
COUR SUPRÊME DU CANADA |
Référence : Piekut c. Canada (Revenu national), 2025 CSC 13 | | Appel entendu : 5 novembre 2024 Jugement rendu
: 17 avril 2025 Dossier : 40782 |
Entre : Izabela Piekut Appelante et Sa Majesté le Roi du chef du Canada, représenté par le ministre du Revenu national Intimé - et - Procureur général de l’Ontario, procureur général du Québec, Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique, représenté par le ministre des Finances, Alliance canadienne des associations étudiantes et Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals Intervenants Traduction française officielle Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau |
Motifs de jugement : (par. 1 à 122) | Le juge Jamal (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer et O’Bonsawin) |
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Motifs dissidents en partie : (par. 123 à 171) | La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges Martin et Moreau) |
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Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Izabela Piekut Appelante
c.
Sa Majesté le Roi du chef du Canada,
représenté par le ministre du Revenu national Intimé
et
Procureur général de l’Ontario,
procureur général du Québec,
Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique,
représenté par le ministre des Finances,
Alliance canadienne des associations étudiantes et
Canadian Association of Insolvency
and Restructuring Professionals Intervenants
Répertorié : Piekut c. Canada (Revenu national)
2025 CSC 13
No du greffe : 40782.
2024 : 5 novembre; 2025 : 17 avril.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
Faillite et insolvabilité — Dettes soustraites à une ordonnance de libération — Dette découlant d’un prêt étudiant — Possibilité d’obtenir libération — Loi fédérale sur la faillite précisant qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation découlant d’un prêt étudiant gouvernemental lorsque la faillite est survenue dans les sept ans suivant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel — Demande présentée par la faillie afin d’être libérée d’une dette découlant de prêts étudiants contractés pour plusieurs programmes d’études en faisant valoir que le dernier programme d’études pour lequel elle avait obtenu un prêt étudiant avait cessé plus de sept ans avant que ne survienne la faillite même si elle avait suivi un programme d’études financé par elle-même par la suite — La faillie devrait-elle être libérée de sa dette découlant de prêts étudiants? — Le créancier d’un prêt étudiant a-t-il le fardeau de prouver sa réclamation avant que celle-ci ne puisse être exécutée? — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 178(1)g).
La faillie a suivi des programmes d’études postsecondaires de 1987 à 1994, de 1994 à 1995, de 2002 à 2003 et de 2006 à 2009. Elle a financé son dernier programme d’études elle‑même, mais elle a reçu des prêts étudiants du gouvernement fédéral pour les autres programmes. En octobre 2013, la faillie a fait une proposition de consommateur sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») et inscrit ses dettes découlant de prêts étudiants à son passif. En décembre 2017, elle a obtenu un certificat d’exécution intégrale de sa proposition de consommateur au titre de la LFI.
En juin 2019, la faillie a demandé un jugement déclarant qu’elle avait « cessé d’être un[e] étudiant[e] à temps plein ou à temps partiel » aux termes de l’al. 178(1)g) de la LFI en 2003 et qu’elle était donc libérée de sa dette découlant de prêts étudiants en application du par. 178(2). Le paragraphe 178(2) de la LFI prévoit qu’une ordonnance de libération libère un failli de toutes les réclamations prouvables en matière de faillite, à l’exception des réclamations énumérées au par. 178(1). L’alinéa 178(1)g) prévoit qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation découlant d’un prêt étudiant gouvernemental lorsque la faillite est survenue « dans les sept ans suivant » « la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel ». La faillie a fait valoir que l’approche des dates multiples devait être adoptée à l’égard de l’al. 178(1)g) — approche suivant laquelle il peut y avoir plusieurs dates auxquelles le failli a cessé d’être un étudiant, soit les dates auxquelles se sont terminés ses divers programmes d’études — par opposition à l’approche de la date unique — suivant laquelle il ne peut y avoir qu’une seule date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, soit la dernière date à laquelle il a cessé d’être un étudiant avant la date de la faillite. Elle a plaidé que, pour l’application de l’al. 178(1)g), elle a cessé d’être une étudiante en 2003, année où elle a terminé sa dernière période d’études financée par un prêt étudiant gouvernemental.
Le juge en chambre a rejeté la demande de la faillie. En se fondant sur le principe du stare decisis, il a suivi l’approche de la date unique, approuvée antérieurement par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, et a conclu que la faillie avait cessé d’être une étudiante en 2009, à la fin de sa dernière période d’études. La Cour d’appel a rejeté l’appel interjeté par la faillie. Cette dernière se pourvoit devant la Cour et soulève par ailleurs une nouvelle question de droit : celle de savoir si un créancier doit obtenir une ordonnance distincte du tribunal relativement à sa réclamation visée à l’al. 178(1)g) avant que sa réclamation ne puisse être exécutée.
Arrêt (les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes en partie) : Le pourvoi est rejeté.
Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : Il ressort de l’application du principe moderne d’interprétation des lois, ainsi que d’une interprétation de l’al. 178(1)g) de la LFI qui tient compte du texte, du contexte et de l’objet de cette disposition, que l’approche de la date unique constitue la bonne interprétation. En outre, le créancier qui s’appuie sur l’al. 178(1)g) après qu’un tribunal a approuvé une proposition de consommateur n’a pas le fardeau d’obtenir une décision judiciaire concernant sa réclamation avant que celle‑ci ne puisse être exécutée. En l’espèce, puisque la faillie a été une étudiante à temps plein ou à temps partiel jusqu’en 2009 et qu’elle a déposé une proposition de consommateur seulement quatre ans plus tard, en 2013, elle ne pouvait être libérée de sa dette découlant d’un prêt étudiant suivant l’al. 178(1)g) et le par. 178(2) de la LFI.
Les réclamations dont le failli ne peut être libéré qui sont énoncées au par. 178(1) de la LFI reconnaissent que la politique du nouveau départ du droit de la faillite, qui ressort du texte du par. 178(2), doit céder le pas devant certains objectifs de politique sociale prépondérants qui exigent que certaines réclamations soient soustraites à la libération. L’alinéa 178(1)g) s’applique à titre d’exception au principe du nouveau départ en limitant les cas où une ordonnance de libération libère le failli d’une dette découlant de prêts étudiants. Contrairement aux autres dettes et obligations visées au par. 178(1) dont le failli ne peut être libéré par une ordonnance de libération, l’al. 178(1)g) n’interdit pas complètement la libération du failli de ses dettes ou obligations découlant de prêts étudiants; il interdit plutôt que le failli soit libéré de telles dettes ou obligations pendant un nombre d’années prescrit par la loi. Le régime de la LFI concernant les dettes découlant de prêts étudiants s’applique de façon harmonisée avec les lois fédérales, provinciales et territoriales relatives aux prêts étudiants : l’al. 178(1)g) prévoit expressément qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti au titre de « la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants ». De plus, l’al. 178(1)g) fait référence expressément à la date à laquelle le failli cesse d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel au regard de ces lois. Les règlements fédéraux relatifs aux prêts étudiants traitent de la façon dont l’emprunteur est considéré comme un étudiant à temps plein ou à temps partiel et du moment où il « cesse » d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel. Les lois, les règlements ou les documents de politique d’intérêt général provinciaux et territoriaux définissent similairement le statut d’étudiant d’un particulier et le moment où il cesse d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel.
Conformément au principe moderne d’interprétation des lois, le tribunal examine les mots d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Suivant le principe moderne, le tribunal doit interpréter le libellé d’une disposition législative en se fondant sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la loi dans son ensemble. De surcroît, le tribunal qui interprète une loi fédérale doit examiner les deux versions linguistiques officielles de la disposition, parce que les versions française et anglaise des textes de loi fédéraux ont également force de loi. L’interprétation d’un texte de loi bilingue doit commencer par la recherche du sens commun entre les deux versions linguistiques officielles. Lorsqu’une version d’une loi bilingue a un sens plus large que l’autre version, la version dont le sens est plus restreint reflète le sens commun.
Plusieurs indices textuels, y compris particulièrement la version française de l’al. 178(1)g), indiquent que « la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, » visée à l’al. 178(1)g), est déterminée par la loi fédérale, provinciale ou territoriale applicable en matière de prêts étudiants. Bien que les textes français et anglais de l’al. 178(1)g) soient structurés différemment, leur sens commun — qui ressort du texte français plus restreint — indique que la disposition s’applique en fonction de la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant au regard de la loi fédérale, provinciale ou territoriale applicable.
La conclusion selon laquelle la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel pour les besoins de l’al. 178(1)g) est déterminée en fonction de la loi relative aux prêts étudiants applicable ne résout pas la question de savoir si l’al. 178(1)g) doit être interprété suivant l’approche de la date unique ou celle des dates multiples. Cependant, une analyse textuelle, contextuelle et téléologique montre que l’approche de la date unique constitue la bonne interprétation de l’al. 178(1)g).
Le texte et le contexte de l’al. 178(1)g) appuient le recours à l’approche de la date unique. Cette disposition pose simplement la question de savoir à quel moment le failli a cessé d’être un étudiant à temps partiel ou à temps plein au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable. Le moment auquel se pose cette question est la date de la faillite ou la date du dépôt de la proposition de consommateur. L’alinéa 178(1)g) ne pose pas la question de savoir si le failli a suivi des programmes d’études antérieurement ou s’il a eu besoin d’un prêt étudiant pour suivre son dernier programme d’études. En ce qui concerne la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel, l’al. 178(1)g) utilise à la fois le singulier et l’adjectif démonstratif « cette » — « cette date ». Cela tend à indiquer que la disposition ne renvoie qu’à une seule date. Qui plus est, les mots « a cessé » indiquent la finalité. Si l’on remonte à la date de la faillite, le statut d’étudiant du failli ne peut pas avoir « cessé » ou pris fin si ce dernier a par la suite repris le statut d’étudiant dans le cadre d’un programme d’études ultérieur.
En outre, le texte français du par. 178(1.1) appuie le recours à l’approche de la date unique. Le paragraphe 178(1.1) confère au tribunal de surveillance le pouvoir discrétionnaire d’ordonner que l’al. 178(1)g) ne s’applique pas à une dette découlant de prêts étudiants cinq ans après que le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel si le failli a agi de bonne foi et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra pas acquitter sa dette. Le sens du texte français du par. 178(1.1) est plus restreint que celui du texte anglais, et reflète donc le sens commun. Il précise que l’emprunteur ne doit pas avoir été un étudiant au regard de la loi applicable pendant au moins les cinq années précédant la faillite (« n’est plus un étudiant [. . .] depuis au moins cinq ans au regard de la loi applicable »). Le libellé plus général du texte anglais du par. 178(1.1) emploie l’expression « ceases to be a full‑ or part‑time student », la même que celle utilisée au sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise. Mais étant donné que le sous‑al. 178(1)(g)(ii) et le par. 178(1.1) doivent nécessairement faire référence à la même date à laquelle l’emprunteur a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable, le sens commun du par. 178(1.1), basé sur le sens plus étroit du texte français, reflète lui aussi le sens du sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise.
L’utilisation des mots « un prêt », au singulier, dans les premiers mots de l’al. 178(1)g) ne milite pas en faveur de l’approche des dates multiples. Premièrement, l’approche des dates multiples fait abstraction du sens ordinaire des mots « dette » et « obligation » figurant à l’al. 178(1)g), lesquels peuvent englober des sommes dues à l’égard de prêts pour plus d’un programme d’études. Deuxièmement, l’approche des dates multiples requiert l’ajout de mots au texte de l’al. 178(1)g) alors que l’approche de la date unique ne requiert pas un tel ajout, ce qui rend cette approche préférable. L’approche de la date unique ne nécessite pas l’ajout du mot « définitivement » à l’al. 178(1)g); elle requiert seulement que l’on donne aux mots « a cessé » leur sens ordinaire, dans le contexte, en remontant à la date de la faillite. Troisièmement, l’approche des dates multiples ne reflète pas une interprétation contextuelle, bilingue et harmonieuse de l’al. 178(1)g) et du par. 178(1.1).
Enfin, suivant une analyse téléologique de l’al. 178(1)g), l’approche de la date unique est préférable à l’approche des dates multiples. L’historique législatif et les débats parlementaires relatifs à l’al. 178(1)g) montrent que cette disposition poursuit plusieurs objets ou objectifs de politique d’intérêt général qui s’appuient mutuellement : (1) réduire les pertes du gouvernement attribuables aux prêts étudiants en défaut dans le cadre de faillites; (2) assurer la viabilité des programmes gouvernementaux de prêts étudiants pour les générations futures d’étudiants; et (3) donner aux emprunteurs la possibilité raisonnable sur une période continue de capitaliser sur l’ensemble de leurs études pour rembourser leurs prêts étudiants financés par l’État, et ainsi décourager les faillites opportunistes. L’approche de la date unique favorise davantage la réalisation de ces objectifs que l’approche des dates multiples, et reflète en conséquence davantage les objectifs de l’al. 178(1)g). L’approche de la date unique est aussi équitable pour les emprunteurs : d’autres mesures législatives répondent aux préoccupations liées aux difficultés financières. Par exemple, un emprunteur qui retourne à l’école après des études antérieures financées au moyen de prêts étudiants peut bénéficier à nouveau d’une suspension de l’obligation de payer les intérêts ou le principal sur tous ses prêts étudiants, même s’il ne reçoit aucun autre prêt étudiant. Une fois que l’emprunteur cesse d’être un étudiant, il peut présenter une demande d’exemption du paiement d’intérêts et d’aide au remboursement. De plus, un emprunteur peut demander, en vertu du par. 178(1.1), d’être libéré de sa dette découlant d’un prêt étudiant cinq ans après avoir cessé d’être un étudiant. Par ailleurs, l’approche des dates multiples entraîne une absurdité : dans certains cas, elle permettrait à des emprunteurs d’être libérés de leurs prêts étudiants avant même que le gouvernement n’ait eu quelque possibilité de recouvrer la dette découlant de ces prêts, parce que toute interruption d’études, aussi courte soit‑elle, déclencherait le début de la période de sept ans prévue à l’al. 178(1)g).
Étant donné que l’application appropriée du principe moderne d’interprétation mène à la conclusion que l’approche de la date unique s’applique et que l’al. 178(1)g) n’est pas ambigu, il n’est pas nécessaire d’appliquer la présomption résiduelle d’interprétation restrictive de l’al. 178(1)g) en tant qu’exception au principe du nouveau départ.
Quant à la question concernant le fardeau du créancier d’un prêt étudiant de prouver sa réclamation fondée sur l’al. 178(1)g), outre la présentation d’une preuve de réclamation, le créancier d’un prêt étudiant n’a pas besoin de prendre d’autres mesures pour protéger sa réclamation. Le paragraphe 178(1) indique clairement qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation découlant de prêts étudiants tant que le failli n’a pas cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, pendant sept ans à compter de la date à laquelle la faillite est survenue. Les réclamations relatives aux prêts étudiants sont facilement établies sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une décision judiciaire distincte.
Les juges Karakatsanis, Martin et Moreau (dissidentes en partie) : Le pourvoi devrait être accueilli en partie. L’approche de la date unique ne régit pas l’interprétation de l’al. 178(1)g) de la LFI. L’alinéa 178(1)g) agit plutôt à titre d’interdiction législative conditionnelle empêchant de libérer une personne de ses prêts étudiants. Cette interdiction législative s’applique prospectivement à partir de la date à laquelle la personne a cessé d’être un étudiant, et elle est conditionnelle à ce que la personne ait cessé d’être un étudiant pendant une période continue de sept ans. Une fois cette condition remplie, la disposition ne s’applique plus à ces prêts, et un retour subséquent aux études n’empêchera pas une personne d’être libérée de ces prêts étudiants. Cependant, lorsqu’un retour aux études empêche une telle période de sept ans de s’écouler, la disposition exige qu’une période subséquente de sept ans s’écoule avant que la condition ne soit remplie et que la personne ne puisse être libérée des prêts accumulés avant ce moment‑là. En l’espèce, le jugement déclaratoire demandé par la faillie devrait être accordé en partie : l’interdiction législative ne s’applique pas aux prêts étudiants qu’elle a contractés avant d’avoir cessé d’être une étudiante en avril 1995.
Ni l’approche de la date unique ni celle des dates multiples ne représentent la bonne interprétation de l’al. 178(1)g). L’approche de la date unique peut mener à des résultats absurdes : une personne qui n’a pas été aux études pendant une période beaucoup plus longue que les sept ans requis ne peut pas être libérée de ces prêts si elle vient juste de commencer un autre programme d’études postsecondaires. L’approche des dates multiples peut elle aussi mener à des résultats absurdes : même une brève interruption entre deux diplômes peut signifier que sept ans s’écouleront pendant que le failli demeure un étudiant sans véritable possibilité de rembourser le prêt. Une interprétation de la disposition qui permet à une personne d’être libérée de prêts étudiants après sept années continues d’absence d’études est appropriée parce qu’elle est conforme au texte législatif et qu’elle favorise la réalisation de l’intention du législateur. Cette interprétation reflète des éléments tant de l’approche de la date unique que de celle des dates multiples et permet d’éviter les résultats les plus absurdes de ces deux approches. Elle permet à une personne de retourner aux études après sept ans et d’acquérir une nouvelle formation sans sacrifier sa capacité de se prévaloir de la LFI dans le futur, tout en exigeant qu’une personne passe une période de sept ans sans être aux études avant d’être libérée de ses prêts étudiants.
Selon la méthode moderne d’interprétation, les mots de la disposition doivent être interprétés en harmonie avec le contexte législatif plus large, ainsi qu’avec les objets de la disposition et les objectifs plus larges de la LFI. Comme l’ont affirmé les juges majoritaires, les définitions figurant dans les lois sur les prêts étudiants régissent la détermination du statut d’étudiant pour l’application de l’al. 178(1)g), et l’al. 178(1)g) et le par. 178(1.1) doivent s’appliquer en fonction de la même date. Cependant, cela ne résout pas entièrement la question de l’interprétation de la manière dont l’article opère.
