- L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 2 octobre 2023 par l’honorable Azimuddin Hussain de la Cour supérieure, qui accueillait la demande en jugement déclaratoire des intimés.
- Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrit la juge Cotnam, LA COUR :
- ACCUEILLE l’appel en partie;
- INFIRME en partie le jugement de première instance;
- SUBSTITUE au paragraphe [251] du dispositif de ce jugement le paragraphe suivant :
[251] DÉCLARE contraire à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne et au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 le fait de ne pas inclure les greffiers spéciaux et les registraires de faillite dans un cadre législatif ou réglementaire garantissant leur indépendance judiciaire;
- BIFFE les paragraphes [252] et [253] du dispositif de ce jugement;
- SUSPEND la déclaration d’invalidité constitutionnelle pour une période de 12 mois à compter de l’arrêt de la Cour;
- PREND ACTE de l’intention du procureur général du Québec d’élaborer et de présenter à l’Assemblée nationale une solution législative ou réglementaire permettant de respecter le présent arrêt;
- DÉCLARE qu’en absence d’une solution législative adéquate au terme de la période de suspension de 12 mois, les jugements des greffiers spéciaux et des registraires de faillite ne seront pas ceux d’un officier de justice indépendant;
- LE TOUT, avec les frais de justice en faveur des intimés;
- De son côté, le juge Bachand aurait accueilli l’appel pour modifier le dispositif du jugement de première instance afin de préciser que la garantie d’indépendance dont bénéficient les intimés en ce qui a trait à leur sécurité financière est limitée à celle découlant de l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.
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| YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. |
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Me Éric Cantin |
Bernard, Roy (Justice-Québec) |
Me Anthony Papaioannou |
Me Brigitte Bussières |
Me Robert Desroches |
Ministère de la Justice du Québec |
Pour l’appelant |
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Me François Goyer |
Me Vanessa Ntaganda |
IMK |
Pour les intimés |
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Date d’audience : | 23 octobre 2024 |
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MOTIFS DU JUGE MORISSETTE |
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- Une soixantaine de greffiers spéciaux, dont un bon nombre cumulent leurs fonctions avec celles de registraire de faillite, exercent en première instance et sur tout le territoire du Québec des pouvoirs importants dans l’administration de la justice civile. Je les désignerai collectivement par l’abréviation « GS/RF ». Quatre d’entre eux (« les intimés »), insatisfaits de longue date du statut que leur confère la législation en vigueur, ont intenté un pourvoi en contrôle judiciaire afin d’obtenir un jugement sur la constitutionnalité de ce statut. Le jugement d’octobre 2023 rendu en Cour supérieure par l’honorable Azimuddin Hussain leur donne largement raison[1]. Le procureur général du Québec, qui sur certains points en litige concédait en première instance que la contestation des demandeurs était bien fondée, se pourvoit néanmoins contre ce jugement. Il en conteste diverses conclusions relatives au fondement de l’indépendance judiciaire tel qu’il serait susceptible de recevoir application dans le cas des GS/RF, et il s’en prend plus particulièrement aux conclusions relatives à l’exigence de sécurité financière qui, en l’occurrence, pourrait découler de ce fondement.
- Pour les raisons qui suivent, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir l’appel, mais à seule fin de modifier quelques éléments précis du dispositif du jugement en raison de l’écoulement du temps. En d’autres termes, et sous réserve de ce que je viens de préciser, je confirmerais toutes les conclusions de fond qui figurent dans les motifs du juge et qui sous-tendent l’essentiel du dispositif de son jugement.
- Il convient en premier lieu de souligner que le jugement entrepris est d’une facture exhaustive et particulièrement soignée. J’en donnerai ici un premier aperçu, quitte à revenir de manière plus détaillée dans la suite de ces motifs sur certains aspects de l’analyse livrée par le juge.
- Abordant le contexte général de l’affaire, le juge commence par retracer l’évolution historique du statut de protonotaire ou de greffier spécial de 1793 à nos jours. Il poursuit en énumérant les pouvoirs étendus que les Intimés exercent en vertu du Code de procédure civile, rappelle leur appartenance au Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et mentionne qu’en qualité d’employés de la fonction publique provinciale, ils entrent pour la grande majorité d’entre eux dans la classe d’emploi « 131 — Attaché judiciaire ». Par contraste, la classe « 115 — Avocate ou avocat ou notaire » est sensiblement mieux rémunérée que la précédente. Cependant, très peu de GS/RF y sont inclus. Leur traitement s’établit donc en conséquence, selon les échelles salariales en vigueur. Le poste de GS/RF comporte en outre l’exigence de détenir un diplôme de premier cycle en droit. Et dans les faits, la presque totalité d’entre eux appartient au Barreau ou à la Chambre des notaires.
- Le juge continue son analyse en dressant la liste des pouvoirs plus spécifiquement exercés par les registraires de faillite. À l’instar des greffiers spéciaux, ceux-ci sont classés dans la catégorie « Attaché judiciaire ».
- Puis, le juge identifie les principales composantes du cadre juridique dans lequel se déroule le litige : la Loi sur les tribunaux judiciaires[2] (la « LTJ »), le préambule et quelques dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867[3] (la « LC 1867 »), les chartes de droits fondamentaux fédérale[4] (la « CCDL ») et provinciale[5] (la « CDLP ») ainsi que plusieurs arrêts : le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard[6] (le « Renvoi de 1997 »), Ell c. Alberta[7] (« Ell »), Ontario Deputy Judges Association c. Ontario (AG)[8] (« Deputy Judges »), Masters’ Association of Ontario c. Ontario[9] (« MAO »), Québec (Procureure générale) c. Barreau de Montréal[10] (« Barreau de Montréal »), Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles c. Québec (Procureur général)[11] (« ACLP »), Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale)[12] (« CJPMQ ») et Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général)[13] (« Toronto »). Pour fins de commodité et de référence, je mentionne toutes ces sources dès à présent, mais j’aurai l’occasion plus loin de m’arrêter sur la plupart d’entre elles.
- Aux paragraphes [68] à [75] de ses motifs, le juge apporte une précision importante : le procureur général du Québec (« l’appelant ») concède qu’il y a atteinte à l’indépendance judiciaire des GS/RF en raison d’ingérence dans l’exercice de leurs fonctions de la part de gestionnaires de la fonction publique. Cela rend nécessaires divers aménagements législatifs et réglementaires, ce qu’accepte l’appelant. Il s’ensuit que le nœud du litige concerne plutôt la garantie de sécurité financière des GS/RF. De cet impératif découlerait, selon les intimés, une obligation de créer une commission de rémunération indépendante, semblable à celle dont le Renvoi de 1997 a imposé la création dans certains cas. C’est sur ce point, principalement, que l’appelant conteste les prétentions des intimés.
- Le juge revient ensuite sur la question de l’ingérence administrative dans les fonctions des GS/RF. Il consacre 32 paragraphes à cette question, passant en revue les déclarations assermentées des quatre intimés. Il avait auparavant observé à cet égard qu’il « appara[î]t manifeste que le régime actuel n’est pas soutenable du point de vue constitutionnel ». Malgré la concession de l’appelant sur ce point, il était certainement opportun, et aussi fort révélateur, d’exposer par des illustrations concrètes en quoi consistent ces entorses à l’indépendance judiciaire.
- Ces précisions étant apportées, le juge entreprend une analyse détaillée de la jurisprudence sur l’indépendance judiciaire, en se concentrant sur ce qu’elle peut avoir de plus pertinent pour la fonction de GS/RF. Un arrêt et quelques jugements de première instance au Québec ont abordé la question du statut de juge de paix et de celui de certains officiers de justice[14]. Deux autres arrêts de la Cour d’appel ont traité de questions voisines, mais en droit administratif[15]. Bien qu’elles contiennent quelques observations qui pourraient s’avérer utiles ailleurs, ces décisions ne sont pas directement pertinentes pour les fins du pourvoi en cours. Elles traitent soit de l’inamovibilité des décideurs (par opposition à la sécurité financière), soit de fonctions éloignées de celles des GS/RF, soit de l’un et l’autre de ces deux aspects a priori étrangers à ce qui nous concerne plus spécifiquement ici. C’est donc avant tout du côté de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qu’on trouvera les indications les plus éclairantes, auxquelles peuvent s’ajouter ce qu’expliquent quelques arrêts d’autres cours d’appel là où les intéressés exercent des fonctions qui se rapprochent de celles des GS/RF. À la lumière de celles-ci, conclut le juge, l’inamovibilité et l’indépendance administrative des GS/RF sont compromises, ce qui porte atteinte au principe d’indépendance judiciaire. Néanmoins, comme le note le juge, cet aspect des choses n’est pas le plus préoccupant, car l’appelant reconnaît qu’une réforme du statut des GS/RF s’impose ici. Le juge termine son analyse de ce volet du jugement par la remarque suivante :
[148] Le Tribunal tient pour acquis que le législateur et la branche exécutive effectueront les modifications nécessaires pour rendre conforme aux principes de l’indépendance décisionnelle, de l’inamovibilité et de l’indépendance administrative le régime législatif qui régit les GS/RF quant au contenu et à la gestion de leur travail.
- Il existe ou a existé ailleurs au Canada divers officiers de justice[16] dotés de pouvoirs analogues et parfois très semblables à ceux des GS/RF. Après avoir rappelé certaines affaires qui, ailleurs qu’au Québec, pourraient présenter quelque ressemblance avec le dossier en cours, le juge considère la question sur laquelle les intimés et l’appelant s’affrontent le plus directement, soit celle de la sécurité financière. Prenant pour point de départ de son analyse le Renvoi de 1997 et l’arrêt Deputy Judges, il se penche donc de plus près sur cette question aux paragraphes [163] à [208] de ses motifs.
- L’appelant, ici, fondait l’essentiel de son argumentation sur sa lecture du Renvoi de 1997 et de l’arrêt Ell. La Cour suprême avait souligné dans cette dernière décision que « le maintien de l’ordre constitutionnel » était l’une des trois assises justifiant en l’occurrence l’extension de l’indépendance judiciaire à certains décideurs. L’appelant en tirait l’argument que, n’ayant pas à traiter dans leurs attributions du pouvoir coercitif de l’État susceptible d’engendrer une privation de liberté pour certains justiciables, les GS/RF exerçaient une fonction très différente de celle des juges de paix albertains visés par l’arrêt Ell. Il s’ensuivait qu’ils ne pouvaient invoquer dans toute sa plénitude le principe que recèle implicitement le préambule de la LC 1867.
- Écartant cette dernière prétention, le juge mentionne d’emblée que l’arrêt Deputy Judges, à la fois postérieur à l’arrêt Ell et compatible avec lui, n’exige nulle part que les décideurs « jouent un rôle en droit criminel et pénal ». En outre, certains pouvoirs dont sont pourvus les GS/RF s’exercent d’autorité dans des litiges où l’État et ses divers organismes entrent en opposition avec des particuliers. Même en acceptant l’argument de « l’échelle mobile » (sur lequel je reviendrai[17]), il appert selon le juge que la subordination financière des GS/RF et les conditions problématiques de négociation et de progression de leur traitement contreviennent au principe d’indépendance de la LC 1867.
- L’arrêt Barreau de Montréal figurait aussi parmi les sources sur lesquelles s’appuyait l’appelant. La Cour d’appel, en effet, y avait écarté un argument semblable à l’une des prétentions des intimés dans le dossier en cours. Sous la plume du juge Dussault, la Cour écrivait « … les garanties tirées du préambule [de la LC 1867] s’appliquent aux seuls tribunaux constituant le pouvoir judiciaire de l’État, dont ne fait pas partie un tribunal administratif, tel le TAQ »[18].
- Pour le juge, qui ne partage pas l’avis de l’appelant sur ce point, ce raisonnement confirme « par analogie, que la situation des GS/RF quant à leur sécurité financière est intenable sur le plan constitutionnel.[19] » Considérant les critères qu’avait examinés la Cour dans l’arrêt Barreau de Montréal (la nature, les attributs, les compétences et les pouvoirs d’un décideur, ainsi que les intérêts en jeu devant ce décideur), le juge rejette l’argument de l’appelant. Sa conclusion, note-t-il par ailleurs, trouve appui dans le fait que « [de] multiples fois au cours des ans[20] », les anomalies concernant l’indépendance et, plus spécifiquement, la sécurité financière des GS/RF furent portées à l’attention du gouvernement.
- En somme, estime le juge dans ce volet du dossier, le niveau de rémunération des GS/RF ne correspond pas à l’ampleur et à l’importance du travail qu’ils accomplissent.
- Le juge consacre ensuite trente-sept paragraphes de ses motifs à la question de savoir ce qui en l’occurrence constituerait une réparation appropriée pour les GS/RF.
- L’appelant et les intimés ont circonscrit avec une louable concision la question sur laquelle ils avaient lié contestation en première instance et qui demeure entière en appel. Ils ne la formulent pas tout à fait de la même façon et, pour bien saisir leur désaccord, il paraît utile de citer de part et d’autre les termes dans lesquels ils s’expriment. Pour l’appelant, la question consiste en ceci :
Considérant les pouvoirs qu’ils exercent dans le cadre de leur compétence d’attribution, les Greffiers spéciaux et les Registraires de faillite doivent-ils, au regard du droit des justiciables à un tribunal indépendant et impartial, être visés par un cadre juridique qui respecte les exigences de la garantie de sécurité financière institutionnelle établie par la Cour suprême dans le Renvoi de 1997?
Puis, l’appelant explicite sa pensée en y ajoutant les nuances qui suivent :
Le PGQ soutient que seules les trois conditions essentielles établies dans l’arrêt Valente c. La Reine de 1985 et protégée par l’article 23 de la Charte québécoise s’appliquent aux GS/RF. Ces derniers n’ont pas, en raison des fonctions qu’ils exercent, à bénéficier des garanties constitutionnelles d’indépendance propres au préambule de la L.c. 1867.
