Institution royale pour l'avancement des sciences (Université McGill) c. Ministre de l'Enseignement supérieur | 2025 QCCS 1289 |
COUR SUPÉRIEURE |
« Chambre civile » |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
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N°: | 500-17-128942-243 500-17-128952-242 |
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DATE : | 24 avril 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | ÉRIC DUFOUR, J.C.S. |
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Dossier 500-17-128942-243 |
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L’INSTITUTION ROYALE POUR L’AVANCEMENT DES SCIENCES (UNIVERSITÉ McGILL) |
Demanderesse |
c. |
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MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
Défendeurs |
et |
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UNIVERSITÉ CONCORDIA |
et |
LUCAS MELDRUM |
Intervenants |
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Dossier 500-17-128952-242 |
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UNIVERSITÉ CONCORDIA |
et |
LUCAS MELDRUM |
Demandeurs |
c. |
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MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
Défendeurs |
______________________________________________________________________ | | JUGEMENT SUR POURVOIS EN CONTRÔLE JUDICIAIRE EN CONTESTATION DE MODIFICATIONS AUX RÈGLES BUDGÉTAIRES RELATIVES AUX DROITS DE SCOLARITÉ EXIGIBLES ET À L’ACQUISITION DE COMPÉTENCES EN FRANÇAIS DE CERTAINS ÉTUDIANTS DES UNIVERSITÉS ANGLOPHONES QUÉBÉCOISES
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SURVOL
- L’Institution royale pour l’avancement des sciences (McGill ou Université McGill) conteste, par pourvoi en contrôle judiciaire, la validité de modifications qu’apporte en janvier 2024 la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (Ministre)[1] aux Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2023-2024[2] (Règles budgétaires). McGill attaque plus particulièrement les hausses des montants forfaitaires que provoquent ces modifications et que doivent maintenant payer ses étudiants internationaux (Internationaux) et ses étudiants canadiens non‑résidents du Québec (CNRQ) inscrits dans des programmes de langue anglaise.
- McGill conteste également une modification survenue en juin 2024 concernant l’acquisition de compétences en français des étudiants provenant de l’extérieur du Québec (Règle d’acquisition de compétences en français)[3].
- Ces modifications aux Règles budgétaires s’avèrent discriminatoires, selon McGill.
- Dans un autre pourvoi, l’Université Concordia (Concordia ou Université Concordia) et Lucas Meldrum (Meldrum), un de ses étudiants inscrit au baccalauréat en informatique, emboitent le pas. Ils appuient les arguments principaux de McGill portant sur la discrimination, mais en développent qui leur sont propres axés sur l’absence de prise en considération des valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés[4] par la Ministre lors de la confection des Règles contestées.
- Usant de ses pouvoirs de gestion, le Tribunal a joint les deux instances pour fins d’instruction et de jugement, suivant l’article 210 C.p.c. Cela dit, les questions que soulèvent les parties demanderesses dans leurs pourvois, quoique similaires, reposent sur des moyens indépendants, que voici.
- Les arguments de l’Université McGill
- L’Université McGill plaide que les modifications aux Règles budgétaires s’avèrent contraires au droit à l’égalité protégé par l’article 15 de la Charte canadienne alors qu’elles discriminent les étudiants Internationaux et CNRQ anglophones inscrits dans un programme de langue anglaise sur la base d’un motif analogue, à savoir la langue. Elle ajoute que la décision de la Ministre se fonde sur des motifs dont certains sont erronés et d’autres qu’elle n’étaye d’aucune preuve. Selon elle, les modifications aux Règles budgétaires affectent directement et de manière non négligeable ces étudiants en haussant de manière considérable les droits de scolarité qu’ils doivent payer alors qu’ils sont inscrits dans un programme anglophone pour chaque crédit universitaire, et ce, uniquement en raison de leur langue. McGill souligne que la Ministre s’appuie d’ailleurs précisément sur les périls que court la langue française, particulièrement au centre-ville de Montréal, dans la conception des modifications attaquées qu’elle estime constituer un outil dans la mission gouvernementale de protection de la langue.
- Selon McGill, la hausse des droits de scolarité porterait aussi atteinte à la réputation dont elle jouit aux niveaux national et international ainsi qu’à sa liberté académique. McGill réfère à son droit à la réputation dans le cadre de l’analyse suivant l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne[5]. Quant à sa liberté académique, elle en discute afin d’attaquer la validité de la Règle d’acquisition de compétences en français, dont elle avance qu’elle interfère avec cette autonomie quant aux matières à enseigner.
- McGill plaide aussi d’autres moyens constitutionnels. Ainsi, les modifications aux Règles budgétaires constitueraient des mesures tarifaires contraires au libre commerce interprovincial que prévoit l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867[6]. Elles constitueraient enfin une taxe indirecte par le Québec, ce que prohibe la Constitution.
- Les arguments de l’Université Concordia et Meldrum
- De leur côté, l’Université Concordia et Meldrum avancent que la Ministre omet de tenir compte des valeurs que sous-tendent les articles 15 et 23 de la Charte canadienne dans l’élaboration de sa décision. Son omission de le faire rend cette décision invalide sur simple constat de cette lacune, aucune retenue judiciaire n’étant alors de mise.
- Sur le fond, les modifications aux Règles budgétaires seraient issues d’une décision déraisonnable de la Ministre. Les motifs sur lesquelles elles reposent ne trouvent pas appui dans la preuve et contrecarrent même les objectifs législatifs que confie le législateur à la Ministre à l’article 5 de la Loi sur le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie[7] (LMES).
- Jaugeant la validité des modifications aux Règles budgétaires, le Tribunal devrait adopter le schéma d’analyse que prévoient les arrêts Doré c. Barreau du Québec[8] et Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation)[9].
- Les arguments du Procureur général du Québec
- Le Procureur général du Québec (PGQ), qui plaide aux droits de la Ministre, réfute chacune des prétentions des parties demanderesses. Selon lui, les Règles budgétaires ne constituent ni des mesures législatives ni des normes de type règlementaire, mais plutôt de simples directives, comme l’a décidé la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Ruel c. Québec (Éducation)[10]. Elles participeraient d’un large pouvoir étatique hautement discrétionnaire à l’égard duquel le Tribunal ne saurait intervenir.
- Subsidiairement, la décision de modifier les Règles budgétaires et les modifications elles-mêmes s’avèreraient raisonnables, tenant compte des contraintes factuelles et juridiques en présence. Selon le PGQ, la Ministre pouvait notamment tenir compte de la protection de la langue française pour établir de nouvelles règles de distribution des deniers publics à l’ensemble des universités du Québec.
- Le cadre analytique qu’indique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doré[11] ne conviendrait pas à l’analyse de la validité de modifications aux Règles budgétaires en cause. Selon lui, la justification des Règles attaquées passerait par le test de l’arrêt Oakes[12].
- Pour le PGQ, McGill ne peut invoquer l’article 15 de la Charte canadienne, d’autant moins que la langue ne constituerait pas un motif analogue à ceux énumérés à cet article. Quant à l’article 10 de la Charte québécoise, il ne trouverait aucune application du fait que l’article 4, auquel réfère McGill dans l’application du test de l’article 10, est habituellement invoqué dans le cadre d’un recours en diffamation et non comme disposition pouvant être invoquée dans un contexte de discrimination afin d’attaquer une décision de l’Administration.
- Les autres moyens que soulève McGill, à savoir l’entrave au commerce interprovincial et l’atteinte à sa charte et l’intrusion dans sa liberté académique, ne seraient pas fondés.
- Enfin, le PGQ ne répond pas à l’argument relatif à la taxation indirecte, qu’il estime abandonné par McGill.
- Les conclusions du Tribunal
- Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclura que les pourvois réussissent en partie.
S’agissant des arguments de droit administratif
- Les Règles budgétaires se qualifient de directives et il n’y a à cet égard aucune raison de s’écarter de l’arrêt Ruel[13], qui lie le Tribunal.
- La norme présumée de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la légalité de la décision de la Ministre et des Règles contestées elles-mêmes. Or, cette décision ainsi que les Règles contestées s’avèrent en partie déraisonnables, au sens des arrêts Vavilov[14], Transalta[15] et Auer[16], puisque :
- Les Règles contestées proviennent d’une volonté gouvernementale ouvertement déclarée de réduire le bassin des étudiants anglophones provenant de l’extérieur du Québec. La Ministre dit fonder sa décision sur trois motifs : rééquilibrer les finances des universités québécoises dans leur ensemble, s’assurer d’un taux de rétention des étudiants hors Québec qui fréquentent une université anglophone dans un programme anglophone et s’assurer de leur intégration à la société québécoise par l’apprentissage de la langue française;
- Le rééquilibrage des finances des universités constitue un motif pertinent en ce qui concerne les étudiants Internationaux. Cette décision de la Ministre se situe au cœur de politiques budgétaires gouvernementales et les universités ne convainquent pas du bien-fondé de leurs prétentions à cet égard. Les modifications qu’apportent les Règles budgétaires 3.5 et 3.6 s’avèrent donc raisonnables à l’égard des étudiants Internationaux.
- Toutefois, en ce qui concerne le taux de rétention des étudiants provenant de l’extérieur du Québec et leur capacité à s’intégrer à la société québécoise, qui concernent tant les étudiants Internationaux que les CNRQ, la preuve démontre que la Ministre ne disposait d’aucune donnée à ce sujet, sinon d’informations fragiles. La modification qu’apporte la Règle budgétaire 3.4 devient ainsi déraisonnable;
- La cible de 80 % prévue par la Règle 2.5.2 de la Règle d’acquisition de compétences en français, pour sa part, s’avère tout autant déraisonnable en raison de son impossibilité quasi certaine de l’atteindre. En outre, les conséquences du défaut de respecter cette règle, qui peuvent aller jusqu’au retrait total des subventions, même rétroactivement, demeurent floues;
- Enfin, suivant la LMES, la Ministre doit consulter le Comité consultatif sur l’aide financière aux études (CCAFÉ). En l’occurrence, elle devait mener cette consultation valablement et se montrer ouverte aux suggestions du CCAFÉ, ce qui n’a pas été le cas. Ce devoir ne s’étend cependant pas à la consultation des universités elles-mêmes;
- Vu ce qui précède, la Ministre rend des décisions qui vont à l’encontre de sa mission législative en ce qui concerne la modification aux Règles budgétaires concernant les étudiants CNRQ et la Règle d’acquisition de compétences en français.
- La retenue judiciaire en matière d’administration de fonds publics ne va pas, en l’occurrence, jusqu’à immuniser l’État des conséquences juridiques de mesures déraisonnables puisque non justifiées par des données probantes et existantes ou contraires à la mission ministérielle prévue à la loi (Roncarelli c. Duplessis[17]). Ici, les bases factuelles erronées, absentes ou contraires à la mission législative de la Ministre rendent en partie illégales sa décision et les Règles budgétaires attaquées en ce que, tenant compte des contraintes factuelles et juridiques qui s’imposaient, elles dépassent les limites de la raisonnabilité.
S’agissant des arguments de droit constitutionnel
- Les pourvois pouvant se résoudre en grande partie sous l’angle du droit administratif, il s’avère inutile de traiter des arguments constitutionnels, suivant l’arrêt Baker[18]. Les écueils factuels que présentent les instances, notamment l’absence de preuve d’une atteinte personnalisée à un étudiant International de son droit à l’égalité, renforcent cette retenue judiciaire.
Les conclusions appropriées
- Le Tribunal accueillera en partie les pourvois et déclarera invalides les Règles attaquées, sauf les Règles budgétaires 3.5 et 3.6 qui concernent les étudiants Internationaux. Toutefois, comme les Règles budgétaires constituent un ensemble indissociable, et afin d’éviter toute impasse dans leurs applications linéaire et cohérente, le Tribunal suspendra l’exécution des conclusions du présent jugement jusqu’à ce que la Ministre les modifie à nouveau de manière à se conformer aux présents motifs. Dans l’intervalle, les Règles budgétaires actuelles demeureront donc applicables.
- En revanche, la cible prévue par la Règle d’acquisition de compétences en français cessera d’avoir effet immédiatement.
ANALYSE
LE CADRE LÉGISLATIF GÉNÉRAL
- La Ministre peut accorder annuellement aux universités du Québec, aux conditions qu’elle croit devoir fixer, une aide financière prélevée sur les sommes mises à sa disposition à cette fin par le gouvernement. Elle s’y prend au moyen de règles budgétaires qu’elle adopte dans le cadre d’une politique de financement. La Ministre puise son pouvoir à la LMES, plus particulièrement à l’article 5.
- Voici l’environnement législatif que prévoit la LMES dans lequel agit la ministre :
1.- Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie est dirigé par le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie nommé en vertu de la Loi sur l’exécutif (chapitre E-18).
2.- Le ministre a pour mission de soutenir le développement et promouvoir la qualité de l’enseignement collégial et de l’enseignement universitaire afin de favoriser l’accès aux formes les plus élevées du savoir et de la culture, notamment par le développement des connaissances et des compétences, à toute personne qui en a la volonté et l’aptitude.
Il a également pour mission de contribuer à l’essor de la recherche, notamment fondamentale et appliquée, de la science, de l’innovation et de la technologie, entre autres dans les milieux académiques, industriels et sociaux, dans une perspective de développement durable en favorisant particulièrement l’accès au savoir, le développement économique, le progrès social et le respect de l’environnement. Pour ce faire, il favorise la synergie des actions des différents acteurs concernés.
3.- Le ministre élabore et propose au gouvernement des orientations et des politiques relatives aux domaines de sa compétence.
Il coordonne la mise en œuvre de ces orientations et politiques et en assure le suivi.
4.- Les fonctions du ministre consistent plus particulièrement à:
1° faire la promotion de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la science, de l’innovation et de la technologie et favoriser, dans ces domaines, la concertation entre les différents acteurs, la cohérence de l’action gouvernementale et le rayonnement du Québec au Canada et à l’étranger;
2° contribuer au développement et au soutien de ces domaines, ainsi qu’à l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la population québécoise;
3° favoriser le développement des établissements d’enseignement supérieur et veiller à la qualité des services dispensés, en lien avec sa mission, par ces établissements;
4° favoriser la probité, la valorisation et la qualité des activités de recherche;
5° contribuer à l’efficacité des initiatives gouvernementales visant le développement économique par des mesures relatives à la recherche, la science, l’innovation ou la technologie;
6° mener des actions concertées avec le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport afin de favoriser la continuité, le développement et l’intégration des parcours éducatifs;
7° assumer la gestion de l’ensemble des programmes d’aide financière institués par la Loi sur l’aide financière aux études (chapitre A-13.3);
8° participer, avec les ministres concernés et dans le cadre de la politique en matière d’affaires intergouvernementales canadiennes et de celle en matière d’affaires internationales, à l’élaboration et à la réalisation de programmes de coopération avec l’extérieur dans les secteurs où les échanges favorisent le développement des domaines de sa compétence;
9° conseiller le gouvernement, les ministères et les organismes et, le cas échéant, leur faire des recommandations.
Le ministre assume, en outre, toute autre responsabilité que lui confie le gouvernement.
5.- Pour la réalisation de sa mission, le ministre peut notamment:
1° accorder, aux conditions qu’il fixe, une aide financière sur les sommes mises à sa disposition à cette fin;
2° obtenir les renseignements nécessaires des ministères et de tout organisme public visé par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) ou de tout organisme privé;
3° conclure, conformément à la loi, des ententes avec un gouvernement autre que celui du Québec ou l’un de ses ministères ou organismes, ou avec une organisation internationale ou l’un de ses organismes;
4° réaliser ou faire réaliser des recherches, études et analyses;
5° fournir à toute personne, groupe ou organisme les services qu’il juge nécessaire.
- Le gouvernement doit approuver les modalités de financement, conformément à la Loi sur l’administration publique[19]. Les pourvois ne nécessitent aucune analyse approfondie de la mécanique prévue à cette loi.
LE CADRE FACTUEL À L’ORIGINE DES POURVOIS
- Le 24 janvier 2024, la Ministre modifie les Règles budgétaires. Ces modifications visent les étudiants CNRQ et Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel. Elles entrainent depuis l’automne 2024 la hausse des montants forfaitaires minimalement exigibles de ces étudiants CNRQ et la réglementation de tous les étudiants Internationaux. Les parties demanderesses recherchent plus particulièrement à obtenir l’annulation des règles 3.4, 3.5 et 3.6 des Règles budgétaires telles que modifiées.
- Les modifications affectent directement le financement des universités désignées anglophones[20], sauf l’Université Bishop’s pour les motifs relatés plus loin.
- Exposées succinctement, les modifications amènent une redistribution des sommes d’argent que le gouvernement du Québec alloue à l’ensemble des universités québécoises par la détermination d’un nouveau partage des enveloppes monétaires disponibles.
- Le financement des universités québécoises
- Depuis plusieurs décennies déjà les universités du Québec, c’est-à-dire l’Université Laval, l’Université McGill, l’Université de Montréal, l’Université de Sherbrooke, l’Université Concordia, l’Université Bishop’s, l’École des hautes études commerciales (HEC), l’école Polytechnique de Montréal (Polytechnique Montréal) et l’Université du Québec[21] dépendent du financement étatique. On peut dire que, si les universités se consacrent à leurs missions liées à l’enseignement et la recherche, c’est grâce à l’État qui pourvoit substantiellement à leurs budgets.
- Il existe plusieurs types de subventions, ce que le Tribunal a déjà exposé dans le cadre du jugement rejetant la demande de sursis de Concordia et Meldrum[22]. Revoyons-les.
- Largement dépendantes du financement étatique, les universités se voient attribuer, par l’intermédiaire du ministère de l’Enseignement supérieur, une subvention de fonctionnement, composée d’une subvention générale pour les coûts récurrents et de subventions spécifiques qui visent à répondre à leurs besoins particuliers. À titre d’illustration, pour l’année universitaire 2023-2024, l’appui au recrutement d’étudiants Internationaux et l’allocation aux universités francophones pour les étudiants Internationaux déréglementés font partie des subventions spécifiques[23].
- La subvention générale se constitue entre autres de trois subventions normées, qui requièrent aussi des précisions en raison du lien avec les droits de scolarité de certains étudiants Internationaux. Leur objectif vise l’aide aux universités à assumer les coûts reliés à leurs fonctions principales, soit l’enseignement, le soutien à l’enseignement et à la recherche, ainsi que l’entretien des terrains et des bâtiments.
- La subvention normée pour les dépenses d’enseignement se détermine sur base du nombre d’inscriptions des étudiants en équivalence au temps plein (EETP). Le financement se fait à partir des EETP pondérés, la valeur unitaire d’un EETP pondérée pour l’année universitaire 2023-2024, par exemple, étant de 3 994,59 $[24].
- Une partie du financement public des universités dépend donc de leur effectif étudiant.
- Quant aux droits de scolarité, une autre source de financement des universités, le statut résidentiel des étudiants les détermine. À cet effet, les étudiants du réseau universitaire québécois se divisent en trois catégories : les étudiants résidents du Québec, les étudiants CNRQ et les étudiants Internationaux.
o Les droits de scolarité des étudiants résidents du Québec
- Les étudiants résidents du Québec paient des droits de scolarité de base calculés selon un montant maximal par unité de cours suivi, c’est-à-dire par crédit universitaire. Pour l’année 2023-2024, les droits de scolarité des étudiants résidents du Québec s’élevaient à 2 880,90 $, soit 96,03 $ par unité x 30 unités par année, pour un étudiant à temps plein.
- En raison d’un taux d’indexation limité à 3 %[25], les droits de scolarité grimpent à 98,91 $ par unité[26], soit 2 967,30 $ par année d’études universitaires à temps plein depuis l’automne 2024.
o Les droits de scolarité des étudiants CNRQ
- Les étudiants CNRQ paient les droits de scolarité de base. S’y ajoute depuis l’automne 1997 un montant forfaitaire pour chaque unité des cours auxquels ils sont inscrits. Le montant forfaitaire exigé des étudiants CNRQ est prévu à la règle 3.4 des Règles budgétaires. Pour l’année universitaire 2023-2024, le montant forfaitaire indexé fixé par le gouvernement s’élève à 203,70 $ par unité[27], soit 6 111 $ pour une année régulière de 30 unités. Le tarif minimal obligatoire pour les étudiants CNRQ s’élève ainsi à 8 991,90 $[28].
- Depuis l’automne 2024, le montant forfaitaire est passé à 303,97 $ par unité[29] et augmenté, donc, à 9 119,10 $ pour 30 unités pour les étudiants CNRQ de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel. Cette augmentation forfaitaire ne s’applique toutefois pas aux étudiants CNRQ inscrits dans une université francophone et dans un programme offert en français[30].
- En tenant compte de l’indexation de 3 %, le seuil minimal obligatoire des droits de scolarité pour une année régulière s’élève donc à 12 360 $[31] à l’égard des étudiants CNRQ de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel qui, depuis l’automne 2024, fréquentent une université anglophone du Québec.
o Les droits de scolarité des étudiants Internationaux
- À l’instar de l’ensemble des étudiants, les étudiants Internationaux paient les droits de scolarité de base. Pour déterminer le montant forfaitaire qui s’y ajoute, les étudiants Internationaux se divisent depuis 2008 en deux catégories : les étudiants Internationaux réglementés et les étudiants Internationaux déréglementés.
Les étudiants Internationaux réglementés
- Sont considérés réglementés les étudiants Internationaux de 2e cycle orientés vers la recherche et ceux de 3e cycle. Leurs droits de scolarité se composent des droits de scolarité de base additionnés d’un montant forfaitaire par unité de cours.
- Pour l’année universitaire 2023-2024, les montants forfaitaires par unité sont de 510,52 $ pour le 2e cycle et de 449,32 $ pour le 3e cycle[32], sommes que récupère le ministère.
- Certains étudiants Internationaux sont exemptés du montant forfaitaire ou acquittent les droits de scolarité des étudiants CNRQ. Il s’agit, par exemple, des étudiants français et belges francophones de 1er cycle dont les frais de scolarité sont ceux applicables aux étudiants CNRQ, tandis que les mêmes étudiants de 2e et 3e cycle bénéficient du régime de droits de scolarité applicable aux étudiants québécois.
