Décision

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Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Gestion Gilles Laurence ltée

2025 QCCA 75

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

 MONTRÉAL

 :

500-10-700072-232

(700-36-001746-220) (700-36-001747-228)

 

DATE :

29 janvier 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

APPELANT – intimé

c.

 

GESTION GILLES LAURENCE LTÉE

GESTION DANIEL SAUVÉ INC.

INTIMÉES – appelantes

 

 

ARRÊT

 

 

  1.                 L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Terrebonne (l’honorable Christian Immer), accueillant l’appel formé par les intimées à l’encontre d’un jugement de la Cour du Québec, district de Terrebonne (madame Lucie Marier, juge de paix magistrat), les déclarant coupables d’avoir exercé les fonctions d’entrepreneur sans être titulaires de la licence requise à cette fin en vertu de la Loi sur le bâtiment.
  2.                 Pour les motifs de la juge Lavallée, auxquels souscrit le juge Hamilton, LA COUR :
  3.                 REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

 

  1.                 De son côté, le juge Bachand aurait accueilli l’appel, infirmé le jugement de la Cour supérieure et rétabli les déclarations de culpabilité prononcées par la Cour du Québec, avec les frais de justice.

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

Me Daniel Martel-Croteau

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’appelant

 

Me Martin Villa

SERVICES JURIDIQUES DE L’APCHQ

Pour les intimées

 

Date d’audience :

15 avril 2024


 

 

MOTIFS DE LA JUGE LAVALLÉE

 

 

  1.                 Ayant pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Bachand, je ne puis, avec égards, souscrire à son opinion selon laquelle chacune des intimées est coupable d’avoir agi comme entrepreneur au sens de l’article 7 de la Loi sur le bâtiment[1], sans être titulaire de la licence requise à cette fin.
  2.                 À l’instar du juge Immer de la Cour supérieure[2] qui a accueilli l’appel des intimées contre le jugement de la Cour du Québec[3] les ayant déclarées coupables de ces infractions[4], je suis d’avis que les travaux municipaux qui ont fait l’objet d’une entente avec la Ville de Sainte-Adèle (« Ville ») ont été accomplis dans l’intérêt des propriétaires, soit les intimées, et non de la Ville.
  3.                 Par conséquent, au moment des infractions pour lesquelles elles ont été poursuivies, les intimées étaient des « constructeurs-propriétaires » des terrains, qui bénéficiaient d’une exception au titre de l’article 49 de la Loi sur le bâtiment, et n’avaient donc pas à détenir une licence d’entrepreneur, comme le juge Immer le souligne :

[34] Il est aussi important de relever que la juge retient ce qui suit :

[17] La construction des rues débute en 2017. À l’automne 2021, les deux défenderesses sont toujours propriétaires des rues et responsables de leur entretien incluant le déneigement. En effet, la cession des rues à la Ville n’est pas encore réalisée puisque, selon le protocole, le pourcentage des maisons bâties n’est pas atteint.

(…)

[40]  Sur le premier point, la preuve est claire; les rues sont construites non pas pour l’usage personnel des promoteurs, mais pour autrui, par une cession à titre gratuit à la Ville lorsqu’un certain nombre de maisons seront construites.

[35] Elle a tort de tirer ces conclusions. Rien ne dit qu’il y a aura éventuellement cession de la rue à la Ville. Au moment du jugement, il n’y avait pas encore cession. La condition de 25 % des lots construits doit d’abord être remplie. Ensuite, la Ville doit exercer sa discrétion en faveur de la municipalisation de la rue. De plus, aucun des entrepreneurs ayant travaillé sur la rue ne doit avoir inscrit une hypothèque légale.

[36] Ainsi, le Tribunal juge que chacune des défenderesses à titre de promoteur fait exécuter les travaux pour « son compte ». Elles sont donc nécessairement un « constructeur propriétaire ». Elles doivent donc détenir une licence à ce titre conformément à l’article 48 LB, à moins qu’elles puissent se qualifier au titre d’une exception énoncée à l’article 49 LB. Les parties n’ont pas fait référence à cette question, mais le Tribunal note que le chef d’accusation ne traite pas d’une telle accusation.[5]

  1.                 Dans son ouvrage consacré aux ententes relatives à des travaux municipaux régies par les articles 145.21 et suivants de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[6] (LAU), Jean-Pierre St-Amour qualifie ces ententes non pas de contrats d’entreprise au sens de l’article 2098 du Code civil du Québec (C.c.Q.), mais bien de contrats sui generis participant d’un encadrement législatif et réglementaire particulier ayant pour finalité de régir le développement du territoire dans l’intérêt public[7].
  2.                 En adoptant ces dispositions de la LAU, l’objectif du législateur était non pas d'obliger le propriétaire à céder le chemin à la Ville, mais bien de le forcer à en défrayer le coût et surtout, à fournir des garanties pour s’assurer que les travaux soient exécutés correctement, ce qui était, à l’époque, un problème d’importance qu’il fallait résoudre.
  3.            Bien que le droit de forcer la cession à titre gratuit existe depuis plusieurs décennies à l’article 115(7) de la LAU, l’argument aujourd’hui défendu par l’appelant n’a jamais été soulevé auparavant, ce qui s’explique par le fait qu’il n’y a aucune utilité, même lointaine, à ce qu’un propriétaire, dans un tel contexte, détienne lui-même une licence d’entrepreneur général.
  4.            Incidemment, les conséquences de la position de l’appelant ne sont pas négligeables, en ce qu’un propriétaire de terrains qui n’est pas un entrepreneur licencié devra dorénavant le devenir. À défaut de ce faire, il sera contraint de vendre ses terrains à un entrepreneur licencié, lequel sera dorénavant la seule personne qualifiée pour conclure une telle entente avec une municipalité. Jusqu’à maintenant, tout propriétaire, même un organisme sans but lucratif[8], pouvait conclure ce genre d’entente avec une municipalité, et ce, pour répondre à l’objectif législatif recherché par les articles 145.21 et suivants de la LAU, qui est de favoriser le développement du territoire dans l’intérêt public.

***

  1.            En tant que promoteurs immobiliers, Gestion Gilles Laurence ltée (ci-après « Gestion Laurence ») et Gestion Daniel Sauvé inc. (ci-après « Gestion Sauvé ») développent de nouveaux secteurs dans la Ville de Sainte-Adèle. Pour ce faire, elles doivent obtenir des permis de construction de la Ville qui exige, en vertu de sa réglementation d’urbanisme adoptée en vertu des articles 145.21 et suivants de la LAU, qu’elles construisent des rues, à leurs frais.
  2.            Elles signent donc un protocole d’entente avec la Ville, s’engageant à construire les rues, et à les céder à titre gratuit une fois construites, si la Ville s’en déclare satisfaite.
  3.            Pour construire ces rues, Gestion Laurence et Gestion Sauvé concluent des contrats d’entreprise avec des entrepreneurs généraux dûment licenciés auprès de la Régie du Bâtiment du Québec (ci-après « RBQ »).
  4.            Gestion Laurence et Gestion Sauvé doivent-elles aussi détenir une licence à titre d’entrepreneur général? Telle est la question que pose ce pourvoi.
  5.            Le ministère public émet des constats d’infraction les accusant d’avoir enfreint l’article 46 de la Loi sur le bâtiment, plus précisément d’avoir « […] exercé les fonctions d’entrepreneur en construction en exécutant ou faisant exécuter des travaux de construction sans être titulaire d’une licence en vigueur à cette fin ».
  6.            Ayant plaidé non coupables, leur procès se tient devant la juge de paix magistrat de la Cour du Québec, Lucie Marier. Dans son jugement, elle cadre le litige comme suit :

[4] Le Tribunal doit donc décider si un propriétaire de terrains qui mandate un entrepreneur licencié pour exécuter des travaux de génie civil pour un développement résidentiel est un entrepreneur devant détenir une licence émise par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ).

[5] De façon subsidiaire, serait-il un constructeur-propriétaire ? Dans l’affirmative, est-il exempté de devoir détenir une licence à ce titre ?

  1.            La juge Marier fait droit aux prétentions du ministère public. Elle estime qu’un propriétaire de terrains qui mandate un entrepreneur licencié pour exécuter des travaux de génie civil visant un développement résidentiel, est un entrepreneur devant détenir une licence délivrée par la RBQ. Elle déclare donc les intimées coupables d’avoir enfreint la Loi sur le bâtiment et les condamne à payer chacune une amende de 33 138 $ plus les frais.
  2.            Les intimées portent cette décision en appel à la Cour supérieure, plaidant que la juge Marier a erré en ne faisant pas droit à leur prétention selon laquelle chacune d’elles doit plutôt être considérée comme constructeur-propriétaire au sens de la Loi sur le bâtiment, et sont, à ce titre, exemptées de devoir détenir une licence en vertu de l’exception prévue à l’article 49 de la Loi sur le bâtiment.
  3.            Estimant que leur prétention est bien fondée, le juge Immer infirme le jugement et les acquitte des infractions reprochées.
  4.            Le ministère public se pourvoit et demande à la Cour d’infirmer ce jugement.
  5.            Je suis d’avis, tout comme le juge de la Cour supérieure, que les intimées sont des constructeurspropriétaires, que l’article 49 de la Loi sur le bâtiment les exempte à ce titre de l’obligation de détenir respectivement une licence d’entrepreneur pour ces travaux, et que l’appel doit être rejeté.
  6.            Avant de présenter les motifs au soutien de cette conclusion, il convient de rappeler le contexte de l’affaire.

