoutés]
[66]
La juge Deschamps, exprimant l’opinion des juges minoritaires, est aussi
d’avis « qu’une demande de remboursement de taxes imposées sans droit
correspond à l’action en répétition de l’indu (art.
[67]
Les Entreprises conviennent qu’elles pourraient « accessoirement se
prévaloir d’un recours de droit privé en répétition de l’indu »[64],
mais insistent sur le fait que la réparation demandée est de nature
constitutionnelle. Elles opposent ainsi les principes constitutionnels reconnus
par la Cour suprême dans l’arrêt Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick
(Finances) et le pouvoir discrétionnaire que l’article
[68] La question a divisé la Cour suprême dans l’arrêt Marcotte c. Longueuil (Ville de)[66]. Le juge LeBel, au nom des cinq juges majoritaires, résume ainsi l’argument des contribuables qui s’apparente à celui des Entreprises :
[30] […] Dans l’optique des appelants, la situation est simple et claire. Après l’annulation des règlements autorisant la perception des taxes, une dette existe immédiatement. Les contribuables des secteurs visés ont droit au remboursement des impôts municipaux qu’ils ont versés.
Or, pour le juge LeBel, la chose n’est pas si simple :
La situation qui résulterait de l’annulation paraît plus complexe que le suggère cette argumentation. Il faut l’analyser avec soin, déterminer l’effet juridique du jugement de nullité et s’interroger sur la nature réelle des recours engagés par les appelants dans le contexte créé par le système fiscal applicable à la municipalité et à ses contribuables. […]
Il conclut :
[36] En l’espèce, les appelants ont reçu des services municipaux au cours des années 2003, 2004 et 2005. Par ailleurs, le conflit sur le calcul de leur impôt ne touche qu’une fraction de ceux-ci. Suivant les principes applicables à la restitution des prestations, il reste peu probable que le montant de leur créance corresponde à celui de leur demande. Dans ce cadre juridique et dans ce contexte, la conclusion recherchée ne répond pas au critère de l’apparence de droit sérieuse […][67]
[Renvois omis]
[69] Bref, pour la majorité de la Cour suprême, il n’y a pas d’automatisme. La demande de nullité et celle en recouvrement de taxes peuvent « constituer des éléments indissociables d’un même recours »[68], mais pas nécessairement. Tout dépend du contexte créé par le régime d’imposition applicable et les services municipaux reçus peuvent être pris en compte pour écarter ou tempérer l’obligation de restitution[69].
[70] Au fond, l’arrêt Marcotte c. Longueuil (Ville de) est venu nuancer l’arrêt Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances) en intégrant dans l’analyse les principes d’équité et de justice qui sous-tendent le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 1699 al. 2 C.c.Q.[70]. De fait, selon des auteurs, cette disposition est un « exemple typique du pouvoir d’équité accordé au juge par le législateur »[71].
[71]
Il s’ensuit que les principes constitutionnels invoqués par les
Entreprises, notamment celui de la primauté du droit, ne sont pas incompatibles
avec les règles de la restitution des prestations prévues au Code civil du
Québec. Contrairement à ce que plaident les Entreprises, la juge pouvait
refuser la restitution en vertu de l’article
B. L’exercice du pouvoir discrétionnaire de la juge de refuser la restitution
[72] Comme on l’a vu, le pouvoir de refuser la restitution dans le cas où elle aurait pour effet d’accorder un avantage indu à l’une des parties en est un d’équité et de justice. Il s’agit d’un pouvoir « tout à fait exceptionnel » que le juge doit exercer avec « modération et transparence, en expliquant en quoi la restitution procurerait un avantage injustifié »[72].
[73] En l’espèce, la juge constate que les Entreprises auraient payé des frais à Gatineau en vertu du règlement antérieur adopté en 2008 et que le tarif est à peu près identique. Dans le cas de Terrebonne, elle note que la Ville imposait des frais depuis 2010, avant l’adoption du Règlement 561, et qu’elle en impose également depuis son abrogation.
[74]
La juge fait aussi observer que n’eût été la contestation
constitutionnelle, les Entreprises auraient soit accepté les conditions imposées
par les Villes, soit demandé au CRTC de fixer les conditions en vertu du
paragraphe
[201] […] Les parties ont déposé suffisamment de décisions du CRTC pour que le Tribunal puisse conclure qu’il est probable, voire certain, que le CRTC aurait ordonné un paiement quelconque pour les interventions même s’il n’est pas possible d’établir le quantum avec précision.
[75] En somme, la juge conclut que les Entreprises auraient payé des frais de toute façon, que ce soit en vertu de règlements antérieurs ou en vertu de la Loi sur les télécommunications et des décisions rendues par le CRTC, et que la restitution leur permettrait de tirer bénéfice de la situation.