Les mots suivants de la disposition, à savoir « toute dette [. . .] découlant d’un prêt » et « dans les sept ans suivant » la date à laquelle une personne « a cessé d’être un étudiant », doivent être lus ensemble. La mention concernant les lois fédérales et provinciales relatives aux prêts étudiants éclaire non seulement sur le moment où une personne est « un étudiant », mais aussi sur le sens de l’expression « un prêt ». Ce contexte législatif établit que l’al. 178(1)g) s’applique aux prêts étudiants au fur et à mesure qu’un étudiant les accumule pendant qu’il est inscrit à des cours dans un programme d’études, plutôt qu’à une dette d’études individuelle consolidée. Plus précisément, le libellé de la disposition indique que celle‑ci se rapporte aux prêts qui existent lorsqu’une personne cesse d’être un étudiant.
Le fait que l’alinéa 178(1)g) est formulé négativement et que le mot « suivant » est employé indique que le Parlement entendait que la disposition soit prospective, pour faire en sorte qu’une personne ne soit pas libérée de toute dette découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre d’une loi sur les prêts étudiants dans les sept ans suivant la date à laquelle elle a cessé d’être un étudiant. Cette condition est remplie lorsque la faillite ne survient pas dans les sept ans suivant la date de la fin des études du failli, même si ce dernier acquiert de nouveau par la suite le statut d’étudiant. Le libellé du par. 178(1.1) apporte un appui additionnel en faveur de cette interprétation, car la date qui constitue le point d’ancrage du calcul dans cette disposition est clairement la date de la cessation des études de l’emprunteur et non la date de la faillite, ce qui est une indication d’une approche prospective. De plus, l’emploi des mots « a cessé » n’indique pas que l’approche de la date unique est la seule interprétation correcte de l’al. 178(1)g) puisqu’une personne peut cesser ses études à une date donnée, et néanmoins devenir de nouveau un étudiant par la suite.
Enfin, il y a accord avec les juges majoritaires pour dire qu’un créancier qui s’appuie sur l’al. 178(1)g) n’a pas le fardeau d’obtenir une décision judiciaire distincte concernant sa réclamation avant que celle-ci ne puisse être exécutée en vertu de la LFI.
Jurisprudence
Citée par le juge Jamal
Arrêts rejetés : Canada (Attorney General) c. Collins, 2013 NLCA 17, 334 Nfld. & P.E.I.R. 318; St. Dennis c. Ontario (Ministry of Training, Colleges & Universities), 2017 ONSC 2417, 48 C.B.R. (6th) 122; McNutt (Bankrupt), Re, 2008 NSSC 166, 266 N.S.R. (2d) 180; Goulding (Re), 2020 NSSC 22, 76 C.B.R. (6th) 154; Hildebrand (Bankrupt), Re, 2010 SKQB 321, 360 Sask. R. 128; Mortimer (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 109, 386 R.N.‑B. (2e) 195; arrêts approuvés : Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 726, [2011] R.J.Q. 730; Mallory, Re, 2015 BCSC 5, 19 C.B.R. (6th) 195; Bataille c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 169; arrêts mentionnés : Damache (Syndic de), 2012 QCCA 2014; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31; Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28; Jerrard c. Peacock (1985), 37 Alta. L.R. (2d) 197; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; R. c. Downes, 2023 CSC 6; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217; R. c. Mac, 2002 CSC 24, [2002] 1 R.C.S. 856; Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862; Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll-Byrne, 2022 CSC 48; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300; R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485; Québec (Procureur général) c. Paulin, 2007 QCCA 1716, [2008] R.J.Q. 16; Procureure générale du Québec c. Augustin, 2019 QCCQ 2399; Martin (Bankruptcy), Re, 1997 CanLII 773; Handspiker (Re), 2018 NSSC 333; R. c. Basque, 2023 CSC 18; Cunningham (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 352, 397 R.N.‑B. (2e) 103; MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23, [2021] 1 R.C.S. 899; R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, [2019] 3 R.C.S. 838; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; John Howard Society of Saskatchewan c. Saskatchewan (Procureur général), 2025 CSC 6; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678; St-Pierre c. Québec (Ministère de l’Éducation), [2002] R.J.Q. 205; Fontaine c. Québec (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport), 2009 QCCS 1482; Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc., 2021 CSC 53, [2021] 3 R.C.S. 736.
Citée par la juge Karakatsanis (dissidente en partie)
Mallory, Re, 2015 BCSC 5, 19 C.B.R. (6th) 195; Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 726, [2011] R.J.Q. 730; Canada (Attorney General) c. Collins, 2013 NLCA 17, 334 Nfld. & P.E.I.R. 318; McNutt (Bankrupt), Re, 2008 NSSC 166, 266 N.S.R. (2d) 180; Mortimer (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 109, 386 R.N.‑B. (2e) 195; St. Dennis c. Ontario (Ministry of Training, Colleges & Universities), 2017 ONSC 2417, 48 C.B.R. (6th) 122; Hildebrand (Bankrupt), Re, 2010 SKQB 321, 360 Sask. R. 128; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28; Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; Cunningham (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 352, 397 R.N.‑B. (2e) 103.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 18(1).
Direct Student Loan Regulations, N.S. Reg. 342/2008, art. 2(e), (f), (j), 11.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 133.
Loi d’exécution du budget de 1998, L.C. 1998, c. 21, art. 103(1), (2).
Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, art. 12.
Loi édictant la Loi sur le Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et d’autres lois en conséquence, L.C. 2005, c. 47, art. 107(2), (3).
Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants, L.C. 1994, c. 28, art. 12.
Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, L.R.C. 1985, c. S‑23, art. 2(1) « période d’études », 3, 14.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, partie III, section I, art. 66.11 à 66.4, 178, 184, 192.
Loi sur l’aide financière aux études, RLRQ, c. A‑13.3, art. 9, 23 à 25.1, 32, 38.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.), art. 13.
Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1997, c. 12, art. 105.
Loi sur l’aide financière aux étudiants du postsecondaire, L.N.‑B. 2007, c. P‑9.315, art. 1 « étudiant admissible ».
Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, DORS/95‑329, art. 2(1) « étudiant à temps partiel », « étudiant à temps plein », « période d’études », « programme d’études », 5, 7, 8(1), 11.1, 12, 12.1, 12.2, 12.3, 12.6.
Règlement fédéral sur les prêts aux étudiants, DORS/93‑392, art. 3, 4.1(1), 7, 11.
Règlement général — Loi sur l’aide financière aux étudiants du postsecondaire, Règl. du N.‑B. 2007‑78, art. 3 « contenu d’un programme régulier à temps plein », « programme d’études », 17g).
Règlement sur l’aide aux étudiants, Règl. du Man. 143/2003, art. 4, 10, 11, 20, 21 à 23, 24.
Règlement sur l’aide financière aux études, RLRQ, c. A‑13.3, r. 1, art. 81.
Règlement sur l’aide financière aux étudiants, R.R.T.N.‑O. 1990, c. S‑20, art. 1(1) « étudiant à temps complet », « programme d’études », (2), (3), 6(7).
Règlement sur l’aide financière aux étudiants, R.R.T.N.‑O. (Nun.) 1990, c. S‑20, art. 1(1) « étudiant à temps complet », « étudiant à temps partiel » [aj. 046 2021, art. 2], « programme d’études », 21, 23, 24(1), 25, 29.
Règlement sur l’aide financière aux étudiants — Modification, Règl. du Nun. 046‑2021.
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Student Financial Assistance Act General Regulations, P.E.I. Reg. EC709/10, art. 1(h), (j), (j.1), (k), (m), 26, 28.
Student Financial Assistance Regulation, Alta. Reg. 298/2002, ann. 1, art. 1(1)(f), ann. 2, art. 1(1)(h), (m), (o), 24(1), 32.
Student Financial Assistance Regulations, N.L.R. 105/03, art. 2(d), (e), (e.1), (h), (g), 5.2, 5.3, 5.8.
Subventions ontariennes d’études et prêts ontariens d’études, Règl. de l’Ont. 70/17, art. 7, 9, 23, 24 à 27, 28, 29, 30.
Doctrine et autres documents cités
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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Willcock, DeWitt‑Van Oosten et Horsman), 2023 BCCA 181, 480 D.L.R. (4th) 530, 6 C.B.R. (7th) 207, [2023] B.C.J. No. 775 (Lexis), 2023 CarswellBC 1138 (WL), qui a confirmé une décision du juge Milman, 2021 BCSC 1883, 92 C.B.R. (6th) 255, [2021] B.C.J. No. 2077 (Lexis), 2021 CarswellBC 2983 (WL). Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes en partie.
Cody G. Reedman, pour l’appelante.
Michael Taylor et Christa Akey, pour l’intimé.
Shahana Kar et Kristina Yeretsian, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Janie Desautels et Audrey-Anne Blais, pour l’intervenant le procureur général du Québec.
Fernando de Lima, Emily Lapper et Shannon Davis, pour l’intervenant Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie‑Britannique, représenté par le ministre des Finances.
Jeremy Opolsky, Mike Noel, Alison Schwenk et Anna Lund, pour l’intervenante l’Alliance canadienne des associations étudiantes.
Heather Fisher, C. Haddon Murray et James Aston, pour l’intervenante Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals.
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par
Le juge Jamal —
- Introduction
- Le présent pourvoi soulève une question d’interprétation législative quant au moment où un failli peut être libéré d’une dette découlant d’un prêt étudiant gouvernemental sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »).
- Le paragraphe 178(2) de la LFI prévoit qu’une ordonnance de libération libère un failli de toutes les réclamations prouvables en matière de faillite, à l’exception des réclamations énumérées au par. 178(1). Plus précisément, l’al. 178(1)g) prévoit qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation découlant d’un prêt étudiant gouvernemental lorsque la faillite est survenue « dans les sept ans suivant » « la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel ». L’article 178 s’applique également aux propositions de consommateur, lesquelles offrent aux particuliers une solution de rechange plus rapide, plus efficace et moins coûteuse que la faillite dans certaines circonstances. La question soulevée dans le présent pourvoi est la suivante : Quand un failli cesse‑t‑il d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel visé à l’al. 178(1)g)?
- Cette question a divisé les tribunaux dans l’ensemble du pays. Les tribunaux du Québec et de la Colombie‑Britannique, notamment la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique en l’espèce, interprètent l’al. 178(1)g) selon l’approche de la « date unique ». Selon cette approche, il ne peut y avoir qu’une seule date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant : la dernière date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant avant la date de la faillite. L’alinéa 178(1)g) dispose que le failli ne peut être libéré d’un prêt étudiant s’il était un étudiant dans les sept ans précédant la date de la faillite (Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 726, [2011] R.J.Q. 730; Damache (Syndic de), 2012 QCCA 2014; Mallory, Re, 2015 BCSC 5, 19 C.B.R. (6th) 195).
- Par contraste, les juges de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et de l’Ontario, ainsi que les registraires en matière de faillite de la Nouvelle‑Écosse, de la Saskatchewan et du Nouveau‑Brunswick, interprètent l’al. 178(1)g) suivant l’approche des « dates multiples »[1]. Selon cette approche, il peut y avoir plusieurs dates auxquelles le failli a cessé d’être un étudiant, soit les dates auxquelles se sont terminés ses divers programmes d’études (Canada (Attorney General) c. Collins, 2013 NLCA 17, 334 Nfld. & P.E.I.R. 318; St. Dennis c. Ontario (Ministry of Training, Colleges & Universities), 2017 ONSC 2417, 48 C.B.R. (6th) 122; McNutt (Bankrupt), Re, 2008 NSSC 166, 266 N.S.R. (2d) 180; Goulding (Re), 2020 NSSC 22, 76 C.B.R. (6th) 154; Hildebrand (Bankrupt), Re, 2010 SKQB 321, 360 Sask. R. 128; Mortimer (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 109, 386 R.N.-B. (2e) 195). L’approche des dates multiples permet à un nombre beaucoup plus grand de faillis d’être libérés de dettes découlant de prêts étudiants dans le cadre d’une faillite ou d’une proposition de consommateur, comparativement à l’approche de la date unique.
- Après avoir appliqué le principe moderne d’interprétation des lois et interprété l’al. 178(1)g) en tenant compte du texte, du contexte et de l’objet de cette disposition, je conclus que l’approche de la date unique est la bonne interprétation. Fait crucial, l’approche de la date unique favorise la réalisation des objectifs législatifs et de politique d’intérêt général de la disposition en question : réduire les pertes du gouvernement attribuables aux prêts étudiants en défaut; assurer la viabilité des programmes de prêts étudiants pour les générations futures; et faire en sorte que les emprunteurs disposent d’un délai raisonnable après la fin de leurs études pour capitaliser sur l’ensemble de leurs études et être en mesure de rembourser leurs prêts étudiants, ce qui a pour effet de décourager les faillites opportunistes.
- Puisque l’appelante, Mme Izabela Piekut, a été une étudiante à temps plein ou à temps partiel jusqu’en 2009 et qu’elle a déposé une proposition de consommateur seulement quatre ans plus tard, en 2013, elle ne pouvait être libérée de sa dette découlant d’un prêt étudiant suivant l’al. 178(1)g) et le par. 178(2) de la LFI.
- L’appelante soulève également une nouvelle question de droit pour la première fois devant la Cour. Elle affirme qu’un créancier doit obtenir une ordonnance distincte du tribunal relativement à sa réclamation visée à l’al. 178(1)g) avant que sa réclamation ne puisse être exécutée. Je ne suis pas de cet avis. Les dettes découlant de prêts étudiants constituent des dettes d’origine législative, qui sont faciles à prouver et qui relèvent du champ d’application de l’al. 178(1)g) sans qu’une ordonnance distincte du tribunal ne soit requise.
- Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
- Contexte
- L’appelante a suivi plusieurs programmes d’études postsecondaires entre 1987 et 2009. De 1987 à 1994, elle a étudié en vue d’obtenir un baccalauréat ès arts à l’Université de Calgary, et de 1994 à 1995, elle y a poursuivi des études pour obtenir un diplôme d’enseignement. Quelques années plus tard, l’appelante est retournée à l’université. De 2002 à 2003, elle a étudié en vue d’obtenir un baccalauréat en éducation à l’Université de la Colombie‑Britannique et, de 2006 à 2009, elle y a poursuivi ses études pour obtenir une maîtrise en éducation.
- L’appelante a reçu du gouvernement fédéral des prêts étudiants pour tous ses programmes d’études postsecondaires, sauf pour sa maîtrise en éducation, qu’elle a financée elle-même. De 1987 à 1994, elle a reçu 25 860 $ de prêts étudiants du gouvernement fédéral, et de 2002 à 2003 elle a reçu une somme additionnelle de 8 580 $. À un certain moment, elle a également reçu un prêt étudiant du gouvernement de l’Alberta. L’appelante a consolidé ses divers prêts étudiants en une seule dette plusieurs fois entre 2006 et 2009.
- Lorsque ses prêts étudiants sont devenus remboursables pour la première fois en 1995, l’appelante a demandé et obtenu une exemption du paiement d’intérêts pour huit périodes de six mois entre 1996 et 2002, puis pour une autre période de six mois en 2005, pour un total de 54 mois. Durant ces périodes, le gouvernement fédéral a payé les intérêts sur les prêts étudiants de l’appelante.
- De 2010 à 2013, l’appelante a demandé et obtenu de l’aide au remboursement. Le gouvernement fédéral a en conséquence payé le principal et les intérêts payables sur les prêts étudiants de l’appelante pendant quatre périodes de six mois au cours de chacune des années 2010 à 2013, pour un total de 24 mois.
- En octobre 2013, l’appelante a fait une proposition de consommateur sous le régime de la LFI. Elle a indiqué que son actif total s’élevait à 280 529 $ et qu’il se composait principalement de son condominium, à North Vancouver, et de sa voiture. Elle a également indiqué que son passif total s’établissait à 356 155 $ et qu’il se composait principalement du prêt hypothécaire sur son condominium, ainsi que des dettes liées à ses prêts étudiants et à sa carte de crédit. À l’époque, sa dette découlant de prêts étudiants fédéraux s’élevait à 26 658 $ et celle liée à son prêt étudiant du gouvernement de l’Alberta se chiffrait à 2 101 $.
- En décembre 2017, l’appelante a obtenu un certificat d’exécution intégrale de sa proposition de consommateur.
- Historique judiciaire
- Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2021 BCSC 1883, 92 C.B.R. (6th) 255 (le juge Milman)
- En juin 2019, l’appelante a demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de rendre un jugement déclarant qu’elle avait « cessé d’être un[e] étudiant[e] à temps plein ou à temps partiel » visée à l’al. 178(1)g) de la LFI en 2003, et qu’elle était libérée de sa dette découlant de prêts étudiants en application du par. 178(2). Subsidiairement, l’appelante a demandé, en vertu du par. 178(1.1), la prise d’une mesure discrétionnaire fondée sur l’existence de difficultés financières, ainsi qu’une déclaration soustrayant sa dette découlant de prêts étudiants à l’application de l’al. 178(1)g). Selon le par. 178(1.1), dans certains cas où le failli a agi de bonne foi et continue d’éprouver des difficultés financières, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner que le débiteur soit libéré des dettes découlant de prêts étudiants cinq ans après que ce dernier a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel. Toutefois, l’appelante n’a pas maintenu sa demande de mesure discrétionnaire pour cause de difficultés financières lors de l’audience devant le juge en chambre ou en appel. Dans sa demande, l’appelante a informé la cour que, d’après ses avis de cotisation, son revenu imposable total était de 82 310 $ en 2015, de 84 532 $ en 2016 et de 78 027 $ en 2017.