- De même, les étudiants Internationaux détenant une double citoyenneté canadienne/française ou canadienne/belge paient les mêmes droits de scolarité des étudiants CNRQ, peu importe le cycle de leurs études.
Les étudiants Internationaux déréglementés
- Les étudiants Internationaux de 1er cycle inscrits dans certaines disciplines sont graduellement déréglementés à compter de 2008. Leurs droits de scolarité étaient par conséquent composés des droits de scolarité de base et d’un montant forfaitaire déterminé par les établissements universitaires, et non par le gouvernement, d’où l’expression déréglementés qu’on leur accole. Ce montant forfaitaire ne pouvait toutefois pas être inférieur à celui exigé pour les disciplines réglementées[33]. Le montant forfaitaire n’était pas récupéré par le Ministère, mais la subvention à l’enseignement n’était plus accordée aux universités pour les disciplines déréglementées.
- À compter de l’automne 2019, tous les étudiants Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel ont été déréglementés de sorte que les universités déterminaient le niveau de leurs droits de scolarité. Ces droits de scolarité devaient toutefois égaler ou surpasser ceux exigés des étudiants CNRQ soumis aux montants forfaitaires[34].
- Le gouvernement a simultanément éliminé les trois subventions normées. En contrepartie, les montants forfaitaires payés par les étudiants déréglementés n’étaient pas récupérés par le Ministère.
o La conséquence de la fin de la déréglementation
- La déréglementation des droits de scolarité des étudiants Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel cesse à compter de l’automne 2024. Les universités bénéficient de nouveau des trois subventions normées, mais la Ministre récupère les montants forfaitaires payés par les étudiants.
- La fin de la déréglementation et les montants forfaitaires exigés des étudiants Internationaux sont prévus aux règles 3.5 et 3.6 des Règles budgétaires.
- Tous les étudiants Internationaux sont devenus ainsi réglementés et le gouvernement fixe le montant minimal obligatoire de leurs droits de scolarité. Ils payent donc les droits de scolarité de base ainsi qu’un montant forfaitaire de 591,23 $ par unité de cours, soit 17 736,90 $ pour 30 unités[35].
- En tenant compte de l’indexation de 3 %, le seuil minimal obligatoire des droits de scolarité pour une année régulière d’études des étudiants Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel s’élève à 21 236,40 $[36] depuis l’automne 2024.
- Les exemptions en vigueur au moment de la fin de la déréglementation demeurent applicables. Les étudiants français et belges francophones de 1er cycle continuent d’acquitter les droits de scolarité des étudiants CNRQ sans la majoration additionnelle.
- De même, les étudiants ayant une double citoyenneté canadienne/française ou canadienne/belge[37] bénéficient d’exceptions particulières.
-
Sous réserve de ce qui précède au sujet des étudiants ayant une double citoyenneté, les droits de scolarité des étudiants inscrits aux universités du Québec pour l’année universitaire 2024-2025 se résument donc ainsi[38] :
DROITS DE SCOLARITÉ EXIGÉS DES ÉTUDIANTS POUR L’ANNÉE UNIVERSITAIRE 2024-2025 (coût en $ pour un [1] crédit universitaire) |
Catégorie | Droit de base1 | Montant forfaitaire2 | Montant forfaitaire facultatif3 |
1. Étudiant québécois |
Tous les cycles | 98,91 | | |
2. Étudiant canadien non-résident du Québec (étudiant dans les programmes en français dans une université francophone) |
1er cycle | 98,91 | 209,81 | s.o. |
2e cycle - professionnel | 98,91 | 209,81 | s.o. |
2e cycle – recherche | 98,91 | 209,81 | s.o. |
3e cycle4 | 98,91 | 209,81 | s.o. |
2. Étudiant canadien non-résident du Québec (autres) |
1er cycle | 98,91 | 313,09 | Illimité |
2e cycle - professionnel | 98,91 | 313,09 | Illimité |
2e cycle – recherche | 98,91 | 209,81 | s.o. |
3e cycle4 | 98,91 | 209,81 | s.o. |
3. Internationaux |
1er cycle | 98,91 | 608,97 | Illimité |
2e cycle - professionnel | 98,91 | 608,97 | Illimité |
2e cycle – recherche | 98,91 | 525,84 | 52,58 |
3e cycle | 98,91 | 462,80 | 46,28 |
1 Conservé par les universités 2 Récupéré par le Ministère 3 Conservé par les universités 4 Les étudiants CNRQ inscrits dans un programme conduisant à l’obtention d’un grade de doctorat sont exemptés des montants forfaitaires. |
- De plus, les Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2024‑2025[39] adoptées en mai 2024 modifient d’autres règles portant sur les subventions spécifiques accordées aux universités. Plus précisément, la règle 2.5 intitulée Étudiants canadiens non-résidents du Québec et internationaux comporte deux parties : une pour les universités francophones (2.5.1 Appui au recrutement, à l’accueil et à l’intégration des étudiants provenant de l’extérieur du Québec) et l’autre pour les universités anglophones (2.5.2 Développement des compétences en français des étudiants non québécois).
- Afin de les soutenir dans la mise en œuvre de la nouvelle tarification et dans leurs efforts de recrutement d’« un plus grand nombre d’étudiants internationaux francophones et francotropes », les universités francophones reçoivent une allocation annuelle (19 661 073 $ pour l’année universitaire 2024-2025) et des montants temporaires[40].
- Une allocation est prévue pour les universités anglophones qui doivent, dès 2024‑2025, « planifier la mise en place de mesures pour soutenir l’acquisition de compétences en français des nouveaux étudiants non québécois » et, à compter de 2025-2026, faire en sorte que « 80% des étudiants non québécois inscrits à un programme de grade de premier cycle offert en anglais devront atteindre le niveau 5 à l’oral selon l’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français au terme de leur programme d’études »[41]. Il s’agit de la Règle d’acquisition de compétences en français contestée par McGill et Concordia.
- Récapitulatif
- En somme, les parties demanderesses attaquent les règles budgétaires suivantes :
- celle augmentant le montant forfaitaire exigé des étudiants CNRQ de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel inscrits dans un programme offert en anglais (règle 3.4);
- celles visant la réglementation des étudiants Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel (règles 3.5 et 3.6);
- celle visant l’acquisition de compétences en français par 80 % d’étudiants non québécois de 1er cycle inscrits dans les universités anglophones (règle 2.5.2 de la Règle d’acquisition de compétences en français).
- Ce bref résumé suffit pour amorcer l’analyse des arguments des parties.
LES ARGUMENTS DE DROIT ADMINISTRATIF
LA QUALIFICATION DES RÈGLES BUDGÉTAIRES ET DE LA RÈGLE D’ACQUISITION DE COMPÉTENCES EN FRANÇAIS
- Le point de départ de l’analyse des questions en litige consiste à qualifier les mesures attaquées. Or, les parties les envisagent différemment.
- Interrogées à cet égard par le Tribunal lors de l’audition des pourvois, McGill les classe parmi les actions gouvernementales de type règlementaire[42] qui ne peuvent se justifier que selon le test de l’arrêt Oakes[43] alors que Concordia les aborde comme le résultat d’une décision administrative de la Ministre[44] soumise au principe qui se dégage de l’arrêt CSFTNO[45]. Le PGQ, pour sa part, les qualifie de directives et réfère le Tribunal à l’arrêt Ruel[46]. Dans cette affaire, un étudiant de l’Université McGill résidant en Colombie-Britannique attaquait les règles budgétaires en vigueur pour l’année universitaire 1997-1998, celles-là mêmes qui ont introduit le montant forfaitaire exigé des étudiants CNRQ. Ces règles budgétaires avaient pour résultat que McGill exigeait des étudiants CNRQ, en plus des droits de scolarité, un montant forfaitaire de 40 $ par crédit pour cette année universitaire.
- La Cour d’appel analyse la question de la qualification des règles budgétaires en cause et débute par un rappel de ce que les auteurs Issalys et Lemieux enseignent au sujet des éléments constitutifs d’un règlement ou d’un acte réglementaire. Elle écrit :
[53] MM. Issalys et Lemieux proposent :
"Les directives sont des règles de conduite à portée générale, émises en vertu d’une loi ou d’un pouvoir inhérent de gestion et qui ont pour objet d’encadrer l’action des destinataires.
Les directives seront indicatives ou impératives selon le cas. Alors que les premières se voudront un simple guide à l’exercice de la discrétion et n’exerceront, de fait, aucune contrainte sur l’organisme ou le fonctionnaire concerné, les secondes constitueront des règles obligatoires qui verront à être observées par leur destinataire sous peine de sanctions administratives.
Ainsi, pourrons-nous définir la directive en tant que : règle de conduite à portée générale, adoptée par une autorité administrative en vertu de son pouvoir de direction ou d’un pouvoir statutaire explicite, dans le but d’encadrer l’action des destinataires et dont l’inobservation rend son destinataire passible de sanction administrative, sans comporter de droits ou d’obligations pour les tiers, bien qu’elle puisse exceptionnellement faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
[Références omises, souligné dans le texte de l’arrêt]
- La Cour d’appel puise ensuite dans ses précédents sur le sujet, qu’elle applique aux faits de l’espèce en ces termes :
[59] En l'espèce, l'objet des règles budgétaires est de fixer les conditions et les modalités des subventions de fonctionnement versées aux universités. La ministre indique la façon et trace les balises en vertu desquelles les sommes mises à sa disposition seront réparties.
[60] Plus particulièrement, l'article 4.2 définit la notion de résident du Québec. Ce critère servira d'élément de calcul de la subvention à être versée en fonction de chaque étudiant. Si l'étudiant n'est pas un résident du Québec, l'université pourra exiger de lui une somme supplémentaire de 40$. L'université demeure toutefois libre d'adopter une tarification différente, puisque la directive de la ministre n'a pas force de loi et ne peut faire l'objet d'une sanction judiciaire. Les règles budgétaires ne contiennent aucune disposition sanctionnant la conduite de l'université qui refuse de s'y conformer en ce qui a trait aux étudiants canadiens non-résidents du Québec. (…)
[…]
[62] La véritable nature des règles budgétaires se révèle par l'examen des rapports juridiques entre trois parties : l'État, l'université et l'étudiant, les deux premiers étant de la plus haute importance.
[63] Au strict plan juridique, la ministre de l'Éducation n'a pas de pouvoir de direction sur l'administration financière universitaire. Les universités sont des organismes autonomes. La Loi sur les établissements d'enseignement de niveau universitaire énumère les universités admissibles au financement gouvernemental. Les universités sont libres d'accepter ou de refuser toute subvention.
[64] Ces règles budgétaires établissent un rapport juridique, État-université de nature contractuelle par lequel l'État donne les sommes d'argent aux universités. Celles-ci ont préalablement accepté les conditions fixées par la ministre avant le versement de la subvention. La relation juridique repose avant tout sur ce rapport juridique particulier et non sur une disposition législative octroyant au ministre ou à l'État un pouvoir de gérance quelconque. (…)
- Elle conclut enfin :
[66] Cette relation juridique obligée par les réalités financières n'a pas pour effet de la transformer en acte réglementaire qui est, par essence, unilatéral et susceptible de sanction judiciaire. Les règles budgétaires s'apparentent plus à des directives administratives, selon l'acceptation large qu'en donnent les auteurs Issalys et Lemieux.
[67] Les règles budgétaires visent directement les rapports État-université. L'étudiant sera touché uniquement par l'exercice d'un choix budgétaire de l'université qui décidera de respecter ou non la directive ministérielle. En ce sens, je crois possible d'affirmer que la relation juridique université-étudiant n'est pas affectée par ces règles budgétaires. Comme je l'examine plus loin, le contrat université-étudiant prévoit d'ailleurs spécifiquement une majoration possible des tarifs universitaires de semestre en semestre.
[68] Bref, les règles budgétaires n'ont pas toutes les caractéristiques essentielles à la législation déléguée. Elles s'apparentent beaucoup plus à la notion de directive décrite par la doctrine. Je ne vois pas de motif de rompre avec l'enseignement répété de la Cour sur ce sujet.
- Cet arrêt s’applique aux faits de l’espèce et lie le Tribunal. Les Règles budgétaires constituent donc des directives, au sens qu’en donne le droit administratif. Cela dit, cette qualification ne résout pas la question qui sera abordée à la section suivante : quelle norme convient-il d’appliquer à la décision de la Ministre et aux Règles contestées alors qu’il s’agit d’en contrôler la légalité?
COMMENT DÉTERMINER LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
- Dans l’arrêt Vavilov[47], la Cour suprême du Canada fixe le cadre d’analyse concernant l’identification de la norme d’intervention applicable alors qu’un tribunal contrôle la légalité d’un acte de l’Administration ou d’une décision quasi judiciaire. Cette méthode d’analyse s’impose dès lors, y compris à l’égard des Règles contestées. Puisque le Tribunal conclut que les Règles budgétaires se qualifient de directives qui occasionnent par ailleurs des conséquences monétaires aux universités anglophones, il doit donc procéder à cette analyse suivant ce test.
- Selon l’état du droit, il n’existe que trois normes.
- La première : celle voulue par le législateur
- Il arrive que le législateur indique clairement sa volonté de soumettre un acte administratif ou une décision à une norme précise de contrôle de sa légalité. En Colombie-Britannique, par exemple, l’Administrative Tribunals Act[48] prévoit la norme de la décision correcte à l’égard de certains d’entre eux.
- Le législateur peut aussi prévoir un droit d’appel. C’est le cas au Québec de la plupart des décisions du Tribunal administratif du logement, notamment, à l’égard desquelles la Cour du Québec, division administrative et d’appel, exerce une compétence d’appel, tel que le prévoient les articles 91 et 92 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[49]. Les normes bien connues établies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen[50] s’appliquent alors à ces instances en appel.
- Or, comme le rappelle la Cour suprême dans Vavilov, lorsque le législateur indique que les cours de justice ont l’obligation d’appliquer la norme de la décision correcte lors du contrôle de certaines questions, c’est la norme qu’il convient alors d’appliquer[51]. Elle réitère ce principe dans l’arrêt Ward[52], où elle écrit :
[24] (…) Suivant l’arrêt Vavilov, la présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable peut être réfutée lorsque le législateur a prévu « un mécanisme d’appel à l’encontre d’un décideur administratif devant une cour de justice, ce qui dénote que les normes générales en matière d’appel trouvent application » (par. 33).
[25] En l’espèce, les art. 132 et 133 de la Charte québécoise précisent que les décisions du Tribunal peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel du Québec. Comme la loi prévoit un mécanisme d’appel, les normes générales en matière d’appel s’appliquent plutôt que la norme de la décision raisonnable (Vavilov, par. 37; voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). (…)
- En somme, il s’agit de respecter la volonté du législateur clairement exprimée dans un texte de loi. Si le degré d’intensité de retenue judiciaire s’y trouve en raison d’une norme d’intervention prévue, c’est cette norme qu’il convient d’appliquer.
- Rappelons toutefois ce caveat : un droit d’appel limité, par exemple lorsque la loi ne le prévoit que sur une question de droit, n’évacue pas la possibilité d’un contrôle judiciaire par une Cour supérieure sur les autres questions[53] et la norme de contrôle appropriée se détermine, alors, suivant ce qui suit.
- La deuxième : celle de la décision raisonnable, présumée s’appliquer sauf exception
- Si le législateur n’indique aucune norme particulière, alors, sauf exceptions prévues ci-après, la deuxième norme possible est celle de la décision raisonnable. Suivant cette norme d’intervention, le tribunal vérifie si la décision attaquée s’avère acceptable et justifiable. Il s’agit alors de déterminer si une explication raisonnée s’en discerne et si le résultat lui-même s’avère justifié eu égard aux contraintes juridiques et factuelles qui assujettissent le décideur[54]. Cette justification, apparente de la décision ou percolant du dossier, laisse voir une décision qui se veut cohérente et qui porte sur les éléments essentiels et centraux à l’étude[55]. Les contraintes juridiques ou factuelles, multiples selon le cas, comprennent la législation et le droit prétorien de même que les éléments de preuve étudiés ou soumis au décideur.
- Lorsqu’il vérifie si le décideur rend une décision raisonnable, le tribunal vérifie notamment si la décision repose sur un fondement qui ne soit pas erroné. À ce sujet, l’arrêt Vavilov rappelle que :
[102] [p]our être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Pâtes & Papier Irving, par. 54, citant Newfoundland Nurses, par. 14. Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Ryan, par. 55; Southam, par. 56. Les motifs qui [traduction] « ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire » permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision, et « ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement » : R. A. Macdonald et D. Lametti, « Reasons for Decision in Administrative Law » (1990), 3 R.C.D.A.P. 123, p. 139; voir également Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 750, par. 57-59 (CanLII).
[103] Bien que, comme nous l’avons déjà mentionné aux par. 89 à 96, il faille interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés, une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle : voir Wright c. Nova Scotia (Human Rights Commission), 2017 NSSC 11, 23 Admin. L.R. (6th) 110; Southam, par. 56. Une décision sera également déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée (voir Sangmo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 17, par. 21 (CanLII)), ou qu’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (voir Blas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 629, par. 54‑66 (CanLII); Reid c. Criminal Injuries Compensation Board, 2015 ONSC 6578; Lloyd c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 115; Taman c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 1, [2017] 3 R.C.F. 520, par. 47).
[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».
[Soulignements ajoutés]
- De ces passages, on constate que l’approche que préconisait déjà la Cour suprême dans des arrêts plus anciens, notamment depuis Baker[56], réitérée en substance dans Dunsmuir[57], se poursuit; elle s’inscrit d’ailleurs dans le droit-fil de l’attitude de retenue judiciaire qui imprègne la cour de révision dans le regard qu’elle pose sur une décision sous analyse. Le tribunal doit porter une attention respectueuse des motifs donnés[58] et tient compte, si applicable, de son contexte historique.
- L’analyse à laquelle se livre le tribunal qui contrôle la légalité d’une décision selon la norme de la décision raisonnable se veut rigoureuse[59]. La Cour suprême ne définit pas ce vocable, mais on devrait en comprendre qu’il s’agit d’une indication selon laquelle le tribunal réviseur doit appliquer scrupuleusement et de manière attentive la méthode d’analyse de l’arrêt Vavilov et ne rien négliger des directives qui s’y trouvent, notamment en matière de grande retenue judiciaire qui ne cède le pas qu’en présence d’une décision injustifiée et déraisonnable.
- Autrement dit, le tribunal réviseur doit garder en tête l’origine et la raison d’être du pouvoir de contrôle et de surveillance des cours supérieures. Il doit résister fermement à la tentation d’exercer la compétence que le législateur confère au décideur administratif, se garder de rendre la décision qu’il aurait préféré voir celle de cette instance et se rappeler qu’il en contrôle la légalité, non son caractère approprié. La décision administrative ne s’avère peut-être pas la meilleure aux yeux du tribunal réviseur, mais, si elle est néanmoins raisonnable, elle demeure légale et le tribunal ne peut l’annuler. Il peut sembler contre-intuitif pour un juge de retenir l’intervention judiciaire de la Cour en présence d’une décision défectueuse mais qui se situe dans le giron de la raisonnabilité. Le juge réviseur doit résister résolument à la tentation d’intervenir et ne rien changer à cette décision, quoiqu’il ne l’aime pas, dans la mesure où elle demeure raisonnable.
- La troisième : celle de la décision correcte
- Se présentent aussi des cas plus rares où la primauté du droit exige l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas de questions qui méritent une réponse uniforme au Canada vu leur importance pour le système de justice dans son ensemble. Les questions constitutionnelles requièrent une réponse sûre et aucune retenue judiciaire ne prévaut lors de l’analyse qu’en fait le premier décideur. Les questions liées à ce que la Cour suprême appelle les délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs requièrent elles aussi l’application de la norme de la décision correcte[60].
- Appliquant cette norme, le tribunal qui révise la décision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur et entreprend plutôt sa propre analyse. S’il diverge d’opinion d’avec le premier forum, il rend alors la décision qui s’impose[61].
- Conclusion sur la détermination de la norme d’intervention
- En somme, le Tribunal doit présumer que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la légalité d’une décision administrative ou quasi judiciaire à moins que le législateur en détermine une autre ou que se présente une des exceptions que décrit la Cour suprême dans Vavilov, lesquelles s’avèrent de plus en plus définitives au fur et à mesure que se bâtit la jurisprudence de la Cour suprême, encore que la plus haute instance du pays laisse ouverte la possibilité d’ajouter à ces exceptions[62] ou d’en découvrir de nouvelles aux confins de l’univers du droit administratif.
- Un tribunal appliquant la norme de la décision raisonnable doit se rappeler l’importante dose de retenue judiciaire qui sied à l’exercice et n’intervenir que sur démonstration que la décision contestée s’avère déraisonnable, tenant compte des contraintes factuelles et juridiques qui s’imposaient au décideur.
- C’est l’exercice qu’il convient maintenant d’effectuer.
LA DÉTERMINATION DE LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE EN L’ESPÈCE
- McGill bâtit son argumentaire sur des questions constitutionnelles, lesquelles requièrent l’application de la norme de la décision correcte. Elle affirme par ailleurs que les modifications aux Règles budgétaires ne résistent pas non plus à une analyse suivant la norme de la raisonnabilité. Sans insister à ce sujet dans son mémoire ni lors dans ses représentations écrites, ses avocat.e.s plaident lors de l’audition que la décision de la Ministre de modifier les Règles budgétaires s’avère déraisonnable et illégale puisqu’elle aurait outrepassé ses pouvoirs et se serait fondée sur des prémisses erronées et viciées[63].