- Je reviendrai plus loin[21] sur cette dernière prétention afin de faire ressortir tout ce qu’elle implique et pour préciser pourquoi elle n’a pas convaincu le juge de première instance.
- Pour les intimés, il suffit d’énoncer la chose comme ceci :
Est-ce que le premier juge a erré en concluant que les principes de l’indépendance judiciaire, tel[s] que requis par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, s’appliquent aux greffiers spéciaux et aux registraires de faillite, officiers de justice essentiels au fonctionnement de la Cour supérieure et la Cour du Québec?
- On constate donc qu’outre une probable divergence sur les sources les plus susceptibles de guider la Cour vers la solution qui s’impose, les parties ne voient pas du même œil la place que peut occuper dans le débat le préambule de la LC 1867 : pour l’appelant, ce préambule est dénué de pertinence en l’occurrence, pour les intimés, il est la clé du litige. Voyons ce qu’il en est.
- Je commencerai par réitérer en termes généraux qu’elles sont les exigences de l’indépendance judiciaire telles qu’on les conçoit ici et maintenant. Je me servirai pour ce faire d’une synthèse à la fois récente et empreinte d’une grande autorité. Quelques observations de ma part sur l’évolution du principe d’indépendance judiciaire suivront. Je m’arrêterai ensuite sur ce qui est susceptible de rapprocher ou de distinguer le statut des intimés de celui d’autres officiers de justice ou délégataires de pouvoirs de décision en droit public, principalement à la lumière de la jurisprudence qui implique des intervenants dont les fonctions s’apparentent de près ou de loin à celles de GS/RF. Enfin, je tirerai de ce qui précède les conclusions qui me paraissent utiles pour trancher le pourvoi.
- L’arrêt CJPMQ[22] date de 2016. Il est unanime. La juge Karakatsanis, le juge Wagner (juge puîné à l’époque) et la juge Côté y rédigent des motifs conjoints auxquels souscrivent la juge en chef McLachlin et les cinq autres membres de la Cour. Voici la synthèse que je mentionnais au paragraphe précédent et que je tire de cet arrêt. Elle va à l’essentiel, raison pour laquelle je ne saurais mieux dire que ses auteurs. Je la cite tout en reproduisant en notes de bas de page les sources auxquelles il est fait référence dans ce passage :
[31] Le principe de l’indépendance judiciaire est issu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit que la Constitution du Canada repose sur « les mêmes principes que celle du Royaume-Uni »[23]. Il est également issu de l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit à l’accusé le droit à un procès équitable devant un tribunal impartial[24]. Notre Cour a reconnu l’indépendance judiciaire comme principe constitutionnel non écrit[25]. L’indépendance judiciaire est importante à la fois pour la confiance du public dans l’administration de la justice et pour la séparation constitutionnelle des pouvoirs[26].
[32] Le principe de l’indépendance judiciaire s’applique à tous les tribunaux judiciaires[27]. Dans l’arrêt Ell, la Cour reconnaît l’application de ce principe aux juges de paix de l’Alberta, ces derniers exerçant de nombreuses fonctions judiciaires - notamment présider des enquêtes sous caution et décerner des mandats de perquisition – susceptibles de restreindre de manière importante les droits et libertés d’individu[28]. Il ne fait aucun doute en l’espèce que l’indépendance judiciaire s’applique aux [juges de paix magistrats] du Québec.
[33] L’indépendance judiciaire exige trois garanties objectives : l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative[29]. Chacune de ces garanties possède une dimension individuelle et une dimension institutionnelle[30]. La manière de respecter ces garanties varie selon le contexte[31]. Il s’agit en définitive de déterminer si une personne raisonnable et renseignée conclurait que le tribunal bénéficie de ces garanties objectives[32]. Ainsi, l’indépendance judiciaire existe au profit, non pas des juges, mais du public. Les garanties ne sont pas là pour permettre aux juges d’améliorer leurs conditions de travail[33].
[34] La Cour s’est penchée sur la dimension institutionnelle de la garantie de sécurité financière à quelques reprises. Cette garantie comporte trois éléments : premièrement, la rémunération ne saurait être modifiée sans l’aval d’un comité indépendant — ou commission; deuxièmement, elle ne saurait faire l’objet de négociations entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif ou la législature; troisièmement, elle ne saurait être abaissée sous le seuil minimum requis par la charge de juge[34]. L’objectif de ces éléments est d’assurer que le processus de fixation de la rémunération des juges respecte, dans la mesure du possible, le principe de dépolitisation des rapports entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l’État[35]. Un seuil minimal de rémunération protège l’intégrité de la magistrature.
Je me permettrai de citer aussi un dernier paragraphe. Bien qu’il porte sur le rôle d’un comité de la rémunération des juges, procédure jamais utilisée jusqu’ici dans le cas GS/RF, il contient un élément d’information additionnel qui me semble fort pertinent pour la suite de l’analyse :
[35] Le rôle des comités de la rémunération des juges a déjà été expliqué en détail dans d’autres affaires[36]. Seuls quelques points méritent d’être répétés ici. Le comité doit examiner toutes les modifications proposées à la rémunération : les traitements ne peuvent être « réduits, haussés ou bloqués » sans recours préalable à un comité[37]. Par ailleurs, le comité examine la rémunération de façon globale : le traitement, le régime de retraite et les autres avantages sont considérés dans la rémunération globale[38]. Enfin, les recommandations du comité ne sont pas exécutoires[39]. Le gouvernement peut s’en écarter à condition de justifier sa décision par des « motifs rationnels »[40].
- On peut considérer les citations qui précèdent comme une codification jurisprudentielle des exigences qu’impose aujourd’hui au Canada le principe de l’indépendance judiciaire découlant de la Constitution. Il en ressort notamment deux choses. En premier lieu, même s’il emboîte le pas aux arrêts Valente et Beauregard que mentionne la Cour ci-dessus, le Renvoi de 1997 marqua un tournant décisif dans la compréhension et l’application de ce principe. En ce sens, il y eut véritablement en droit canadien un avant et un après le Renvoi de 1997. En deuxième lieu, depuis septembre 1997, date de ce renvoi, la décision a eu une progéniture assez abondante dans la jurisprudence. Elle a engendré de fécondes réflexions sous divers angles[41], non seulement autour des détenteurs de fonctions clairement juridictionnelles (comme les juges de paix magistrats à l’origine de l’arrêt CJPMQ[42]), mais là aussi où des délégataires de divers types de pouvoirs de décision exercent des fonctions quasi judiciaires souvent bien différentes par leurs caractéristiques de celles attribuées aux membres de tribunaux judiciaires[43]. J’en déduis qu’on aurait tort de croire que les exigences ou les conditions d’existence d’une authentique indépendance judiciaire étaient déjà arrêtées une fois pour toutes avant 1997 – et tort de croire qu’en conséquence il serait vain, dorénavant, de tenter de les adapter à des circonstances nouvelles. Ces exigences avaient beaucoup évolué au cours des années antérieures au Renvoi de 1997 et elles ont continué de le faire par la suite.
- Cela dit, je précise que la notion d’indépendance judiciaire a une très longue filiation dans la tradition constitutionnelle anglo-canadienne. Elle existait même quelques siècles avant la naissance du Canada.
- Certes, l’Act of Settlement fut le premier à lui conférer en 1701 la portée d’une règle législative, ou « statutaire », par la consécration en droit positif de la maxime quamdiu se bene gesserint en remplacement de la maxime durante bene placito (littéralement, « durant bonne conduite » plutôt que « durant bon plaisir »). Mais, bien avant cela, la notion avait laissé des traces durables en droit et en théorie politique. Une forme beaucoup plus qu’embryonnaire de la séparation des pouvoirs, et donc de l’indépendance judiciaire qu’elle implique nécessairement, apparaissait déjà dans des jugements fort anciens que l’on doit à Sir Edward Coke (1552-1634) : l’arrêt Prohibitions del Roy[44], par exemple, ou encore le Case of Proclamations[45]. À l’origine, d’ailleurs, l’idée qui prenait forme ne se manifestait pas uniquement comme une protection contre l’exercice abusif de certaines prérogatives par le souverain (c’est-à-dire l’exécutif). On la pensait aussi de nature à limiter, le cas échéant, le pouvoir législatif : ainsi, tant le juge en chef Coke[46] que le juge en chef Hobart[47] n’hésitaient pas à affirmer que même une loi du Parlement ne peut validement autoriser un sujet de droit à être juge dans sa propre cause. Peu importe que, sous cet angle précis, l’idée ne survive pas à l’émergence d’un principe rival, celui de la souveraineté du Parlement. Il demeure intéressant de noter que, dans cette tradition constitutionnelle ci, « l’indépendance judiciaire » telle que la concevaient des juges respectés d’une époque très ancienne revêtait une grande importance dans la configuration générale des institutions. En outre, toujours dans cette même tradition, et malgré le principe de la souveraineté des parlements, il n’entre certainement pas dans les habitudes de ceux-ci d’autoriser qui que ce soit à être juge dans sa propre cause.
- Par la suite, John Locke (1632-1704) commença à théoriser cette idée qui, plus tard, fut reprise et vantée par Charles Louis de Montesquieu (1689-1755)[48], lui-même magistrat. Et dans un passé moins lointain, en 1943 et au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, Alexandre Kojève (1902-1968) s’intéressa de près au problème dans un ouvrage dont l’empreinte reste influente en philosophie du droit[49]. Selon lui, le tiers indépendant entre deux parties opposées est le garant et le révélateur essentiel de ce qu’est un authentique rapport de droit. Sans doute est-il exact, comme le mentionne la Cour suprême dans le passage précité, que « [l]a manière de respecter ces garanties varie selon le contexte »[50]. Pourtant, chose qui bien entendu ne fait pas l’unanimité partout, dans une démocratie moderne, séparation des pouvoirs et indépendance judiciaire vont de pair et sont devenues indissociables de l’État de droit tel qu’on le comprend ici. Et les détenteurs de certains pouvoirs juridictionnels, sans nécessairement agir pour « le maintien de l’ordre constitutionnel », peuvent néanmoins incarner cet ordre constitutionnel parce qu’ils en sont une composante essentielle.
- Avant d’entrer dans le vif du sujet, je note que l’article 96 de la LC 1867 pourrait faire obstacle à certaines délégations de pouvoirs aux GS/RF. La chose n’est pas inconcevable, car cette disposition de la Constitution, elle aussi interprétée de manière large et libérale, voire créative, par la Cour suprême du Canada, a servi plus d’une fois à encadrer, même à contrecarrer, de telles délégations à des tribunaux administratifs[51]. Le législateur semble s’y être montré sensible lorsqu’il a spécifié dans le troisième alinéa de l’article 71 C.p.c. qu’un greffier « ne peut en aucun cas … décider d’un pourvoi en contrôle judiciaire ou d’une demande en matière d’injonction »[52]. Comme le dossier du pourvoi ne contenait aucune mention de ce sujet, la question fut posée aux avocats lors de l’audience en Cour d’appel. Ils nous confirmèrent que cela ne fut jamais abordé par les parties, ni a fortiori plaidé par elles. Il est donc préférable de n’en rien dire de plus ici, d’autant que, dans le dossier en cours, le problème paraît hypothétique plutôt que réel.
- Un article de la LTJ et une quinzaine de dispositions réparties en plusieurs endroits dans le Code de procédure civile traitent spécifiquement des greffiers spéciaux et de leurs attributions. Les pouvoirs des registraires de faillite sont visés, quant à eux, par l’article 192 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »)[53]. Il me semble nécessaire ici de rappeler en quoi consistent les fonctions qu’ils exercent. Le juge de première instance en a fait une énumération exhaustive[54] que je lui emprunte :
- Greffiers spéciaux
Quelle soit ou non contestée, un greffier spécial peut statuer sur toute demande qui concerne :
le renvoi de la demande introductive d’instance devant le tribunal territorialement compétent dans les cas visés par l’article 43 C.p.c.;
une sûreté pour frais;
la convocation d’un témoin, sauf dans les cas visés à l’article 497 C.p.c.;
la communication, la production ou le rejet de pièces;
la consultation ou la copie d’un document auquel l’accès est restreint;
un examen sur l’état physique, mental ou psychosocial d’une personne;
la jonction de demandes;
des précisions ou des modifications à un acte de procédure;
la substitution d’avocat;
toute demande pour être relevé du défaut ou pour cesser d’occuper;
tout acte de procédure en cours d’instance, mais, si celui-ci est contesté, il ne peut agir qu’avec l’accord des parties.
En matière de garde d’enfants ou d’obligations alimentaires, il peut :
homologuer toute entente entre les parties portant règlement complet de ces questions;
afin d’apprécier l’entente ou le consentement des parties, les convoquer et les entendre, même séparément, en présence de leur avocat;
déférer le dossier à un juge ou au tribunal, s’il estime que l’intérêt des enfants n’est pas préservé ou que le consentement a été donné sous la contrainte.
Les ententes ainsi homologuées ont la même force exécutoire qu’un jugement.
Dans le cadre d’une procédure non contentieuse, un greffier spécial peut exercer la compétence du tribunal, à l’exception, toutefois, des matières exclues par le premier alinéa de l’art. 73 C.p.c., soit (i) l’intégrité ou l’état d’une personne, (ii) l’absence ou la déclaration judiciaire de décès, (iii) en matière familiale, des demandes conjointes sur un projet d’accord, (iv) des demandes visant à faire réviser une décision du directeur de l’état civil ou relatives à la publicité des droits ou à la reconstitution d’un acte authentique ou d’un registre public.
Un greffier spécial peut, aussi, rendre un jugement par défaut :
si la demande a pour seul objet le prix d’un contrat de service ou de vente d’un bien meuble;
si la demande tend à obtenir le paiement d’une somme d’argent dont le montant est clairement établi dans un acte authentique ou sous seing privé.
