Décision

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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Dunmore c. Mehralian, 2025 CSC 20

 

 

Appel entendu et jugement rendu : 9 décembre 2024

Motifs de jugement : 20 juin 2025

Dossier : 41108

 

Entre :

 

Michael Paul Dunmore

Appelant

 

et

 

Raha Mehralian

Intimée

 

- et -

 

Barbra Schlifer Commemorative Clinic,

Bureau de l’avocate des enfants,

Defence for Children International – Canada,

Centre for Refugee Children,

South Asian Legal Clinic of Ontario,

South Asian Legal Clinic of British Columbia et

South Asian Bar Association

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 96)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 97 à 184)

La juge Côté

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


Michael Paul Dunmore Appelant

c.

Raha Mehralian Intimée

et

Barbra Schlifer Commemorative Clinic,

Bureau de l’avocate des enfants,

Defence for Children International – Canada,

Centre for Refugee Children,

South Asian Legal Clinic of Ontario,

South Asian Legal Clinic of British Columbia et

South Asian Bar Association Intervenants

Répertorié : Dunmore c. Mehralian

2025 CSC 20

No du greffe : 41108.

Audition et jugement : 9 décembre 2024.

Motifs déposés : 20 juin 2025.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

 Droit de la famille — Garde — Compétence pour rendre une ordonnance parentale — Résidence habituelle — Présentation par le père d’une motion contestant la compétence des tribunaux ontariens de rendre l’ordonnance parentale demandée par la mère et sollicitant le retour de l’enfant à Oman — Déclaration de compétence prononcée par les tribunaux ontariens au motif que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario au moment où la mère a demandé une ordonnance parentale — Les tribunaux ontariens se sont-ils à juste titre déclarés compétents? — Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, c. C.12, art. 22.

 La mère, une citoyenne de l’Iran et une résidente permanente du Canada, et le père, un citoyen canadien originaire de l’Ontario, se sont rencontrés en Malaisie en 2014 et se sont mariés au Japon en 2015. Ils ont ensuite vécu dans plusieurs pays ensemble, déménageant en général pour des motifs liés à l’emploi du père. Ils ont vécu ensemble à Oman d’avril 2018 à mars 2020, quand ils se sont rendus en Ontario. Même s’ils avaient prévu au départ de revenir à Oman en avril 2020, ils sont demeurés plus longtemps en Ontario à cause de la pandémie de COVID19. Leur enfant est né en Ontario en décembre 2020. En janvier 2021, la mère, le père et l’enfant sont repartis à Oman, mais ils sont tous revenus de nouveau en Ontario en avril 2021.

 En mai 2021, la mère et le père se sont séparés. Le père est retourné à Oman, tandis que la mère et l’enfant sont restés en Ontario. Le père a intenté une instance à Oman en juin 2021 pour demander le divorce et la garde de l’enfant. La mère a introduit une instance en droit de la famille en Cour supérieure de l’Ontario un jour après que le père eut introduit l’instance à Oman. Le père a présenté une motion en Cour supérieure de l’Ontario pour contester la compétence des tribunaux ontariens de trancher les questions parentales et réclamer le retour de l’enfant à sa charge à Oman. La juge des motions a rejeté la motion du père, concluant que les tribunaux ontariens avaient compétence parce que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario pour l’application de l’al. 22(1)a) de la Loi portant réforme du droit de l’enfance  LRDE ») de l’Ontario. La Cour d’appel lui a donné raison et a rejeté l’appel du père.

 Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.

 Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau : Lorsqu’il s’agit de décider si les tribunaux ontariens ont compétence pour instruire une instance intentée en vertu de la LRDE à l’égard d’un enfant qui n’est pas visé par la Convention de La Haye, la définition de « résidence habituelle » qui figure au par. 22(2) de la LRDE oblige le tribunal à déterminer où l’enfant résidait à un moment prescrit. Le principe directeur qui s’applique pour déterminer si l’enfant résidant dans un lieu consiste à savoir si l’enfant y était chez lui, et non pas de savoir si les parents avaient une intention bien établie de résider dans le lieu. En l’espèce, les tribunaux ontariens se sont à juste titre déclarés compétents. La juge des motions a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et a conclu que la famille résidait en Ontario lorsque l’enfant a vécu pour la dernière fois avec ses deux parents. Il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion.

 Un tribunal ne peut rendre une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact en vertu de la partie III de la LRDE que si l’on a démontré un motif établissant sa compétence. Le motif de compétence énoncé à l’al. 22(1)a) de la LRDE est fondé sur la résidence habituelle. La LRDE définit expressément ce que l’on entend par un enfant ayant sa « résidence habituelle » aux par. 22(2) et (3). Le paragraphe 22(2) prévoit qu’un enfant a sa résidence habituelle dans le lieu où il résidait lorsqu’il se trouvait dans la dernière en date des situations suivantes : (1) l’enfant résidait avec ses parents; (2) l’enfant résidait avec l’un d’eux avec le consentement ou l’acquiescement de l’autre personne ou en vertu d’une ordonnance du tribunal; ou (3) l’enfant résidait avec une personne autre qu’un parent, de façon permanente pendant une longue période. Le paragraphe 22(3) ajoute que la résidence habituelle ne saurait être modifiée par le déplacement ou le nonretour d’un enfant, sauf si cela se fait avec le consentement de toutes les personnes ayant une responsabilité décisionnelle à l’égard de l’enfant ou s’il y a eu acquiescement ou retard indu dans l’introduction d’une procédure juridique régulière. Les paragraphes 22(2) et (3) ont pour effet conjugué que la résidence habituelle est déterminée en fonction de la dernière date à laquelle deux conditions étaient réunies (le « moment prescrit ») : (1) l’enfant « résidait » dans l’une des trois situations énumérées au par. 22(2); (2) l’enfant n’a pas été déplacé ou non retourné sans le consentement, l’acquiescement ou le retard indu de toutes les personnes ayant une responsabilité décisionnelle au sens du par. 22(3). Le tribunal saisi de la question de savoir si l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario doit, donc, tout simplement se demander si l’enfant y « résidait » au moment prescrit.

 La LRDE ne définit pas ce que « résider » veut dire. Le sens ordinaire de « résider » est tout simplement de vivre ou d’être chez soi dans un lieu, quelle que soit la forme que cela prend. Le sens de « résider » dans le contexte précis en cause doit être interprété en fonction des objets généraux de la partie III, notamment ceux de veiller à ce que les tribunaux règlent les requêtes relatives aux enfants en fonction de leur intérêt véritable, d’éviter le chevauchement de compétence, de décourager l’enlèvement d’enfants comme solution de rechange à l’application régulière de la loi et de prévoir une exécution efficace des ordonnances concernant les enfants. La définition hybride de « résidence habituelle » analysée dans Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398, relativement à la Convention de La Haye ne s’applique pas directement à l’art. 22 de la LRDE; cependant, des considérations semblables peuvent tout de même guider l’analyse, car les objectifs de la Convention de La Haye sont semblables à ceux de la partie III.

 Il faut rejeter une conception du sens de « résider » qui met l’accent sur l’intention commune des parents. Rien dans le texte de l’art. 22 n’indique que le sens ordinaire de « résider » est écarté par un concept axé sur l’intention commune des parents. Les tentatives de superposer à la notion factuelle de résidence habituelle des constructions juridiques comme l’intention des parents ont échoué. Une approche fondée sur l’intention commune détourne à tort l’attention de facteurs objectifs, comme le lieu où vivait l’enfant, et donne une priorité indue aux opinions subjectives des parents. C’est une approche plus large qui respecte le mieux les objectifs du retour immédiat et qui protège le mieux les enfants. Dans la mesure où différentes considérations s’appliquent dans les cas qui échappent à la Convention de La Haye, elles ne font que militer encore davantage contre une approche fondée sur l’intention commune des parents. Les tribunaux canadiens ne peuvent présumer que les États qui ne sont pas parties à la Convention de La Haye seront guidés par l’intérêt véritable de l’enfant, ou qu’ils feront preuve de la réciprocité nécessaire à une prise de décision ordonnée entre les États à l’égard des enfants.

 L’interprétation qu’il convient de donner au mot « résider », ancrée dans le texte, le contexte et l’objet de la partie III, c’est de dire qu’un enfant réside là où il est chez lui. La notion de chezsoi rappelle que le tribunal n’est pas à la recherche de formalités juridiques, mais qu’il doit continuer de mettre l’accent précisément sur la vie et la situation de l’enfant au moment de se demander où il réside. Au nombre des principes généraux visant l’interprétation du lieu où « réside » un enfant pour l’application de l’art. 22 de la LRDE figurent : (1) la présence physique dans un ressort à un moment donné n’est ni nécessaire ni suffisante pour emporter résidence dans ce ressort à ce momentlà; (2) la résidence n’a pas à revêtir un caractère permanent; (3) dans le cas des très jeunes enfants qui n’ont peutêtre pas de liens objectifs clairs avec un lieu, les liens des personnes qui prennent soin d’eux sont susceptibles d’avoir plus de poids dans l’analyse; (4) un enfant peut résider dans plus d’un ressort à un moment donné.

 Les tribunaux qui se demandent où l’enfant est chez lui devraient examiner tous les liens et faits pertinents. L’analyse devrait porter sur les liens factuels entre l’enfant et le ressort en question, de même que sur les circonstances entourant tout déplacement vers le ressort ou en provenance de celuici. Il peut s’agir notamment de choses comme le recours à des services sociaux dans le ressort, des liens linguistiques, culturels, éducatifs et sociaux avec le ressort, la présence de parents dans le ressort, ainsi que la durée et les motifs de leur présence dans le ressort. Lorsqu’ils tiennent compte de ces différents facteurs, les juges devraient être conscients du contexte social qui façonne la vie des enfants et du lieu où ils sont chez eux, notamment de la réalité concrète des enfants migrants, de la dynamique sexospécifique et de la présence de violence familiale.

 La détermination du lieu où résidait l’enfant est un exercice factuel et contextuel, mais ce n’en est pas un qui est complexe et coûteux, et il faut empêcher qu’il le devienne. Les cas d’enlèvement international d’enfants doivent être réglés promptement, et tous les acteurs du système de justice familiale doivent en faire davantage pour accélérer le règlement des litiges en matière de compétence qui concernent des enfants. Les juges ainsi que les plaideurs et leurs avocats ne doivent pas laisser les différends au sujet du lieu de résidence d’un enfant devenir inutilement complexes et engendrer la production d’un volume indu de preuves documentaires.

 La juge Côté (dissidente) : Le pourvoi devrait être accueilli et l’affaire renvoyée à la juge des motions pour qu’elle statue sur la question du retour de l’enfant à Oman. L’approche fondée sur l’intention des parents doit jouer un rôle central dans la détermination de la résidence habituelle en vertu du par. 22(2) de la LRDE. Lorsque cette approche est appliquée à la preuve dans le dossier en l’espèce, le résultat qui en découle naturellement est que la résidence habituelle de l’enfant se trouvait à Oman, et non en Ontario. Les tribunaux ontariens n’ont donc pas compétence en l’espèce.

 La question en litige en est fondamentalement une d’interprétation statutaire — elle n’est pas celle de savoir quelle devrait être la meilleure démarche pour déterminer la résidence habituelle du point de vue de la Cour. Bien que la majorité prétende rejeter l’approche hybride adoptée par la Cour dans l’arrêt Balev pour les cas relevant de la Convention de La Haye, elle formule néanmoins un test d’apparence presque identique à cette approche hybride et fait fi du libellé explicite de la LRDE mentionnant que la résidence habituelle d’un enfant ne peut être modifiée unilatéralement par un parent. Il ne peut s’agir de la manière d’interpréter le concept de résidence habituelle en vertu de la LRDE. La seule approche appuyée par le texte, le contexte et l’objet du par. 22(2) de la LRDE est celle fondée sur l’intention des parents. Il s’agit de la seule approche qui soit conforme au libellé de la disposition tel qu’adopté par la Législature et qui offre la certitude et la prévisibilité dans une partie d’une loi qui vise, entre autres choses, à prévenir le déplacement illicite d’enfants.

 Les points principaux qui émergent de l’examen du texte, du contexte et de l’objet de l’art. 22 de la LRDE sont les suivants : le texte des par. 22(2) et (3) vise clairement l’intention des parents, et la résidence habituelle doit consister en plus qu’une simple présence physique à un endroit particulier. L’objet du par. 22(2) est d’établir la juridiction d’un tribunal au sein d’un cadre d’analyse formé d’autres dispositions qui favorisent collectivement l’intérêt véritable des enfants et préviennent leur enlèvement. L’approche fondée sur l’intention des parents permet le mieux de réaliser ces objectifs en empêchant que la résidence habituelle d’un enfant soit déterminée là où celuici est emmené par un parent sans le consentement ou l’acquiescement de l’autre parent. Bien que l’un des objets généraux de la partie III de la LRDE oblige les tribunaux à tenir compte de l’intérêt véritable des enfants, cela ne veut pas dire que chaque soussection ou partie individuelle de l’analyse doit comprendre une prise en considération directe de l’intérêt véritable. D’autres dispositions de la partie III jouent expressément ce rôle. Il n’est pas nécessaire de rendre l’évaluation en vertu de l’al. 22(1)a) beaucoup plus complexe que l’alternative prévue à l’al. 22(1)b).

 L’approche hybride adoptée dans le contexte de la Convention de La Haye ne saurait être transposée au par. 22(2). La résidence habituelle est définie dans la LRDE, mais non dans la Convention de La Haye. En outre, tant l’approche hybride tirée de l’arrêt Balev que celle de la majorité permettent que les actes d’un parent modifient unilatéralement le lieu de la résidence habituelle d’un enfant. Cette possibilité est expressément écartée par le par. 22(3). La seule approche appropriée qui respecte le libellé de la loi est celle fondée sur l’intention des parents.

 En l’espèce, la juge des motions a commis une erreur de droit isolable en décidant que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario. Il en est ainsi parce qu’elle croyait que conclure à une intention bien établie de résider à un endroit en particulier n’était pas exigé en vue de déterminer le lieu de la résidence habituelle d’un enfant. En conséquence, elle n’a pas abordé les faits sous le bon angle. La Cour n’est donc tenue à aucune déférence à l’égard de sa conclusion. Lorsqu’une nouvelle analyse du lieu de la résidence habituelle est effectuée, en appliquant l’approche fondée sur l’intention bien établie des parents, en vertu du par. 22(2), l’enfant avait sa résidence habituelle à Oman, non en Ontario. Le dernier lieu où il y avait une intention commune des parents de résider était à Oman, non en Ontario.

 En outre, les exigences de l’al. 22(1)b) de la LRDE qui fournissent un fondement subsidiaire permettant à un tribunal d’exercer sa juridiction au cas où le lieu de la résidence habituelle d’un enfant n’est pas en Ontario ne sont pas réunies. Toutes les exigences énoncées aux al. 22(1)b)(i) à (vi) doivent être réunies pour que le tribunal assume juridiction. Deux de ces exigences ne sont pas réunies en l’espèce. Le sousalinéa 22(1)b)(iii) exige qu’aucune requête visant la responsabilité décisionnelle, le temps parental ou les contacts à l’égard de l’enfant ne soit en cours devant un tribunal extraprovincial situé dans le lieu où l’enfant a sa résidence habituelle. Comme la résidence habituelle de l’enfant était à Oman, cette exigence ne sera pas rencontrée si une telle requête était pendante à Oman au moment où l’instance à la Cour supérieure a été introduite. L’instance à Oman était pendante lorsque la mère a introduit sa requête en Ontario, la seule période pertinente qui devrait être prise en considération. De même, la dernière exigence de l’al. 22(1)b) n’est également pas respectée. Le sousalinéa 22(1)b)(vi) exige qu’un tribunal conclue que, selon la prépondérance des inconvénients, il est approprié que la compétence soit exercée en Ontario. Il est difficile de conclure que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’exercice de la compétence en Ontario, alors que cette province n’est pas le lieu où l’enfant a sa résidence habituelle et que la mère a également acquiescé sans réserve à la compétence d’un tribunal étranger dans une instance relative à la garde. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où la résidence habituelle est établie à la fois en Ontario et dans un autre ressort. La résidence habituelle de l’enfant était à Oman.

Jurisprudence

Citée par la juge Martin

 Arrêts examinés : Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398; F. c. N., 2022 CSC 51; D.G. c. A.F., 2014 ONCA 436; arrêts mentionnés : Brooks c. Brooks (1998), 41 O.R. (3d) 191; Ojeikere c. Ojeikere, 2018 ONCA 372, 140 O.R. (3d) 561; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; Dovigi c. Razi, 2012 ONCA 361, 110 O.R. (3d) 593; E. (H.) c. M. (M.), 2015 ONCA 813, 393 D.L.R. (4th) 267; Geliedan c. Rawdah, 2020 ONCA 254, 446 D.L.R. (4th) 440; Murray c. Ceruti, 2014 ONCA 679, 50 R.F.L. (7th) 298; Los c. Ross, 2024 ONCA 122, 10 R.F.L. (9th) 51; Droit de la famille — 131294, 2013 QCCA 883, [2013] R.J.Q. 849; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Wolfe, 2024 CSC 34; Telus Communications Inc. c. Fédération canadienne des municipalités, 2025 CSC 15; Malpani c. Malpani, 2022 ONSC 4123; Thomson c. Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209; Lor c. Lor (1978), 5 R.F.L. (2d) 138; Adderson c. Adderson (1987), 36 D.L.R. (4th) 631; Procureur général du Canada c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170; R. c. Clement (1914), 6 W.W.R. 414; Lanston Monotype Machine Co. c. Northern Publishing Co. (1922), 63 R.C.S. 482; Re Kelly Infants, [1970] 2 O.R. 608; Kong c. Song, 2019 BCCA 84, 21 B.C.L.R. (6th) 284, conf. 2018 BCSC 1691; Pengelly c. Lynas, 2024 ONSC 6269; Zafar c. Azeem, 2024 ONCA 15, 97 R.F.L. (8th) 3; Korenic c. DePotter, 2022 ONSC 3954, 77 R.F.L. (8th) 207; Logan c. Logan, 2022 ONSC 4927, 82 R.F.L. (8th) 193; Barakat c. Andraos, 2023 ONSC 582, 85 R.F.L. (8th) 189; In re LC (Children), [2014] UKSC 1, [2014] A.C. 1038; Monasky c. Taglieri, 589 U.S. 68 (2020); Aslanimehr c. Hashemi, 2022 BCCA 248, 76 R.F.L. (8th) 269; Sheidaei-Gandovani c. Makramati, 2016 ONCJ 326; Johnson c. Athimootil (2007), 49 R.F.L. (6th) 106; H. (A.) c. H. (F.S.), 2013 ONSC 1308, 28 R.F.L. (7th) 163, conf. par 2013 ONCA 227; Sanders c. Aerts, 2014 ONCJ 20, 42 R.F.L. (7th) 477; Chan c. Chow, 2001 BCCA 276, 199 D.L.R. (4th) 478; G.M. c. J.G., 2023 NBKB 57, 88 R.F.L. (8th) 377; Moussa c. Sundhu, 2018 ONCJ 284, 11 R.F.L. (8th) 497; Cartwright c. Hinds (1883), 3 O.R. 384; Brouillard c. Racine (2002), 33 R.F.L. (5th) 48; Riley c. Wildhaber, 2011 ONSC 3456, 336 D.L.R. (4th) 604; A c. A, [2013] UKSC 60, [2014] A.C. 1; Mercredi c. Chaffe, C497/10 PPU, [2010] E.C.R. I14358; Khan c. Raza, 2024 ONCJ 382; X.L. c. C.B., 2024 ONSC 3895; Kalra c. Bhatia, 2024 ONSC 1443; Jarrar c. Al-Khalili, 2024 ONSC 7134, 10 R.F.L. (9th) 271; Osaloni c. Osaloni, 2023 ABCA 116; Pollastro c. Pollastro (1999), 43 O.R. (3d) 497; Ogunboye c. Faoye, 2023 ONCJ 46, 84 R.F.L. (8th) 99; Kinsella c. Mills, 2020 ONSC 4785, 44 R.F.L. (8th) 1; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; R. c. Haevischer, 2023 CSC 11; K.F. c. J.F., 2022 NLCA 33, 7 C.A.N.L.R. 609; Rifkin c. Peled-Rifkin, 2017 NBCA 3, 89 R.F.L. (7th) 194; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27; Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, [2022] 1 R.C.S. 517; Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 R.C.S. 416.