Contexte factuel

  1.            La trame factuelle est non contestée. Seuls les faits suivants méritent d’être rappelés.
  2.            Gestion Gilles Laurence Ltée est une entreprise de gestion de portefeuille et de développement immobilier dirigée par M. Gilles Laurence[9]. En 2001, elle acquiert des terrains dans la Ville afin d’en faire le développement[10]. Ce projet implique d’abord et avant tout la construction de rues et d’infrastructures dans le secteur concerné.
  3.            Dans un tel contexte, le Règlement 1200-2012-TM-1 de la Ville (le « Règlement TM-1 »)[11], adopté conformément à l’article 145.21 de la LAU, prévoit que la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement à un promoteur est assujettie à la conclusion d’une entente préalable avec la Ville concernant la réalisation des travaux relatifs aux voies de circulation, aux infrastructures et aux équipements municipaux.
  4.            Ainsi, en octobre 2016, Gestion Gilles Laurence Ltée signe avec la Ville un protocole d’entente concernant les travaux de prolongement de rues et d’infrastructures[12]. En vertu du protocole, l’intimée est responsable de l’exécution et du coût total des travaux requis[13].
  5.            M. Gilles Laurence explique que son entreprise a souvent réalisé des projets similaires. Une fois les infrastructures et rues construites, sa société conclut des « ententes sur option » avec des entrepreneurs en construction qui trouvent des acheteurs, puis procèdent à la construction et à la vente des maisons qu’ils bâtissent sur les terrains[14].
  6.            L’intimée Gestion Daniel Sauvé inc. est une société de portefeuille dirigée par M. Daniel Sauvé[15]. En 2015 et 2016, elle achète elle aussi des terrains dans un secteur de la Ville[16]. En novembre 2017, elle signe avec la Ville un protocole d’entente dont les termes reprennent ceux du protocole visant le projet de Gestion Gilles Laurence Ltée. Le protocole prévoit ainsi la construction de rues et d’infrastructures, et inclut une clause prévoyant leur cession à titre gratuit en faveur de la Ville, aux mêmes conditions que celles reproduites plus haut[17].
  7.            M. Daniel Sauvé témoigne que sa société voulait simplement vendre les terrains une fois lotis et desservis par les rues et infrastructures. Il explique que ce sont les acheteurs qui seront ensuite responsables d’y ériger des bâtiments[18]. M. Sauvé a aussi personnellement acheté un des terrains afin d’y construire sa maison. Il ajoute que la construction de celle-ci était son objectif principal, et que c’est pour cette raison que sa société a acheté et développé les terrains[19].
  8.            Les intimées expliquent ne pas avoir été impliquées dans les travaux de construction[20]. Elles les ont fait exécuter par des maîtres d’ouvrage. Gestion Gilles Laurence Ltée a retenu les services de David Riddell Excavation/Transport[21], et Gestion Daniel Sauvé inc., ceux d’Excavation Miller 2014[22]. Il n’est pas contesté que ces entrepreneurs détenaient une licence d’entrepreneur général pendant les travaux[23].
  9.            Les 7 et 11 octobre 2019, le ministère public émet les constats d’infraction reprochant aux intimées d’avoir exercé les fonctions d’entrepreneur en construction sans être titulaires d’une licence en vigueur à cette fin[24]. La période visée par les constats d’infraction est celle du 31 mars 2017 au 21 novembre 2017 pour l’intimée Gilles Laurence Ltée, et celle du 20 décembre 2017 au 22 janvier 2018 pour Gestion Daniel Sauvé inc.

Analyse

  1.            Il est admis que la construction des rues et infrastructures entreprise par les intimées constitue des travaux de génie civil assujettis à la Loi sur le bâtiment conformément aux articles 2(5°) et 41 de la Loi, et que les intimées ne sont titulaires d’aucune licence émise par la RBQ.
  2.            Les intimées nient toutefois devoir détenir une telle licence, soutenant qu’elles ne sont que les promoteurs d’un projet immobilier qu’elles font exécuter par un entrepreneur général qui, lui, est licencié. Elles sont d’avis que le jugement de la Cour supérieure doit être confirmé.
  3.            J’estime qu’elles ont raison.
  4.            Le ministère public plaide que le juge Immer commet une erreur révisable en interprétant l’article 7 de la Loi sur le bâtiment.
  5.            La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir s’il a erré en concluant qu’elles ont agi à titre de constructeurs-propriétaires et qu’elles étaient à ce titre exemptées de détenir une licence d’entrepreneur.
  6.            La Loi sur le bâtiment prévoit l’interdiction suivante pour toute personne exerçant les fonctions d’« entrepreneur » :

46.  Nul ne peut exercer les fonctions d’entrepreneur de construction, en prendre le titre, ni donner lieu de croire qu’il est entrepreneur de construction, s’il n’est titulaire d’une licence en vigueur à cette fin.

 

Aucun entrepreneur ne peut utiliser, pour l’exécution de travaux de construction, les services d’un autre entrepreneur qui n’est pas titulaire d’une licence à cette fin.

46. No person may act as a building contractor, hold himself out to be such or give cause to believe that he is a building contractor, unless he holds a current licence for that purpose.

 

 

No contractor may use, for the carrying out of construction work, the services of another contractor who does not hold a licence for that purpose.

  1.            De même, elle prévoit l’interdiction suivante pour le « constructeur propriétaire » :

48. Nul ne peut exercer les fonctions de constructeur-propriétaire ni donner lieu de croire qu’il est constructeur-propriétaire, s’il n’est titulaire d’une licence en vigueur à cette fin.

48. No person may act as an ownerbuilder, or give cause to believe that he is an owner-builder, unless he holds a licence in force for that purpose.

  1.            La Loi exempte toutefois le constructeur-propriétaire de l’obligation de détenir une licence dans les deux cas de figure prévus par l’article 49 :

49. Aucune licence de constructeur-propriétaire n’est nécessaire :

 

1° pour celui qui fait exécuter des travaux de construction par un entrepreneur titulaire d’une licence, qui a pour activité principale l’organisation ou la coordination des travaux de construction dont l’exécution est confiée à d’autres;

 

2° pour la personne physique qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction d’une maison unifamiliale ou d’un ouvrage destinés à son usage personnel ou à celui de sa famille.

 

Toutefois, une personne physique ne peut exécuter les travaux de construction à une installation destinée à utiliser du gaz ou une installation d’équipements pétroliers ou à une installation électrique si elle n’est pas un entrepreneur.

49. An owner-builder’s licence is not required:

 

 

(1)  for a person who has construction work carried out by a licensed contractor whose main activity is the organization or coordination of construction work to be carried out by other persons;

 

(2)  for a natural person carrying out or causing to be carried out construction work on a single-family dwelling, or a civil engineering structure intended for his personal use or the use of his family.

 

However, no natural person shall carry out construction work on an installation intended to use gas, a petroleum equipment installation or an electrical installation unless he is a contractor.

  1.            La définition des notions d’entrepreneur et de constructeurpropriétaire sont prévues à l’article 7 de la Loi :

7.  Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

 

« constructeur-propriétaire » : une personne qui, pour son propre compte, exécute ou fait exécuter des travaux de construction;

 

[…]

 

« entrepreneur » : une personne qui, pour autrui, exécute ou fait exécuter des travaux de construction ou fait ou présente des soumissions, personnellement ou par personne interposée, dans le but d’exécuter ou de faire exécuter, à son profit de tels travaux;

 

[…]

7.  In this Act, unless the context indicates otherwise:

 

 

“owner-builder” means any person who, for his own account, carries out or has carried out construction work (constructeur-propriétaire);

 

[…]

 

“contractor” means any person who, for another person, carries out or has carried out construction work or draws up or submits tender bids, either directly or indirectly, with the purpose of carrying out or having carried out such work for profit (entrepreneur);

 

 

[…]

  1.            La Loi prévoit, à l’article 8, une présomption visant à faciliter la preuve qu’une personne est un entrepreneur :

8.  Est présumée être un entrepreneur, la personne :

 

1° qui offre en vente ou en échange un bâtiment ou un ouvrage de génie civil, à moins qu’elle ne prouve que les travaux de construction de ce bâtiment ou ouvrage n’ont pas été exécutés dans un but de vente ou d’échange;

 

2° qui entreprend de nouveaux travaux de construction moins de deux ans à compter de la date de la délivrance par une municipalité du permis de construction pour les travaux précédents ou, dans les cas où aucun permis n’a été délivré, à compter de la date du début des premiers travaux.

8.  Any person shall be presumed to be a contractor who:

 

(1) offers for sale or exchange a building or a civil engineering structure, unless he is able to demonstrate that the construction work of such building or structure was not carried out for the purpose of sale or exchange; or

 

(2) undertakes new construction work less than two years after the date a municipality issued the building permit for previous work or, if no such permit was issued, after the start date of the earlier work.

 

  1.            Le Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires  Règlement »)[25] crée les quatre catégories de licences suivantes : entrepreneur général, constructeur-propriétaire général, entrepreneur spécialisé et constructeur-propriétaire spécialisé.
  2.            L’article 4 du Règlement traite de la catégorie de licence « entrepreneur général », en précisant ce qui suit :

4. La licence d’entrepreneur général est requise de tout entrepreneur dont l’activité principale consiste à organiser, à coordonner, à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, des travaux de construction compris dans les sous-catégories de licence de la catégorie d’entrepreneur général, ou à faire ou à présenter des soumissions, personnellement ou par personne interposée, dans le but d’exécuter ou de faire exécuter, en tout ou en partie, de tels travaux.

4. A general contractor’s licence is required of any contractor whose main activity consists in organizing, coordinating, carrying out or having carried out, in whole or in part, construction work in the licence subclasses in the general contractor class, or in making or submitting tenders personally or through an intermediary for the purpose of carrying out or having such work carried out in whole or in part.

