Municipalité de Saint-Mathieu-du-Parc c. Rivard |
2020 QCCS 3391 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-MAURICE |
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N° : |
410-17-001712-194 |
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DATE : |
20 octobre 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DENIS JACQUES, j.c.s. |
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MUNICIPALITÉ DE SAINT-MATHIEU-DU-PARC |
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Demanderesse |
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c. |
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RÉJEAN RIVARD |
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Défendeur |
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-et- |
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AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La Municipalité de Saint-Mathieu-du-Parc (la Municipalité) présente une demande d’ordonnance de cessation d’un usage incompatible avec le Règlement de zonage numéro 106 contre le défendeur relativement à la location de ses résidences à des fins touristiques.
[2] Le défendeur est propriétaire des lots suivants :
· Le lot [1] du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Shawinigan, sur lequel est érigée une bâtisse portant le numéro civique [adresse 1];
· Le lot [2] du Cadastre du Québec, circonscription foncière de Shawinigan, sur lequel est érigée une bâtisse portant le numéro civique [adresse 2].
[3] Il admet qu’il loue ses résidences à des fins touristiques.
[4] La légalité du règlement invoqué par la Municipalité prohibant l’usage n’est pas contestée par le défendeur. En effet, les parties à l’audience ont notamment convenu des admissions suivantes :
[…]
3. Le défendeur ne conteste pas la validité des règlements municipaux invoqués dans la demande introductive d’instance, tel qu’il appert du paragraphe 1 de l’exposé sommaire des moyens de défense orale du défendeur daté du 26 juillet 2019;
4. De ce fait, les parties reconnaissent que le Règlement numéro 2010-14 (Règlement de concordance modifiant le Règlement de zonage no 106), adopté le 5 juillet 2010, pour lequel un avis de motion a été donné, conformément à la Loi, le 4 mai 2010, prohibe, pour la première fois, l’usage de résidence de tourisme, notamment dans la zone 151 où se trouve les deux (2) immeubles du défendeur; »[1]
[5] Celui-ci soutient qu’il bénéficie de droits acquis antérieurement au dépôt de l’avis de motion du Règlement de zonage numéro 106 ajoutant la prohibition, ce qui lui permet de louer son chalet et sa résidence malgré l’interdiction prévue aux dispositions du règlement adopté en mai 2010.
[6] En 2006, le défendeur achète de sa sœur l’immeuble où se trouve une résidence, portant l’adresse civique [de l’adresse 1].
[7] De 2006 à 2008, le défendeur construit sur le lot voisin un chalet qui deviendra [l’adresse 2].
[8] Dès 2008, le défendeur affirme qu’il a offert le chalet [adresse 2] pour location en l’inscrivant d’ailleurs sur un site internet spécialisé qui propose la location de chalets.
[9] Il ajoute que lorsque le chalet était loué et qu’il recevait plus d’une demande pour les mêmes journées, il lui est arrivé de louer sa résidence ([adresse 1]).
[10] Le défendeur construit également un grand garage avec plancher de céramique. Il procède aussi à un agrandissement majeur de sa résidence par l’ajout d’un deuxième étage.
[11] Le 4 mai 2010, un avis de motion est déposé prévoyant l’adoption de nouvelles règles prohibant l’usage de résidences de tourisme dans la zone 151 où se trouvent les lots du défendeur.
[12] En 2016, le défendeur adresse une première demande d’attestation de classification à la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) pour le chalet sis au [adresse 2]. Dans un tel cas, la CITQ doit vérifier la conformité de la demande avec la Municipalité.
[13] Le 26 octobre 2016, madame Patricia Cormier, responsable de l’urbanisme à la Municipalité, répond à la CITQ que l’usage de location de résidences de tourisme par le défendeur est actuellement non autorisé dans la zone 151 où habite ce dernier.