Citée par la juge Côté (dissidente)

 Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; In re LC (Children), [2014] UKSC 1, [2014] A.C. 1038; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Kong c. Song, 2019 BCCA 84, 21 B.C.L.R. (6th) 284; Zafar c. Azeem, 2024 ONCA 15, 97 R.F.L. (8th) 3; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Ojeikere c. Ojeikere, 2018 ONCA 372, 140 O.R. (3d) 561; E. (H.) c. M. (M.), 2015 ONCA 813, 393 D.L.R. (4th) 267; Nichols c. Nichols, 1995 CanLII 6241; Aldush c. Alani, 2022 ONSC 1536, 74 R.F.L. (8th) 113; Solem c. Solem, 2013 ONSC 1097.

Lois et règlements cités

Children’s Law Act, R.S.N.L. 1990, c. C13, art. 28(2).

Children’s Law Act, S.P.E.I. 2020, c. 59, art. 35(3).

Code civil du Québec, art. 3142.

Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, art. 72, 74.

Family Law Reform Act, R.S.O. 1980, c. 152.

Loi de 2020 sur le droit de l’enfance, L.S. 2020, c. 2, art. 6.

Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, c. C.12, partie III, art. 18, 19, 21, 22, 23, 25, 40, 41, 64(1), 69.

Loi sur le domicile et la résidence habituelle, C.P.L.M., c. D96, art. 9(2).

Loi sur le droit de l’enfance, C.L.Nun., c. C70, art. 25(2).

Loi sur le droit de l’enfance, L.R.Y. 2002, c. 31, art. 37(2).

Loi sur le droit de l’enfance, L.T.N.O. 1997, c. 14, art. 25(2).

Loi sur le droit de la famille, L.N.B. 2020, c. 23, art. 68(2).

Minors Act, R.S.O. 1980, c. 292.

Règles en matière de droit de la famille, Règl. de l’Ont. 114/99, règle 37.2(3).

Traités et autres instruments internationaux

Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35, articles 1, 3.

Doctrine et autres documents cités

Bala, Nicholas. « O.C.L. v. Balev : Not an “Evisceration” of the Hague Convention and the International Custody Jurisdiction of the CLRA » (2019), 38 C.F.L.Q. 301.

Cambridge Dictionary (en ligne : https://dictionary.cambridge.org/), « reside ».

Côté, PierreAndré, et Mathieu Devinat. Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Thémis, 2021.

McCormack, Nancy. Pocket Dictionary of Canadian Law, 6e éd., Toronto, Thomson Reuters, 2023, « reside ».

Morley, Jeremy. « International child abduction and non-Hague Convention countries », dans Marilyn Freeman et Nicola Taylor, dir., Research Handbook on International Child Abduction : The 1980 Hague Convention, Northampton (Mass.), Edward Elgar, 2023, 244.

Mosher, Janet, et autres. « Submission to Justice Canada on the Criminalization of Coercive Control », dans Osgoode Hall Law School Legal Studies Research Paper Series, Research Paper No. 4619067, 30 octobre 2023.

O’Connell, Sheilagh, Anita Volikis et Lynn Kirwin. The 2012-2013 Annotated Ontario Children’s Law Reform Act, Toronto, Carswell, 2012.

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Shipley, Allan Q. « Custody Law Reform in Ontario : The Children’s Law Reform Act », dans Barbara Landau, dir., Children’s Rights in the Practice of Family Law, Toronto, Carswell, 1986, 153.

Tétrault, Michel. Droit de la famille, vol. 4, La procédure, la preuve et la déontologie, 4e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010.

Tolmie, Julia, Rachel Smith et Denise Wilson. « Understanding Intimate Partner Violence : Why Coercive Control Requires a Social and Systemic Entrapment Framework » (2024), 30 Violence Against Women 54.

Wilton, Ann, Gary S. Joseph et Tara Train. Parenting Law and Practice in Canada, Toronto, Thomson Reuters, 1992 (feuilles mobiles mises à jour mars 2025, envoi no 1).

 POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Trotter, Sossin et Monahan), 2023 ONCA 806, 94 R.F.L. (8th) 255, [2023] O.J. No. 5446 (Lexis), 2023 CarswellOnt 18892 (WL), qui a confirmé une décision de la juge Brownstone, 2023 ONSC 2616, [2023] O.J. No. 2022 (Lexis), 2023 CarswellOnt 6779 (WL). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

 Michael J. Stangarone, Meghann P. Melito et Tiffany (Shi Han) Guo, pour l’appelant.

 Anthony Macri, Sam Misheal et Geoff Carpenter, pour l’intimée.

 Deepa Mattoo, Tamar Witelson et Archana Medhekar, pour l’intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic.

 Caterina E. Tempesta, Kenneth Atkinson et Sheena Scott, pour l’intervenant le Bureau de l’avocate des enfants.

 Fadwa K. Yehia et Fareen Jamal, pour les intervenants Defence for Children International – Canada et Centre for Refugee Children.

 Neha Chugh et Maneesha Mehra, pour les intervenantes South Asian Legal Clinic of Ontario, South Asian Legal Clinic of British Columbia et South Asian Bar Association.

 Version française des motifs de jugement du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau rendus par

 La juge Martin —

  1.                Vue d’ensemble
  1.                               Le présent pourvoi porte sur ce que l’on entend par un enfant qui a sa résidence habituelle dans un lieu en vue de déterminer si un tribunal a compétence pour instruire une instance concernant cet enfant au titre de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, c. C.12 (« Loi »). Il invite notre Cour à se pencher sur cette question dans le cas des enfants qui ne sont pas visés par la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35  Convention de La Haye »).
  2.                               Les parties se sont mariées au Japon et ont voyagé ensemble aux Émirats arabes unis, à Oman et en Ontario. Elles ont eu un enfant ensemble lorsqu’elles étaient en Ontario. À la suite d’une allégation de violence conjugale, les parties se sont séparées sans perspective de réconciliation. Monsieur Dunmore vit maintenant à Oman, tandis que Mme Mehralian demeure en Ontario avec leur enfant.
  3.                               Madame Mehralian a introduit une instance en droit de la famille en Ontario. Monsieur Dunmore a contesté par motion la compétence des tribunaux ontariens, réclamant le retour de l’enfant à sa charge à Oman. La juge qui a entendu sa motion a conclu que, comme l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario, les tribunaux ontariens avaient compétence. Monsieur Dunmore affirme que la juge des motions a eu tort de conclure que l’enfant y résidait habituellement. Toujours selon lui, la juge a fait erreur parce qu’elle n’a pas concentré l’analyse sur la question de savoir si lui et Mme Mehralian avaient conjointement l’intention de vivre en Ontario. Il dit que, faute de cette intention commune des parents, l’enfant résidait habituellement à Oman.
  4.                               À l’audience, la Cour a rejeté à la majorité l’appel de M. Dunmore, en indiquant que des motifs suivraient. Voici ces motifs.
  5.                               En Ontario, et dans certains autres ressorts canadiens, le législateur a adopté une définition légale de « résidence habituelle » afin de permettre aux tribunaux de se déclarer compétents à l’égard des requêtes en vue d’obtenir une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact. Cette définition oblige le tribunal à déterminer où l’enfant résidait à un moment prescrit, en l’espèce le moment où l’enfant résidait pour la dernière fois avec ses deux parents. Le désaccord entre les parties porte sur le sens de « résidait » à cette fin — un verbe non défini dans la Loi, mais sur lequel repose le terme composé « résidence habituelle ».
  6.                               Bien qu’il existe des différences importantes quant aux principes applicables dans les affaires qui relèvent de la Convention de La Haye et dans celles qui n’en relèvent pas, il demeure vrai, comme l’a mentionné la Cour dans Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398, que la résidence est un concept contextuel et factuel qu’il ne convient pas d’encombrer d’une rigidité inutile. Tout comme dans le cas de l’approche retenue dans Balev, le tribunal devrait tenir compte de tous les facteurs pertinents quant à la résidence d’un enfant, parce que c’est l’approche qui protège le mieux les enfants. Le principe directeur consiste non pas à savoir si les parents avaient une intention bien établie de résider dans le lieu, mais à savoir si l’enfant y était chez lui.
  7.                               En l’espèce, la juge des motions a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et a conclu que la famille résidait en Ontario lorsque l’enfant a vécu pour la dernière fois avec ses deux parents. Il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion. Les tribunaux ontariens ont donc eu raison de rejeter la motion déposée par M. Dunmore pour que l’enfant retourne immédiatement à Oman.
  1.             Contexte
    1.             Faits
  1.                               Monsieur Dunmore est un citoyen canadien originaire de l’Ontario. Il a vécu et travaillé à l’extérieur du Canada pendant une grande partie de sa carrière. Madame Mehralian est une citoyenne de l’Iran et une résidente permanente du Canada. Les parties se sont rencontrées en Malaisie en 2014 et se sont mariées au Japon en 2015.
  2.                               Les parties ont vécu dans plusieurs pays ensemble, déménageant en général pour des motifs liés à l’emploi de M. Dunmore. Elles ont déménagé aux Émirats arabes unis en 2016. Après une période de séparation, elles ont vécu ensemble à Oman d’avril 2018 à mars 2020, quand elles se sont rendues en Ontario. Elles l’ont fait pour diverses raisons, notamment pour rendre visite aux parents de M. Dunmore et lui permettre de passer l’examen du Barreau de l’Ontario.
  3.                           Elles avaient prévu au départ de revenir à Oman au début d’avril 2020. Le début de la pandémie de COVID19 a cependant bouleversé leur projet et les a dissuadées de quitter l’Ontario. Les parties ont décidé de rester chez les parents de M. Dunmore, une situation qui a duré jusqu’en janvier 2021. C’est au cours de cette période que l’enfant des parties est né.
  4.                           En janvier 2021, les parties et leur enfant sont revenus à Oman, car M. Dunmore s’y était vu offrir un nouvel emploi. Le lien d’emploi avec le cabinet omanais a toutefois pris fin rapidement et, en avril 2021, les parties et l’enfant sont revenus de nouveau en Ontario, où M. Dunmore avait trouvé un nouvel emploi.
  5.                           Le 30 mai 2021, les parties étaient en vacances dans leur chalet au Québec. La police est intervenue à la suite d’une allégation de violence conjugale commise au chalet, et les parties se sont séparées. Dans sa déclaration à la police, Mme Mehralian a affirmé qu’un climat de violence avait régné tout au long de leur relation. À l’audience devant la Cour, les parties ont indiqué que l’instance criminelle intentée contre M. Dunmore n’avait pas encore été réglée.
  6.                           Monsieur Dunmore vit maintenant à Oman. Madame Mehralian et l’enfant sont restés en Ontario.
    1.             Historique judiciaire
  7.                           En juin 2021, M. Dunmore a engagé une instance à Oman pour demander le divorce et la garde de leur enfant. Les tribunaux omanais ont fini par accorder un divorce et confier la garde principale à Mme Mehralian.
  8.                           Madame Mehralian a introduit une instance en droit de la famille en Cour supérieure de justice de l’Ontario un jour après que M. Dunmore eut introduit l’instance à Oman. Les questions concernant la validité du divorce prononcé à Oman ont par la suite été dissociées de celles relatives à la compétence des tribunaux ontariens à l’égard de l’enfant.
  9.                           Monsieur Dunmore a demandé par motion une ordonnance selon laquelle l’enfant doit retourner à Oman. La seule question en litige énoncée dans la motion était de savoir si les tribunaux ontariens avaient compétence sur la garde parentale de l’enfant des parties.
    1.           Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2023 ONSC 2616 (la juge Brownstone)
  10.                           La juge des motions a conclu que les tribunaux ontariens avaient compétence, et elle a rejeté la motion de M. Dunmore.
  11.                           Guidée par la loi, elle a conclu que les tribunaux ontariens avaient compétence parce que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario pour l’application de l’al. 22(1)a) de la Loi. Selon elle, il n’était pas nécessaire de statuer que les parties avaient l’intention bien établie de rester en Ontario afin de conclure que l’enfant y avait sa résidence habituelle. Elle a plutôt concentré son analyse sur la question de savoir si la famille visitait l’Ontario en avril et mai 2021 ou si elle y résidait, un point essentiel sur lequel les parties ne s’entendaient pas. En examinant la preuve, elle a constaté que les deux parties avaient des problèmes de crédibilité, ce qui l’a amenée à s’appuyer sur d’autres éléments de preuve. Toutefois, en ce qui concerne la question fondamentale de la résidence au cours de la période d’avril à mai 2021, elle a expressément préféré le témoignage de Mme Mehralian. Elle a conclu qu’après la naissance de l’enfant, quand M. Dunmore a refusé un emploi chez un cabinet d’avocats omanais, et mentionné qu’il préférait être au Canada, le couple a décidé de déménager au Canada. Elle a fait remarquer qu’ils se sont rendus au Canada par avion au moyen de billets aller simple, ont loué un appartement à Toronto et ont acheté des meubles pour celuici. Monsieur Dunmore a obtenu une carte d’assurancemaladie ontarienne et un emploi en Ontario.
  12.                           Se fondant sur son examen de la preuve, la juge des motions a conclu que l’enfant vivait avec ses parents en Ontario à compter d’avril 2021 et qu’il y avait donc sa résidence habituelle pour l’application de la Loi.
  13.                           La juge des motions a également conclu que, même si l’enfant n’avait pas sa résidence habituelle en Ontario, les tribunaux ontariens auraient tout de même compétence parce qu’il avait été satisfait à tous les critères énumérés à l’al. 22(1)b) de la Loi. Elle a notamment jugé qu’il n’y avait aucune instance en cours à l’extérieur de la province, parce que celle entre les parties à Oman avait pris fin. Elle a conclu en outre que la prépondérance des inconvénients penchait en faveur d’une déclaration de compétence, puisque M. Dunmore était le seul témoin à Oman et que la comparution virtuelle était possible.
  14.                           La juge des motions s’est ensuite penchée sur la question de savoir si elle devait décliner compétence en vertu de l’art. 25 en partant du principe qu’il était plus approprié que le litige soit instruit à Oman. Elle a souligné que M. Dunmore n’avait pas formulé de demande en ce sens et elle a conclu que, même si cet argument avait été avancé, elle n’aurait pas décliné compétence pour cette raison.
  15.                           Comme ces conclusions décidaient de l’issue de la motion, elle ne s’est pas demandé si les tribunaux auraient compétence sur la base d’un préjudice grave en vertu de l’art. 23 ou de la compétence parens patriae.
    1.           Cour d’appel de l’Ontario, 2023 ONCA 806, 94 R.F.L. (8th) 255 (le juge Monahan, avec l’accord des juges Trotter et Sossin)
  16.                           Monsieur Dunmore a interjeté appel du rejet de sa motion, soutenant que la juge des motions avait eu tort de conclure que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario, car elle n’avait pas tenu compte de l’intention bien établie des parties. Il a fait valoir subsidiairement que, comme une ordonnance judiciaire omanaise traitant à la fois du divorce et de la garde avait été reconnue dans l’instance de divorce ontarienne, les tribunaux de l’Ontario n’avaient pas compétence pour rendre des ordonnances parentales à l’endroit de l’enfant.
  17.                           La Cour d’appel a expliqué comment la juge des motions avait tiré une conclusion de fait selon laquelle les parties avaient décidé de déménager à Toronto, avaient commencé à y résider en avril 2021 et ne faisaient pas que visiter temporairement la province comme le prétendait M. Dunmore. Selon la cour, cette décision appelait une grande déférence, car elle reposait sur un examen attentif de la preuve et les conclusions de la juge des motions en matière de crédibilité.
  18.                           La Cour d’appel a conclu que M. Dunmore n’avait pas établi la présence d’une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la juge des motions suivant laquelle les parties résidaient en Ontario à l’époque pertinente. Pour ce qui est de l’argument subsidiaire de M. Dunmore, elle a affirmé que la décision d’un autre juge de la Cour supérieure de reconnaître le divorce prononcé à Oman n’avait pas écarté la compétence parentale des tribunaux ontariens, parce que cette décision traitait uniquement du divorce, et non de la garde parentale.
  19.                           Pour ces motifs, la Cour d’appel a rejeté l’appel.
  1.          Questions en litige
  1.                           Monsieur Dunmore se pourvoit devant notre Cour pour demander l’annulation des jugements des tribunaux ontariens. Il sollicite à leur place une ordonnance portant retour de l’enfant à Oman ainsi que des jugements déclarant que les tribunaux ontariens n’ont pas compétence pour rendre des ordonnances parentales à l’égard de l’enfant et que ce dernier a été retenu illicitement en Ontario (m.a., par. 123). Il soutient que la juge des motions a fait erreur en se déclarant compétente à l’égard de l’enfant en raison de la résidence habituelle. D’après lui, la résidence habituelle au sens de l’art. 22 de la Loi doit être appréciée en fonction de l’intention commune des parents, et l’acquiescement de Mme Mehralian à l’instance intentée à Oman exclut la compétence des tribunaux ontariens (par. 56).
  2.                           Il soutient aussi que la juge des motions a commis une erreur en concluant, subsidiairement, que les tribunaux ontariens pouvaient se déclarer compétents à l’égard de l’enfant même si celuici n’a pas sa résidence habituelle en Ontario, conformément à l’al. 22(1)b) de la Loi (m.a., par. 56). Plus particulièrement, il affirme qu’il y avait une requête en cours à Oman et qu’étant donné l’acquiescement de Mme Mehralian dans ce ressort, il n’est pas approprié de trancher le litige en Ontario suivant la prépondérance des inconvénients (par. 116117).
  3.                           Madame Mehralian n’est pas de cet avis et demande le rejet du pourvoi (m.i., par. 58). Selon elle, la juge des motions a eu raison de conclure que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario, et l’acquiescement n’est pas un facteur pertinent dans cette analyse (par. 24 et 26). Elle affirme subsidiairement que la juge des motions n’a pas commis d’erreur en concluant à l’existence d’un autre motif de compétence fondé sur l’al. 22(1)b) de la Loi (par. 25).
  4.                           Dans les présents motifs, je n’examine que la question de savoir si la Cour supérieure s’est déclarée à juste titre compétente parce que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario. Comme je conviens avec les juridictions inférieures que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario au moment prescrit, il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre motif de compétence fondé sur l’al. 22(1)b).
  1.          Analyse
    1.             Compétence pour rendre des ordonnances parentales et des ordonnances de contact
  1.                           Il s’agit en l’espèce de savoir si la juge des motions s’est déclarée à juste titre compétente à l’égard de la requête de Mme Mehralian. Je commence donc par le régime législatif régissant la compétence sur les requêtes comme celle dont il est question ici, requêtes concernant les enfants qui ne sont pas visés par le régime de la Convention de La Haye.
  2.                           Le régime pertinent qui s’applique à cette requête figure à la partie III de la Loi. Entré en vigueur en 1982, il a regroupé les dispositions en matière de garde et de droit de visite de la Family Law Reform Act, R.S.O. 1980, c. 152, ainsi que les dispositions relatives à la tutelle de la Minors Act, R.S.O. 1980, c. 292 (S. O’Connell, A. Volikis et L. Kirwin, The 2012-2013 Annotated Ontario Children’s Law Reform Act (2012), p. 32). Le même régime a été étudié tout récemment par la Cour dans l’arrêt F. c. N., 2022 CSC 51, par. 5559. Bien que la Cour fût divisée quant à l’issue de cette affaire, elle était unanime quant aux principes juridiques applicables (voir le par. 138, le juge Jamal, dissident). La partie III permet aux parents et à d’autres personnes de demander une ordonnance parentale, qui traite de la responsabilité décisionnelle ou du temps parental, ou une ordonnance de contact, qui traite du contact avec un enfant (art. 18 et 21).
  3.                           La Législature a expressément énuméré quatre buts qui animent la partie III, notamment celui de veiller à ce que les tribunaux règlent les requêtes relatives aux enfants en fonction de leur intérêt véritable (al. 19a); D.G. c. A.F., 2014 ONCA 436, par. 33). Les autres buts sont d’éviter le chevauchement de compétence, de décourager l’enlèvement d’enfants comme solution de rechange à l’application régulière de la loi et de prévoir une exécution efficace des ordonnances concernant les enfants (al. 19b) à d); voir F. c. N., par. 58; voir aussi Brooks c. Brooks (1998), 41 O.R. (3d) 191 (C.A.)). Ces buts doivent guider l’interprétation et l’application des dispositions juridictionnelles de la partie III (voir, p. ex., Ojeikere c. Ojeikere, 2018 ONCA 372, 140 O.R. (3d) 561, par. 1417). Cela concorde avec la directive donnée récemment par la Cour dans F. c. N. suivant laquelle « l’intérêt véritable des enfants est le critère prépondérant dans toutes les décisions qui concernent les enfants » (par. 61, citant Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3).
  4.                           Un tribunal ne peut rendre une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact en vertu de la partie III que si l’on a démontré un motif établissant sa compétence (voir F. c. N., par. 5559; voir aussi Dovigi c. Razi, 2012 ONCA 361, 110 O.R. (3d) 593, par. 913; E. (H.) c. M. (M.), 2015 ONCA 813, 393 D.L.R. (4th) 267, par. 2226). La Loi envisage quatre motifs de compétence. Premièrement, le tribunal peut exercer sa compétence à l’égard d’un enfant ayant sa « résidence habituelle » en Ontario à l’introduction de la requête (al. 22(1)a)). Deuxièmement, le tribunal peut exercer sa compétence si l’enfant n’a pas sa résidence habituelle en Ontario, mais qu’il y est physiquement présent et répond à un certain nombre d’autres conditions énumérées, y compris le fait que la prépondérance des inconvénients favorise l’exercice de la compétence (al. 22(1)b)). Troisièmement, le tribunal peut exercer sa compétence lorsque l’enfant est physiquement présent en Ontario et qu’il « subirait un préjudice grave » dans certains cas précis (art. 23). Quatrièmement, la partie III n’exclut pas la compétence parens patriae de la Cour supérieure (art. 69).
  5.                           Pour établir que le tribunal ontarien a compétence en vertu de la Loi, le demandeur n’a qu’à invoquer l’un des motifs de compétence susmentionnés, lesquels peuvent ou non nécessiter la conclusion que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario. Voilà une situation différente du contexte de la Convention de La Haye, où il faut déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant avant de conclure qu’il y a eu déplacement ou nonretour illicite mettant en jeu la convention (voir Balev, par. 28; voir aussi Geliedan c. Rawdah, 2020 ONCA 254, 446 D.L.R. (4th) 440, par. 32).
  6.                           Même lorsqu’un tribunal a effectivement compétence, exercer cette compétence est une décision discrétionnaire — il peut refuser de l’exercer s’il existe un forum plus approprié pour trancher le litige (voir art. 25; E. (H.), par. 29; voir aussi Murray c. Ceruti, 2014 ONCA 679, 50 R.F.L. (7th) 298, par. 33). Lorsque le tribunal n’a pas compétence, ou refuse d’exercer sa compétence, il peut néanmoins rendre des ordonnances interlocutoires discrétionnaires générales en vertu de l’art. 40, notamment ordonner le retour de l’enfant dans un autre ressort (voir Geliedan, par. 69). Ce pouvoir discrétionnaire se distingue du contexte de la Convention de La Haye, où le tribunal est tenu d’ordonner le retour de l’enfant à sa résidence habituelle à la suite d’une décision selon laquelle il y a eu déplacement illicite, sous réserve de certaines exceptions précises (voir Balev, par. 29).
    1.             La résidence habituelle en tant que motif de compétence prévu par la loi
  7.                           Le motif de compétence fondé sur la résidence habituelle est énoncé à l’al. 22(1)a) de la Loi :