Il peut autoriser un huissier d’employer la force lorsque cela lui est nécessaire pour pénétrer dans un lieu où il doit procéder à une saisie, à une expulsion ou à l’enlèvement de biens.
Il peut exercer les pouvoirs attribués à un greffier, soit notamment :
ordonner la prolongation de l’application des mesures de protection immédiate de l’enfant en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse[55];
rendre jugement en matière de distribution des deniers relativement à la vente de l’immeuble pour défaut de paiement de taxes municipales[56].
Enfin, conformément à l’art. 71 C.p.c., et en cas d’absence ou d’impossibilité des juges eux-mêmes là où un retard risque d’entraîner la perte d’un droit ou de causer un préjudice sérieux, il exerce certains pouvoirs des juges, à l’exception de ceux expressément exclus de sa compétence.
- Registraire de faillite
Un registraire de faillite possède le pouvoir et la juridiction :
d’entendre des requêtes en faillite et de rendre des ordonnances de faillite, lorsqu’elles ne sont pas contestées;
d’interroger les faillis ou d’autres personnes;
de rendre les ordonnances de libération;
d’approuver des propositions concordataires non contestées;
de rendre des ordonnances provisoires dans les cas d’urgence;
d’entendre et de décider toute demande non contestée ou ex parte;
de sommer et d’interroger le failli ou toute personne connue comme ayant en sa possession ou soupçonnée d’avoir en sa possession des biens du failli ou de lui être endettée, ou d’être en état de donner des renseignements concernant le failli, ses opérations ou ses biens;
d’entendre et de décider les demandes relatives à des preuves de réclamations, contestées ou non;
de taxer ou de fixer les frais, et d’approuver les comptes;
d’entendre et de décider une affaire avec le consentement de toutes les parties;
de régler et de signer toutes ordonnances et jugements des tribunaux qu’un juge n’a pas réglés ou signés, et d’émettre toutes ordonnances, tous jugements, mandats ou autres procédures des tribunaux;
d’exercer toutes les fonctions administratives nécessaires relativement à la pratique et à la procédure devant les tribunaux;
d’entendre et de décider les appels de la décision d’un syndic accordant ou refusant une réclamation.
- Comme on le voit, les attributions des GS/RF sont nombreuses et variées.
- Pour bien illustrer ce dernier fait, les intimés ont attiré l’attention de la Cour sur plusieurs jugements rendus par des greffiers spéciaux. Ils démontrent la difficulté et l’importance de questions que ceux-ci peuvent avoir à trancher[57]. Par ailleurs, le juge de première instance remarque au paragraphe [29] de ses motifs que, précision de première importance, « [s]elon la preuve, les GS rendent une partie importante des décisions en matière civile pour la Cour supérieure et la Cour du Québec dans certains districts ». Plus loin, il ajoute même, au paragraphe [176], qu’ils « rendent la vaste majorité des jugements des chambres civiles des deux cours dans certains districts » (je souligne). Ce fait n’est pas en litige.
- Deux arrêts de la Cour suprême du Canada et trois jugements de cours d’appel canadiennes sont à rapprocher du dossier en cours. Ils permettent de pousser plus loin l’analyse du statut des GS/RF et d’approfondir la question soulevée par leur indépendance et leur sécurité financière. Ce sont les arrêt Ell[58] et CJPMQ[59] ainsi que les jugements Deputy Judges[60] et MAO[61] de la Cour d’appel de l’Ontario et le jugement Aalto c. Canada (Procureur général)[62] (« Aalto ») de la Cour d’appel fédérale. Sur un aspect voisin, l’arrêt Ocean Port Hotel[63] de la Cour suprême fournit lui aussi une clé de solution.
- L’appelant fait valoir que, même si les GS/RF sont des officiers de justice investis de plusieurs pouvoirs, leur rôle ne justifie pas qu’on leur accorde un niveau de sécurité financière à l’égal de celui des juges ou des juges de paix magistrats.
- Dans l’état actuel des choses, on l’a vu, les GS/RF sont très majoritairement classés « attachés judiciaires ». Ils ont un statut de fonctionnaire et, de fait, ils sont très majoritairement membres du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec[64] qui les représente auprès de leur employeur. (Je note que, dans la mesure où la négociation entre le gouvernement et les GS/RF des traitements de ces derniers mettrait les parties directement en présence l’une de l’autre pour trouver un accord, cela en soi pourrait constituer un sérieux problème au regard du Renvoi de 1997. Et il n’est pas dit que la difficulté s’estomperait entièrement du seul fait de leur représentation par l’entremise d’un agent négociateur accrédité pour de très nombreux autres fonctionnaires.) Mais j’ai déjà reproduit au paragraphe [20] un extrait du jugement entrepris où le juge dit tenir pour certain que « le législateur et la branche exécutive » modifieront ce statut pour satisfaire aux exigences de l’indépendance judiciaire. Aussi devons-nous pour notre part nous limiter à ce qui est toujours en place puisque, nous dit-on, rien n’a encore changé.
- Une première interprétation est à écarter sans hésitation. Sous prétexte que les GS/RF sont des fonctionnaires et des employés de l’État à qui l’on confie des tâches de nature quasi judiciaires, on pourrait être tenté de les assimiler à des membres de tribunaux administratifs qui, eux aussi, exercent des pouvoirs en partie analogues. Je crois que ce serait attaquer le problème à l’envers. À mon sens, le juge de première instance a déjà fermement rejeté une telle vision des choses, implicitement sinon explicitement. L’arrêt Ocean Port Hotel, pourtant cité par l’appelant, fournit quelques éléments d’information pertinents à ce sujet et qui étayent le jugement entrepris. Cet arrêt, qui soulevait une question d’inamovibilité, mettait en scène le président et les membres d’une régie de permis d’alcool investis du pouvoir de suspendre ou de révoquer un permis, ou encore d’en mettre le détenteur à l’amende. La juge en chef McLachlin tient la plume pour la formation unanime des neuf juges de la Cour qui rejette le pourvoi du détenteur de permis. Elle identifie dès les premières lignes de ses motifs la question à trancher[65]. Or, poursuit-elle plus loin, la différence fondamentale entre les tribunaux administratifs et les tribunaux judiciaires persiste. Elle écrit :
[23] … les tribunaux administratifs ne sont pas constitutionnellement séparés de l’exécutif. Ils sont en fait créés précisément en vue de la mise en œuvre de la politique gouvernementale. Pour remplir cette fonction, ils peuvent être appelés à rendre des décisions quasi judiciaires. On peut considérer en ce sens qu’ils chevauchent la ligne de partage constitutionnelle entre l’exécutif et le judiciaire. Toutefois, vu que leur fonction première est d’appliquer des politiques, il appartient à bon droit au Parlement et aux législatures de déterminer la composition et l’organisation qui permettront aux tribunaux administratifs de s’acquitter des attributions qui leur sont dévolues.
Et plus loin, elle ajoute :
[33] … La commission n’est pas un tribunal judiciaire, et elle est loin de posséder les attributs constitutionnels des tribunaux judiciaires. Sa fonction première est l’octroi de permis.
- On ne saurait prétendre, me semble-t-il, que les GS/RF correspondent de quelque façon que ce soit à cette description. À la mise en œuvre de quelle politique gouvernementale s’emploient-ils? Celle du Code civil du Québec? Du Code de procédure civile? De la Loi sur le divorce? De la Loi sur la faillite et l’insolvabilité? La proposition que j’écarte ici est immédiatement battue en brèche par ces simples interrogations. Et sur un autre point également, l’arrêt Ocean Port Hotel peut nous éclairer. L’appelante dans ce dossier faisait valoir que les normes d’indépendance mise en évidence par l’arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool)[66] devaient également s’appliquer dans le cas des régisseurs qui avaient suspendu son permis. La juge en chef estime qu’il n’en est rien. L’argument, en effet, ne tient pas compte du fait que ces normes « résultaient [de l’article 23] de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec »[67], une disposition alors sans équivalent dans la législation de Colombie-Britannique. Pourtant, cet article 23 est certainement applicable aux greffiers spéciaux. Il l’est vraisemblablement aussi aux registraires de faillite, puisqu’il s’agit ici d’une question d’administration de la justice.
- Il est donc possible d’avancer dans cette optique que, sur l’échelle passablement étendue du « contexte »[68], le curseur situe les GS/RF loin des membres de l’association qui se portait appelante dans le dossier ACLP[69]. Les fonctions qu’exercent les GS/RF se rapprochent beaucoup plus, en effet, du paradigme juridictionnel/judiciaire que du paradigme quasi judiciaire/administratif. Il est d’ailleurs paradoxal que, dans les faits, le degré d’inamovibilité, d’indépendance administrative et de sécurité financière des seconds soit à l’heure actuelle nettement plus contraignant pour l’exécutif que ne l’est celui des premiers.
- Si maintenant l’on se tourne plus spécifiquement du côté des détenteurs de fonctions analogues ou comparables à celles des GS/RF, on voit qu’ici encore les parties divergent de point de vue sur cet aspect des choses : elles appréhendent de façons différentes quels sont les juges et officiers de justice qui devraient figurer dans la discussion pour fins de comparaison. Plusieurs jugements ou arrêts sont mentionnés de la sorte.
- Je ne crois pas, en premier lieu, que l’arrêt Ell[70] ait beaucoup à nous apprendre sur l’affaire en cours : les circonstances qui l’ont engendré sont fort éloignées des nôtres. Outre le fait qu’il porte sur l’inamovibilité de juges de paix et non sur leur sécurité financière, il résulte d’une réforme générale apportée par une loi de la législature provinciale. Dans notre cas, et par contraste, l’obstacle tient à une longue inertie législative qui dure encore.
- La réforme albertaine rendait possible un réaménagement global et en profondeur du statut des juges de paix en exercice. Toutefois, au plan individuel, le statut de chacun d’entre eux ne pouvait être modifié que conformément à la recommandation d’un conseil de la magistrature indépendant du gouvernement. Beaucoup des juges de paix alors en exercice furent ainsi destitués ou rétrogradés, quoique, s’ils le souhaitaient, ils pouvaient accepter l’offre simultanée d’une réaffectation avec charge de « juges de paix non présidant »[71]. La mesure faisait désormais de cinq années préalables d’expérience au sein du Barreau de l’Alberta une qualification obligatoire pour les « juges de paix présidant ». Elle parut valide à la Cour suprême puisqu’elle ne comportait rien d’arbitraire ou de discrétionnaire de la part du gouvernement en cause[72] et qu’au contraire elle servait clairement l’intérêt des justiciables.
- L’appelant tirait de cet arrêt un passage qu’il considérait lourd de sens. Le juge de première instance, on l’a vu, ne partageait pas cette perception et il a rejeté les prétentions de l’appelant sur ce point[73]. À mon sens, il a eu raison, et j’expliquerai plus avant pourquoi j’en viens à cette conclusion[74]. Il est une chose, cependant, que l’on peut retenir ici de l’arrêt Ell. Elle trouve du reste écho dans l’arrêt CJPMQ là où la Cour suprême écrit : « La manière de respecter ces garanties varie selon le contexte[75]. » Dans l’arrêt Ell, en effet, le juge Major expliquait en un long passage pourquoi le degré d’inamovibilité constitutionnellement requis dépend du contexte particulier du tribunal judiciaire ou administratif[76]. C’est l’idée d’une échelle mobile, que j’évoquais plus haut au paragraphe [23] et dont il paraît clair que, si elle a cours en matière d’inamovibilité, il en va nécessairement de même en ce qui concerne la sécurité financière.
- Il est déjà acquis que les GS/RF ne sont pas un « tribunal administratif ». Doit-on penser que, parce qu’ils sont des fonctionnaires affectés au ministère de la Justice, leur sécurité financière est suffisamment protégée par les garanties en existence dans la fonction publique? L’appelant concède déjà que des ingérences administratives compromettent leur indépendance et selon toute probabilité, le régime auquel ils sont présentement assujettis changera bientôt de manière significative. Leur statut actuel de fonctionnaires n’est donc d’aucune utilité pour évaluer leur sécurité financière.
- C’est ici que les arrêts Deputy Judges[77], Aalto[78] et MAO[79] trouvent toute leur pertinence.
- Le premier de ces arrêts, Deputy Judges, concernait la rémunération des quelques 390 juges suppléants ontariens qui siégeaient à temps partiel à la Cour des petites créances. Cette cour est constituée comme une division de la Cour supérieure de justice de l’Ontario[80]. Une douzaine de ces juges suppléants avaient des horaires chargés et prononçaient des jugements dans un pourcentage substantiel des affaires entendues aux petites créances à Toronto. En revanche, la majorité d’entre eux, provenant d’avocats inscrits au Barreau ou d’avocats à la retraite, siégeaient à temps partiel et en moyenne une journée par mois. Entre 1971 et 1982, leur indemnité journalière fixée par arrêté en conseil du gouvernement provincial était passée de 50 $ à 232 $, mais au moment de l’arrêt de la Cour d’appel, ce dernier chiffre n’avait pas changé depuis 24 ans.
- La Cour d’appel confirme le jugement de la Cour supérieure de justice sur trois des quatre questions tranchées par le juge de première instance. Premièrement, une commission indépendante s’avérait nécessaire pour protéger la sécurité financière des juges suppléants. Deuxièmement, et contrairement à ce que plaidait le procureur général de l’Ontario, si une certaine flexibilité s’imposait dans la détermination d’une procédure appropriée de recommandation de traitement, la fixation de celui-ci par arrêté en conseil ne pouvait satisfaire à l’exigence d’indépendance. Troisièmement, le choix d’une procédure appropriée relevait du gouvernement, mais celle-ci, conformément au Renvoi de 1997, devait être indépendante, efficace et objective. Quatrièmement, la Cour infirme la conclusion du jugement selon laquelle le traitement des juges suppléants alors en vigueur était inférieur au minimum requis par l’exigence de sécurité financière[81].