- Concordia, pour sa part, opine que la nature juridique des Règles budgétaires importe peu puisque le cadre d’analyse applicable ne dépendrait pas de cette qualification. Les Règles budgétaires seraient le fruit d’une décision administrative discrétionnaire et cela suffirait pour enclencher l’obligation de la Ministre d’effectuer une mise en balance proportionnée des objectifs législatifs et des droits et valeurs de la Charte canadienne qui sont en jeu. Elle réfère le Tribunal avec insistance à la décision rendue dans l’affaire Forum des maires de la Péninsule acadienne inc. c. Ministre de la Justice et de la Sécurité publique[64]. Dans ce cas, le ministre de la Justice du Nouveau‑Brunswick avait décidé de remanier la desserte de certains points de service de justice. Concordia insiste plus particulièrement sur les passages suivants :
[28] De toute évidence, cependant, il existe des circonstances précises dans lesquelles les tribunaux peuvent et doivent effectivement examiner les décisions gouvernementales. La légalité de la décision est l'une de ces circonstances. Bien que l'on doive accorder du respect aux décideurs gouvernementaux en ce qui concerne les décisions politiques et budgétaires, cela ne s'applique pas lorsque l'on allègue que la décision a été prise de manière illégale.
[49] Pour déterminer si la décision discrétionnaire met en cause les protections de la Charte, la première étape consiste à un examen des valeurs qui sous-tendent les droits en question et évaluer leur incidence sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du décideur. Si ces valeurs sont jugées pertinentes pour la décision, le décideur est tenu d'en tenir compte, qu'il y ait ou non une atteinte directe aux droits garantis par la Charte. (…)
[66] (…) je juge que la norme de contrôle appropriée est celle du caractère raisonnable et que l'application de l'analyse Doré demeure pertinente. Comme le démontrera l'analyse qui suit, j'estime que la décision du ministre de fermer le palais de justice de Caraquet, de convertir l'établissement de Tracadie en tribunal satellite et de transférer les juges est déraisonnable. (…)
- Concordia ajoute qu’en l’espèce, le cadre d’analyse approprié serait celui établi dans l’arrêt Doré, tel qu’appliqué dans CSFTNO. Voici la partie de leur mémoire qui résume bien l’argument :
5. (…) Il est clair que le cadre d’analyse de CSFTNO s’applique même lorsqu’une décision gouvernementale entraîne des répercussions budgétaires6. Une décision est invalide non seulement lorsqu’elle porte atteinte à un droit de la Charte, mais également lorsque le décideur a omis de tenir compte ou de mettre en balance de façon proportionnée les valeurs sous-jacentes à un droit de la Charte7. Les valeurs à considérer sont celles qui sont pertinentes « en raison de la nature du régime législatif », « parce que les parties l’ont soulevée devant le décideur », ou « en raison du lien entre cette valeur et la matière sous considération »8.
________________________________________________________________
6. Forum des maires c Ministre (Justice et Sécurité Publique), 2024 NBBR 58 aux para 28, 71, 101 [Forum des maires].
7. CSFTNO au para 64, citant Doré au para 35, École secondaire Loyola c Québec, 2015 CSC 12 au para 4 [Loyola] et Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 au para 57 [TWU 1].
8. CSFTNO au para 66, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 108, 127-128 et Paul Daly, « The Doré Duty: Fundamental Rights in Public Administration » (2023), 101:2 R du B can 297 à la p 309.
- En défense, le PGQ affirme que la portée générale et impersonnelle des règles budgétaires relève de l’exercice par la Ministre d’un pouvoir discrétionnaire que lui confie le législateur et qui s’apparente davantage à une fonction quasi-législative qu’à l’application de règles préexistantes à une situation particulière individualisée. Selon lui, les Règles contestées, en tant que règles de nature budgétaire, se distinguent par leur nature des décisions administratives au sens des arrêts Doré[65], Loyola[66], Trinity Western University[67] et CSFTNO[68]. Le pouvoir discrétionnaire de la Ministre dans leur élaboration demeure important et ne permet pas de les qualifier de décisions administratives au sens de ces arrêts[69].
- Les représentations du PGQ prévalent.
- Les Règles budgétaires s’adressent à l’ensemble des universités québécoises, francophones comme anglophones, et indiquent les frais de scolarité applicables à chaque catégorie d’étudiants. Elles fixent des règles de portée générale qui encadrent l’aide financière étatique aux universités. Elles se distinguent nettement des cas Doré, Loyola, TWU et CSFTNO où des décisions individualisées se trouvaient au cœur des enjeux.
- Cela dit, l’argument du PGQ que les Règles budgétaires n’établissent qu’un cadre contractuel auquel les universités adhèrent librement ne convainc pas quant à la détermination de la norme de contrôle applicable. Il semble évident qu’il s’agit d’un non-choix pour les universités, elles qui dépendent de l’argent du gouvernement pour exister[70].
- Néanmoins, alors qu’elle établit les Règles budgétaires, la Ministre ne rend pas des décisions individualisées auxquelles le cadre d’analyse de l’arrêt Doré s’appliquerait.
- Que conclure?
- Pour les motifs qui suivent, les modifications aux Règles budgétaires et la décision de la Ministre de laquelle elles émanent appellent une importante retenue judiciaire que commande l’application de la norme de la décision raisonnable. Il en va de même de la Règle d’acquisition de compétences en français.
- Voici les motifs de cette conclusion.
- Premièrement, le législateur n’indique aucune norme particulière à l’analyse du contrôle de la légalité des Règles budgétaires[71]. Le fait que les Règles budgétaires et, indubitablement la Règle d’acquisition de compétences en français, se qualifient de directives n’y change rien, ce en quoi Concordia a raison.
- Deuxièmement, les Règles contestées s’apparentent à celles en cause dans les arrêts TransAlta Generation Partnership c. Alberta[72] et Auer c. Auer[73]. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême précise :
[21] [d]ans Vavilov, notre Cour a établi un cadre exhaustif pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique lors de tout contrôle au fond d’une décision administrative (par. 17). Ce faisant, la Cour a apporté « une cohérence et une prévisibilité accrues à ce domaine du droit » et a éliminé la nécessité que les cours de justice recourent à une analyse contextuelle pour établir la norme de contrôle appropriée (par. 10 et 17). Notre Cour a reconnu que « la diversité des décisions et des décideurs » posait un défi dans l’élaboration d’une méthode cohérente et unifiée de contrôle judiciaire (par. 88). La Cour a veillé à ce que le cadre révisé « s’adapte à tous les types de décisions administratives, qui vont de l’immigration, de l’administration carcérale et des programmes de sécurité sociale aux relations de travail, à la réglementation des valeurs mobilières et à la politique énergétique » (par. 11). Cela comprend les décisions de décideurs allant de « tribunaux spécialisés exerçant des attributions judiciaires aux organismes de réglementation indépendants, aux ministres, aux décideurs de première ligne et plus encore [. . .] vari[ant] en complexité et en importance, allant des décisions banales à celles qui changent le cours d’une vie [. . .] vis[ant], d’une part, des questions “hautement politiques” et, d’autre part, des questions de “droit pur” » (par. 88).
[Soulignements ajoutés]
- De même, dans l’arrêt TransAlta, la Cour suprême ajoute :
[14] Comme il est mentionné dans le pourvoi connexe, Auer, la norme de la décision raisonnable énoncée dans Vavilov est présumée s’appliquer lors du contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné. Aucune exception à la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce. De fait, la législature n’a pas indiqué que les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire doivent être contrôlées suivant une norme différente, et la primauté du droit ne requiert pas l’application de la norme de la décision correcte. En conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la validité des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire.
[…]
[31] Les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire énoncent les procédures de calcul de toutes les évaluations de biens‑fonds linéaires. Elles obligent les évaluateurs à multiplier les valeurs déterminées suivant quatre annexes. La contestation de TransAlta s’attache aux art. 1.003 et 2.003 des Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire.
[…]
[36] En pratique, ces dispositions font en sorte qu’un évaluateur ne peut pas accorder à TransAlta une dépréciation additionnelle pour ses installations alimentées au charbon au motif que ces installations font l’objet de l’Accord d’élimination du charbon (voir les Lignes directrices sur l’évaluation foncière linéaire, al. 1.003(d) et 2.004(e)).
- Si la norme de la décision raisonnable s’applique à des textes subordonnés telles les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants ou les règles dictant les niveaux de dépréciation additionnelle ayant un impact sur l’évaluation d’un immeuble, il n’existe aucun motif de l’exclure de l’analyse de la légalité des Règles budgétaires en cause. Dans les trois cas, le gouvernement établit un cadre qui cause un impact aux parties auxquelles elles s’appliquent : dans le premier, en fixant un barème, dans le deuxième en déterminant l’évaluation d’une installation, dans le dernier, en assoyant des critères encadrant des règles budgétaires.
- Même si les Règles budgétaires contestées ne sont pas soumises à la Loi sur les règlements[74] et diffèrent d’un texte législatif subordonné comme les lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires analysées dans Auer ou encore les règles prévoyant des exemptions comme dans TransAlta, le Tribunal ne voit aucun motif d’exclure l’application de la norme de la décision raisonnable.
- Troisièmement, la primauté du droit n’exige pas que la question de validité des [Règles budgétaires], en elle-même, soit contrôlée selon la norme de la décision correcte et [u]n contrôle rigoureux selon la norme de la décision raisonnable suffit pour veiller à ce que [la Ministre] agisse dans les limites des pouvoirs qui [lui] sont conférés[75].
- Quatrièmement, la retenue judiciaire qu’induit une analyse suivant la norme de la décision raisonnable s’impose d’autant que les modifications aux Règles budgétaires, présumées valides, concernent la manière dont le Gouvernement dispose des deniers publics. Comme le soussigné l’écrit dans le jugement rejetant la demande de sursis présentée par Concordia et Meldrum, [n]e subsisterait-il qu’un seul type de décision gouvernementale discrétionnaire à l’égard duquel les tribunaux observeraient une grande retenue, ce serait celui-là[76].
- Cinquièmement, l’arrêt Vavilov précise que la norme de la décision raisonnable s’applique dans l’examen de questions de fait ou de questions concernant un pouvoir discrétionnaire ou des politiques[77].
- Une dernière remarque. Si large soit-il, comme l’affirme correctement le PGQ, le pouvoir discrétionnaire en cause n’immunise pas le gouvernement des conséquences de son exercice illégal alors que la Ministre dit agir en fonction de faits qui, en réalité, s’avèrent erronés ou de motifs qui, tout bien considéré, ne sont pas fondés[78]. Autrement dit, la Ministre ne possède pas une discrétion si vaste que ses décisions comme celles en l’espèce échappent absolument au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure[79].
- En résumé, le Tribunal conclut que la norme de la décision raisonnable s’impose au contrôle de la décision de la Ministre et aux modifications aux Règles budgétaires, y compris à la Règle d’acquisition de compétences en français.
LA DÉCISION DE LA MINISTRE, LES MODIFICATIONS AUX RÈGLES BUDGÉTAIRES ET LA RÈGLE D’ACQUISITION DE COMPÉTENCES EN FRANÇAIS S’AVÈRENT-ELLES RAISONNABLES?
- Le contexte factuel spécifique à cette question
- Le réseau universitaire québécois se compose de 19 établissements suivant la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire (LMES)[80]. Plus de 300 000 étudiant.e.s les fréquentent, dont environ 78 000 dans les universités anglophones[81]. Pour l’année scolaire 2023-2024, plus de 16 000 d’entre eux sont des étudiants CNRQ, dont seulement 20 % inscrits dans une université francophone, et près de 57 000 sont des étudiants Internationaux, dont près de 65 % inscrits dans le réseau francophone[82].
- La méthode de financement des universités est exposée précédemment. Les subventions que verse le gouvernement du Québec se voient octroyées conformément aux Règles budgétaires élaborées par la Ministre[83].
- De manière générale, les règles budgétaires mettent en application la politique du gouvernement de financement des universités. Révisée périodiquement par le gouvernement, l’adoption d’une nouvelle politique est prévue dès l’adoption des Règles budgétaires en mai 2023. On y annonce qu’à compter de 2024-2025, la reconduction de l’allocation pour le recrutement d’étudiants Internationaux déréglementés accordée aux universités francophones « dépendra des travaux de la nouvelle Politique de financement »[84].
- Cette nouvelle Politique québécoise de financement des universités[85], dévoilée par la Ministre en juin 2024, remplace celle de 2018-2019[86]. Son adoption fut précédée de divers travaux entrepris dès 2019, mais accélérés notamment en 2023.
- En février 2023 est créé un Comité de coordination MES-Université (Comité), constitué de représentants du Ministère et des universités. Selon les principes guidant les travaux du Comité, les modifications au modèle de financement visent à assurer une meilleure équité entre les universités, à ne pas avantager ou désavantager certains établissements universitaires, à simplifier le modèle de financement, à apporter une plus grande transparence. Le Comité comporte plusieurs sous-comités dont les mandats portent sur la prévisibilité et la pérennité du financement, sur la révision de la grille de pondération et des subventions spécifiques, sur la révision de l’enveloppe terrains-bâtiments, sur la transformation numérique, sur l’appui à la recherche. Même si aucun sous-comité concernant la déréglementation des étudiants Internationaux n’est mis en place, le Ministère annonce qu’il « procédera à certains travaux en collaboration avec les universités (…) »[87].
- Le 12 mai 2023, la Ministre lance un appel à mémoires et invite les organismes concernés par la révision de la Politique de financement des universités, dont notamment les établissements universitaires, à répondre à plusieurs questions de réflexion. Celles-ci portent sur l’amélioration du modèle de financement en vue, entre autres, de soutenir davantage les universités afin qu’elles préservent la vitalité du français.
- Dans le communiqué qui le publicise, la Ministre dévoile que la formation de la main-d’œuvre, la protection de la langue française et la valorisation de la recherche et de l’innovation figurent parmi les défis auxquels elle se trouve confrontée[88]. La nouvelle politique de financement des universités visera à contribuer à la vitalité du français au Québec, selon le document intitulé « Révision de la Politique québécoise de financement des universités, appel à mémoires »[89].
- Le 15 mai 2023, la Ministre écrit aux universités anglophones. Elle précise que l’appel à mémoires vise notamment à obtenir des solutions aux trois problèmes suivants : le faible taux de rétention des étudiants CNRQ et Internationaux après leur diplomation, et surtout, après avoir profité « des tarifs équivalents à ceux payés par les étudiants québécois », leur capacité à travailler et vivre en français au Québec et la déréglementation des droits de scolarité des étudiants Internationaux[90]. Selon la Ministre, ce sont les universités anglophones qui ont surtout profité de cette déréglementation, ce à quoi elle entend remédier pour, à moyen terme, redistribuer l’argent aux universités francophones.
- Le PGQ fournit diverses statistiques par lesquelles il dit démontrer que l’accroissement de la population étudiante provenant hors du Québec bénéficie surtout aux universités anglophones[91]. Il parle même d’avantage substantiel. Selon les données dont il dispose, les universités anglophones recueillent, entre 2019 et 2022, 69 % des revenus supplémentaires générés par la déréglementation des droits de scolarité des étudiants Internationaux, elles qui n’accueillent pourtant que 37 % de cette clientèle pour la même période[92].
- Pour faire face à cette situation, entre autres, le Plan stratégique 2023-2027[93], publié par la Ministre le 2 juin 2023, révèle ses objectifs, notamment ceux de valoriser et accroître la maîtrise de la langue française en enseignement supérieur et de promouvoir et valoriser la langue française selon la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français[94]. Dans son message à la Présidente de l’Assemblée nationale, la Ministre écrit :
La nouvelle vision du Ministère s’articule autour de trois aspects clés de l’enseignement supérieur : l’accès, la réussite et l’excellence. Ces trois principes doivent demeurer au cœur de nos actions pour que nous puissions offrir la possibilité de mener des études supérieures à tous ceux et celles qui le souhaitent, et ce, sans aucune discrimination. Pour ce faire, nous devons soutenir les étudiantes et étudiants dans leur parcours scolaire pour qu’ils atteignent la diplomation et soient en mesure de bien intégrer le marché du travail. Cela se fait par des expériences éducatives de grande qualité, adaptées à un monde en mutation, qui permettront à nos diplômés de se distinguer ici et ailleurs.
Nous devons aussi accompagner le réseau dans son développement, en soutenant sa capacité d’accueil et en favorisant la collaboration, non seulement entre les ordres d’enseignement, mais aussi entre les régions qui peuvent profiter de la mobilité étudiante. Ce plan stratégique accorde aussi une place toute particulière à la valorisation et à l’amélioration de la maîtrise de la langue française ainsi qu’au soutien à la recherche et à l’innovation, qui sont des moteurs de développement dans nos collèges et nos universités. Grâce à ces efforts et à ceux investis pour contrer de façon concertée la pénurie de main-d’œuvre dans des domaines cruciaux de la société, nous serons à même de mieux répondre aux besoins évolutifs de la société québécoise.
- Dans la même veine, l’accroissement de l’attraction d’étudiants Internationaux dans les collèges et les universités francophones devient une priorité du gouvernement qui vise à augmenter leur taux de 71,4 % (valeur de départ en 2021-2022) à 72,0 % (cible pour 2026‑2027)[95].
- Les orientations du plan stratégique devront être prises en compte dans la future politique de financement des universités[96].
- Le 12 juin 2023, le CCAFÉ répond à l’appel à mémoires. Dans son avis soumis à la Ministre, il rappelle son mandat de conseiller le Ministère et la Ministre en matière d’accessibilité financière aux études, et conséquemment sur des questions relatives aux droits de scolarité. Il observe que les subventions gouvernementales ont diminué tandis que le financement provenant des étudiants a augmenté. En ce sens, le CCAFÉ invite le Ministère « à mener une réflexion sur la trop forte "dépendance" à l’étalon de financement basé sur les effectifs étudiants et sur les effets induits par ce mode de financement »[97]. Enfin, il recommande à la Ministre de rendre publique l’évaluation de la dernière Politique québécoise de financement de 2018-2019 afin d’alimenter la réflexion avant l’entrée en vigueur de la nouvelle politique.
- Le 20 juin 2023, McGill et Concordia soumettent leurs mémoires respectifs. Selon McGill, les craintes relatives au débalancement du système en raison de la déréglementation de certains étudiants Internationaux ne se sont pas matérialisées[98]. Elle recommande le maintien en vigueur de la déréglementation et des différentes exemptions offertes. Pour sa part, Concordia se dit d’avis que la formule de financement s’avère trop dépendante du nombre d’étudiants inscrits. Concernant les étudiants Internationaux déréglementés, elle propose certaines améliorations, dont le fait de verser un pourcentage des revenus provenant de ces étudiants vers des initiatives de francisation ou dans un fonds consolidé de péréquation interuniversitaire[99].
- Le 13 octobre 2023, la Ministre annonce un nouveau modèle de tarification des étudiants CNRQ et Internationaux. S’ensuit un dialogue entre la Ministre, le Premier ministre et les universités anglophones, à leur initiative d’ailleurs. Mais le résultat net s’avère décevant pour elles alors que la Ministre contrebalance une hausse des droits de scolarité moins importante que ce qu’elle souhaitait au départ par une obligation que 80 % des nouveaux étudiants CNRQ et Internationaux inscrits dans un programme d’études en anglais atteignent le niveau 5 à l’oral selon l’échelle québécoise des niveaux de compétence en français, et ce, au terme de leur programme de grade de 1er cycle[100].
- Le sous-ministre adjoint au financement, au budget et aux infrastructures, monsieur François Leclerc, pour sa part, écrit le 14 décembre 2023 à monsieur Denis Cossette, alors président du Comité des affaires administratives et financières (CAAF) du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) pour obtenir ses commentaires sur les modifications proposées aux Règles budgétaires.
- Ce même jour, la Ministre soumet la nouvelle grille tarifaire applicable aux étudiants CNRQ et aux Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle professionnel au CCAFÉ[101]. Le délai accordé au CCAFÉ pour répondre s’avérant trop court, tenant compte notamment du manque d’effectifs et du départ de sa coordonnatrice, le tout à l’approche du congé des Fêtes, le président du CCAFÉ demande une extension de délai. Or, ce même jour, la Ministre soumet les modifications aux Règles budgétaires au Conseil du Trésor, pour approbation. Le Conseil du Trésor les approuve, d’ailleurs, le 16 janvier 2024, avant que le CCAFÉ puisse soumettre son avis sur la nouvelle tarification.
- Trois jours plus tard, soit le 19 janvier 2024, le CCAFÉ transmet à la Ministre son avis, qui se révèle défavorable par rapport à la décision du gouvernement d’augmenter les droits de scolarité pour les étudiants CNRQ. Le CCAFÉ demeure préoccupé quant à la révision de la tarification pour les étudiants Internationaux[102].
- Cependant, selon monsieur Leclerc, le rééquilibrage que visent les modifications aux Règles budgétaires s’avère nécessaire, en raison de la grande force d’attraction qu’exercent les universités anglophones sur les étudiants CNRQ et Internationaux. L’application des nouvelles grilles tarifaires permettrait de dégager, dans un horizon de quatre ans, 160 M$ annuellement[103], somme qui serait distribuée conformément aux priorités énoncées dans la nouvelle mouture de la Politique de financement des universités, alors en préparation, dont la valorisation du français.
- Notons toutefois que, dans les premières années, même les universités francophones assisteraient à une baisse de leur financement en raison de l’application de cette nouvelle Politique de financement[104]. La vision gouvernementale se situe donc à moyen et à long terme.
- Dans sa déclaration sous serment du 4 octobre 2024, monsieur Leclerc ajoute que les modifications aux Règles budgétaires visent à favoriser l’usage de la langue commune au Québec en outillant les nouvelles cohortes d’étudiants CNRQ et Internationaux dans le programme de grade 1er cycle, afin qu’ils acquièrent les compétences en français au niveau fixé, facilitant leur intégration à la société québécoise.
- En ce qui concerne plus particulièrement la Règle d’acquisition de compétences en français obligatoire, il écrit que le Ministère en a analysé la faisabilité, notamment en tenant compte que 53,4 % de l’effectif d’étudiants Internationaux des universités anglophones proviendrait de pays francotropes. Cette notion réfère à des pays de langue latine autre que le français ou qui possèdent des liens historiques ou politiques avec cette langue, par exemple le roumain ou le catalan[105], ou de pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie.