 22 (1) Le tribunal n’exerce sa compétence pour rendre une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact à l’égard d’un enfant que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 a) l’enfant a sa résidence habituelle en Ontario à l’introduction de la requête;

La compétence fondée sur ce motif tient à la question de savoir si l’enfant a sa résidence habituelle en Ontario « à l’introduction de la requête » (al. 22(1)a); voir Los c. Ross, 2024 ONCA 122, 10 R.F.L. (9th) 51, par. 3839).

  1.                           La Loi définit expressément ce que l’on entend par un enfant ayant sa « résidence habituelle » pour l’application des par. 22(2) et (3), écartant ainsi la common law (Dovigi, par. 18). Des définitions semblables se trouvent dans des régimes analogues ailleurs au Canada (Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, par. 72(2); Loi sur le droit de la famille, L.N.B. 2020, c. 23, par. 68(2); Children’s Law Act, R.S.N.L. 1990, c. C13, par. 28(2); Children’s Law Act, S.P.E.I. 2020, c. 59, par. 35(3); Loi sur le droit de l’enfance, L.R.Y. 2002, c. 31, par. 37(2); Loi sur le droit de l’enfance, L.T.N.O. 1997, c. 14, par. 25(2); Loi sur le droit de l’enfance, C.L.Nun., c. C70, par. 25(2)), bien que certaines législatures n’aient pas défini le terme (voir, p. ex., Loi de 2020 sur le droit de l’enfance, L.S. 2020, c. 2, art. 6) ou aient retenu des définitions plus larges (voir, p. ex., Loi sur le domicile et la résidence habituelle, C.P.L.M., c. D96, par. 9(2)). J’ouvre une parenthèse pour souligner que le domicile de l’enfant, et non sa résidence habituelle, est le point de mire de l’analyse de la compétence au Québec (voir, de façon générale, Code civil du Québec, art. 3142; Droit de la famille — 131294, 2013 QCCA 883, [2013] R.J.Q. 849; M. Tétrault, Droit de la famille (4e éd. 2010), vol. 4, c. 18). La définition légale ontarienne qui figure aux par. 22(2) et (3) est une autre distinction par rapport à la Convention de La Haye, où le terme « résidence habituelle » n’est pas défini (Balev, par. 28).
  2.                           Comme c’est le cas de toute définition légale, il faut lire le texte en contexte et à la lumière de son objectif pour comprendre les par. 22(2) et (3) (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Wolfe, 2024 CSC 34, par. 3233; Telus Communications Inc. c. Fédération canadienne des municipalités, 2025 CSC 15, par. 30). Les tribunaux sont tenus de donner effet à la directive législative ainsi exprimée.
  3.                           Le paragraphe 22(2) indique clairement que, pour déterminer si un enfant a sa résidence habituelle en Ontario au moment de l’introduction de la requête, il faut se demander où résidait l’enfant à un autre moment donné à cette date ou avant celle-ci — « dans le lieu où il résidait lorsqu’il se trouvait dans la dernière en date des situations [énumérées au par. 22(2)] » (voir, de façon générale, Dovigi, par. 1718). Les situations énumérées sont les suivantes : (1) l’enfant résidait avec ses parents; (2) l’enfant résidait avec l’un des parents, soit en vertu d’un accord, soit avec le consentement ou l’acquiescement de l’autre parent, soit en vertu d’une ordonnance du tribunal; (3) l’enfant résidait avec une personne autre qu’un parent « de façon permanente pendant une longue période » (par. 22(2)).
  4.                           Le paragraphe 22(3) ajoute que la résidence habituelle ne saurait être modifiée par le déplacement ou le nonretour d’un enfant, sauf si cela se fait avec le consentement de toutes les personnes ayant une responsabilité décisionnelle à l’égard de l’enfant ou s’il y a eu acquiescement ou retard indu dans l’introduction d’une procédure juridique régulière (voir Ojeikere, par. 23; Dovigi, par. 19; voir aussi, p. ex., Malpani c. Malpani, 2022 ONSC 4123, par. 17).
  5.                           En conséquence, les par. 22(2) et (3) ont pour effet conjugué que la résidence habituelle est déterminée en fonction de la dernière date à laquelle deux conditions étaient réunies : (1) l’enfant « résidait » dans l’une des trois situations énumérées au par. 22(2); (2) l’enfant n’a pas été déplacé ou non retourné sans le consentement, l’acquiescement ou le retard indu de toutes les personnes ayant une responsabilité décisionnelle au sens du par. 22(3). Par souci de commodité, j’appelle ce moment le « moment prescrit ».
  6.                           Ces paragraphes permettent de réaliser le but de la partie III de dissuader l’enlèvement d’enfants comme solution de rechange à la procédure juridique régulière (voir al. 19c); Ojeikere, par. 1416). Ils font en sorte que, s’il y a eu déplacement ou non-retour illicite de l’enfant avant l’introduction de la requête, c’est généralement son lieu de résidence avant l’acte illicite qui permet d’établir la compétence. L’article 3 de la Convention de La Haye accomplit quelque chose de fort semblable, mais par des moyens différents. La résidence habituelle à cette fin est établie non pas à l’introduction de la requête, mais juste avant le déplacement ou le nonretour (voir Balev, par. 28). Elle est ainsi rétrospective et évite qu’un enlèvement subséquent ne nuise à l’application de la Convention de La Haye (voir Balev, par. 67).
  7.                           Le tribunal saisi de la question de savoir si l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario à l’introduction de la requête doit alors tout simplement se demander si l’enfant y « résidait » au moment prescrit. La Loi ne définit pas ce que résider veut dire.
  8.                           Les parties ne contestent pas sérieusement ces contours généraux de la définition légale. En revanche, M. Dunmore soutient que, pour l’application de cette définition légale, la famille ne résidait pas en Ontario au moment prescrit (m.a., par. 104105), tandis que Mme Mehralian affirme que c’était le cas (m.i., par. 41). Pour régler le présent pourvoi, nous devons comprendre ce que l’on entend par un enfant qui « réside » dans un lieu pour l’application de l’art. 22.
    1.             Un enfant réside là où il est chez lui
      1.           Le mot « résidait » doit être interprété de manière téléologique et dans son contexte
  9.                           Faute d’une définition légale, le sens ordinaire d’un terme est un point de départ utile. Le sens ordinaire de « résider » est tout simplement de vivre ou d’être chez soi dans un lieu, quelle que soit la forme que cela prend (voir, de façon générale, Le Petit Robert (nouvelle éd. 2025), sub verbo « résider »; Cambridge Dictionary (en ligne), sub verbo « reside »; Oxford English Dictionary (en ligne), sub verbo « reside »; N. McCormack, Pocket Dictionary of Canadian Law (6e éd. 2023), sub verbo « reside »).
  10.                           Le concept de résidence est utilisé depuis longtemps dans différents contextes en droit international privé pour indiquer quelque chose de généralement plus fort que le fait de visiter ou de séjourner, mais sans les formalités inhérentes à des notions comme celles de domicile, de nationalité ou de citoyenneté (voir S. G. A. Pitel, Conflict of Laws (3e éd. 2025), p. 2223; Thomson c. Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209; Lor c. Lor (1978), 5 R.F.L. (2d) 138 (C.S. N.É. (Div. app.)), p. 144; Adderson c. Adderson (1987), 36 D.L.R. (4th) 631 (C.A. Alb.), p. 633). Comme l’a dit notre Cour dans l’arrêt Thomson, la résidence évoque un lieu où quelqu’un [traduction] « vit régulièrement, normalement ou habituellement », par opposition à un lieu « de visite ou de séjour exceptionnel, occasionnel ou intermittent » (p. 231232; voir aussi Procureur général du Canada c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170, p. 197). Il s’agit, bien sûr, d’une question de degré. La [traduction] « différence ne peut être formulée en des termes précis et définis »; en revanche, « chaque cas doit être tranché après une prise en compte de tous les faits pertinents » (Thomson, p. 232).
  11.                           Notre Cour a également indiqué en termes clairs que ce que l’on entend par résider varie selon les contextes législatifs (R. c. Clement (1914), 6 W.W.R. 414; voir aussi Lor, p. 144; Pitel, p. 2223 et 2930). Puisque le sens d’un terme dans une loi varie selon le contexte dans lequel il est employé, la prudence est de mise lorsqu’on interprète les mots d’une loi en renvoyant à l’interprétation donnée à des mots semblables dans une autre loi (voir P.A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois (5e éd. 2021), par. 18261829, citant Lanston Monotype Machine Co. c. Northern Publishing Co. (1922), 63 R.C.S. 482, p. 497). Nous ne devrions donc pas rechercher un concept universel de résidence, mais plutôt établir ce que signifie ce mot bien connu quand il est utilisé par la Législature dans ce contexte précis en droit de la famille. Plus précisément, le sens de « résidait » doit être interprété en fonction des buts généraux de la partie III, notamment veiller à ce que les requêtes soient tranchées en fonction de l’intérêt véritable de l’enfant, éviter l’exercice simultané de compétence et décourager l’enlèvement d’enfants comme solution de rechange à l’application régulière de la loi (art. 19; voir, de façon générale, Re Kelly Infants, [1970] 2 O.R. 608 (C. succ.); Ojeikere, par. 13). Ces buts sousjacents inspirent l’interprétation, mais cela ne veut pas dire que déterminer où résidait un enfant est la même chose qu’analyser le lieu où il est dans l’intérêt véritable de l’enfant de vivre (voir, par analogie, F. c. N., par. 6768; voir aussi Ojeikere, par. 15). La question n’est pas non plus de savoir s’il existe des éléments de preuve substantiels concernant cet intérêt véritable en Ontario ou de savoir s’il y a un lien « réel et substantiel » avec l’Ontario, des questions soulevées au regard du motif distinct de compétence fondé sur l’al. 22(1)b). L’examen à effectuer suivant l’al. 22(1)a) demeure plutôt axé sur le lieu où « résidait » l’enfant aux fins d’établissement de la compétence (voir Ojeikere, par. 15).
  12.                           Je conviens avec les parties que la définition hybride de « résidence habituelle » analysée dans Balev relativement à la Convention de La Haye ne s’applique pas directement à l’art. 22 (m.a., par. 81; m.i., par. 22). Même si la Convention de La Haye et la Loi emploient toutes deux le terme « résidence habituelle », il existe des différences significatives dans la manière dont chacune d’entre elles définit et utilise ce terme. Fait important, bien que le terme utilisé à l’article 3 ne soit pas défini dans la Convention de La Haye (voir Balev, par. 28), la Loi contient des termes qui définissent ce que veut dire « résidence habituelle » pour l’application de l’al. 22(1)a). Au moment d’interpréter la Loi, notre Cour doit tenir compte de la directive législative donnée expressément aux par. 22(2) et (3) (voir Kong c. Song, 2019 BCCA 84, 21 B.C.L.R. (6th) 284, par. 7275). Nous devons en outre être conscients des différentes façons dont le concept est utilisé dans les deux régimes. Suivant la Convention de La Haye, il est évalué juste avant le déplacement ou le nonretour (article 3), plutôt qu’à l’introduction de la requête comme à l’al. 22(1)a) de la Loi (voir Pengelly c. Lynas, 2024 ONSC 6269, par. 29). Vu ce contexte différent, retenir la même définition de « résidence habituelle » pourrait en fait entraîner des résultats fort différents selon chaque régime dans le cas de l’enfant déplacé illicitement avant l’introduction de la requête. À l’introduction de la requête, cet enfant peut ne plus avoir sa « résidence habituelle » au sens de la Convention de La Haye, laquelle, contrairement à la définition figurant aux par. 22(2) et (3), ne tient pas compte du lieu où résidait l’enfant à un moment prescrit antérieur.
  13.                           Cependant, des considérations semblables peuvent tout de même guider l’analyse lorsque vient le temps de répondre à la question distincte de savoir où « résidait » un enfant pour l’application de l’art. 22 (voir Zafar c. Azeem, 2024 ONCA 15, 97 R.F.L. (8th) 3, par. 74). En général, quand une disposition législative est inspirée de sources étrangères, on peut tenir compte de l’interprétation donnée à ces sources pour interpréter la disposition (voir Côté et Devinat, par. 1814). Plus précisément, comme l’a récemment confirmé le juge Kasirer dans F. c. N., on peut « à bon droit se reporter à la Convention de La Haye pour interpréter la législation interne » comme la partie III de la Loi, même si les deux régimes fonctionnent indépendamment l’un de l’autre (par. 53). Après tout, les objectifs de la Convention de La Haye sont semblables à ceux de la partie III (comparer la Convention de La Haye, article 1, et la Loi, art. 19), et les deux régimes ont été instaurés à peu près en même temps afin de poursuivre ces objectifs (N. Bala, « O.C.L. v. Balev : Not an “Evisceration” of the Hague Convention and the International Custody Jurisdiction of the CLRA » (2019), 38 C.F.L.Q. 301, p. 308309). Ce serait une erreur que de rejeter les conclusions tirées dans Balev au motif qu’elles ne sont pas pertinentes pour trancher la question d’interprétation dont nous sommes saisis en l’espèce, même s’il faut les adapter à ce contexte législatif différent.
  14.                           Ayant ces principes généraux à l’esprit, je me penche maintenant sur le principal point de désaccord entre les parties : la question de savoir si le terme exige que l’on mette l’accent sur l’intention commune des parents.
    1.           Il faut rejeter l’approche fondée sur l’intention commune des parents
  15.                           Monsieur Dunmore soutient que les tribunaux devraient adopter l’approche de l’intention commune des parents pour déterminer où « résidait » un enfant (m.a., par. 102). D’après lui, nous devons examiner le lieu où réside la personne durant une longue période avec une « intention bien établie » et, dans le cas d’un enfant, cette intention devrait être celle des parents. Je ne suis pas de cet avis.
  16.                           Rien dans le texte de la disposition n’indique que le sens ordinaire de « résidait » est écarté par un concept axé sur l’intention commune des parents (voir Korenic c. DePotter, 2022 ONSC 3954, 77 R.F.L. (8th) 207, par. 22; Logan c. Logan, 2022 ONSC 4927, 82 R.F.L. (8th) 193, par. 2728; Barakat c. Andraos, 2023 ONSC 582, 85 R.F.L. (8th) 189, par. 66). De fait, les concepts parentaux distincts que sont le « consentement », l’« acquiescement », le fait d’avoir « trop tardé », etc., sont déjà utilisés ailleurs dans la définition légale de résidence habituelle qui figure aux par. 22(2) et (3). Soulignons que, bien que le concept de « consentement » soit expressément mentionné dans les situations énumérées touchant les parents qui vivent séparément (disp. 22(2) 2), il est complètement absent de la situation qui prévaut en l’espèce, où il est tout simplement question du lieu où réside l’enfant avec ses parents (disp. 22(2) 1). Monsieur Dunmore affirme, dans ses propres mots, qu’il faut [traduction] « ajouter par interprétation » l’intention des parents dans la définition légale de résidence habituelle (m.a., par. 98), mais la Législature a simplement utilisé le mot « résidait » à ce paragraphe. D’ailleurs, si le consentement mutuel des parents était toujours requis pour qu’un enfant « réside » quelque part, les mentions du consentement et de concepts connexes à la disp. 22(2) 2 et au par. 22(3) seraient redondantes.
  17.                           De plus, M. Dunmore n’a pas démontré qu’au moment où elle a adopté l’art. 22 ou les dispositions qui l’ont précédé, la Législature voulait retenir l’approche fondée sur l’intention commune des parents. Il cite plutôt les énoncés généraux d’intention dans le Hansard, lesquels ne sont pas sérieusement contestés, comme la répression de l’enlèvement d’enfant (m.a., par. 65). Ces objectifs ne requièrent pas une approche fondée sur l’intention commune des parents. Comme je l’ai expliqué, les autres éléments de la définition aux par. 22(2) et (3) évitent qu’un enlèvement ou un non-retour illicite ne puisse généralement modifier la résidence habituelle. Ils n’exigent pas que l’on force le sens du mot « résidait ».