[14] Le 27 novembre 2016, madame Cormier informe la CITQ qu’un processus de modification réglementaire a débuté afin de modifier la limite de la zone et ainsi permettre l’usage « résidences de tourisme » dans le secteur où la propriété [de l’adresse 2] est située. Elle ajoute que cette modification devrait être en vigueur en mars ou avril 2017.
[15] Une demande semblable d’attestation de certification est présentée par le défendeur pour [l’adresse 1] en 2017. La Municipalité précise à nouveau à la CITQ que l’usage de location de résidences de tourisme n’est pas conforme.
[16] Le défendeur n’a jamais obtenu de certificat de classification de la CITQ, tel qu’il le reconnaît dans les admissions communes déposées en début d’audience.
[17] En juillet 2017, une pétition est déposée par des citoyens de la Municipalité auprès du Conseil municipal pour contrer le projet de dérogation de zonage qui permettrait la location de résidences touristiques dans la zone 151.
[18] Un des signataires, monsieur Dubé, dont la résidence est voisine de celle du défendeur, témoigne à l’audience des désagréments causés par les locataires du défendeur, notamment par le bruit qui dérange grandement leur tranquillité, souvent à des heures indues.
[19] Il ajoute que non seulement le défendeur ne fait pas respecter les règles de bienséance par ses locataires mais qu’au surplus, même celui-ci se comporte de manière irrespectueuse tant à son égard qu’envers son épouse.
[20] À la suite de la pétition, le Conseil municipal décide de ne pas procéder à une modification réglementaire afin d’ajouter l’usage de location de résidences de tourisme aux usages autorisés dans la zone 151.
[21] Le 30 août 2017, madame Cormier, au nom de la Municipalité, transmet au défendeur un avis de cesser d’exploiter ses deux résidences de tourisme situées [à l’adresse 2] et [à l’adresse 1], et ce, dans un délai de trente (30) jours, à défaut de quoi des avis d’infraction pourraient être délivrés, le rendant passible d’amendes.
[22] Le 5 octobre 2017, madame Cormier de la Municipalité confirme au défendeur la teneur de la lettre du 30 août 2017, lettre qu’il n’aurait pas récupérée :
« Le conseil municipal est d’avis et maintient que votre usage doit cesser. À cet effet, vous trouverez en pièce jointe la lettre datée du 30 août 2017 qui vous a été transmise, mais que vous n’avez pas récupérée. Ainsi, puisque cet usage n’est pas autorisé dans cette zone et que vous y pratiquez tout de même cet usage, le Conseil a demandé à ce que la réglementation à cet effet soit appliquée. Un délai de 30 jours vous est accordé pour régulariser la situation et suivant ce délai, si l’usage continue d’être exercé, je devrai vous transmettre un constat d’infraction (pièce P-6). »
[23] À plusieurs reprises, le défendeur a tenté d’amener la Municipalité à changer sa position, sans succès.
[24] Le 15 mars 2018, la responsable en urbanisme Patricia Cormier transmet au défendeur au nom de la Municipalité la lettre suivante :
« Lors de votre rencontre avec le Conseil municipal le 26 février dernier, vous avez exposé votre situation en lien avec la location de vos deux immeubles, sis [à l’adresse 2] et [à l’adresse 1], qui sont exploités comme résidences de tourisme. Suite à cette rencontre, le Conseil a évalué le dossier en considération des éléments que vous avez apportés.
La décision du Conseil est à l’effet de maintenir sa position à l’effet de ne pas amorcer de modifications réglementaires visant à ajouter l’usage « résidence de tourisme » dans les usages autorisés de la zone 151 (voir grille en annexe). L’usage que vous exercez n’est pas autorisé en vertu de la réglementation d’urbanisme actuellement en vigueur sur le territoire de la Municipalité.
Compte tenu de ce qui précède, un délai de 10 jours vous est accordé pour vous conformer à la réglementation municipale. Vous devez :
- Retirer toute offre de location d’hébergement touristique;
- Annuler toutes les réservations touristiques déjà prises pour la location de vos deux établissements.