- À eux s’ajoutent les étudiants provenant de pays francophones, environ 17 % de la clientèle. La Ministre estime que le cumul de ces statistiques, environ 70 % des étudiants CNRQ et Internationaux, présentent une probabilité élevée d’atteindre l’objectif de 80 % de la cohorte possédant un niveau de compétence 5 en français à l’oral, c’est-à-dire la capacité de soutenir une conversation en français portant sur des sujets courants, d’échanger des propos factuels et concrets formulés dans des constructions syntaxiques simples ou parfois complexes et de comprendre un vocabulaire varié[106].
- Tous ces aspects de la Règle d’acquisition de compétences en français sont discutés avec les universités anglophones, tel qu’il appert de la déclaration sous serment du 4 octobre 2024 de monsieur Sylvain Périgny[107], sous-ministre adjoint aux affaires universitaires, à la recherche et à la transformation numérique du ministère et des communications de la sous-ministre De Blois, du recteur de McGill et de celui de Concordia[108].
- Ce tableau factuel brossé, passons maintenant à l’analyse de la raisonnabilité de la décision proprement dite de la Ministre de modifier les Règles budgétaires, tant à l’égard des règles tarifaires que celle de l’acquisition des compétences en français.
- LES MOTIFS QU’INVOQUE LA MINISTRE
- La Ministre dit poursuivre les objectifs suivants :
- rétablir un équilibre financier entre les universités anglophones et francophones;
- s’assurer d’une meilleure rétention au Québec des étudiants CNRQ et Internationaux;
- s’assurer d’une meilleure intégration de ces étudiants à la société québécoise par l’apprentissage suffisant de la langue de la majorité.
- Le PGQ réfère aussi aux objectifs plus larges de la Politique québécoise de financement des universités pour justifier les hausses de montants forfaitaires. Il rappelle que cette politique exprime trois objectifs généraux : rehausser le taux de diplomation de la population québécoise, répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans les services publics considérés prioritaires et contribuer à la promotion et à la valorisation de la langue française. Il ajoute que la politique vise l’intégrité du régime budgétaire et une réallocation des ressources budgétaires à coût nul.
- Ce sont bien là les objectifs de la politique de financement. Cependant, ce n’est pas la politique tout entière qu’attaquent McGill et Concordia mais bien les modifications aux Règles budgétaires mentionnées plus haut ainsi que la Règle d’acquisition de compétences en français. Or, ces règles spécifiques résultent d’une décision de la Ministre qu’elle dit justifier en fonction des objectifs précis mentionnés plus haut. Dans la lettre qu’elle transmet aux Principaux et au Recteur des universités anglophones le 14 décembre 2023[109], la Ministre écrit en effet ceci :
(…) je tiens à vous rappeler que la décision du gouvernement du Québec vise à atteindre les objectifs suivants, communiqués par lettre le 15 mai dernier : corriger le déséquilibre financier entre les réseaux anglophone et francophone et assurer une meilleure rétention et intégration des étudiants canadiens et internationaux à la société québécoise. Nous estimons également que le financement accordé pour les étudiants CNRQ doit être revu à la baisse, sachant qu’une majorité d’entre eux ne restent pas au Québec au terme de leurs études. (…)
- La Ministre réitère cette position, toutefois en la raffinant, dans ses envois épistolaires des 14 décembre 2023 et 24 janvier 2024[110]. Dans cette dernière lettre, elle écrit :
Ainsi, à compter de l’automne 2024, une nouvelle tarification s’appliquera pour les étudiants canadiens non-résidents du Québec (CNRQ) et les étudiants internationaux au 1er cycle et au 2e cycle de type professionnel (voir tableau en annexe). Il est à noter que les nouveaux tarifs présentés sont basés sur la tarification de l’année universitaire 2023-2024. Ces montants seront indexés pour l’année 2024-2025 et les suivantes selon le même taux d’indexation annuelle que celui des droits de scolarité de base.
Notons que ce nouveau modèle de tarification ne s’applique pas aux étudiants français et belges inscrits à un programme d’études conduisant à un grade ou à un diplôme universitaire de 1er cycle ou de 2e cycle professionnel. De même, les étudiants internationaux bénéficiant d’exemptions des droits de scolarité supplémentaires en vertu d’ententes bilatérales sur la mobilité étudiante ne sont pas visés par la nouvelle grille tarifaire.
Par ailleurs, en vertu de l’article 29.6 de la Charte de la langue française (C-11), les étudiants CNRQ inscrits dans un programme offert en français uniquement au Québec continueront d’acquitter les mêmes droits de scolarité que les résidents du Québec. Toutes les exemptions des droits de scolarité supplémentaires aux Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec pour les étudiants CNRQ et internationaux seront maintenues. De plus, les étudiants CNRQ inscrits dans un programme offert en français dans une université francophone seront exclus du nouveau modèle de tarification et continueront de débourser les tarifs actuels, indexés annuellement.
- Comme elle l’indique dans sa lettre, le tableau suivant s’y trouve en annexe :
Nouvelle tarification à compter de l’automne 2024 – Droits de scolarité exigés de la population étudiante dans les universités québécoises (en $, pour une année complète, par étudiant inscrit à 30 crédits sur la base de la tarification de l’année universitaire 2023-2024 (ces montants seront indexés pour l’année 2024-2025 et les suivantes) |
Catégorie | Droits de base1 | Montant forfaitaire2 | Montant forfaitaire facultatif3 | Total |
1. Québécois |
Tous les cycles | 2 881 | | | 2 881 |
2. CNRQ (étudiant dans les programmes en français dans une université francophone) |
1er cycle | 2 881 | 6 111 | s.o. | 8 992 |
2e cycle – professionnel | 2 881 | 6 111 | s.o. | 8 992 |
2e cycle – recherche | 2 881 | 6 111 | s.o. | 8 992 |
3e cycle | 2 881 | 6 111 | s.o. | 8 992 |
2. CNRQ (autres) |
1er cycle | 2 881 | 9 119 | illimité | 12 000 à illimité |
2e cycle – professionnel | 2 881 | 9 119 | illimité | 12 000 à illimité |
2e cycle – recherche | 2 881 | 6 111 | s.o. | 8 992 |
3e cycle | 2 881 | 6 111 | s.o. | 8 992 |
3. Internationaux |
1er cycle | 2 881 | 17 737 | illimité | 20 618 à illimité |
2e cycle – professionnel | 2 881 | 17 737 | illimité | 20 618 à illimité |
2e cycle – recherche | 2 881 | 15 316 | 1 532 | 18 197 à 19 729 |
3e cycle | 2 881 | 13 480 | 1 348 | 16 361 à 17 709 |
1 Conservés par les universités 2 Récupéré par le Ministère 3 Conservé par les universités |
- Ce sont donc sur ces objectifs précis que constituent le besoin de rééquilibrer le financement des universités, de s’assurer d’une meilleure rétention des étudiants et de leur intégration au Québec qu’il faut focaliser, même s’il convient de garder en tête le cadre général de la Politique de financement.
- Revoyons un à un les motifs qu’invoque la Ministre.
o Rétablir un équilibre financier entre les universités anglophones et francophones
- Un déséquilibre financier existerait entre les universités francophones et les universités anglophones. La Ministre réfère plus particulièrement aux revenus provenant des étudiants Internationaux déréglementés que génèrent les universités anglophones. C’est en effet ce que laisse voir la lettre du 14 décembre 2023[111] et ce qu’affirme monsieur Leclerc dans sa déclaration sous serment du 17 mai 2024[112].
- Le déséquilibre en question fait l’objet de plusieurs constats et, dans le milieu universitaire, chacun y va du sien.
- Le ministère de l’Enseignement supérieur
- Du côté du ministère, le déséquilibre s’avère problématique en raison de ses conséquences sur le financement des universités, plus particulièrement celui des universités francophones. Monsieur Leclerc explique ainsi les objectifs de la déréglementation, source du déséquilibre :
21. À l’été 2019, faisant écho à cette politique [de 2018], les règles budgétaires relatives aux droits de scolarité de tous les étudiants internationaux inscrits dans un programme de 1er cycle ou de 2ème cycle de type professionnel sont ainsi assouplies […].
22. Dès lors, les universités pouvaient exiger et conserver, sans partage et sans contrainte, tous les droits de scolarité qu’elles pouvaient obtenir de ces étudiants. En contrepartie, le Ministère cessait de financer la formation qui leur était dispensée par le retrait de la subvention dite « normée » ou « ESTB » […].
[…]
23. L’objectif, à l’époque, était de permettre aux établissements du réseau d’accéder plus directement à la clientèle étudiante internationale, permettant une source de revenus nouvelle, le tout au bénéfice du réseau universitaire dans son ensemble.
25. Anticipant l’avantage des universités anglophones quant à leur capacité d’attirer cette clientèle internationale, les fonds jusqu’alors alloués au financement de la formation des étudiants internationaux et provenant du retrait de la subvention normée pour ces étudiants, soit 12,8 M$ à terme, auxquels le gouvernement a ajouté un montant de 10 M$, ont été alloués aux universités francophones afin qu’elles puissent investir dans le recrutement d’étudiants internationaux, le tout afin que la « dérèglementation » puisse profiter équitablement à l’ensemble du réseau. En 2023-2024, les universités francophones bénéficiaient donc d’une allocation de 22,8M$ à cet effet […].
[…]
49. Toujours selon cette lettre [de la Ministre du 14 décembre 2023], par le nouveau modèle de droits de scolarité, le gouvernement estime qu’il est primordial de rééquilibrer les revenus en provenance des étudiants internationaux afin de permettre à tout le réseau de poursuivre équitablement sa croissance et de maintenir le plus haut standard d’excellence.
[…]
54. Les règles budgétaires visent ainsi à assurer un relatif équilibre entre les établissements en procédant à des ajustements ponctuels, le tout au bénéfice du réseau dans son ensemble, mais également désormais au bénéfice de la protection et de la promotion de la langue française.
55. Nous l’avons vu, la déréglementation opérée en 2018 a eu pour effet d’avantager, sur le plan financier, les universités anglophones du réseau de façon plus importante que leurs pendants francophones.
56. C’est à ce déséquilibre, induit par la Politique de 2018, que les nouvelles Règles budgétaires répondent en introduisant des exigences financières pour les étudiants qui proviennent de l’extérieur du Québec, qu’ils soient CNRQ ou internationaux.[113]
- Le CCAFÉ fait un constat semblable en 2019[114] alors qu’il donne son avis sur la déréglementation de tous les étudiants Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel :
Au Québec, seulement 3 des 18 universités de la province sont anglophones. Or, le bassin de recrutement des étudiants internationaux anglophones est plus grand que celui des étudiants francophones. Conjuguée au fait que le bassin de recrutement des étudiants internationaux déréglementés est d’abord anglophone (Centre for Educational Research and Innovation, 2004, p. 30), il va sans dire que la déréglementation des droits de scolarité des étudiants universitaires internationaux favorise les universités québécoises anglophones. Le gouvernement s’est engagé à verser aux universités francophones du Québec une subvention de soutien au recrutement d’étudiants internationaux. Cet engagement s’étend sur trois ans, de 2019-2020 à 2021-2022, et vise le recrutement de 2 500 étudiants internationaux supplémentaires dans les disciplines déréglementées par rapport au nombre enregistré en 2018-2019.
- Dans son mémoire transmis à la Ministre en 2023, le CCAFÉ évoque également des études à l’effet que les processus successifs de déréglementation exacerbent le phénomène de concurrence entre universités (« course aux effectifs étudiants »)[115].
- Le CCAFÉ relie l’augmentation des revenus des universités provenant des étudiants, par opposition aux subventions gouvernementales, « aux deux processus de déréglementation qui ont eu cours entre 2008 et 2019 et qui ont pour effet qu’une plus grande partie des revenus des universités reposent maintenant sur les étudiants »[116].
- Concordia voit les choses différemment. En réponse à la déclaration sous serment de monsieur Leclerc, monsieur Denis Cossette, le chef de la direction financière de Concordia, propose une comparaison entre les universités anglophones et francophones basée sur le revenu par étudiant équivalent à temps plein (« EETP ») au lieu du montant des revenus générés par la déréglementation[117] :
Les revenus liés aux étudiants internationaux
3. Au paragraphe 30 de sa déclaration, M. Leclerc rapporte qu’entre « 2019-2020 et 2021-2022, les trois universités anglophones ont recueilli à elles seules 69 % (282,4 M $) des revenus supplémentaires générés par la déréglementation des droits de scolarité des étudiants internationaux (407,4 M $), alors qu’elles accueillaient 37 % de cette clientèle ». M. Leclerc en conclut que « ce sont néanmoins les universités anglophones du réseau qui ont profité des modifications apportées par la Politique de 2018 […], particulièrement McGill et Concordia ».
4. Une analyse des revenus supplémentaires globalement générés par les universités anglophones pour les étudiants internationaux dérèglementés ne permet pas de tenir compte de différences importantes entre les deux réseaux au niveau de leur population étudiante et leurs sources de financement.
5. En général, les universités francophones reçoivent proportionnellement plus de subventions que les universités anglophones pour leurs étudiants internationaux, notamment en raison d’une plus grande proportion d’étudiants internationaux réglementés dans leur réseau pour lesquels ils reçoivent des subventions normées. Le MES ne verse pas de subventions normées pour les étudiants internationaux dérèglementés ; les universités assument entièrement les coûts de leur formation.
6. Par exemple, parmi les 36 357 étudiants internationaux dans le réseau francophone en 2023-2024, 13 020 sont des étudiants de la France (35,8 %), dont les frais de scolarité sont réglementés, tel qu’il appert de la pièce PGQ-9.
7. À titre de comparaison, parmi les 19 975 étudiants internationaux dans le réseau anglophone en 2023-2024, seulement 3 038 proviennent de la France (15,2 %), tel qu’il appert de la pièce PGQ-9.
8. Les universités francophones reçoivent également des subventions spécifiques allouées seulement aux universités francophones pour appuyer le recrutement d’étudiants internationaux, à la hauteur de 22,8 M $ pour l’année 2023-2024 (2.1.7 Allocation aux universités francophones pour le recrutement d’étudiants déréglementés, PGQ-2 à la p 58).
9. Le revenu par étudiant équivalent à temps plein (« EETP »), ce qui inclut les revenus provenant des étudiants et les revenus provenant de subventions, permet une meilleure comparaison des revenus des universités anglophones et francophones pour les étudiants internationaux, en tenant compte du nombre d’étudiants et de toutes les sources de revenu associés à ces étudiants.
[…]
15. Lorsque l’on tient compte de l’ensemble des étudiants, incluant les étudiants internationaux règlementés et dérèglementés, on constate que le revenu par EETP brut de Concordia provenant des étudiants et des subventions pour 2021-2022 est de 18 915 $, ce qui est inférieur au revenu par EETP brut du réseau francophone (20 727 $).[118]
- Les calculs qu’effectue monsieur Cossette dans une autre déclaration sous serment au sujet des étudiants Internationaux déréglementés montrent par ailleurs des résultats similaires[119]. Il écrit :
27. J’ai recalculé le revenu par étudiant international dérèglementé en EETP pour Concordia et pour l’ensemble des universités francophones à charte, ainsi que quelques exemples d’universités du réseau de l’Université du Québec (Université du Québec à Montréal, Université du Québec à Trois-Rivières et Université du Québec à Chicoutimi), en utilisant les revenus déclarés au SIFU et le nombre d’étudiants internationaux dérèglementés, en EETP, indiqués dans les données du MES de la pièce EM-17. J’ai exclu Polytechnique du tableau car les revenus déclarés par Polytechnique dans son rapport au SIFU pour les étudiants internationaux dérèglementés sont erronés au regard du nombre d’étudiants internationaux dérèglementés qui sont inscrits dans les données du MES (représentant un revenu par EETP brut de seulement 6 352 $).
Revenu par EETP brut de certaines universités francophones, étudiants internationaux dérèglementés |
| Revenu par EETP brut |
Concordia | 22 312 $ |
Ensemble des universités francophones | 20 112 $ |
Université de Montréal | 24 525 $ |
ÉNAP | 24 384 $ |
HEC | 24 096 $ |
Université de Sherbrooke | 21 693 $ |
Université Laval | 20 536 $ |
UQTR | 20 420 $ |
UQAC | 20 275 $ |
ÉTS | 18 778 $ |
Université du Québec à Montréal | 18 293 $ |
28. En utilisant les données du [Ministère], le revenu par étudiant international dérèglementé (en EETP) de Concordia est inférieur à celui de l’Université de Montréal, l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) et de HEC.
- À raison, le PGQ soutient par ailleurs que la précarité de la situation financière de Concordia semble s’expliquer en partie par les importantes dépenses en immobilisation qu’elle effectue depuis quelques années. Puisque les universités ne peuvent faire de déficit, Concordia a fourni un plan de redressement financier[120].
- Quoiqu’il en soit, Concordia soumet que son attractivité auprès des étudiants Internationaux et les revenus qui en découlent ne devraient pas lui être opposés.
- Dans le mémoire qu’elle dépose le 23 juin 2023 auprès de la Ministre dans le cadre de la révision de la Politique québécoise de financement des universités, Concordia plaide que le cadre du financement universitaire par la déréglementation des étudiants Internationaux devrait plutôt être amélioré sans limiter la capacité d’accueil de ces étudiants par les universités anglophones. Elle écrit :
Le cadre qui détermine les frais facturés aux étudiants de l’extérieur du Québec relève du gouvernement, selon leur provenance et le cycle d’études. Historiquement, le gouvernement a pris des actions pour favoriser l’attractivité du Québec en plafonnant les frais de scolarité pour certains étudiants, comme ceux des autres provinces canadiennes, et les citoyens de la France et de la Belgique francophone. Le gouvernement a aussi établi des subventions à hauteur de 22,8 M$ pour soutenir les efforts de recrutement d’étudiants internationaux des universités francophones, un financement initialement prévu pour trois ans et renouvelé depuis lors. Ce sont des choix et des actions proactives légitimes. Mais on ne peut pas du même souffle reprocher à certaines universités leur attractivité auprès des étudiants d’ailleurs, ni les revenus additionnels qui en découlent.
[…]
Dans ses modifications implantées en 2019, le gouvernement a décidé d’exclure complètement de ses calculs les frais de scolarité des étudiants internationaux du premier cycle et du deuxième cycle dans des programmes professionnels. C’est un choix qui semblait logique : puisque le gouvernement ne prend en charge aucun des coûts reliés à ces étudiants, les revenus associés sont reçus et gérés par les universités de façon autonome.
Statistiquement, le bassin potentiel d’étudiants internationaux intéressés à étudier en anglais est plus important que la population étudiante intéressée à étudier en français, que ces étudiants soient initialement anglophones, francophones ou allophones.
Presque cinq ans après la mise en place de cette approche par le gouvernement, il y a certainement des améliorations à considérer. Voici quelques pistes de travail :
- Permettre à toutes les universités de conserver une portion des frais additionnels facturés aux étudiants d’ailleurs au Canada et des francophones d’Europe tout en maintenant le financement gouvernemental pour ces étudiants.
- Diriger une partie des revenus provenant des étudiants internationaux déréglementés, 10 % par exemple, vers des initiatives particulières telles que la francisation, le recrutement d’étudiants internationaux à profils particuliers ou la mise en place d’activités d’apprentissage expérientiel et de stages en milieu de travail, ou dans un fonds consolidé de péréquation interuniversitaire.[121]
- Les recteurs des universités
- Dans une lettre que publie en février 2024 le journal La Presse, les hauts dirigeants de certaines universités, c’est-à-dire les recteurs de l’Université de Montréal et de l’Université de Sherbrooke, la rectrice de l’Université Laval, la directrice générale de Polytechnique Montréal et le directeur de HEC Montréal estiment raisonnable le rééquilibrage que cherche la Ministre, mais nuancent néanmoins cet objectif en ces termes :
Nous croyons qu’il est raisonnable de tenter d’équilibrer les gains découlant de l’attractivité des universités québécoises et de la plus grande capacité de certaines d’entre elles de tirer parti de cette attractivité. Tout est dans la manière. N’importe quelle mesure qui mettrait en péril l’existence même d’une université, ou l’affaiblirait au pont de la dénaturer, doit être exclue de la discussion[122].
[Soulignement ajouté]
- De son côté, McGill affirme qu’en ce qui concerne le besoin de rééquilibrer les finances des universités anglophones et francophones, l’explication de la Ministre occulte le fait que la déréglementation des étudiants Internationaux a profité tout autant aux universités francophones qu’anglophones[123]. Elle ajoute que les exemptions accordées aux étudiants Internationaux francophones, notamment les étudiants français et belges, participent au phénomène de déséquilibre allégué.
- McGill déplore la déficience du financement global du réseau universitaire québécois. Elle qualifie la situation de sous-financement chronique[124]. Aux modifications aux Règles budgétaires s’ajoute un désinvestissement total de 432 M$ sur quatre ans, s’étalant de 2024 à 2028, dont près de 270 M$ pour les universités anglophones seulement. Dans une étude dont il signe le rapport le 27 octobre 2021 pour le BCI, le professeur émérite Pierre Fortin écrit :
La situation comparative du Québec observée en 2018-2019 s’inscrivait dans une lourde tendance à la baisse des ressources par étudiant à coût équivalent de ses universités par rapport aux autres universités canadiennes depuis une vingtaine d’années. Le sous-financement universitaire du Québec désigne le montant global qu’il faudrait ajouter aux ressources de fonctionnement des universités québécoises afin qu’elles disposent du même revenu par étudiant à coût équivalent que les universités des autres provinces. Ce sous-financement est passé de 284m$ en 20021-2002 à 1 444m$ en 2018-2019[125].
- Selon McGill, les modifications aux Règles budgétaires, envisagées dans leur contexte factuel global, l’obligeront à revoir son offre académique y compris dans des domaines d’enseignement qu’elle est la seule à dispenser en anglais et en français et qui forment les futurs médecins, infirmiers, avocats, journalistes et enseignants.