  18.                           La directive énoncée par notre Cour dans l’arrêt Balev sert à souligner le caractère inopportun d’une approche fondée sur l’intention commune en l’espèce. Notre Cour a dit, dans le contexte de la Convention de La Haye, que les tentatives de superposer à la notion factuelle de résidence habituelle des constructions juridiques complexes comme l’intention des parents ont échoué (voir Balev, par. 69 et 73). Cette directive milite tout autant contre une interprétation artificiellement restreinte du mot « résidait » dans la Loi. L’arrêt Balev permet d’affirmer que c’est une approche plus large qui respecte le mieux les objectifs du retour immédiat et qui protège le mieux les enfants (par. 59 et suiv.). Cette directive vaut tout autant pour la partie III, qui partage les mêmes objectifs généraux (art. 19; Bala, p. 308309).
  19.                           Toujours selon notre Cour, une approche fondée sur l’intention des parents permet à ceuxci de manipuler le régime à leurs propres fins (voir Balev, par. 61), une caractéristique qui est également indésirable en l’espèce. On ne saurait autoriser les parents à se soustraire par contrat au sens ordinaire du mot « résidait » employé par la Législature (voir, par analogie, Balev, par. 73). La Législature nous parle du lieu où résidait effectivement l’enfant, et non du lieu où il résiderait d’après l’entente intervenue entre les parents.
  20.                           La vulnérabilité de l’approche fondée sur l’intention commune des parents à la manipulation est particulièrement pertinente dans les cas de violence familiale. La violence familiale est définie largement à la partie III et elle s’entend notamment de toute conduite violente ou menaçante, ainsi que de comportements coercitifs ou dominants entre des membres de la famille (art. 18). Les tactiques et comportements violents tels que [traduction] « l’isolement, la manipulation, l’humiliation, la surveillance, la microgestion de tâches associées à un genre, l’exploitation financière, l’intimidation et les menaces », ainsi que des actes de violence physique et sexuelle, peuvent saper l’autonomie d’une victime, y compris l’aptitude à exprimer librement son intention (J. Mosher et autres, « Submission to Justice Canada on the Criminalization of Coercive Control », dans Osgoode Hall Law School Legal Studies Research Paper Series, Research Paper No. 4619067 (30 octobre 2023), p. 5; voir aussi J. Tolmie, R. Smith et D. Wilson, « Understanding Intimate Partner Violence : Why Coercive Control Requires a Social and Systemic Entrapment Framework » (2024), 30 Violence Against Women 54). Dans les situations de violence familiale, les juges peuvent naturellement avoir du mal à cerner toute intention véritablement commune des parents de résider dans un lieu en particulier.
  21.                           Je ne suis pas d’accord non plus pour dire qu’il s’agit d’une norme moins complexe parce qu’elle n’exige pas une prise en compte de tous les facteurs pertinents (voir Balev, par. 62). L’approche fondée sur l’intention des parents « ouvre souvent la voie à une preuve détaillée et contradictoire sur l’intention des parents » (Balev, par. 62, citant R. Schuz, The Hague Child Abduction Convention : A Critical Analysis (2013), p. 211). Il n’existe peutêtre pas de meilleure illustration de cet énoncé que la présente affaire, où, comme je l’explique plus en détail ciaprès, les parties ont fait des pieds et des mains pour démontrer leurs intentions, déposant des milliers de pages de documents, y compris de nombreux messages échangés entre elles qui sont, tout au plus, d’une pertinence marginale pour les questions en litige. Lorsque les parties ne s’entendent pas à propos de ce qu’elles voulaient, les tribunaux risquent d’être entraînés dans ces débats complexes au sujet d’états d’esprit qui sont intangibles et subjectifs. Cela nous distrait indésirablement de la situation concrète de l’enfant, dont la Législature nous oblige assez logiquement à tenir compte en parlant du lieu où « résidait » l’enfant.
  22.                           Une approche fondée sur l’intention commune détourne donc à tort l’attention de facteurs objectifs, comme le lieu où vivait l’enfant, et donne une priorité indue aux opinions subjectives des parents. Elle traite les enfants comme les [traduction] « bénéficiaires passifs des décisions de leurs parents », alors que, selon le meilleur point de vue, ils sont des « gens qui ont un rôle à jouer dans leur propre vie » (In re LC (Children), [2014] UKSC 1, [2014] A.C. 1038, par. 87, lady Hale, motifs concordants).
  23.                           Dans la mesure où différentes considérations s’appliquent dans les cas qui échappent à la Convention de La Haye, elles ne font que militer encore davantage contre une approche fondée sur l’intention commune des parents. Les tribunaux canadiens ne peuvent présumer que les États qui ne sont pas parties à la Convention de La Haye seront guidés par l’intérêt véritable de l’enfant (F. c. N., par. 53; Geliedan, par. 38; Ojeikere, par. 6061), ou qu’ils feront preuve de la réciprocité nécessaire à une prise de décision ordonnée entre les États à l’égard des enfants (F. c. N., par. 73; J. Morley, « International child abduction and nonHague Convention countries », dans M. Freeman et N. Taylor, dir., Research Handbook on International Child Abduction : The 1980 Hague Convention (2023), 244, p. 249250). Dans ce contexte, le professeur Nicholas Bala signale que les parents, [traduction] « surtout les mères », peuvent éprouver « beaucoup de difficulté » à faire respecter les droits de garde dans certains pays qui n’adhèrent pas à la Convention de La Haye, « même si les enfants sont nés au Canada et y ont passé leur vie entière » (p. 309 et 357; voir aussi Morley, p. 252).
  24.                           Dans ce contexte, les tribunaux ontariens devraient se montrer encore plus prudents avant d’accepter une conception rigide du sens de « résidait » qui les empêcherait de se déclarer compétents. Le rejet dans Balev de l’approche fondée sur l’intention commune des parents s’applique donc avec encore plus de force dans ces conditions.
    1.           Déterminer si un enfant est chez lui
  25.                           L’interprétation qu’il convient de donner au mot « résidait », ancrée dans le texte, le contexte et l’objet de la partie III, consiste simplement à vivre dans un lieu par opposition à y être en visite seulement. Une manière d’exprimer ce que cela signifie de résider quelque part, plutôt que de simplement y séjourner ou y être en visite, c’est de dire qu’un enfant réside là où il est chez lui (voir, p. ex., Monasky c. Taglieri, 589 U.S. 68 (2020), p. 7679 et 8384; m. interv., Bureau de l’avocate des enfants, par. 7; voir aussi Le Petit Robert, sub verbo « résider »; Cambridge Dictionary, sub verbo « reside »; Oxford English Dictionary, sub verbo « reside »). La notion de chezsoi nous rappelle que nous ne sommes pas à la recherche de formalités juridiques en l’espèce, mais que nous devons continuer de mettre l’accent précisément sur la vie et la situation de l’enfant au moment de nous demander où il réside.
  26.                           La jurisprudence regorge déjà de directives visant l’interprétation du lieu où « résidait » un enfant pour l’application de l’art. 22 de la Loi. Je rappelle certains de ces principes généraux ici.
  27.                           Premièrement, la présence physique dans un ressort à un moment donné n’est ni nécessaire ni suffisante pour emporter résidence dans ce ressort à ce moment(A. Wilton, G. S. Joseph et T. Train, Parenting Law and Practice in Canada (feuilles mobiles), § 3:19.10; Aslanimehr c. Hashemi, 2022 BCCA 248, 76 R.F.L. (8th) 269, par. 44; Sheidaei-Gandovani c. Makramati, 2016 ONCJ 326, par. 22). Par exemple, en l’espèce, la séparation s’est produite lorsque la famille était en vacances au Québec, mais personne ne soutient qu’elle résidait au Québec à ce momentlà, ou que ce fait excluait la résidence à Oman ou en Ontario.
  28.                           Deuxièmement, la résidence n’a pas à revêtir un caractère permanent (voir Johnson c. Athimootil (2007), 49 R.F.L. (6th) 106 (C.S.J. Ont.), par. 16; H. (A.) c. H. (F.S.), 2013 ONSC 1308, 28 R.F.L. (7th) 163, par. 57, conf. par 2013 ONCA 227; Sanders c. Aerts, 2014 ONCJ 20, 42 R.F.L. (7th) 477, par. 25; Sheidaei-Gandovani, par. 23). Un enfant peut résider quelque part même si personne ne veut qu’il y vive en permanence. Toute autre conclusion rendrait notamment tautologiques les mots « de façon permanente pendant une longue période » que l’on trouve à la disp. 22(2) 3 (voir Chan c. Chow, 2001 BCCA 276, 199 D.L.R. (4th) 478, par. 36). Ce que le concept de résidence exclut, ce sont les situations intrinsèquement passagères, telles les vacances (Aslanimehr, par. 36 et 39), appréciées à la lumière du contexte global de chaque affaire. Déterminer si un enfant a sa résidence habituelle [traduction] « n’est pas un calcul purement mathématique » du nombre de jours où il a résidé dans un lieu (G.M. c. J.G., 2023 NBKB 57, 88 R.F.L. (8th) 377, par. 84).
  29.                           Troisièmement, comme l’a affirmé notre Cour dans Balev, dans le cas des très jeunes enfants qui n’ont peutêtre pas de liens objectifs clairs avec un lieu, les liens des personnes qui prennent soin d’eux sont susceptibles d’avoir plus de poids dans l’analyse (par. 4445; voir aussi Zafar, par. 74; Los, par. 31). On entend par là non pas un regard porté uniquement sur l’intention commune des parents, mais plutôt une reconnaissance du fait que les très jeunes enfants comptent sur les adultes dans leur vie pour leur créer un chezsoi, et les liens qu’ont ces adultes avec un ressort, notamment leurs intentions à propos de la résidence familiale, deviennent donc pertinents (voir Zafar, par. 75; Balev, par. 45). À mesure que vieillissent les enfants, leurs propres liens avec le ressort gagnent en importance. Je conviens avec le Bureau de l’avocate des enfants que, dans la mesure du possible, il y a lieu de tenir compte de la voix de l’enfant et de ses propres opinions sur les liens qu’il a tissés en Ontario (m. interv., par. 78). Cela est conforme non seulement aux buts de la partie III, mais également à l’orientation législative générale donnée au par. 64(1). Ce paragraphe dispose que le tribunal « tient compte, si possible, du point de vue et des préférences de l’enfant » lorsqu’il étudie des requêtes présentées en vertu de la partie III (voir, p. ex., Moussa c. Sundhu, 2018 ONCJ 284, 11 R.F.L. (8th) 497, par. 3839).
  30.                           Quatrièmement, un enfant peut résider dans plus d’un ressort à un moment donné (voir Cartwright c. Hinds (1883), 3 O.R. 384 (H.C.J. (Div. P.C.)), p. 395; Brouillard c. Racine (2002), 33 R.F.L. (5th) 48 (C.S.J. Ont.), par. 12; Riley c. Wildhaber, 2011 ONSC 3456, 336 D.L.R. (4th) 604 (C. div.), par. 42; Bala, p. 330332). Cela [traduction] « reflète la réalité des enfants qui partagent leur temps entre les deux parents dans différents ressorts » (Wilton, Joseph et Train, § 3:19.10, citant Riley). Bien que l’un des buts généraux de la partie III soit d’éviter l’exercice simultané de compétence dans plus d’un lieu (al. 19b)), les tribunaux ontariens en présence d’une situation de résidences habituelles simultanées peuvent toujours décliner compétence en faveur d’un tribunal plus approprié avec lequel l’enfant a un lien plus étroit (art. 25).
  31.                           Les tribunaux qui se demandent où l’enfant est chez lui devraient examiner « tous les liens et faits pertinents » (Zafar, par. 74, citant Balev, par. 4345). J’insiste sur tous les faits pertinents, car le simple fait que la liste des facteurs n’est pas exhaustive ne veut pas dire que tout facteur imaginable se révélera pertinent. Par exemple, comme je l’explique ciaprès, l’acquiescement des parents à la compétence d’un ressort étranger n’a en soi rien à voir avec le lieu où réside l’enfant pour l’application des par. 22(2) et (3) de la Loi.
  32.                           Tout comme dans Balev, l’analyse devrait porter sur les liens factuels entre l’enfant et le ressort en question, de même que sur les circonstances entourant tout déplacement vers le ressort ou en provenance de celuici (Balev, par. 64; voir aussi A c. A, [2013] UKSC 60, [2014] A.C. 1, par. 48 et 54; Mercredi c. Chaffe, C497/10 PPU, [2010] E.C.R. I14358 (C.J.), par. 47 et suiv.). Il peut s’agir notamment de choses comme le recours à des services sociaux dans le ressort, des liens linguistiques, culturels, éducatifs et sociaux avec le ressort, la présence de parents dans le ressort, ainsi que la durée et les motifs de leur présence dans le ressort (voir, de façon générale, Wilton, Joseph et Train, § 3:19.10; Khan c. Raza, 2024 ONCJ 382, par. 51; X.L. c. C.B., 2024 ONSC 3895, par. 244 et 246; Kalra c. Bhatia, 2024 ONSC 1443, par. 67).
  33.                           À titre d’exemple, lorsqu’il s’est demandé si les enfants résidaient avec leur mère en Ontario, le tribunal dans l’affaire Raza a jugé pertinent pour son analyse le fait que les médecins de famille des enfants se trouvaient à Toronto, et que l’un des enfants était inscrit à un programme d’ergothérapie et obtenait du soutien spécialisé pour sa déficience (par. 26 et 51). La réception continue par la mère de prestations fiscales pour enfants et d’autres formes d’aide sociale a elle aussi influé sur la question de la résidence habituelle de l’enfant (par. 51). De même, dans l’affaire C.B., la participation active de l’enfant à de nombreux festivals et autres événements culturels chinois était pertinente, car elle démontrait qu’elle avait sa résidence habituelle en Chine (par. 244(e)). La cour a aussi relevé le grand attachement de l’enfant à sa grandmère maternelle en Chine ainsi que le lien solide qui les unit (par. 244(d)).
  34.                           Lorsqu’ils tiennent compte de ces différents facteurs, les juges devraient être conscients du contexte social qui façonne la vie des enfants et du lieu où ils sont chez eux.
  35.                           À cet égard, je souligne l’argument des intervenants qui traite du besoin de tenir compte de la réalité concrète des enfants migrants (m. interv., Defence for Children International – Canada et Centre for Refugee Children, par. 4). La détermination du lieu où résidait un enfant doit rester suffisamment souple pour s’adapter aux situations variées et très concrètes des enfants migrants. Fait significatif à ce propos, la citoyenneté n’est qu’un des nombreux facteurs à prendre en considération pour déterminer si un enfant est habituellement résident, et elle ne suffit pas à elle seule pour démontrer qu’un enfant était habituellement résident (Korenic, par. 27; Jarrar c. Al-Khalili, 2024 ONSC 7134, 10 R.F.L. (9th) 271, par. 44; Osaloni c. Osaloni, 2023 ABCA 116, par. 10; Kong c. Song, 2018 BCSC 1691, par. 19, conf. par 2019 BCCA 84, 21 B.C.L.R. (6th) 284; Bala, p. 319). De plus, certains principes, comme le caractère provisoire de la résidence d’un enfant et la possibilité qu’il réside dans plus d’un ressort, peuvent revêtir une importance particulière lorsque vient le temps de se demander quel était le dernier lieu de résidence d’un enfant migrant (voir, p. ex., G.M.; Riley, par. 42).
  36.                           Comme dans tout contexte en droit de la famille, le tribunal chargé d’établir la résidence doit aussi apprécier la preuve compte tenu de la dynamique de la famille en cause, en étant particulièrement sensible à la dynamique sexospécifique et à la présence de violence familiale, un point soulevé également par certains intervenants (m. interv., South Asian Legal Clinic of Ontario, South Asian Legal Clinic of British Columbia et South Asian Bar Association, par. 4 et 1417; m. interv., Barbra Schlifer Commemorative Clinic, par. 3). La preuve de violence familiale est pertinente pour le tribunal lorsqu’il décide s’il devrait exercer, en vertu de l’art. 23 de la Loi, sa compétence à l’égard d’un enfant dans un cas de préjudice grave (voir Zafar, par. 84, citant Pollastro c. Pollastro (1999), 43 O.R. (3d) 497 (C.A.); voir aussi F. c. N., par. 68). Elle peut également se révéler pertinente quant à la question de savoir si une partie a consenti ou acquiescé à ce que l’enfant vive avec l’autre parent pour l’application de la disp. 22(2) 2. La preuve de violence émotionnelle, psychologique ou verbale, de tactiques d’intimidation et d’autres formes de comportement dominant par une partie qui sème la peur dans l’esprit de l’autre partie peut fonder le type de contrainte susceptible de vicier le consentement (voir, de façon générale, Ogunboye c. Faoye, 2023 ONCJ 46, 84 R.F.L. (8th) 99, par. 103, citant Kinsella c. Mills, 2020 ONSC 4785, 44 R.F.L. (8th) 1). Bien qu’elle ne se rapporte pas directement de la même manière à la question du lieu où résidait l’enfant, cette preuve fait partie du contexte plus large dont les juges devraient toujours être conscients.