À défaut de vous conformer à la présente, la Municipalité prendra les mesures qu’elle estimera nécessaires pour s’assurer du respect de sa réglementation (pièce P-7). »
[25] Le 4 avril 2018, le Conseil municipal adopte une résolution mandatant ses procureurs pour entreprendre les procédures judiciaires contre le défendeur afin de faire respecter la réglementation.
[26] Le 11 juin 2018, les procureurs de la Municipalité notifient par huissier au défendeur une mise en demeure de cesser la location [de l’adresse 2] et [de l’adresse 1] ou de fournir l’ensemble des documents requis pour démontrer ses droits acquis.
[27] En janvier 2019, la Municipalité dépose sa demande d’ordonnance de cessation d’un usage incompatible avec le règlement de zonage contre le défendeur.
[28] Elle y allègue que depuis 2017, le défendeur offre en location et loue les immeubles pour de l’hébergement de courte durée, à une clientèle de passage, tel qu’il appert des extraits pertinents des sites « Facebook », « domainedupontcouvert.business.site », « RSVP chalets », « Homeaway », « TripAdvisor » et « chaletalouer.com » pour [l’adresse 1], ainsi que des sites « chaletalouer.com », « domainedupontcouvert.business.site », « Airbnb », « booking.com » et « TripAdvisor » pour [l’adresse 2].
[29] En octobre 2019, la Municipalité ajoute une conclusion à sa demande afin qu’il soit ordonné au défendeur de ne plus utiliser son garage à des fins résidentielles, contestant plus particulièrement le fait pour ce dernier d’y dormir.
[30] Elle plaide que le Règlement de zonage numéro 106 interdit l’usage des bâtiments complémentaires à des fins résidentielles et que lorsque le défendeur loue son chalet ainsi que sa résidence principale simultanément, il dort dans son garage et contrevient au règlement.
ANALYSE ET DÉCISION
[31] Il n’est pas contesté que le défendeur procède à la location de résidences de tourisme, soit un chalet ([adresse 2]) et sa résidence ([adresse 1]) dans la zone 151, le tout en contravention avec le Règlement municipal numéro 106.
[32] Le défendeur allègue des droits acquis avant le dépôt le 4 mai 2010 de l’avis de motion des nouvelles règles prohibant l’usage de résidences de tourisme dans la zone 151.
[33] Deux questions doivent être examinées dans le cadre de la présente demande.
[34] D’abord, est-ce que la preuve établit l’usage antérieur au 4 mai 2010 [de l’adresse 2] et [de l’adresse 1] aux fins de résidences de tourisme?
[35] Ensuite, dans l’affirmative, est-ce que le défendeur fait valoir un usage légal de la location de résidences de tourisme avant le 4 mai 2010 lui permettant de prétendre à des droits acquis?
[36] À l’examen, le Tribunal estime que la preuve est suffisante d’un usage antérieur du chalet ([adresse 2]), dont la construction a été complétée par le défendeur en 2008.
[37] En effet, dès la fin de la construction, le défendeur a inscrit le chalet ([adresse 2]) sur le site « chaletsalouer.ca » pour fins de location.
[38] Par ailleurs, le défendeur a déposé à l’audience des échanges de courriels qui démontrent qu’en 2008 et 2009, le chalet a été loué à des fins touristiques, suffisamment pour qu’en soit reconnu l’usage.
[39] Vu ce qui précède, le seul fait que le défendeur ne déclare pas ses revenus de location aux autorités fiscales n’a pas d’impact sur l’usage ou sa notoriété.
[40] Par contre, la preuve est nettement insuffisante quant à la résidence ([adresse 1]) du défendeur qui, selon ce dernier, aurait aussi été l’objet de location.
[41] En effet, la preuve matérielle quant à la location de la résidence principale du défendeur ([adresse 1]) à des fins touristiques est inexistante. En outre, celle-ci n’a pas été inscrite sur un site de location comme pour [l’adresse 2] et aucun courriel de location n’est déposé à l’audience.