- On voit donc que la question du déséquilibre financier causé par la déréglementation des étudiants Internationaux est abordée par la Ministre et les demanderesses selon des perspectives distinctes. Pour la Ministre, reprendre le contrôle de tous les revenus provenant des étudiants permettrait une répartition plus équitable du financement à l’intérieur du réseau universitaire. Pour les universités anglophones, perdre l’autonomie dans la gestion des revenus générés par la déréglementation signifie une diminution d’une source importante de financement, et ce, dans le contexte d’un désengagement général de l’État en matière de financement universitaire.
- Lorsqu’on analyse de près les effets de la dérèglementation des étudiants Internationaux, on constate que la mesure que réinstaure la Ministre consiste à retourner à un modèle de financement prévalant avant 2008, une question d’arbitrage des valeurs et des principes[126] en matière d’allocation des fonds à l’égard de laquelle, pour les motifs exposés plus loin, le Tribunal ne saurait intervenir qu’en présence d’une décision déraisonnable.
o S’assurer d’une meilleure rétention des étudiants CNRQ et Internationaux
- Dans le Plan stratégique 2023-2027 qu’elle diffuse, la Ministre indique que [l]a rétention des étudiants internationaux, une fois diplômés, est une priorité gouvernementale. Elle constitue une opportunité mutuellement bénéfique à toutes les parties. D’une part, ces étudiants pourront contribuer au développement et à la croissance du Québec, et d’autre part, ils auront la possibilité de s’épanouir personnellement et professionnellement dans une société prospère et équitable. La Ministre ajoute que la promotion et la valorisation de la langue française sont au cœur des priorités gouvernementales[127].
- La Ministre veut justifier sa décision de revoir à la baisse le financement accordé aux universités anglophones, également pour les étudiants CNRQ, puisqu’affirme-t-elle, une majorité d’entre eux ne restent pas au Québec au terme de leurs études[128].
- Ces déclarations gouvernementales, provenant même du sommet de la pyramide, ne passent pas inaperçues dans le milieu universitaire. Toujours dans la lettre ouverte de février 2024 des dirigeants d’universités francophones, on peut lire que (…) certains commentaires malencontreux ont teinté l’annonce de ces mesures. Les étudiants issus de l’extérieur du Québec ont été présentés tour à tour comme des variables budgétaires, des menaces à l’essor du français, des pique-assiettes ou des vaches à lait[129].
- Dans son communiqué de presse du 13 octobre 2023, la Ministre ajoute même que le gouvernement du Québec ne financera plus, au net, les étudiants canadiens qui viennent étudier dans les établissements anglophones et qui, pour la plupart, quittent le Québec après leur diplomation[130].
- Dans des propos que lui attribue Global News le 17 octobre 2023, le Premier ministre s’exprime ainsi : I am committed to stop the decline of French in Quebec. In increasing the tuition fees for the rest of Canada for the people studying in Quebec it will be another move to reduce the number of anglophone students[131].
- Interrogé sur sa déclaration sous serment, monsieur Leclerc ne fournit aucune statistique à la connaissance de la Ministre quant au taux de rétention des étudiants hors Québec au moment de prendre la décision[132]. Pourtant, McGill alertait la Ministre dès le 8 juin 2023 sur le fait qu’à ce jour, il n’existe aucune donnée fiable permettant d’évaluer avec précision le taux de rétention de ces étudiants [Internationaux][133].
- Par opposition, Concordia démontre qu’en ce qui concerne ses étudiants Internationaux, du moins, la majorité d’entre eux reste au Québec après l’obtention de leur diplôme. Elle réfère le Tribunal à une lettre du 8 juin 2023 que transmet son recteur à la Ministre[134] ainsi que certaines données de Statistiques Canada[135], que corroborent les études maison que fournissent messieurs Therrien et Law dans leurs déclarations sous serment respectives[136].
- En effet, après avoir exposé la manière utilisée par Concordia pour la cueillette des données par pondération des adresses connues et inconnues des étudiants de ses anciennes cohortes, monsieur Therrien affirme que :
(…) le Bureau de la planification et de l’analyse institutionnelle estime qu’au total, parmi les diplômés de Concordia ayant terminé leurs études entre 2012 et 2022 : 63% sont demeurés au Québec (…)[137].
- On constate donc une absence de données sur lesquelles la Ministre prétend appuyer sa décision. À tout le moins, ce qu’elle avait en main ne convainc aucunement de la raisonnabilité du résultat. Les données que fournit Concordia corroborent cette conclusion d’absence de fondement objectif de cette mesure.
o S’assurer d’une meilleure intégration de ces étudiants à la société québécoise par l’apprentissage suffisant de la langue de la majorité
- La Ministre estime que l’apprentissage du français favorise une meilleure intégration au Québec des étudiants CNRQ et Internationaux. Toutefois, ici encore, la Ministre ne disposait d’aucune donnée sur le sujet au moment de prendre sa décision, comme en témoigne monsieur Leclerc :
Q- Encore dans le même paragraphe, on parle aussi d'un objectif d'assurer l'intégration des étudiants à la société québécoise?
R- Oui.
Q- Est-ce que le ministère a fait des analyses ou études relatives au degré d'intégration des étudiants canadiens non-résidents au Québec?
R- En fait, on réfère à la... la notion de développement des compétences en français, puis on a la provenance. On a utilisé la provenance des étudiants internationaux...
Q- O.K.
R- ... pour être en mesure d'évaluer leur capacité à apprendre le français.
Q- Je vais revenir aux étudiants internationaux, mais ma question portait sur les étudiants canadiens non-résidents. Est-ce que vous avez des analyses ou des études sur l'intégration au Québec des étudiants canadiens non-résidents?
R- Ça revient beaucoup au taux de rétention, je pense, à moins que j'aie mal compris votre question, là.
Q- Bien, je pose la question parce que vous parlez de deux objectifs au paragraphe 48...
R- Oui.
Q- ... de la meilleure rétention et l'intégration de ces étudiants à la société québécoise. Donc, c'est ça, je pose la question pour voir s'il y a des analyses distinctes...
R- O.K. Mais...
Q- ... qui sont faites de...
R- O.K. Je comprends. L'intégration réfère au développement des compétences en français, la capacité d'apprendre le français. La rétention, c'est les... le... on en a parlé tout à l'heure, là. Ça fait que c'est les deux dimensions, là, comme ça.
Q- O.K. Donc, est-ce que le ministère possède des données relatives à la compétence en français des étudiants canadiens non-résidents qui étudient dans les universités anglophones?
R- On a la provenance des étudiants, mais on considère, de manière générale, que les étudiants qui... qui sont des autres provinces canadiennes ont une plus grande capacité d'apprendre le français que ceux, par exemple, qui viennent de l'Inde, là.
(…)
Q- Mais, donc vous n'avez pas de données sur la compétence en français des étudiants canadiens non-résidents?
R- Je ne sais pas si c'est juste moi qui ai gelé. J'ai manqué la dernière partie de votre phrase, là. Je suis désolé.
Q- Ça va. Je disais, mais vous n'avez pas de données sur la compétence en français des étudiants canadiens non-résidents?
R- À l'entrée, non. À l'entrée, non.
Q- O.K.
R- Ce qu'on vise, c'est un niveau à la sortie.
Q- Puis, au moment où vous étiez en train d'analyser les modifications aux règles budgétaires puis prendre la décision de modifier les règles budgétaires, vous n'aviez pas de données sur la compétence en français de ces étudiants-là?
R- Non. Ce qu'on sait, c'est qu'ils ont suivi des cours de français dans les niveaux inférieurs, puis qu'ils ont des bonnes chances de réussir sans difficulté les... les... les évaluations pour atteindre le niveau 5 compte tenu que c'est un niveau assez inférieur, là, c'est un niveau intermédiaire.
Q- O.K. Puis, maintenant, par rapport aux étudiants internationaux, donc j'ai le même questionnement. Donc, est-ce que le ministère a des données ou des analyses relatives à l'intégration à la société québécoise des étudiants internationaux qui fréquentent les universités anglophones?
R- Est-ce que vous référez au même niveau de connaissance de français au départ? Parce que c'est de ça qu'on vient de parler, là, pour les étudiants canadiens non-résidents, là.
Q- O.K.
R- Si c'est ça, on a leur provenance, puis on a une évaluation de leur niveau de connaissance en français, sommaire, mais à leur entrée.
Q- Mais, en prenant la décision puis en évaluant les modifications qui seraient faites aux règles budgétaires, est-ce que le ministère avait des données sur la compétence en français des étudiants internationaux?
R- Non.
Q- O.K.
R- Ce qu'on a, c'est leur provenance, puis on a une... une estimation de leur niveau de connaissance, mais on n'a pas identifié le niveau de connaissance de chaque étudiant, là.[138]
- Aucune donnée objective n’a donc servi de base à la décision de la Ministre de conditionner le financement des universités anglophones à l’acquisition de compétences en français par 80 % de leurs étudiants hors Québec. La Ministre ne réfère qu’à une estimation du niveau de français des étudiants provenant de l’extérieur du Québec basée sur leur provenance.
- La Ministre affirme par ailleurs que les étudiants CNRQ et Internationaux provenant de pays francotropes possèdent davantage de chances d’apprendre le français. Rappelons que les mots pays francotropes réfèrent à des pays qui possèdent des liens, notamment historiques ou politiques, avec le français, ou dont la population parle une langue romane descendante du latin.
- Cette prémisse s’avère non fondée.
- Poussée à l’extrême, cette idée qu’une personne provenant d’un pays francotrope apprenne plus facilement le français qu’une autre laisse supposer qu’un étudiant russophone, par exemple, apprendra plus facilement le français qu’un étudiant japonais du fait qu’historiquement les tsars et l’élite russes parlaient le français ou que Tolstoï a écrit originellement en français certains dialogues de Guerre et Paix. Et que dire des étudiants provenant d’Angleterre, dont les liens historiques et politiques avec la France tapissent l’histoire?
- Le Tribunal préfère nettement le raisonnement moins vacillant de l’experte en linguistique Diane Querrien, professeure agrégée à l’Université Concordia au Département d’études françaises, qui consacre sa carrière à l’enseignement et l’apprentissage du français comme langue seconde ou étrangère. À la question Quels sont les facteurs qui affectent la probabilité qu’un étudiant apprenne une nouvelle langue, elle affirme :
Notre exposé a démontré que la probabilité qu’un étudiant apprenne une nouvelle langue est influencée par plusieurs facteurs, notamment le plurilinguisme, le niveau de littératie dans la langue première, la motivation, le contexte d’apprentissage, les caractéristiques individuelles (comme la conscience métalinguistique, les préférences d’apprentissage, la personnalité, l’âge, etc.), ainsi que l’ordre d’acquisition des langues déjà parlées. Cependant, les résultats de recherche ne permettent pas de quantifier l’importance d’un facteur ou d’un autre dans la probabilité d’apprendre une nouvelle langue. C’est-à-dire qu’il n’est pas possible de prédire l’exclusivité de l’importance d’un facteur tel que la langue officielle du pays d’origine sur la probabilité d’apprendre le français dans un temps imparti.[139]
- En ce qui concerne les pays dont la population parle une langue romane, on cite la Roumanie en exemple. Or, à la question Est-ce que les étudiants en provenance de pays « de langue latine autre que le français » ou de pays qui « possèd[ent] des liens historiques ou politiques » avec le français, tel que décrits aux pièces PGQ-39 et PGQ-41, ont une plus forte probabilité d’apprendre le français que d’autres étudiants, l’experte Querrien écrit :
Notre exposé a montré que le classement décrit et présenté dans les pièces PGQ-39 et PGQ-41 repose sur la proximité perçue des langues « officielles » des pays listés et la langue française. Cependant, les recherches en sociolinguistique et en acquisition des langues montrent que ce critère est trop réducteur pour évaluer la capacité d’une personne à apprendre le français. Premièrement, ce classement ignore la possibilité que les ressortissants soient plurilingues ou parlent une autre langue que la langue officielle de leur pays (incluant le français). Deuxièmement, l’idée selon laquelle la proximité linguistique ou les affinités historiques et politiques avec la langue française constitueraient le seul facteur de réussite dans l’apprentissage du français n’a pas de fondement scientifique sérieux. Les étudiants en provenance de pays de langue romane ont certes – peut-être – l’avantage de pouvoir faire de plus nombreux transferts entre leur langue et le français, mais ils n’échappent pas au phénomène des interférences, au possible manque de motivation, à un possible contexte d’apprentissage qui ne correspond pas à leurs besoins, etc. De plus, qu’un apprenant parle une langue « proche » ou « éloignée » du français, de nombreux autres facteurs peuvent affecter l’apprentissage et dépasser les effets supposés de la langue première, comme les compétences métacognitives et métalinguistiques développées par les plurilingues, le niveau scolaire et les compétences en littératie, le contexte dans lequel la langue est apprise, le temps que la personne peut allouer à l’apprentissage du français, la motivation ou encore l’attitude face à l’apprentissage.[140] [Soulignement ajouté]
- Le Tribunal note que la professeure Querrien enseigne à l’Université Concordia depuis 2016, mais sa qualité d’expert n’a pas été remise en cause et la valeur probante de ses conclusions n’en est pas affectée.
- En outre, Concordia démontre que, sur l’ensemble de sa population étudiante, ce qui comprend, donc, ceux issus de CÉGEPs du Québec, la véritable menace appréhendée par le gouvernement proviendrait de seulement 300 étudiants CNRQ et 450 étudiants Internationaux[141], lesquels ne possèdent qu’un niveau débutant en français, si on se réfère au sondage SOM que dépose Concordia[142].
- Appuyant Concordia sur ce point, McGill ajoute que ses étudiants CNRQ et Internationaux ne représentent qu’une infime portion de la population vivant à Montréal, soit environ 1,7 % et ce, en incluant même ceux qui maîtrisent le français. Cette statistique se réduit à 0,85 % si on considère l’agglomération métropolitaine[143]. Pourtant, ajoute-t-elle, le gouvernement tente de justifier ses nouvelles mesures budgétaires par le fait que les étudiants provenant de l’extérieur du Québec constituent une menace à la survie du français à Montréal ou, du moins, participent au déclin du français, ce qui nécessiterait d’en réduire le nombre[144].
- Enfin, McGill dépose la déclaration sous serment d’une de ses professeurs qui corrobore l’opinion de madame Querrien. Dans sa déclaration sous serment du 7 novembre 2024, la professeure Natallia Liakina écrit :
[16] La cible de 80 % prévue par l’obligation de francisation est fondamentalement irréaliste.
[…]
[20] Un pays « francotrope » serait un « pays de langue latine autre que le français ou qui possède des liens historiques ou politiques avec cette langue ». Le Ministère a aussi inclus dans cette catégorie de pays les étudiants canadiens non-résidents du Québec (les étudiants « CNRQ ») de langue maternelle anglaise ou allophones, comme il appert de la Pièce PGQ-39 (note de bas de page n° 2).
21. Toutefois, de mon expérience à titre d’enseignante de français langue seconde, le fait qu’un étudiant maîtrise une langue latine autre que le français (comme l’espagnol, l’italien, le portugais, le roumain et le catalan) ou provienne d’un pays ayant des liens historiques ou politiques avec cette langue (comme l’Allemagne, le Cambodge, l’Égypte, le Royaume-Uni et le Vietnam) ne signifie pas qu’il y a nécessairement une forte probabilité que cet étudiant atteigne le niveau 5 de compétence orale en français sur l’Échelle québécoise à la fin de son parcours universitaire.[145]
- La prémisse que les étudiants provenant de l’extérieur du Québec représentent une menace à la langue française est reprise par le ministre responsable de la langue française alors qu’en conférence de presse il déclare :
Lorsque des dizaines de milliers de personnes arrivent sur l’île de Montréal sans maitriser le français, c’est évident que ça peut avoir un effet anglicisant sur la métropole[146].
- Prenant appui sur des déclarations similaires du même ministre du gouvernement, voire du Premier ministre[147], l’avocat principal de McGill plaide avec verve, à peu de mots près, que : le gouvernement n’en veut plus, des étudiants anglophones au centre-ville de Montréal!
- Il semble pourtant que la crainte du gouvernement que les étudiants CNRQ et Internationaux ne s’intègrent pas, ou moins bien que d’autres, à la société québécoise du fait de leur niveau de maîtrise du français, se dissipe à l’égard des étudiants CNRQ inscrits, ou qui le seront, à l’Université Bishop’s. Le gouvernement dispense en effet cette université anglophone de la rigueur des modifications aux Règles budgétaires. Dans la lettre du 14 décembre que le sous-ministre Leclerc écrit au Principal et Vice-Chancelier de Bishop’s, on peut lire :
Cependant, le Conseil des ministres a pris la décision de tenir compte des défis particuliers que peut rencontrer l’Université Bishop’s, notamment sur le plan du recrutement, à titre d’université de petite taille située en région. Ainsi, sous réserve d’approbation des règles budgétaires relatives aux nouveaux tarifs par le Secrétariat du Conseil du trésor, un nombre maximal de 825 étudiants CNRQ pourront être exclus de la nouvelle tarification à partir du trimestre d’automne 2024. Les personnes sélectionnées continueront de débourser le tarif actuel de 203,70 $ par unité, majoré selon l’indexation annuelle déterminée dans le régime budgétaire des universités. Ces droits d’exclusion vous seront octroyés graduellement, selon les paliers suivants :
• 2024-2025 : 205 nouvelles exclusions;
• 2025-2026 : 205 nouvelles exclusions additionnelles;
• 2026-2027 : 205 nouvelles exclusions additionnelles;
• 2027-2028 : 210 nouvelles exclusions additionnelles.
Le nombre d’exclusions qui vous est octroyé est supérieur de 10 % à la clientèle CNRQ que vous avez accueille, en moyenne, au cours des cinq dernières années. Cette mesure permettra donc à votre établissement de demeurer une destination de choix pour les étudiants issus des autres provinces canadiennes.[148]
[Reproduction intégrale]
- Le sous-ministre base cette décision sur la taille de l’Université Bishop’s et sa situation géographique – et sans doute démographique –, une région située à près de 160 kilomètres de Montréal. On devine que la Ministre estime que les étudiants CNRQ qui fréquentent cette université, vivant donc dans un environnement majoritairement francophone, ne représentent pas une menace ou s’intègrent plus aisément à la société québécoise, eux qui baignent davantage dans un milieu francophone. C’est probablement le cas, mais la preuve du PGQ ne le démontre pas. Or, le Tribunal ne peut fonder sa décision sur des suppositions, mêmes les plus séduisantes.
- Les éléments justificateurs que dévoile le sous-ministre ne convainquent pas que les universités anglophones montréalaises devraient se voir pénalisées pour le même type de clientèle : les étudiants CNRQ ou Internationaux qui habitent un quartier majoritairement peuplé par des francophones de Montréal ne sont-ils pas autant exposés à la langue française que ceux qui demeurent à Sherbrooke? Par opposition, que dire des étudiants anglophones CNRQ qui habitent le campus de l’Université Bishop’s pour n’en sortir que pour retourner les fins de semaine de l’autre côté de la frontière québécoise? Peut-on vraiment affirmer que ceux-ci deviennent imbibés du fait français, favorisant ainsi leur apprentissage de la langue française, alors qu’ils passent la presque totalité de leur vie en anglais?
- En ce qui concerne la Règle d’acquisition de compétences en français, les universités anglophones soulignent la difficulté, voire l’impossibilité d’atteindre la cible de 80 %. Selon les universités, les heures nécessaires à l’acquisition des compétences de niveau 5 pour un étudiant anglophone visé équivalent à une session universitaire complète. Le nombre de semaines requis pour l’atteinte du niveau 5 dans les diverses compétences (production écrite, production orale, compréhension écrite) varie selon le nombre d’heures consacrées hebdomadairement. Il passe de 33 semaines à 99 semaines pour un étudiant qui possède déjà le niveau 3. Les chiffres augmentent, évidemment, à l’égard des étudiants ne possédant qu’un niveau 1[149].
- Les universités ont proposé à la Ministre des objectifs moins ambitieux et davantage réalisables, par exemple 40 % des membres de leurs cohortes anglophones CNRQ et Internationaux étudiants dans un programme en anglais. Comme la Cour le mentionne dans le jugement rendu sur la demande de sursis :
[52] Selon Concordia, l’objectif de protection et promotion de la langue française qu’énonce la Charte de la langue française serait atteignable sans miner son autonomie institutionnelle et financière. En ce sens, elle considère le plan de francisation de 40% des étudiants non francophones présenté par les universités anglophones à la Ministre comme étant ambitieux, réaliste, conforme aux valeurs et à la culture d’accueil des étudiants de diverses origines, et surtout non préjudiciable au niveau du nombre d’inscriptions dans ses programmes.
[53] Concordia révèle aussi avoir proposé à la Ministre un plan selon lequel les frais de scolarité des étudiants CNRQ seraient établis selon les programmes d’études suivis par ces derniers afin de préserver sa capacité d’attraction en rapport avec les autres universités canadiennes. Le refus de la Ministre d’accepter le taux de francisation de 40 % et de prendre en considération le calcul des frais de scolarité selon le programme d’études ajoute au caractère déraisonnable de sa décision.
- Fort de ce qui précède, il s’agit maintenant de déterminer si les Règles contestées résultent d’une décision raisonnable de la Ministre et si elles s’avèrent elles-mêmes raisonnables.
- LES BASES FACTUELLES DE LA DÉCISION DE LA MINISTRE
- Le petit bassin dans lequel baigne le Québec à l’intérieur d’une mer anglophone qui s’étend sur tout un continent n’est pas sans risque de noyade pour le fait français. C’est ce qui inquiète le gouvernement, non sans raison. La protection de la langue française au Québec, plus particulièrement à Montréal, doit demeurer une préoccupation de tout instant du Gouvernement et des Québécois eux-mêmes, quelle que soit leur langue.