  37.                           Je souligne que déterminer le lieu où « résidait » l’enfant ne constitue qu’une partie de l’analyse de la résidence habituelle et n’est pas nécessairement déterminant quant à la compétence. La question que commande l’al. 22(1)a) consiste à savoir non pas où l’enfant résidait à l’introduction de la requête, mais où il a sa « résidence habituelle », ce qui s’apprécie en fonction du lieu où l’enfant résidait au moment prescrit par les par. 22(2) et (3) (voir Aslanimehr, par. 38). Comme je l’ai dit, cette directive législative n’est pas présente dans le contexte de la Convention de La Haye et constitue une distinction entre les deux régimes. Bien que l’analyse de ce que l’on entend par « résider » présente des similitudes avec l’arrêt Balev, déterminer si un enfant a sa résidence habituelle au sens de la Loi est un exercice distinct. Il en est ainsi parce que, dans la Loi, le mot « résidait » n’est qu’un élément de la définition légale de « résidence habituelle », telle qu’elle est énoncée aux par. 22(2) et (3). De plus, il peut exister des motifs de compétence même s’il n’est pas satisfait à l’exigence de résidence habituelle prévue à l’al. 22(1)a). Et même lorsque les tribunaux ontariens ont compétence en raison de la résidence habituelle, il leur est loisible, dans les cas qui s’y prêtent, de décliner cette compétence et d’ordonner le renvoi de l’enfant dans un autre lieu de toute façon (voir les art. 25 et 40; voir aussi Brooks). Le mot « résidait » n’a donc pas à accomplir tout le travail d’analyse, et il ne le fait pas, lorsqu’il s’agit de trancher les motions visant à obtenir une ordonnance de renvoi de l’enfant dans un autre ressort.
  38.                           Je termine la présente section en soulignant que tous les acteurs du système de justice ont la responsabilité essentielle de créer un environnement favorable à « l’accès expéditif et abordable au système de justice civile » (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 2), une responsabilité particulièrement accrue dans les cas où les intérêts des enfants sont en jeu. Les juges ainsi que les plaideurs et leurs avocats doivent exercer les pouvoirs dont ils disposent pour veiller à ce que les actions en justice soient proportionnées et efficaces (voir R. c. Haevischer, 2023 CSC 11, par. 51). Ils ne doivent pas laisser les différends au sujet du lieu de résidence d’un enfant devenir inutilement complexes et engendrer la production d’un volume indu de preuves documentaires.
  39.                           Les cas d’enlèvement international d’enfants doivent être réglés « promptement » (Règles en matière de droit de la famille, Règl. de l’Ont. 114/99, par. 37.2(3); voir Zafar, par. 42). Lorsqu’il instruit des cas de ce genre, le juge ne doit pas hésiter à exercer son pouvoir de gestion de l’instance pour accélérer le déroulement de la procédure. La détermination du lieu où résidait l’enfant est un exercice factuel et contextuel, mais ce n’en est pas un qui est complexe et coûteux, et il faut empêcher qu’il le devienne.
  40.                           Je signale que, selon la Cour supérieure, le délai d’audition de la motion en l’espèce était [traduction] « trop long pour rendre justice à l’enfant » (d.a., vol. I, p. 55), et que même si [traduction] « la présente requête devait être entendue avec célérité », cela ne s’est pas produit (2023 ONSC 1044, 88 R.F.L. (8th) 207, par. 21). La présente instance, qui, je le rappelle, porte sur une allégation selon laquelle l’enfant était séparé illicitement de son parent depuis mai 2021, a été introduite en juin 2021, mais n’a été instruite qu’en mars 2023. Le dossier en l’espèce a largement excédé ce qui était nécessaire pour statuer sur la question de compétence en litige, d’autant plus qu’elle porte sur la question simple de savoir où résidait l’enfant. En première instance, les parties ont déposé plus de 4 000 pages de documents (d.a., vol. I, p. 44). Plus de 20 000 messages texte ont été récupérés par un expert qu’avaient retenu conjointement les parties (p. 45). Les parties se sont appuyées sur ces messages pour élaborer des récits détaillés et contradictoires au sujet de leurs intentions qui étaient, tout au plus, d’une pertinence accessoire quant au lieu où résidait l’enfant. Les parties ont également déposé chacune une preuve d’expert provenant de nombreux déposants experts (p. 4445). On ne sait pas au juste comment il serait possible de concilier la manière dont la présente affaire a suivi son cours et la responsabilité de rendre justice en temps opportun et de manière efficace. Tous les acteurs du système de justice familiale doivent en faire davantage pour accélérer le règlement des litiges en matière de compétence qui concernent des enfants.
    1.             Les tribunaux ontariens avaient compétence parce que l’enfant avait sa résidence habituelle en Ontario
  41.                           Ayant énoncé les principes pertinents, j’aborde maintenant la question de savoir si les tribunaux ontariens se sont déclarés compétents à juste titre en l’espèce.
  42.                           Pour déterminer si l’enfant des parties avait sa résidence habituelle en Ontario, il faut commencer par cerner le moment prescrit. Au vu des faits particuliers de la présente affaire, ce moment est le 30 mai 2021. Il n’est pas contesté que l’enfant résidait avec les deux parents jusqu’à la séparation le 30 mai 2021 et qu’il n’a pas été déplacé ou retenu à l’écart d’un parent à ce momentlà (m.a., par. 2331; m.i., par. 15 et 41). Rien ne laisse croire que l’enfant résidait, entre cette date et l’introduction de la requête en juin 2021, soit avec les deux parents, soit avec un parent en vertu d’un accord, avec le consentement ou l’acquiescement de l’autre personne ou en vertu d’une ordonnance du tribunal, soit avec une personne autre qu’un parent de façon permanente pendant une longue période (m.a., par. 33; m.i., par. 15). Autrement dit, le moment prescrit était le 30 mai 2021, dans la dernière en date des situations énumérées au par. 22(2).
  43.                           En conséquence, la question de savoir si l’enfant avait sa résidence habituelle à l’introduction de la requête repose sur celle de savoir s’il « résidait » avec les deux parents en Ontario le 30 mai 2021. La juge des motions a conclu que c’était le cas (par. 77).
  44.                           Devant notre Cour, M. Dunmore soutient que la juge des motions a commis une erreur de droit en refusant d’analyser l’intention commune des parties (m.a., par. 104). D’après lui, si la juge avait recouru à une analyse de l’intention bien établie, elle aurait conclu qu’il n’y avait aucune raison pour elle de se déclarer compétente au titre de l’al. 22(1)a), parce que lui et Mme Mehralian n’ont jamais partagé l’intention de résider en Ontario (par. 105). La teneur générale de son argument est qu’ils n’effectuaient qu’une visite temporaire et que le dernier lieu où vivait ensemble la famille avec une intention commune était à Oman (par. 105). Il nous incombe de décider si ces arguments fournissent matière à modifier la conclusion de la juge des motions.
    1.           Aucune raison de modifier la conclusion de la juge des motions
  45.                           Savoir si un enfant résidait dans un lieu est une question mixte de fait et de droit, car elle suppose d’appliquer une norme juridique à des faits (voir K.F. c. J.F., 2022 NLCA 33, 7 C.A.N.L.R. 609, par. 49; Rifkin c. Peled-Rifkin, 2017 NBCA 3, 89 R.F.L. (7th) 194, par. 3; Aslanimehr, par. 48; voir aussi Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 26; Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27, par. 90). La réponse à cette question ne sera modifiée en appel que si M. Dunmore peut relever une erreur de droit isolable ou une erreur manifeste et déterminante (Housen, par. 36). Cela concorde avec la déférence qui s’impose, ainsi que l’a déclaré la Cour, envers la question de la résidence habituelle au sens de la Convention de La Haye (Balev, par. 38), de même qu’avec l’« importance vitale » d’une déférence en appel dans les affaires de droit de la famille en général (F. c. N., par. 75; voir aussi Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, [2022] 1 R.C.S. 517, par. 104).
  46.                           Monsieur Dunmore n’a pas établi la présence d’une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la juge des motions selon laquelle la famille résidait en Ontario au moment prescrit.
  47.                           La juge des motions ne disposait pas de notre énoncé de principes, mais elle a néanmoins adopté une approche suffisamment souple pour déterminer où résidait l’enfant. Elle a eu raison de ne pas se sentir obligée d’axer son analyse sur l’intention commune bien établie des parties (par. 44). D’ailleurs, la juge des motions aurait fait erreur si elle avait fondé son analyse uniquement sur l’intention commune des parents. Elle n’a jamais affirmé que cette intention des parents était dénuée de pertinence dans tous les cas, et elle a tiré des conclusions sur les intentions de chaque parent (voir, p. ex., les par. 7071 et 76). Elle en a tenu compte comme élément d’un ensemble plus large de facteurs axés à bon droit sur la situation concrète de l’enfant.
  48.                           À mon avis, la véritable contestation de M. Dunmore porte sur les conclusions de fait de la juge des motions, et découle en partie du fait qu’elle a préféré le témoignage de Mme Mehralian au sien sur les questions cruciales (par. 54). Pour que notre Cour accepte son argument que la famille ne résidait pas en Ontario, il faudrait écarter les faits constatés par la juge des motions en faveur de sa version différente des faits, et il n’y a aucune raison de le faire.
  49.                           Par exemple, M. Dunmore soutient que les parties avaient convenu de revenir en Ontario pour une brève période et qu’il n’a jamais eu l’intention d’y résider (m.a., par. 105). Mais la juge des motions a fait observer que, quand M. Dunmore a parrainé Mme Mehralian pour qu’elle obtienne le statut de résidente permanente, il a avisé le gouvernement du Canada qu’il souhaitait déménager à Toronto et y vivre (par. 51). Les parties se sont rendues à Toronto en avril 2021 par avion au moyen de billets aller simple et ont acheté des meubles pour l’appartement qu’elles ont loué à long terme (par. 72 et 76). Monsieur Dunmore a présenté des demandes d’emploi à de nombreux cabinets d’avocats de Toronto et a obtenu des conditions hypothécaires favorables en disant qu’il travaillait au Canada (par. 51). En rejetant son contrat de travail omanais, M. Dunmore a fait savoir à Mme Mehralian qu’il [traduction] « préfér[ait] être au Canada » (par. 64). Monsieur Dunmore avait signé un contrat de travail avec un cabinet torontois et détenait une carte d’assurancemaladie provinciale (par. 27 et 76). La juge des motions a rejeté l’autre prétention de M. Dunmore suivant laquelle il n’est venu au Canada en avril 2021 qu’en raison de menaces proférées par Mme Mehralian (par. 70). Monsieur Dunmore ne signale aucune erreur manifeste et déterminante qui justifierait d’infirmer ces conclusions de fait.
  50.                           La juge des motions a estimé en outre que l’enfant avait des liens importants avec le ressort à l’époque, notamment par l’entremise de la famille. Son père était canadien, et sa mère, résidente permanente, et des membres de sa famille élargie tant du côté maternel que du côté paternel vivaient en Ontario (par. 85). Il avait passé la majeure partie de sa jeune vie en Ontario, là où vivait cette famille (par. 81). Son véritable chezsoi se trouvait en Ontario (par. 85).
  51.                           Même si la juge des motions avait appliqué la mauvaise règle de droit, cela n’aurait eu aucune incidence sur l’issue de la présente affaire. Les faits qu’elle a constatés sont plus que suffisants pour étayer la conclusion selon laquelle l’enfant résidait en Ontario au moment considéré.
    1.           L’acquiescement n’écarte pas la compétence fondée sur la résidence habituelle
  52.                           Monsieur Dunmore fait également valoir que l’acquiescement de Mme Mehralian à l’instance de divorce omanaise a écarté la compétence parentale des tribunaux ontariens à l’endroit de l’enfant (m.a., par. 119121). Selon lui, cet acquiescement est [traduction] « fatal » à la cause d’un demandeur (par. 121). Je ne suis pas de cet avis.
  53.                           Monsieur Dunmore nous renvoie à une jurisprudence concernant la pertinence de l’acquiescement devant un tribunal étranger à l’exécution, en Ontario, du jugement étranger (m.a., par. 118, citant Beals c. Saldanha, 2003 CSC 72, [2003] 3 R.C.S. 416). Mais le caractère exécutoire d’une ordonnance omanaise n’est pas en litige — la question est de savoir si les tribunaux ontariens ont compétence en vertu de l’al. 22(1)a). Ce motif de compétence écarte la common law, et il est inapproprié de recourir à l’acquiescement en common law pour l’exclure (voir E. (H.), par. 80).
  54.                           De plus, je rappelle que la partie III de la Loi commande une approche qui sert l’intérêt véritable des enfants (voir al. 19a); F. c. N., par. 6062). Conclure que les motifs de compétence soigneusement conçus dans cette partie peuvent être implicitement écartés par un acquiescement à l’étranger irait à l’encontre de l’intérêt véritable de l’enfant. Les enfants n’ont aucun contrôle sur le lieu où leurs parents se pourvoient en justice (voir E. (H.), par. 8283), et ils ne devraient pas perdre la protection à laquelle ils ont droit en raison des choix faits en matière de litige par les adultes dans leur vie.
  55.                           Sans exclure la possibilité que l’acquiescement devant un autre tribunal puisse constituer un facteur pertinent pour l’analyse sous le régime d’autres dispositions de la partie III, comme l’al. 22(1)b) ou l’art. 25 (voir Murray, par. 3840; E. (H.), par. 81 et 83), M. Dunmore n’a pas établi que l’acquiescement a un rôle quelconque à jouer dans l’analyse de la résidence habituelle, encore moins un rôle déterminant.
  56.                           Tout particulièrement, je souligne que M. Dunmore n’a jamais demandé aux tribunaux ontariens de décliner compétence en vertu de l’art. 25, sur la base de l’acquiescement ou pour une autre raison (motifs de la juge des motions, par. 88). Son argument portait uniquement sur la question de savoir si les tribunaux ontariens ont compétence. C’est le cas.
    1.           Il n’est pas nécessaire de tenir compte d’autres motifs de compétence
  57.                           La juge des motions a conclu que, même si l’enfant n’avait pas sa résidence habituelle en Ontario, la compétence pourrait néanmoins être exercée en vertu d’un motif distinct de compétence prévu à l’al. 22(1)b) (par. 78). Monsieur Dunmore conteste l’analyse de la juge sur ce point.
  58.                           Je refuse de me pencher sur ces arguments. Puisqu’un motif de compétence a été établi sur la base de la résidence habituelle, cette question n’a plus aucune incidence sur l’issue du pourvoi. L’argument sur ce point concerne des conclusions d’ordre factuel tirées par la juge des motions plutôt que des points de droit généraux sur lesquels des indications seraient utiles à d’autres parties à un litige.
  1.             Conclusion
  1.                           Les présents motifs expliquent la décision de la Cour de rejeter le pourvoi. La décision sur les dépens a été mise en délibéré, et je suis d’avis d’adjuger les dépens à Mme Mehralian.