[Soulignement ajouté]

[Emphasis added]

  1.            L’article 6 prévoit que le titulaire de la licence d’entrepreneur général « autorise ce dernier à exécuter ou à faire exécuter les travaux de construction compris dans cette sous-catégorie ».
  2.            J’estime, comme le juge de la Cour supérieure, que la juge de la Cour du Québec s’est méprise en concluant que la présomption de l’article 8 de la Loi peut trouver application aux ententes comme celles que les intimées ont conclues avec la Ville.
  3.            En effet, il ne s’agit ni d’une vente ni d’un échange au sens du Code civil du Québec. D’une part, les intimées n’offrent pas en vente les rues et infrastructures ainsi construites. D’autre part, contrairement à ce que le ministère public plaide, la notion d’échange qui y est prévue ne peut pas être une notion différente de celle du droit commun[26], énoncée au C.c.Q. plus particulièrement à son article 1795 qui définit l’échange comme « le contrat par lequel les parties se transfèrent respectivement la propriété d’un bien, autre qu’une somme d’argent ». Rien dans la Loi sur le bâtiment ni dans l’interprétation de son objectif n’indique qu’il faille s’écarter des définitions de la vente et de l’échange prévues au Code civil. Si le législateur avait voulu inclure tout type de cession dans la Loi, il l’aurait fait, plutôt que de référer précisément à la vente et à l’échange.
  4.            Il y a dès lors lieu d’examiner si chacune des intimées peut être considérée comme un entrepreneur au sens de l’article 7 de la Loi. Pour être qualifiée comme telle, une personne doit 1) exécuter ou faire exécuter des travaux; 2) pour autrui; et 3) à son profit. Ces critères sont cumulatifs.
  5.            Le premier de ces trois critères n’est pas en litige. Les intimées ont fait exécuter des travaux.
  6.            Le juge de la Cour supérieure a eu raison de conclure que le second critère n’est pas satisfait : dans le contexte de cette entente pour l’ouverture des rues, laquelle est régie par le régime législatif de la LAU, les intimées agissaient pour elles-mêmes, et non pour la Ville, au moment où les constats d’infraction ont été émis.
  7.            Le juge n’analyse pas le troisième critère. Il est en effet manifeste que le troisième critère est intimement lié au second, et dès lors que le second critère n’est pas satisfait, les intimées ne peuvent être qualifiées d’entrepreneures en vertu de l’article 7 de la Loi sur le bâtiment. En effet, ce qui distingue le constructeur-propriétaire de l’entrepreneur, comme l’explique l’auteure Nancy Demers est que ce dernier doit effectuer les travaux « pour autrui » et non « pour son propre compte »[27] :

179. Distinction entre l’entrepreneur et le constructeur-propriétaire – Ainsi, la différence entre un entrepreneur et un constructeur-propriétaire réside dans le fait que le premier procède à la réalisation de travaux de construction pour autrui et dans un but lucratif contrairement au second qui le fait pour son propre compte et sans but lucratif, c’est-à-dire sans intention de revendre l’immeuble, du moins au moment de la construction.

  1.            Pour interpréter l’expression « pour autrui » de l’article 7 de la Loi, la méthode d’interprétation moderne commande de privilégier le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi :

[22] Selon la méthode moderne d’interprétation législative, il est acquis qu’[traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Canada (Procureur général) c. Thouin, 2017 CSC 46, [2017] 2 R.C.S. 184, par. 26, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, qui cite E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Le législateur québécois précise du reste que les lois doivent généralement recevoir une interprétation large et libérale, qui assure la cohérence, l’effet utile de leurs dispositions ainsi que l’accomplissement de leur objet (Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 41 et 41.1).[28]

  1.            Or, lorsqu’au terme de cette analyse, une ambiguïté demeure quant au sens de l’expression visée, le tribunal doit avoir recours au contexte afin de déterminer la bonne interprétation à adopter[29].
  2.            Je suis d’avis que c’est le cas en l’espèce. Une ambiguïté demeure quand il s’agit d’interpréter les termes « pour autrui » ou « pour leur propre compte » dans le cas sous étude. Pour répondre à la question de savoir si les intimés ont conclu ces ententes pour autrui ou pour leur propre compte, il faut tenir compte du contexte en examinant les dispositions de la LAU entourant la conclusion des protocoles signés entre les intimées et la Ville.

1.                  Le contexte législatif entourant la conclusion de l’entente entre les intimées et la Ville

  1.            Les articles 145.21 et suivants de la LAU ont été adoptés en 1994 afin d’accorder des pouvoirs plus étendus à la municipalité en lui permettant d’adopter un règlement pour assujettir non seulement la délivrance d’un permis de lotissement, mais aussi d’un permis de construction ou d’un certificat d’occupation, à la conclusion d’une entente dans laquelle la municipalité exigera notamment que le propriétaire prenne en charge les travaux relatifs aux infrastructures et équipements municipaux, en assume la totalité ou une partie des coûts, et fournisse des garanties financières.
  2.            Il convient de reproduire l’article 145.21 de la LAU, lequel permet de cerner l’essence de cette habilitation législative :

145.21. Le conseil d’une municipalité peut, par règlement, assujettir la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement ou d’un certificat d’autorisation ou d’occupation :

 

 à la conclusion d’une entente entre le requérant et la municipalité portant sur la réalisation de travaux relatifs aux infrastructures et aux équipements municipaux et sur la prise en charge ou le partage des coûts relatifs à ces travaux;

 

 au paiement par le requérant d’une contribution destinée à financer tout ou partie d’une dépense liée à l’ajout, l’agrandissement ou la modification d’infrastructures ou d’équipements municipaux requis pour assurer la prestation accrue de services municipaux découlant de l’intervention visée par la demande de permis ou de certificat;

 

 au paiement par le requérant d’une contribution destinée à financer tout ou partie d’une dépense liée à un service de transport collectif qui bénéficie à l’immeuble visé par la demande de permis ou de certificat, à ses occupants ou à ses usagers.

 

 

Les équipements municipaux visés au paragraphe 2° du premier alinéa ne comprennent pas le matériel roulant dont la durée de vie utile prévue est inférieure à sept ans ni les équipements informatiques.

 

L’exigence d’une contribution visée à l’un ou l’autre des paragraphes 2° et 3° du premier alinéa n’est pas applicable à un organisme public au sens du premier alinéa de l’article 3 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) ou à un centre de la petite enfance au sens de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance (chapitre S-4.1.1).

145.21. The council of a municipality may, by by-law, subordinate the issue of a building or subdivision permit or a certificate of authorization or occupancy to

 

(1) the making of an agreement between the applicant and the municipality on the carrying out of work relating to municipal infrastructures or equipment and on the payment or sharing of the costs related to such work;

 

 

(2) the payment by the applicant of a contribution to finance all or part of an expense related to any addition to or enlargement or alteration of municipal infrastructures or equipment required to ensure the increased provision of municipal services necessary as a result of the intervention authorized under the permit or certificate;

 

 

(3) the payment by the applicant of a contribution to finance all or part of an expense related to a shared transportation service that benefits the immovable to which the permit or certificate application relates, or the occupants or users of that immovable.

 

The municipal equipment referred to in subparagraph 2 of the first paragraph does not include rolling stock with an expected useful life of less than seven years or computer systems.

 

 

The requirement to pay a contribution under subparagraph 2 or 3 of the first paragraph is not applicable to a public body within the meaning of the first paragraph of section 3 of the Act respecting Access to documents held by public bodies and the Protection of personal information (chapter A-2.1) or to a childcare centre within the meaning of the Educational Childcare Act (chapter S-4.1.1).

  1.            Jean-Pierre St-Amour explique que les objectifs visés par les articles 145.21 et suivants de la LAU, adoptés en 1994[30], sont de différents ordres :

Un premier objectif se situe clairement dans le domaine de l’urbanisme, soit dans la recherche d’une meilleure intégration des projets dans la planification et l’aménagement du territoire. Le second objectif souscrit à une volonté d’améliorer la qualité des projets. Le troisième objectif est de nature fiscale, mais plus précisément financière, dans le partage équitable du coût des infrastructures et des équipements. Un quatrième objectif témoigne d’une volonté de responsabilisation des promoteurs dans la réalisation des projets. En effet, une entente implique nécessairement une discussion et une négociation, de sorte que la municipalité est censée faire valoir l’intérêt collectif de ses exigences alors que le promoteur est d’abord soucieux de la rentabilisation de ses projets et de ses immeubles[31].

  1.            Avant l’adoption de ces dispositions de la LAU, l’article 115(7) de cette même loi prévoyait déjà la possibilité que le conseil d’une municipalité adopte un règlement de lotissement pour l’ensemble ou partie de son territoire, afin d’« exiger, comme condition préalable à l’approbation d’un plan relatif à une opération cadastrale, l’engagement du propriétaire à céder gratuitement l’assiette des voies de circulation ou une catégorie de celles-ci montrées sur le plan et destinées à être publiques ».
  2.            La volonté législative de financer le développement de nouvelles infrastructures sur le territoire municipal explique la mécanique particulière prévue par l’article 145.21 de la LAU. Tel que mentionné précédemment, si la municipalité a adopté un règlement à cette fin, elle peut ainsi assujettir la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement ou d’un certificat d’autorisation ou d’occupation à la conclusion d’une entente définissant les modalités de la participation d’un promoteur à la réalisation de travaux.
  3.            Ce règlement, adopté en vertu de l’article 145.21 de la LAU, doit notamment indiquer les zones concernées, les catégories de constructions, de terrains ou de travaux assujettis, les catégories d’infrastructures et d’équipements visées à l’entente, ainsi que les modalités déterminant la part des coûts assumée par le promoteur ainsi que la quotepart endossée par les autres propriétaires bénéficiaires[32].
  4.            Tel que mentionné précédemment, un tel règlement permet aux municipalités d’exiger la conclusion d’une entente relative aux travaux municipaux comme condition préalable à la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement ou d’un certificat d’occupation.
  5.            Dès que le règlement entre en vigueur, la municipalité peut conclure des ententes avec les promoteurs. La municipalité peut vouloir inclure différentes conditions dans l’entente qui sera conclue avec le promoteur, mais l’article 145.23 de la LAU prévoit le contenu minimal devant y figurer, soit :

-         la désignation des parties;

-         la description des travaux et la désignation de la partie responsable de la totalité ou d’une partie de leur réalisation;

-         la date à laquelle les travaux doivent être complétés, le cas échéant, par le titulaire du permis ou du certificat;

-         la détermination des coûts relatifs aux travaux qui sont à la charge du titulaire du permis ou du certificat;

-         la pénalité recouvrable du titulaire du permis ou du certificat en cas de retard dans l’exécution des travaux qui lui incombent;

-         les modalités de paiement, le cas échéant, par le titulaire du permis ou du certificat, des coûts relatifs aux travaux et l’intérêt payable sur un versement exigible;

-         les modalités de remise, s’il y a lieu, par la municipalité au titulaire du permis ou du certificat de la quote-part des coûts relatifs aux travaux payables par un bénéficiaire des travaux. Les modalités de remise de la quote-part doivent prévoir une date limite à laquelle la municipalité doit rembourser, le cas échéant, au titulaire du permis ou du certificat, une quote-part non payée;

-         les garanties financières exigées du titulaire du permis ou du certificat.