- Il paraît clair qu’un passage des motifs de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Deputy Judges rejoint le raisonnement que développe ici le juge de première instance lorsqu’il refuse de suivre l’appelant dans sa lecture de l’arrêt Ell. Il convient de citer ce passage au long :
[26] The force of the rationale behind the institutional dimension of financial security is not diminished by the fact, emphasized by the AG, that Deputy Judges sit on a part-time basis and have limited jurisdiction. Deputy Judges, who preside in the busiest court in Ontario, are an integral part of the justice system. We recognize, of course, that the court's caseload does not include criminal matters, the court possesses only a limited jurisdiction for committal, and it rarely hears Charter issues. Nevertheless, although the role of the Small Claims Court is more limited in the Canadian constitutional structure than that of the superior and provincial courts, that role is important in protecting the rule of law, preserving the democratic process, protecting the values of the Constitution and maintaining public confidence in the administration of justice.
Il est vrai que les fonctions exercées par les GS/RF et celles exercées par les juges suppléants ontariens, bien qu’elles puissent se recouper en partie, sont loin d’être identiques. J’estime toutefois, comme ici le juge de première instance, que de telles différences n’ont pas la portée que l’appelant veut prêter à la distinction entre la compétence des GS/RF et celle des juges de paix visés par l’arrêt Ell. Bien au contraire, l’analogie entre le rôle des juges suppléants et celui des GS/RF me semble évidente vu la centralité de la compétence, même tronquée, qu’on leur attribue de part et d’autre dans l’appareil judiciaire.
- Restent les arrêts Aalto[82]et MAO[83], sûrement ceux qui, plus que les précédentes décisions, concernent des officiers de justice dont le rôle jouxte de près la situation des GS/RF. Il s’agit en l’occurrence des protonotaires de la Cour fédérale et des masters de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Leurs fonctions correspondent à peu de choses près à celles des GS/RF.
- L’arrêt Aalto concernait spécifiquement la sécurité financière des six protonotaires de la Cour fédérale dont la rémunération était fixée à l’époque à 69 % du traitement versé aux juges de nomination fédérale. L’intérêt de l’arrêt réside moins dans ce que tranche la Cour d’appel fédérale que dans ce que l’on peut tirer des motifs de la Cour sur le statut de ces protonotaires. En l’espèce, un conseiller spécial du gouvernement[84] avait remis un rapport contenant certaines recommandations sur la rémunération des protonotaires, recommandations auxquelles le gouvernement par l’entremise du ministre de la Justice avait refusé de donner suite en raison de la détérioration des finances publiques et de l’imposition de restrictions salariales dans la fonction publique fédérale. La question précise à trancher était celle de savoir si cette réponse du gouvernement était « rationnelle » au sens que revêt la notion dans l’arrêt Bodner c. Alberta[85] (trois sous-questions énoncées par la Cour d’appel fédérale[86] permettent de vider la question). La Cour d’appel fédérale conclut par l’affirmative.
- Son raisonnement s’appuie sur deux considérations qui n’étaient pas remises en cause et que la Cour réitère en ces termes :
[6] Il y a deux questions fondamentales qui ne sont pas en litige. Premièrement, le travail des protonotaires fait partie intégrante de l’administration de la justice à la Cour fédérale. Ils s’occupent de la gestion des instances (notamment en aidant les parties à régler leurs différends), statuent sur les requêtes préalables à l’audience et président les procès dont l’enjeu ne dépasse pas 50 000 $. Au fil des ans, leur rôle s’est élargi et la grande qualité de leur travail est incontestable. Les protonotaires libèrent les juges de la Cour fédérale d’une charge considérable et contribuent grandement à la prompte administration de la justice par la Cour.
[7] Deuxièmement, les protonotaires bénéficient de la même garantie constitutionnelle d’indépendance, notamment la sécurité financière, que les autres officiers de justice : les juges des cours supérieures et provinciales et les conseillers-maîtres. La primauté du droit n’exige rien de moins. Par conséquent, les principes constitutionnels sur lesquels repose le processus de fixation de la rémunération des juges s’appliquent également aux protonotaires, notamment l’obligation de réviser périodiquement leur traitement et autres prestations à la lumière des recommandations émanant d’un processus indépendant.
(Incidemment, je note que depuis 2022 et l’entrée en vigueur de la Loi no 1 du budget de 2022[87], ces protonotaires portent désormais le titre de juges adjoints)
- Si l’on laisse de côté pour le moment la présidence des « procès dont l’enjeu ne dépasse pas 50 000 $ » (encore que, sur ce point, il faille garder certaines nuances à l’esprit[88]), il n’y a guère de doute que les fonctions des protonotaires décrites dans cette dernière citation présentent une grande ressemblance avec celles des GS/RF. Bien entendu, le nœud du litige ici consiste à déterminer si les GS/RF « bénéficient de la même garantie constitutionnelle d’indépendance, notamment la sécurité financière, que les autres officiers de justice » alors que, dans l’affaire Aalto, personne ne remettait en question que cette détermination devait être affirmative. Il reste que, s’appuyant sur la comparaison que rend possible le paragraphe [6] dans la citation qui précède, le raisonnement du paragraphe [7] sur ce qu’exige la primauté du droit ne manque pas de séduire.
- L’arrêt MAO[89] comporte lui aussi des indications révélatrices sur les questions soulevées par le pourvoi. Pour connaître le détail de la longue évolution qui engendra ce litige, il est commode de se référer au jugement de première instance dans le dossier[90]. Ce jugement fit l’objet d’un appel et d’un appel incident; la Cour d’appel le confirme cependant sur presque tous les points. La fonction de master en Ontario remonte à 1837 et elle demeurera essentiellement la même jusqu’en 1984. Néanmoins, sous l’impulsion initiale de la Commission de réforme du droit de l’Ontario qui se préoccupait dans les années 1970 des garanties d’indépendance des masters, cette fonction fit l’objet de diverses réformes. Avec celles-ci, on vit apparaître la distinction entre les Traditional Masters (« TM ») et les Case Management Masters (« CMM »), d’abord appelés Judicial Support Officiers.
- Ces appellations permettaient simplement de ranger dans des catégories distinctes les TM, déjà en fonctions au moment de la principale réforme, et les CMM, c’est-à-dire ceux qui, en raison de cette réforme, prendraient progressivement la place des TM dont les effectifs déclinaient au rythme des départs à la retraite. Pour des raisons historiques qu’il est inutile de préciser ici, les TM bénéficiaient déjà d’un régime se rapprochant d’une commission indépendante sur la rémunération, alors que le traitement des CMM était arrimé par décret gouvernemental à celui des sous-ministres adjoints dans la fonction publique ontarienne. Cela avait eu pour conséquence que, de 2001 à 2009, la rémunération des seconds était passée de 153 500 $ à 190 461 $, période pendant laquelle celle des premiers avait augmenté de 172 201 $ à 248 057 $. Aussi les CMM demandaient-ils à la Cour supérieure de justice de déclarer qu’ils avaient droit, constitutionnellement et rétroactivement, au même traitement que les TM. Le jugement de première instance, dans ce qu’il y a de pertinent ici, statue que seule une commission indépendante peut satisfaire l’exigence de sécurité financière, mais le juge s’abstient de se prononcer sur les échelles de rémunération et sur une rétroactivité potentielle. Il accorde 12 mois au gouvernement pour mettre en place une solution viable.
- Un premier élément à retenir de cette affaire est l’étroite ressemblance entre les fonctions des GS/RF et celles des TM ou des CMM, comme le font ressortir les observations du juge de première instance[91]. En ce qui concerne la réparation appropriée, deux passages des motifs du juge MacPherson (auxquels souscrivent les juges Gillese et LaForme) retiennent mon attention :
[39] … there is no single template for the title, composition, structure, powers and procedures of these independent bodies. In Provincial Court Judges Reference [le Renvoi de 1997], at para. 185, Lamer C.J.C. specifically disclaimed an intention "to lay down a particular institutional framework in constitutional stone".
[…]
[69] … the Crown points out that the legislature will probably not sit in September because of the fixed election date of October 6, 2011. Then, after the election, the government will need time to prepare its legislative agenda before the legislature is recalled. This constellation of facts, the Crown submits, suggests that a 20-month suspension of the declaration of invalidity is warranted.
[70] I am inclined to accept this request. Both the Case Management Masters and the Crown appealed from the application judge's decision. As their materials and arguments on the appeal and cross-appeal made clear, there are many issues, and many options on those issues, that the government will have to consider before establishing an independent, effective and objective special process for setting the remuneration for Case Management Masters. Those issues include the title, composition, structure, powers and procedures of the independent body, as well as its mandate (e.g., prospective and/or retroactive, the relationship between Case Management Masters and traditional Masters, etc.). This reality, and disruptions to the government process as a fixed election approaches, support the extension requested by the Crown.
Il n’est pas question dans le pourvoi actuellement devant nous de l’imminence d’élections provinciales, mais cette observation de même que le reste de ces remarques donnent à réfléchir.
- Enfin, je note que, par une modification apportée le 11 septembre 2021 au Règlement 535/96 de l’Ontario par le Règlement 590/21, les expressions « Case Management Masters » et « protonotaires » ont été remplacées par les expressions « Associate Judges » et « Juges associés ».
- Je reviens tout d’abord sur l’argumentation de l’appelant. Il soutient, on l’a vu, que « seules les trois conditions essentielles établies dans l’arrêt Valente c. La Reine de 1985 et protégées par l’article 23 de la Charte québécoise s’appliquent aux GS/RF[92] ».
- Des trois conditions mises en exergue dans l’arrêt Valente, et sur lesquelles élabore le Renvoi de 1997, seule la deuxième, soit la sécurité financière[93], est directement pertinente ici. À l’époque de l’arrêt Valente, le traitement des juges de la Cour provinciale de l’Ontario était fixé par règlement pris par le lieutenant-gouverneur en conseil, à partir des recommandations d’un comité paritaire de trois membres. La Cour suprême avalise ce régime en dépit du fait que le traitement n’est pas fixé par le corps législatif et n’est pas prélevé à même le Fonds du revenu consolidé.
- L’appelant poursuit sur sa lancée et plaide également que les GS/RF « n’ont pas, en raison des fonctions qu’ils exercent, à bénéficier des garanties constitutionnelles d’indépendance propres au préambule de la L.c. 1867[94]».
- J’ai quelque difficulté, ici, à comprendre l’argument de l’appelant, ou à tout le moins les conséquences qu’il semble en tirer. J’ai déjà signalé que sa prétention fondée sur « le maintien de l’ordre constitutionnel » et sur l’arrêt Ell est rejetée par le juge de première instance[95]. En l’espèce, je partage l’avis de ce dernier et je ne vois aucune raison d’exclure de la discussion le préambule de la LC 1867.
- Contrairement à l’article 23 de la CDLP, le texte de ce préambule a incontestablement une portée supra-législative[96]. Comme on le sait, il renvoyait en 1867 et renvoie toujours aujourd’hui à « une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni », étalon ou valeur de référence dans la conception et l’interprétation de la L.c. 1867. Il est banal de dire que le sens qu’on prête à ce préambule a sensiblement évolué avec le temps, comme l’a fait, et de façon encore plus marquée, le sens de l’article 96 de la même loi. Or, on ne peut nier, par exemple, qu’en 1867 au Royaume-Uni, et à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, il n’existait rien de comparable à un processus de détermination des traitements judiciaires d’un genre semblable à celui que le Renvoi de 1997 instaurera cent-trente ans plus tard. L’assise constitutionnelle de ce processus est d’ailleurs bien distincte de la CCDL et va bien au-delà de l’alinéa 11d) de cette dernière. Peu à peu, à mesure que les ministères et les divers organismes des gouvernements prenaient de l’envergure et qu’apparaissaient et se multipliaient les tribunaux administratifs ou les divisions de tribunaux judiciaires, il devenait nécessaire d’adapter la compréhension de l’indépendance judiciaire à la réalité d’un État moderne. C’est ce que confirment et réitèrent des décisions comme les arrêts Valente, Ell, CJPM, Edwards ou le Renvoi de 1997.
- Je ne vois pas non plus pourquoi le fait d’invoquer le préambule de la LC 1867 ferait obstacle à ce que l’on tempère les exigences de l’indépendance judiciaire en fonction des caractéristiques propres de tels ou tels tribunaux ou organismes juridictionnels. « Contexte » et « échelle mobile » trouvent aussi application ici, comme le démontre la distance couverte entre l’arrêt Valente, le Renvoi de 1997 et l’arrêt CJPM, des décisions qui toutes concernent, non pas les tribunaux de l’article 96 de la L.c. 1867, mais des tribunaux judiciaires autrefois couramment appelés « inférieurs » et constitués en vertu du paragraphe 14 de l’article 92 de la LC 1867.
- En outre, le principe de l’indépendance judiciaire existe en droit public depuis bien avant la réforme constitutionnelle de 1982 et même depuis bien avant celle de 1867, comme je m’efforçais de le démontrer aux paragraphes [36] et [37] ci-dessus. L’État de droit s’entend de beaucoup plus que de la seule défense de l’ordre constitutionnel dans un sens étroit, par exemple dans des litiges entre ordres de gouvernement sur la portée des articles 91 et 92 de la LC 1867, ou encore, par exemple et dans un sens moins restrictif, dans une instance criminelle où un accusé se prévaut du paragraphe 24(2) de la CCDL. L’État de droit concerne aussi, et de manière prééminente, la faculté pour tous les sujets de droit au Canada de saisir un tribunal, administratif ou judiciaire, afin de résoudre les différends qui les opposent à d’autres sujets de droit, voire à l’État lui-même. Prises dans le sens étroit évoqué ci-dessus, les expressions « maintien » et « préservation de l’ordre constitutionnel » ne couvrent donc qu’une très petite partie de ce que vise à sauvegarder l’indépendance judiciaire. Qui plus est, rien n’empêche de penser qu’un GS/RF, au même titre qu’un juge de la Cour du Québec, peut être saisi dans un dossier relevant de lui d’une question dotée d’une résonance constitutionnelle ou impliquant le pouvoir coercitif de l’État. Le juge de première instance le souligne aux paragraphes [177] à [182] de ses motifs.