 Version française des motifs rendus par

 La juge Côté —

  1. Aperçu
  1.                           Le présent pourvoi requiert que notre Cour interprète la définition du concept de « résidence habituelle » figurant à l’art. 22 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, c. C.12 (« LRDE »). Si un enfant a sa « résidence habituelle » en Ontario, l’art. 22 de la LRDE permet à un tribunal ontarien d’exercer sa compétence pour rendre une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact à l’égard de cet enfant. La définition s’applique uniquement dans le cas de l’enfant qui n’est pas visé par la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983 no 35 (« Convention de La Haye »). Contrairement à la Convention de La Haye, la LRDE définit expressément le concept de « résidence habituelle », au par. 22(2). Cela veut dire que la question dont notre Cour est saisie en est fondamentalement une d’interprétation statutaire — la question n’est pas celle de savoir quelle devrait être la meilleure démarche pour déterminer la résidence habituelle du point de vue de notre Cour.
  2.                           Malgré la définition clairement énoncée de la « résidence habituelle » à l’art. 22 de la LRDE, ma collègue, la juge Martin, conclut qu’un test large et inclusif devrait être appliqué pour déterminer où un enfant est « chez lui ». Bien que ma collègue prétende rejeter l’approche hybride adoptée par notre Cour dans l’arrêt Bureau de l’avocat des enfants c. Balev, 2018 CSC 16, [2018] 1 R.C.S. 398, afin de déterminer la résidence habituelle pour les cas relevant de la Convention de La Haye, elle formule néanmoins un test d’apparence presque identique à cette approche hybride, et elle fait fi du libellé explicite de la LRDE mentionnant que la résidence habituelle d’un enfant ne peut être modifiée unilatéralement par un parent.
  3.                           Avec égards, il ne peut s’agir de la manière d’interpréter le concept de résidence habituelle en vertu de la LRDE. La seule approche appuyée par le texte, le contexte et l’objet du par. 22(2) est celle fondée sur l’intention des parents. Il s’agit de la seule approche qui soit conforme au libellé de la disposition tel qu’adopté par la Législature. C’est aussi la seule approche qui offre la certitude et la prévisibilité dans une partie d’une loi qui vise, entre autres choses, à prévenir le déplacement illicite d’enfants. Et c’est l’approche qui aurait dû être adoptée par les juridictions inférieures en l’espèce.
  4.                       Si la juge des motions avait analysé sous le bon angle le lieu où résidait habituellement M, l’enfant des parties, il aurait été évident que la résidence habituelle de l’enfant était à Oman, et non en Ontario. Il s’agissait du dernier lieu où M et sa famille ont vécu avec l’intention bien établie d’y résider.
  5.                       Je n’appliquerais pas l’approche de ma collègue et, par conséquent, j’aurais accueilli le pourvoi et renvoyé la présente affaire à la juge des motions pour qu’elle statue sur la question du retour de M à Oman, en vertu de l’art. 40 de la LRDE.
  1.             Contexte et historique judiciaire
  1.                       Les parties se sont rencontrées en 2014 en Malaisie. Tout au long de leur relation, Mme Mehralian et M. Dunmore ont souvent déménagé et voyagé. Ils se sont mariés au Japon le 26 juin 2015, puis ils ont déménagé ensemble aux Émirats arabes unis en 2016. Après une période de séparation en 2017, les parties se sont réconciliées en 2018 et ont commencé à vivre à Oman. Leurs déménagements internationaux en chaîne durant toute leur relation étaient motivés par la carrière de M. Dunmore. Il travaillait comme avocat en arbitrage international, et il était le pourvoyeur de la famille.
  2.                       Les parties se sont rendues au Canada en mars 2020, afin que M. Dunmore puisse passer l’examen du Barreau de l’Ontario. Selon M. Dunmore, il a entrepris cette démarche afin de rehausser sa notoriété et de faciliter les affaires avec les entreprises canadiennes à l’international, notamment au MoyenOrient. Notons qu’il est également membre des barreaux de l’Australie, de New York, ainsi que de l’Angleterre et du Pays de Galles. Au cours du même voyage, les parties avaient également prévu rendre visite à la famille de M. Dunmore dans le comté d’Essex, en Ontario. Elles prévoyaient revenir à Oman en avril 2020.
  3.                       Puis, la pandémie de COVID19 a sévi. L’examen du barreau a été annulé et le retour des parties à Oman est devenu impossible. Elles ont plutôt emménagé chez les parents de M. Dunmore. Monsieur Dunmore a travaillé à distance pour un cabinet d’avocats du Qatar de juillet à décembre 2020. En décembre 2020, l’enfant des parties, M, est né en Ontario.
  4.                       Monsieur Dunmore a signé un contrat avec un nouvel employeur à Oman le 5 janvier 2021. Les parties sont finalement revenues à Oman avec M le 23 janvier 2021. Elles se sont mariées religieusement à Oman à la demande de Mme Mehralian le 20 février 2021. L’emploi de M. Dunmore au sein du nouveau cabinet omanais a pris fin le 7 mars 2021.
  5.                       Monsieur Dunmore a signé un contrat de travail en Ontario prévu pour débuter le 5 avril 2021. Il s’agissait d’un contrat à durée déterminée qui devait prendre fin le 31 août 2022, à moins d’être autrement résilié aux termes des clauses de celuici. Le 4 avril 2021, les parties sont revenues en Ontario et, avec M, elles ont commencé à vivre dans un appartement de l’avenue Eglinton à Toronto.
  6.                       Monsieur Dunmore a continué à chercher du travail au MoyenOrient après avoir signé le contrat de travail ontarien. Dans son affidavit du 21 juin 2021 devant la Cour supérieure de l’Ontario, il a déclaré avoir reçu une offre pour travailler au sein d’un cabinet de Dubaï le 1er avril 2021, et l’avoir acceptée le 25 avril 2021. Lors de son témoignage de vive voix, il a précisé qu’il avait accepté oralement l’offre avant de se rendre à Toronto, mais qu’il avait signé la lettre à la fin d’avril. Quoi qu’il en soit, il ressort clairement de l’échange de courriels entre M. Dunmore et le cabinet de Dubaï que M. Dunmore a envoyé le contrat signé le 27 avril 2021.
  7.                       Le 30 mai 2021, la police est intervenue à la suite d’une allégation de violence conjugale au chalet que les parties venaient d’acquérir au Québec. Les parties se sont séparées le même jour. Monsieur Dunmore a déménagé aux Émirats arabes unis en juillet 2021 et y a travaillé jusqu’en novembre 2021, puis il a commencé un nouvel emploi à Oman en mars 2022.
  8.                       Monsieur Dunmore a introduit une instance à la Cour de justice de l’Ontario le 2 juin 2021. Il a demandé par motion à cette cour d’ordonner que M soit confié à ses soins, ou qu’il réside avec chaque parent de façon égale. Dans sa requête, il alléguait que les tribunaux ontariens n’avaient pas juridiction. Monsieur Dunmore a fini par retirer ses réclamations à la Cour de justice de l’Ontario après avoir dit à Mme Mehralian, par l’entremise de son avocate, qu’il le ferait. Il a plutôt introduit une instance à Oman le 17 juin 2021, demandant le divorce et la garde de M. Le lendemain, le 18 juin 2021, Mme Mehralian a introduit une instance à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, réclamant le divorce, une mesure accessoire et l’égalisation des biens.
  9.                       En décembre 2021, M. Dunmore s’est rendu à Oman et il s’est présenté devant un notaire pour faire reconnaître le divorce islamique des parties. Le certificat de divorce daté du 27 février 2022 l’atteste. En ce qui concerne les procédures relatives à la garde de M à Oman, la Cour de première instance de Mascate a rendu un jugement le 16 novembre 2021, concluant qu’elle n’avait pas compétence pour décider du litige. Cette décision a été infirmée par la Cour d’appel d’Oman le 7 mars 2022. Au cours d’un litige subséquent auquel les deux parties ont pleinement participé, les tribunaux omanais ont conclu que les parties étaient valablement divorcées selon le droit d’Oman, et ils ont accordé la garde principale de M à Mme Mehralian.
  10.                       Après une série de comparutions en 2022 et au début de 2023, le juge Myers de la Cour supérieure de l’Ontario a rendu une décision reconnaissant le divorce omanais des parties (2023 ONSC 1044, 88 R.F.L. (8th) 207). Puis, la juge des motions, la juge Brownstone, a traité de la motion initialement présentée par M. Dunmore en novembre 2021, dans l’instance introduite par Mme Mehralian, demandant le retour de M de l’Ontario à Oman. Elle a également traité d’une motion incidente dans laquelle Mme Mehralian sollicitait une ordonnance afin que les tribunaux ontariens puissent avoir juridiction pour décider du temps parental et de la responsabilité décisionnelle à l’égard de M. La juge des motions a rejeté la motion de M. Dunmore et fait droit à la motion incidente de Mme Mehralian, estimant que les tribunaux ontariens avaient juridiction pour établir le temps parental et la responsabilité décisionnelle à l’égard de M (2023 ONSC 2616). Selon la décision de la juge des motions, qui sera abordée plus en détail lorsque j’appliquerai l’approche fondée sur l’intention des parents aux faits de la présente affaire, les tribunaux ontariens avaient compétence au motif que M avait sa résidence habituelle en Ontario en application de l’al. 22(1)a) de la LRDE. À titre subsidiaire, elle aurait conclu que les exigences énoncées à l’al. 22(1)b) étaient remplies, de sorte que le tribunal pouvait tout de même exercer sa compétence relativement à la question parentale.
  11.                       La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé les décisions du juge Myers et de la juge Brownstone (2023 ONCA 806, 94 R.F.L. (8th) 255). Toutefois, devant notre Cour, seule la décision portant sur la question de savoir si les tribunaux ontariens ont juridiction est portée en appel.
  12.                       Il appartient à notre Cour de décider si l’approche retenue par la juge des motions pour déterminer la résidence habituelle en application de l’art. 22 de la LRDE était la bonne. L’analyse de la juge des motions portant sur la question de savoir si M avait sa résidence habituelle en Ontario a été menée sur la base selon laquelle la définition statutaire était claire et [traduction] « n’exige[ait] pas de la cour qu’elle conclue à une intention bien établie » des parties d’y résider (par. 44).
  13.                       Je conviens avec la juge des motions que la définition statutaire de la « résidence habituelle » permet de trancher la question. Toutefois, contrairement à elle, et comme je l’explique ciaprès, je conclus que le libellé de la loi oblige notre Cour à déterminer la résidence habituelle en adoptant l’approche fondée sur l’intention des parents. Étant donné que la juge des motions n’a pas procédé à son analyse de la résidence habituelle sous cet angle de l’intention des parents, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions sur ce point. Selon mon interprétation de la preuve, M avait sa résidence habituelle à Oman à l’introduction de la requête. En outre, de manière subsidiaire, les exigences établies à l’al. 22(1)b) de la LRDE ne sont pas remplies. Les tribunaux ontariens n’ont donc pas compétence en l’espèce.
  1.          Analyse
    1.             Le bon cadre d’analyse pour déterminer la résidence habituelle intègre l’approche fondée sur l’intention des parents
  1.                       La méthode moderne d’interprétation statutaire exige que les termes d’une disposition soient interprétés [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). J’examinerai d’abord le sens ordinaire de la définition de la « résidence habituelle » établie au par. 22(2) de la LRDE, et ensuite son objet et son contexte.
    1.           Sens ordinaire du par. 22(2) de la LRDE
  2.                       Le sens ordinaire du par. 22(2) est compatible avec une approche fondée sur l’intention des parents pour déterminer le lieu de la résidence habituelle d’un enfant. L’alinéa 22(1)a) dispose que le tribunal ne peut exercer sa juridiction pour rendre une ordonnance parentale ou une ordonnance de contact à l’égard d’un enfant que si celuici a « sa résidence habituelle en Ontario à l’introduction de la requête ». Si l’enfant n’a pas sa résidence habituelle en Ontario à l’introduction de la requête, l’al. 22(1)b) prévoit d’autres fondements permettant au tribunal d’exercer sa juridiction. Cette disposition n’est invoquée que lorsque la résidence habituelle n’est pas déjà établie.
  3.                       La définition statutaire de la « résidence habituelle » au cœur du présent pourvoi est énoncée en ces termes au par. 22(2) :

(2) Un enfant a sa résidence habituelle dans le lieu où il résidait lorsqu’il se trouvait dans la dernière en date des situations suivantes :

1. Avec ses parents.

2. Si ses parents vivent séparément, avec l’un d’eux, soit en vertu d’un accord de séparation ou d’une ordonnance du tribunal, soit avec le consentement, même tacite, ou l’acquiescement de l’autre personne.

3. Avec une personne autre qu’un parent, de façon permanente pendant une longue période.

  1.                       Ma collègue conclut que rien dans le texte de la disposition n’indique que « le sens ordinaire de “résidait” est écarté par un concept axé sur l’intention commune des parents » (par. 53). Je ne peux souscrire à cette opinion. À mon avis, cette définition de « résidence habituelle » intègre expressément l’intention des parents au moyen de la disp. 22(2) 2. Il en est ainsi parce que la disposition exige le consentement ou l’acquiescement d’un parent à la résidence de l’enfant dans un autre pays ou une autre province avec l’autre parent, lorsque les parents vivent séparément, afin que la résidence habituelle de l’enfant soit modifiée. Si d’autres facteurs relatifs à l’intérêt véritable de l’enfant étaient pertinents, alors le consentement ou l’acquiescement ne constituerait pas une exigence claire et explicite.
  2.                       S’il ne ressortait pas assez clairement des termes du par. 22(2) que l’intention des parents est essentielle à l’analyse de la résidence habituelle, le consentement et l’acquiescement sont également mentionnés au par. 22(3) :

 (3) Le fait d’emmener ou de retenir un enfant sans le consentement de toutes les personnes investies de la responsabilité décisionnelle à l’égard de l’enfant n’a pas pour effet de modifier la résidence habituelle de l’enfant, à moins que la personne à l’écart de laquelle l’enfant est emmené ou retenu n’ait donné son acquiescement ou n’ait trop tardé à introduire une procédure juridique régulière.

  1.                       Le fait que l’un des parents emmène un enfant à l’extérieur d’un pays ne saurait modifier sa résidence habituelle à moins que l’autre parent ne consente au déplacement. En effet, le par. 22(3) met l’intention mutuelle des parents au cœur de l’analyse de la résidence habituelle en faisant du consentement des parents une condition préalable à la modification de la résidence habituelle d’un enfant. Contrairement à ce que ma collègue affirme au par. 53 de ses motifs, le fait que le consentement n’est pas également mentionné à la disp. 22(2) 1, lequel évoque la situation dont il est question en l’espèce, ne veut pas dire que ce n’est pas une considération pertinente. En fait, il serait illogique que la Législature précise qu’un enfant a sa résidence habituelle dans le dernier lieu où il résidait avec ses deux parents, avec le consentement de ses deux parents. Il va sans dire que les deux parents doivent consentir au fait de résider dans un lieu précis, et le par. 22(3) permet de veiller à ce que le déplacement unilatéral d’un enfant par un parent de ce lieu n’emporte pas modification de la résidence habituelle de l’enfant sans un accord à cet effet.
  2.                       Bien que la Législature ait clairement intégré l’intention des parents dans la définition de « résidence habituelle », ma collègue s’attarde plutôt sur le terme « résidait » afin d’introduire un ensemble de critères non exhaustifs pour déterminer la résidence habituelle d’un enfant. Aucune exigence autre que l’intention des parents ou la résidence de l’enfant n’est prescrite par la loi. Le texte n’indique aucunement qu’il y a lieu de tenir compte d’autres facteurs, de sorte que toutes circonstances jugées pertinentes par un tribunal pourraient être considérées à bon droit dans l’analyse. La loi prévoit des critères exhaustifs, ce qui ne laisse aucune marge de manœuvre pour qu’un tribunal les élargisse davantage. À la lumière de la définition statutaire explicite donnée par la Législature, je ne vois pas comment ma collègue peut importer une approche qui permet à un tribunal d’envisager toute autre considération jugée pertinente.
  3.                       Je ne peux convenir que la Législature voulait que ces facteurs non exhaustifs soient pris en considération dans le cadre de l’analyse simplement parce qu’elle a utilisé le mot « résidait ». Si la Législature avait eu l’intention d’importer une liste non exhaustive de facteurs dans la définition, cela soulève la question de savoir pourquoi une disposition explicite à cet effet n’a pas été incluse dans la définition statutaire.
  4.                       Ma collègue affirme en outre qu’on « ne saurait autoriser les parents à se soustraire par contrat au sens ordinaire du mot “résidait” employé par la Législature », et « [l]a Législature nous parle du lieu où résidait effectivement l’enfant, et non du lieu où il résiderait d’après l’entente intervenue entre les parents » (par. 56). Au contraire, selon mon interprétation, la Législature oblige expressément les tribunaux à se demander si les deux parents ont consenti ou acquiescé au retrait d’un enfant d’un ressort. Tirer une conclusion différente va à l’encontre de l’intention claire d’intégrer les décisions parentales conjointes dans l’analyse comme le prévoient la disp. 22(2) 2 et le par. 22(3). Je ne comprends pas en quoi l’approche fondée sur l’intention commune des parents traiterait à tort les enfants comme des [traduction] « bénéficiaires passifs des décisions de leurs parents », alors que ces dispositions exigent explicitement que les deux parents consentent à ce que l’enfant réside dans un lieu en particulier (par. 59, citant In re LC (Children), [2014] UKSC 1, [2014] A.C. 1038, par. 87, lady Hale, motifs concordants). Dans la mesure où l’analyse de l’intention des parents fait des enfants les « bénéficiaires passifs » des choix de leurs parents, elle le fait en conformité avec les directives expresses et codifiées par la Législature. Par ailleurs, il n’est pas nécessairement vrai que le « meilleur point de vue » est celui où les enfants ont [traduction] « un rôle à jouer dans leur propre vie » (ibid.). Il faut ajuster ce point de vue en fonction de l’âge de l’enfant. En l’espèce, par exemple, M avait un peu moins de six mois quand Mme Mehralian a déposé sa requête — bien trop jeune pour prendre des décisions de manière indépendante.
  5.                       De plus, il faut également considérer le concept de « résidence habituelle » en ayant à l’esprit le reste du libellé de l’art. 22. La première exigence de l’al. 22(1)b) est que l’enfant soit « physiquement présent en Ontario à l’introduction de la requête ». Lorsque la Législature a choisi d’employer des termes différents dans un même texte législatif, elle est présumée l’avoir fait délibérément dans le but d’indiquer un sens différent (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 81). Par conséquent, je conviens avec ma collègue que le fait de déterminer le lieu de la résidence habituelle d’un enfant doit aller plus loin que l’examen du lieu où se trouvait physiquement l’enfant à l’introduction de la requête, bien que nos opinions divergent sur l’effet de cette interprétation.
  6.                       À mon avis, on ne peut conclure qu’un enfant qui séjourne temporairement dans un certain lieu, et dont les parents n’ont pas l’intention conjointe d’y habiter, a sa résidence habituelle dans ce lieu temporaire. La résidence habituelle n’est pas uniquement le dernier lieu où les parties ont résidé temporairement. Cela est vrai même lorsque la famille paie pour rester dans un lieu en particulier ou y travailler.
  7.                       Le fait que la disp. 22(2) 3 établisse la résidence habituelle d’un enfant dans le lieu où il réside « [a]vec une personne autre qu’un parent, de façon permanente pendant une longue période » vient renforcer ce point. Cette formulation suggère que la durée du séjour n’est pas un critère déterminant de la résidence — pour être habituellement résident au sens de la disp. 22(2) 3, l’enfant doit à la fois résider avec un tiers et le faire pendant une longue période. Cette dernière exigence s’applique uniquement lorsque l’enfant réside avec une personne autre que ses parents. La résidence pendant une « longue période » n’est pas une exigence si l’enfant réside « [a]vec ses parents » ou, « [s]i ses parents vivent séparément, avec l’un d’eux ». À mon avis, cette formulation est conforme à l’approche fondée sur l’intention des parents, car elle démontre que l’analyse visant à déterminer si un enfant « résidait » à un endroit donné ne repose pas sur la durée de son séjour ni sur ses liens avec ce ressort. La question de la résidence est distincte, et elle est déterminée par une intention bien établie des parents d’y résider.
  8.                       En outre, si l’on adoptait l’approche de ma collègue, plusieurs des facteurs utilisés pour déterminer la résidence habituelle feraient double emploi avec des considérations incluses dans d’autres parties de la loi. L’alinéa 22(1)b) énumère déjà plusieurs autres facteurs justifiant la juridiction lorsque la résidence habituelle n’est pas établie, notamment, l’existence de preuves substantielles relatives à l’intérêt véritable de l’enfant en Ontario, et la présence de liens étroits et véritables avec l’Ontario. Si l’un ou l’autre de ces facteurs était pertinent aux fins de l’analyse de la résidence habituelle, la Législature y aurait expressément fait référence au par. 22(2), tout comme elle l’a fait à l’al. 22(1)b). En l’absence de libellé à cet effet, il défie toute logique de conclure qu’il faut considérer les mêmes facteurs deux fois : d’abord en application du par. 22(2), puis en application de l’al. 22(1)b) de manière subsidiaire.
  9.                       Le libellé de la loi indique déjà de manière parfaitement claire que l’approche fondée sur l’intention des parents est la bonne. C’est la conclusion à laquelle est arrivée la Cour d’appel de la ColombieBritannique dans l’arrêt Kong c. Song, 2019 BCCA 84, 21 B.C.L.R. (6th) 284, où les dispositions applicables sont presque identiques à celles de la LRDE (voir la Family Law Act, S.B.C. 2011, c. 25, art. 72 et 74). De plus, l’objet et le contexte de la LRDE renforcent cette interprétation. Ces considérations sont interreliées en l’espèce, et je me penche maintenant sur cellesci.
    1.           Objet de la partie III de la LRDE
  10.                       Le paragraphe 22(2) figure à la partie III de la LRDE. Les objectifs de la partie III sont énoncés à l’art. 19 :

a) veiller à ce que les tribunaux règlent les requêtes relatives à la responsabilité décisionnelle, au temps parental, aux contacts et à la tutelle à l’égard d’enfants en fonction de l’intérêt véritable des enfants;

b) reconnaître que l’exercice simultané de compétence par les tribunaux judiciaires de plus d’une province, d’un territoire ou d’un État pour rendre une décision relative à la responsabilité décisionnelle à l’égard d’un même enfant doit être évité, et prendre des dispositions pour que les tribunaux de l’Ontario, sauf circonstances exceptionnelles, s’abstiennent d’exercer leur compétence ou refusent de le faire s’il est plus approprié que la question soit réglée par un tribunal compétent qui se trouve dans un lieu où l’enfant a des liens plus étroits;

c) décourager l’enlèvement d’enfants comme solution de rechange au règlement de la question de la responsabilité décisionnelle par procédure juridique régulière;

d) prévoir une meilleure exécution des ordonnances parentales et des ordonnances de contact, ainsi que la reconnaissance et l’exécution des ordonnances rendues à l’extérieur de l’Ontario qui accordent la responsabilité décisionnelle, du temps parental ou des contacts à l’égard d’un enfant.