- C’est notamment en raison de mesures législatives fortes que le Québec maintient la vitalité du français; celles en matière de langue d’affichage y participent. Dans l’arrêt Québec (Procureure général) c. Magasins Best Buy ltée[150], la Cour d’appel écrit :
[7] Pour les raisons que l'on connaît et que l'on ne peut plus guère contester, la promotion et la protection de la langue française constituent, au Québec, un impératif reconnu, obéissant à un besoin réel et rémanent. L'usage du français sur la place publique s'affirme comme l'un des pivots de cette politique : « L'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français » ou d'une manière qui assure la prédominance nette du français, édicte l'article 58 de la Charte, qui énonce là un principe permettant, pour paraphraser la Cour suprême, d'assurer que la réalité de la société québécoise se reflète dans son « visage linguistique ».
[Références omises]
- La Ministre et son collègue responsable de la langue française défendent le français, en vertu de leurs responsabilités ministérielles législatives. Mais leurs décisions ne sauraient prendre appui sur de fausses prémisses, comme c’est le cas en ce qui concerne les modifications des Règles budgétaires à l’égard des étudiants CNRQ et la Règle d’acquisition des compétences en français, dont la plupart des motifs mis de l’avant par la Ministre ne trouvent aucun appui dans la preuve.
- Les universités anglophones ne contestent pas que le français doive conserver sa prédominance en tant que langue d’usage. Dans le mémoire que dépose McGill à la Ministre le 20 juin 2023, elle écrit même :
Dans le contexte nord-américain, la langue française au Québec demeurera toujours fragile. Nous comprenons que le gouvernement du Québec souhaite voir les universités anglophones jouer un rôle plus important dans la francisation des étudiants canadiens (hors Québec) et internationaux qui fréquentent leur établissement, ce dans l’espoir qu’ils choisissent de rester dans la province[151].
- En revanche, elles plaident que les mesures gouvernementales à cet effet doivent s’appuyer sur davantage que des généralités, des a priori, des spéculations ou des idées préconçues issues de raccourcis factuels.
- Elles ont raison en partie au vu des faits des deux pourvois.
- Il est vrai que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire suppose une grande marge de manœuvre et que le Tribunal doive accorder à la Ministre toute la latitude pour agir. La retenue s’impose en matière de décision reposant sur des choix politiques. Mais aussi importante que soit sa discrétion, la Ministre doit tout de même démontrer qu’elle l’exerce de manière raisonnable, c’est-à-dire, en l’occurrence, en fonction de données existantes et fondées. Autrement, la Ministre pourrait hypothétiquement se réfugier derrière un pouvoir discrétionnaire quasi illimité pour se mettre hors d’atteinte de toute intervention judiciaire. Or, comme le souligne la Cour d’appel dans l’arrêt Bellefleur c. Québec (Procureur général)[152] :
Évaluer le caractère raisonnable d'une décision administrative est une opération particulièrement délicate et qui comporte un piège évident pour le pouvoir judiciaire. […] Il faut donc s'en tenir à des critères d'évaluation stricts de contrôle de la légalité. […]
En second lieu, il faut considérer les bases sur lesquelles la décision a pu être prise et ses sources, puisque c'est en définitive ce qui sépare une décision discrétionnaire mais légale, d'une décision arbitraire et donc illégale. La première est fondée sur certaines données objectives, même incomplètes, ou sur certains éléments ou normes existants, alors que la seconde relève de la fantaisie, du caprice, de l'ignorance volontaire, du bon plaisir ou de la négligence.
[Soulignement ajouté]
- Dans TransAlta, la Cour suprême rappelle ce principe en ces termes :
[15] Comme il est expliqué dans Auer, l’arrêt Katz Group continue de fournir des indications utiles et guide le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En particulier, les principes suivants de Katz Group continuent de s’appliquer :
(…)
• Le contrôle de la validité d’un texte législatif subordonné n’implique pas l’appréciation du bien‑fondé des considérations d’intérêt général. Les tribunaux doivent contrôler uniquement la légalité ou la validité du texte législatif subordonné (West Fraser Mills, par. 59, la juge Côté, dissidente, mais non sur ce point; La Rose c. Canada, 2023 CAF 241, par. 28).
- Revenant à Vavilov, relisons le paragraphe qui suit :
[86] L’attention accordée aux motifs formulés par le décideur est une manifestation de l’attitude de respect dont font preuve les cours de justice envers le processus décisionnel : voir Dunsmuir, par. 47‑49. Il ressort explicitement de l’arrêt Dunsmuir que la cour de justice qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » : par. 47. Selon l’arrêt Dunsmuir, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : ibid. En somme, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné.
[Soulignement ajouté]
- Le contexte décrit plus haut ne justifie pas la prise d’une décision à partir d’un fondement erroné. Toujours dans Vavilov, la Cour suprême écrit :
[96] Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant compte du contexte institutionnel et à la lumière du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines, par. 26‑28. Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses et Alberta Teachers ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.
[Soulignement ajouté]
- Les règles 3.4 des Règles 2023-2024 et 2.5.2 des Règles 2024-2025 sont les fruits de décisions déraisonnables
- Compte tenu de ces enseignements, il appert manifeste que la décision de la Ministre et les modifications aux Règles budgétaires qui en découlent de la règle 3.4 et de l’avènement du taux de 80 % de la Règle 2.5.2 ne résistent pas à l’analyse de la raisonnabilité.
- La Ministre dit justifier l’augmentation du montant forfaitaire payable par les étudiants CNRQ et l’intention de mettre fin à un financement généreux de leurs études au Québec, par le fait qu’ils quittent la province à la fin de leurs études et par leur participation au déclin du français. Ces prémisses s’avèrent non fondées, comme illustré plus haut. De plus, leur interrelation soulève des incohérences.
- Si, comme l’avance la Ministre sans données objectives à l’appui, la présence d’étudiants provenant du reste du Canada constitue une menace à la survie du français du fait de leur absence d’intégration à la société québécoise, pourquoi alors, du même souffle, conditionne-t-elle le financement des universités anglophones à l’obligation d’acquisition de compétences en français pour des étudiants qui ne restent pas au Québec après l’obtention de leurs diplômes?
- S’y ajoute une autre contradiction interne avec le principe prévu à la même règle 3.4 des Règles budgétaires, voulant que les étudiants CNRQ paient des droits de scolarité globalement comparables à ceux en vigueur dans les universités ailleurs au Canada[153]. S’il est loisible à la Ministre d’établir pour les étudiants CNRQ les mêmes droits de scolarité indistinctement du programme offert au Québec[154] et de rejeter la proposition des universités anglophones de les moduler en fonction de la nature du programme à l’instar des autres universités canadiennes, il n’en demeure pas moins que selon la nouvelle tarification, les droits de scolarité pour certains programmes, dont plusieurs de Concordia[155], sont nettement supérieurs à ceux exigés par les universités canadiennes pour les mêmes programmes d’études, et rendent les universités anglophones du Québec moins accessibles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le CCAFÉ émet un avis défavorable à cet égard :
Dorénavant, avec les modifications proposées dans l’avis, les droits de scolarité pour les étudiantes et étudiants CNRQ passeront de 8 992 $ à 12 000 $ minimum + indexation dès l’automne 2024, soit une hausse de 33 %. Le Comité s’interroge sur l’établissement de ce montant. Il aurait souhaité avoir plus de détails concernant le rationnel sur lequel repose l’établissement de ce nouveau tarif.
Dans des avis passés, le Comité encourageait le Ministère à renouer avec la méthode qu’il utilisait avant 2020 pour fixer les droits des étudiants canadiens non-résidents du Québec (CNRQ). Cette méthode apparaissait plus adéquate puisque, dans l’ensemble, elle permettait de déterminer des droits totaux se rapprochant de ceux observés en moyenne dans les autres provinces canadiennes. Au cours des dernières années, le Comité avait malheureusement observé un écart grandissant. Cette nouvelle politique de tarification va augmenter encore davantage les écarts entre les provinces du Canada et le Québec.
[…]
Selon le Comité, cette décision d'augmenter les droits de scolarité pour les Canadiens non-résidents du Québec semble peu justifiée et risque de compromettre l'accès à une éducation de qualité et de priver la société de talents potentiels. Le Comité invite à réévaluer cette tarification pour préserver l'égalité des chances et favoriser un environnement éducatif inclusif et diversifié.
Bien que la nécessité de financer l'éducation soit indiscutable, il est impératif de trouver des solutions qui n'affectent pas négativement l'accessibilité, la diversité et l'attrait des institutions éducatives québécoises.
Par conséquent, le Comité émet un avis défavorable par rapport à la nouvelle tarification pour les CNRQ parce qu’il estime que le principe qui prévalait avant le recours à l'indexation de fixer les droits en fonction de la moyenne des droits au Canada n’est pas respecté et que l’augmentation prévue aura un impact sur l’accessibilité financière. […][156]
- De même, la Ministre explique la règle de l’obligation de l’acquisition de compétences en français à hauteur de 80 % de chaque cohorte universitaire par la nécessité de mieux intégrer les étudiants non québécois de 1er cycle à notre société et freiner l’érosion du français. Ici encore, la pauvreté de la preuve, pour ne pas dire son absence, ne permet pas de donner raison au PGQ sur ce point.
- La charte constitutive de McGill et son autonomie académique
- McGill fait appel à ses racines. Elle rappelle son origine, elle qui voit le jour par l’avènement de la Charte royale de 1821[157] modifiée par celle de 1852[158]. La première comporte des garanties substantielles en matière de liberté académique, que réaffirme la seconde. La charte de McGill, comme toutes les chartes royales, découle de l’exercice de la prérogative royale[159]. Or, ni la prérogative royale ni les droits découlant de son exercice n’ont été affectés par la naissance de la Confédération[160]. C’est pourquoi les tribunaux reconnaissent la valeur juridique et l’effet contraignant de la Charte royale de McGill[161] comme celles d’autres universités au Canada[162].
- Ces prémisses établies, McGill affirme que la Règle d’acquisition de compétences en français s’avère illégale envers elle et imposée sans droit au moyen d’une décision administrative[163], puisque le gouvernement ne peut interférer avec sa liberté académique que par l’entremise d’une loi ou d’un règlement[164]. Or, les Règles budgétaires, de simples directives, ne sont ni un ni l’autre[165].
- Le Tribunal rejette ces prétentions.
- D’abord, comme le souligne le PGQ, la Règle d’acquisition de compétences en français ne prévoit pas la manière dont la cible de 80 % doit être atteinte et ne constitue pas une condition de diplomation pour les étudiants. Il revient donc aux établissements, en collaboration avec le Ministère, de mettre en place les activités qui favoriseront l’atteinte de la cible. La mise en œuvre de l’orientation ministérielle par les établissements permettrait en principe de préserver l’autonomie académique des universités et laisse indemnes les fondements de la Charte royale de McGill.
- La définition de la tâche déterminée par les participants au comité formé en vertu de la règle 2.5.2 en est le reflet :
Il est attendu du groupe de travail que ses membres discutent des conditions et des mesures qui pourraient permettre à chacune des universités anglophones d’atteindre la cible, notamment celles nécessaires au développement et à l’évaluation des compétences en français des étudiants visés. Les discussions seront conduites dans le respect de l’autonomie des universités, notamment en matière d’enseignement, et de manière à favoriser la mise en commun des expertises.[166]
- L’étape de planification prévue pour l’exercice 2024-2025 n’est cependant pas terminée, selon les informations dont dispose le Tribunal, et les mesures n’ont toujours pas été établies[167], de sorte qu’il apparaît prématuré de prétendre que la forme qu’elles prendront portera nécessairement atteinte à l’autonomie universitaire des établissements anglophones ou à la Charte royale de McGill, surtout si les activités ou mesures de francisation émaneront des universités elles-mêmes.
- N’empêche, l’irrespect de la règle peut mener à un retrait complet des subventions[168]. Il est vrai que, comme le prétend le PGQ, la Règle d’acquisition de compétences en français présente une orientation du Ministère en demandant aux universités anglophones de prendre des mesures pour atteindre la cible que vise la Ministre à l’égard des étudiants non québécois inscrits à des programmes en anglais.
- Malgré tout, trop d’incertitude persiste à ce sujet et il faudrait une preuve plus élaborée que celle offerte dans ces dossiers pour trancher ce point. Une conclusion s’impose, toutefois, de la preuve disponible : la Ministre n’explique ni ne justifie sa crainte pour la survie du français à l’égard d’un sous-groupe régional, plus particulièrement montréalais, d’étudiants CNRQ ou Internationaux qui inscrits dans une université anglophone dans des programmes en anglais.
- Surtout, les universités anglophones ont raison de redouter l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de leurs têtes que constitue la menace de retrait des subventions alors que la mesure elle-même n’est pas encore complète.
- En somme, comme indiqué plus haut, en raison de sa grande difficulté à la respecter, de l’absence de données fiables existantes à cet égard et de l’importance de la pénalité potentielle, la Règle budgétaire 2.5.2 s’avère déraisonnable.
- En plus d’imposer une cible de 80 % inatteignable, les objectifs mêmes de cette règle ne sont pas définis par la Ministre au moment de son adoption. Ils sont censés être précisés ultérieurement dans le cadre des travaux d’un groupe mixte formé par le Ministère et les universités anglophones[169]. Le manque de précision de l’obligation de l’acquisition de compétences en français quant à ses objectifs, conditions et moyens pour atteindre la cible prévue participe au caractère déraisonnable de cette règle budgétaire dans la mesure où l’allocation de subventions dépend de son respect.
- Les contraintes juridiques
o Les objectifs de la LMES
- Concordia plaide que la Ministre dévie de sa mission législative alors qu’elle décide de la hausse des droits de scolarité dont il s’agit. Elle affirme que la décision de la Ministre contrecarre plus particulièrement son rôle de promouvoir l’enseignement supérieur, de faire rayonner le Québec au Canada et à l’étranger et de développer des établissements d’enseignement supérieur et de veiller à la qualité des services dispensés. En effet, soutient-elle, la décision de la Ministre contredit l’objet de la loi de favoriser le développement des établissements d’enseignement supérieur[170].
- Cet argument de Concordia néglige l’importance à accorder à la Charte de la langue française[171] (CLF). La Ministre, comme tout autre membre de l’Exécutif, doit respecter la CLF, telle que modifiée par la Loi sur la langue officielle et commune au Québec, le français[172]. Elle doit donc s’assurer d’agir en fonction des principes directeurs et se soucier de la situation de la langue française dans le cadre de ses fonctions ministérielles et plus particulièrement lors de sa prise de décisions et orientations générales. Comme le rappelle la Cour (le juge Immer, maintenant à la Cour d’appel) dans l’affaire sur le bilinguisme des juges de la Cour du Québec :
[238] Vu l’exposé qui a déjà été fait dans sur le « besoin réel et rémanent » de protection de la langue française, le Tribunal ne peut voir là, en soi, la considération d’une fin étrangère. Évidemment, l’objectif de protection et de promotion de la langue française ne peut devenir la seule variable lorsque le Ministre prend en considération les besoins exprimés par la Juge en Chef. Néanmoins, elle ne constitue pas, ni dans le contexte de ce dossier, ni en soi, une fin étrangère.[173]
- La Ministre doit donc jouer à l’équilibriste : promouvoir l’enseignement supérieur, la recherche et le développement en plus de voir au rayonnement du Québec à l’extérieur tout en s’assurant de demeurer dans le cadre de la CLF.
- Mission complexe. Mais pas mission impossible.
- Si la Ministre se voit astreinte à ce que prévoit la CLF, elle doit tout de même d’abord et avant tout assurer que sa fonction fondamentale, foncière, pour ainsi dire ontologique, demeure, celle de voir au plus haut niveau de qualité d’enseignement supérieur et de recherche.
- Pour reprendre quasi textuellement l’article 2 LMES, la Ministre doit en effet soutenir le développement et promouvoir la qualité de l’enseignement collégial et de l’enseignement universitaire afin de favoriser l’accès aux formes les plus élevées du savoir et de la culture, notamment par le développement des connaissances et des compétences, à toute personne qui en a la volonté et l’aptitude. Elle doit de même contribuer à l’essor de la recherche, notamment fondamentale et appliquée, de la science, de l’innovation et de la technologie, entre autres dans les milieux académiques, industriels et sociaux, dans une perspective de développement durable en favorisant particulièrement l’accès au savoir, le développement économique, le progrès social et le respect de l’environnement. Pour ce faire, elle favorise la synergie des actions des différents acteurs concernés.
- De même, pour référer cette fois à l’article 4 LMES, la Ministre doit faire la promotion de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la science, de l’innovation et de la technologie et favoriser, dans ces domaines, la concertation entre les différents acteurs, la cohérence de l’action gouvernementale. Elle doit en outre favoriser le développement des établissements d’enseignement supérieur et veiller à la qualité des services dispensés.
- Certes, toute loi doit être interprétée de manière à favoriser l’utilisation et la protection du français, suivant les articles 40.1 et 40.3 de la Loi d’interprétation[174], dispositions déclaratoires. Toutefois, le degré de détail de la mission que la LMES confie à la Ministre dissipe tout doute quant à la clarté de sa tâche et s’avère tel qu’il ne lui permet pas d’y obvier en raison de ce qu’elle doive par ailleurs protéger le français. Interprétant harmonieusement cet ensemble législatif, cela signifie que la Ministre doit protéger le français dans l’élaboration de ses politiques, telle sa politique sur le financement des universités, et dans sa prise de décision concernant sa mission législative.
- Si la Ministre, comme il se doit, s’assure de la protection du français lorsqu’il s’agit de prendre une décision dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires, ce n’est jamais qu’en veillant à ne pas diluer la qualité de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la science. Cela découle logiquement du principe suivant lequel les lois s’interprètent aussi et s’appliquent les unes en fonction des autres et qu’à moins d’une disposition expresse, l’application de l’une ne peut priver l’autre de sa force exécutoire.
- La protection accrue de la langue française demeure fondamentale, surtout considérant le contexte linguistique dans lequel se trouve le Québec, un continent peuplé majoritairement d’anglo-saxons. Mais cette protection vigilante ne justifie pas la création de politiques et la prise de décisions contraires à la mission législative de la Ministre et érigées sur des données erronées ou absentes.
- En l’occurrence, la Ministre s’éloigne tant de sa mission législative que sa décision de modifier les Règles budgétaires devient, pour ce motif supplémentaire, en partie déraisonnable.
o La consultation inadéquate du CCAFÉ
- Parmi les facteurs à considérer dans l’analyse de la raisonnabilité d’une décision se trouve la prise en compte des contraintes factuelles et juridiques avec lesquelles compose le décideur.
- Ici, la Ministre disposait de divers avis concernant les mesures qu’elle entendait adopter dans la mise en application du cadre budgétaire et des orientations déjà connues du milieu universitaire.
- Les articles 88 et 90 LMES imposent à la Ministre l’obligation de consulter le CCAFÉ :
88. Le Comité consultatif est chargé de conseiller le ministre et le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport sur toute question que l’un ou l’autre lui soumet relativement:
1° aux programmes d’aide financière institués par la Loi sur l’aide financière aux études (chapitre A-13.3);
2° aux droits de scolarité, aux droits d’admission ou d’inscription aux services d’enseignement et aux autres droits afférents à de tels services;
3° aux mesures ou politiques pouvant avoir des incidences sur l’accessibilité financière aux études.
(…)
90. Le ministre, après consultation du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport lorsqu’il y a un lien avec un ordre d’enseignement sous sa compétence, doit soumettre au Comité consultatif pour avis tout projet de règlement relatif aux programmes d’aide financière visés au paragraphe 1° de l’article 88.
Le ministre et le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport doivent pareillement soumettre pour avis toute condition qu’ils se proposent d’inclure dans des règles budgétaires ou dans toute directive qu’ils entendent donner aux établissements d’enseignement relativement aux matières visées au paragraphe 2° de l’article 88.
Le ministre ou le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, selon le cas, indique au Comité consultatif le délai dans lequel l’avis doit lui être transmis. Ce délai ne peut être inférieur à 30 jours.
À défaut pour le Comité consultatif de transmettre son avis dans le délai indiqué, l’obligation du ministre concerné, dans les cas prévus aux premier et deuxième alinéas, est réputée remplie.
- Or, la Ministre fait peu de cas de cette obligation alors qu’elle enclenche le processus menant à l’adoption de modifications aux Règles budgétaires avant même qu’un processus de consultation réel et significatif ne soit mené. Par ailleurs, lors de la déréglementation des étudiants Internationaux en 2019, le CCAFÉ avait déjà déploré le fait d’être consulté à un moment où tout indique que ses recommandations n’influeront en rien sur le cours des choses[175].
- Comme le souligne McGill, les modifications que proposait la Ministre ont été annoncées et transmises au CCAFE pour avis le 14 décembre 2023 et la Ministre lui a accordé le délai statutaire minimal de 30 jours […][176]. Le CCAFE avait donc jusqu’au 15 janvier 2024 pour transmettre son avis. Toutefois, les modifications annoncées aux Règles budgétaires ont été envoyées au Conseil du trésor pour approbation le 15 décembre 2023, soit le lendemain du début de la consultation et nettement avant l’expiration du délai minimal de 30 jours[177].
- Toujours le 15 décembre 2023, la Ministre informe le Conseil du Trésor de son souhait d’approuver les modifications aux Règles budgétaires au plus tard le 16 janvier suivant. Elle ignorait pourtant si des changements s’avéreraient nécessaires en raison de commentaires éventuels qu’elle recevrait du CCAFÉ. De fait, aucun changement n’est survenu et le Conseil du Trésor a approuvé les modifications aux Règles budgétaires à la date prévue[178].
- Le 16 janvier 2024, le CCAFÉ demande par lettre à la Ministre de produire son mémoire uniquement le 19 janvier – et non le 15 tel que requis – en raison des impératifs administratifs qu’il expose[179].
- L’approbation par le Conseil du Trésor survient au lendemain de l’expiration du délai statutaire minimal de consultation de 30 jours. Néanmoins, il est difficile de conclure que la Ministre satisfait pour autant à son obligation législative de consultation alors que les modifications qu’elle propose le 14 décembre s’avèrent celles qu’elle adoptera finalement sans changer un iota.