[42] La seule affirmation du défendeur voulant qu’il ait loué sa résidence ([adresse 1]) pour répondre à la demande quand son chalet ([adresse 2]) était déjà loué ne peut suffire à établir un usage pouvant donner lieu à des droits acquis.
[43] Dans l’arrêt Marcoux c. Ville de Notre-Dame-des-Prairies[2], la Cour d’appel établit clairement qu’un usage accessoire ou sporadique ne peut fonder des droits acquis :
« [10] Il est de jurisprudence constante que des droits acquis ne peuvent naître d’un usage accessoire de l’immeuble, mais seulement d’un usage exercé à titre principal. De plus, un usage occasionnel ou sporadique ne suffit pas.
[…]
[11] Comme la Cour le rappelle dans l’arrêt Pépin c. Brissette[3], le fardeau de prouver un tel usage repose sur les épaules de la partie qui invoque le bénéfice de droits acquis :
[33] Le fardeau de prouver l’existence de droits acquis repose sur la partie qui en invoque le bénéfice. L’usage invoqué doit avoir un caractère public et posséder une notoriété suffisante, spécialement s’il s’agit d’un usage commercial. Il faut faire la preuve d’une mise en œuvre réelle des activités économiques alléguées et non seulement d’un usage occasionnel, exercé en catimini. Un droit acquis ne peut pas naître d’un usage accessoire. Il doit résulter d’un usage principal existant au moment de l’entrée en vigueur du nouveau règlement, ici le règlement no. 363 le 8 décembre 1977. »
[NOS SOULIGNEMENTS]
[44] Ainsi, en l’absence d’une preuve probante, le défendeur ne peut faire valoir de droits acquis pour la location de sa résidence principale ([adresse 1]) avant le 4 mai 2010.
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[45] Dans un deuxième temps, la Municipalité soutient que le défendeur n’a pu acquérir des droits puisqu’il n’a pas respecté les conditions pour leur reconnaissance.
[46] Dans l’arrêt Huot c. Municipalité de l’Ange-Gardien[4], la Cour d’appel rappelle les conditions d’existence de droits acquis :
« Même s'il n'est pas facile de définir avec précision les « droits acquis », retenons qu'il s'agit d'un compromis nécessaire restreignant d'une part l'aménagement rationnel du territoire mais protégeant d'autre part l'équité quant aux propriétaires d'immeuble et même d'autres personnes qui ont exercé un usage dérogatoire mais légal et légitime, antérieurement aux dispositions d'une loi ou d'un règlement. »
[…]
Les principales conditions d'existence des droits acquis sont bien connues, maintes fois exposées en doctrine et en jurisprudence :
a) Les droits acquis n'existent que lorsque l'usage dérogatoire antérieur à l'entrée en vigueur des dispositions prohibant un tel usage était légal.
b) L'usage existait en réalité puisque la seule intention du propriétaire ou de l'usager ne suffit pas.
c) Le même usage existe toujours ayant été continué sans interruption significative.
d) Les droits acquis avantagent l'immeuble qui en tire profit. De tels droits ne sont pas personnels mais cessibles, suivant l'immeuble dont ils sont l'accessoire.
e) Ils ne peuvent être modifiés quant à leur nature et parfois quant à leur étendue bien que les activités dérogatoires peuvent être intensifiées en certains cas.