  1.                       Les objectifs énoncés aux al. 19b) à d) peuvent être mieux réalisés au moyen de l’approche fondée sur l’intention des parents. Cela garantit que les enfants ne soient pas retirés, car on exige que la juridiction du tribunal soit déterminée en fonction du dernier lieu où les parents avaient l’intention bien établie de résider ensemble avec l’enfant. Il ne peut y avoir aucune modification unilatérale de ressort par un parent, sans le consentement ou l’acquiescement de l’autre.
  2.                       L’approche fondée sur l’intention des parents reconnaîtrait que le dernier lieu où il y avait une intention bien établie de résider est la juridiction appropriée pour prendre les décisions sur la responsabilité décisionnelle, le temps parental ou les contacts à l’égard d’un enfant, car c’est le ressort auquel les parties ont mutuellement accepté de s’assujettir ainsi que leur enfant. Il s’agira nécessairement du ressort avec lequel l’enfant a des « liens plus étroits ».
  3.                       De plus, l’objet énoncé à l’al. 19c) est contrecarré par l’approche de ma collègue. Si un parent croit qu’il peut fonder la compétence d’un tribunal dans un lieu qui lui est plus favorable malgré le défaut de consentement de l’autre parent, il y a un incitatif à le faire. L’approche fondée sur l’intention des parents y ferait obstacle en raison de son exigence de consentement mutuel des parents.
  4.                       Dans l’évaluation de l’objet énoncé à l’al. 19a) — soit de promouvoir la prise de décisions conformes à l’intérêt véritable de l’enfant — nous devons aussi examiner le contexte interne du reste de la LRDE. Le paragraphe 22(2) ne permet pas à lui seul de réaliser cet objet; cette disposition existe en parallèle avec d’autres dispositions qui contribuent toutes collectivement à l’atteinte des objectifs de la LRDE. Je vais maintenant l’expliquer.
    1.           Contexte entourant le par. 22(2) de la LRDE
    1.              Contexte interne de la LRDE
  5.                       Comme je l’ai mentionné, la partie III de la LRDE a notamment pour but de « veiller à ce que les tribunaux règlent les requêtes relatives à la responsabilité décisionnelle, au temps parental, aux contacts et à la tutelle à l’égard d’enfants en fonction de l’intérêt véritable des enfants ». À première vue, on pourrait donc penser que l’intérêt véritable de l’enfant doit être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer le lieu de la résidence habituelle au sens du par. 22(2), ainsi que du reste de la partie III. Mais ce n’est pas le cas.
  6.                       Ce n’est pas parce qu’un objet général de la partie III de la LRDE oblige les tribunaux à tenir compte de l’intérêt véritable des enfants que cela signifie que cet intérêt véritable doit être pris en considération dans chacune des décisions rendues en vertu de cette partie. Le reste du régime de la partie III de la LRDE tient déjà compte de l’intérêt véritable de l’enfant dans son ensemble. Bien que l’art. 19 prévoie que les décisions doivent être rendues « en fonction de l’intérêt véritable des enfants », cela ne veut pas dire que chaque soussection ou partie individuelle de l’analyse doit comprendre une prise en considération directe de l’intérêt véritable. L’alinéa 22(1)a) n’est qu’une partie de la réponse pour ainsi dire, et c’est une disposition qui traite de la question de savoir si un tribunal devrait assumer juridiction, et non de savoir si un enfant devrait être renvoyé dans un autre pays. D’autres dispositions peuvent jouer ce rôle.
  7.                       En particulier, l’al. 19a) de la LRDE dispose que les tribunaux devraient prendre en compte l’intérêt véritable des enfants lorsqu’ils rendent des décisions relatives à « la responsabilité décisionnelle, au temps parental, aux contacts et à la tutelle à l’égard d’enfants ». Fait important, les questions de juridiction ne font pas partie de cette liste. Ces questions — qui relèvent ultimement du fond — diffèrent sensiblement de la question de savoir si un tribunal a juridiction pour les trancher en premier lieu. Les paragraphes 22(1) et (2) répondent à une question préliminaire sur la juridiction plutôt que de prévoir l’analyse de l’intérêt véritable qui est réservé à d’autres articles.
  8.                       L’alinéa 22(1)b) permet toujours à un tribunal d’exercer sa juridiction lorsqu’un enfant n’a pas sa « résidence habituelle » en Ontario. Cette disposition requiert entre autres qu’il « existe en Ontario des preuves substantielles relativement à l’intérêt véritable de l’enfant » (sousal. 22(1)b)(ii)), et que l’enfant ait « des liens étroits et véritables avec l’Ontario » (sousal. 22(1)b)(v)). L’alinéa 22(1)b) peut donc être considéré comme une disposition de portée générale qui intègre les objectifs énoncés à l’art. 19, même lorsque la résidence habituelle n’est pas établie conformément au par. 22(2). En d’autres termes, l’al. 22(1)a) et la définition établie au par. 22(2) ne doivent pas à eux seuls remplir tous les objectifs visés. D’ailleurs, on comprend mal pourquoi la Législature mentionnerait explicitement l’intérêt véritable de l’enfant à l’al. 22(1)b) si cet intérêt était déjà pris en compte de manière implicite dans toute la partie III.
  9.                       L’existence des al. 22(1)a) et b) comme fondements de la déclaration de juridiction vient appuyer encore davantage ce point. Pourquoi importerionsnous des considérations externes à propos de l’intérêt véritable de l’enfant et des facteurs additionnels dans la définition de la « résidence habituelle » quand la Législature voulait clairement qu’ils soient pris en compte au titre de l’al. 22(1)b)? Cela entraînerait beaucoup de chevauchements et de redondance. Ces dispositions établissent des fondements distincts pour l’exercice de sa juridiction, et cette distinction doit être respectée.
  10.                       L’alinéa 22(1)a) peut être interprété comme offrant un moyen plus simple et plus rapide pour qu’un tribunal assume juridiction dans certaines circonstances, à défaut de quoi il est possible d’effectuer une analyse plus complexe en vertu de l’al. 22(1)b).
  11.                       Je relève que l’approche de ma collègue ferait double emploi avec une partie de l’analyse déjà effectuée conformément aux sousal. 22(1)b)(ii) et (v) — les exigences voulant qu’il « existe en Ontario des preuves substantielles relativement à l’intérêt véritable de l’enfant », et que l’enfant ait « des liens étroits et véritables avec l’Ontario ». Bien que son approche appelle les tribunaux à se poser la question ultime de savoir où « résidait » l’enfant (par. 48), l’analyse de cette question sera nécessairement axée sur les liens entre l’enfant et l’Ontario, ce qui fera double emploi avec l’analyse de la preuve concernant l’intérêt véritable de l’enfant et les liens de celuici avec l’Ontario. Lorsque la Législature souhaite que les tribunaux se penchent sur les liens factuels entre l’enfant et l’Ontario, elle le fait expressément. Il n’est pas nécessaire de rendre l’évaluation en vertu de l’al. 22(1)a) beaucoup plus complexe que l’alternative prévue à l’al. 22(1)b).
  12.                       De plus, nous pouvons également examiner l’art. 40 de la LRDE, lequel dispose qu’un tribunal peut ordonner qu’un enfant soit renvoyé dans un autre lieu. Je souscris à la remarque faite par la juge en chef adjointe Fairburn dans l’arrêt Zafar c. Azeem, 2024 ONCA 15, 97 R.F.L. (8th) 3, selon laquelle cette disposition confère à un tribunal [traduction] « le pouvoir discrétionnaire d’ordonner le retour d’un enfant, bien que cela ne soit pas obligatoire » (par. 52). Bien que je sois en désaccord avec sa conclusion voulant qu’il y ait lieu d’importer l’approche hybride dans les cas qui ne relèvent pas de la Convention de La Haye, je conviens que la question de savoir s’il est possible ou non de renvoyer un enfant peut être examinée en fonction de l’intérêt véritable de l’enfant (par. 9092). À la lumière de l’art. 40 et de l’al. 22(1)b), il y a amplement de latitude pour considérer l’intérêt véritable de l’enfant en dehors du par. 22(2).
  13.                       En outre, l’auteur Allan Q. Shipley recense les différentes considérations qui interviennent dans toutes ces dispositions :

 [traduction] Il existe au moins trois cas dans lesquels le tribunal peut statuer sur le sort d’un enfant qui n’a pas sa résidence habituelle en Ontario. Premièrement, l’al. 22(1)b) permet à un tribunal d’exercer sa compétence notamment lorsque l’enfant a des liens étroits et véritables avec l’Ontario, et qu’il est opportun, selon la balance des inconvénients, que la compétence soit exercée ici. Deuxièmement, en vertu de l’art. 23, un tribunal ontarien peut exercer sa compétence s’il est convaincu que l’enfant subirait un préjudice grave. Cette disposition était fondée sur l’art. 4 de la Canadian Uniform Extraprovincial Custody Orders Enforcement Act (Loi canadienne uniforme sur l’exécution des ordonnances de garde extraprovinciales), et une disposition semblable figure à l’art. 13 de la Convention de La Haye. Le test du « préjudice grave » devrait être interprété de manière stricte. Un test strict est d’autant plus important à la lumière de la Convention de La Haye et de sa norme du « risque grave ». Plus il est facile pour nos tribunaux de conclure à l’existence d’un « préjudice grave » comme moyen d’assumer juridiction à l’égard d’enfants qui se trouvent à l’extérieur de la province, plus il sera facile pour les tribunaux d’autres ressorts d’assumer juridiction à l’égard d’enfants enlevés de l’Ontario. Nous devons insister sur des normes strictes ici afin de protéger nos propres enfants ailleurs.

 Un troisième cas où un tribunal ontarien peut rendre une ordonnance concernant un enfant non résident est énoncé à l’art. 41, qui accorde au tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance provisoire. Si le tribunal n’a pas juridiction pour rendre une ordonnance de garde parce que l’enfant n’a pas sa résidence habituelle en Ontario, il doit tout de même disposer de certains pouvoirs qui lui permettent de statuer sur le sort des enfants. Sinon, le ravisseur pourrait décider de rester ici indéfiniment avec sa garde de facto. Selon l’art. 41, un tribunal a le pouvoir : (1) de rendre une ordonnance provisoire, (2) de surseoir à une requête à la condition qu’une requête soit présentée à un tribunal extraprovincial compétent, ou (3) d’ordonner le retour de l’enfant dans un ressort convenable et d’ordonner le paiement des frais de déplacement et d’autres dépenses raisonnables de l’enfant ainsi que de toute partie ou de tout témoin.

 Il s’agit d’une importante disposition en parallèle à la Convention de La Haye, dont l’art. 8 requiert du tribunal qu’il ordonne le retour d’un enfant illicitement déplacé. Cette disposition diffère toutefois au chapitre des possibilités qu’elle offre au requérant. Elle offre également au tribunal une meilleure occasion de protéger l’intérêt de l’enfant de manière provisoire. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

  Custody Law Reform in Ontario : The Children’s Law Reform Act », dans B. Landau, dir., Children’s Rights in the Practice of Family Law (1986), 153, p. 177178)

  1.                       Je reconnais les inquiétudes de ma collègue au sujet des répercussions de la violence familiale. Toutefois, je réitère que le par. 22(2) n’a pas pour but d’assurer à lui seul la protection de l’intérêt véritable d’un enfant. S’il y a une situation de violence familiale, l’art. 23 envisage expressément que, malgré les art. 22 et 41, un tribunal peut exercer sa compétence si l’enfant est en Ontario et que le tribunal « est convaincu, d’après la prépondérance des probabilités, que l’enfant subirait un préjudice grave » s’il demeurait avec la personne ayant légalement droit à la responsabilité décisionnelle, s’il était renvoyé vers une personne ayant légalement droit à la responsabilité décisionnelle, ou s’il était emmené à l’extérieur de l’Ontario. Comme l’a affirmé la juge en chef adjointe Fairburn dans l’arrêt Zafar, un risque de préjudice pour un pourvoyeur principal de soins peut constituer un risque de préjudice pour un enfant (par. 84).
  2.                       De plus, les effets de la violence familiale peuvent également être pris en compte dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du tribunal de rendre ou non une ordonnance de retour de l’enfant vers un autre ressort. Le paragraphe 22(1) n’est pas censé englober toutes les considérations à propos de la meilleure marche à suivre pour rendre une ordonnance en vertu de la partie III de la LRDE.
    1.              Contexte externe : la LRDE comparée à la Convention de La Haye
  3.                       Le Bureau de l’avocate des enfants soutient qu’il n’y a aucun motif rationnel de maintenir des interprétations contradictoires de la résidence habituelle sur la base du statut de signataire de la Convention de La Haye. Toutefois, j’estime qu’il existe un motif évident de le faire : la résidence habituelle est définie dans la LRDE pour les cas qui ne relèvent pas de la Convention de La Haye, alors qu’aucune définition n’est donnée dans celleci.
  4.                       Dans l’arrêt Balev, notre Cour a décidé que l’approche hybride était appropriée dans le contexte juridique international propre à la Convention de La Haye. La majorité dans l’arrêt Balev a conclu que l’approche hybride devrait être adoptée en raison du principe d’harmonisation et parce que cette interprétation est celle qui correspondait le mieux au texte, à la structure et à l’objet de la Convention de La Haye. Ils ont également conclu que l’approche hybride permettait le mieux d’atteindre l’objectif du prompt retour d’enfants enlevés.
  5.                       La question de l’harmonisation ne se pose pas vraiment en l’espèce. Certes, l’harmonisation serait bénéfique en ce que la norme serait uniforme tant dans les cas relevant de la Convention de La Haye que dans les cas qui n’en relèvent pas. Mais ces deux catégories de cas sont différentes : l’une traite du retour dans un pays signataire de la Convention de La Haye, et l’autre du retour dans un pays qui ne l’est pas. J’ajouterais également que, puisque toutes les provinces et tous les territoires n’ont pas adopté une définition de la « résidence habituelle » semblable à celle de la LRDE, l’approche de ma collègue n’harmoniserait pas nécessairement la règle à l’échelle du pays; elle dépendrait de la province ou du territoire.
  6.                       De toute évidence, la résidence habituelle n’est pas définie dans la Convention de La Haye, mais elle l’est dans la LRDE. Une définition expresse se trouve au par. 22(2) de la LRDE telle qu’adoptée par la Législature.
  7.                       Ma collègue reconnaît elle-même que le contexte hors Convention de La Haye est différent à de nombreux égards. Elle souligne qu’il y a plusieurs fondements pour la déclaration de juridiction en vertu de la LRDE, contrairement au contexte de la Convention de La Haye où la résidence habituelle est une condition préalable à l’application de la Convention de La Haye (par. 35). Le pouvoir discrétionnaire conféré à un tribunal par la LRDE se distingue du contexte de la Convention de La Haye, où le tribunal est tenu d’ordonner le retour d’un enfant à sa résidence habituelle à la suite d’une décision selon laquelle il y a eu déplacement illicite (par. 36). La LRDE intègre une définition expresse de la « résidence habituelle », tandis que ce terme n’est pas défini dans la Convention de La Haye (par. 38). En raison de ces différences, ma collègue convient expressément que la définition hybride de la « résidence habituelle » analysée dans l’arrêt Balev « ne s’applique pas directement à l’art. 22 » (par. 49), et que déterminer où résidait un enfant n’est pas la même chose qu’une analyse visant à déterminer quel est l’endroit où il est dans l’intérêt véritable de l’enfant de vivre (par. 48).
  8.                       Malgré cela, le test ultime adopté par ma collègue semble quasi identique à l’approche hybride de l’arrêt Balev. Dans cet arrêt, les juges majoritaires de notre Cour ont adopté l’approche hybride pour déterminer le lieu de la résidence habituelle en vertu de l’article 3 de la Convention de La Haye. L’approche hybride requiert qu’un tribunal examine toutes les considérations pertinentes qui se dégagent des faits de l’espèce afin de déterminer le lieu de la résidence habituelle d’un enfant. Aucun facteur à lui seul ne domine l’analyse. L’intention des parents peut être importante, mais il n’existe pas de règle voulant que les actes d’un parent ne peuvent modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle d’un enfant (Balev, par. 46).
  9.                       À titre de comparaison, ma collègue décrit un test qui « me[t] l’accent [. . .] sur la vie et la situation de l’enfant » (par. 62) — un test qui ne requiert ni présence physique ni permanence de la résidence. Elle précise que les tribunaux devraient examiner [traduction] « tous les liens et faits pertinents », sans formuler de critères exhaustifs (par. 68). En effet, elle cite à l’appui de cette proposition l’arrêt Zafar, dans lequel la juge en chef adjointe Fairburn a statué que l’approche hybride tirée de l’arrêt Balev s’appliquait. Elle souligne également que « [t]out comme dans Balev, l’analyse devrait porter sur les liens factuels entre l’enfant et le ressort en question, de même que sur les circonstances entourant tout déplacement vers le ressort ou en provenance de celuici » (par. 69). Il ne s’agit guère d’un « exercice [entièrement] distinct » comparativement à celui réalisé dans l’arrêt Balev (motifs des juges majoritaires, par. 74).
  10.                       Bien que ma collègue affirme ne pas importer l’approche hybride, elle semble pourtant faire exactement cela. À mon avis, il s’agit d’une manière habile de contourner le fait que l’approche hybride exposée dans Balev est manifestement contraire au texte des par. 22(2) et (3). Notre Cour a écrit dans l’arrêt Balev que, selon l’approche hybride de la Convention de La Haye, « [i]l n’existe [. . .] pas de “règle” selon laquelle les actes d’un parent ne peuvent emporter la modification unilatérale du lieu de la résidence habituelle de l’enfant », et elle a souligné spécifiquement qu’une telle règle « romp[rait] avec la tâche qui incombe au juge des faits » (par. 46). Le paragraphe 22(3) de la LRDE prévoit explicitement l’inverse en disposant que « [l]e fait d’emmener ou de retenir un enfant sans le consentement de toutes les personnes investies de la responsabilité décisionnelle à l’égard de l’enfant n’a pas pour effet de modifier la résidence habituelle de l’enfant », sous réserve de certaines exceptions.
  11.                       Le paragraphe 22(3) est totalement incompatible avec une approche hybride et, en réalité, avec l’analyse très similaire de ma collègue. En conséquence, toute tentative d’adopter une approche hybride va clairement à l’encontre de l’intention de la Législature.
    1.           Conclusion sur l’interprétation statutaire
  12.                       En somme, les points principaux qui émergent de l’examen du texte, du contexte et de l’objet de l’art. 22 de la LRDE sont les suivants : le texte des par. 22(2) et (3) vise clairement l’intention des parents, et la résidence habituelle doit consister en plus qu’une simple présence physique à un endroit particulier, compte tenu du texte de l’al. 22(1)b).
  13.                       L’objet du par. 22(2) est d’établir la juridiction d’un tribunal au sein d’un cadre d’analyse formé d’autres dispositions qui favorisent collectivement l’intérêt véritable des enfants et préviennent leur enlèvement. L’approche fondée sur l’intention des parents permet le mieux de réaliser ces objectifs en empêchant que la résidence habituelle d’un enfant soit déterminée là où celuici est emmené par un parent sans le consentement ou l’acquiescement de l’autre parent.
  14.                       L’approche hybride adoptée dans le contexte de la Convention de La Haye ne saurait être transposée au par. 22(2). La résidence habituelle est définie dans la LRDE, mais non dans la Convention de La Haye. En outre, ni l’approche hybride tirée de l’arrêt Balev, ni celle de ma collègue, ne contiennent de règle selon laquelle les actes d’un parent ne peuvent modifier unilatéralement le lieu de la résidence habituelle d’un enfant. Cette possibilité est expressément écartée par le par. 22(3).
  15.                       La seule approche appropriée qui respecte le libellé de la loi est celle fondée sur l’intention des parents. Bien que je reconnaisse que la juge en chef adjointe Fairburn ait récemment conclu de façon différente dans l’arrêt Zafar, je me permets respectueusement de souligner qu’elle l’a fait uniquement parce que, selon elle, rien ne s’opposait à l’application de l’approche hybride dans un contexte hors de la Convention de La Haye — une prémisse que je rejette fermement cidessus.
  16.                       Avant d’appliquer l’approche fondée sur l’intention des parents en l’espèce, je tiens à traiter d’un autre point soulevé par ma collègue. Elle précise que la détermination du lieu où résidait l’enfant « est un exercice factuel et contextuel, mais ce n’en est pas un qui est complexe et coûteux, et il faut empêcher qu’il le devienne » (par. 76). Elle rejette l’approche fondée sur l’intention des parents, notamment au motif que cette analyse ouvre la voie à la production d’une preuve détaillée et contradictoire sur l’intention des parties (par. 58), par opposition à la « question simple de savoir où résidait l’enfant » (par. 77).
  17.                       Je ne vois pas comment le lieu où réside un enfant pourrait être une question simple alors que cette approche permet de prendre en compte tous les liens et faits pertinents. Plutôt que de concentrer la preuve sur la seule intention, l’approche de ma collègue incitera les parents à présenter tous les éléments de preuve relatifs au lien qu’a l’enfant avec un ressort en particulier, en plus de renseignements sur les intentions des parties. Une telle approche globale incitera naturellement à « la production d’un volume indu de preuves documentaires » (motifs des juges majoritaires, par. 75).
    1.             La juge des motions a fait erreur en ne concluant pas que les tribunaux ontariens avaient juridiction à l’égard de M
  18.                       Les conclusions de fait de la juge des motions pertinentes en lien avec la question de la résidence habituelle sont exposées au par. 76 de ses motifs :