  1.            Deux situations, prévues par l’article 145.21 al. 2 (1e et 2e) LAU, peuvent alors se présenter. Dans la première, la municipalité réalise les travaux, et l’entente peut alors prévoir la prise en charge par le promoteur des infrastructures et des équipements municipaux desservant son projet, ou encore la participation financière du promoteur.
  2.            Or, plus fréquemment, c’est la seconde situation que les municipalités privilégient : la municipalité demande au promoteur d’assurer, en totalité ou en partie, la réalisation des travaux et lui cède ensuite les infrastructures. Les municipalités trouvent avantageux le recours à cette seconde approche puisque les travaux sont entièrement financés par le promoteur, ce qui lui évite de recourir au règlement d’emprunt.
  3.            Généralement, les travaux municipaux (réseaux d’aqueduc et d’égouts, rues et trottoirs, éclairage) sont effectués « sur le site » du projet faisant l’objet d’une demande de permis. Ils sont destinés à devenir la propriété de la municipalité puisque c’est elle qui en aura la charge et qui, par la suite, sera responsable de leur entretien.
  4.            Enfin, les municipalités peuvent aussi exiger certaines garanties financières des promoteurs en vertu des pouvoirs conférés par les lois municipales. Toutefois, le régime des garanties financières prévu aux articles 470 de la Loi sur les cités et villes[33] et 948 du Code municipal du Québec[34] ne s’applique que lorsque la municipalité décrète elle-même les travaux et pourvoit à leur financement.

2.                  Les intimées sont-elles des entrepreneurs au sens de l’article 7 de la Loi sur le bâtiment?

  1.            L’entente conclue entre le promoteur et la Ville concernant de telles infrastructures n’est pas un contrat d’entreprise, mais bien un contrat sui generis qui « […] participe d’un encadrement législatif et réglementaire particulier »[35], comme l’explique JeanPierre StAmour, en ces termes :

Sur le plan juridique, l’entente relative aux travaux municipaux coiffe à la fois le double chapeau d’une obligation contractuelle et d’une prescription réglementaire en raison de son caractère hybride s’inscrivant à la fois dans le droit civil et le droit administratif. Elle cristallise des droits et des obligations d’où l’importance de lui accorder toute l’attention qu’elle mérite aux étapes de sa négociation et de sa conclusion.

L’échange de points de vue entre le promoteur et la municipalité se traduit dans une entente, c’est-à-dire fondamentalement par un contrat qui indique les obligations réciproques des parties, mais un contrat qui se situe au point de convergence du droit privé et du droit public

Les parties peuvent se référer au Code civil du Québec, en plus de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme pour en déterminer l’interprétation et même pour demander la sanction des obligations qu’une entente peut comporter. L’entente a été reconnue comme constituant un contrat d’adhésion et interprétée en conséquence quant à la possibilité pour un tribunal d’en réduire les obligations si la municipalité a imposé des dispositions abusives. Toutefois, comme les garanties offertes par la municipalité ont pour objet de la protéger en cas d’incapacité du promoteur de respecter ses obligations et de terminer les travaux, il n’est pas déraisonnable que la municipalité se prévale des droits contractuels dont elle bénéficie s’il y a défaillance du promoteur, par exemple, en matière de clause pénale, de garantie ou même de rétrocession d’immeuble. Dans ces cas, bien que d’autres créanciers puissent être intéressés à faire valoir leurs propres garanties, les infrastructures deviendront publiques lorsque les travaux seront terminés puisqu’elles peuvent être considérées avoir été cédés par dédicace[36].

[Références omises]

  1.            Cette entente n’est pas un contrat d’entreprise, par lequel « une personne, l’entrepreneur, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer », au sens de l’article 2098 C.c.Q. En effet, il ne s’agit pas du projet de la Ville, mais bien de celui des promoteurs. Ces derniers ont rencontré les représentants de la Ville, leur ont présenté un projet de développement domiciliaire, lequel devait débuter, selon les exigences de la Ville requises pour obtenir les permis, par la construction des infrastructures et des rues, sur leurs terrains, à leurs frais, et non l’inverse. La Ville n’est pas leur cliente et elle ne s’engage pas à leur payer un prix à la fin des travaux.
  2.            Pour la Ville, l’objectif de l’entente est de financer le développement de nouvelles infrastructures pour le développement de son territoire[37]. La Ville n’est pas le donneur d’ouvrage. Les donneurs d’ouvrage, ce sont les intimées. Ce n’est pas parce que les intimées ont apporté le financement requis et qu’elles sont les « premiers maillons de la chaîne » comme le plaide la Régie du bâtiment que cela fait automatiquement d’elles des « entrepreneurs ». En tant que promoteurs, elles ont conclu un contrat d’entreprise avec un entrepreneur général licencié pour effectuer des travaux de génie civil, et c’est cet entrepreneur général qui a accordé les souscontrats, notamment à l’ingénieur civil et l’entrepreneur licencié pour les travaux d’excavation.
  3.            Pour les intimées, l’objectif du contrat signé avec la Ville est l’obtention du permis de construction afin que la rue adjacente à ses terrains soit desservie au sens de l’article 116 de la LAU, de sorte que ses terrains, constructibles, aient une plus grande valeur, et puissent éventuellement être revendus à profit.
  4.            En effet, cet article de la LAU prévoit que le conseil d’une municipalité peut, par règlement, exiger, pour obtenir un permis de construction, que le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée soit adjacent à une rue publique :

116. Le conseil d’une municipalité peut, par règlement, prévoir que, dans tout ou partie de son territoire, aucun permis de construction ne sera accordé, à moins qu’une ou plusieurs des conditions suivantes, qui peuvent varier selon les parties du territoire, ne soient respectées :

 

 le terrain sur lequel doit être érigée chaque construction projetée, y compris ses dépendances, ne forme un ou plusieurs lots distincts sur les plans officiels du cadastre, qui sont conformes au règlement de lotissement de la municipalité ou qui, s’ils n’y sont pas conformes, sont protégés par des droits acquis ;

 

 les services d’aqueduc et d’égouts ayant fait l’objet d’une autorisation ou d’un permis délivré en vertu de la loi ne soient établis sur la rue en bordure de laquelle la construction est projetée ou que le règlement décrétant leur installation ne soit en vigueur ;

 

  dans le cas où les services d’aqueduc et d’égouts ne sont pas établis sur la rue en bordure de laquelle une construction est projetée ou le règlement décrétant leur installation n’est pas en vigueur, les projets d’alimentation en eau potable et d’épuration des eaux usées de la construction à être érigée sur le terrain ne soient conformes à la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2) et aux règlements édictés sous son empire ou aux règlements municipaux portant sur le même objet ;

 

 le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée conforme aux exigences du règlement de lotissement ;

 

 le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique.

 

Le paragraphe 2° du premier alinéa ne s’applique pas aux constructions pour fins agricoles sur des terres en culture.

[…]

 

[Soulignements ajoutés]

116. The council of a municipality may, by by-law, prescribe that no building permit may be granted in its whole territory or any part thereof, unless one or more of the following conditions, which may differ according to various parts of the territory, are complied with:

 

(1)  the landsite on which each proposed structure, including its dependencies, is to be built, forms one or more separate lots on the official cadastral plans, which are in conformity with the subdivision by-law of the municipality or, if not, which are protected by acquired rights;

 

 

(2)  the waterworks and sewer services for which an authorization has been received or a permit issued under the law are installed in the street on which the structure is proposed or unless the by-law ordering their installation is in force;

 

 

(3)  in the case where the waterworks and sewer services are not installed in the street on which a structure is proposed or the by-law ordering their installation is not in force, the drinking-water supply and waste water treatment planned for the structure to be erected on the land comply with the Environment Quality Act (chapter Q-2) and the regulations thereunder or with the municipal by-laws dealing with the same object;

 

 

 

 

(4)  the land on which a structure is to be erected is adjacent to a public or a private street in conformity with the requirements of the subdivision by-law;

 

(5)  the land on which a structure is to be erected is adjacent to a public street.

 

Subparagraph 2 of the first paragraph does not apply to structures for agricultural purposes on lands under cultivation.

 

[…]

[Emphasis added]

  1.            Cette exigence, prévue à l’article 116 de la LAU, vise notamment à favoriser l’objectif législatif de rentabiliser les infrastructures municipales d’égout et d’aqueduc construites à grands frais par les municipalités et à limiter l’étalement urbain.
  2.            Elle explique que le législateur ait prévu, aux articles 145.21 et suivants de la LAU, que les municipalités puissent exiger, dans leur réglementation d’urbanisme, que la délivrance d’un permis de construction ne sera possible qu’à la suite de la prise en charge, par le promoteur, de la construction de rues et d’autres infrastructures, ou d’une partie ou de la totalité des coûts afférents à cette construction. Elle explique que la municipalité et le promoteur doivent conclure un protocole d’entente afin de convenir des conditions relatives à la construction ou à la prise en charge de telles infrastructures, et que la municipalité se garde le pouvoir d’en accepter ou non la cession puisque la qualité de ces infrastructures est essentielle pour desservir de futurs immeubles.
  3.            Dans le cadre de telles ententes assujetties au régime particulier d’un règlement adopté en vertu des articles 145.21 de la LAU, le promoteur peut certes être un entrepreneur général. Ses profits sont dès lors plus substantiels puisqu’il n’a pas à engager un entrepreneur général. Cela ne signifie pas pour autant qu’il a lui-même besoin d’être un entrepreneur pour conclure une entente en s’engageant à ouvrir des rues et en les faisant exécuter par un entrepreneur général pour obtenir son permis de construction afin de rendre ses terrains constructibles.
  4.            Jean-Pierre St-Amour explique d’ailleurs qu’une variété de personnes physiques ou morales, et même des organismes sans but lucratif, peuvent conclure une telle entente relative aux travaux municipaux, pourvu qu’elles soient titulaires d’une autorisation de l’Autorité des marchés financiers leur permettant de conclure une entente avec une municipalité en vertu des articles 21.17 et ss. de la Loi sur les contrats des organismes publics[38]. Ces dispositions sont applicables aux municipalités compte tenu de certaines dispositions du Code municipal[39] et de la Loi sur les cités et villes[40], et ce, dans l’objectif de lutter contre la corruption dans ce domaine.
  5.            Si les intimées étaient les chefs d’orchestre de la réalisation des rues et infrastructures, elles porteraient à la fois le chapeau de promoteurs dans le cadre de leur entente sui generis avec la Ville, et celui d’entrepreneurs devant dès lors détenir une licence en vertu de la Loi sur le bâtiment, avec ce que cette exigence implique en termes de formation, de cautionnement et de paiement de cotisations à la RBQ. Elles se sont toutefois engagées, dans ce protocole, à requérir les services d’une firme d’ingénieursconseils pour la préparation des plans et la surveillance des travaux, ainsi qu’à faire le choix d’entrepreneurs licenciés pour exécuter les travaux. De fait, elles ont contracté avec des entrepreneurs généraux et n’ont pas été impliquées dans l’exécution des travaux.
  6.            Dans l’entente sui generis servant de véhicule à l’application des articles 145.21 et ss. LAU, la Ville transige avec le promoteur et ce dernier engage lui-même un entrepreneur licencié pour les travaux civils. C’est à ce moment qu’intervient un contrat d’entreprise entre le promoteur et l’entrepreneur général.
  7.            De plus, il est prévu que des garanties doivent être données par le promoteur pour garantir ses obligations, lesquelles sont ainsi décrites par la juge Marier :