f) La seule qualité de propriétaire ne suffit pas quant aux droits acquis. »
[Nos soulignements]
[47] La Municipalité fait aussi valoir l’article 5.1.2 du Règlement de zonage numéro 106 qui établit les conditions pour la reconnaissance des droits acquis à un usage dérogatoire dans les termes qui suivent :
« Un usage dérogatoire protégé par droits acquis ne peut être reconnu qu’à l’égard d’un usage qui était permis et conforme au moment de son autorisation à un règlement antérieur au présent règlement et a fait l’objet de l’émission d’un permis ou d’un certificat d’autorisation, s’il était requis par la Municipalité, et si son exercice a débuté dans les délais prévus à cette autorisation. »
[48] Au-delà du fait que le défendeur loue son chalet et sa résidence au noir sans déclarer ses gains aux autorités fiscales, la Municipalité soutient que le défendeur ne peut prétendre à des droits acquis puisqu’il procédait à la location du chalet [adresse 2] avant mai 2010 sans avoir obtenu un certificat d’autorisation pour l’ajout d’un usage auprès de la Municipalité et sans l’attestation de certification selon la Loi sur les établissements d’hébergement touristique[5].
[49] À l’audience, la Municipalité plaide qu’un certificat d’autorisation était nécessaire avant 2010 pour ajouter un usage, certificat que le défendeur n’a jamais obtenu.
[50] En effet, le Règlement administratif numéro 105 de la Municipalité prévoit ce qui suit :
« 7.1 Obligation d’un certificat d’autorisation
Tous les usages, constructions, activités, ouvrages, travaux, modifications suivants sont interdits sans l’obtention d’un certificat d’autorisation :
· le changement d’usage;
· l’utilisation mixte d’un terrain ou bâtiment;
· la réparation ou la rénovation d’un bâtiment;
[…] »
[51] Pour sa part, le défendeur soutient que depuis mai 2010 et même en 2016, alors que la Municipalité lui demande de cesser ses opérations, celle-ci l’a laissé continuer à louer ses unités sans qu’il ne possède le certificat d’autorisation ou l’attestation de classification. Tel que mentionné précédemment, en 2016, un changement à la réglementation pour permettre la location de résidences touristiques dans la zone visée était envisagé.
[52] Dans l’arrêt Frelighsburg (Municipalité de) c. Entreprises Sibeca inc.[6], la Cour d’appel établit qu’il est possible d’invoquer des droits acquis lorsque la réglementation municipale est modifiée, en présence d’un permis conforme ou d’une construction déjà débutée ou d’un usage réellement exercé.
[53] En l’espèce, la Municipalité soutient que le seul défaut du défendeur de lui avoir demandé d’ajouter un usage qui était à l’époque permis fait en sorte qu’il ne peut se voir reconnaître des droits acquis à un tel usage.
[54] Si la question a pu faire l’objet d’un débat jurisprudentiel à une certaine époque, il est maintenant clairement établi que l’absence de permis, encore plus à raison pour une attestation, ne peut contrecarrer l’acquisition de droits acquis.
[55] Dans l’arrêt Lessard c. Boisonneault[7], la Cour d’appel reconnaît des droits acquis au défendeur pour l’installation d’un quai même si ce dernier n’avait pas obtenu préalablement un permis de construction de la Municipalité :
« [5] Pour les motifs énoncés ci-après, la Cour est d’avis que, dans les circonstances de l’espèce, le défaut d’obtention du permis exigé par la réglementation de 1976 en vigueur en 1984 ou 1985 ne constitue pas une illégalité susceptible d’empêcher l’intimé de prétendre à des droits acquis au regard de la norme d’implantation actuellement en vigueur :
- en 1984 ou 1985, l’installation d’un quai par l’intimé était expressément autorisée et le règlement en vigueur ne prévoyait aucune norme d’implantation de telle sorte que cette installation était conforme. La seule illégalité était le défaut d’obtenir le permis exigé. Eut-il été demandé, que la municipalité n’aurait pu en refuser la délivrance;
- l’exigence d’un permis de construction préalable à l’installation d’un quai est disparue lors de l’adoption d’un nouveau règlement de zonage en 1990;
- la preuve retenue par le juge de première instance démontre que « s’il est vrai que le défendeur n’a jamais demandé de permis avant d’installer son quai pour la première fois en 1984 ou 1985, il en va de même de tous les résidents de ce secteur du Lac St-Joseph, y compris le demandeur, l’intervenant et leur auteur »;
- même aujourd’hui, tel que l’a également déterminé le juge de première instance, la municipalité ne cherche pas davantage à appliquer son nouveau règlement de zonage dans ce secteur du lac « … en raison de l’ancienneté des constructions existantes et de l’impossibilité de déterminer dans les faits qui a des droits acquis et qui n’en a pas.»