- Le CCAFÉ partage finalement à la Ministre, quoiqu’après le 16 janvier 2024, les préoccupations qui l’animaient. Il émet un avis défavorable au projet de modifications des Règles budgétaires en ce qui concerne les étudiants CNRQ[180] :
Par conséquent, le Comité émet un avis défavorable par rapport à la nouvelle tarification pour les CNRQ parce qu’il estime que le principe qui prévalait avant le recours à l'indexation de fixer les droits en fonction de la moyenne des droits au Canada n’est pas respecté et que l’augmentation prévue aura un impact sur l’accessibilité financière. Par ailleurs, pour les étudiants internationaux, le Comité demeure préoccupé de l'effet sur l'accessibilité financière dans l'éventualité où les universités décideraient d'aller bien au-delà du minimum exigé. À cet effet, comme il l'a déjà écrit dans d'autres avis, le Comité encourage le gouvernement à assurer un financement des universités qui limite leur dépendance aux revenus générés par les étudiants internationaux. Bien que celui-ci comprenne les impératifs financiers auxquels est confronté le système éducatif, il est convaincu que cette décision pourrait entraîner des conséquences significatives sur l’accessibilité financière aux études universitaires au Québec.
- Pour expliquer la tardiveté à répondre du CCAFÉ, McGill souligne que la Ministre astreint ce comité au délai minimal de 30 jours prévu par la LMES en dépit de la complexité de la réforme en chantier, le fait que le CCAFÉ devait rédiger, au cours de la même période, deux autres avis, le fait que la fin de semestre densifiait ses occupations en raison de la période d’examens alors que des membres du CCAFÉ enseignent ou étudient dans des universités.
- Malgré tout, la Ministre refuse de repousser la date de dépôt de l’avis du CCAFÉ.
- McGill, sans le dire aussi ouvertement, accuse la Ministre de mauvaise foi. Elle écrit : la période et le délai de consultation ont donc été choisis injustement et à dessein par la Ministre, celle-ci sachant pertinemment que le CCAFE ne pourrait pas livrer ses commentaires dans le délai imparti […], ce qui lui permettrait de prétendre que son obligation de consultation était réputée remplie (art. 90 al 4 de la Loi sur le Ministère).
- Le PGQ rétorque que la Ministre n’a qu’à consulter le CCAFÉ pour respecter son devoir législatif. C’est en effet ce que prévoit l’article 90 LMES. Il faut toutefois remettre cette consultation dans son contexte. Le CCAFÉ tire son existence et son rôle de la LMES elle-même. Il conseille la Ministre sur une variété de sujets liés à la mission législative de la Ministre, notamment sur les droits de scolarité, les subventions et les politiques pouvant avoir des incidences sur l’accessibilité financière aux études. La Ministre doit soumettre au CCAFÉ, pour avis, tout projet de règlement relatif aux programmes d’aide financière visés au paragraphe 1 de l’article 88. Elle doit également lui donner un délai minimal de 30 jours pour lui répondre. Cet environnement législatif campe tout le sérieux que le législateur accorde à ce devoir de consultation.
- Sans aller jusqu’où se rend McGill, le Tribunal constate que la Ministre refuse d’accommoder le CCAFÉ et semble faire peu de cas de ses éventuelles préoccupations. Il s’agit pourtant d’un joueur important. Les faits pointent vers, sinon un simulacre de consultation, à tout le moins une consultation inadéquate. Or, cela suffit pour conclure que la Ministre ne respecte pas concrètement son devoir de consultation.
- Dans Douillard c. Procureure général du Québec[181], la Cour écrit :
[79] D’emblée, il importe de rappeler que la consultation préalable à l’adoption d’une disposition prévue dans un texte législatif n’est pas un vain mot : son exigence forme l’un des éléments essentiels que la législature impose à l’exercice du pouvoir réglementaire délégué. Lorsque prévue, son inexistence entraîne la nullité de la disposition ou du règlement adopté. La consultation doit être réelle : elle constitue une règle fondamentale du principe de la justice naturelle et de l’équité procédurale. Celui à qui elle incombe doit procurer à celui qui y a droit suffisamment de renseignements et de temps pour lui permettre de se former une opinion valable de la situation relative à la fin recherchée, autrement la consultation n’est pas suffisante.
[80] Dans la présente affaire, la question n’est pas de savoir s’il y a eu consultation, mais plutôt s’il s’agit d’une consultation adéquate. Les demandeurs soumettent qu’il s’agit d’un simulacre de consultation qui équivaut à l’absence de consultation.
[81] En somme, il ne suffit pas qu’il y ait consultation, encore faut-il que les personnes consultées aient eu l’information suffisante sur l’objet de la consultation pour pouvoir donner un avis éclairé et aient une opportunité raisonnable de faire connaître leur point de vue, de souligner les problèmes et difficultés, s’il y a lieu. Toutefois, bien que le Ministre se doit de prendre l’avis de ces personnes, il n’est nullement obligé de le suivre. Cependant, une consultation adéquate est une condition de validité d’un acte administratif lorsque la consultation est obligatoire. En effet, si les exigences de la Loi en matière de consultation n’ont été respectées qu’en apparence par un processus marqué par un manque de fournir toutes les informations et sans possibilité d’influer sur le décideur, on ne saurait parler d’une consultation adéquate. Un tel processus équivaudrait à une absence de consultation.
[82] Enfin, dans un cas où l’avis a été donné et qu’une consultation a été tenue, mais que l’on attaque la façon de consulter ou le mode ou la qualité de la consultation, le Tribunal est d’autant plus justifié, dans l’exercice de sa discrétion, d’intervenir ou non en tenant compte de tous les facteurs qui militent en faveur ou contre l’intervention judiciaire. C’est ainsi que s’exerce judiciairement la discrétion.
[83] Conséquemment, il faut regarder le portrait global et se demander si les objectifs fondamentaux imposés par le législateur ont été respectés et atteints dans le respect des attentes raisonnables des demandeurs. Avant de conclure à l’illégalité d’une décision ministérielle comme celle attaquée dans le présent pourvoi, le Tribunal doit être convaincu que l’illégalité reprochée est à ce point fondamentale et irrémédiable que cette solution s’impose. Il pourrait s’agir d’un cas où le Ministre excède ses pouvoirs, porte atteinte aux règles de justice naturelle, ou encore ne respecte pas les règles d’équité procédurale.
- Ces propos s’appliquent à l’espèce.
- En raison des faits forts particuliers des présentes instances, c’est-à-dire l’ampleur des effets des modifications envisagées, l’importance du rôle du CAFFÉ voulu par le législateur et sa demande d’extension de délai alors que ses membres sont en pleine fin de semestre, la consultation menée par la Ministre s’est avérée d’aucune utilité et sa décision, tout comme les modifications aux Règles budgétaires, s’inscrivent en marge de son obligation législative de consultation. Ce n’est pas dire que la Ministre doive toujours accommoder le CCAFÉ ni suivre ses recommandations comme une dictée, mais, en l’espèce, et pour les motifs décrits ici, elle aurait été mieux avisée d’obtenir ses commentaires avant d’agir.
- Si le choix de la Ministre d’aller de l’avant n’est pas contraire à la lettre de la LMES, elle l’est à son esprit et sa décision de modifier les Règles budgétaires devient alors déraisonnable à l’égard de certaines règles, c’est-à-dire celles concernant les étudiants CNRQ et la Règle d’acquisition des compétences en français.
- Les règles 3.5 et 3.6 des Règles budgétaires 2023-2024 concernant les étudiantes Internationaux sont le fruit d’une décision raisonnable
- Plusieurs acteurs du milieu universitaire sont d’avis que la déréglementation des étudiants Internationaux a permis aux universités anglophones de générer plus de revenus que leurs homologues francophones. Des subventions spécifiques compensatoires étaient d’ailleurs prévues dans les règles budgétaires précédentes à cet égard. Réglementer de nouveau les étudiants Internationaux de 1er cycle et de 2e cycle de type professionnel signifie la perte pour toutes les universités (anglophones et francophones) de s’autofinancer en déterminant elles-mêmes les droits de scolarité applicables à ces étudiants.
- En décidant d’assujettir tous les étudiants Internationaux au même modèle de financement, selon lequel le Ministère participe au financement des étudiants Internationaux en versant aux universités les subventions normées et récupère le montant forfaitaire qu’il fixe, le gouvernement n’augmente pas leurs droits de scolarité, comme McGill laisse sous-entendre[182]. Certes, les Règles budgétaires fixent un seuil composé des droits de scolarité de base et du montant forfaitaire en ré-réglementant les étudiants Internationaux, mais le minimum imposé par le gouvernement est inférieur aux droits de scolarité chargés par les universités québécoise depuis la déréglementation.
- À titre d’illustration, pour l’année universitaire 2017-2018, les universités ont fixé les droits de scolarité par famille disciplinaire déréglementée ainsi[183] :
Droits de scolarité annuels des étudiants internationaux en 2017-2018 par famille disciplinaire dérèglementée au 1er cycle (en $) |
| Laval | Montréal | HEC | UQAM | McGill | Concordia | Bishop’s |
Administration | 19 879 | 21 592 | 24 000 | 19 783 | 42 027 | 22 112 | 21 000 |
Droit | 19 879 | 21 592 | 24 000 | 19 783 | 36 547 | 20 218 | 18 289 |
Génie | 19 879 | 21 592 | 24 000 | 19 783 | 36 547 | 20 218 | 18 289 |
Informatique | 19 879 | 21 592 | 24 000 | 19 783 | 36 547 | 20 218 | 18 289 |
Mathématique | 19 879 | 21 592 | 24 000 | 19 783 | 36 547 | 20 218 | 18 289 |
Sciences pure | 19 879 | 21 592 | 24 000 | 19 783 | 36 547 | 20 218 | 18 289 |
Source : Direction des affaires universitaires et interordres et Direction de la programmation budgétaire et du financement du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, à partir des sites internet des établissements. Données transmises au CCAFÉ le 25 mars 2019. |
- Il est plausible de croire que ces montants ont augmenté depuis. Selon la preuve, en mai 2023, Concordia a établi par catégorie de programmes, les frais de scolarité suivants pour les étudiants Internationaux de 2024-2025 à 2028-2029[184] :
| 2024-25 | 2025-26 | 2026-27 | 2027-28 | 2028-29 |
Premier cycle (30 crédits par année) |
Arts | 29 850 $ | 32 500 $ | 34 800 $ | 37 650 $ | 40 650 $ |
Affaires | 36 000 $ | 38 850 $ | 42 000 $ | 45 450 $ | 49 050 $ |
Informatique | 33 000 $ | 35 700 $ | 38 500 $ | 41 700 $ | 45 000 $ |
Génie | 33 000 $ | 35 700 $ | 38 500 $ | 41 700 $ | 45 000 $ |
Beaux-arts | 28 050 $ | 29 100 $ | 30 300 $ | 31 500 $ | 32 700 $ |
Sciences | 29 850 $ | 32 250 $ | 34 800 $ | 37 650 $ | 40 650 $ |
Deuxième cycle (pour un programme de 45 crédits) |
Arts | 32 625 $ | 34 200 $ | 35 775 $ | 37 350 $ | 39 150 $ |
Affaires | 49 725 $ | 52 775 $ | 58 050 $ | 62 775 $ | 67 950 $ |
Informatique | 32 625 $ | 34 200 $ | 35 775 $ | 37 350 $ | 39 150 $ |
Génie | 32 625 $ | 34 200 $ | 35 775 $ | 37 350 $ | 39 150 $ |
Beaux-arts | 32 625 $ | 34 200 $ | 35 775 $ | 37 350 $ | 39 150 $ |
Sciences | 32 625 $ | 34 200 $ | 35 775 $ | 37 350 $ | 39 150 $ |
- Dès lors, l’accessibilité financière aux études pour les étudiants Internationaux dépendra du montant forfaitaire facultatif que les universités leur imposeront :
Selon la proposition de la ministre, alors que précédemment, les universités décidaient du tarif chargé et le conservaient en totalité, elles devront maintenant facturer au minimum 20 618$ + indexation. De ce montant, les universités devront transmettre 17 737$ au MES et recevront une subvention en contrepartie (Lettre de la ministre).
Tout en constatant que les droits de scolarité actuellement chargés par les universités québécoises sont majoritairement égaux ou supérieurs au minimum imposé par le gouvernement, le Comité s’inquiète du fait qu’un éventuel manque à gagner entre le montant transmis au MES et la subvention reçue pourrait avoir un effet à la hausse sur les droits de scolarité forfaitaires facultatifs qui seront chargés aux étudiantes et étudiants étrangers par les établissements universitaires pour compenser. Cette inquiétude concerne particulièrement les universités anglophones considérant le souhait du gouvernement de redistribuer des sommes dans les universités francophones.
[…]
[…] Par ailleurs, pour les étudiants internationaux, le Comité demeure préoccupé de l'effet sur l'accessibilité financière dans l'éventualité où les universités décideraient d'aller bien au-delà du minimum exigé. À cet effet, comme il l'a déjà écrit dans d'autres avis, le Comité encourage le gouvernement à assurer un financement des universités qui limite leur dépendance aux revenus générés par les étudiants internationaux. Bien que celui-ci comprenne les impératifs financiers auxquels est confronté le système éducatif, il est convaincu que cette décision pourrait entraîner des conséquences significatives sur l’accessibilité financière aux études universitaires au Québec.[185]
- Lorsqu’elles attaquent les Règles budgétaires 3.5 et 3.6, les parties demanderesses contestent en réalité la réinstauration d’une formule de financement selon laquelle les subventions normées reçues par étudiant International se révèlent inférieures au montant forfaitaire récupéré par le Ministère, et ce, conjugué à l’absence de contrôle sur la redistribution de sommes dans le réseau universitaire.
202. The Minister includes these students in the calculation of normalized grants. However, universities recuperate much less than $17,736.90 by way of normalized grants. Concordia receives an average amount of $11,445 per international student (undergraduate and graduate programs other than research-based masters’ and doctoral programs) in normalized grants.
203. As a result of these changes, universities will not truly benefit from grants per student for international students; rather, they will incur a loss of revenue per student. On average, Concordia will be losing $6,291.90 per student (being the difference between the additional fee recuperated by the Minister of $17,736.90 and the average amount received by Concordia per student in normalized grants of $11,445 per student). While the rules do not prevent Concordia from recuperating this loss by charging international students higher fees, doing so would further discourage international student enrolment.[186]
- Même si les appréhensions des universités concernant une diminution de leurs sources de revenus paraissent légitimes, surtout lorsqu’elles sont placées dans le contexte des déclarations de la Ministre et d’autres représentants du gouvernement, le Tribunal ne saurait se prononcer sur l’opportunité du modèle de financement universitaire choisi par l’État et, en l’occurrence, son application uniforme à tous les étudiants Internationaux.
- Saisi du contrôle de la légalité et non de l’opportunité des Règles budgétaires 3.5 et 3.6, le Tribunal ne peut, à la lumière de la preuve présentée et des principes juridiques applicables, conclure à leur caractère déraisonnable.
CONCLUSION SUR LES ARGUMENTS DE DROIT ADMINISTRATIF
- La logique d’une décision peut être remise en question lorsque les motifs à sa base s’avèrent entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel comme lorsque le décideur recourt à de faux dilemmes ou à des généralisations non fondées.
- Le Tribunal doit vérifier si la décision de la Ministre et les Règles contestées sont acceptables et justifiables. Pour ce faire, il détermine si une explication raisonnée s’en discerne et si le résultat lui-même s’avère justifié eu égard aux contraintes juridiques et factuelles qui assujettissent la Ministre[187]. Ces contraintes comprennent les éléments de preuve qu’elle a étudiés ou qui lui ont été soumis.
- Ici, les Règles budgétaires attaquées s’avèrent déraisonnables, sauf celles qui s’adressent aux étudiants Internationaux, puisque non fondées sur des données objectives ou des considérations rationnelles. Tenant compte des contraintes factuelles et juridiques en présence, le Tribunal ne peut conclure que ces règles et la décision dont elles découlent résultent d’un dossier démontrant leur raisonnabilité. Aucune justification, apparente de la décision ou émanant du dossier, laisse voir une décision qui se veut cohérente[188].
- Il en va de même de la Règle d’acquisition de compétences en français.
LES ARGUMENTS DE DROIT CONSTITUTIONNEL
- Pour citer les motifs de la juge L’Heureux-Dubé dans Baker[189] [c]omme […] l’appel peut être tranché en vertu des principes du droit administratif et de l’interprétation des lois, il n’est pas nécessaire d’examiner les divers moyens fondés sur la Charte qui ont été invoqués par l’appelante et les intervenants qui l’ont appuyée.
- Cette prudente attitude empreinte de retenue judiciaire fait en sorte qu’une cour de justice ne tranche habituellement un débat constitutionnel que dans les litiges qui le nécessitent réellement. C’est ce qu’a décidé il y a longtemps déjà la Cour suprême dans l’arrêt Cumming, alors que le juge Pigeon écrivait :
Sauf dans des circonstances exceptionnelles, il n’est pas à propos de statuer sur des questions de droit qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour juger le litige, à plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’un problème constitutionnel [190].
- Cette prudence se justifie d’autant que les Pourvois, malgré les efforts des parties, présentent nombre de difficultés résultant de la preuve, ce qui n’est pas sans poser d’importants défis juridiques.
- Les Pourvois réussissent aux plans des arguments de droit administratif concernant les étudiants CNRQ et la Règle d’acquisition de compétences en français. Il n’y a donc pas lieu d’analyser les questions constitutionnelles des parties demanderesses à ces égards. Seule demeurerait requise l’analyse des arguments constitutionnels relativement aux règles 3.5 et 3.6 qui visent les étudiants Internationaux. Toutefois, les difficultés que provoque la preuve telle que constituée par les parties demanderesses s’avèrent telles qu’elles empêchent aussi de traiter ces aspects des pourvois, comme expliqué ci-après.
- Le droit à l’égalité
- McGill axe ses principaux angles d’attaque sur le droit à l’égalité que protège l’article 15 de la Charte canadienne. Elle affirme qu’elle-même, les étudiants CNRQ et les étudiants Internationaux bénéficient de la protection contre la discrimination. Cette discrimination serait basée sur la langue, en l’occurrence l’anglais, elle qui est désignée par l’État comme une université anglophone.
- Comme le souligne la Cour d’appel dans Alliance autochtone du Québec c. Procureur général du Québec (Ministre des Ressources naturelles et de la Faune du Québec et Ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec), le paragraphe 15(1) s’avère le plus difficile à comprendre au niveau conceptuel et dont le cadre analytique a connu de multiples formulations, le fil conducteur étant que ce cadre n’est pas clair (…) et conduit à des incohérences[191].
- Se présentent ici plusieurs écueils.
- Premièrement, McGill ne présente aucune preuve d’un étudiant anglophone CNRQ ou International qui établirait la preuve nécessaire à la démonstration de l’atteinte au droit à l’égalité : comment un tel étudiant vit les impacts des modifications aux Règles budgétaires, par exemple. De surcroit, se pose la question si les potentiels étudiants Internationaux que McGill et Concordia visent à recruter, à savoir les ressortissants étrangers qui généralement ne se trouvent pas sur le territoire canadien, peuvent se prévaloir de l’article 15 de la Charte[192]. Précisions que Meldrum, étudiant québécois, n’est pas visé personnellement par les Règles budgétaires en cause.
- Or, toujours dans l’arrêt Alliance autochtone du Québec, la Cour d’appel précise que ce fardeau appartient à une personne qui invoque l’article 15 de la Charte :
[90] Le critère à deux volets pour évaluer une demande fondée sur le paragraphe 15(1) oblige le demandeur à démontrer que la loi ou la mesure de l’État contestée :
a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;
b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage.
Les deux étapes sont distinctes, bien qu’elles puissent se recouper, en ce que la conclusion que la loi contestée a un effet disproportionné sur un groupe protégé (première étape) ne permet pas automatiquement de conclure que la distinction est discriminatoire (deuxième étape).
[91] La première étape consiste à se demander si la loi contestée a créé un effet disproportionné sur le groupe demandeur pour un motif énuméré ou analogue ou a contribué à cet effet, ce qui implique une comparaison entre le groupe demandeur et d’autres groupes ou la population générale. Le fait de laisser subsister un écart entre le traitement d’un groupe protégé par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ce groupe ne suffit pas en soi pour conclure que la première étape est satisfaite. C’est plutôt la preuve d’un effet disproportionné causé par la loi contestée ou à laquelle la loi contestée contribue qui doit être établie par le demandeur. En d’autres termes, un lien de causalité doit être établi par le demandeur entre la loi contestée et l’effet disproportionné sur le groupe protégé.
[92] Deux types d’éléments de preuve sont utiles pour prouver l’effet disproportionné de la loi à la première étape, soit :
1) les éléments de preuve portant sur tous les éléments contextuels de la situation du groupe des demandeurs; cette preuve peut provenir des demandeurs, d'autres témoins ordinaires ou de témoins experts; et
2) les éléments de preuve sur les conséquences pratiques et réelles de la loi sur le groupe; ces éléments peuvent, entre autres, être démontrés à l’aide d’une preuve statistique, de rapports d’experts, d’études de cas ou d’autres preuves qualitatives ou scientifiques.
Idéalement, les deux types d’éléments de preuve devraient être étayés et établis par les demandeurs en regard de la première étape de l’analyse, étant entendu que, selon la nature du cas, aucune forme particulière de preuve n’est nécessairement privilégiée et qu’une inférence raisonnable peut suffire dans certains cas.
[93] En résumé, la première étape consiste à déterminer si les dispositions législatives contestées créent un effet disproportionné pour un motif énuméré ou analogue sur le groupe du demandeur par rapport à d’autres groupes ou contribuent à cet effet. La nature exacte du fardeau de preuve imposé aux demandeurs à cette étape dépend de ce qu’ils demandent. Dans tous les cas, les demandeurs doivent s’acquitter de leur fardeau de preuve à la première étape avant de passer à la seconde étape.