[15] Tous les coûts de construction sont assumés par les promoteurs, incluant ceux reliés à la préparation du projet à présenter à la Ville. Afin de garantir la réalisation totale des travaux, ils doivent remettre, soit un montant équivalent à 25% des travaux (qui est encaissé et conservé pour la durée de l’entente) ou un montant de 100% de l’estimé total des travaux sous forme de garantie inconditionnelle irrévocable, ou un cautionnement d’exécution devant être maintenu en vigueur durant toute la durée de l’entente.

[16] Ils doivent aussi verser un montant de 25 000 $ pour prévenir leur défaut d’entretenir les rues et autres infrastructures avant la réception définitive des travaux ou la cession finale. De même, un montant est remis pour couvrir les frais pour la gestion du projet par l’ensemble des services municipaux. En plus, ils dégagent la Ville de toute responsabilité ou de tout dommage causé aux personnes ou aux biens et ils s’engagent à assumer tous les frais et indemnités résultant d’éventuelles poursuites entreprises par une tierce partie.

  1.            Ces garanties sont prévues dans le protocole, alors même qu’un entrepreneur licencié détient lui-même un cautionnement de licence en vertu de la Loi sur le bâtiment pour indemniser son client qui subirait un préjudice résultant notamment du nonparachèvement des travaux. Il y a ainsi un certain dédoublement des garanties exigées du promoteur dans une telle entente régie par l’article 145.21 LAU, en ce qu’elle recoupe les cautionnements auxquels est déjà tenu un entrepreneur licencié pour obtenir et conserver sa licence[41].
  2.            Enfin, la Ville ne s’est engagée à accepter la cession des rues et infrastructures que si celles-ci sont à sa satisfaction. En effet, par exemple, une fois les travaux complétés, l’article 12 du protocole entre la Ville et Gestion Laurence prévoit la cession à titre gratuit des rues et des infrastructures en faveur de la Ville[42] :

ARTICLE 12 CESSION GRATUITE DES INFRASTRUCTURES ET SERVITUDES

a)  Le promoteur s’engage à céder gratuitement à la Ville, à la réception définitive des travaux, les rues pavées, les conduites d’aqueduc, les conduites d’égouts sanitaire et pluviale et tous les équipements connexes, en plus de toutes servitudes requises.

b) Cette cession ne peut être réalisée qu’à la réception définitive des travaux et à la transmission de tous les documents finaux, tels que le certificat de conformité de l’ingénieur et des « plans tels que construits ».

c) Cette cession ne peut être réalisée que lorsque les travaux sont réputés être conformes aux dispositions de la présente entente, aux plans et devis et à toutes les lois et règlements en vigueur.

d) Cette cession ne peut être réalisée que lorsqu’un minimum de vingt-cinq pour cent (25%) des immeubles riverains auront été bâtis.

e)  Les frais de cession et servitudes sont à la charge du promoteur. Les actes notariés rédigés par un notaire qu’il mandate, doivent intervenir au plus tard dans les quatre-vingt-dix (90) jours suivant la réception définitive des travaux.

f)  Le promoteur peut céder à la Ville ses rues et infrastructures seulement s’ils sont libres de toutes taxes municipales ou scolaires et quittes de tout privilège, hypothèque et autres charges pouvant les grever.

g)  Le conseil municipal se réserve le droit d’accepter ou non la cession des rues et infrastructures.

[Soulignements ajoutés]

  1.            JeanPierre StAmour traite du pouvoir discrétionnaire qu’exerce la municipalité concluant ce type d’entente avec un promoteur. Il aborde notamment le problème que peut poser l’expectative légitime d’un propriétaire qui a signé une telle entente dans l’objectif d’obtenir son permis de construction. Celui-ci doit être conscient que la réglementation d’urbanisme peut changer et qu’il peut être confronté aux changements de politiques et d’administrateurs municipaux, de sorte que la Ville pourrait, en définitive, refuser la délivrance du permis, et donc, la cession des terrains. Il en demeurerait dès lors propriétaire, et ne disposerait éventuellement que d’un recours en responsabilité contre la Ville[43].
  2.            Bref, les intimées sont des promoteurs sans être des entrepreneurs. Leur relation avec la Ville est régie par un contrat sui generis, soit une entente relative aux travaux municipaux visant la prise en charge financière de l’ouverture des rues et infrastructures, dont les promoteurs cèderont la propriété à la Ville, comme condition à l’obtention de leur permis de construction. Celleci les entretiendra par la suite à la charge de l’ensemble des contribuables. Cette mécanique permet de partager les coûts importants des infrastructures publiques municipales tout en évitant la création de nouvelles rues privées.
  3.            Considérant ce qui précède, les intimées n’ont pas fait exécuter ces travaux pour la Ville de Sainte-Adèle, mais bien pour elles-mêmes, de sorte que le second critère requis pour qualifier une personne d’entrepreneur au sens de l’article 7 de la Loi sur le bâtiment n’est pas satisfait, ni le troisième critère d’ailleurs. Les intimées sont des promoteurs immobiliers sur leurs terrains et, à ce titre, elles sont des constructeurs-propriétaires qui étaient exemptés de l’obligation de détenir une licence d’entrepreneur licencié par la Loi au moment visé par les constats d’infraction.
  4.            Cette interprétation est compatible avec l’objectif de la Loi sur le bâtiment, une loi d’ordre public[44] dont la finalité est d’assurer la qualité des travaux de construction d’un bâtiment, la sécurité du public, la qualification professionnelle, la probité et la solvabilité des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires[45].
  5.            La Loi sur le bâtiment existe, en effet, pour assurer la qualité des travaux de construction au Québec, lesquels doivent être effectués par des entrepreneurs compétents et licenciés selon leurs domaines.
  6.            Certes, cet objectif législatif milite en faveur d’une interprétation des critères permettant de qualifier un entrepreneur au sens de l’article 7 de la Loi, notamment des mots « pour autrui » qu’on y retrouve, mais cela ne peut aller jusqu’à exiger que des promoteurs immobiliers, qui ont engagé des entrepreneurs généraux licenciés pour faire exécuter les travaux, soient eux-mêmes également des entrepreneurs licenciés pour développer leurs terrains.
  7.            Cela signifierait, en définitive, que tout propriétaire terrien qui est un promoteur immobilier devrait devenir entrepreneur licencié, ou encore revendre ses terrains à un tel entrepreneur licencié, afin de les développer.
  8.            Lors de la délivrance des constats d’infraction, les intimées étaient des constructeurs-propriétaires qui s’étaient engagés, pour leur propre compte et afin d’obtenir leur permis auprès de la Ville, à ouvrir des rues en engageant des entrepreneurs généraux. Elles n’avaient pas à être elles-mêmes des entrepreneurs généraux licenciés pour que l’objectif de la Loi sur le bâtiment, qui est d’assurer « la qualité des travaux de construction, la sécurité du public ainsi que la compétence, la probité et la solvabilité des entrepreneurs », soit satisfait.
  9.            Enfin, l’appelant plaide que le jugement de la Cour supérieure conduit à un résultat problématique du point de vue de l’intérêt public, car il a pour effet — dans certains contextes — de permettre à des entreprises non licenciées de contracter avec une ville afin de construire des infrastructures publiques de grande importance.
  10.            Il n’est pas question de juger d’autres contextes que celui soumis à la Cour. Qu’il suffise de rappeler que la réalisation de projets publics majeurs relève généralement de l’initiative de l’administration municipale ou gouvernementale. Il ne s’agit pas de travaux susceptibles d’être assujettis à la conclusion d’une entente régie par les articles 145.21 et suivants de la LAU[46]. Ces ouvrages de plus grande envergure nécessitent la conclusion d’une entente entre une municipalité et une instance gouvernementale ou encore d’une entente intermunicipale[47], et feront l’objet d’un contrat d’entreprise accordé à la suite d’un appel d’offres auprès de l’entreprise privée. Dans les cas où s’applique le régime des articles 145.21 de la LAU, de tels appels d’offres ne sont pas requis, tel que le prévoit expressément l’article 145.28 de la LAU.
  11.            Pour ces motifs, je suggère que la Cour rejette l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.


 

 

MOTIFS DU JUGE BACHAND

 

 

  1.            L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure[48], accueillant l’appel formé par les intimées à l’encontre d’un jugement de la Cour du Québec[49], les déclarant coupables d’avoir exercé les fonctions d’entrepreneur sans être titulaires de la licence requise à cette fin en vertu de la Loi sur le bâtiment  Loi »)[50]. Le jugement de la Cour du Québec a également condamné chacune des intimées à payer une amende de 33 318 $ en sus des frais applicables.