- En somme, la thèse de l’appelant donne à l’indépendance judiciaire une amplitude beaucoup trop réduite pour permettre d’exploiter pleinement tous les attributs de cette notion centrale en droit public.
- Sont ainsi fortement sujettes à caution, parce que de nature à induire en erreur, les propositions suivantes tirées de la plaidoirie écrite de l’appelant et selon lesquelles :
« [c]e n’est que si les GS/RF exercent un rôle fondamental dans le maintien de l’ordre constitutionnel qu’ils devraient bénéficier de l’indépendance du préambule. [T]outes les fonctions judiciaires ne participent pas nécessairement au maintien de l’ordre constitutionnel. »
« Un examen des pouvoirs des GS/RF permet de conclure qu’ils n’exercent pas un rôle fondamental dans le maintien de notre ordre constitutionnel. ».
Pour ma part, et dans le cadre de ce pourvoi, je considère que ces propositions telles que formulées sont fausses.
- Les GS/RF exercent indéniablement des pouvoirs juridictionnels. À certaines exceptions près, ces pouvoirs touchent une vaste étendue du droit relevant des tribunaux civils et, à la différence de beaucoup de tribunaux administratifs, ils ne sont en aucune façon tributaires d’une politique de l’exécutif. Étant détenteurs d’une fonction judiciaire par nature, laquelle requiert aux yeux des justiciables bien informés un exercice indépendant et impartial[97], les GD/RF incarnent eux aussi, et à leur façon, un principe constitutionnel fondamental, celui de la séparation du judiciaire d’une part, et du législatif ou de l’exécutif d’autre part. Je rappelle que, sans la contribution des GS/RF, ce sont les juges de la Cour du Québec, ou ceux de la Cour supérieure, qui seraient accaparés par une quantité importante d’incidents et de dossiers non contestés. Aussi les GS/RL constituent-ils collectivement un rouage essentiel du pouvoir judiciaire. Ils en forment une partie intégrante.
- Enfin, je souligne qu’en dernière analyse la délégation à une commission indépendante, objective et efficace, dotée du pouvoir de faire des recommandations à l’exécutif sur le traitement des juges, n’impose à l’exécutif qu’une obligation de rationalité s’il choisit de rejeter la recommandation ainsi faite[98]. Cela vaudrait aussi pour tout autre délégataire partageant les mêmes propriétés qu’une commission de ce genre. Et cela est assurément moins onéreux pour le gouvernement que ne le serait, par exemple, un arbitrage de différend obligatoire et exécutoire. En l’espèce, l’exécutif s’est jusqu’ici montré peu réceptif ou même indifférent aux mises en garde de plusieurs observateurs autorisés et aux démarches des GS/RF. Cela est vrai, en particulier, de la rémunération modeste et figée des GS/RF, mais aussi de leur autonomie administrative. Aussi faudra-t-il que l’exécutif amorce rapidement une réforme conséquente. Je note qu’entre-temps, un recours en justice fut nécessaire pour que l’exécutif, par la voix de l’appelant, admette, mais en partie seulement, l’existence d’une grave anomalie dans la situation actuelle des GS/RF.
- Un dernier aspect de la jurisprudence étudiée et plaidée en première instance mérite mention. Il concerne l’arrêt Toronto[99].
- Le juge aborde cette question au paragraphe [135] de ses motifs. Résumant la portée de cette décision, il écrit que la majorité des juges y a conclu « que les principes non écrits … ne peuvent servir à titre de fondement indépendant pour invalider des mesures législatives ». Ce serait le précepte qu’il convient de tirer de l’arrêt Toronto.
- Le juge poursuit : « comme le Tribunal n’invalide pas une disposition statutaire en particulier », le jugement prononcé par lui demeure compatible avec l’arrêt Toronto. Et, en effet, l’arrêt Toronto visait une législation précise avec un degré de spécificité absent en l’espèce, alors que, selon le juge, sa propre décision ne vise que (il souligne le terme) « l’omission législative de sauvegarder l’indépendance judiciaire des GS/RF ».
- Mais, même si l’on faisait valoir qu’un arrêt contraignant le législateur québécois à réaménager le régime législatif actuellement applicable aux GS/RF (soit, notamment, la Loi sur la fonction publique) contrevient au précepte ci-haut identifié, on pourrait fort bien se voir répondre que, pourtant, c’est cela même que la Cour suprême du Canada a accompli en 1997. Le Renvoi tranché cette année-là entraîna une modification des conditions de sécurité financière et de rémunération des juges des cours provinciales partout au Canada, dans le but de les rendre conformes à la Constitution telle que l’interprétait la Cour suprême. Or, par l’effet de la législation alors en vigueur, ces juges se trouvaient avant le Renvoi de 1997 dans une situation analogue à celle où se trouvaient les GS/RF avant que le jugement entrepris ne leur donne raison. Et rien ne permet de penser, de quelque façon que ce soit, qu’en se prononçant comme elle le fait dans l’arrêt Toronto, la Cour suprême voulait inhiber (ou même seulement nuancer) le raisonnement déjà développé par elle en 1997.
- À cela s’ajoute le fait que les circonstances de l’arrêt Toronto, caractérisées par une forte coloration politique, diffèrent considérablement de celles en cause ici, qui sont d’ordre institutionnel et dépourvues d’une telle coloration. Dans le litige à l’origine de l’arrêt Toronto, on invoquait contre une loi récente le principe ou concept non écrit de « démocratie ». D’abord mis en évidence par le Renvoi relatif à la sécession du Québec[100], cette notion demeure inchoative et sous-déterminée, à tout le moins en jurisprudence. Il n’était pas directement question dans l’arrêt Toronto de l’indépendance judiciaire, alors que cette notion, par contraste, apparaît solidement ancrée dans une jurisprudence de plus de deux siècles. Tout rapprochement entre le dossier du pourvoi et l’arrêt Toronto en tant que précédent susceptible de nous lier doit donc rester sensible à ce contexte. Comme le rappelait notre cour dans Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec[101], « un précédent, c’est beaucoup plus que de simples mots susceptibles d’être cités hors contexte, c’est aussi le contexte d’où ils émergent. Le contexte éclaire le lecteur sur le sens des mots utilisés, sur leur acception propre dans ce cas-ci ou dans celui-là, et il informe le lecteur sur leur portée intentionnelle ». Or, je ne crois pas vraisemblable la proposition selon laquelle l’arrêt Toronto aurait eu pour implication nécessaire, selon ses auteurs, de faire obstacle à l’interprétation de la Constitution et de la jurisprudence adoptée ici par le juge de première instance.
- J’en arrive donc à la conclusion qu’il faut corriger l’anomalie que j’évoquais au paragraphe [75]. En matière de sécurité financière, il est apparent que le correctif doive aller plus loin que ce qu’envisageait l’appelant, c’est-à-dire ce qui selon lui aurait suffi pour mettre les choses à niveau au regard de la CDLP (En quoi, d’ailleurs, cela consisterait-il exactement? On l’ignore). Il faudra maintenant régulariser la situation au regard de la Constitution, de sorte que la solution retenue, sans devoir être identique au régime de la LTJ, devra être indépendante, efficace et objective. L’appelant a fait valoir en plaidoirie que le législateur québécois n’était pas lié par les aménagements que les législateurs fédéral et ontarien ont jugé opportun d’apporter au statut des juges suppléants et des protonotaires. Cette dernière affirmation est exacte, mais dénuée de la moindre de pertinence dans un dossier comme celui-ci : le législateur québécois demeure tenu de se conformer à la Constitution canadienne. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici.
- Le caractère étroitement judiciaire et juridictionnel de la compétence qu’exercent les GS/RF implique également que la conclusion doit être la même en vertu de l’article 23 de la CDLP. Il en ira différemment d’organismes ou de décideurs quasi judiciaires, comme ceux que concernait l’arrêt ACLP[102]. En effet, la définition très large que contient le premier paragraphe de l’article 56 de cette charte justifie des atténuations dans la mise en application de l’article 23 ainsi que de l’exigence d’indépendance et d’impartialité qu’il contient. C’est ce qu’illustre une décision comme l’arrêt Petit c. Gagnon[103]. Mais cela est fondamentalement différent du problème que soulève le pourvoi.
- En première instance, les intimés demandaient à la Cour supérieure de prononcer quatre déclarations distinctes reproduites au paragraphe [209] du jugement. Celles-ci auraient concerné, principalement, l’applicabilité aux GS/RF des garanties constitutionnelles d’indépendance judiciaire, l’invalidité de l’article 3 de la LTJ tel que rédigé, la reformulation de cette disposition pour la rendre valide et l’applicabilité aux GS/RF de la Partie VI.4 de la LTJ.
- Le juge consacre les paragraphes [210] à [246] de ses motifs à l’étude de cette question et, bien qu’il donne raison aux intimés sur un principe cardinal, soit qu’ils invoquent à bon droit les garanties constitutionnelles d’indépendance judiciaire, il refuse de prononcer les quatre déclarations qui lui sont demandées. Il n’y a pas d’appel incident sur cet aspect du jugement.
- À mon sens, il n’y a presque rien à redire sur l’analyse qui conduit le juge à ces conclusions. J’estime en effet que, comme le plaidait l’appelant, plusieurs solutions s’offrent au gouvernement pour régulariser la situation des GS/RF. Elles comprennent le retrait de certains pouvoirs actuellement exercés par les GS/RF, le transfert d’une partie de leur compétence aux juges de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure, ou le réaménagement de leur statut actuel conformément aux trois exigences constitutionnelles de l’indépendance judiciaire. La solution pourrait aussi revêtir une forme semblable à celle illustrée par l’arrêt Aalto. Or, on ne peut présumer de ce que le gouvernement et le législateur auraient fait ou feront.
- Quant à la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 3 de la LTJ, elle n’aurait rien résolu et aurait potentiellement engendré des problèmes plus graves que celui qu’elle aurait visé à résoudre. Sur ce point, le juge s’explique en ces termes :
[224] C’est plutôt le fait de ne pas inclure les GS/RF dans tout cadre législatif, notamment semblable aux dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires comme l’article 3, la Partie VI.4 LTJ et autres, prévoyant la sauvegarde du principe de l’indépendance judiciaire, qui est constitutionnellement invalide.
[225] La réparation adéquate est donc de déclarer que cette non-inclusion est contraire à l’article 23 de la Charte québécoise, tel que cet article de caractère quasi constitutionnel doit être interprété selon le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire enchâssé dans le préambule de la LC 1867.
[226] Le fait de déclarer invalide uniquement l’article 3 LTJ ne mènerait pas à la réparation intégrale recherchée. De plus, une telle déclaration produirait un vide juridique tant pour les GS/RF que pour les juges de la Cour du Québec, les juges de paix et les juges municipaux.
Cette analyse est tout à fait correcte.
- Je ne vois aucune faille dans les motifs livrés par le juge. Compte tenu de ceux-ci, le dispositif de son jugement coule de source et, à une réserve près, il y a lieu de confirmer son jugement. Cette modeste réserve a trait au paragraphe suivant du dispositif :
[251] DÉCLARE contraire à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne et au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 le fait de ne pas inclure les greffiers spéciaux et les registraires de faillite dans un cadre législatif prévoyant la sauvegarde de l’indépendance judiciaire, un cadre semblable notamment à celui constitué des dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires comme l’article 3, la Partie VI.4 et autres dispositions;
Le mot « notamment » est susceptible de créer une certaine confusion et, bien que l’élément d’information apporté par ce paragraphe s’inscrive dans le prolongement logique des motifs, ce qu’il introduit est superflu. Il y a donc lieu de biffer les mots « un cadre semblable notamment à celui constitué des dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires comme l’article 3, la Partie VI.4 et autres dispositions ». Le choix des moyens revient au gouvernement et au législateur, même s’il devra se conformer aux exigences que je mentionnais au paragraphe [81] en décrivant la solution à retenir. Cela n’exclut pas que ces moyens s’inspirent du cadre auquel réfère le juge, mais il est préférable de n’en rien dire dans un dispositif qui pourrait prêter à interprétation.
- Quant au délai pour régulariser la situation, le juge a correctement analysé la question et sa solution devrait être reconduite en tenant compte du temps écoulé depuis le jugement de première instance.
- Je propose donc d’accueillir l’appel, avec les frais de justice contre l’appelant, à la seule fin d’apporter les correctifs qui apparaissent dans l’arrêt ci-joint.
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
- Avec beaucoup d’égards pour l’opinion contraire, j’estime que le principe constitutionnel non écrit protégeant l’indépendance judiciaire dans sa dimension institutionnelle n’est pas applicable aux charges de greffier spécial (« GS ») et de registraire de faillite (« RF »). Selon moi, seul l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[104] leur est applicable. Ainsi, bien que les GS et les RF bénéficient assurément d’un droit fondamental leur garantissant un traitement prévu par la loi et les plaçant à l’abri d’ingérences arbitraires ou discrétionnaires des pouvoirs exécutif et législatif[105], je suis d’avis que le gouvernement n’est pas constitutionnellement tenu d’instaurer un processus en vertu duquel un tiers ou un organisme indépendant serait chargé d’examiner leur traitement et de formuler des recommandations dont le gouvernement ne pourrait s’écarter qu’en respectant la norme de la rationalité décrite dans l’arrêt Bodner[106].