- L’appelante a exhorté la cour à adopter l’approche des dates multiples à l’égard de l’al. 178(1)g). Elle a soutenu que, bien qu’elle ait été étudiante à temps plein jusqu’en 2009 — quatre ans seulement avant de déposer sa proposition de consommateur en 2013 —, cette date ne devait pas être prise en compte pour l’application de l’al. 178(1)g). Elle a plaidé que, pour l’application de cette disposition, elle a cessé d’être une étudiante en 2003, année où elle a terminé sa dernière période d’études financée par un prêt étudiant gouvernemental.
- Le juge en chambre n’a pas souscrit à cet argument et il a rejeté la demande. En se fondant sur le principe du stare decisis, le juge a suivi l’approche de la date unique, approuvée par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Mallory. Dans Mallory, la cour a adopté l’approche de la date unique en se fondant sur le texte, le contexte et l’objet de l’al. 178(1)g). Elle a souligné que cette approche respecte le sens ordinaire de l’al. 178(1)g), qui fait référence à « la date » à laquelle le failli « a cessé » d’être un étudiant. L’article défini « la » signifie une date unique, alors que le sens ordinaire du verbe « a cessé » fait référence à la fin de la dernière période d’études du failli. La cour a indiqué que, par contraste, l’approche des dates multiples interprète le verbe « a cessé » comme voulant dire [traduction] « a temporairement cessé », et importe dans l’al. 178(1)g) les mots « pour les besoins du prêt concerné » afin de rattacher les prêts étudiants à des programmes d’études donnés (par. 66 et 68). Une telle interprétation signifierait que toute interruption d’études, aussi courte soit‑elle, déclencherait le début de la période de sept ans prévue à l’al. 178(1)g). La cour a conclu que le Parlement ne pouvait pas avoir voulu ce résultat.
- Dans l’affaire Mallory, la cour a précisé que l’approche des dates multiples ne permettait pas non plus d’interpréter l’al. 178(1)g) en corrélation avec le par. 178(1.1), la disposition discrétionnaire sur les difficultés financières, ni ne tenait compte de la version française des deux dispositions, qui envisagent la même date, soit celle de la fin de la dernière période d’études du failli avant la faillite. La cour a également souscrit à la conclusion de la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt N.P., selon laquelle l’approche des dates multiples contrecarre l’objet de l’al. 178(1)g) qui consiste à décourager les faillites opportunistes.
- Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2023 BCCA 181, 480 D.L.R. (4th) 530 (la juge DeWitt-Van Oosten, avec l’accord des juges Willcock et Horsman)
- La Cour d’appel a rejeté l’appel et confirmé la décision du juge en chambre. Elle a conclu que l’al. 178(1)g) est [traduction] « non ambigu » et que « l’affaire Mallory a été correctement décidée et suivie de façon appropriée par le juge en chambre » (par. 19).
- De l’avis de la Cour d’appel, l’approche des dates multiples ne tient pas compte adéquatement de la structure et du libellé de l’al. 178(1)g); des différences entre les versions anglaise et française de la disposition; et de l’effet du par. 178(1.1). La cour a également convenu que, dans l’arrêt N.P., la Cour d’appel du Québec avait fait état d’une [traduction] « raison impérieuse » pour rejeter l’approche des dates multiples : une telle approche contrecarrerait l’objectif du Parlement visant à interdire les faillites opportunistes, qui surviennent sans que le failli n’ait tenté de capitaliser sur ses études et sans que le gouvernement n’ait eu l’occasion de recouvrer sa créance (par. 21).
- La Cour d’appel a conclu que la période de sept ans prévue à l’al. 178(1)g) de la LFI [traduction] « court à compter de la dernière date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au sens de toute “loi” relative aux prêts étudiants, indépendamment que les études [. . .] aient été financées dans le cadre d’un programme de prêts étudiants fédéral ou provincial » (par. 22). La cour a également souscrit à la conclusion formulée dans l’affaire Mallory selon laquelle la question clé pour l’application de l’al. 178(1)g) consiste à se demander [traduction] « quand le failli a cessé d’être un étudiant », et que le « moment auquel se pose cette question est la date à laquelle la cession de biens a été faite » (par. 24, citant Mallory, par. 86).
- Questions en litige
- L’appelante soulève deux questions.
- Premièrement, l’appelante soutient que les tribunaux inférieurs auraient dû interpréter l’al. 178(1)g) conformément à l’approche des dates multiples, ce qui aurait eu pour effet de la libérer de ses prêts étudiants dans le cadre de sa proposition de consommateur. Cette question d’interprétation législative soulève une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).
- Deuxièmement, l’appelante affirme qu’il incombe au créancier qui s’appuie sur l’al. 178(1)g) d’obtenir une décision judiciaire distincte relativement à sa réclamation avant que celle‑ci ne puisse être exécutée en vertu de la LFI.
- Analyse
- Régimes législatifs applicables
- La LFI et les régimes de prêts étudiants fédéral, provinciaux et territoriaux fonctionnent ensemble aux fins du traitement des prêts étudiants dans le cadre d’une faillite ou d’une proposition de consommateur. Je vais examiner chacun de ces aspects à tour de rôle.
- La LFI
- La LFI limite les cas où une ordonnance de libération libère le failli de dettes découlant de prêts étudiants
- La LFI vise deux objectifs principaux : partager équitablement les biens du failli entre ses créanciers et réhabiliter financièrement le failli (Aquino c. Bondfield Construction Co., 2024 CSC 31, par. 36; Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28, par. 1). La réhabilitation financière du failli permet aux débiteurs honnêtes, mais malchanceux, d’être libérés de leurs dettes et de prendre un « nouveau départ », de repartir à neuf exempt de dette (Aquino, par. 36, citant F. Bennett, Bennett on Bankruptcy (26e éd. 2024), p. 37; Poonian, par. 1).
- Le principe du « nouveau départ » ressort du texte du par. 178(2) de la LFI, qui précise que, sous réserve des exceptions prévues au par. 178(1), « une ordonnance de libération libère le failli de toutes autres réclamations prouvables en matière de faillite » (Poonian, par. 1). Les exceptions ou réclamations dont le failli ne peut être libéré qui sont prévues au par. 178(1) comprennent notamment les amendes, pénalités et ordonnances de restitution infligées ou rendues par un tribunal en matière pénale (al. 178(1)a)); les indemnités accordées en justice pour des lésions corporelles causées intentionnellement ou pour agression sexuelle (sous‑al. 178(1)a.1)(i)); les dettes ou obligations résultant de fraude ou de concussion commise par le failli alors qu’il agissait à titre de fiduciaire (al. 178(1)d)); les dettes ou obligations résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits (al. 178(1)e)); certaines réclamations non révélées au syndic (al. 178(1)f)); les prêts gouvernementaux aux étudiants (al. 178(1)g)); et les dettes relatives aux intérêts dus à l’égard des sommes qui précèdent (al. 178(1)h)).
- Les réclamations dont le failli ne peut être libéré qui sont énoncées au par. 178(1) [traduction] « reconnaissent que la politique du nouveau départ du droit de la faillite doit céder le pas devant certains objectifs de politique sociale qui exigent que certaines réclamations soient soustraites à la libération » (R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 312‑313). Elles représentent [traduction] « le type de réclamations que la société, par l’entremise du Parlement, considère comme étant d’une qualité qui l’emporte sur tout avantage éventuel à ce que le failli en soit libéré » (Poonian, par. 25, citant J. Sarra, G. B. Morawetz et L. W. Houlden, The 2024 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act (2024), § 7:185, et Jerrard c. Peacock (1985), 37 Alta. L.R. (2d) 197 (B.R.)).
- L’alinéa 178(1)g) de la LFI s’applique à titre d’exception au principe du nouveau départ en limitant les cas où une ordonnance de libération libère le failli d’une dette découlant d’un prêt étudiant. Comme il est mentionné plus haut, cette disposition prévoit qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de dettes découlant de prêts étudiants consentis sous le régime d’une loi fédérale, provinciale ou territoriale relative aux prêts étudiants si la faillite est survenue avant la date à laquelle le débiteur « a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable, ou dans les sept ans suivant cette date ». Contrairement aux autres dettes et obligations visées au par. 178(1) dont le failli ne peut être libéré par une ordonnance de libération, l’al. 178(1)g) n’interdit pas complètement la libération du failli de ses dettes ou obligations découlant de prêts étudiants; il interdit plutôt que le failli soit libéré de telles dettes ou obligations pendant un nombre d’années prescrit par la loi. L’alinéa 178(1)g) est rédigé ainsi :
178 (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :
. . .
g) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable, ou dans les sept ans suivant cette date;
178 (1) An order of discharge does not release the bankrupt from
. . .
(g) any debt or obligation in respect of a loan made under the Canada Student Loans Act, the Canada Student Financial Assistance Act or any enactment of a province that provides for loans or guarantees of loans to students where the date of bankruptcy of the bankrupt occurred
(i) before the date on which the bankrupt ceased to be a full‑ or part‑time student, as the case may be, under the applicable Act or enactment, or
(ii) within seven years after the date on which the bankrupt ceased to be a full‑ or part‑time student;
- Le paragraphe 178(1) est suivi du par. 178(1.1), une disposition relative aux difficultés financières, qui confère au tribunal de surveillance le pouvoir discrétionnaire d’ordonner que l’al. 178(1)g) ne s’applique pas à une dette découlant de prêts étudiants cinq ans après que le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel si le failli a agi de bonne foi et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra pas acquitter sa dette. Le paragraphe. 178(1.1) dispose :
(1.1) Lorsque le failli qui a une dette visée aux alinéas (1)g) ou g.1) n’est plus un étudiant à temps plein ou à temps partiel ou un apprenti admissible, selon le cas, depuis au moins cinq ans au regard de la loi applicable, le tribunal peut, sur demande, ordonner que la dette soit soustraite à l’application du paragraphe (1) s’il est convaincu que le failli a agi de bonne foi relativement à ses obligations découlant de cette dette et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra pas acquitter celle‑ci.
(1.1) At any time after five years after the day on which a bankrupt who has a debt referred to in paragraph (1)(g) or (g.1) ceases to be a full‑ or part‑time student or an eligible apprentice, as the case may be, under the applicable Act or enactment, the court may, on application, order that subsection (1) does not apply to the debt if the court is satisfied that
(a) the bankrupt has acted in good faith in connection with the bankrupt’s liabilities under the debt; and
(b) the bankrupt has and will continue to experience financial difficulty to such an extent that the bankrupt will be unable to pay the debt.
- Le failli peut être libéré d’une dette découlant de prêts étudiants dans le cadre d’une proposition de consommateur, sous réserve des mêmes restrictions qu’une ordonnance de libération
- En l’espèce, l’appelante a fait une proposition de consommateur plutôt qu’une cession de biens. La proposition de consommateur est une procédure prévue par la LFI qui permet à des personnes insolvables respectant certaines conditions de proposer un arrangement en vue de rembourser à leurs créanciers un pourcentage de ce qu’elles doivent ou de payer leurs dettes sur une période prolongée, ou les deux, sous la surveillance d’un administrateur. Une proposition de consommateur est généralement plus rapide, plus efficace et moins coûteuse qu’une faillite. De nombreux débiteurs consommateurs préfèrent la proposition de consommateur à la cession de biens afin d’éviter la stigmatisation liée à une faillite et parce qu’une proposition de consommateur leur permet souvent de conserver leur maison ou appartement, leur véhicule ou d’autres biens (LFI, art. 66.11 à 66.4; Wood, p. 15 et 564‑574; L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. rév. (feuilles mobiles)), § 4:152; J. D. Honsberger et V. W. DaRe, Honsberger’s Bankruptcy in Canada (5e éd. 2017), p. 230; D. Brochu, Précis de la faillite et de l’insolvabilité (6e éd. 2022), ¶¶ 21‑1 à 21‑26).
- Aux termes du par. 66.28(2) de la LFI, une fois acceptée par les créanciers et approuvée par le tribunal, la proposition lie les créanciers relativement à toutes les réclamations non garanties et à certaines réclamations garanties. Selon l’art. 66.38, lorsqu’une proposition de consommateur est exécutée avec succès, le débiteur a le droit de recevoir de l’administrateur un certificat qui a le même effet qu’une ordonnance de libération dans le cadre d’une faillite (Houlden, Morawetz et Sarra, § 4:169). Parallèlement, le par. 66.28(2.1) prévoit qu’une proposition de consommateur « ne libèr[e] la personne insolvable d’une dette ou obligation visée au paragraphe 178(1) que si la proposition prévoit expressément la possibilité de transiger sur cette dette ou obligation et que le créancier intéressé a voté en faveur de l’acceptation de la proposition ».
- Aux termes du par. 66.4(1), toutes les dispositions de la LFI (sauf la section I de la partie III, qui traite des propositions qui ne sont pas propres aux consommateurs) s’appliquent aux propositions de consommateur « dans la mesure où elles sont applicables » et « compte tenu des adaptations de circonstances ».
- Législation relative aux prêts étudiants
- Le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux de l’ensemble du Canada accordent des prêts étudiants aux particuliers afin de leur permettre de poursuivre des études postsecondaires. La législation fédérale relative aux prêts étudiants se compose de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, L.R.C. 1985, c. S‑23 (pour les prêts consentis avant août 1995), de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants, L.C. 1994, c. 28 (pour les prêts consentis après août 1995), et de leurs règlements connexes. Chaque province et territoire possède son régime de prêts étudiants, qui fonctionne conjointement avec celui du gouvernement fédéral, ou indépendamment de ce dernier. Dans la plupart des provinces ou territoires, le gouvernement collabore avec le gouvernement fédéral pour octroyer des prêts aux étudiants. Le Yukon offre des allocations aux étudiants et collabore avec le gouvernement fédéral à l’octroi de prêts étudiants fédéraux, mais il n’a pas son propre programme de prêts. Le Québec, les Territoires du Nord‑Ouest et le Nunavut administrent leurs propres programmes de prêts étudiants, de façon indépendante du gouvernement fédéral (voir Loi sur l’aide financière aux études, RLRQ, c. A‑13.3, art. 38; Règlement sur l’aide financière aux étudiants, R.R.T.N.‑O. 1990, c. S‑20, par. 1(2) et (3) et 6(7); Gouvernement du Nunavut, ministère de l’Éducation, Guide de l’étudiant du PAFEN, août 2024 (en ligne); Emploi et Développement social Canada, Bourses et prêts d’études canadiens — Ce qu’offrent les bourses et les prêts aux étudiants, 9 juillet 2024 (en ligne); voir aussi Bibliothèque du Parlement, Le traitement des prêts aux étudiants selon la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, Document de travail PRB 01‑26F, 26 novembre 2008, p. 2‑3; S. Ben‑Ishai, « Government Student Loans, Government Debts and Bankruptcy : A Comparative Study » (2006), 44 Rev. can. dr. comm. 211, p. 215‑219; et S. Ben‑Ishai, « Student Loans and Bankruptcy : Five Years Later », dans J. P. Sarra et B. Romaine, dir., Annual Review of Insolvency Law 2014 (2015), 221, p. 231‑236).
- Dans l’ensemble du Canada, les programmes de prêts étudiants partagent généralement trois caractéristiques.
- Premièrement, les emprunteurs reçoivent des prêts étudiants en fonction de leurs besoins financiers plutôt que de critères de prêts commerciaux tels que le risque de crédit de l’emprunteur ou sa capacité future à rembourser le prêt. Par exemple, les critères d’admissibilité énoncés à l’art. 14 de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants et à l’art. 12 de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants prévoient que les étudiants sont généralement admissibles aux prêts étudiants s’ils ont « atteint un niveau et des résultats satisfaisants » et s’ils ont « besoin d’un prêt » ou « d’aide financière » (voir aussi Mallory, par. 77‑78; N.P., par. 47).
- Deuxièmement, l’emprunteur n’accumule généralement pas d’intérêts sur ses prêts étudiants et n’est pas tenu de les rembourser jusqu’à ce qu’il cesse d’être un étudiant. Si l’emprunteur cesse d’être un étudiant puis le redevient, en règle générale il n’accumulera pas d’intérêts sur ses prêts étudiants, et ne sera pas tenu de rembourser les prêts, jusqu’à ce qu’il cesse de nouveau d’être étudiant (voir Règlement fédéral sur les prêts aux étudiants, DORS/93‑392, par. 3(3) et art. 11; Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, DORS/95‑329, art. 7, 11.1, 12.2 et 12.6; Student Financial Assistance Regulation, Alta. Reg. 298/2002, ann. 2, par. 24(1)(c) et art. 32; Subventions ontariennes d’études et prêts ontariens d’études, Règl. de l’Ont. 70/17, art. 23, 24 et 30; Règlement sur l’aide aux étudiants, Règl. du Man. 143/2003, art. 21 et 24; The Saskatchewan Student Direct Loans Regulations, R.R.S., c. S‑61.1, Reg. 1, al. 2(n) et art. 9 à 12; Loi sur l’aide financière aux études (Qc), art. 23 à 25.1; Règlement sur l’aide financière aux études, RLRQ, c. A‑13.3, r. 1, art. 81; Direct Student Loan Regulations, N.S. Reg. 342/2008, art. 11; Student Financial Assistance Regulations, N.L.R. 105/03, art. 5.2 et 5.3; Student Financial Assistance Act General Regulations, P.E.I. Reg. EC709/10, art. 26; Règlement sur l’aide financière aux étudiants, R.R.T.N.‑O. (Nun.) 1990, c. S‑20, art. 21, par. 24(1), art. 25 et 29).