I

  1.            Dans le cadre de projets distincts, les intimées achètent des terrains situés sur le territoire de la ville de Sainte-Adèle (« Ville ») dans le but de les lotir afin qu’ils puissent être développés ultérieurement.
  2.            Ces projets sont visés par le Règlement 1200-2012-TM-1 adopté par la Ville le 14 décembre 2015[51] Règlement »). Aux termes du Règlement, la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement à un promoteur est assujettie à la conclusion d’une entente avec la Ville concernant la réalisation de travaux relatifs aux voies de circulation, infrastructures et équipements municipaux. Le Règlement exige notamment que les coûts engendrés par ces travaux soient à la charge du promoteur[52]. Il exige aussi que l’entente prévoie la cession des ouvrages à la Ville, et ce, à titre gratuit[53]. À ce sujet, le Règlement précise, premièrement, que la Ville peut acquérir les ouvrages visés par de telles ententes seulement à partir du moment où « un minimum de vingt-cinq pour cent (25 %) des lots visés par le projet contiennent des immeubles construits ou en construction »[54] et, deuxièmement, que les frais engendrés par la cession sont à la charge du promoteur[55].
  3.            Chacune des intimées signe donc une entente avec la Ville concernant des travaux de prolongement de voies de circulation et autres infrastructures municipales. Ces ententes précisent que ces travaux seront à la charge du promoteur. Elles prévoient aussi la cession de ces ouvrages à titre gratuit et sous certaines conditions à la Ville une fois les travaux achevés, tout en précisant que la Ville ne sera pas tenue de procéder à leur acquisition :

ARTICLE 12 CESSION GRATUITE DES INFRASTRUCTURES ET SERVITUDES

a) Le promoteur s’engage à céder gratuitement à la Ville, à la réception définitive des travaux, les rues pavées, les conduites d’aqueduc, les conduites d’égouts sanitaire et pluviale et tous les équipements connexes, en plus de toutes servitudes requises.

b) Cette cession ne peut être réalisée qu’à la réception définitive des travaux et à la transmission de tous les documents finaux, tels que le certificat de conformité de l’ingénieur et des « plans tels que construits ».

c) Cette cession ne peut être réalisée que lorsque les travaux sont réputés être conformes aux dispositions de la présente entente, aux plans et devis et à toutes [les] lois et [tous les] règlement[s] en vigueur.

d) Cette cession ne peut être réalisée que lorsqu’un minimum de vingt-cinq pour cent (25 %) des immeubles riverains auront été bâtis.

e) Les frais de cession et servitudes sont à la charge du promoteur. Les actes notariés rédigés par un notaire qu’il mandate, doivent intervenir au plus tard dans les quatre-vingt-dix (90) jours suivant[…] la réception définitive des travaux.

f) Le promoteur peut céder à la Ville ses rues et infrastructures seulement s’ils sont libres de toutes taxes municipales ou scolaires et quittes de tout privilège, hypothèque et autres charges pouvant les grever.

g) Le conseil municipal se réserve le droit d’accepter ou non la cession des rues et infrastructures.

[Soulignements ajoutés]

  1.            Les intimées entreprennent ensuite la construction des rues, infrastructures et équipements municipaux mentionnés dans les ententes.
  2.            Étant d’avis que les intimées ont, ce faisant, exercé les fonctions d’entrepreneur en construction sans être titulaires d’une licence en vigueur à cette fin, l’appelant remet à chacune d’elles un constat d’infraction invoquant les articles 46 et 197.1 de la Loi.
  3.            Il est acquis au débat i) que la construction de ces rues, infrastructures et équipements municipaux constitue des travaux de génie civil assujettis à la Loi, ii) que les intimées n’étaient titulaires d’aucune licence émise par la Régie du bâtiment du Québec (« Régie ») durant la période pertinente, iii) que ces travaux ont été réalisés non pas par les intimées elles-mêmes, mais plutôt par des entrepreneurs généraux dont elles ont retenu les services, et iv) que les entrepreneurs avec qui les intimées ont fait affaire détenaient une licence délivrée par la Régie durant la période pertinente.
  4.            Dernier fait à noter : en date des constats d’infraction, les rues, infrastructures et équipements municipaux construits par les intimées aux termes des ententes conclues avec la Ville n’avaient pas encore été cédés à cette dernière. Les intimées en étaient donc toujours propriétaires.

II

  1.       La principale question que soulève cette affaire est de savoir si, dans le cadre de la construction des rues, infrastructures et équipements municipaux visés par les ententes conclues avec la Ville, les intimées agissaient à titre d’entrepreneurs ou plutôt à titre de constructeurs-propriétaires au sens où l’entend le législateur à l’article 7 de la Loi :

7.  Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

« constructeur-propriétaire » : une personne qui, pour son propre compte, exécute ou fait exécuter des travaux de construction;

[…]

« entrepreneur » : une personne qui, pour autrui, exécute ou fait exécuter des travaux de construction ou fait ou présente des soumissions, personnellement ou par personne interposée, dans le but d’exécuter ou de faire exécuter, à son profit de tels travaux;

7.  In this Act, unless the context indicates otherwise:

“contractor” means any person who, for another person, carries out or has carried out construction work or draws up or submits tender bids, either directly or indirectly, with the purpose of carrying out or having carried out such work for profit (entrepreneur);

[…]

“owner-builder” means any person who, for his own account, carries out or has carried out construction work (constructeur-propriétaire);

 

[Soulignements ajoutés]

  1.       Comme on le constate à la lecture de ces dispositions, pour l’application de la Loi, une personne qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction est soit entrepreneur, soit constructeur-propriétaire. Ce qui distingue les deux statuts, c’est que l’entrepreneur agit « pour autrui/for another person » alors que le constructeur-propriétaire agit, quant à lui, « pour son propre compte/for his own account ».
  2.       Par ailleurs, bien que selon le libellé de l’article 7 de la Loi, l’exigence relative à la recherche de profit vise uniquement la situation de la personne qui « fait ou présente des soumissions […] dans le but d’exécuter ou de faire exécuter […] [des] travaux [de construction]/draws up or submits tender bids […] with the purpose of carrying out or having carried out [construction] work », la jurisprudence des tribunaux de première instance a étendu la portée de cette exigence à la « personne qui, pour autrui, exécute ou fait exécuter des travaux de construction/person who, for another person, carries out or has carried out construction work »[56]. Cette jurisprudence insiste aussi sur le fait que la notion de recherche de profit doit être entendue dans un sens large plutôt que dans un sens strictement comptable[57].
  3.       Ainsi, pour établir la culpabilité des intimées, l’appelant devait établir qu’en entreprenant la construction des rues, infrastructures et équipements municipaux mentionnés dans les ententes, les intimées avaient, premièrement, exécuté ou fait exécuter des travaux de construction et, deuxièmement, qu’elles avaient alors agi pour autrui. En outre, à supposer que le courant jurisprudentiel élargissant la portée de l’exigence de la recherche de profit soit fondé, l’appelant devait aussi établir que les intimées avaient agi dans un but lucratif.

III

A

  1.       S’agissant de la première exigence, la juge de paix magistrat rejette l’argument des intimées selon lequel, puisqu’elles n’ont joué aucun rôle sur les chantiers, elles n’ont pas « fait exécuter/ha[d] carried out » les travaux à l’origine du litige :

[41]  Quant à la notion de « faire exécuter », la preuve révèle que ce sont les promoteurs et non pas, comme le prétend la défense, les firmes d’ingénieurs-conseils qui font exécuter les travaux. L’absence des promoteurs sur le chantier alors qu’ils n’ont pas les connaissances ne peut les exempter de détenir une licence.

[42]  Le Tribunal est d’avis que le fait d’engager un ingénieur qui conçoit les plans et devis et par la suite supervise le chantier et fait la gestion des factures de l’entrepreneur ne fait pas de lui celui qui fait exécuter les travaux. Il est comme dans bien des projets de travaux d’envergure un professionnel mandaté par l’entrepreneur.

[43]  Laisser entre les mains de l’entrepreneur licencié toute la responsabilité de la construction par l’entremise de la firme d’ingénieurs-conseils sans que les promoteurs détiennent eux-mêmes une licence, démontre que le premier maillon de la chaîne est manquant, ce qui est contraire aux objectifs visés par la Loi.

[44]  Le Tribunal ne retient pas non plus l’argument de la défense à l’effet qu’il apparaît inusité d’obliger les promoteurs qui sont les clients des entrepreneurs détenteurs d’une licence à également devoir détenir une licence. La Loi n’empêche pas qu’un entrepreneur mandate un autre entrepreneur de la même catégorie pour faire exécuter des travaux.

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

  1.       Quant à la question de savoir si les intimées ont agi pour autrui, la juge de paix magistrat n’a aucune difficulté à y répondre par l’affirmative, et ce, même si les rues, infrastructures et équipements municipaux construits à l’initiative des intimées n’ont pas encore été cédés à la Ville :

[40]  […] [L]a preuve est claire; les rues sont construites non pas pour l’usage personnel des promoteurs, mais pour autrui, par une cession à titre gratuit à la Ville lorsqu’un certain nombre de maisons seront construites.

[…]

[59]  […] [B]ien que la cession des rues n’a pas encore eu lieu, l’intention des promoteurs à l’origine du projet de construction est de céder les rues à la Ville. Cette intention se cristallise dans le protocole d’entente avant le début des travaux. Ce n’est donc pas pour leur propre compte. Toute autre interprétation équivaudrait à dire que tant qu’un immeuble ou un autre ouvrage n’est pas vendu ou échangé, le promoteur en est le propriétaire et à ce titre, il est un constructeur-propriétaire.

[Soulignements ajoutés]

  1.       Puis, étant d’avis que la condition de recherche de profit est applicable à la situation de la personne qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction pour autrui, la juge de paix magistrat constate qu’elle est remplie en l’espèce :

[45]  Quant à la notion de « profit », comme le précise la Cour supérieure, dans le contexte de la Loi, ce concept n’a pas de sens comptable, il a le sens ordinaire indiqué dans le dictionnaire et signifie pour son bénéfice, à son intention. Cette interprétation serait conforme aux objectifs de la Loi qui vise principalement la sécurité du public.

[46]  Tenant compte de cela, l’obligation de détenir ou non une licence ne saurait s’évaluer en fonction d’un profit ou d’une perte.

[47]  Les investissements de plusieurs centaines de milliers de dollars sans l’objectif de réalisation de profit pour la construction des rues ne sont pas contestés.

[48]  Les défenderesses admettent que c’est la vente de terrains qui générera des profits, mais qu’à cette étape, la vente de terrains ne sera pas assujettie à la Loi.