* * *
- Le principe constitutionnel non écrit protégeant l’indépendance judiciaire dans sa dimension institutionnelle, qui découle du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867[107], n’est applicable qu’aux décideurs qui, en plus d’exercer la fonction traditionnelle d’arbitre impartial de différends, « exercent des fonctions judiciaires liées aux fondements de ce principe »[108]. Ces fonctions particulières, qui ont comme finalité la préservation de la « structure fondamentale de notre Constitution »[109], consistent à (i) « tranche[r] les différends opposant le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux »[110], (ii) « veille[r] au respect du partage constitutionnel des compétences »[111] et (iii) veille[r] […] à ce que l’exercice du pouvoir étatique respecte la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution »[112]. Les décideurs qui se voient confier de telles fonctions exercent un « mandat constitutionnel »[113]; à ce titre, ils « servent de bouclier contre les atteintes injustifiées de l’État aux droits et libertés des citoyens »[114].
- L’application de ce cadre d’analyse a conduit la Cour suprême à conclure que les juges des cours provinciales bénéficient de cette garantie constitutionnelle. Elle est arrivée à cette conclusion après avoir constaté que les cours provinciales jouent désormais un « rôle crucial dans l’application de la Constitution et la protection des valeurs consacrées par celle-ci »[115]. Aux yeux de la Cour, ce rôle ressort « de façon très évidente »[116] du fait que les juges des cours provinciales ont le pouvoir de mettre en œuvre l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982[117], qu’ils peuvent accorder des réparations aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[118], qu’ils peuvent écarter des éléments de preuve aux termes du paragraphe 24(2) de cette même charte, qu’ils veillent au respect du partage des compétences en appliquant les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867[119], et qu’ils ont le pouvoir de faire respecter les droits garantis aux articles 7 à 14 de la Charte canadienne ainsi que les droits des peuples autochtones protégés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[120].
- Ce cadre d’analyse a également conduit la Cour suprême à étendre le champ d’application de cette garantie constitutionnelle aux juges de paix qui exercent des fonctions juridictionnelles. Dans l’affaire Ell, qui concernait les juges de paix non siégeant albertains, elle a souligné que ces derniers « étaient sur la ligne de feu du processus de justice criminelle et exerçaient maintes fonctions judiciaires ayant une incidence importante sur les droits et libertés des citoyens »[121], notamment en raison de leur compétence en matière d’enquêtes sur cautionnement, qui mettent en cause les droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11e) de la Charte canadienne, ainsi qu’en raison de leur pouvoir de décerner des mandats de perquisition, qui met en cause le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte canadienne. Puis, en 2016, la Cour suprême a conclu qu’à la lumière des enseignements de l’arrêt Ell, il ne faisait aucun doute que la garantie constitutionnelle d’indépendance judiciaire — y compris dans sa dimension institutionnelle — était applicable aux juges de paix magistrats québécois[122].
* * *
- Je suis d’accord avec l’appelant que lorsqu’il s’agit d’appliquer le cadre d’analyse qui se dégage de la jurisprudence de la Cour suprême, la situation des GS et des RF doit être distinguée de celles des juges provinciaux et des juges de paix exerçant des fonctions juridictionnelles.
- Avant d’aller plus loin, je tiens à souligner le rôle fondamental que jouent les GS et les RF afin d’assurer l’accessibilité et l’efficacité du système de justice civile québécois. Ce fait ressort clairement de la preuve qui a été administrée dans la présente affaire. L’importance du rôle des GS et des RF rend d’autant plus préoccupant le grave problème d’ingérence gouvernementale que ce dossier a permis de mettre en lumière. On ne saurait trop insister sur l’importance que l’appelant donne suite à l’engagement qu’il a pris d’entreprendre des réformes afin d’offrir aux GS et aux RF un statut conforme aux garanties d’indépendance découlant de l’article 23 de la Charte québécoise.
- Cela étant, j’estime que la prétention au cœur de la thèse défendue par les intimés — soit que, à l’instar des juges provinciaux et des juges de paix exerçant des fonctions juridictionnelles, les GS et les RF jouent un « rôle crucial dans l’application de la Constitution et la protection des valeurs consacrées par celle-ci »[123] — n’est pas fondée.
- Les intimés étayent cette prétention en insistant sur le fait que les GS et les RF exercent des pouvoirs juridictionnels susceptibles d’avoir une incidence importante sur la vie et les droits fondamentaux des justiciables. Ils citent en exemple le pouvoir de trancher des demandes urgentes de prolongation de mesures de protection immédiate à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, la possibilité de connaître d’affaires soulevant des enjeux valant plusieurs millions de dollars ou étant d’une importance capitale pour des dizaines — voire des centaines — d’employés, le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts — y compris des dommages-intérêts punitifs — en vertu de la Charte québécoise, le pouvoir de connaître d’affaires relatives à un régime de protection, ainsi que le pouvoir d’autoriser l’emploi de la force par un huissier afin de permettre l’exécution forcée d’un jugement.
- Les intimés ont raison de souligner qu’en ces matières, leurs jugements sont susceptibles d’avoir une incidence importante sur la vie et les droits fondamentaux des justiciables.
- Toutefois, là n’est pas la question. Comme l’appelant le souligne à juste titre, les GS ne peuvent connaître de litiges mettant en cause des questions d’applicabilité, de validité ou d’opérabilité constitutionnelle. Ils ne veillent pas au respect du partage des compétences législatives, des droits et libertés garantis par la Charte canadienne ou encore des droits des peuples autochtones protégés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils n’ont pas le pouvoir de mettre en œuvre l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ni d’accorder des réparations aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. De manière plus générale, les éléments au dossier ne permettent pas de constater qu’ils jouent un rôle significatif afin d’assurer que l’exercice du pouvoir étatique respecte la primauté du droit et les dispositions de la Constitution. Quant aux RF, malgré l’importance des enjeux soulevés dans certaines affaires dont ils sont saisis, rien ne donne à penser qu’ils sont régulièrement appelés à trancher des différends de nature constitutionnelle ou encore à veiller au respect de droits et libertés fondamentaux.
- Dans les circonstances, on ne peut affirmer que les GS et les RF jouent un rôle analogue à celui des juges des cours provinciales et des juges de paix exerçant des fonctions juridictionnelles au point où il y aurait lieu de conclure qu’en plus d’exercer la fonction traditionnelle d’arbitre impartial de différends, ils disposent d’un véritable « mandat constitutionnel » aux termes duquel ils serviraient, eux aussi, de « bouclier contre les atteintes injustifiées de l’État aux droits et libertés des citoyens »[124].
* * *
- L’absence d’analogie avec le rôle des juges provinciaux et des juges de paix exerçant des fonctions juridictionnelles n’est pas nécessairement fatale à la thèse des intimés. En effet, la question se pose de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’étendre la portée de la garantie constitutionnelle d’indépendance dans sa dimension institutionnelle en appliquant de manière plus souple l’exigence selon laquelle les fonctions judiciaires exercées par le décideur l’investissent de la mission de préserver la structure fondamentale de la Constitution.
- La Cour d’appel de l’Ontario a privilégié une telle approche, quoiqu’en obiter, dans un arrêt traitant de la situation des juges suppléants de la Cour des petites créances de cette province[125]. Tout en notant que ces juges n’ont aucune compétence en matière criminelle, que leur compétence en matière d’emprisonnement pour outrage au tribunal est limitée et qu’ils sont rarement saisis de questions concernant la Charte canadienne, la Cour s’est néanmoins dite d’avis qu’ils avaient droit à une protection accrue en raison du rôle important qu’ils jouent dans la protection de la primauté du droit, la préservation du processus démocratique et la confiance du public dans l’administration de la justice :
[26] The force of the rationale behind the institutional dimension of financial security is not diminished by the fact, emphasized by the AG, that Deputy Judges sit on a part-time basis and have limited jurisdiction. Deputy Judges, who preside in the busiest court in Ontario, are an integral part of the justice system. We recognize, of course, that the court’s caseload does not include criminal matters, the court possesses only a limited jurisdiction for committal, and it rarely hears Charter issues. Nevertheless, although the role of the Small Claims Court is more limited in the Canadian constitutional structure than that of the superior and provincial courts, that role is important in protecting the rule of law, preserving the democratic process, protecting the values of the Constitution and maintaining public confidence in the administration of justice. As the application judge stated at paras. 18 and 20:
Deputy Judges can hear a wide range of cases and have broad jurisdiction over proceedings involving the Canadian Charter of Rights and Freedoms, defamation, creditors’ rights, intellectual property claims, estate litigation, and medical practice, among others. … Deputy Judges carry out judicial functions for large numbers of litigants contesting significant sums of money. The Small Claims Court is the busiest court in Ontario and the court that citizens are most likely to encounter.
[27] The caseload assumed by Deputy Judges is extensive both in quantum of cases and in jurisdiction of subject matter. Even though Deputy Judges sit part-time, when sitting, they fully assume the judicial role. They are perceived as judges by the many litigants who turn to the Small Claims Court for the resolution of their disputes. To those litigants, there is no apparent reason to distinguish between the Deputy Judge presiding over their case and a judge of the former Provincial Court (Civil Division). The protection of the independence of both types of judges is equally important in order to preserve public confidence in the system.
[28] Accordingly, we do not accept that the part-time nature of Deputy Judges’ judicial role or the nature of the Small Claims Court’s jurisdiction diminishes the requirement for an independent body to address their remuneration.
[Soulignements ajoutés]
- Les intimés ont raison de voir un parallèle entre la situation des juges suppléants de la Cour des petites créances de l’Ontario et celle des GS et des RF. Comme je viens de le souligner, ces derniers sont eux aussi des rouages essentiels du système de justice civile et, comme les juges suppléants ontariens, ils contribuent directement à la primauté du droit et au maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice. Toutefois, ces constats ne font que mettre en lumière l’importance du rôle que jouent les juges suppléants ontariens, les GS et les RF en exerçant la fonction traditionnelle d’arbitre impartial de différends. Ainsi, en déterminant que ces constats suffisaient pour conclure à l’applicabilité de la garantie constitutionnelle d’indépendance institutionnelle aux juges suppléants ontariens, sans qu’il faille démontrer que ces derniers exercent aussi des fonctions faisant d’eux des boucliers contre les atteintes injustifiées de l’État aux droits et libertés des citoyens, la Cour d’appel de l’Ontario a privilégié une approche étendant de manière significative la portée du Renvoi de 1997 et de l’arrêt Ell.
- On pourrait être enclin à justifier une telle approche en insistant, premièrement, sur l’importance fondamentale que joue la primauté du droit en tant que valeur[126] ou principe[127] constitutionnel se trouvant « à la base [du] système de gouvernement [canadien] »[128] et, deuxièmement, sur le lien entre l’accessibilité du système de justice civile et la primauté du droit[129]. Le raisonnement irait comme suit : en raison du rôle essentiel qu’ils jouent afin d’assurer l’efficacité et, partant, l’accessibilité de la justice civile, les GS et les RF contribuent à assurer la primauté du droit — plus exactement « le maintien d’un ordre réel de droit positif »[130] —, et c’est de cette manière qu’ils participent, eux aussi, à la préservation de la « structure fondamentale de notre Constitution » au sens où la Cour suprême l’entend dans l’arrêt Ell et le Renvoi de 1997[131].
- Il s’agit toutefois d’un pas que je ne suis pas prêt à franchir. La raison tient essentiellement à l’évolution qu’a connue la jurisprudence de la Cour suprême relative au rôle et à l’effet des principes constitutionnels non écrits au cours des vingt dernières années. Cette évolution est marquée par l’importance accrue qui est désormais accordée au principe de souveraineté parlementaire.
- On peut citer comme premier exemple l’arrêt Babcock[132], rendu quelques années après le Renvoi de 1997 et abordant la constitutionnalité d’une disposition de la Loi sur la preuve au Canada[133] exemptant de divulgation les renseignements confidentiels du Cabinet. La contestation de la validité de cette disposition était notamment fondée sur trois principes constitutionnels non écrits : la primauté du droit, l’indépendance de la magistrature et la séparation des pouvoirs. Dans un arrêt confirmant la validité de cette disposition, la Cour suprême, sous la plume de la juge en chef McLachlin, a souligné que l’effet des principes constitutionnels non écrits devait être apprécié en tenant compte du principe de la souveraineté parlementaire[134], tout en ajoutant ce qui suit[135] :
Je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale pour dire que l’art. 39 respecte la primauté du droit, ainsi que les principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la magistrature. La législature a entièrement compétence pour édicter des lois — et même des lois que certains peuvent considérer draconiennes —, à condition de ne pas nuire ni faire obstacle sous un aspect fondamental aux rapports entre les tribunaux et les autres composantes du gouvernement.
- On peut également citer en exemple Imperial Tobacco, un autre arrêt unanime, rendu en 2005[136]. L’affaire mettait en cause la constitutionnalité d’une loi britanno-colombienne autorisant le gouvernement à poursuivre les fabricants de produits du tabac en vue de recouvrer les dépenses engagées pour les soins administrés aux personnes ayant été exposées à ces produits. Il était notamment allégué qu’en raison de certaines de ses caractéristiques, cette loi portait atteinte aux principes constitutionnels non écrits de l’indépendance judiciaire et de la primauté du droit. La Cour suprême en a décidé autrement. Ce faisant, elle a souligné de manière encore plus nette l’importance à accorder à la souveraineté parlementaire dans l’analyse de l’effet d’un principe non écrit, tout en ajoutant que « dans une démocratie constitutionnelle telle que la nôtre, la protection contre une loi que certains pourraient considérer injuste ou inéquitable ne réside pas dans les principes amorphes qui sous‑tendent notre Constitution, mais dans son texte et dans l’urne électorale »[137]. Fait à noter, en tenant ces propos, la Cour suprême s’est appuyée sur des extraits d’études doctrinales prônant une utilisation plus circonspecte des principes non écrits. Celle du professeur Elliot est particulièrement digne de mention, puisque l’auteur insiste sur les risques associés à une utilisation trop libérale des principes non écrits issus du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867[138] :
[T]he time has come, I think, to pause and reflect on the appropriate role of this form of argumentation under our Constitution. Not only is structural argumentation being used with much greater frequency now than ever before, with established principles being applied in a range of new contexts and a number of new principles being developed, it is being used in ways that have the potential to call into question the very legitimacy of judicial review. If these principles, including those grounded in the preamble to the Constitution Act, 1867, can be used to fill in gaps in the text of the Constitution, as the Supreme Court has apparently now twice told us they can, and if, as the Quebec Secession Reference arguably implies, a gap can be any constitutional issue for which the Constitution fails to make provision, and the courts can fill that gap by fashioning rules that in their view strike the most appropriate balance between and amongst the various relevant principles, then, as Patrick Monahan has pointed out, the important distinction between the making and the interpreting of a Constitution disappears.