- Troisièmement, lorsque les prêts étudiants sont remboursables, l’emprunteur doit généralement combiner ou consolider tous ses prêts en une seule dette à rembourser (voir, par exemple, Subventions ontariennes d’études et prêts ontariens d’études, art. 28 et 29; The Saskatchewan Student Direct Loans Regulations, art. 13; Student Financial Assistance Regulations (T.‑N.‑L.), art. 5.8; Student Financial Assistance Act General Regulations (Î.‑P.‑É.), art. 28; Règlement sur l’aide financière aux étudiants (Nun.), art. 23 et 25; Règlement fédéral sur les prêts aux étudiants, art. 7; pour les prêts régis par le Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, voir les ententes maîtresses sur l’aide financière aux étudiants de chacune des provinces participant au programme canadien de prêts aux étudiants, qui prévoient presque toutes la consolidation (Centre de service national de prêts aux étudiants, Ressources supplémentaires, 19 août 2024 (en ligne))).
- Le régime de la LFI concernant les dettes découlant de prêts étudiants s’applique de façon harmonisée avec les lois fédérales, provinciales et territoriales relatives aux prêts étudiants. L’alinéa 178(1)g) de la LFI prévoit expressément qu’une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti au titre de « la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants ». En outre, il fait référence expressément à la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel au regard de ces lois.
- Les règlements fédéraux relatifs aux prêts étudiants applicables au présent pourvoi traitent de la façon dont l’emprunteur est considéré comme un étudiant à temps plein ou à temps partiel et du moment où il « cesse » d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel. L’emprunteur perd généralement son statut d’étudiant le dernier jour du dernier mois de la période d’études confirmée ou le dernier jour du mois où les cours auxquels il est inscrit ne représentent plus le pourcentage minimal réglementaire (Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, par. 2(1) « étudiant à temps plein » et « étudiant à temps partiel », 8(1) et art. 12.3; Règlement fédéral sur les prêts aux étudiants, par. 4.1(1)). L’emprunteur qui a « cessé » d’être un étudiant peut ensuite retrouver ce statut (Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, par. 7(1) et art. 12.2; Règlement fédéral sur les prêts aux étudiants, art. 3).
- Les lois, les règlements ou les documents de politique d’intérêt général provinciaux et territoriaux définissent similairement le statut d’étudiant d’un particulier et le moment où ce dernier cesse d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel (voir Student Financial Assistance Regulation (Alb.), ann. 1, al. 1(1)(f), et ann. 2, al. 1(1)(h) et (m) et par. 24(1); Règlement sur l’aide aux étudiants (Man.), art. 10, 11, 20 et 22; Student Financial Assistance Regulations (T.‑N.‑L.), al. 2(e) et (e.1); Direct Student Loan Regulations (N.‑É.), al. 2(f); Loi sur l’aide financière aux étudiants du postsecondaire, L.N.‑B. 2007, c. P‑9.315, art. 1 « étudiant admissible »; Subventions ontariennes d’études et prêts ontariens d’études, art. 9 et 24 à 27; Student Financial Assistance Act General Regulations (Î.‑P.‑É.), al. 1(h) et (j.1); Loi sur l’aide financière aux études (Qc), art. 9 et 32; The Saskatchewan Student Direct Loans Regulations, al. 2(1)(j); Règlement sur l’aide financière aux étudiants (Nun.), par. 1(1) « étudiant à temps complet » et « étudiant à temps partiel », et règlement modificatif intitulé Règlement sur l’aide financière aux étudiants — Modification, Règl. du Nun. 046‑2021; Colombie‑Britannique, Ministry of Post Secondary Education and Future Skills, StudentAid BC, Policy Manual 2024‑2025 (2024)).
- Principes d’interprétation des lois
- Les principes d’interprétation des lois pertinents sont bien connus. Conformément au principe moderne adopté par notre Cour, le tribunal examine les mots d’une loi [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 117).
- Suivant le principe moderne, le tribunal doit interpréter le libellé d’une disposition législative en se « fond[ant] sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10; R. c. Downes, 2023 CSC 6, par. 24). Néanmoins, le tribunal n’est pas tenu d’analyser le texte, le contexte et l’objet séparément ou en suivant une formule, car ces éléments sont souvent étroitement liés ou interdépendants (Bell ExpressVu, par. 31; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, par. 28).
- Le principe moderne reflète [traduction] « l’évolution sur plusieurs siècles de la common law en matière d’interprétation législative » (R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 2.01[4]; voir aussi S. Beaulac et P.‑A. Côté, « Driedger’s “Modern Principle” at the Supreme Court of Canada : Interpretation, Justification, Legitimization » (2006), 40 R.J.T. 131, p. 141‑142). Il reconnaît que l’interprétation législative « ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (Rizzo, par. 21), car [traduction] « les mots, comme les gens, prennent la couleur de leur environnement » (Bell ExpressVu, par. 27, citant J. Willis, « Statute Interpretation in a Nutshell » (1938), 16 R. du B. can. 1, p. 6). Comme l’a expliqué notre Cour, « [d]es mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte. La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle logiquement de la méthode moderne d’interprétation » (Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, par. 10; voir aussi R. c. Alex, 2017 CSC 37, [2017] 1 R.C.S. 967, par. 31; La Presse inc. c. Québec, 2023 CSC 22, par. 23).
- Il s’ensuit que « le sens ordinaire n’est pas en soi déterminant et qu’une entreprise d’interprétation législative demeure incomplète sans l’examen du contexte, de l’objet et des normes juridiques pertinentes » (Alex, par. 31; voir aussi La Presse, par. 23; Vavilov, par. 118). Parallèlement, « de la même manière que le texte doit être examiné au regard du contexte et de l’objet, l’objet d’une loi et celui d’une disposition doivent être examinés en gardant continuellement un œil attentif sur le texte de la loi, lequel demeure le point d’ancrage de l’opération d’interprétation » (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43, par. 24).
- L’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, appuie le recours au principe moderne dans l’interprétation de la législation fédérale, en précisant que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (voir Bell ExpressVu, par. 26).
- De nombreuses règles traditionnelles d’interprétation législative sont prises en compte dans l’application du principe moderne. Comme l’explique la professeure Sullivan :
[traduction] . . . les interprètes sont guidés par ce qu’on appelle les « règles » d’interprétation législative. Elles décrivent les éléments de preuve sur lesquels s’appuient les tribunaux et les techniques que ceux‑ci utilisent pour parvenir à un résultat juridiquement acceptable. Les règles associées à l’analyse textuelle, par exemple l’exclusion implicite ou la règle voulant que les mêmes termes aient le même sens, aident les interprètes à déterminer le sens du texte législatif. Les règles régissant l’utilisation des aides extrinsèques indiquent ce que les interprètes peuvent considérer, outre le texte, pour déterminer l’intention du législateur. L’interprétation stricte, l’interprétation libérale et les présomptions concernant l’intention du législateur aident les interprètes à inférer l’objet et à tester l’acceptabilité des résultats. [§ 2.01[4]]
- Si, au terme d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique effectuée suivant le principe moderne, il subsiste une véritable ambiguïté, en ce sens que deux interprétations tout aussi plausibles de la loi s’harmonisent avec l’intention du législateur, le tribunal peut recourir à des principes d’interprétation secondaires, y compris des présomptions résiduelles telles que l’interprétation stricte des lois pénales ou la présomption de conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (Bell ExpressVu, par. 29; La Presse, par. 24). Une disposition législative n’est pas « ambiguë » dans le sens requis simplement parce que différents tribunaux ou auteurs sont arrivés à des conclusions différentes au sujet de l’interprétation qu’il convient de lui donner (Bell ExpressVu, par. 30).
- En résumé, comme l’explique la professeure Sullivan, la principale directive en matière d’interprétation législative prévoit ce qui suit :
[traduction] . . . après avoir pris en compte toutes les considérations pertinentes et recevables [. . .] le tribunal doit adopter une interprétation qui est appropriée. Constitue une interprétation appropriée une interprétation qui peut se justifier en raison a) de sa plausibilité, c’est‐à‐dire qu’elle est conforme au texte législatif, b) de son efficacité, c’est‑à‑dire qu’elle favorise la réalisation de l’intention du législateur et c) de son acceptabilité, c’est‑à‑dire que le résultat obtenu est conforme aux normes juridiques admises; il s’agit d’une interprétation juste et raisonnable. [Note en bas de page omise; § 2.01[4].]
(Voir aussi Alex, par. 32, citant le passage tel qu’il figure dans Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), § 2.9.)
- Gardant ces principes à l’esprit, je vais maintenant considérer l’interprétation de l’al. 178(1)g) de la LFI.
- Quand un emprunteur cesse-t-il d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel visé à l’al. 178(1)g) de la LFI?
- La date à laquelle le failli cesse d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel visé à l’al. 178(1)g) est déterminée par la loi relative aux prêts étudiants applicable
- Je commence par me pencher sur la source qu’un tribunal doit examiner pour établir « la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, » visé à l’al. 178(1)g). Plusieurs indices textuels, y compris particulièrement la version française de l’al. 178(1)g), indiquent que cette date est déterminée par la loi fédérale, provinciale ou territoriale applicable en matière de prêts étudiants.
- Dans l’interprétation de l’al. 178(1)g), le tribunal doit, bien entendu, examiner les deux versions linguistiques officielles de la disposition. Il doit le faire parce que les versions française et anglaise des textes de loi fédéraux ont également force de loi (Loi constitutionnelle de 1867, art. 133; Charte, par. 18(1); Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.), art. 13; M. Bastarache et autres, Le droit de l’interprétation bilingue (2009), p. 16‑33). Il incombe aux tribunaux de lire les deux versions linguistiques officielles des textes de loi fédéraux pour décider si elles ont le même sens et, si ce n’est pas le cas, pour décider quelle version doit prévaloir (Sullivan, § 5.02[5]; P.‑A. Côté et M. Devinat, Interprétation des lois (5e éd. 2021), par. 1125). Comme il a été souligné : [traduction] « Les Canadiens lisent une seule version de la loi à leurs risques et périls » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 38, citant M. Bastarache et autres, The Law of Bilingual Interpretation (2008), p. 32).
- En conséquence, l’interprétation d’un texte de loi bilingue doit commencer par la recherche du sens commun entre les deux versions linguistiques officielles (R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, par. 26, citant R. c. Mac, 2002 CSC 24, [2002] 1 R.C.S. 856, par. 5). Le sens commun est généralement privilégié à moins que d’autres indices de l’intention du législateur ne tendent à indiquer qu’il est inapproprié (Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 25; Khosa, par. 38‑40).
- Le sens commun des versions française et anglaise de l’al. 178(1)g) indique que la disposition s’applique en fonction de la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant au regard de la loi fédérale, provinciale ou territoriale applicable.
- Les premiers mots de la version anglaise de l’al. 178(1)(g) indiquent que la disposition s’applique à « any debt or obligation in respect of a loan made under the Canada Student Loans Act, the Canada Student Financial Assistance Act or any enactment of a province that provides for loans or guarantees of loans to students »; la version française de l’al. 178(1)g) s’applique similairement à « toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants ».
- Toutefois, les textes français et anglais de l’al. 178(1)g) sont structurés différemment. Le texte anglais comporte deux sous‑alinéas, les sous‑al. 178(1)(g)(i) et (ii), alors que le texte français n’est constitué que d’un seul alinéa, l’al. 178(1)g). Dans la version anglaise, le sous‑al. 178(1)(g)(i) fait expressément référence à « the date on which the bankrupt ceased to be a full‑ or part‑time student, as the case may be, under the applicable Act or enactment », mais les mots soulignés sont absents du sous‑al. 178(1)(g)(ii). Dans la version française, les mots « au regard de la loi applicable », qui correspondent au passage anglais souligné, restreignent la portée de l’ensemble de l’al. 178(1)g).
- Dans la version anglaise de la loi, comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel du Québec, le sous‑al. 178(1)(g)(i) [traduction] « vise la situation où le débiteur est étudiant à la date de la faillite » (Bataille c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 169, par. 10). Une ordonnance de libération ne libère pas le failli de dettes ou obligations découlant de prêts étudiants s’il demeure un étudiant, au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable, à la date de la faillite.
- En ce qui concerne le sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise, bien que cette disposition ne fasse pas expressément référence au moment où le failli a cessé d’être un étudiant « under the applicable Act or enactment », la règle du sens commun confirme qu’il s’applique lui aussi par référence à la loi relative aux prêts étudiants applicable, tout comme les mots « au regard de la loi applicable » restreignent la portée de l’ensemble de l’al. 178(1)g) dans la version française.
- Lorsqu’une version d’une loi bilingue a un sens plus large que l’autre version, la version dont le sens est plus restreint reflète le sens commun (Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll-Byrne, 2022 CSC 48, par. 72, citant Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, par. 25, et Côté et Devinat, par. 1131; voir aussi Daoust, par. 29; Sullivan, § 5.03[6]). Dans le cas qui nous occupe, le texte français de l’al. 178(1)g) a un sens plus restreint que le texte anglais. La portée de l’ensemble du texte français est restreinte par les mots « au regard de la loi applicable », alors que dans le texte anglais seul le sous‑al. 178(1)(g)(i) est restreint par les mots « under the applicable Act or enactment », ce qui laisse ouverte la possibilité que la date énoncée au sous‑al. 178(1)(g)(ii) soit déterminée sur une autre base. Le sens plus restreint du texte français élimine cette possibilité et reflète en conséquence le sens commun.
- Le sens commun permet également d’interpréter l’al. 178(1)g) de façon harmonieuse avec le par. 178(1.1), la disposition sur les difficultés financières, en faisant en sorte que les deux dispositions s’appliquent en fonction de la même date : la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de loi relative aux prêts étudiants applicable (Mallory, par. 69). Le paragraphe 178(1.1) permet à un failli d’être libéré de dettes découlant de prêts étudiants cinq ans après qu’il « n’est plus un étudiant à temps plein ou à temps partiel [. . .] au regard de la loi applicable », même avant l’expiration du délai de sept ans prescrit par l’al. 178(1)g). Par conséquent, les sous‑al. 178(1)(g)(i) et 178(1)(g)(ii) de la version anglaise ainsi que le par. 178(1.1) doivent s’appliquer en fonction de la même date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable. L’appelante a concédé ce point pendant les plaidoiries (transcription, p. 4‑5 et 27).
- Avec égards, en omettant de considérer le texte français de l’al. 178(1)g) dans l’interprétation du sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise, la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a commis dans l’arrêt Collins une erreur en décidant que [traduction] « l’interprétation du [sous‑al. 178(1)(g)(ii)] ne dépend pas des définitions d’“étudiant à temps plein ou à temps partiel” des autres lois » (par. 10). Elle n’a pas non plus expliqué comment elle déterminerait la date visée au sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise. En revanche, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Mallory (par. 69‑70), la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Bataille (par. 10) et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans la décision faisant l’objet du présent pourvoi (par. 20 et 23) ont effectivement procédé à une interprétation bilingue et ont correctement interprété le sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise comme faisant référence à la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable.
- Bien que cette conclusion ne résolve pas à elle seule la question de savoir si l’al. 178(1)g) doit être interprété suivant l’approche de la date unique ou celle des dates multiples, une analyse textuelle, contextuelle et téléologique montre que l’approche de la date unique constitue la bonne interprétation.
- Le texte et le contexte de l’al. 178(1)g) appuient le recours à l’approche de la date unique
- Le texte et le contexte de l’al. 178(1)g) appuient le recours à l’approche de la date unique. Cette disposition pose simplement la question de savoir si le failli « a cessé d’être », ou n’est plus, un étudiant, à temps partiel ou à temps plein, au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable. Le moment auquel se pose cette question est « lorsque la faillite est survenue » (ou, pour l’application du par. 66.28(1), la date du dépôt de la proposition de consommateur) (Bataille, par. 10; voir aussi Mallory, par. 86). L’alinéa 178(1)g) ne pose pas la question de savoir si le failli a suivi des programmes d’études antérieurement ou s’il a eu besoin d’un prêt étudiant pour suivre le dernier programme d’études.
- Suivant l’al. 178(1)g), le tribunal doit donc déterminer d’abord si sept ans se sont écoulés entre, d’une part, « la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, » au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable, et, d’autre part, la date à laquelle « la faillite est survenue » (« the date [on which the] bankruptcy of the bankrupt occurred »).
- Pour ce qui est de la première date, tant le sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise que l’al. 178(1)g) de la version française utilisent à la fois le singulier et un déterminant défini « the » (« the date ») et « cette » (« cette date »). Cela tend à indiquer que cette disposition ne renvoie qu’à une seule date, et non à des dates multiples (Mallory, par. 67‑68; Damache, par. 27; N.P., par. 46). De plus, les mots « ceased » dans la version anglaise et « a cessé » dans la version française indiquent la finalité. Le sens ordinaire du mot anglais « ceased » est « has come to an end » (Oxford English Dictionary (en ligne)); le sens ordinaire du mot « cesser » est similaire, soit « [p]rendre fin, se terminer ou s’interrompre » (Le Petit Robert (nouvelle éd. 2025), p. 385).
- Si l’on remonte à la date de la faillite, comme l’exige l’al. 178(1)g), le statut d’étudiant du failli ne peut pas avoir « cessé » ou pris fin si ce dernier a par la suite repris le statut d’étudiant dans le cadre d’un programme d’études ultérieur; le statut prend fin seulement après le dernier programme d’études suivi avant la date de la faillite. Cela indique que l’approche de la date unique est la bonne interprétation de l’al. 178(1)g).