[49]  Le Tribunal en conclut que les défenderesses veulent tirer profit de cette construction à plus ou moins long terme, par la vente de leurs terrains dont le prix augmentera substantiellement après leur cadastrage et leur accès facilité par les rues.

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

  1.       La juge de paix magistrat conclut donc que les intimées ont agi à titre d’entrepreneurs au sens de l’article 7 de la Loi, et non à titre de constructeurs-propriétaires.
  2.       Elle ajoute que la présomption énoncée au paragraphe 8(1o) de la Loi — selon laquelle est présumée être un entrepreneur toute personne qui « offre […] en échange un bâtiment ou un ouvrage de génie civil, à moins qu’elle ne prouve que les travaux de construction de ce bâtiment ou ouvrage n’ont pas été exécutés dans un but […] d’échange/offers […] for exchange a building or a civil engineering structure, unless he is able to demonstrate that the construction work of such building or structure was not carried out for the purpose of […] exchange » — est applicable dans le présent dossier :

[51]  Sur ce point, la défense rétorque que nous sommes en présence d’une « cession à titre gratuit » et que ce type de transaction n’étant pas prévu dans la Loi, cela suscite de réelles difficultés et ambiguïtés quant à son interprétation.

[52]  Elle invoque le fait que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Lorsqu’il précise la vente ou l’échange d’un ouvrage de génie civil, le terme « cession à titre gratuit » n’est pas mentionné. Il est pourtant mentionné dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui établit les règles quant à la détermination des lots, des terrains et qu’elle habilite les municipalités à adopter des règlements en lien avec les infrastructures afin qu’elles soient cédées gratuitement par leur propriétaire à la Ville. Ce qui laisse croire que si le législateur avait voulu inclure la cession à titre gratuit dans la Loi, il aurait pu le faire.

[53]  Sur ce point, le Tribunal conclut que nous sommes en présence, non pas d’une vente, mais à tout le moins d’un échange. Le but de la construction des rues n’est pas d’en faire cadeau à la Ville. Toute cette opération n’obéit pas à des critères de gratuité et de désintéressement. Il faut analyser cette transaction dans sa globalité. Elle s’inscrit dans une dynamique de profit à plus ou moins long terme et c’est ce qu’on retrouve dans l’esprit de la Loi.

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

B

  1.       Pour le juge de la Cour supérieure, la juge de paix magistrat fait fausse route en concluant que les intimées avaient agi pour autrui au sens de l’article 7 de la Loi. À ses yeux, ce critère n’est pas rempli, car les conditions relatives à la cession des rues, infrastructures et équipements municipaux énoncées dans les ententes signées par la Ville et les intimées ne sont pas toutes réalisées :

[33]  Tel que le relate et résume la juge dans l’extrait cité au paragraphe 22 du présent jugement, un protocole d’entente — le Protocole — est effectivement signé. L’article 12 du Protocole, que la juge ne reproduit pas dans son jugement, gouverne les modalités d’une éventuelle cession des rues à construire. […]

[34]  Il est aussi important de relever que la juge retient ce qui suit :

[17]   La construction des rues débute en 2017. À l’automne 2021, les deux défenderesses sont toujours propriétaires des rues et responsables de leur entretien incluant le déneigement. En effet, la cession des rues à la Ville n’est pas encore réalisée puisque, selon le protocole, le pourcentage des maisons bâties n’est pas atteint.

(…)

[40]   Sur le premier point, la preuve est claire; les rues sont construites non pas pour l’usage personnel des promoteurs, mais pour autrui, par une cession à titre gratuit à la Ville lorsqu’un certain nombre de maisons seront construites.

[35]  Elle a tort de tirer ces conclusions. Rien ne dit qu’il y [aura] éventuellement cession de la rue à la Ville. Au moment du jugement, il n’y avait pas encore cession. La condition de 25 % des lots construits doit d’abord être remplie. Ensuite, la Ville doit exercer sa discrétion en faveur de la municipalisation de la rue. De plus, aucun des entrepreneurs ayant travaillé sur la rue ne doit avoir inscrit une hypothèque légale.

[36]  Ainsi, le Tribunal juge que chacune des défenderesses à titre de promoteur fait exécuter les travaux pour « son compte ». Elles sont donc nécessairement un « constructeur propriétaire ». Elles doivent donc détenir une licence à ce titre conformément à l’article 48 LB, à moins qu’elles puissent se qualifier au titre d’une exception énoncée à l’article 49 LB. Les parties n’ont pas fait référence à cette question, mais le Tribunal note que le chef d’accusation ne traite pas d’une telle accusation.

[Soulignements ajoutés]

  1.       Le juge conclut que la juge de paix magistrat a également erré en concluant que la présomption énoncée au paragraphe 8(1o) de la Loi était applicable en l’espèce. Ce faisant, il s’appuie sur l’article 1795 C.c.Q., dans lequel le législateur définit l’échange comme « le contrat par lequel les parties se transfèrent respectivement la propriété d’un bien, autre qu’une somme d’argent/a contract by which the parties transfer ownership of property other than money to each other » :

[46]  Strictement rien dans la preuve n’établit que la Ville et les appelantes se « transfèrent respectivement la propriété d’un bien ». Aucun [lotissement], et donc aucune vente de lots à des tiers ne peut avoir lieu avant qu’une entente pour la construction des chemins n’intervienne. La juge erre en droit en assimilant le Protocole à un échange. Il n’y a aucune raison d’aller au-delà du sens clair du libellé de la présomption, surtout pas dans un cadre pénal.

[47]  Le Tribunal ne peut accepter les arguments présentés par le poursuivant dans son mémoire à l’effet qu’il y a bel et bien échange puisqu’en « échange de la réception provisoire des travaux, la Ville pourra procéder à l’émission de permis de construction sur les immeubles » et que « l’échange se matérialise d’abord lors de la signature du Protocole mais également lors de la réalisation des travaux ». Un tel arrangement n’a rien à voir avec l’échange tel que défini par le Code civil du Québec, un contrat apparenté au contrat de vente.

[48]  Avec égards, la caractérisation faite par le poursuivant ne tient pas compte de l’article 12 du Protocole reproduit plus haut et plus particulièrement de la condition que la cession ne peut être réalisée que lorsqu’un minimum de 25 % des immeubles riverains auront été bâtis et que la ville se réserve le droit d’accepter ou non la cession des rues. Il est faux d’affirmer, comme le fait le poursuivant, que « la propriété des terrains au moment des auditions n’influence en rien la matérialisation de l’échange ».

[Renvois omis; soulignements ajoutés]

  1.       Le juge conclut donc que les intimées ont agi à titre de constructeurs-propriétaires au sens de l’article 7 de la Loi, et non à titre d’entrepreneurs.
  2.       Enfin, il constate que, puisqu’elles ont fait exécuter les travaux à l’origine du litige par des entrepreneurs détenant une licence délivrée par la Régie, les intimées bénéficient d’une exception à l’obligation incombant à tout constructeur-propriétaire de détenir une licence. Il s’agit de l’exception prévue au paragraphe 49(1o) de la Loi :

49.   Aucune licence de constructeur-propriétaire n’est nécessaire :

49.   An owner-builder’s licence is not required:

1° pour celui qui fait exécuter des travaux de construction par un entrepreneur titulaire d’une licence, qui a pour activité principale l’organisation ou la coordination des travaux de construction dont l’exécution est confiée à d’autres;

(1) for a person who has construction work carried out by a licensed contractor whose main activity is the organization or coordination of construction work to be carried out by other persons;

IV

  1.       Avec beaucoup d’égards pour le juge de la Cour supérieure, je suis d’avis qu’une erreur de droit l’a conduit à conclure que les intimées n’avaient pas agi pour autrui en faisant construire les rues, infrastructures et équipements municipaux visés par les ententes qu’elles ont signées avec la Ville.
  2.       Aux termes de l’article 7 de la Loi, une personne qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction agit soit « pour autrui/for another person », auquel cas elle est qualifiée d’entrepreneur, soit « pour son propre compte/for his own account », auquel cas elle est qualifiée de constructeur-propriétaire. Le sens ordinaire des termes employés par le législateur ne recèle aucune ambiguïté. Les termes « constructeur-propriétaire/owner-builder » évoquent l’idée d’une personne qui construit ou fait construire un ouvrage avec l’intention d’en jouir à titre de propriétaire, et c’est en ce sens qu’elle agit pour son propre compte. Ce n’est pas dans cet état d’esprit qu’agit la personne qui construit ou fait construire pour autrui, l’ouvrage étant — dès sa construction — destiné à être ultérieurement cédé à un tiers.
  3.       La présomption énoncée au paragraphe 8(1o) de la Loi confirme l’intention du législateur de distinguer de cette manière entre la situation de l’entrepreneur et celle du constructeur-propriétaire. Comme mentionné précédemment[58], cette disposition prévoit qu’est présumée agir à titre d’entrepreneur la personne qui offre en vente ou en échange un ouvrage visé par la Loi. Toutefois, la personne concernée pourra renverser cette présomption en établissant qu’elle n’a pas réalisé les travaux de construction de cet ouvrage « dans un but de vente ou d’échange/for the purpose of sale or exchange ». Cela confirme que le statut de la personne exécutant ou faisant exécuter des travaux de construction dépend de la destination que l’ouvrage avait à ses yeux au moment de la réalisation des travaux.
  4.       Dans la présente affaire, les intimées ont assurément agi dans leur intérêt immédiat en faisant construire les rues, infrastructures et équipements municipaux à l’origine du litige, puisqu’il s’agissait d’une condition de délivrance des permis dont elles avaient besoin pour réaliser leurs projets de promotion immobilière. Toutefois, on ne saurait affirmer qu’elles ont alors agi pour leur propre compte au sens de l’article 7 de la Loi, car — la preuve est limpide à ce sujet — elles n’ont jamais eu l’intention de continuer à détenir ces ouvrages afin d’en jouir à titre de propriétaires. Par ailleurs, le fait que les ententes qu’elles ont signées ne garantissent pas que les ouvrages seront repris par la Ville ne change rien à leur intention constante à l’égard de ces ouvrages. À ce titre, leur situation est analogue à celle d’un promoteur immobilier n’ayant aucune garantie que les maisons qu’il s’affaire à construire trouveront preneur : le fait demeure qu’il s’agit d’ouvrages destinés à être ultérieurement cédés à des tiers[59].
  5.       Ainsi, et contrairement à ce qu’a conclu le juge de la Cour supérieure, le fait que les intimées étaient toujours propriétaires des rues, infrastructures et équipements municipaux au moment où les constats d’infractions leur ont été remis est sans pertinence, car ce fait ne change rien à la perspective dans laquelle elles ont fait exécuter les travaux : elles n’ont jamais eu l’intention de continuer à détenir ces ouvrages afin d’en jouir à titre de propriétaires.
  6.       J’estime en outre que l’erreur de droit commise par le juge de la Cour supérieure est déterminante.
  7.       Comme mentionné plus haut, afin d’être qualifiée d’entrepreneur aux termes de l’article 7 de la Loi, une personne doit aussi avoir « fait exécuter/ha[d] carried out » les travaux de construction en cause. Pour les motifs énoncés par la juge de paix magistrat aux paragraphes 41 à 44 de son jugement[60], ce critère me semble être rempli en l’espèce.
  8.       Enfin, dans l’éventualité où la condition de recherche de profit serait applicable à la situation de la personne qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction pour autrui — une question qui n’a pas à être tranchée aux fins de l’examen du présent pourvoi —, je conclurais qu’elle est, elle aussi, remplie. Il est vrai qu’aux termes des ententes conclues entre les intimées et la Ville, les rues, infrastructures et équipements municipaux que les intimées se sont engagées à faire construire étaient destinés à être cédés à titre gratuit. Toutefois, l’obligation incombant aux intimées de construire ces ouvrages au bénéfice éventuel de la Ville constitue une composante indissociable de projets de promotion immobilière qu’elles avaient de toute évidence l’intention de réaliser à des fins lucratives. La juge de paix magistrat a donc vu juste en concluant que les travaux de construction des rues, infrastructures et équipements municipaux à l’origine du litige avaient été réalisés au profit des intimées.