[76] Cette conclusion trouve appui dans la preuve et n’est pas déraisonnable. D’une part, les Entreprises ont réalisé des interventions sur les emprises des Villes, partant, elles devaient payer les « coûts causals » en résultant. Le droit des municipalités canadiennes de recouvrer ces coûts est expressément prévu par l’accord type d’accès municipal élaboré par le CRTC[73].
[77] D’autre part, les Villes se sont basées sur le rapport de KPMG[74] pour déterminer les « coûts causals », elles n’ont pas procédé de façon arbitraire ou injuste. Un représentant de Bell Canada a du reste confirmé que les frais payés à Gatineau avant l’adoption du Règlement 718-2012 devaient « ressembler aux mêmes montants qui sont demandés aujourd’hui en termes de tarifs »[75].
[78]
La solution retenue par la juge se veut donc respectueuse des principes
d’équité et de justice qui sous-tendent le pouvoir discrétionnaire prévu à
l’article
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
Dans le dossier 500-09-027032-176 :
[79] REJETTE l’appel, sans frais de justice, le caractère théorique du pourvoi ayant été soulevé par la Cour.
Dans le dossier 500-09-027042-175 :
[80] ACCUEILLE la requête de Société Telus Communications et Rogers Communications s.e.n.c. pour permission d’appeler de bene esse, sans frais de justice;
[81] REJETTE l’appel, avec frais de justice en faveur de la Ville de Gatineau.
Dans le dossier 500-09-027043-173 :
[82] ACCUEILLE la requête de Vidéotron s.e.n.c., Société Telus Communications, Rogers Communications s.e.n.c. et Bell Canada pour permission d’appeler de bene esse, sans frais de justice;
[83] REJETTE l’appel, avec frais de justice en faveur de la Ville de Terrebonne.
[1] Dossier 500-09-027032-176.
[2] Vidéotron
c. Ville de Gatineau,
[3] Dossier 500-09-027042-175.
[4] Dossier 500-09-027043-173.
[5] Vidéotron
c. Ville de Gatineau,
[6] Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38.
[7]
Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la
mine Westray),
[8] Borowski
c. Canada (Procureur général),
[9] Déjà, en 1880, avec l’adoption de l’Acte à l’effet d’incorporer la Compagnie Canadienne de Téléphone Bell, S.C. 1880, ch. 67, le Parlement assujettissait la compagnie Bell au respect de certaines exigences municipales quant à ses travaux de construction, d’érection et de maintien de ses lignes téléphoniques (art. 3). De même, en 1903, avec l’adoption de l’Acte des chemins de fer, S.C. 1903, ch. 58, le Parlement prévoyait également de telles exigences à l’égard des travaux effectués par des compagnies de téléphonie et de télégraphie (art. 192 à 195).
[10] Pièce PC-35, Chambre des communes, Sous-comité sur le projet de loi C-62 du Comité permanent des communications et de la culture, Procès-verbaux, 34e lég., 3e sess., fasc. 10, 13 mai 1993, 10 : 43 - 10 : 46.
[11] Pièce DG-13, Guide de gestion des réseaux techniques urbains dans les emprises publiques, p. 1-2.
[12] Id., p. 36 et 56.
[13] Témoignage de Charles Gosselin, 23 mai 2017, p. 84; Témoignage de José Tiburcio, 24 mai 2017, p. 123; Témoignage de Pierre Ménard, 24 mai 2017, p. 176-177 et 232.
[14] Témoignage de Sylvain Boudreau, 25 mai 2017, p. 30-33; Pièce DG-2, Document de l’Union des municipalités du Québec intitulé « Vers un partage équitable des coûts de déploiement, de déplacement et d’entretien des réseaux de télécommunication », p. 1-2; Pièce PC-24, Document intitulé « Reinstatement of Utility Cuts : An Innovative Solution to an Old Problem », p. 165-177.
[15] Ledcor/Vancouver - Construction, exploitation et entretien de lignes de transmission à Vancouver, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC 2001-23, 25 janvier 2001, Pièce PC-2, p. 7, paragr. 43.
[16] Témoignage de Sylvain Boudreau, 25 mai 2017, p. 18-33.
[17] Id., p. 34-45.
[18] Voir notamment : Pièce PC-5, Document intitulé « Rights-of-Way Consent And Access Agreement », intervenu le 11 avril 2005 entre la Ville d’Edmonton et Bell Canada, p. 1-21.
[19] Témoignage de Sylvain Boudreau, 25 mai 2017, p. 46-65.
[20] Id., p. 62-65.
[21] Pièce DG-2, Supra, note 14, p. 1-2.
[22] Pièce PG-14, Projet de règlement relativement aux interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication (daté du 22 avril 2012), p. 1-13.
[23] Pièce PG-15, Contact Plus - La revue de l’Association des ingénieurs municipaux du Québec, no 82, été 2012, p. 29.