[…] In my view, the best way of addressing those concerns would be for the Court to adopt — or at least move in the direction of adopting — the approach to structural argumentation, and to the principles to which it can fairly be said to give rise, set forth in the concluding paragraphs of Part Two of this paper.
That approach, which is based on a distinction being drawn between the kinds of principles that can be said to qualify as the organizing principles of our Constitution, can be summarized as follows:(1) those principles that are generated by necessary implication from provisions in the text of the Constitution can legitimately function as independent bases upon which to attack the validity of legislation; (2) those principles that merely serve to explain the presence within the text of the Constitution of certain provisions — including the principles derived from the preamble to the Constitution Act,1867 — can only be used as aids to interpretation. That approach not only comports with the generally accepted rules governing the interpretation of statutory and constitutional instruments, it ensures that the task of Constitution-making in Canada remains where, in a society committed to the very principles to which the Court has attached such importance in those two cases — federalism, democracy, the rule of law and others — it should remain with the democratically elected representatives of the people.
[Soulignements ajoutés]
- La Cour suprême s’est penchée de manière approfondie sur le rôle et l’effet des principes constitutionnels non écrits dans l’arrêt Toronto (Cité), rendu en 2021[139]. Bien qu’elle ait reconnu que ces principes « font […] partie de notre droit constitutionnel, en ce sens qu’ils font partie de la toile de fond sous‑jacente aux termes écrits de la Constitution »[140], la Cour a rejeté une fois pour toutes la thèse selon laquelle ils peuvent — à eux seuls — justifier l’invalidation judiciaire d’une loi[141]. Elle a tiré cette conclusion après avoir notamment souligné que toute tentative « de faire jouer ce rôle à des principes constitutionnels non écrits à titre de fondement indépendant pour invalider des mesures législatives […] empièt[e] sur le pouvoir législatif de modifier la Constitution, ce qui soulève des préoccupations fondamentales au sujet de la légitimité du contrôle judiciaire et altère la séparation des pouvoirs »[142]. Ce faisant, elle a cité avec approbation des extraits d’une étude du professeur Leclair contenant des propos particulièrement critiques à l’égard de l’utilisation du principe de l’indépendance judiciaire faite dans le Renvoi de 1997[143]. On peut notamment y lire ce qui suit[144] :
Democracy is not confined to simple majority rule; it also presupposes the pursuit of substantive goals, which might justify going against the will of the majority. In the words of the Court in Secession, “[o]ur law’s claim to legitimacy also rests on an appeal to moral values, many of which are imbedded in our constitutional structure. It would be a grave mistake to equate legitimacy with the ‘sovereign will’ or majority rule alone, to the exclusion of other constitutional values.” Respect for the dialogical dimension of law-making intervenes in the assessment of whether this criterion has been met.
Indeed, judges are not akin to Roman pontiffs having sole access to magic legal formulae. Other actors have a say in the production of constitutional meaning. The Constitution does not belong to the judiciary alone. It must not be forgotten that, in our fragmented world, the Constitution constitutes one (if not the last) common place of reference to which all citizens may resort to justify and explain their own beliefs or actions and criticize those of others.
Thus, even though constitutional norms are vague concepts devoid of objective meaning, such meaning can be constructed through a process which admits the participation of a plurality of actors. When a court is called upon to decide an issue, and to decide it finally as the Supreme Court does, it must first listen to the parties involved. It must then determine the meaning of a concept; not forever, but as it understands it at that particular time. Its decision will generate a new debate, but in a climate of relative stability provided by the decision. The legitimacy of judicial review depends partly on a production of meaning which is as open as possible.
[…]
Remuneration [c.-à-d., le Renvoi de 1997] and similar cases bear witness to the fact that unwritten principles may serve as the courts’ instrument to impose their will on the legislatures, in minute details and in a manner which deprives the elected representatives of the people of any means of response. No dialogue is possible. In such cases, courts have forgotten that unsatisfactory laws can and should be sanctioned by the ballot box.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
- Toujours dans l’arrêt Toronto (Cité), la Cour suprême a précisé que l’effet juridique de ces principes « réside dans leur énoncé de principes généraux dans le cadre duquel fonctionne notre ordre constitutionnel et, en conséquence, dans le cadre duquel il faut donner effet aux termes écrits de la Constitution, qui sont ses dispositions »[145]. Il s’ensuit que, « parce qu’ils ne sont pas écrits, leur ‟plein effet juridique” est réalisé non pas en complétant le texte écrit de notre Constitution comme s’il s’agissait de ‟dispositions [de la Constitution]” qui rendent ‟inopérantes”, en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, les dispositions incompatibles de toute autre loi »[146]. La Cour a ajouté qu’en pratique, cela signifie que ces principes peuvent être utilisés par les tribunaux seulement de deux manières : soit pour interpréter les dispositions constitutionnelles[147], soit « pour élaborer des doctrines structurelles non énoncées dans la Constitution écrite proprement dite, mais nécessaires pour sa cohérence, et qui découlent implicitement de son architecture »[148].
- La Cour a ensuite précisé sa pensée relativement au premier de ces deux cas de figure, et elle l’a fait dans des termes qui, là aussi, vont dans le sens d’une utilisation plutôt circonspecte des principes non écrits. S’appuyant sur l’arrêt Trial Lawyers Association of British Columbia, dans lequel il fut décidé — notamment au regard du principe de la primauté du droit — que « le droit d’accès des Canadiennes et des Canadiens aux cours supérieures découle par déduction nécessaire des termes exprès de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 »[149], la Cour a expliqué que « lorsque des principes constitutionnels non écrits sont utilisés comme outils d’interprétation, leur effet juridique substantiel doit découler par déduction nécessaire du texte de la Constitution »[150]. Ces propos sont d’autant plus pertinents que, dans le Renvoi de 1997, le principe de l’indépendance judiciaire a justement été utilisé à des fins interprétatives, la Cour suprême l’ayant invoqué afin de justifier la conclusion selon laquelle la compétence des provinces sur les « tribunaux » au sens du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 comporte une limite implicite interdisant toute atteinte à l’indépendance — entendue dans un sens institutionnel — des cours provinciales[151].
- Il faut donc retenir que le rôle des principes constitutionnels non écrits est désormais limité, premièrement, à l’interprétation des dispositions écrites de la Constitution — étant entendu que leur effet juridique substantiel doit alors se cantonner à ce qui découle nécessairement de ces dispositions — et, deuxièmement, au développement de doctrines structurelles nécessaires pour assurer la cohérence de la Constitution et découlant implicitement de son architecture. Il est également clair que toute analyse de la portée et de l’effet d’un principe non écrit doit tenir compte des autres principes sous-tendant l’ordre constitutionnel canadien, au premier chef celui de la souveraineté parlementaire.
- Au terme de ce rappel de l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême sur la question des principes constitutionnels non écrits, je reviens à la question que soulève le présent pourvoi : le principe constitutionnel non écrit protégeant l’indépendance judiciaire devrait-il être étendu de manière à englober des charges juridictionnelles qui, comme celles des GS et des RF, n’impliquent pas stricto sensu la préservation de la structure fondamentale de la Constitution et la protection des justiciables contre les atteintes injustifiées de l’État à leurs droits et libertés?
- Certes, lorsque l’on se place sur le terrain de l’opportunité, il est permis de concevoir une garantie d’indépendance institutionnelle comme un moyen souhaitable de renforcer la primauté du droit sous tous ses aspects[152] — ce qui militerait en faveur de son extension à toute charge juridictionnelle contribuant de manière importante à l’efficacité et l’accessibilité du système de justice civile[153]. Toutefois, puisque la Cour doit demeurer sur le terrain de la légalité et qu’elle est liée par le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Toronto (Cité), la question qui se pose ici est de savoir si une conception aussi étendue de cette garantie découle par déduction nécessaire des dispositions — c’est-à-dire, du texte — de la Constitution.
- Il est plus aisé de comprendre pourquoi ce critère de déduction nécessaire est rempli dans le cas des juges des cours provinciales et des juges de paix exerçant des fonctions juridictionnelles. En effet, l’efficacité même des dispositions de la Constitution serait compromise si les décideurs investis de la mission de préserver l’ordre constitutionnel qu’elles visent à mettre en place pouvaient faire l’objet d’interventions des branches exécutive et législative susceptibles de nuire à leur capacité à appliquer ces dispositions en toute indépendance. Il est donc tout à fait concevable de considérer qu’il découle nécessairement de l’ensemble des dispositions de la Constitution que les décideurs jouant un rôle crucial dans leur mise en œuvre bénéficient d’une garantie d’indépendance comportant une dimension institutionnelle.
- Toutefois, je ne vois pas comment on pourrait conclure qu’il découle nécessairement de ces dispositions ou de l’une d’entre elles que cette garantie s’étend aux décideurs qui, sans jouer un rôle significatif dans la préservation de la structure fondamentale de la Constitution, jouent néanmoins un rôle fondamental afin d’assurer l’efficacité et l’accessibilité du système de justice civile. C’est plutôt la conclusion contraire qui, à mes yeux, découle nécessairement des dispositions de la Constitution, car celles-ci limitent expressément la portée de la garantie d’indépendance judiciaire aux décideurs et tribunaux œuvrant en matière criminelle[154].
- Dans les circonstances, j’estime qu’il y a lieu de donner préséance au principe de souveraineté parlementaire et, partant, de ne pas étendre la garantie constitutionnelle d’indépendance judiciaire dans sa dimension institutionnelle aux GS et aux RF.
* * *
- Pour ces motifs, je propose à la Cour d’accueillir l’appel et de modifier le dispositif du jugement de première instance afin de préciser que la garantie d’indépendance dont bénéficient les GS et les RF en ce qui a trait à leur sécurité financière est limitée à celle découlant de l’article 23 de la Charte québécoise.
[1] Petrishki c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3679.
[3] (R.-U.) 30 & 31 Victoria, c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 5.
[4] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[5] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[8] [2006] OJ No. 2057 (C.A.).
[10] [2001] R.J.Q. 2058 (C.A.).
[14] Pomerleau c. R., [2004] R.J.Q. 83 (C.A.) (juges de paix à compétence restreinte); Gill c. Québec (Ministre de la Justice), [1995] R.J.Q. 2690 (C.S.) (greffière spéciale); Pellerin c. Québec (Ministre de la Justice), [1995] R.J.Q. 912 (C.S.) (registraire de faillite).
[15] ACLP, supra, note 11 (commissaires de la Commission des lésions professionnelles); Barreau de Montréal, supra, note 10 (membres du Tribunal administratif du Québec).
[16] Ils se présentent sous diverses dénominations. Le juge en énumère plusieurs au paragraphe 66 de ses motifs : les juges associés (associate judges), les protonotaires (masters) et protonotaires chargés de la gestion des causes (case management masters), les juges suppléants (deputy judges) et les juges adjoints (deputy judges). Il pourrait y avoir ici un rapprochement à faire avec la dichotomie entre juges de paix et juges de paix magistrats ou, ailleurs, entre juges de paix non-présidents et juges de paix présidents. De toute évidence, il existe bien des permutations dans la pratique.
[17] Il en sera de nouveau question au paragr. [51] ci-dessous.
[18] Supra, note 10, paragr. [112].
[19] Supra, note 1, paragr. [197].
[21] Voir infra, paragr. [65] et s. ci-dessous.
[23] Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 72.
[24] Valente c. R., [1985] 2 R.C.S. 673, p. 685-689.
[25] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [83] - [109].
[26] Renvoi de 1997, supra, note 6; Ell, supra, note 7, paragr. [22] – [23]; Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13 (« Mackin »), paragr. [37] – [38].
[27] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [106].
[28] Ell, supra, note 7, paragr. [20] – [26].
[29] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [115]; Valente, supra, note 24, p. 697-712.
[30] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [118].
[31] Ell, supra, note 7, paragr. [30] – [32].
[32] Valente, supra, note 24, p. 689, cité dans Ell, supra, note 7, paragr. [32]; voir aussi le Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [112].
[33] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. 9; Ell, supra, note 7, paragr. [29].
[34] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [133] – [135]; Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice), 2005 CSC 44 (« Bodner »), paragr. [8] – [11].
[35] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [138] – [146]; Mackin, supra, note 26, paragr. [53] – [54]; Bodner, supra, note 34, paragr. [8] – [11] et [14] – [21].
[36] Voir, plus particulièrement, le Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [147] – [185], et Bodner, supra, note 34, paragr. [13] – [21].
[37] Renvoi de 1997, supra, note 6, paragr. [133]; voir aussi paragr. [174]; Mackin, supra, note 26, paragr. [57] et [69].
[38] Valente, supra, note 24, p. 704.
[39] Bodner, supra, note 34, paragr. [19] – [20].
[41] Comme l’illustre une décision telle que l’arrêt Mackin, supra, note 26.
[43] Cela est évident à la lecture d’arrêts comme ACLP, supra, note 11, Ocean Port Hotel c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52 (« Ocean Port Hotel »), ou Barreau de Montréal, supra, note 10.
[44] (1607), 12 Co. Rep. 64, [1607] EWHC KB J23 (R.-U.).
[45] (1611), 12 Co. Rep. 74, [1610] EWHC KB J22 (R.-U.).