V

  1.       Après avoir rédigé mes motifs, j’ai eu l’occasion de lire ceux de ma collègue la juge Lavallée, qui insiste sur les conséquences, qu’elle estime inopportunes, de l’interprétation défendue par l’appelant. Je regrette de ne pouvoir me rallier à sa position.
  2.       Le sens des expressions « pour autrui/for another person » et « pour son propre compte/for his own account », tel qu’il se dégage du sens ordinaire des termes employés par le législateur et du contexte dans lequel ceux-ci s’inscrivent, me semble clair. Certes, les tribunaux peuvent refuser de donner effet à une disposition législative en apparence claire lorsque cela conduirait à un résultat qui leur semble problématique au point d’être absurde. Toutefois, pour des motifs liés notamment à la séparation des pouvoirs ainsi qu’au principe démocratique, l’exercice de ce pouvoir doit être réservé aux cas où le caractère intolérable du résultat saute aux yeux, au point où il ne fait aucun doute qu’il n’a pu être souhaité par le législateur.
  3.       Or, en l’espèce, le dossier qui nous a été présenté ne contient pratiquement aucun élément jetant un quelconque éclairage sur les conséquences plus larges de l’interprétation défendue par l’appelant, ce qui n’étonne guère étant donné que les intimées n’ont jamais invoqué le caractère prétendument absurde de cette interprétation. En outre, la connaissance d’office, la logique et le bon sens ne me semblent pas pouvoir suppléer à cette lacune : autrement dit, à mes yeux, il ne va pas de soi qu’il serait aberrant d’exiger que les promoteurs faisant exécuter des travaux de construction relatifs à des infrastructures et équipements municipaux détiennent une licence d’entrepreneur. Voilà pourquoi j’estime injustifié d’écarter l’interprétation défendue par l’appelant en mettant l’accent sur les conséquences qu’elle est susceptible d’engendrer.
  4.       Bref, à mon avis, les intimées agissaient bel et bien à titre d’entrepreneurs au sens de l’article 7 de la Loi dans le cadre de la construction des rues, infrastructures et équipements municipaux dont font état les ententes qu’elles ont signées avec la Ville.
  5.       Pour ces motifs, je propose à la Cour d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et de rétablir les déclarations de culpabilité prononcées par la Cour du Québec, avec les frais de justice.

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 


[1]  Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1.

[4]  Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1.

[5]  Jugement entrepris, paragr. 34-36.

[7]  Id., p. 101. Voir aussi p. 61.

[8]  Jean-Pierre St-Amour, Les ententes relatives aux travaux municipaux, supra, note 6, p. 75-76.

[9]  Témoignage de Gilles Laurence, 12 mai 2021.

[10]  Id.

[11]  Pièce P-10 (Dossier Gilles Laurence), Règlement numéro 1200-2012-TM-1.

[12]  Pièce P-2 (Dossier Gilles Laurence), Protocole d’entente, article 2 pour la description des travaux.

[13]  Id., article 5.

[14]  Témoignage de Gilles Laurence, 12 mai 2021.

[15]  Témoignage de Daniel Sauvé, 13 mai 2021.

[16]  Id.

[17]  Pièce P-2 (Dossier Daniel Sauvé), Protocole d’entente, article 12.

[18]  Témoignage de Daniel Sauvé, 13 mai 2021.

[19]  Id.

[20]  Témoignage de Gilles Laurence, 12 mai 2021; témoignage de Daniel Sauvé, 13 mai 2021.

[21]  Pièce P-4 (Dossier Gilles Laurence), Documents de David Riddell excavation-transport; Témoignage de Gilles Laurence, 12 mai 2021.

[22]  Voir Pièce P-4 (Dossier Daniel Sauvé), Documents d’Excavation Miller 2014; témoignage de Daniel Sauvé, 13 mai 2021; Pièce P-6 (Dossier Daniel Sauvé), Documents du Groupe Solroc.

[23]  Voir le jugement entrepris, paragr. 2.

[24]  Constat d’infraction de Gestion Daniel Sauvé inc. du 11 octobre 2019; Constat d’infraction de Gestion Gilles Laurence Ltée du 7 octobre 2019.

[25]  Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires, RLRQ, c. B-1.1, r. 9.

[26]  Voir la disposition préliminaire du Code civil du Québec.

[27]  Nancy Demers, Précis du droit de la construction, Cowansville, Yvon Blais, 2000, p. 130, n° 179.

[28]  Montréal (Ville) c. Lonardi, 2018 CSC 29, paragr. 22. Voir aussi Jardin d'enfants Curzon c. Attorney General of Quebec (Ministère de la Famille), 2019 QCCA 1376, paragr. 30.

[29]  Ville de Montréal c. Propriétés Cons 9 inc., 2023 QCCA 529, paragr. 34.

[30]  Loi modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, Projet de loi 28, 3e session, 34e législature (Québec).

[32]  Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, article 145.22.

[33]  Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19.

[34]  Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1.

[35]  Jean-Pierre St-Amour, Les ententes relatives aux travaux municipaux, supra, note 6, p. 101. Voir aussi p. 61.

[36]  Jean-Pierre St-Amour, Les ententes relatives aux travaux municipaux, supra, note 6, p. 101-102.

[37]  Id., p. 32-34.

[38]  Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c. C-65.1.

[39]  Article 938.3.2 du Code municipal, RLRQ, c. C-27-1.

[40]  Article 573.3.3.2 de la Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19.

[41]  Voir à ce sujet, Jean-Pierre St-Amour, Les ententes relatives aux travaux municipaux, supra, note 6, p. 83-85.

[42]  Pièce P-2 (Dossier Gilles Laurence), Protocole d’entente, clause 12.

[44]  Maria (Office municipal d’habitation de) c. Construction LFG inc., 2014 QCCA 2034, paragr. 27.

[45]  Loi sur le bâtiment, art. 1.

[46]  Jean-Pierre St-Amour, Les ententes relatives aux travaux municipaux, supra, note 6, p. 13-17.

[47]  Articles 569 et suivants du Code municipal du Québec; et articles 468 et suivants de la Loi sur les cités et villes.

[48]  Gestion Gilles Laurence ltée c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2023 QCCS 1505 [jugement entrepris].

[49]  Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Gestion Gilles Laurence ltée, 2022 QCCQ 287 [jugement de la Cour du Québec].

[50]  RLRQ, c. B-1.1.

[51]  Il s’agit d’un règlement adopté en vertu des articles 145.21 et s. de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ c. A-19.1.

[52]  Article 9 du Règlement.

[53]  Article 10(l) du Règlement.

[54]  Article 22 al. 1 du Règlement.

[55]  Article 22.1 du Règlement.

[56]  Voir par ex. : Nancy Demers, Précis du droit de la construction, Cowansville, Yvon Blais, 2000, p. 130 (n° 179); Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Plomberie Roger Matte (2004) inc., 2020 QCCS 399, paragr. 17 et s.; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Prêts Relais Capital inc., 2020 QCCQ 52, paragr. 22-25; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9148-8114 Québec inc., 2022 QCCQ 1638, paragr. 37, infirmée sur un autre point par 9148-8114 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2024 QCCS 1618.

[57]  Fertek inc. c. Régie des entreprises de construction du Québec, [1981] C.S. 125, p. 126-127, citée par : Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Plomberie Roger Matte (2004) inc., 2020 QCCS 399, paragr. 19-32; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Transport Mario Michaud inc., 2017 QCCQ 579, paragr. 10-11; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Prêts Relais Capital inc., 2020 QCCQ 52, paragr. 31-32; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9148-8114 Québec inc., 2022 QCCQ 1638, paragr. 38-39.

[58]  Supra, paragr. 108.

[59]  Le promoteur immobilier qui fait construire des bâtiments avec l’intention de les revendre est un entrepreneur pour l’application de la Loi, et ce, même lorsqu’il n’agit qu’à titre de promoteur vendeur et ne joue aucun rôle sur le chantier de construction : Nancy Demers, Précis du droit de la construction, Cowansville, Yvon Blais, 2000, p. 129, n° 175; Gilles Doyon, « Défense efficace d’un entrepreneur de construction devant la Régie du bâtiment du Québec », (2010) 325 Développements récents en droit de la construction 89, p. 95; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Prêts Relais Capital inc., 2020 QCCQ 5, paragr. 24 et 41.

[60]  Supra, paragr. 104.

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