- Le texte français du par. 178(1.1) appuie lui aussi le recours à l’approche de la date unique à l’égard de l’al. 178(1)g) (Mallory, par. 69‑70). Le sens du texte français du par. 178(1.1) est plus restreint que celui du texte anglais, et reflète donc le sens commun. Le texte français du par. 178(1.1) précise que la disposition s’applique une fois que l’emprunteur « n’est plus un étudiant [. . .] depuis au moins cinq ans au regard de la loi applicable »; c’est‑à‑dire que l’emprunteur ne doit pas avoir été un étudiant au regard de la loi applicable pendant au moins les cinq années précédant la faillite. Les mots « n’est plus » signifient la finalité, et « depuis au moins » signifient depuis au moins les cinq années précédant la date de la faillite. Le libellé plus général du texte anglais du par. 178(1.1) emploie l’expression « ceases to be a full‑ or part‑time student », la même que celle utilisée au sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise. Mais étant donné que le sous‑al. 178(1)(g)(ii) et le par. 178(1.1) doivent nécessairement faire référence à la même date à laquelle l’emprunteur a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable, le sens commun du par. 178(1.1), basé sur le sens plus étroit du texte français, reflète lui aussi le sens du sous‑al. 178(1)(g)(ii) de la version anglaise, ce qui appuie le recours à l’approche de la date unique. Durant les plaidoiries, l’appelante a concédé que le texte français du par. 178(1.1) posait [traduction] « une difficulté lorsqu’il s’agit de défendre l’approche des dates multiples » (transcription, p. 28).
- L’appelante s’oppose néanmoins au recours à l’approche de la date unique en soulignant que les premiers mots de l’al. 178(1)g) font référence à « toute dette ou obligation découlant d’un prêt ». Elle soutient que l’utilisation des mots « un prêt », au singulier, milite en faveur de l’approche des dates multiples, en ce qu’elle implique que chaque prêt étudiant pour chaque programme d’études a sa propre période de sept ans. La Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador s’est appuyée sur ce même libellé pour justifier l’approche des dates multiples dans l’arrêt Collins (par. 11), comme l’ont fait les registraires en matière de faillite dans les décisions McNutt (par. 19), Goulding (par. 8 et 15‑16), Hildebrand (par. 30‑31) et Mortimer (par. 15 et 27).
- Je rejette cet argument pour trois raisons.
- Premièrement, l’approche des dates multiples fait abstraction du sens ordinaire des mots « dette » et « obligation » figurant à l’al. 178(1)g), lesquels peuvent englober des sommes dues à l’égard de prêts pour plus d’un programme d’études. Le mot anglais « debt » s’entend de [traduction] « [l]’ensemble des réclamations existantes à l’encontre d’une personne, d’une entité ou d’un État » (Black’s Law Dictionary (12e éd. 2024), p. 506), alors que le mot « obligation » s’entend d’une « entente ou reconnaissance formelle et contraignante portant sur la responsabilité de payer une certaine somme à une personne ou à un groupe de personnes données ou de faire une certaine chose pour une personne ou un groupe de personnes données; en particulier, une obligation résultant d’un contrat » (p. 1288; voir aussi Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les obligations (2003), p. 106 (« dette ») et 224‑225 (« obligation »)). De plus, comme il a été souligné, de nombreux régimes de prêts étudiants consolident plusieurs prêts étudiants en un seul prêt lorsque l’étudiant entame le remboursement. Étant donné que la date à laquelle un débiteur a cessé d’être un étudiant est déterminée par rapport à la date de la faillite, le débiteur a généralement un prêt consolidé à cette date.
- Deuxièmement, l’approche des dates multiples requiert l’ajout de mots au texte de l’al. 178(1)g) alors que l’approche de la date unique ne requiert pas un tel ajout, ce qui rend cette approche préférable (Wilson c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300, par. 27; Sullivan, § 7.02[2]; voir aussi Mallory, par. 66). L’approche des dates multiples importerait dans l’al. 178(1)g) les mots « relativement au prêt concerné », de sorte que la disposition serait rédigée ainsi : « avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, relativement au prêt concerné, [. . .] ou dans les sept ans suivant cette date ». Toutefois, il ressort de la simple lecture de l’al. 178(1)g) que celui‑ci s’applique sur la base du seul statut d’étudiant, indépendamment de la question de savoir si le débiteur avait contracté un prêt étudiant pour le plus récent programme d’études (N.P., par. 35‑36; Damache, par. 19‑23, 27 et 31).
- Contrairement au raisonnement que la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a suivi dans l’arrêt Collins (par. 9 et 18), l’approche de la date unique ne nécessite pas l’ajout du mot « définitivement » à l’al. 178(1)g). L’approche de la date unique requiert seulement que l’on donne aux mots « a cessé » leur sens ordinaire, dans le contexte, en remontant à la date de la faillite (Mallory, par. 68; N.P., par. 46).
- Troisièmement, comme il a été expliqué précédemment, l’approche des dates multiples ne reflète pas une interprétation contextuelle, bilingue et harmonieuse de l’al. 178(1)g) et du par. 178(1.1).
- L’approche de la date unique favorise la réalisation des objets ou objectifs de politique d’intérêt général de l’al. 178(1)g)
- Enfin, suivant une analyse téléologique de l’al. 178(1)g), l’approche de la date unique est préférable à l’approche des dates multiples.
- Les tribunaux font appel à un large éventail de sources pour déterminer l’objectif législatif, y compris l’énoncé explicite de l’objet de la loi le cas échéant; le texte, le contexte et l’économie de la loi; l’historique législatif du texte de loi et son évolution; et des éléments de preuve extrinsèques, par exemple les débats parlementaires (tout en demeurant conscients de leur fiabilité et de leur poids limités) (R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485, par. 31‑32; Rizzo, par. 35; Sullivan, § 9.03; Côté et Devinat, par. 1352‑1360).
- L’historique législatif et les débats parlementaires relatifs à l’al. 178(1)g) de la LFI montrent que cette disposition poursuit plusieurs objets ou objectifs de politique d’intérêt général qui s’appuient mutuellement : (1) réduire les pertes du gouvernement attribuables aux prêts étudiants en défaut dans le cadre de faillites; (2) assurer la viabilité des programmes de prêts étudiants pour les générations futures d’étudiants; et (3) donner aux emprunteurs la possibilité raisonnable sur une période continue de capitaliser sur l’ensemble de leurs études pour rembourser leurs prêts étudiants financés par l’État, et ainsi décourager les faillites opportunistes. L’approche de la date unique favorise davantage la réalisation de ces objectifs que l’approche des dates multiples, et reflète en conséquence davantage les objectifs de l’al. 178(1)g). De fait, l’approche des dates multiples entraîne une absurdité.
- L’historique législatif de l’al. 178(1)g) révèle plusieurs objets ou objectifs de politique d’intérêt général qui s’appuient mutuellement
- Avant 1997, la LFI traitait les dettes associées aux prêts étudiants comme les autres dettes de consommation, et libérait le failli de ses dettes d’études dans le cadre d’une faillite ou d’une proposition de consommateur, sauf si la cour refusait de le libérer ou si les créanciers refusaient d’accepter une proposition de consommateur (Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (2003) (« Rapport du Comité sénatorial permanent (2003) »), p. 56‑57).
- En septembre 1997, le Parlement a modifié la LFI et édicté une version antérieure de l’al. 178(1)g) qui avait pour effet que le débiteur ne pouvait être libéré de ses prêts étudiants gouvernementaux si la faillite survenait avant la date à laquelle le débiteur cessait d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi relative aux prêts étudiants fédérale ou provinciale applicable, ou dans les deux ans suivant cette date (Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1997, c. 12, par. 105(2)). Au même moment, le Parlement a édicté une version antérieure du par. 178(1.1), qui permettait au débiteur de demander, pour cause de difficultés financières, d’être libéré d’une dette découlant d’un prêt étudiant deux ans après avoir cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi relative aux prêts étudiants applicable (par. 105(3)).
- L’année suivante, en 1998, le Parlement a modifié l’al. 178(1)g) et le par. 178(1.1) en prolongeant à 10 ans tant la période d’inadmissibilité à la libération que la période pendant laquelle il n’était pas possible de présenter une demande de libération pour cause de difficultés financières (Loi d’exécution du budget de 1998, L.C. 1998, c. 21, par. 103(1) et (2)).
- Enfin, en 2005, le Parlement a adopté les versions actuelles de l’al. 178(1)g) et du par. 178(1.1), réduisant à sept ans la période d’inadmissibilité à la libération prescrite par l’al. 178(1)g) et à cinq ans la période pendant laquelle il n’est pas possible de présenter une demande de libération pour cause de difficultés financières en vertu du par. 178(1.1) (Loi édictant la Loi sur le Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et d’autres lois en conséquence, L.C. 2005, c. 47, par. 107(2) et (3)).
- Dès le départ, l’al. 178(1)g) a visé la réalisation de plusieurs objets ou objectifs de politique d’intérêt général connexes.
- Réduire les pertes subies par les gouvernements en raison des prêts étudiants en défaut
- Premièrement, l’al. 178(1)g) vise à réduire les pertes que subissent les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du fait que des faillis sont libérés de leurs prêts étudiants dans le cadre d’une faillite. L’alinéa 178(1)g) a été édicté précisément pour faire face à l’augmentation des prêts étudiants en défaut. Lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce en novembre 1996, M. David Tobin, directeur général de la Direction générale de la gestion intégrée du ministère de l’Industrie, a expliqué que « [s]elon certaines indications, le nombre d’étudiants qui ne remboursent pas leurs prêts a augmenté. Au cours des trois dernières années, le montant des prêts non remboursés est passé de 20 à 60 millions de dollars » (Témoignages, no 13, 2e sess., 35e lég., 4 novembre 1996, cité dans Mallory, par. 72; voir aussi le Rapport du Comité sénatorial permanent (2003), p. 55‑56).
- La Cour d’appel du Québec a également fait remarquer que « l’intention du législateur était de minimiser les pertes subies par les gouvernements en conséquence de la libération des débiteurs faillis de leurs dettes d’études » (Québec (Procureur général) c. Paulin, 2007 QCCA 1716, [2008] R.J.Q. 16, par. 76; voir aussi les par. 62, 65‑67 et 80‑81; N.P., par. 38; Damache, par. 28; Bataille, par. 10, note 10; Procureure générale du Québec c. Augustin, 2019 QCCQ 2399, par. 31; Bibliothèque du Parlement, p. 4‑11).
- Le traitement particulier qui est réservé par l’al. 178(1)g) aux prêts étudiants par rapport aux autres prêts repose sur un fondement de politique d’intérêt général reconnu, à savoir que les gouvernements octroient des prêts étudiants en fonction des besoins financiers des emprunteurs et sans tenir compte de leur capacité future à rembourser leur prêt. Pour reprendre les mots de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Paulin, « les gouvernements ne sont pas des créanciers comme les autres en ce sens que, contrairement aux institutions prêteuses, ils n’évaluent pas les risques en prêtant à un étudiant, qui a un droit strict d’obtenir un prêt s’il satisfait aux conditions prescrites » (par. 63).
- Comparativement à l’approche des dates multiples, l’approche de la date unique fait en sorte que les gouvernements subissent moins de pertes découlant de prêts étudiants en défaut dans le cadre de faillites, et de ce fait favorise davantage la réalisation de cet objet ou objectif de politique d’intérêt général de l’al. 178(1)g).
- Assurer la viabilité des programmes de prêts étudiants pour les générations futures
- Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, l’al. 178(1)g) contribue à assurer la viabilité des programmes de prêts étudiants pour les générations futures d’étudiants. Lors de la deuxième lecture du projet de loi C‑5 en 1996, qui a introduit la première version de l’al. 178(1)g), l’honorable Morris Bodnar, secrétaire parlementaire du ministre de l’Industrie, a expliqué que « [l]es étudiants qui ont reçu une aide financière des contribuables sont redevables à la société et aux futures générations d’étudiants, et il convient donc qu’ils remboursent les prêts qui leur ont été consentis » (Débats de la Chambre des communes, vol. 134, no 50, 2e sess., 35e lég., 27 mai 1996, p. 3032, cité dans Mallory, par. 71; voir aussi le Rapport du Comité sénatorial permanent (2003), p. 56‑57). L’alinéa 178(1)g) s’applique uniquement aux prêts étudiants financés par des fonds publics, et non à ceux financés par des fonds privés, ce qui renforce la conclusion selon laquelle cette disposition a pour but d’aider à préserver la viabilité des programmes gouvernementaux de prêts étudiants pour les générations futures.
- Dans la même veine, la Cour d’appel du Québec a indiqué, dans l’arrêt N.P., que l’al. 178(1)g) « fait en sorte que les gouvernements bénéficient d’une mesure d’exception en matière de libération de faillite, pour le recouvrement des dettes d’études, afin d’assurer la viabilité des programmes d’aide financière aux étudiants » (par. 40 (je souligne)).
- L’approche de la date unique contribue davantage que l’approche des dates multiples à assurer la viabilité des programmes de prêts étudiants pour les générations futures, et de ce fait favorise davantage la réalisation de cet objet ou objectif de politique d’intérêt général de l’al. 178(1)g).
- Accorder aux emprunteurs un délai raisonnable après la fin de leurs études pour capitaliser sur l’ensemble de leurs études, encourager le remboursement des prêts étudiants et décourager les faillites opportunistes
- Troisièmement, l’al. 178(1)g) accorde aux emprunteurs un délai raisonnable après la fin de leurs études pour leur permettre de capitaliser sur l’ensemble de celles‑ci et de rembourser leurs prêts étudiants. Il décourage aussi les faillites opportunistes. Comme l’a expliqué M. Tobin au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce :
Cette disposition [. . .] ferait en sorte que, si un étudiant déclare faillite dans les deux ans qui suivent la date à laquelle il a cessé d’être étudiant, il ne serait pas libéré de sa dette.
. . .
Nous proposons dans ce projet de loi qu’un étudiant ne puisse être libéré de [son prêt étudiant] avant deux ans. Si, à la fin de cette période, l’ancien étudiant, la personne qui a contracté le prêt, n’a toujours pas pu trouver un emploi et n’est pas encore en mesure de rembourser le prêt, il peut alors s’adresser à un tribunal et demander que le prêt soit libéré. Nous essayons d’éviter que des gens déclarent faillite tout simplement pour se débarrasser d’un prêt étudiant et trouvent ensuite un emploi. Si dans les deux ans, une personne est toujours en difficulté et n’a toujours pas trouvé d’emploi, il est alors légitime qu’elle puisse s’adresser à un tribunal pour demander d’être libérée de sa dette.
- Dans l’affaire Mallory, citant l’extrait ci‑dessus et des passages des motifs de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt N.P. (par. 44‑46), le tribunal a conclu que [traduction] « l’al. 178(1)g) a été adopté pour décourager les faillites opportunistes d’étudiants qui ont récemment terminé leurs études, mais n’ont pas eu suffisamment de temps pour capitaliser sur celles‑ci » (par. 72 et 74). Les juridictions inférieures ont convenu qu’il s’agissait de [traduction] « l’un des objectifs à l’origine de l’exception créée pour les prêts étudiants à l’art. 178 » (motifs du juge en chambre, par. 9; voir aussi les motifs de la C.A., par. 23). Je souscris à ses conclusions.
- L’alinéa 178(1)g) ne lie pas à des prêts étudiants précis la période d’inadmissibilité à la libération, mais au moment où l’emprunteur « a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel ». Cela reflète l’idée que l’éducation est un actif cumulatif dont la valeur économique croît généralement avec chaque année d’études. Chaque année d’études supplémentaire suppose un investissement additionnel dans le capital humain qui devrait idéalement accroître la capacité de l’emprunteur à rembourser ses prêts étudiants financés par l’État, peu importe le moment où ils lui ont été consentis. C’est le cas même si le programme d’études le plus récent n’a pas impliqué de prêt étudiant. Comme l’a expliqué l’honorable Jerry Pickard, secrétaire parlementaire du ministre de l’Industrie, lors de la deuxième lecture des modifications ayant mené à la version actuelle de l’al. 178(1)g) :
. . . chaque année d’études, en général, accroît énormément les revenus des étudiants. Puisque leur niveau de scolarité et leur capacité de faire leur entrée sur le marché du travail augmentent, leur potentiel de revenu est extrêmement élevé comparativement à celui de nombreux Canadiens qui n’ont pas l’occasion de faire des études.
. . .
. . . Les plus instruits peuvent faire des paiements plus élevés et rembourser leurs prêts étudiants.
(Débats de la Chambre des communes, vol. 140, no 128, 1re sess., 38e lég., 29 septembre 2005, p. 8201‑8202)
- L’alinéa 178(1)g) exige également que l’emprunteur s’efforce de façon continue de rembourser le prêt — idéalement en capitalisant sur ses études et en occupant des emplois rémunérateurs — immédiatement avant la date de la faillite. Cette exigence tient compte du fait que le développement de la stabilité économique nécessaire au remboursement des prêts étudiants prend souvent du temps. Comme il est indiqué dans le Rapport du Comité sénatorial permanent (2003), « l’insolvabilité des anciens étudiants pourrait n’être que temporaire; ils ont la capacité de rembourser leur prêt parce qu’ils auront un revenu supérieur à la moyenne plus tard » (p. 58).
- Les emprunteurs ont une obligation particulière de rembourser les prêts étudiants, en partie parce que ces prêts sont financés par des fonds publics et leur sont accordés sur la base de leurs besoins financiers plutôt qu’en fonction des considérations ordinaires en matière de prêts commerciaux. Comme a expliqué un auteur :
[traduction] Les prêts étudiants font partie d’une catégorie particulière de dettes; ce sont essentiellement des dettes qui sont dues à l’ensemble des contribuables du Canada. Les contribuables canadiens financent l’avancement des études de leurs concitoyens, ce que les tribunaux ont qualifié de dette particulière pour laquelle il existe une grande obligation morale de remboursement.
(J. R. Moses, « Student Loans — How the Bankruptcy Provisions Could Benefit from Additional Parliamentary Review », dans J. Corraini et D. B. Nixon, dir., Annual Review of Insolvency Law 2019 (2020), 25, p. 51‑52, citant Martin (Bankruptcy), Re, 1997 CanLII 773 (C.S. N.‑É.), cité dans Handspiker (Re), 2018 NSSC 333, par. 23.)