[56] Dans l’arrêt Terrebonne (Ville de) c. Bibeau[8], la Cour d’appel répond à nouveau dans le même sens à la question en ces termes :
« [4] Le pourvoi soulève la question de la reconnaissance de droits acquis lorsque l'usage, légal au moment de son introduction, n'a pas fait l'objet d'un permis d'occupation.
[…]
[16] Il est reconnu depuis fort longtemps que pour bénéficier de droits acquis, l'usage doit être conforme à la réglementation en vigueur au moment de son implantation.
[17] L'appelante ne conteste plus que l'usage implanté en 1976 était conforme au règlement no 479 qui permettait la présence de chevaux et d'accessoires pour leur entretien, dans la zone rurale A.B. C'est la conclusion à laquelle arrive le juge de première instance et il n'y a pas d'erreur à cet égard. Cependant, le règlement alors en vigueur exigeait qu'un permis d'occupation soit demandé pour introduire un nouvel usage, ce qui n'a pas été fait. Ce n'est qu'à compter de 1989 que les terrains de l'intimé se sont retrouvés en zone résidentielle.
[18] L'appelante nous demande de trancher la controverse qui existe en ce qui a trait à la question de déterminer si la délivrance du permis est un préalable pour bénéficier de droits acquis, et, dans la négative, quelles sont les balises permettant aux tribunaux d'exercer leur discrétion et de ne pas ordonner la démolition ou la cessation de l'usage.
[…]
[26] Depuis 2002, la jurisprudence de notre Cour selon laquelle le défaut d'obtenir un permis de construire ou un permis d'occupation requis par un règlement municipal n'empêchera pas nécessairement la reconnaissance de droits acquis lorsque l'implantation de la construction ou de l'usage est conforme à la réglementation au moment de son introduction. »
[57] Dans un article de doctrine intitulé L’affaire Terrebonne (Ville de) c. Bibeau : L’absence de permis fait-elle obstacle à l’existence de droits acquis? La Cour d’appel fait le point sur un débat vieux de plus de 30 ans, les auteurs Myriam Asselin et Gabriel Chassé concluent comme suit :
« Comme on peut le constater, il semble être maintenant établi que l’absence de permis ne fait pas échec à la naissance de droits acquis, à condition que l’usage ou la construction dérogatoire était conforme à la réglementation au moment où il a été implanté (ou à tout au moment par la suite en raison d’une modification réglementaire).
Certes, l’obtention d’un permis crée une présomption de droits acquis (ou de la conformité à la réglementation alors en vigueur) en faveur du propriétaire de l’immeuble qui cherche à les faire reconnaître. Cependant, a contrario, le défaut de l’avoir obtenu n’est pas fatal. Suite à la décision récente de la Cour d’appel, dans l’affaire Terrebonne (Ville de) c. Bibeau, nous sommes d’avis que l’absence de permis n’affecte par la légalité de l’usage ou de la construction dérogatoire aux fins de la reconnaissance de droits acquis. »[9]
[58] Eu égard à ce qui précède, le Tribunal estime que le défaut du défendeur d’avoir fait ajouter « usage de résidence touristique » et d’avoir obtenu un certificat d’autorisation n’a pas empêché l’acquisition de droits acquis.
[59] En effet, à l’époque où le défendeur a construit son chalet et qu’il l’a offert en location, il agissait alors tout à fait légalement puisqu’un tel usage n’était pas prohibé. S’il avait alors fait la demande pour obtenir un certificat d’autorisation pour un tel usage, la Municipalité aurait dû le lui délivrer.