[24] Pièce PG-1, Règlement numéro 718-2012 régissant toutes les interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication, p. 1-16. Ce règlement a été modifié le 19 février 2013 afin d’étendre son application aux entreprises de distribution, de transport et d’emmagasinage d’énergie. Voir Pièce DG-1.1, Règlement numéro 718-1-2013, p. 1-4.
[25] Pièce DG-1, PowerPoint d’une présentation au comité plénier du conseil de la Ville de Gatineau, 11 septembre 2012, intitulé « Règlement relatif aux interventions des entreprises de télécommunication dans l’emprise municipale », p. 23.
[26] Pièce PT-1, Règlement numéro 561 régissant toutes les interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication, p. 1-13.
[27] Jugement entrepris, paragr. 69 et 84.
[28] Initialement, des règlements similaires adoptés par les Villes de Saint-Eustache et Laval étaient également attaqués. Ces dernières ont toutefois abrogé leurs règlements et en sont arrivées à une entente à l’amiable.
[29] Pièce PG-4, En liasse, lettres entre les procureurs des parties, p. 119-124.
[30] Pièce DT-10, Règlement numéro 561-1 abrogeant le Règlement numéro 561 régissant toutes les interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication; Pièce DT-11, Résolution 308-06-2014 de la Ville de Terrebonne.
[31] Jugement entrepris, paragr. 202.
[32] Il appert que Gatineau a déposé au mois d’avril 2017 une demande d’approbation au CRTC des termes et modalités d’un projet accord d’accès municipal en raison de l’impossibilité d’en arriver à la conclusion d’une entente avec les Entreprises. Voir à cet égard la pièce PG-18, Échanges de lettres entre les procureurs des parties et le CRTC.
[33] Pièce non cotée, Copie vidimée du Règlement numéro 825-2017 abrogeant le Règlement numéro 718-2012 et ses amendements, régissant toutes les interventions sur la propriété de la Ville par les entreprises de télécommunication, de distribution, de transport et d’emmagasinage d’énergie.
[34] Jugement entrepris, paragr. 77.
[35] Id., paragr. 132.
[36] Id., paragr. 134.
[37] Id., paragr. 137.
[38] Id., paragr. 138.
[39] Id., paragr. 157.
[40] Id., paragr. 193.
[41] Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances),
[42] Borowski c. Canada (Procureur général), supra, note 8.
[43] Id., p. 353.
[44] Id., p. 354.
[45] Id., p. 358 à 363.
[46] Impérial
Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé,
[47] Id., paragr. 1203-1205.
[48] Borowski c. Canada (Procureur général), supra, note 8, p. 363.
[49] Mémoire de la PGQ, paragr. 1; lettre de Me Samuel Chayer aux juges de la formation, 30 octobre 2018.
[50] Jugement entrepris, paragr. 134.
[51] Borowski c. Canada (Procureur général), supra, note 8, p. 364.
[52] Id., p. 360.
[53] Voir
par exemple : R. c.
Oland,
[54] La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a d’ailleurs rendu une décision récemment portant sur la constitutionnalité d’un règlement similaire adopté par la Ville de Calgary : Bell Canada Inc. v. Calgary (City), 2018 ABQB 865. La Ville de Calgary a fait appel du jugement (The City of Calgary (a) v. Bell Canada Inc. (R) and others, 1801-0351AC).
[55] Requêtes en irrecevabilité de la PGQ, 5 juin 2013. Le débat sur l’irrecevabilité a finalement été reporté au fond, comme le mentionne la juge au paragraphe 73 du jugement entrepris.
[56] Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Finances), supra, note 41.
[57] Id., paragr. 12.
[58] Ibid.
[59] Ibid.
[60] Id., paragr. 33-34 et 40.
[61] Id., paragr. 41.
[62] Marcotte
c. Longueuil (Ville de),
[63] Id., paragr. 107.
[64] Mémoire des Entreprises dans les dossiers 500-09-027042-175 et 500-09-027043-173, paragr. 11.
[65] Id., paragr. 14.
[66] Marcotte c. Longueuil (Ville de), supra, note 62.
[67] Id., paragr. 30 et 36.
[68] Id.,
paragr. 32, se référant à l’arrêt Abel Skiver Farm Corp. c. Ville de Ste-Foy,
[69] Pascal
Fréchette,
[70] Voir
à cet égard : Véronique Belpaire et Benoit Dagenais, « Les arrêts
Marcotte et Breslaw : une nouvelle occasion pour la Cour suprême de
se positionner sur la question du remboursement de taxes en droit
municipal »,
[71] Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 1138-1139, no 921.
[72] Didier
Lluelles et Benoît Moore,
[73] Pièce PC-28, Décision de télécom CRTC 2013-618 et accord type d’accès municipal.
[74] Pièce PC-26, Rapport final intitulé « Étude des coûts causals » préparé pour l’Union des municipalités du Québec par KPMG.
[75] Témoignage de Charles Gosselin, 23 mai 2017, p. 93-94.
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