- Par conséquent, l’al. 178(1)g) exige que l’emprunteur ait cessé d’être étudiant pendant sept ans avant la date de la faillite — c’est‑à‑dire sept années complètes immédiatement avant la date de faillite et sans que l’emprunteur n’ait repris le statut d’étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable.
- Je ne peux donc souscrire au point de vue qu’a exprimé la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador dans l’arrêt Collins, selon lequel [traduction] « [r]ien dans l’art. 178 n’indique que le Parlement se préoccupait de la nature des activités que l’étudiant entreprenait durant les sept ans en question, y compris des études supplémentaires » (par. 13). En fait, le Parlement était extrêmement intéressé à ce que l’emprunteur capitalise sur ses études et rembourse ses prêts étudiants.
- L’approche de la date unique fait en sorte que les emprunteurs disposent d’un délai raisonnable après la fin de leurs études pour capitaliser sur l’ensemble de leurs études afin de rembourser leurs prêts étudiants et décourage davantage les faillites opportunistes que l’approche des dates multiples. L’approche de la date unique favorise donc davantage la réalisation de ces objets ou objectifs de politique d’intérêt général de l’al. 178(1)g) (voir N.P., par. 51; Mallory, par. 74‑75 et 85‑86).
- L’approche des dates multiples produit des conséquences absurdes
- L’application de l’approche des dates multiples à l’al. 178(1)g) produit également des conséquences absurdes. Dans certains cas, l’application de cette approche permettrait à des emprunteurs d’être libérés de leurs prêts étudiants avant même que le gouvernement n’ait eu quelque possibilité de recouvrer la dette découlant de ces prêts.
- Les tribunaux doivent interpréter la loi en appliquant la présomption selon laquelle le législateur n’entend pas produire de conséquences absurdes. L’interprétation d’une disposition législative produit des conséquences absurdes si, par exemple, elle contrecarre la réalisation de l’objet de la loi; crée des distinctions irrationnelles; entraîne des conséquences ridicules ou futiles; est extrêmement déraisonnable ou inéquitable; entraîne une incohérence, une contradiction, une anomalie ou des difficultés démesurées ou inutiles; compromet l’efficacité de l’administration de la justice; ou viole des normes juridiques établies telle la primauté du droit (Rizzo, par. 27; La Presse, par. 54; R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 73; Downes, par. 51; Sullivan, §§ 10.02‑10.03; Côté et Devinat, par. 1514‑1519).
- À l’instar de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt N.P., je suis d’avis que l’approche des dates multiples peut facilement entraîner des conséquences absurdes (par. 45). Par exemple, un emprunteur pourrait obtenir un premier diplôme financé par des prêts étudiants, interrompre brièvement ses études, les reprendre pendant sept années continues en vue d’obtenir un deuxième diplôme, déclarer faillite peu de temps après avoir obtenu son deuxième diplôme et être libéré des prêts associés à son premier diplôme — même s’il n’a déployé que peu ou pas d’efforts pour capitaliser sur ses études, et même si le gouvernement n’a pas eu quelque possibilité raisonnable de recouvrer sa créance. Une telle situation irait à l’encontre de l’objet de l’al. 178(1)g).
- Dans l’affaire Mallory, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a souscrit au raisonnement suivi par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt N.P., en faisant remarquer que l’approche des dates multiples [traduction] « ferait en sorte que toute interruption d’études, aussi courte soit‑elle, déclencherait le début de la période de sept ans prévue [à l’al. 178(1)g)] [. . .] contrecarrant ainsi l’objet de la disposition et l’intention visée par le Parlement en adoptant la loi » (par. 68 et 75). Je suis d’accord pour dire que le Parlement ne peut avoir voulu ce résultat absurde.
- Cette absurdité a motivé le refus par le registraire en matière de faillite, dans la décision de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick Cunningham (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 352, 397 R.N.‑B. (2e) 103, d’appliquer l’approche des dates multiples dans un cas où il n’y avait aucune séparation temporelle notable entre deux programmes d’études (par. 19‑21), même si les tribunaux de cette province appliquent généralement l’approche des dates multiples. L’absurdité aurait plutôt dû amener le tribunal à rejeter l’approche des dates multiples au motif qu’elle faisait fi de l’objet de l’al. 178(1)g).
- L’approche de la date unique est équitable pour les emprunteurs
- L’appelante et les intervenantes, l’Alliance canadienne des associations étudiantes et la Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals, font valoir que l’approche de la date unique est inéquitable pour les emprunteurs et provoque des conséquences absurdes du fait qu’elle entraîne des périodes d’inadmissibilité à la libération de beaucoup supérieures à sept ans. En l’espèce, par exemple, l’appelante a obtenu son diplôme de premier cycle en 1994, mais comme elle est retournée à l’université et n’a cessé d’être une étudiante qu’en 2009, l’application de l’approche de la date unique ferait en sorte qu’elle ne pourrait pas demander la libération de ses prêts étudiants suivant l’al. 178(1)g) avant 2016 — 22 ans après l’obtention de son premier diplôme. L’appelante et les intervenants affirment également que l’approche de la date unique décourage les emprunteurs de continuer de s’instruire et les incite plutôt à déclarer faillite avant de reprendre les études.
- Je ne suis pas de cet avis. Cet argument repose sur le principe erroné selon lequel un emprunteur dispose d’un droit acquis d’être libéré de ses prêts étudiants dans le cadre d’une faillite sept ans après avoir cessé d’être un étudiant relativement à un prêt étudiant pour un programme d’études donné, et selon lequel une période d’attente plus longue va à l’encontre de l’objet de l’al. 178(1)g). Comme il a été souligné précédemment, cette interprétation ne reflète pas une analyse textuelle, contextuelle et téléologique.
- Je ne souscris pas non plus à l’affirmation selon laquelle il est inéquitable ou absurde d’exiger d’un emprunteur effectuant un retour aux études qu’il capitalise sur ses études pendant une période de sept ans après avoir cessé d’être un étudiant, ce qui revient à « remettre le compteur à zéro » pour l’application de l’al. 178(1)g). L’argument d’iniquité fait abstraction des autres mesures législatives qui favorisent l’équité pour les personnes qui obtiennent des prêts étudiants.
- Par exemple, l’emprunteur qui retourne à l’école après des études antérieures financées au moyen de prêts étudiants bénéficie à nouveau d’une suspension de l’obligation de payer les intérêts ou le principal sur tous ses prêts étudiants, même s’il ne reçoit aucun autre prêt étudiant. Ces avantages incitent fortement à la poursuite des études. Une fois que l’emprunteur cesse d’être un étudiant, il peut présenter au besoin une demande d’exemption du paiement d’intérêts et d’aide au remboursement. Dans les cas où l’intéressé a agi de bonne foi et éprouve des difficultés financières, le Parlement a également prévu qu’un emprunteur peut demander, en vertu du par. 178(1.1), d’être libéré de sa dette découlant d’un prêt étudiant cinq ans après avoir cessé d’être un étudiant. Le paragraphe 178(1.1) est la seule disposition qui confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire pour les besoins de l’application du par. 178(1), et c’est l’un des moyens, en plus de l’exemption du paiement d’intérêts et de l’aide au remboursement, de répondre aux préoccupations liées aux difficultés financières. Collectivement, ces mesures démontrent comment le Parlement a choisi de mettre en équilibre les intérêts des débiteurs de prêts étudiants, des prêteurs gouvernementaux et des contribuables.
- Je reconnais également qu’il arrive parfois que des étudiants mettent fin à leur programme d’études avant de le terminer ou encore suivent des programmes d’études ou des cours qui offrent peu de perspectives de bénéfices financiers. Dans de tels cas, il peut être difficile pour les emprunteurs de capitaliser sur leurs études sous forme de revenus plus élevés. Dans les cas appropriés, des mesures telles que l’exemption du paiement d’intérêts, l’aide au remboursement et la mesure discrétionnaire prévue au par. 178(1.1) demeurent possibles pour aider les emprunteurs à gérer leur dette de prêt étudiant.
- Bien que l’appelante n’ait pas maintenu sa demande de libération pour cause de difficultés financières, elle a profité de toutes les autres mesures mentionnées — y compris l’exemption du paiement d’intérêts entre ses périodes d’études et l’aide au remboursement pendant plusieurs années après avoir cessé d’être une étudiante en 2009. Compte tenu de ces avantages importants, l’approche de la date unique n’est ni inéquitable ni absurde.
- La présomption résiduelle d’interprétation restrictive ne s’applique pas
- Étant donné que l’application appropriée du principe moderne d’interprétation mène à la conclusion que l’approche de la date unique s’applique et que l’al. 178(1)g) n’est pas ambigu (motifs de la C.A., par. 19), il n’est pas nécessaire d’appliquer la présomption résiduelle d’interprétation restrictive de l’al. 178(1)g) en tant qu’exception au principe du nouveau départ.
- En conséquence, je souscris à la conclusion du tribunal dans l’affaire Mallory selon laquelle, bien qu’il [traduction] « soit correct de dire que les exceptions [tel l’al. 178(1)g)] doivent être interprétées restrictivement [. . .], cela ne devrait être fait qu’en dernier recours et seulement si une interprétation contextuelle et téléologique ne permet pas de résoudre l’ambiguïté » (par. 81). Je souscris également à la conclusion de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt N.P. selon laquelle « l’interprétation doit d’abord se faire en fonction des principes généraux avant de faire appel aux règles d’exception, le cas échéant » (par. 42; voir aussi Paulin, par. 34‑37). Au même effet, notre Cour a récemment confirmé, dans l’arrêt Poonian, que la présomption résiduelle d’interprétation restrictive dans le contexte de la libération des faillis suivant le par. 178(1) « n’a pas préséance sur les autres principes d’interprétation statutaire qui appuient clairement un sens en particulier » (par. 35; voir aussi le par. 27).
- Par contraste, les tribunaux qui ont adopté l’approche des dates multiples ont commencé à tort leur processus d’interprétation en appliquant la présomption d’interprétation restrictive à l’al. 178(1)g), au lieu de l’appliquer à titre de présomption résiduelle uniquement si l’ambiguïté subsiste après l’application du principe moderne (voir Hildebrand, par. 34; Mortimer, par. 18; Collins, par. 17; St. Dennis, par. 18). Ces tribunaux ont également accordé une priorité indue au principe du nouveau départ comme objet général de la LFI, plutôt que d’examiner les objectifs précis de l’al. 178(1)g), lequel s’applique en tant qu’exception délibérée au principe du nouveau départ (voir MédiaQMI inc. c. Kamel, 2021 CSC 23, [2021] 1 R.C.S. 899, par. 39; Sullivan, § 9.02; M. Mancini, « The Purpose Error in the Modern Approach to Statutory Interpretation » (2022), 59 Alta. L. Rev. 919, p. 920‑922 et 926‑931). Comme l’a souligné notre Cour, « sans que cela doive être un facteur déterminant, l’objet prépondérant d’un régime législatif éclaire l’interprétation d’une disposition donnée de ce régime » (R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, [2019] 3 R.C.S. 838, par. 30 (en italique dans l’original)).
- La présomption résiduelle d’interprétation restrictive n’est donc aucunement pertinente dans l’interprétation de l’al. 178(1)g).
- Conclusion
- Il ressort d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique réalisée suivant le principe moderne que l’approche de la date unique reflète la bonne interprétation de l’al. 178(1)g).
- Le créancier d’un prêt étudiant a-t-il le fardeau de prouver sa réclamation avant qu’elle ne puisse être exécutée sur le fondement de l’al. 178(1)g) de la LFI?
- Enfin, l’appelante demande à notre Cour de conclure qu’un créancier qui s’appuie sur l’al. 178(1)g) après qu’un tribunal a approuvé une proposition de consommateur a le fardeau d’obtenir une décision judiciaire concernant sa réclamation avant que celle‑ci ne puisse être exécutée. L’appelante n’a pas soulevé cette question devant les juridictions inférieures.
- L’intimé soutient que notre Cour ne doit pas se pencher sur cette nouvelle question juridique, mais, quoi qu’il en soit, affirme qu’aucune autre décision judiciaire n’est nécessaire pour que soient exécutées les réclamations au titre de dettes découlant de prêts étudiants. L’intimé soutient en outre que la preuve qu’il a présentée à la Cour satisfait amplement à tout fardeau de preuve qui pourrait lui incomber à l’égard de sa réclamation.
- Notre Cour a le pouvoir discrétionnaire d’entendre et de décider de nouvelles questions de droit en appel dans des circonstances appropriées. La Cour n’exerce pas ce pouvoir discrétionnaire couramment ou à la légère; le critère à respecter est strict (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, par. 21‑22; John Howard Society of Saskatchewan c. Saskatchewan (Procureur général), 2025 CSC 6, par. 22). Comme l’a déclaré notre Cour, « [i]l est loisible à la Cour, dans le cadre d’un pourvoi, d’examiner une nouvelle question de droit dans les cas où elle peut le faire sans qu’il en résulte de préjudice d’ordre procédural pour la partie adverse et où son refus de le faire risquerait d’entraîner une injustice » (Guindon, par. 22, citant Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678, par. 33).
- En l’espèce, je suis d’avis d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour entendre et décider la nouvelle question soulevée par l’appelante. Il s’agit d’une pure question de droit qui a été pleinement débattue devant notre Cour. Le fait de ne pas décider cette question risquerait de causer une injustice, car il laisserait en suspens ce que l’appelante qualifie de question juridique essentielle concernant le statut de ses prêts étudiants, qui sont maintenant devant les tribunaux depuis plusieurs années.
- Je rejetterais toutefois l’argument de l’appelante sur le fond. Comme l’a déclaré la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt N.P., l’al. 178(1)g) s’applique en droit aux dettes découlant de prêts étudiants (par. 53, citant St-Pierre c. Québec (Ministère de l’Éducation), [2002] R.J.Q. 205 (C.S.), et Fontaine c. Québec (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport), 2009 QCCS 1482). Le paragraphe 178(1) indique clairement qu’« [u]ne ordonnance de libération ne libère pas le failli » de toute dette ou obligation découlant de prêts étudiants tant que le failli n’a pas cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, pendant sept ans à compter de la date à laquelle la faillite est survenue. Les réclamations relatives aux prêts étudiants sont facilement établies sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une décision judiciaire distincte. Outre la présentation d’une preuve de réclamation, le créancier d’un prêt étudiant n’a pas besoin de prendre d’autres mesures pour protéger sa réclamation.
- L’appelante a tort de se fonder sur l’arrêt de notre Cour Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc., 2021 CSC 53, [2021] 3 R.C.S. 736. Cette affaire concernait le fardeau qui incombait au créancier de prouver que sa réclamation se rapportait à une dette résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse de faits aux termes de l’al. 19(2)d) de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36, lequel était analogue à tous égards à l’al. 178(1)e) de la LFI (par. 24‑25; voir aussi Poonian, par. 67). Les allégations de fraude contestées sont souvent complexes et intrinsèquement factuelles, et requièrent donc une décision judiciaire distincte. Par contraste, les dettes découlant de prêts étudiants sont d’origine législative, sont faciles à établir et ne soulèvent pas les mêmes problèmes de preuve.
- Cette conclusion est confirmée par des lignes directrices à l’intention du public publiées par le Bureau du surintendant des faillites, selon lesquelles aucune ordonnance du tribunal distincte n’est requise relativement à une dette découlant d’un prêt étudiant qui relève du champ d’application de l’al. 178(1)g), même si une telle ordonnance peut être nécessaire à l’égard d’autres dettes prévues à l’art. 178 :
. . . si moins de sept ans se sont écoulés depuis la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant à temps plein ou à temps partiel lorsque la faillite est déclarée, alors la dette découlant du prêt étudiant entre dans la catégorie des dettes visées à l’alinéa 178(1)(g) de la LFI, et le failli ne sera pas libéré de cette dette par une ordonnance de libération. Aucune autre ordonnance du tribunal n’est nécessaire relativement à ces dettes. Pareillement, toute ordonnance du tribunal obtenue avant la faillite qui énonce de façon concluante qu’une dette est l’une visée à l’article 178 de la LFI, ne requiert aucune autre ordonnance du tribunal après la libération du syndic.
En ce qui concerne toutes les autres dettes dont on allègue qu’elles sont visées par l’article 178 de la LFI, une décision du tribunal constitue le seul moyen concluant de confirmer que la dette n’est pas libérable. Il incombe au créancier de prouver que sa réclamation relève du paragraphe 178(1) de la LFI. [Je souligne.]
(Recouvrement d’une dette visée par l’article 178, 23 juillet 2010 (en ligne))
- De plus, en l’espèce, l’appelante a reconnu ses dettes découlant de prêts étudiants et a produit des éléments de preuve concernant les sommes dues dans sa proposition de consommateur et sa demande de libération.
- Je suis donc d’avis de rejeter l’argument de l’appelante selon lequel le créancier d’un prêt étudiant doit obtenir une décision judiciaire distincte relativement à sa réclamation avant que celle‑ci ne puisse être exécutée sur le fondement de l’al. 178(1)g) de la LFI.
- Dispositif
- Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Comme l’intimé ne sollicite pas de dépens, je ne rendrais aucune ordonnance concernant les dépens.
Version française des motifs des juges Karakatsanis, Martin et Moreau rendus par
La juge Karakatsanis —
- Introduction
- Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à déterminer la bonne interprétation d’une disposition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (LFI). La disposition, l’al. 178(1)g), régit la libération des faillis en ce qui a trait à leurs prêts étudiants en cas de faillite (ou de proposition de consommateur) sous le régime de la LFI. Je diverge d’opinion avec mon collègue le juge Jamal quant à l’interprétation qu’il convient de donner de cet alinéa et à son application.