[60] Le Tribunal note que depuis 2008, de façon continue, le défendeur procède à la location de son chalet comme résidence touristique, et ce, même après la modification prohibant un tel usage survenue en 2010 sans que la Municipalité ne lui fasse état en aucun moment du fait qu’il ne détenait pas un certificat d’autorisation quant à l’usage.
[61] Comme le souligne le défendeur, même après avoir reçu un avis de la Municipalité en 2016, celle-ci lui a permis de continuer à louer son chalet sans qu’il ne possède le certificat d’autorisation dans le contexte où un changement à la réglementation était alors envisagé et sans qu’on lui demande d’en obtenir un.
[62] De la même façon, la Municipalité soutient que ne détenant pas une attestation de classification conforme selon la Loi sur les établissements d’hébergement touristique, le défendeur ne peut prétendre à droits acquis.
[63] Rappelons que la Loi sur les établissements d’hébergement touristique comportait, avant le 4 mai 2010, la disposition suivante :
« 6. Toute personne qui exploite un établissement d’hébergement touristique doit détenir une attestation de classification à cet établissement.
À cette fin, elle doit présenter au ministre, dans les conditions prescrites par règlement du gouvernement, sa demande d’attestation ou de renouvellement de celle-ci, accompagnée du document confirmant la classification de l’établissement. »
[64] À cette époque, le Règlement sur les établissements d’hébergement touristique[10] prévoyait la définition suivante d’un « établissement d’hébergement touristique » :
« 1. L’expression « établissement d’hébergement touristique » comprend toute entreprise exploitée à l’année ou de façon saisonnière, qui offre en location à des touristes, notamment par des annonces dans les médias ou dans des lieux publics, au moins une unité d’hébergement pour une période n’excédant pas 31 jours. Ne sont toutefois pas comprises dans cette expression les pourvoiries au sens de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q. c. C-61.1) et de la Loi sur les droits de chasse et de pêche dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Québec (L.R.Q. c. D-13.1), de même que les unités d’hébergement offertes en location sur une base occasionnelle. »
[65] La Loi sur les établissements d’hébergement touristique, qui porte notamment sur la salubrité et la sécurité des unités offertes en location, prévoit des amendes pour celui qui exploite un tel établissement d’hébergement touristique sans attestation de classification :
« 37. Commet une infraction et est passible d’une amende de 2 500,00 $ à 25 000,00 $, s’il s’agit d’une personne physique, et de 5 000,00 $ à 50 000,00 $ dans les autres cas, quiconque :
[…]
8e exploite un établissement d’hébergement touristique ou donne lieu de croire qu’il exploite un tel établissement sans qu’une attestation de classification ait été délivrée pour cet établissement conformément à la présente loi. »
[66] En l’espèce, le défendeur ne détient pas d’attestation de classification avant le 4 mai 2010 et n’a formulé une première demande aux autorités qu’en 2016, demande qui lui a été refusée. Encore aujourd’hui, le défendeur ne détient aucune attestation de classification selon la Loi sur les établissements d’hébergement touristique.
[67] À l’examen, le Tribunal estime que l’absence d’attestation de classification en vertu de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique n’empêche pas le défendeur de la reconnaissance de droits acquis d’un usage qui avant sa prohibition était légal.
[68] Par contre, tout comme le fait d’avoir procédé aux locations de son chalet et de sa résidence au noir sans déclarer ses gains aux autorités fiscales pourrait entraîner des demandes de recouvrement avec pénalités, le défaut pour le défendeur de posséder une attestation de classification conforme pourrait donner lieu à des plaintes pénales fondées sur l’article 37 de la Loi.