[46] La thèse est à tout le moins implicite dans le Dr. Bonham’s Case, (1610) 8 Co. Rep. 107, p. 113b (R.‑U.); voir là-dessus D.E.C. Yale, « Judex in Propria Causa: An Historical Excursus » (1974), 33 Cambridge Law Journal 80, p. 83.
[47] La même thèse figure explicitement dans Day v. Savadge, (1614) Hob. 85, 80 ER 235 (R.-U.), p. 87.
[48] Ainsi, dans De l’esprit des lois, Paris, Éditions Garnier Frères, 1956, p. 168, Montesquieu en 1748 intitulait « De la constitution d’Angleterre » le chapitre VI du Livre XI de son premier tome. Il y formulait sa théorie de la séparation des pouvoirs, dont on s’accorde pour dire qu’elle reprend les idées de John Locke parue le chapitre XII de son Traité du gouvernement civil, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, publié en 1690. Beaucoup plus récemment, Sir Anthony Kenny, A New History of Western Philosophy, vol. 3 « The Rise of Modern Philosophy», Oxford, Oxford University Press, p. 295, commentait la chose en ces termes : « The feature that Montesquieu admired in the British Constitution, and that found its way in the American Constitution, was the principle of the separation of powers. After the revolution of 1688 Parliament had achieved sole legislative power, while leaving in practice considerable executive discretion to the king’s ministers, and judges became very largely free of government interference. There was not – and not to this day – to be found in British constitutional law any explicit statement that the legislative, executive, and judicial branches of government should not be combined in a single person or institution, or any formulated theory of checks and balances. Nonetheless, Montesquieu’s benign interpretation of the Hanoverian system, in which the power of a sovereign’s ministers essentially depended on the consent of Parliament, had a lasting influence on constitution makers in many parts of the world. ».
[49] C’est son Esquisse d’une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, 1981, publiée pour la première fois dans une édition posthume.
[50] CJPMQ, supra, note 12, paragr. [33]. Cette idée de conteste (ou « échelle variable ») était déjà très présente dans l’arrêt Valente, supra, note 24, p. 692-692, mais sous une forme moins précise que dans l’arrêt CJPMQ. Le récent arrêt R. c. Edwards, 2024 CSC 15, en fournit une nouvelle illustration.
[51] Les arrêts P.G. du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364, Crevier c. P.G. du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220 ou P.G. du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638, en témoignent. Et voir plus particulièrement Attorney-General for Ontario et al. v. Victoria Medical Building, [1960] R.C.S. 32.
[52] Selon Ville de Stanstead c. Drolet-Massue, 2021 QCCS 5309, cette contrainte législative s’appliquerait aussi aux greffiers spéciaux. Je n’exprime aucun avis sur l’exactitude ou non d’une telle conclusion.
[54] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. [21] à [29] et [35] – [36].
[55] RLRQ c P-34.1, art 47 al 2.
[56] Code municipal du Québec, RLRQ c C-27.1, art 1032.
[57] Ainsi, voir Hwang c. Alu, 2020 QCCQ 3240; Syndic de Despelteau, 2019 QCCS 186; Service de garde Tasiurvik c. Fournier, Gersovitz, Moss, Drolet & Associés, architectes, 2018 QCCS 4144; M.D. et H.D., 2015 QCCS 2326; A. c. B., 2006 QCCS 5782, de même que quelques autres décisions non répertoriées dans les banques de données usuelles, mais que les intimés ont reproduites dans leurs cahiers de sources, Pierre Mailloux (Syndic de), C.S. Longueuil, no 505-11-008865-086, 14 juin 2012, Multi-précision G.B. inc. c. Desrosiers, C.S. Chicoutimi, no 150-17-003245-161, 14 juin 2012; 9174-9937 Québec inc. (Syndic de), C.S. St-Maurice, no 410-11-001788-08, 21 février 2008. Aux termes des articles 74 C.p.c. et 192(4) de la LFI, les décisions de GS/RF peuvent faire l’objet d’une révision ou d’un appel devant un juge de leur cour, sauf exception : Créditmeubles.com inc. c. Nobert, 2021 QCCA 1069. Certaines décisions, même infirmées, font voir la complexité des questions qui peuvent survenir pour un GS/RF dans l’exercice de ses fonctions : ainsi, voir Re D.D., QCCS 4110 et D.D., 2023 QCCS 3621, ou encore Honda Canada Finance Inc. c. Heintz Coichy, 2019 QCCQ 1475 et Honda Canada Finance inc. c. Coichy, 2019 QCCQ 1996. Les tribunaux de première instance peuvent eux aussi être infirmés en appel, cela ne les a jamais privé de leur statut de tribunaux judiciaires.
[64] Ceux d’entre eux qui se qualifient dans la classe « 115 — Avocate ou avocat ou notaire » sont membres d’une autre association, Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ) devenue ultérieurement l’Association des juristes de l’État québécois.
[65] Supra, note 43, paragr. [1] : « Le présent pourvoi soulève une question de droit administratif cruciale, mais largement inexplorée : le degré d’indépendance requis des membres siégeant à des tribunaux administratifs habilités à prononcer des peines. »
[66] [1996] 3 R.C.S. 919.
[67] Supra, note 43, paragr. [28].
[68] CJPMQ, supra, note 12, paragr. [33].
[71] Id., paragr. [11]; comme le mentionne ce passage, environ 450 juges de paix furent touchés de la sorte par cette réforme.
[72] La Cour observe, au paragraphe 36 : « Une modification apportée par voie législative, qui entraîne une destitution sur avis d’un conseil de la magistrature indépendant, est justifiée si elle est nécessaire pour mettre en œuvre d’importantes réformes jugées essentielles au maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice. Une telle mesure législative n’est ni arbitraire ni discrétionnaire. Par contre, une destitution sans motif suffisant ordonnée par l’exécutif ne saurait être justifiée par ce motif et serait presque certainement arbitraire. »
[75] Supra, paragr. [33], paragr. [33] de la citation.
[76] Supra, note 7, paragr. [32] à [35].
[80] Quatre juges surnuméraires de la Cour de justice de l’Ontario et deux juges en plein exercice de la Cour supérieure de justice siégeaient aussi à la Cour des petites créances. Leur indépendance et leur sécurité financière n’étaient pas en cause ici.
[81] Deputy Judges, supra, note 8, paragr. [51] et [61 (3)]. Le juge avait décrit ce traitement en ces termes : « obviously inadequate » et « disgracefully eroded ». Il avait ensuite ordonné à la commission éventuellement chargée de recommander un nouveau traitement de le situer au-dessus de ce minimum. La Cour d’appel infirme cette partie du dispositif et s’abstient de se prononcer sur ce qu’elle qualifie de « constitutional minimum », supra, note 8, paragr. [40].
[84] L’honorable Georges W. Adams, c.r., un ancien juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
[86] Supra, note 62, paragr. [9].
[87] L.C. 2022, c. 10, art. 372.
[88] Voir par exemple l’affaire Service de garde Tasiurvik c. Fournier, Gersovitz, Moss, Drolet & Associés, architectes, supra, note 57 : la compétence ad valorem des GS/RS est loin d’être négligeable.
[90] Masters’ Association of Ontario v. Ontario, 2010 ONSC 3714.
[91] Supra, note 90, notamment aux paragr. [6], [68] et [85].
[93] Supra, note 24. Le juge Le Dain, qui rédige les motifs de la Cour, l’introduit en ces termes, p. 704 : «La deuxième condition essentielle de l'indépendance judiciaire pour les fins de l'al. 11d) de la Charte est, à mon avis, ce que l'on pourrait appeler la sécurité financière. Cela veut dire un traitement ou autre rémunération assurés et, le cas échéant, une pension assurée. Cette sécurité consiste essentiellement en ce que le droit au traitement et à la pension soit prévu par la loi et ne soit pas sujet aux ingérences arbitraires de l'exécutif, d'une manière qui pourrait affecter l'indépendance judiciaire. »
[96] Sur cette notion, voir Organisation mondiale sikhe du canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254, paragr. [111] – [114].
[97] L’impartialité a aussi pour idée sous-jacente la notion d’absence de conflit d’intérêts. Accepterait-on d’un GS/RF qu’il rende un jugement en faveur de son beau-frère?
[98] Les arrêts Bodner, supra, note 34 et Aalto, supra, note 62, fournissent des exemples de réponses rationnelles et négatives justifiant le rejet de telles recommandations. Mais voir aussi Québec (Procureur général) c. Conférence des juges du Québec, [2004] R.J.Q. 1450 (C.A.) et Colombie-Britannique c. Provincial Court Judges’ Association of British Columbia, 2020 CSC 20.
[100] [1998] 2 R.C.S. 217.
[101] 2024 QCCA 254, paragr. [606].
[103] 2023 QCCA 680, paragr. [7] à [17].
[104] RLRQ c. C-12 (« Charte québécoise »).
[105] Il convient de souligner que ce point n’est plus en litige, l’appelant reconnaissant désormais — et à juste titre — que l’article 23 de la Charte québécoise a pour effet d’étendre aux GS et aux RF la garantie de sécurité financière individuelle qu’a consacrée la Cour suprême dans les arrêts Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, et La Reine c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56 (A.A., paragr. 14-23).
[106] Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice); Assoc. des juges de l'Ontario c. Ontario (Conseil de gestion); Bodner c. Alberta; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général); Minc c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 44, [2005] 2 RCS 286.
[107] 30 & 31 Victoria, c. 3.
[108] Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, paragr. 20.
[109] Id., paragr. 22, citant le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi de 1997 »), paragr. 108.
[115] Renvoi de 1997, paragr. 126.
[117] Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.
[118] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c. 11 (« Charte canadienne »).
[119] Renvoi de 1997, paragr. 128.
[121] Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, paragr. 24.
[122] Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, paragr. 32.
[123] Renvoi de 1997, paragr. 126.
[125] Ontario Deputy Judges Association v. Ontario (Attorney General), (2006) 80 O.R. (3d) 481, 2006 CanLII 17250 (C.A. Ont.). Comme la Cour le note au paragraphe 13 de son arrêt, le procureur général de l’Ontario avait concédé l’applicabilité de la garantie constitutionnelle d’indépendance judiciaire dans sa dimension institutionnelle aux juges suppléants de la Cour des petites créances.
[126] R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, paragr. 64.
[127] Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 747 et s.; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, paragr. 70 et s.; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, paragr. 57 et s. Voir aussi Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 142, soulignant que le principe de la primauté du droit constitue « [traduction] un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle ».
[128] Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, paragr. 70.
[129] Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, paragr. 1 (« [d]e nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada »). Voir aussi Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, paragr. 38-39.
[130] Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 749. Voir aussi : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, paragr. 71; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, paragr. 58; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, paragr. 20; Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38, paragr. 122; Renvoi relatif au Code de procédure civile (Qc), art. 35, 2021 CSC 27, paragr. 47.
[131] Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, paragr. 22, citant le Renvoi de 1997, paragr. 108.
[132] Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57.
[133] Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5.
[134] Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, paragr. 55 (« [i]l faut appliquer les principes non écrits en tenant compte du principe de la souveraineté du Parlement »). Les auteurs Hogg et Wright (Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd., Supp., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters, 2022 (feuilles mobiles, mise à jour : août 2022), §15:28, p. 15-69 et 15-70) voient dans les propos de la juge en chef « a salutary caution notably absent from the majority opinions in the [Renvoi de 1997] and [Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13; Rice c. Nouveau-Brunswick, 2002 CSC 13] cases », tout en ajoutant ceci : « Indeed, what is so extreme about those two decisions is not just the assumption that judicial independence is impaired by any reduction in judicial salaries and perquisites, but the twin assumption that judicial independence is superior to and unqualified by any other principles of the Constitution, including parliamentary supremacy (or democratic control of public spending). Babcock indicated some second thoughts on the second assumption ».
[135] Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, paragr. 57.
[136] Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49.
[138] Robin Elliot, « References, Structural Argumentation and the Organizing Principles of Canada’s Constitution », (2001) 80 R. du B. can. 67, p. 141-142, cité au paragraphe 66 de l’arrêt Imperial Tobacco. Les deux autres études citées sont : Peter W. Hogg et Cara F. Zwibel, « The Rule of Law in the Supreme Court of Canada », (2005) 55 U.T.L.J. 715; Warren J. Newman, « The Principles of the Rule of Law and Parliamentary Sovereignty in Constitutional Theory and Litigation », (2005) 16 R.N.D.C. 175.
[139] Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34.
[140] Id., paragr. 50 [italiques dans l’original].
[141] Id., paragr. 49-63.
[142] Id., paragr. 57-58.
[143] Jean Leclair, « Canada’s Unfathomable Unwritten Constitutional Principles », (2002) 27 Queen’s L.J. 389, p. 427-432.
[145] Id., paragr. 54 [italiques dans l’original].
[146] Ibid. [italiques dans l’original].
[148] Id., paragr. 56. La Cour a cité en exemple la doctrine de la reconnaissance totale (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, la doctrine de la prépondérance (Huson v. South Norwich (Township), (1895) 24 R.C.S. 145), la possibilité de suspendre une déclaration d’invalidité (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721) et l’obligation de négocier découlant d’une déclaration de sécession prononcée par une province (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217).
[149] Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, paragr. 37.
[150] Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, paragr. 75 [soulignement ajouté].
[151] Renvoi de 1997, paragr. 108.
[152] Et non seulement quant à l’aspect de la primauté du droit axé sur la nécessité d’assurer que « l’exercice de tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d’une règle de droit » (Renvoi de 1997, paragr. 10, repris dans Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, paragr. 71, et Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, paragr. 96).
[154] Voir l’alinéa 11d) de la Charte canadienne, qui garantit à tout « inculpé/person charged with an offence » l’accès à un tribunal indépendant et impartial. Sur la notion d’inculpé et la portée de l’article 11 de la Charte canadienne, voir : R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, p. 551 et s.; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, paragr. 43 et s.; Peter W. Hogg et Wade K. Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd., Supp., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2022 (feuilles mobiles, mise à jour : juillet 2023), §51:1 et s., p. 51-2 et s.