- L’alinéa 178(1)g) dispose : « Une ordonnance de libération ne libère pas le failli [. . .] de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre [d’une loi fédérale ou provinciale relative aux prêts aux étudiants] lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel [. . .] ou dans les sept ans suivant cette date ».
- Les tribunaux du pays ont adopté l’une de deux interprétations divergentes de la disposition. Les tribunaux de la Colombie‑Britannique et du Québec préfèrent l’approche de la « date unique » (voir, p. ex., Mallory, Re, 2015 BCSC 5, 19 C.B.R. (6th) 195; Québec (Procureur général) c. N.P., 2011 QCCA 726, [2011] R.J.Q. 730), alors que les tribunaux de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, de la Nouvelle‑Écosse, du Nouveau‑Brunswick, de l’Ontario et de la Saskatchewan ont adopté l’approche des « dates multiples » (voir, p. ex., Canada (Attorney General) c. Collins, 2013 NLCA 17, 334 Nfld. & P.E.I.R. 318; McNutt (Bankrupt), Re, 2008 NSSC 166, 266 N.S.R. (2d) 180; Mortimer (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 109, 386 R.N.‑B. (2e) 195; St. Dennis c. Ontario (Ministry of Training, Colleges & Universities), 2017 ONSC 2417, 48 C.B.R. (6th) 122; Hildebrand (Bankrupt), Re, 2010 SKQB 321, 360 Sask. R. 128).
- Mon collègue souscrit à l’arrêt de la Cour d’appel en l’espèce et adopte l’« approche de la date unique », suivant laquelle une personne cesse d’être un étudiant à la date la plus récente où elle a été un étudiant pour la dernière fois. Conformément à cette approche, le délai de sept ans prévu par la disposition recommence à courir chaque fois qu’une personne devient un étudiant (motifs majoritaires, par. 66 et 94; Mallory, par. 68‑70; N.P., par. 46). Cela signifie qu’un retour aux études « repart » le compteur — si un débiteur contracte des prêts étudiants, puis arrête d’étudier, mais retourne à l’école plus de sept ans après, il ne pourrait être libéré de son prêt étudiant initial que sept ans après sa deuxième période d’études (motifs majoritaires, par. 66 et 102‑107; voir aussi N.P., par. 46). Cette interprétation peut mener à des résultats absurdes : une personne qui n’a pas été aux études pendant une période beaucoup plus longue que les sept ans requis ne peut pas être libérée de ces prêts si elle vient juste de commencer un autre programme d’études postsecondaires.
- L’appelante exhorte notre Cour à adopter l’autre interprétation, en l’occurrence l’« approche des dates multiples », suivant laquelle le délai de sept ans commence à courir lorsqu’une personne perd le statut d’étudiant relativement à la période d’études pour laquelle ses prêts étudiants ont été contractés (voir, p. ex., Collins, par. 22; Hildebrand, par. 31; Mortimer, par. 28). Si une personne contracte des prêts étudiants pendant qu’elle étudie en vue d’obtenir un diplôme, la période de sept ans débute quand le débiteur cesse de détenir le statut d’étudiant en lien avec ces prêts. Toutefois, un retour subséquent aux études ne repart pas le compteur — ni ne l’interrompt — et le délai continuera de courir pendant un retour aux études (voir, p. ex., McNutt, par. 21; St. Dennis, par. 2‑4, 6 et 23; Collins, par. 22). Cette interprétation peut elle aussi mener à des résultats absurdes : parce que même une brève interruption entre deux diplômes peut signifier que sept ans s’écouleront pendant que le failli demeure un étudiant sans véritable possibilité de rembourser le prêt.
- À mon avis, ni l’approche de la date unique ni celle des dates multiples ne représentent la bonne interprétation de l’al. 178(1)g) de la LFI. J’arrive plutôt à la conclusion que la bonne interprétation est celle qui concilie le texte de la disposition à la fois avec l’objet de celle‑ci — qui requiert qu’une personne ait une véritable possibilité de rembourser le prêt après qu’elle a cessé d’être un étudiant — et avec l’objectif de réhabilitation de la LFI. Cette interprétation reflète des éléments tant de l’approche de la date unique que de celle des dates multiples et permet d’éviter les résultats les plus absurdes de ces deux approches.
- Selon la méthode moderne d’interprétation, les mots de la disposition doivent être interprétés en harmonie avec le contexte législatif plus large, ainsi qu’avec les objets de la disposition et les objectifs plus larges de la LFI. Je fais mienne la conclusion du juge Jamal selon laquelle les définitions figurant dans les lois sur les prêts étudiants régissent la détermination du statut d’étudiant pour l’application de l’al. 178(1)g). Je suis également d’accord pour dire que l’al. 178(1)g) et le par. 178(1.1) doivent s’appliquer en fonction de la même date. Cependant, comme il le fait observer, cela ne résout pas entièrement la question de l’interprétation de la manière dont l’article opère.
- Les mots suivants de la disposition, à savoir « toute dette [. . .] découlant d’un prêt » et « dans les sept ans suivant » la date à laquelle une personne « a cessé d’être un étudiant », doivent être lus ensemble. La mention concernant les lois fédérales et provinciales relatives aux prêts étudiants éclaire non seulement sur le moment où une personne est « un étudiant », mais aussi sur le sens de l’expression « un prêt ». Lus ensemble, en contexte, ces mots indiquent que le Parlement entendait que l’al. 178(1)g) ait un caractère prospectif, pour faire en sorte qu’une personne ne soit pas libérée de toute dette découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre d’une loi sur les prêts étudiants dans les sept ans suivant la date à laquelle elle a cessé d’être un étudiant. De cette manière, cette personne a la possibilité de rembourser ses prêts étudiants financés par les fonds publics. Je conclus que la disposition agit à titre d’interdiction législative conditionnelle empêchant de libérer le failli d’une dette découlant d’un prêt étudiant en souffrance lorsque ce failli a cessé d’être un étudiant. Cette condition est remplie lorsque la faillite ne survient pas dans les sept ans suivant la date de la fin des études du failli, même si ce dernier acquiert de nouveau par la suite le statut d’étudiant. Cependant, lorsque la personne redevient un étudiant avant que la période de sept ans ne soit écoulée, la disposition exige que nous appliquions une approche prospective et recommencions à compter lorsqu’elle cesse de nouveau d’être un étudiant. Dans un tel cas, la personne serait tenue d’attendre sept années complètes avant de pouvoir être libérée de ses prêts étudiants.
- En l’espèce, le dossier indique que l’appelante avait satisfait aux conditions de la disposition seulement une fois avant le dépôt de sa proposition de consommateur. Comme le souligne mon collègue, l’appelante a suivi de multiples programmes d’études postsecondaires, premièrement de 1987 à 1994, puis de 1994 à 1995, et ensuite à deux reprises, de 2002 à 2003, et de 2006 à 2009. L’appelante a financé elle‑même sa dernière période d’études. Il appert du dossier qu’elle a terminé ses études en avril 1995, et qu’elle est retournée aux études en septembre 2002, soit un intervalle de plus de sept ans. Par conséquent, l’appelante devrait obligatoirement être libérée des prêts étudiants qu’elle avait contractés avant septembre 2002.
- J’accueillerais le pourvoi en partie et je déclarerais que l’al. 178(1)g) n’interdit pas que l’appelante soit libérée des prêts étudiants qu’elle a contractés avant d’avoir cessé d’être une étudiante en avril 1995.
- Je souscris au dispositif du juge Jamal en ce qui concerne la seconde question soulevée par l’appelante : un créancier qui s’appuie sur l’al. 178(1)g) n’a pas le fardeau d’obtenir une décision judiciaire distincte concernant sa réclamation avant que celle-ci ne puisse être exécutée en vertu de la LFI.
- Analyse
- Le présent pourvoi porte sur une question d’interprétation législative. Suivant la méthode moderne d’interprétation législative, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 2.01).
- L’alinéa 178(1)g), la disposition au cœur du présent pourvoi, est rédigé ainsi :
178 (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :
. . .
g) de toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable, ou dans les sept ans suivant cette date;
178 (1) An order of discharge does not release the bankrupt from
. . .
(g) any debt or obligation in respect of a loan made under the Canada Student Loans Act, the Canada Student Financial Assistance Act or any enactment of a province that provides for loans or guarantees of loans to students where the date of bankruptcy of the bankrupt occurred
(i) before the date on which the bankrupt ceased to be a full‑ or part‑time student, as the case may be, under the applicable Act or enactment, or
(ii) within seven years after the date on which the bankrupt ceased to be a full‑ or part‑time student;
- Le paragraphe 178(1.1) est lui aussi pertinent relativement à l’économie de la disposition :
(1.1) Lorsque le failli qui a une dette visée aux alinéas (1)g) ou g.1) n’est plus un étudiant à temps plein ou à temps partiel ou un apprenti admissible, selon le cas, depuis au moins cinq ans au regard de la loi applicable, le tribunal peut, sur demande, ordonner que la dette soit soustraite à l’application du paragraphe (1) s’il est convaincu que le failli a agi de bonne foi relativement à ses obligations découlant de cette dette et qu’il a et continuera à avoir des difficultés financières telles qu’il ne pourra pas acquitter celle‑ci.
(1.1) At any time after five years after the day on which a bankrupt who has a debt referred to in paragraph (1)(g) or (g.1) ceases to be a full‑ or part‑time student or an eligible apprentice, as the case may be, under the applicable Act or enactment, the court may, on application, order that subsection (1) does not apply to the debt if the court is satisfied that
(a) the bankrupt has acted in good faith in connection with the bankrupt’s liabilities under the debt; and
(b) the bankrupt has and will continue to experience financial difficulty to such an extent that the bankrupt will be unable to pay the debt.
- Je fais miennes les conclusions de mon collègue concernant les objectifs qui animent l’al. 178(1)g) (voir les par. 5 et 76). Par l’édiction de l’al. 178(1)g), le Parlement entendait réduire les pertes gouvernementales découlant des défauts de remboursement des prêts étudiants, assurer la viabilité du programme de prêts et offrir aux étudiants qui cessent d’étudier une occasion de rembourser leurs prêts étudiants financés par des fonds publics avant de déclarer faillite et d’obtenir une libération de leur dette d’études. Toutefois, je suis d’avis qu’il faut examiner l’objet de la disposition dans le contexte de l’objectif général de réhabilitation qui anime la LFI.
- La LFI vise deux objectifs principaux : le partage ordonné et équitable des biens du failli entre ses créanciers et la promotion de la réhabilitation financière du failli (Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 32). Ce second objectif est pertinent pour les besoins du présent pourvoi. Dans le cadre de la LFI, la réhabilitation financière du failli est réalisée lorsque celui‑ci est libéré de ses dettes en souffrance par suite de l’application du par. 178(2) de la Loi (Moloney, par. 36; Poonian c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28, par. 21). Cela a été décrit comme [traduction] un « objectif fondamental » et « [u]n des objectifs principaux » de la LFI, objectif qui « vise à permettre à un failli, au terme d’une période donnée, d’être entièrement libéré de toutes ses dettes, afin d’être en mesure d’intégrer la vie économique du pays en tant que citoyen utile soulagé de l’écrasant fardeau de l’endettement » (L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. rév. (feuilles mobiles)), § 1:4 et 7:69).
- La règle générale prévoyant la libération du failli est cependant assortie d’une réserve établie au par. 178(1), qui énumère certaines dettes dont le failli ne peut être libéré par l’ordonnance de libération (Poonian, par. 22). Cette disposition est [traduction] « fondé[e] sur une politique sociale d’intérêt général selon laquelle certaines réclamations devraient être soustraites à la libération générale obtenue par un failli » (Houlden, Morawetz et Sarra, § 7:185). Parmi les dettes énumérées au par. 178(1), mentionnons les suivantes : les amendes, les pénalités ou ordonnances similaires infligées ou rendues par un tribunal en matière pénale; les dettes ou obligations aux termes de la décision d’un tribunal en matière d’aliments au profit d’un époux, d’un ex‑époux, d’un ancien conjoint de fait ou d’un enfant; et les dettes ou obligations résultant de l’obtention de biens ou de services par de faux‑semblants ou la présentation frauduleuse des faits (al. 178(1)a), c) et e)). Les dettes découlant de prêts étudiants relèvent également du champ d’application de cette disposition. Toutefois, l’al. 178(1)g) se distingue des autres exceptions énoncées dans cette disposition en ce qu’il agit uniquement à titre d’interdiction temporaire empêchant une personne d’être libérée de ses prêts étudiants.
- La première mouture de l’al. 178(1)g) de la LFI a été édictée en 1997. L’inadmissibilité à la libération visant les prêts étudiants ne durait que deux ans, et la même période d’inadmissibilité s’appliquait à la présentation de demandes de libération pour cause de difficultés financières en vertu du par. 178(1.1) (Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1997, c. 12, art. 105). L’édiction de l’al. 178(1)g) était motivée par le désir de favoriser le remboursement des prêts étudiants financés par les contribuables. Comme l’a expliqué à la Chambre des communes le secrétaire parlementaire du ministre de l’Industrie, ministre de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique et ministre de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien, « [l]’objet du projet de loi et de l’amendement est d’empêcher les étudiants de faire faillite, d’effacer leurs dettes quand ils viennent à peine de finir leurs études et qu’ils n’ont pas commencé à travailler » (Débats de la Chambre des communes, vol. 134, no 148, 2e sess., 35e lég., 20 mars 1997, p. 9294).
- En 1998, l’al. 178(1)g) a été modifié, haussant à 10 ans la période pendant laquelle un failli ne pouvait pas être libéré de ses prêts étudiants (Loi d’exécution du budget de 1998, L.C. 1998, c. 21, par. 103(1)). La même modification a été apportée au par. 178(1.1) (Loi d’exécution du budget de 1998, par. 103(2)). En 2005, les dispositions ont été à nouveau modifiées, réduisant à 7 ans la période prescrite à l’al. 178(1)g), et modifiant de 10 à 5 le nombre d’années prévu au par. 178(1.1) (Loi édictant la Loi sur le Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et d’autres lois en conséquence, L.C. 2005, c. 47, par. 107(2) et (3)).
- En édictant et en modifiant successivement l’al. 178(1)g), le Parlement cherchait à mettre en équilibre le principe du nouveau départ qui sous‑tend la LFI ainsi que l’objectif de celle-ci qui consiste à favoriser au moyen de l’al. 178(1)g) le remboursement des prêts étudiants financés par des fonds publics.
- La Cour a déclaré que les dettes soustraites à la libération par le par. 178(1) « montrent que le législateur a essayé de concilier l’objectif de réhabilitation financière avec d’autres objectifs de politique générale » (Moloney, par. 37). La jurisprudence de notre Cour a mis l’accent sur le fait que les exceptions énumérées au par. 178(1) doivent être interprétées d’une manière qui tient compte de l’importance de l’objectif de réhabilitation de la LFI. Comme l’a expliqué le juge Gascon dans l’arrêt Moloney :
Pour favoriser la réhabilitation financière du failli, le législateur a expressément sélectionné les dettes qui survivent à la faillite et celles dont le failli est libéré [. . .] À cette fin, il a tenu compte de divers objectifs de politique générale, parfois opposés. Il s’agit d’un exercice délicat, car plus le nombre des réclamations qui survivent à la faillite est élevé, plus il devient difficile pour le débiteur de se réhabiliter . . . [par. 79]
(Voir aussi Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605, par. 19.)
En raison de cet effort de conciliation d’objectifs opposés, la Cour a jugé dans Poonian que « [l]es exceptions prévues aux al. 178(1)a) à h) doivent être interprétées restrictivement et s’appliquer seulement dans les cas manifestes » (par. 26).
- En conséquence, les objectifs de portée générale de la LFI et les objectifs de portée individuelle de l’al. 178(1)g) doivent être examinés dans l’interprétation de la disposition. L’objet de la disposition particulière doit être considéré dans le contexte de l’objectif plus large de la LFI. De plus, l’interprétation de la disposition doit refléter la conciliation de ces objectifs par le Parlement, et viser à donner effet à tous ces objectifs.
- Sur cette toile de fond, je vais maintenant me pencher sur le libellé et la structure de la disposition.
- Je suis d’accord avec le juge Jamal pour dire que les versions française et anglaise de l’al. 178(1)g), ainsi que le libellé clair du par. 178(1.1), doivent guider l’interprétation de la disposition (voir les par. 52‑53 et 60). Je conviens également que les définitions du mot « étudiant » dans les régimes législatifs fédéral et provinciaux pertinents déterminent le statut d’étudiant pour l’application de l’al. 178(1)g) et du par. 178(1.1) (voir les par. 54‑60).
- Je reconnais que, dans certaines circonstances précises, le recours aux définitions d’étudiant à temps plein ou à temps partiel pourrait entraîner des résultats potentiellement inéquitables. Par exemple, les définitions d’étudiant à temps plein et d’étudiant à temps partiel dans le règlement de l’Alberta intitulé Student Financial Assistance Regulation, Alta. Reg. 298/2002, ne sont pas liées au gel de l’accumulation des intérêts et des obligations de remboursement offert aux étudiants par la loi, gel qui dépend plutôt de la présentation par l’étudiant au ministre d’une preuve d’inscription (voir ann. 2, al. 1(1)(h), (m) et (o), 24(1)(c) et art. 32). En outre, suivant les lois fédérales, l’inscription à des études à temps partiel ne permet pas à un étudiant à temps partiel de bénéficier du gel du remboursement des prêts dont peuvent bénéficier les étudiants à temps plein, même lorsqu’une confirmation d’inscription est présentée (voir le Règlement fédéral sur l’aide financière aux étudiants, DORS/95‑329 (RFAFE), art. 11.1). Le statut d’étudiant à temps partiel peut donc interrompre la période de sept ans même si l’étudiant travaille à temps plein et rembourse ses prêts. Cependant, ces anomalies sont la conséquence de la décision de politique d’intérêt général du Parlement selon laquelle, pour ce qui est de la libération d’un failli en ce qui concerne ses prêts étudiants, le statut d’étudiant doit être déterminé par la loi au titre de laquelle ces prêts ont été accordés. Lorsque le libellé d’une loi est clair, il faut donner effet à l’intention du Parlement même si cela pourrait créer une injustice (R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 34‑35).