 [traduction] [Monsieur Dunmore] a souvent changé d’emploi. Ces changements les obligeaient souvent à déménager. Une fois M né, ce style de vie est devenu plus pénible pour [Mme Mehralian]. Leur relation, toujours volatile, est devenue encore plus tendue. [Monsieur Dunmore] préférait en général vivre au MoyenOrient s’il avait du travail làbas, dans l’un des nombreux pays de cette région. Après avoir emmené leur enfant d’un mois à Oman et avoir éprouvé des difficultés au cours de la transition ainsi que le sentiment que c’était très difficile pour M, [Mme Mehralian] ne souhaitait plus poursuivre leur vie d’itinérance. Elle était disposée à rester à Oman et a proposé que [M. Dunmore] signe le contrat de travail de son employeur. S’ils étaient demeurés à Oman, elle aurait fort bien pu accepter de faire le déménagement sur une courte distance entre là et Dubaï. Cependant, lorsque [M. Dunmore] a choisi de ne pas signer le contrat avec le cabinet omanais en mars 2021 et affirmé qu’il préférait être au Canada, le couple a décidé de déménager au Canada. [Monsieur Dunmore] est délibérément entré en contact avec un cabinet torontois pour y trouver un emploi. Les parties ont pris des dispositions pour emménager dans cette ville. Elles s’y sont rendues par avion au moyen de billets aller simple. Elles ont loué un appartement et songé à emménager dans un condominium que [M. Dunmore] avait acheté auparavant, selon le moment où prendrait fin la location et celui où la construction du condominium serait achevée. Elles ont acheté des meubles. Elles sont restées en quarantaine dans leur appartement. Elles ont songé à y déménager leurs chats. [Monsieur Dunmore] a obtenu une carte d’assurancemaladie de l’Ontario. La durée potentielle de l’emploi de [M. Dunmore] au sein du cabinet Margie Strub ne ressort pas du tout clairement du contrat. Il n’y avait aucune raison d’y mettre fin le jour où [M. Dunmore] a démissionné. Elles ont vécu ensemble comme une famille dans l’appartement qu’elles avaient loué sur l’avenue Eglinton à Toronto. Même si [M. Dunmore] préférait vivre au MoyenOrient, il comprenait qu’à titre de pourvoyeur de la famille, il devait se rendre là où il y avait du travail. Le Canada avait représenté pour lui une solution de rechange aussi récemment qu’en décembre 2020. Il avait postulé à des emplois au Canada en 2017, et encore, en 2020. Il a librement postulé à un emploi au Canada après avoir décidé qu’il ne voulait pas signer le contrat omanais comportant la clause de nonconcurrence, disant qu’il « préférait être au Canada » au lieu de signer le contrat contenant la clause qu’il jugeait inadmissible. La volonté de [M. Dunmore] de retourner au MoyenOrient pour travailler à Dubaï ne modifie en rien ces faits.

  1.                       Le lieu de la résidence habituelle d’un enfant est une question mixte de fait et de droit. Les conclusions de la juge des motions ne peuvent donc être modifiées en appel, sauf si M. Dunmore peut identifier une erreur de droit isolable ou une erreur manifeste et déterminante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 26 et 29).
  2.                       Selon moi, la juge des motions a commis une erreur de droit isolable en décidant que M avait sa résidence habituelle en Ontario. Il en est ainsi parce qu’elle croyait que conclure à une intention bien établie de résider à un endroit en particulier n’était pas « exig[é] » en vue de déterminer le lieu de la résidence habituelle d’un enfant (par. 44). En conséquence, elle n’a pas abordé les faits sous le bon angle. Notre Cour n’est donc tenue à aucune déférence à l’égard de sa conclusion voulant que M avait sa résidence habituelle en Ontario à l’introduction de la requête. Je procèderai donc à une nouvelle analyse du lieu de la résidence habituelle, et ce, en appliquant l’approche fondée sur l’intention bien établie des parents.
    1.           En application du par. 22(2), M avait sa résidence habituelle à Oman, non en Ontario
  3.                       À mon avis, le dernier lieu où il y avait une intention commune des parents de résider était à Oman, non en Ontario.
  4.                       M est né en Ontario en décembre 2020. Les parties sont retournées à Oman 24 jours après la naissance de M et y ont résidé jusqu’au 4 avril 2021. À l’introduction de la requête, elles avaient passé un total de 71 jours à Oman et 99 jours en Ontario.
  5.                       Au moment de la séparation, M avait à peine passé plus de temps en Ontario qu’à Oman. Une période de moins d’un mois ne fait guère de différence et ne saurait être déterminante. Étant donné son jeune âge, cela n’est pas suffisant pour démontrer que sa résidence habituelle était en Ontario. Cet enfant avait cinq mois et avait passé presque la moitié de sa vie dans un autre pays. La question de savoir si M était demeuré en Ontario « pendant une longue période » ne serait pertinente que s’il avait déjà été établi qu’il résidait avec une personne autre au sens de la disp. 22(2) 3, mais pas autrement. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
  6.                       Également, le dossier ne contient pas suffisamment d’éléments pour suggérer que le séjour en Ontario devait dépasser le cadre d’un séjour temporaire. En général, la preuve démontre clairement que les parties déménageaient très souvent. Monsieur Dunmore était le pourvoyeur, et la famille a souvent déménagé pour favoriser sa carrière. Cette situation était bénéfique pour la famille.
  7.                       Séjourner dans un ressort en particulier pendant un certain temps ne signifie pas en soi que les parties avaient l’intention commune d’y résider plutôt que le visiter temporairement. Monsieur Dunmore a continué à chercher du travail au MoyenOrient tout en demeurant à Toronto. Il a accepté une offre de se joindre à nouveau à son ancien cabinet d’avocats à Dubaï à la fin d’avril 2021. Il a signé un contrat émanant du cabinet de Dubaï le 25 avril 2021, et l’a retourné deux jours plus tard. Son travail devait commencer le 1er juin 2021. Cela démontre clairement que son travail en Ontario était temporaire. L’approche de ma collègue reconnaît que le concept de résidence exclut les situations intrinsèquement passagères comme les vacances « appréciées à la lumière du contexte global de chaque affaire » (par. 65). En effet, le fait que les parties sont allées à Toronto pendant que M. Dunmore continuait à chercher du travail au MoyenOrient — où elles résidaient véritablement — fournit un élément contextuel important à l’analyse.
  8.                       Le contrat de travail de M. Dunmore avec le cabinet Margie Strub en Ontario était ouvert. Il devait prendre fin le 31 août 2022. Bien que la juge des motions ait affirmé qu’il n’y avait « aucune raison d’y mettre fin le jour où [M. Dunmore] a démissionné », il n’y avait également aucune exigence qu’il reste pendant une période spécifique. On ne saurait tirer du fait que le contrat pouvait être reconduit l’inférence qu’il serait reconduit ou que telle était l’intention des parties. Nous savons uniquement qu’il s’agissait d’un contrat temporaire à durée fixe.
  9.                       De plus, le fait que les parties aient loué un appartement à Toronto n’a aucune importance. Elles s’y trouvaient temporairement, et M. Dunmore cherchait activement un emploi au MoyenOrient. Elles avaient besoin d’un endroit où vivre pendant leur séjour en Ontario. Les chats des parties ne vivaient pas avec elles. La décision de la juge des motions indique que le couple a « songé à y déménager leurs chats » (par. 76). Comme je l’ai mentionné, l’analyse doit porter sur plus que la question de savoir si l’enfant vit dans un lieu en particulier ou est « physiquement présent » en Ontario, l’exigence énoncée au sousal. 22(1)b)(i).
  10.                       Dans l’ensemble, le fait que les parties aient vécu en Ontario pendant un certain temps ne signifie pas qu’elles avaient l’intention bien établie d’y vivre en permanence. La dernière fois qu’elles ont eu l’intention bien établie de rester à un endroit, c’était lorsqu’elles vivaient à Oman, avant de se rendre à Toronto le 4 avril 2021. Monsieur Dunmore cherchait activement un emploi au MoyenOrient pendant son séjour temporaire à Toronto, et devait reprendre le travail làbas le 1er juin 2021.
    1.           Subsidiairement, les exigences énoncées à l’al. 22(1)b) ne sont pas réunies en l’espèce
  11.                       L’alinéa 22(1)b) fournit un fondement subsidiaire permettant à un tribunal d’exercer sa juridiction au cas où le lieu de la résidence habituelle d’un enfant n’est pas en Ontario. Toutes les exigences énoncées aux al. 22(1)b)(i) à (vi) doivent être réunies pour que le tribunal assume juridiction. Deux de ces exigences ne sont pas réunies en l’espèce.
    1.              L’exigence énoncée au sousal. 22(1)b)(iii) n’est pas respectée
  12.                       Le sousalinéa 22(1)b)(iii) exige qu’« aucune requête visant la responsabilité décisionnelle, le temps parental ou les contacts à l’égard de l’enfant [ne soit] en cours devant un tribunal extraprovincial situé dans le lieu où l’enfant a sa résidence habituelle ». Comme j’ai conclu précédemment que la résidence habituelle de M était à Oman, cette exigence ne sera pas rencontrée si une telle requête était pendante à Oman au moment où l’instance à la Cour supérieure a été introduite.
  13.                       D’abord et avant tout, je conviens que la période pertinente pour évaluer si une action extraterritoriale est « pendante » est celle au cours de laquelle la requête du demandeur est présentée au tribunal ontarien, et non celle des plaidoiries ou du jugement (voir, p. ex., Ojeikere c. Ojeikere, 2018 ONCA 372, 140 O.R. (3d) 561, par. 31; E. (H.) c. M. (M.), 2015 ONCA 813, 393 D.L.R. (4th) 267, par. 110; Nichols c. Nichols, 1995 CanLII 6241 (C.J. Ont. (Div. prov.)), par. 12; Aldush c. Alani, 2022 ONSC 1536, 74 R.F.L. (8th) 113, par. 91).
  14.                       L’appelant a introduit une instance à la Cour de justice de l’Ontario le 2 juin 2021. Il a demandé à cette cour d’ordonner que M soit confié à ses soins ou, subsidiairement, d’ordonner que M réside avec chaque parent de façon égale. Le juge Weagant de la Cour provinciale, à la Cour de justice de l’Ontario, a rendu une décision le 11 juin 2021. Selon lui, bien que la requête de l’appelant déposée dans le cadre de la motion urgente suggérait que les tribunaux ontariens n’avaient pas juridiction, il estimait que ces tribunaux avaient bel et bien juridiction. Le 16 juin 2021, l’appelant a informé l’intimée qu’il retirerait ses réclamations à la Cour de justice de l’Ontario et qu’il continuerait de s’opposer à ce que l’Ontario soit reconnu comme étant la juridiction compétente. La juge des motions a conclu que l’appelant avait introduit une instance à Oman pour demander le divorce et la garde de M le 17 juin 2021, soit un jour avant que l’intimée n’introduise sa requête à la Cour supérieure (par. 1011).
  15.                       La juge des motions a commis une erreur de droit en concluant, sur la base du moment où les procédures ont été engagées en Ontario et du fait que l’instance à Oman était terminée au moment de sa décision, que l’exigence énoncée au sousal. 22(1)b)(iii) était respectée (par. 82).
  16.                       En premier lieu, comme je l’ai expliqué précédemment, l’état de l’instance au moment où la décision de la juge des motions est rendue n’est pas ce qui doit être pris en compte pour déterminer si l’exigence énoncée au sousal. 22(1)b)(iii) est respectée. Il importe peu que l’instance n’était plus « pendante » au moment où la décision de la juge des motions a été rendue. L’instance à Oman était pendante lorsque l’intimée a introduit sa requête en Ontario, la seule période pertinente que la juge des motions aurait dû prendre en considération.
  17.                       En outre, le fait que l’appelant ait initialement introduit une instance devant la Cour de justice de l’Ontario est sans pertinence, et la juge des motions a commis une erreur en s’y fondant. L’appelant a retiré l’instance à la Cour de justice de l’Ontario sur consentement et contesté la juridiction dans cette procédure et dans l’instance à la Cour supérieure. On ne peut lui en faire reproche. Il y avait donc une instance pendante à Oman, un pays dont M était un résident habituel, au moment où l’instance en Cour supérieure a été introduite.
    1.              L’exigence énoncée au sousal. 22(1)b)(vi) n’est pas respectée
  18.                       De plus, la dernière exigence de l’al. 22(1)b) n’est également pas respectée. Le sousalinéa 22(1)b)(vi) exige qu’un tribunal conclue que, « selon la prépondérance des inconvénients, il est approprié que la compétence soit exercée en Ontario ».
  19.                       Les alinéas 19b), c) et d) de la LRDE indiquent que trois des objectifs de la partie III de la LRDE sont (1) de veiller à ce que les tribunaux ontariens s’abstiennent d’exercer leur compétence ou refusent de le faire s’il est plus approprié que la question soit réglée par un tribunal compétent qui se trouve dans un lieu où l’enfant a des liens plus étroits; (2) de décourager l’enlèvement d’enfants; et (3) de prévoir la reconnaissance et l’exécution des ordonnances rendues à l’extérieur de l’Ontario qui accordent la responsabilité décisionnelle, le temps parental ou les contacts à l’égard d’un enfant. Ces trois objectifs appuient l’opinion suivant laquelle le dernier critère n’est pas respecté.
  20.                       La juge des motions s’est fondée sur la décision Solem c. Solem, 2013 ONSC 1097, dans laquelle la Cour supérieure a affirmé que [traduction] « [l]orsque la preuve indépendante la plus utile au tribunal se trouve dans un autre ressort, la prépondérance des inconvénients milite en faveur de ce ressort » (par. 64). Avec égards, il m’est difficile de conclure que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’exercice de la compétence en Ontario, alors que cette province n’est pas le lieu où l’enfant a sa résidence habituelle et que l’intimée a également acquiescé sans réserve à la compétence d’un tribunal étranger dans une instance relative à la garde. Cela irait à l’encontre des objectifs énoncés cidessus de veiller à ce que les tribunaux ontariens s’abstiennent d’exercer leur compétence s’il est plus approprié que la question soit réglée dans un lieu où l’enfant a des liens plus étroits, et de prévoir la reconnaissance et l’exécution des ordonnances rendues à l’extérieur de l’Ontario qui accordent une responsabilité décisionnelle.
  21.                       Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où la résidence habituelle est établie à la fois en Ontario et dans un autre ressort. La résidence habituelle de l’enfant était à Oman. Au moment où l’instance a été introduite, l’enfant avait passé à peine plus de temps en Ontario qu’à Oman. L’intimée a ellemême acquiescé à la compétence des tribunaux omanais et a en fait réussi à obtenir la garde de M dans ces instances.
  22.                       Je conclus donc, à titre subsidiaire, que les exigences de l’al. 22(1)b) ne sont pas non plus satisfaites.
  1.          Conclusion
  1.                       Pour les motifs susmentionnés, l’approche fondée sur l’intention des parents doit jouer un rôle central dans la détermination de la résidence habituelle en vertu du par. 22(2) de la LRDE. Lorsque cette approche est appliquée à la preuve devant les juridictions inférieures, le résultat qui en découle naturellement est que la résidence habituelle de M se trouvait à Oman, et non en Ontario.
  2.                       J’aurais donc accueilli le pourvoi et renvoyé la présente affaire à la juge des motions pour qu’elle statue sur la question du retour de M à Oman, en vertu de l’art. 40 de la LRDE.

 Pourvoi rejeté avec dépens, la juge Côté est dissidente.

 Procureurs de l’appelant : MacDonald & Partners, Toronto.

 Procureurs de l’intimée : Anthony Macri, Toronto; Sam Misheal, Burlington; Carpenter Family Law, Oakville.

 Procureurs de l’intervenante Barbra Schlifer Commemorative Clinic : Barbra Schlifer Commemorative Clinic, Toronto; Archana Medhekar Professional Corporation, Toronto.

 Procureur de l’intervenant le Bureau de l’avocate des enfants : Bureau de l’avocate des enfants, Toronto.

 Procureurs des intervenants Defence for Children International – Canada et Centre for Refugee Children : Jamal Family Law Professional Corporation, Oakville.

 Procureurs des intervenantes South Asian Legal Clinic of Ontario, South Asian Legal Clinic of British Columbia et South Asian Bar Association : Chugh Law Professional Corporation, Cornwall; Carson Chousky Lein, Toronto.

AVIS :
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