[Références omises]
- En outre, dans l’arrêt Entreprises W.F.H. ltée c. Québec (Procureure générale), la Cour d’appel précise que, tel qu’établi par le par. 83 de l’arrêt Law, la première question que se posera le tribunal dans chaque affaire sera de savoir si une atteinte à la dignité humaine a été démontrée, compte tenu des contextes historique, social, politique et juridiques dans lesquels l’allégation est formulée[193].
- La preuve qu’offre McGill ne permet pas d’analyser cet aspect de la première étape du test.
- Deuxièmement, à ce jour, aucune cour de justice n’a encore décidé qu’une institution comme une université peut, en demande, revendiquer la protection qu’offre l’article 15 de la Charte canadienne. Certes, une personne morale peut soulever une atteinte à des droits que protège la Charte en défense, comme l’a décidé la Cour suprême dans Big M Drug Mart[194], mais nul n’a encore établi que ce précédent s’applique au droit à l’égalité alors qu’une personne morale poursuit l’État sur la base de la Charte canadienne. Au contraire, la Cour suprême précise que ce droit appartient à une personne physique[195]. Il en va de même de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne dont l’objectif concerne la protection du droit à la dignité et à l’égalité de tout être humain et, comme suite logique, la suppression de la discrimination[196].
- Notons toutefois que la Cour d’appel semble opiner, sans toutefois le décider, qu’une personne morale peut soulever l’article 15 si elle respecte les critères que revêt le test de l’intérêt pour agir dans le cadre d’une question justiciable sérieuse[197]. Mais le PGQ affirme que McGill ne peut invoquer le droit à l’égalité des étudiants eux-mêmes sans plaider pour autrui, ce qu’elle ne peut faire sans d’abord se faire reconnaître le droit d’agir dans l’intérêt public[198]. Voilà une autre question fondamentale à laquelle un Tribunal ne devrait répondre qu’en devant absolument le faire pour solutionner le litige.
- Troisièmement, demeure ouverte la question de savoir si la langue constitue un motif analogue à ceux inscrits à l’article 15. Même l’arrêt Gosselin[199], qui en laisse entrevoir la possibilité, ne la tranche pas définitivement alors que la Cour suprême écrit :
[12] Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne n’énonce pas expressément la langue comme motif de distinction illicite. Cependant, nous souscrivons aux observations suivantes de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Reference re Use of French in Criminal Proceedings in Saskatchewan (1987), 36 C.C.C. (3d) 353, p. 373 :
[traduction] À notre avis, la présence dans la Charte des dispositions relatives à la langue des art. 16 à 20, ou la suppression du mot ‘langue’ dans une version antérieure du par. 15(1), n’ont pas non plus nécessairement pour effet d’exclure de la portée de l’art. 15 la forme de distinction en cause.
Dans Québec (Procureure générale) c. Entreprises W.F.H. Ltée, [2000] R.J.Q. 1222, p. 1250, la Cour supérieure du Québec a conclu que la « langu[e] maternell[e] » était un motif de distinction analogue. Il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse de ce point en l’espèce, parce que la question principale n’est pas le contenu des droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne. Toutefois, à supposer que les appelants puissent soutenir que le par. 15(1) de la Charte canadienne s’applique à eux, la question au cœur du présent pourvoi est le rapport entre les droits à l’égalité que garantissent tant la Charte canadienne que la Charte québécoise et les garanties positives concernant la langue qui sont accordées aux minorités par la Constitution du Canada et la Charte de la langue française.
- Si la porte semble entr’ouverte, surtout d’une perspective doctrinale[200], elle ne l’est peut-être pas autant que le plaide McGill dans le contexte factuel du présent dossier. Ici encore, aucune cour de justice au Canada n’a tranché cette importante question et, pour les motifs exposés plus haut, il ne convient pas d’y répondre dans le présent jugement puisque les Pourvois se résolvent sur des principes de droit administratif fondamentaux en ce qui concerne les étudiants CNRQ et la Règle d’acquisition de compétences en français.
- Quatrièmement, les parties ne soumettent aucune autorité à l’effet que la langue, à titre de motif analogue à l’article 15, pourrait être invoqué même dans un contexte d’enseignement, matière dont l’article 23 de la Charte canadienne prévoit pourtant déjà les droits des minorités linguistiques à la suite d’un compromis constitutionnel. La protection que réclame McGill sous l’angle de l’article 15 reviendrait-elle à rouvrir le compromis atteint à l’article 23[201] en l’étendant jusqu’au niveau universitaire? L’article 23 constitue une mesure réparatrice dans le domaine de l’éducation[202]. N’y aurait-il pas lieu d’envisager le débat également sous cet angle avant d’en décider?
- Cinquièmement, McGill se heurte à une difficulté en ce qui concerne l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne qui prévoit :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
- Cette disposition indique la langue comme motif prohibé de discrimination. Mais l’article 10 n’a aucune partition solo. Non autonome, on doit le combiner à une autre protection relative aux droits de la personne pour établir une cause de discrimination.
- McGill utilise l’article 4 de la Charte québécoise, qui prévoit que :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
- McGill estime que les modifications aux Règles budgétaires portent atteinte à sa réputation, tant sur le plan national qu’international. Elle dépose en preuve divers documents qui montrent la décote décrétée par les grandes institutions de cotation financière, dont elle subit les conséquences au nombre desquelles sa capacité d’emprunt.
- Il apparaît difficile de considérer une attaque de ce genre dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire. Si atteinte à la réputation de McGill il y a, ne proviendrait-elle pas plutôt des déclarations de membres du gouvernement plutôt que par de l’application de normes budgétaires – ce que ne tranche évidemment pas le présent jugement[203]. Par ailleurs, cette atteinte à la réputation n’aurait-elle pas dû suivre les règles du droit civil en matière de diffamation suivant l’article 1457 C.c.Q., comme on le voit habituellement? McGill se réserve le droit de réclamer des dommages-intérêts afin de compenser tous les préjudices subis en raison des agissements des défendeurs[204] mais, comme le soutient correctement le PGQ, la Charte québécoise ne crée pas de régime de responsabilité distinct et autonome du droit commun de la responsabilité civile[205].
- Sous cet angle également, McGill réclame des conclusions de droit inédites, ce à quoi le Tribunal n’est pas enclin vu la solution des pourvois que procure le droit administratif.
- En définitive, McGill demande de déclarer du droit nouveau alors qu’aucun étudiant International ne témoigne ni ne produit de documents établissant une atteinte à son droit à l’égalité. Les universités réfèrent le Tribunal à la communauté anglophone de Montréal comme un tout monolithique dont les membres présenteraient les mêmes caractéristiques et les mêmes atteintes à leur droit constitutionnel.
- McGill opine qu’il serait illusoire de penser qu’un étudiant International anglophone trouve l’intérêt ou le temps pour se porter volontaire afin d’étayer de telles prétentions. Mais les difficultés qu’éprouvent les universités demanderesses dans la présentation de leur preuve n’amoindrissent pas leur fardeau de démonstration, surtout à l’endroit d’actes de l’Administration qui jouissent de la présomption de validité constitutionnelle[206].
- McGill insiste aussi que le retour à la Ministre des Règles budgétaires lui fait craindre qu’elle récidivera avec de nouvelles modifications qui, bien qu’elles tiendront certainement compte du présent jugement, s’avéreront tout autant discriminatoires à son endroit et envers la communauté anglophone. Elle souhaite éviter de se présenter à nouveau devant la Cour pour débattre des mêmes arguments.
- Si c’est le résultat de ces affaires, les parties auront au moins le bénéfice de se présenter à nouveau mais cette fois avec une preuve plus complète appuyant leurs prétentions respectives. Du reste, le Tribunal ne tranche pas des arguments pour rendre service aux parties mais pour décider d’un litige, charge accomplie ici avec le présent jugement.
- En somme, trop de questions demeurent dans un litige où la preuve et les argumentaires des parties, en tout respect, demeurent sommaires. Il y a lieu d’adopter l’attitude prudente de réserve à cet égard.
- Le commerce interprovincial
- L’article 121 L.C. 1867 se lit :
Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d’aucune des provinces seront, à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces. | All Articles of the Growth, Produce, or Manufacture of any one of the Provinces shall, from and after the Union, be admitted free into each of the other Provinces. |
- McGill prétend que les règles budgétaires en cause violent l’article 121 L.C. 1867[207], qui prévoit le libre-échange applicable au commerce interprovincial de biens. Les règles contestées seraient inconstitutionnelles à l’égard des étudiants CNRQ, puisqu’elles entravent le libre-échange interprovincial des services d’enseignement universitaire de langue anglaise[208].
- Le simple fait pour les étudiants CNRQ de traverser la frontière du Québec pour recevoir des services d’enseignement universitaire les assujettirait à une mesure de type tarifaire en raison du fardeau financier et académique auquel ils feraient face[209]. Puisque le but de l’augmentation des droits de scolarité serait d’entraver l’accès des étudiants CNRQ à des services d’enseignement universitaire de langue anglaise au Québec, les mesures contestées constitueraient une restriction du commerce interprovincial qui n’aurait aucun lien rationnel avec le régime général de financement des universités du Québec.
- Le PGQ est d’avis que l’article 121 L.C. 1867 ne s’applique pas en l’espèce. D’abord, l’éducation universitaire ne constituerait pas un objet de commerce. Ensuite, les services d’enseignement universitaire seraient offerts et dispensés sur le territoire du Québec sans que la frontière provinciale soit traversée. De plus, la compétence exclusive du gouvernement provincial en matière d’éducation supérieure ne pourrait être restreinte par cette disposition. Enfin, les objectifs des règles budgétaires, dont le rééquilibrage financier dans le réseau universitaire québécois et la protection du français, seraient valides et ne contreviendraient pas à l’article 121 L.C. 1867.
- Dans l’arrêt Comeau[210], la Cour suprême précise que cette disposition prohibe les mesures législatives et étatiques[211] qui, par leur essence et leur objet, entravent la circulation des biens d’une province à une autre[212]. L’article 121 permet tout de même aux gouvernements d’adopter des mesures législatives et des régimes de réglementation[213] dont l’objectif principal n’est pas de restreindre la libre circulation des biens d’une province à une autre, mais qui peuvent avoir des effets accessoires sur le commerce interprovincial.
- Comme l’indique la Cour suprême, une partie qui plaide qu’une mesure enfreint l’article 121 doit donc démontrer que cette loi, de par son essence et son objet, restreint le commerce interprovincial[214].
- La première étape consiste à déterminer si, par son essence, la loi vise à restreindre ou à interdire le commerce d’une province à une autre, en imposant un fardeau financier (tarifs, droits de douane, etc.) sur les biens qui traversent une frontière provinciale[215]. Dans la négative, l’article 121 n’est pas en cause et l’analyse est terminée[216].
- Dans l’affirmative, la deuxième étape qui consiste à établir si l’objet principal de la disposition attaquée vise à restreindre ou à interdire le commerce interprovincial. L’article 121 n’est pas violé lorsque la restriction du commerce interprovincial n’est qu’un effet accessoire d’une mesure valide ayant un objet différent[217].
- McGill doit donc démontrer que, par leur essence et leur objet, les règles budgétaires contestées visent à restreindre la libre circulation des services d’enseignement universitaire en anglais entre le Québec et les autres provinces.
- Il n’est pas approprié d’en décider car, ici encore, surgissent des questions qu’un autre litige ne pourrait se voir résoudre qu’en y répondant. Par exemple, les modifications aux Règles budgétaires constituent-elles par leur essence des mesures qui créent des barrières du simple fait que les étudiants CNRQ traversent les frontières entre les provinces?
- Même en tenant pour acquis, comme le propose le PGQ, qu’une interprétation large et libérale de l’article 121 permettrait d’y inclure la fourniture de services[218], ce sur quoi le Tribunal ne se prononce pas, les services fournis par McGill ne devraient-ils pas être ceux qui traversent la frontière québécoise, et non les étudiants CNRQ, aux fins de l’analyse établie par la Cour suprême dans Comeau?
- Autre interrogation : le Tribunal devrait-il considérer que les services que dispense McGill le sont à Montréal, au Québec, bien qu’un étudiant CNRQ puisse suivre des cours à distance, et, si oui, comment cette prémisse influence-t-elle le test de l’arrêt Comeau?
- L’objectif des mesures attaquées étant de réduire le nombre d’étudiants anglophones au centre-ville de Montréal, comme l’affirme d’ailleurs McGill dans sa théorie de la cause, le « coût supplémentaire »[219] est donc envisagé comme un frein à l’arrivée des étudiants CNRQ dans la métropole plutôt qu’à l’exportation de services québécois d’enseignement en anglais vers le reste du Canada.
- Enfin, à titre d’institution d’enseignement supérieur, une institution du paysage éducatif et scientifique québécois depuis sa fondation en 1821[220], comme elle le rappelle, McGill se compare-t-elle à une entreprise commerciale sous l’angle de l’article 121 L.C. 1867?
- Ici encore, donc, le Tribunal s’abstient d’en écrire davantage.
- La taxation indirecte
- Le fondement constitutionnel du pouvoir de taxation des provinces repose essentiellement sur les articles 53, 90 et surtout la paragraphe 92(2) L.C. 1867. Seul le Parlement peut imposer une taxe indirecte.
- Selon McGill, la hausse du seuil applicable aux étudiants internationaux vise à mettre en place une taxe déguisée. En effet, ce seuil ne fait qu’assurer la perception des sommes additionnelles que le Ministère entend distribuer aux universités « francophones » exclusivement. Elle ajoute qu’en somme, les modifications aux Règles budgétaires instaurent une taxe déguisée à l’égard des étudiants internationaux visés par la réforme qui ne découle d’aucune habilitation législative et qui est conséquemment illégale et inconstitutionnelle[221].
- Bien qu’elle en traite dans son Pourvoi modifié, McGill n’écrit rien sur le sujet dans son mémoire et n’en souffle mot lors de ses représentations. Ce mutisme fait réagir le PGQ, qui ne manque pas de le souligner lors de la plaidoirie de ses avocats au point où ils ont même estimé l’argument abandonné par McGill et n’ont pas plaidé davantage.
- Dans ce contexte, surtout en tenant compte de la retenue judiciaire discutée plus haut, le Tribunal se garde d’aborder la question.
LES CONCLUSIONS APPROPRIÉES
- Les conclusions d’invalidité et la suspension de l’exécution du jugement
- McGill et Concordia demandent d’invalider les modifications aux Règles budgétaires, y compris la Règle d’acquisition de compétences en français. Elles demandent aussi de déclarer que les règles budgétaires anciennes renaissent, ce qui s’avère à la fois contraire à la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif et le Judiciaire et impossible à réaliser.
- Rappelons d’abord la base à l’effet qu’il ne revient pas au Tribunal de jouer au ministre de l’Enseignement supérieur ni de voir au budget de l’État. Il revient au gouvernement d’arbitrer les dépenses publiques. À l’égard des décisions de l’Administration, le rôle du Tribunal se limite à vérifier si elle agit légalement. Pour revenir à l’arrêt Bellefleur, précité, le rôle des tribunaux reste limité. Ils n'ont pas pour mission de remplacer le pouvoir législatif, exécutif ou l'Administration ou de s'y substituer. À l'endroit du pouvoir législatif, ils peuvent seulement contrôler la constitutionnalité de la loi. À l'endroit du pouvoir exécutif et administratif, leur tâche est de s'assurer que la loi, et donc la volonté du Parlement, a bel et bien été suivie et respectée. Ils ne peuvent et ne doivent pas s'ériger en arbitres de l'opportunité, de la rationalité, de la prudence ou de la sagesse des décisions politiques ou administratives.
- En somme, chacun son rôle.
- Par ailleurs, il faut considérer que les Règles budgétaires constituent un tout. Parmi les règles non contestées se trouvent celles concernant le recrutement francophone et l’incitatif à la persévérance et à la diplomation que prévoient les règles 2.5.1, 2.1.1 et 2.1.2. Par ailleurs, l’argent promis suivant le régime actuel aux universités se trouve déjà dans leurs coffres, pour ainsi dire, et ne reviendra pas dans celui de l’État.
- Dans son mémoire, le PGQ demande que, dans l’hypothèse où le Tribunal accueille les Pourvois, il laisse à la Ministre le soin de l’établissement de nouvelles Règles budgétaires respectueuses du présent jugement, ce qui respecte le choix législatif de lui conférer l’exercice discrétionnaire qui lui revient. Ce redressement sied bien à ce genre de litige, comme l’indique la Cour d’appel dans Ville de Mont-Saint-Hilaire c. 9193-4463 Québec inc.[222].
- Le Tribunal est d’accord; il n’y a pas lieu de faire revivre les Règles budgétaires existant avant les modifications attaquées.
- L’exécution provisoire malgré l’appel
- McGill demande que les conclusions du présent jugement demeurent exécutoires malgré un appel éventuel. Elle écrit :
Dans la mesure où le Pourvoi est accueilli, la Cour devra ordonner l’exécution provisoire nonobstant appel de son jugement conformément à l’article 661 C.p.c.. En effet, une fois jugées invalides, les mesures attaquées ne bénéficient d’aucune présomption à l’effet qu’elles serviraient l’intérêt public et les maintenir en vigueur causerait de multiples préjudices sérieux et irréparables aux universités « anglophones », à leur personnel, à leurs étudiants et à la société québécoise en général.
De plus, ne pas ordonner l’exécution provisoire nonobstant appel aurait pour répercussion pratique de suspendre les effets de la déclaration d’invalidité alors que la norme rigoureuse à satisfaire pour obtenir un tel remède n’est pas rencontrée. En effet, l’annulation des mesures attaquées ne crée aucun danger pour le public ni ne menace la primauté du droit et, si cette norme vaut pour les déclarations d’invalidité prononcées à l’encontre d’une loi, à la rigueur, elle vaut également pour les décisions de la Ministre.[223]
[Références omises]
- Le Tribunal ne fera pas droit à cette demande. Au contraire, il se borne à retourner la Ministre à sa tâche, c’est-à-dire concevoir des Règles budgétaires qu’elle jugera appropriées, le tout, dans le respect de la LMES et en tenant compte du présent jugement. Encore une fois, les Pourvois concernent les deniers publics et le Tribunal doit observer la plus grande retenue à cet égard. Il ne peut dicter à l’avance le contenu des Règles budgétaires annulées ni imposer au trésor public des octrois de deniers à des parties spécifiques.
- De même, le présent jugement s’avère prospectif et ne remet pas en cause la validité des subventions versées jusqu’à présent par la Ministre aux universités québécoises.
- La suspension de certaines conclusions du présent jugement
- Il y aura lieu de suspendre l’effet de certaines conclusions du présent jugement. Entre-temps, afin d’éviter un vide juridique, la Règle budgétaire 3.4 concernant les étudiants CNRQ, telle que modifiée par la Ministre, continuera de s’appliquer. Cependant, celle relative à l’acquisition de compétences en français par 80 % d’étudiants non québécois cesse d’avoir effet immédiatement.
- Les frais de justice
- Les arguments de droit administratif que développe Concordia ne sont pas tous acceptés par le Tribunal. Plutôt, l’approche mise de l’avant par Concordia réussit mais pour des motifs que développe surtout McGill.
- Les contestations soulevaient d’épineuses questions de droit administratif et de droit constitutionnel, certaines même inédites. Le Tribunal décide de leurs sorts suivant un chemin qui emprunte à chacune des parties, y compris le PGQ.
- En définitive, les parties demanderesses sortent en grande partie victorieuses des pourvois déposés à la Cour.
- Voilà pourquoi les frais de justice seront à la charge du PGQ suivant la règle générale que prévoit l’article 340 C.p.c.
CONCLUSION
- Le Tribunal souligne la grande qualité des procédures et des plaidoiries des avocats et avocates agissant pour chacune des parties.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE en partie le pourvoi en contrôle judiciaire de l’Université McGill;
- ACCUEILLE en partie le pourvoi en contrôle judiciaire de l’Université Concordia et Lucas Meldrum;
- DÉCLARE DÉRAISONNABLES, pour les motifs qu’elle invoque, et par conséquent INVALIDE les décisions de la ministre de l’Enseignement supérieur de modifier la règle 3.4 des Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2023-2024 et de prévoir le taux de 80 % à la règle 2.5.2 des Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2024-2025;
- DÉCLARE DÉRAISONNABLE et par conséquent INVALIDE la modification de la règle 3.4 des Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2023-2024;
- DÉCLARE DÉRAISONNABLE et par conséquent INVALIDE le taux de 80 % d’acquisition de compétences en français, tel que prévu à la règle 2.5.2 des Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2024-2025;
- RETOURNE l’affaire à la ministre de l’Enseignement supérieur afin qu’elle conçoive des modifications aux Règles budgétaires respectueuses des présents motifs;
- DÉCLARE QUE la règle 3.4 des Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec, année universitaire 2023-2024, demeure en vigueur malgré le présent jugement et ce, jusqu’à la prochaine modification qu’apportera la ministre de l’Enseignement supérieur en fonction du présent jugement dans un délai maximal de neuf (9) mois à compter d’aujourd’hui;
- DÉCLARE QUE la règle 2.5.2 des Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec année universitaire 2024-2025 relative à l’acquisition de compétences en français par 80 % des étudiants non québécois inscrits à un programme de grade de premier cycle offert en anglais cesse d’avoir effet immédiatement;
- LE TOUT, avec frais de justice à la charge du Procureur général du Québec en faveur de chacune des parties demanderesses.
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ÉRIC DUFOUR, J.C.S.
Dates d’audition : 16 au 20 décembre 2024
Me Marc-André Fabien
Me Michael Shortt
Me Claudie Fréchette
Fasken Martineau DuMoulin SENCRL
Avocat(e)s pour l’Institution Royale pour l’avancement des sciences (Université McGill)
Me Audrey Mayrand
Me Mark Power
Me Perri Ravon
Me Emily Michelin
Juristes Power
Avocat(e)s pour l’Université Concordia et Lucas Meldrum
Me Charles Gravel
Me François-Alexandre Gagné
Me Anne-Sophie Brassard
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Avocat(e)s pour le ministre de l’Enseignement supérieur et le Procureur général du Québec