[69] Dans un jugement récent, la juge de paix magistrat Tanya Larocque[11] refuse de reconnaître des droits acquis à une défenderesse de louer sans attestation de classification dans le cadre d’une plainte pénale :
« [5] La location du chalet sans attestation de classification n’est pas un droit acquis puisqu’aucun des critères n’est rempli. La Loi entre en vigueur le 1er décembre 2001. Les dispositions concernant l’obtention d’une attestation de certification existent à l’époque où son père est propriétaire et lorsqu’elle-même acquiert le chalet en 2008. La défenderesse ne démontre pas que la Loi antérieure n’exigeait pas d’attestation de classification.
[70] Certes, la contravention aux dispositions de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique, loi d’ordre public, ne peut être sujette à une défense de droits acquis. Mais, de la même façon, une contravention à cette Loi ne saurait faire échec à leur reconnaissance aux fins municipales.
[71] Eu égard à ce qui précède, la demande d’ordonnance présentée par la Municipalité doit être accueillie quant à la résidence [adresse 1] du défendeur, mais rejetée quant au chalet [adresse 2].
[72] Enfin, puisque la preuve n’est pas probante quant à l’utilisation par le défendeur de son garage à des fins résidentielles, il n’y a pas lieu pour le Tribunal de rendre une ordonnance à cet égard.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[73] ACCUEILLE partiellement la demande de la Municipalité;
[74] RECONNAIT au défendeur des droits acquis quant à l’usage de résidence de tourisme pour le chalet situé [à l’adresse 2], lequel est situé sur le lot [2] du Cadastre du Québec, dans la circonscription foncière de Shawinigan, et conforme au Règlement de zonage numéro 106;
[75] DÉCLARE que l’usage de résidence de tourisme exercé par le défendeur pour sa résidence sur le lot [1] du Cadastre du Québec, dans la circonscription foncière de Shawinigan, portant le numéro civique [adresse 1] est non conforme au Règlement de zonage numéro 106;
[76] ORDONNE au défendeur de cesser tout usage non conforme au Règlement de zonage numéro 106 relativement à sa résidence portant le numéro civique [adresse 1];
[77] ORDONNE au défendeur de retirer toute publication, papier ou électronique, toute offre ou publicité de quelque nature que ce soit visant à offrir en location l’immeuble portant le numéro civique [adresse 1];
[78] ORDONNE au défendeur d’annuler les réservations de location de sa résidence située [à l’adresse 1] à des fins de résidences de tourisme pour toute date subséquente à la date du présent jugement, et ce, dès signification du présent jugement;
SANS FRAIS DE JUSTICE, compte tenu du sort mitigé de la demande.
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__________________________________ DENIS JACQUES, j.c.s. |
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Me André Lemay TREMBLAY BOIS MIGNAULT LEMAY Place Iberville I 1195, avenue Lavigerie, bur. 200 Québec (Québec) G1V 4N3 |
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Avocats de la demanderesse |
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Me Stéphane Roof |
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SIMARD BOIVIN LEMIEUX 550, avenue de la Station, bur. 210 Shawinigan (Québec) G9N 1W2 |
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Date d’audience : |
15 septembre 2020 |
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[1] Voir les admissions signées le 22 septembre 2020 par les parties.
[2] 2018 QCCA 201.
[3] 2008 QCCA 829.
[4] [1992] R.J.Q. 2404 (C.A.).
[5] RLRQ, c. E-14.2.
[6] REJB 2002-35880 (C.A.), confirmé par la Cour suprême du Canada [2004] 3 R.C.S. 304.
[7] 2010 QCCA 1127.
[8] 2013 QCCA 587.
[9] Myriam ASSELIN et Gabriel CHASSÉ, « L’affaire Terrebonne (Ville de) c. Bibeau : L’absence de permis fait-elle obstacle à l’existence de droits acquis? La Cour d’appel fait le point sur un débat vieux de plus de 30 ans », (2013) 72 R. du B. 601, 607.
[10] RLRQ, c. E-14.2, r. 1.
[11] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Allaire, 2019 QCCQ 5465.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.