- Néanmoins, à l’instar de mon collègue, je conclus que le fait de décider comment le statut d’étudiant doit être déterminé pour l’application de l’al. 178(1)g) ne résout pas la question de savoir comment le Parlement voulait que cette disposition régisse l’octroi aux faillis d’une libération à l’égard de leurs prêts étudiants (par. 62). L’analyse de la manière dont agit l’al. 178(1)g) requiert une interprétation téléologique : un examen de la structure et du texte de la disposition en harmonie avec les objectifs de la Loi ainsi qu’avec ceux de la disposition. Je vais maintenant me pencher sur cette question.
- Les mots utilisés par le Parlement à l’al. 178(1)g) doivent être lus ensemble et dans leur contexte global. Les mots suivants de la disposition, à savoir « toute dette [. . .] découlant d’un prêt » et « dans les sept ans suivant » la date à laquelle une personne « a cessé d’être un étudiant », doivent être lus ensemble. La mention concernant les lois fédérales et provinciales relatives aux prêts étudiants éclaire non seulement sur le moment où une personne est un étudiant, mais aussi sur le sens de l’expression « un prêt » lorsqu’une personne « a cessé » d’être un étudiant.
- Suivant le RFAFE, qui régit les prêts étudiants consentis à compter du 1er août 1995, le statut d’étudiant et les prêts étudiants sont définis en fonction d’une période d’études pour un programme d’études en particulier. Le RFAFE définit un étudiant à temps partiel comme étant une personne « qui, durant une période confirmée d’une période d’études, est inscrite à des cours » et un étudiant à temps plein comme étant une personne qui satisfait notamment au critère suivant, à savoir « être inscrit, durant une période confirmée d’une période d’études, à des cours » (par. 2(1)). Quant à la « période d’études », elle est définie comme étant la « [p]ériode que l’établissement [. . .] reconnaît comme une année scolaire normale pour le programme d’études auquel l’étudiant admissible ou l’emprunteur est inscrit » (par. 2(1)). Enfin, le terme « programme d’études » s’entend du « [n]ombre de périodes d’études que l’établissement agréé reconnaît comme nécessaire pour l’obtention d’un diplôme ou d’un certificat » (par. 2(1)). La Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, L.R.C. 1985, c. S‑23 (LFPE), qui régit les prêts étudiants consentis avant le 1er août 1995, définit de manière similaire une « période d’études » comme étant une portion d’un « programme d’études » (LFPE, par. 2(1)).
- Ces définitions régissent la manière dont le statut d’étudiant est déterminé, le moment où les prêts sont obtenus et le moment où les obligations de remboursement surviennent. Par exemple, dans les lois fédérales, les prêts sont consentis pour des périodes d’études confirmées d’un étudiant (voir RFAFE, art. 5, 12 et 12.1; LFPE, art. 3). De plus, une personne cesse d’être étudiant le « dernier jour de la dernière période confirmée » (voir RFAFE, al. 8(1)a) et 12.3a); Règlement fédéral sur les prêts aux étudiants, DORS/93‑392 (RFPE), al. 4.1(1)a)). La perte du statut d’étudiant déclenche le remboursement des prêts étudiants (voir RFAFE, art. 11.1 et 12.6; RFPE, art. 11).
- Bon nombre de régimes législatifs provinciaux en matière de prêts étudiants sont structurés de façon similaire, étant axés sur des « programmes d’études » dans des établissements d’enseignement. Par exemple, dans le Student Financial Assistance Regulation de l’Alberta, le terme [traduction] « étudiant à temps plein » est défini comme étant une personne qui est inscrite à un certain pourcentage d’un « programme d’études à temps plein », et le terme « programme d’études » comme étant une « combinaison de cours » considérés nécessaires pour obtenir un diplôme ou un certificat (ann. 2, al. 1(1)(h) et (o))[2].
- En conséquence, l’expression « un prêt » dans la législation sur les prêts pertinente est comprise de façon large comme signifiant un prêt étudiant consenti à un étudiant pendant qu’il est inscrit dans une période d’études et qu’il travaille à la réussite d’un programme d’études. Comme le statut d’étudiant régit pour sa part la manière dont les prêts sont distribués en vertu de la législation, les prêts étudiants doivent eux aussi être considérés par référence à une période d’études ou à un programme d’études. Ce contexte législatif établit que l’al. 178(1)g) s’applique aux prêts étudiants au fur et à mesure qu’un étudiant les accumule pendant qu’il est inscrit à des cours dans un programme d’études, plutôt qu’à une dette d’études individuelle consolidée. Plus précisément, le libellé de la disposition indique que celle-ci se rapporte aux prêts qui existent lorsqu’une personne cesse d’être un étudiant.
- L’alinéa 178(1)g) est formulé négativement. La disposition énonce qu’une personne n’est pas libérée de ses prêts étudiants par une ordonnance de libération lorsque la date de la faillite du failli est survenue « dans les sept ans suivant » la date à laquelle « le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel », ou, dans la version anglaise, « where the date of bankruptcy of the bankrupt occurred [. . .] within seven years after the date on which the bankrupt ceased to be a full‑ or part-time student ». La structure et le libellé choisis par le Parlement indiquent que la disposition agit à titre d’interdiction législative de libération qui s’applique jusqu’à ce que certaines conditions soient remplies. L’emploi du mot « suivant » indique que le Parlement entendait que la disposition soit prospective. À cet égard, je suis en désaccord avec la conclusion de mon collègue et celle des juges de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, qui ont statué que la disposition est rétrospective et que [traduction] « la question clé à se poser est de savoir “quand le failli a cessé d’être un étudiant” », et que « le “moment auquel se pose cette question est la date à laquelle la cession de biens a été faite” » (2023 BCCA 181, 480 D.L.R. (4th) 530, par. 24, citant Mallory, par. 86; voir aussi les motifs majoritaires, par. 63‑66).
- Au lieu de compter à rebours à partir de la date de la faillite jusqu’à la date la plus récente à laquelle une personne a cessé d’être un étudiant pour la dernière fois, la disposition requiert que l’on considère la date à laquelle la personne a cessé d’être un étudiant ainsi que les prêts étudiants en souffrance à ce moment‑là, et que l’on détermine ensuite s’il s’est écoulé une période de sept ans après cette date. Si c’est le cas, « la faillite [n’est pas] survenue [. . .] dans les sept ans suivant » la date à laquelle la personne « a cessé d’être un étudiant ». Cette interprétation est conforme à la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants, L.C. 1994, c. 28, à la LFPE et aux autres lois provinciales applicables en matière de prêts étudiants qui envisagent de multiples périodes d’études et donc de multiples dates de cessation des études.
- Le libellé du par. 178(1.1) apporte un appui additionnel en faveur de cette interprétation. Comme il a été mentionné précédemment, ces dispositions doivent être interprétées en harmonie, de sorte que les deux dispositions s’appliquent de la même manière. Le paragraphe 178(1.1) précise que « [l]orsque le failli qui a une dette visée aux alinéas (1)g) ou g.1) n’est plus un étudiant à temps plein ou à temps partiel [. . .] depuis au moins cinq ans [. . .], le tribunal peut, sur demande, ordonner que la dette soit soustraite à l’application du paragraphe (1) ». Dans cette disposition, la date qui constitue le point d’ancrage du calcul est clairement la date de la cessation des études de l’emprunteur et non la date de la faillite, ce qui est une indication d’une approche prospective.
- En conséquence, l’al. 178(1)g) prévoit que, lorsqu’une période de sept ans s’est écoulée après qu’une personne cesse d’être un étudiant, l’interdiction qui faisait obstacle à la libération du failli à l’égard de ce prêt et de tout autre prêt antérieur en souffrance à ce moment‑là ne s’applique plus. Dans cette situation, « la faillite » ne survient pas « dans les sept ans suivant » la date à laquelle la personne a cessé d’être un étudiant, même si cette personne retourne plus tard aux études et devient de nouveau un étudiant dans le futur. La libération serait possible à l’égard de prêts étudiants accumulés avant cette période de sept ans, parce que la disposition ne s’appliquerait plus à ces prêts en particulier. Dans de telles circonstances, la personne aurait eu sept années complètes pour rembourser ces prêts, comme le voulait le Parlement. De plus, un retour aux études dans le futur n’aurait pas pour effet de contrecarrer de manière arbitraire l’objectif de réhabilitation de la LFI en empêchant la libération alors que la période obligatoire de sept ans prévue par la loi s’est écoulée.
- Le libellé prospectif de la disposition indique lui aussi que, lorsqu’une personne retourne aux études en tant qu’étudiant à temps plein ou à temps partiel avant que sept ans ne se soient écoulés, le compteur ne continuera pas de tourner, comme c’est le cas avec l’approche des dates multiples. Dans une telle situation, la disposition continuera de s’appliquer aux prêts à l’égard desquels la condition n’a pas encore été remplie, et l’entière période de sept ans doit s’écouler après la nouvelle date à laquelle la personne a cessé d’être un étudiant avant que la disposition ne s’applique plus à ces prêts.
- C’est cette interprétation de la disposition qui reflète le mieux la structure et le libellé de l’article, et qui répond le mieux à la fois à l’objet de la disposition et à celui de la Loi.
- Je ne peux souscrire à la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle l’emploi des mots « a cessé », ou « ceased » dans la version anglaise, indique que l’approche de la date unique est la seule interprétation correcte de l’al. 178(1)g) (voir, p. ex., Mallory, par. 68). Comme il est expliqué dans l’Oxford English Dictionary (en ligne), le verbe anglais « to cease » signifie [traduction] « arrêter, céder, discontinuer, renoncer à (une action); fin ou interruption “d’un état, d’une action ou d’une situation pénible” » (je souligne). Une personne peut cesser ou interrompre ses études à une date donnée, et néanmoins devenir de nouveau un étudiant par la suite.
- Comme il a été souligné plus tôt, le libellé de l’al. 178(1)g) doit être interprété à la lumière de l’intention du Parlement. L’interprétation doit refléter l’intention du Parlement en mettant en équilibre les objectifs opposés de la disposition et de la LFI, plutôt qu’en permettant qu’un objectif supplante complètement l’autre. Comme l’explique Sullivan, dans la réalisation d’une interprétation législative :
[traduction] En définitive, après avoir pris en compte toutes les considérations pertinentes et recevables, le tribunal doit adopter une interprétation qui est appropriée. Constitue une interprétation appropriée une interprétation qui peut se justifier en raison a) de sa plausibilité, c’est‐à‐dire qu’elle est conforme au texte législatif, b) de son efficacité, c’est‑à‑dire qu’elle favorise la réalisation de l’intention du législateur et c) de son acceptabilité, c’est-à-dire que le résultat obtenu est conforme aux normes juridiques admises; il s’agit d’une interprétation juste et raisonnable. [Note en bas de page omise; § 2.01[4].]
- L’interprétation de l’al. 178(1)g) énoncée précédemment est la seule qui reflète l’équilibre recherché par le Parlement entre les objectifs opposés de la LFI et de l’al. 178(1)g). En favorisant les possibilités de réhabilitation économique, on donne effet à l’objectif du « nouveau départ » de la LFI. Une personne peut retourner aux études après sept ans et acquérir une nouvelle formation sans sacrifier sa capacité de se prévaloir de la LFI dans le futur. Et si cette nouvelle formation ne lui permet pas de remédier à ses difficultés financières, elle pourrait toujours alléger son endettement en étant libéré de ses prêts étudiants antérieurs, dans la mesure où il s’est écoulé sept années continues pendant lesquelles elle n’a pas été un étudiant avant de retourner aux études.
- Toutefois, cette interprétation s’accorde également avec les objectifs précis que le Parlement avait lorsqu’il a édicté l’al. 178(1)g), en exigeant qu’une personne passe une période de sept ans sans être aux études avant d’être libérée de ses prêts étudiants. Cela reflète le quid pro quo voulu par le Parlement, c’est‑à‑dire que les débiteurs étudiants aient une occasion de tenter de rembourser leurs prêts financés par des fonds publics avant qu’ils ne puissent en être libérés par une ordonnance de libération.
- Par contraste, les approches existantes basées sur la date unique et sur les dates multiples favorisent trop fortement soit les objectifs spécifiques de l’al. 178(1)g), soit la LFI dans son ensemble.
- En « repartant le compteur » chaque fois qu’une personne acquiert de nouveau le statut d’étudiant, l’approche de la date unique compromet l’objectif de réhabilitation de la LFI en faisant peser un fardeau indûment lourd sur les débiteurs étudiants — y compris ceux qui ont eu sept ans pour rembourser un prêt — et en imposant de ce fait des barrières trop sévères à la réhabilitation économique. Un étudiant qui n’a pas été aux études pendant une décennie ou plus serait pénalisé s’il commençait d’autres études. C’était précisément le cas dans l’affaire N.P., où l’intimée avait obtenu au départ des prêts étudiants de 1980 à 1986, avant de retourner aux études de 1997 à 2000 (par. 14‑18). Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec a décidé que l’approche de la date unique interdisait la libération de l’intimée de son premier groupe de prêts étudiants même si plus de 10 ans s’étaient écoulés entre ses périodes d’études (par. 46).
- Par contre, l’approche des dates multiples reflète de manière inadéquate l’objet de l’al. 178(1)g), car elle peut permettre à une personne qui a cessé d’être un étudiant pendant une courte période de temps entre des périodes d’études d’être libérée de sa dette, même si elle a été un étudiant pendant la plus grande partie de la période de sept ans. Dans cette situation, la personne peut n’avoir jamais eu une véritable possibilité de rembourser sa dette d’études en raison des mesures de répit en matière de remboursement et d’accumulation des intérêts ouvertes aux étudiants en vertu des lois sur les prêts étudiants. L’absurdité de cette situation a été reconnue dans Cunningham (Bankrupt), Re, 2012 NBBR 352, 397 R.N.‑B. (2e) 103, affaire dans laquelle le registraire a refusé d’appliquer l’approche des dates multiples dans un cas où un écart de quatre mois séparait des périodes d’études, affirmant que [traduction] « [c]ela n’accorde pratiquement aucune période raisonnable pour essayer de tirer profit de l’actif obtenu grâce à ces études financées par des prêts » (par. 20).
- L’interprétation de l’al. 178(1)g) que j’énonce ci‑dessus évite ces absurdités. Je reconnais qu’elle peut aboutir à des situations où une personne doit attendre plus longtemps que sept ans avant de pouvoir être libérée de ses prêts étudiants, par exemple si elle retourne aux études après seulement six ans. Cependant, c’est une conséquence nécessaire du libellé et du régime choisis par le Parlement pour refléter la mise en équilibre des deux objectifs opposés. Le Parlement est en droit de faire ce choix. Enfin, le régime législatif permet à une personne d’être soustraite à l’application de la période obligatoire de sept ans dans certaines circonstances, en application du par. 178(1.1).
- En résumé, lorsque l’al. 178(1)g) est lu d’une façon qui met en balance l’objectif de la disposition et celui de la Loi et qui donne effet à chacun, la bonne interprétation n’est ni l’approche de la date unique ni celle des dates multiples. En revanche, pour reprendre les propos de Sullivan, une interprétation de la disposition qui permet à une personne d’être libérée de prêts étudiants après sept années continues d’absence d’études est appropriée parce qu’elle « est conforme au texte législatif » et « favorise la réalisation de l’intention du législateur » (§ 2.01[4]).
- En l’espèce, l’appelante a terminé en avril 1995 la première période d’études pendant laquelle elle a contracté des prêts étudiants. Sa période subséquente d’études a débuté en septembre 2002 — soit plus de sept ans plus tard.
- Conclusion
- J’accueillerais le pourvoi en partie. J’infirmerais la conclusion de la Cour d’appel portant que l’approche de la date unique régit l’interprétation de l’al. 178(1)g). Je conclus plutôt que l’al. 178(1)g) agit à titre d’interdiction législative conditionnelle empêchant de libérer une personne de ses prêts étudiants. Cette interdiction législative s’applique prospectivement à partir de la date à laquelle la personne a cessé d’être un étudiant, et elle est conditionnelle à ce que la personne ait cessé d’être un étudiant pendant une période de sept ans. Une fois cette condition remplie, la disposition ne s’applique plus à ces prêts, et un retour subséquent aux études n’empêchera pas une personne d’être libérée de ces prêts étudiants. Cependant, lorsqu’un retour aux études empêche une période de sept ans de s’écouler, la disposition exige qu’une période subséquente de sept ans s’écoule avant que la condition ne soit remplie et que la personne puisse être libérée des prêts accumulés avant ce moment‑là.
- J’accorderais en partie le jugement déclaratoire demandé par l’appelante. L’interdiction législative ne s’applique pas aux prêts étudiants qu’elle a contractés avant d’avoir cessé d’être une étudiante en avril 1995. J’adjugerais les dépens à l’appelante.
Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes en partie.
Procureurs de l’appelante : Reedman Law, Vancouver.
Procureur de l’intimé : Procureur général du Canada — Ministère de la Justice, Bureau régional de la Colombie-Britannique, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec : Lavoie, Rousseau (Justice-Québec), Direction du contentieux Québec, Québec.
Procureur de l’intervenant Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique, représenté par le ministre des Finances : Ministry of the Attorney General — Legal Services Branch, Victoria.
Procureurs de l’intervenante l’Alliance canadienne des associations étudiantes : Torys, Toronto; Nanda & Company, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals : Gowling WLG (Canada), Toronto.