Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Compagnie de téléphone Bell du Canada (Bell Canada) | 2024 QCCQ 7446 |
COUR DU QUÉBEC |
|
|
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
LOCALITÉ DE | MONTRÉAL |
« Chambre criminelle et pénale » |
N° : | 500-61-448317-165 |
| |
|
DATE : | 29 novembre 2024 |
______________________________________________________________________ |
|
|
|
|
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
Poursuivant |
c. |
LA COMPAGNIE DE TÉLÉPHONE BELL DU CANADA ou BELL CANADA |
Défenderesse |
|
______________________________________________________________________ |
|
|
JUGEMENT
|
______________________________________________________________________ |
|
| | | | |
- En 2012, M. Radu Sbiera conclut un contrat avec La Compagnie de Téléphone Bell du Canada ou Bell Canada (« Bell ») afin d’adhérer au service de téléphonie filaire, d’Internet et de télévision satellitaire.
- À cet effet, l’installation et l’activation des services de Bell sont effectuées à la résidence de M. Sbiera par un de leurs techniciens. Cette démarche nécessite le branchement à l’immeuble de connexions physiques reliées à une boîte de jonctions fixe et par la remise et le raccordement d’un modem afin de permettre l’accès au service d’Internet ainsi qu’un terminal pour l’usage de la télévision.
- Tous les services de Bell sont facturés à l’avance selon des périodes de facturation différentes associées à chacun.
- En cours d’utilisation, M. Sbiera, soit personnellement ou par l’entremise de son nouveau fournisseur, communique aux mois de janvier et février 2015 avec Bell afin de mettre fin à leur relation contractuelle. Selon un tableau complété par la défenderesse (P-5), les services sont ainsi interrompus individuellement à trois dates distinctes, soit les 14, 17 et 18 février 2015 (dates de fin de service).
- Le 16 février 2015, Bell transmet une facture à M. Sbiera pour les services et périodes de facturation suivantes :
a) Service de téléphonie filaire : 10 février au 9 mars 2015;
b) Service d’Internet : 6 février au 5 mars 2015;
c) Service de télévision : 5 février au 4 mars 2015.
- Selon le poursuivant, les sommes réclamées par Bell à M. Sbiera couvrent des périodes excédant les dates de fin de service identifiées par la défenderesse, sans qu’il soit essentiel d’établir précisément le montant des trop-perçus correspondant à chacun.
- En exigeant de M. Sbiera les frais de service pour une période de facturation complète après avoir antérieurement exprimé son désir de mettre fin à sa relation avec Bell, le poursuivant soutient que l’entreprise a contrevenu à l’article 214.8 de la Loi sur la protection du consommateur[1] (la « Loi »), commettant ainsi une infraction prévue à l’article 277 a) de celle-ci.
- À cet effet, Bell reçoit ainsi un constat d’infraction libellé comme suit :
Le ou vers le 16 février 2015, étant un commerçant ayant conclu un contrat à exécution successive de service fourni à distance à durée indéterminée avec Radu Sbiera, consommateur, en considération duquel aucun bénéfice économique déterminé par règlement n’a été consenti, a exigé les frais pour une période de facturation complète alors que le consommateur avait résilié son contrat à l’intérieur de cette période […].
- En plus de plusieurs admissions, Mme Dussault, enquêtrice à l’Office de la protection du consommateur et M. Sbiera témoignent.
- À l’audition, Bell ne présente aucune défense, mais allègue en plaidoirie écrite plusieurs arguments de droit afin d’être acquittée.
- Selon la défenderesse, le poursuivant ne s’est pas déchargé de démontrer « hors de tout doute raisonnable tous les éléments matériels de l’infraction en fonction du droit applicable, du libellé de l’infraction et de la nature du contrat en cause »[2].
- Pour Bell, le Tribunal doit s’en tenir au libellé clair de l’infraction apparaissant au constat et ne doit pas l’interpréter ou tenter d’en modifier la teneur ni même changer la signification des mots utilisés afin de parvenir au résultat souhaité par le poursuivant.
- À ce sujet, la défenderesse rappelle que l’infraction ne peut faire l’objet d’une interprétation large et libérale, mais au contraire avance que les principes généraux applicables en matière pénale liés à la Loi doivent l’être restrictivement[3]. Elle ajoute qu’en fonction de ces enseignements tout doute doit en conséquence lui bénéficier.
- Pour l’entreprise, les décisions rendues par les tribunaux en matière civile concernant l’interprétation des dispositions de la Loi ne peuvent lier le Tribunal et n’ont pas l’effet de la chose jugée.
- Par ailleurs, la défenderesse soutient que la date de résiliation du contrat de M. Sbiera n’est pas prouvée et demeure inconnue. Elle ajoute, autres les coûts des services facturés à l’avance dans le cours normal des affaires « aucuns frais, indemnité ou pénalité de résiliation du type d’une clause pénale ou autres n’ont été facturés à M. Sbiera par Bell suite à la résiliation ultérieure de ses services »[4] et par conséquent, elle n’a certes pas contrevenu à la Loi.
- De plus, Bell argue que les services reçus par M. Sbiera ne sont pas assujettis à la Loi puisqu’ils ne sont pas fournis à distance d’autant qu’elle ne prévoit pas l’obligation d’effectuer un remboursement proportionnel à la suite d’une résiliation.
- Bien que la présente affaire se soit retrouvée à la Cour suprême du Canada sur une considération constitutionnelle, la défenderesse souligne qu’au départ, la Cour supérieure « n’a jamais conclu que les articles 214.1 à 214.11 de la Loi s’appliquaient aux faits du présent dossier[5]» ajoutant que la règle du stare decisis ne peut trouver assise en l’instance.
- Plus particulièrement, au sujet des faits composant l’ensemble du litige, elle soutient que la Cour du Québec, la Cour supérieure et la Cour d’appel ne se sont jamais prononcées sur l’application de l’article 214.8 de la Loi ni même conclu que les services de Bell fournis à M. Sbiera ont été rendus à distance.
- À ce sujet, Bell insiste. Les services n’ont pas été fournis à distance à M. Sbiera, mais bien directement à son domicile, rattachés par câble et par conséquent, immobiles.
- Enfin, subsidiairement, la défenderesse soulève la doctrine de minimis non curat lex.
- Pour le poursuivant, les arguments présentés par Bell afin de justifier un acquittement ne sont pas fondés.
- Pour lui, la Cour supérieure a déjà réglé la situation. Elle a conclu que bien que la Loi ne contient pas de définition de l’expression contrat à exécution successive de service fourni à distance, il « peut s’entendre comme « un contrat de service de téléphone mobile et résidentiel, de télédistribution, d’accès à Internet, de télésurveillance et de radio satellite » entre autres[6] ».
- À ce sujet, le poursuivant soutient que le Tribunal est lié par cette décision.
- Contrairement à ce que Bell prétend, il ajoute que la Loi étant d’ordre public, elle se doit « de recevoir une interprétation large et libérale, favorable au consommateur et les sanctions qui s’y trouvent doivent permettre de lui donner plein effet et lui faire rencontrer son objet[7] ». [Références omises]
- Selon ses prétentions, le Tribunal doit ainsi rechercher l’intention du législateur et apprécier le contexte existant lors de l’adoption des articles 214.1 et suiv. de la Loi.
- Cela dit, pour le poursuivant, que des câbles de Bell soient présents entre le domicile de M. Sbiera et le fournisseur, ne change pas la nature, l’essence, la caractéristique du service. Il demeure fourni à distance.
- Au surplus, concernant les sommes reçues par Bell après la fin des services, le poursuivant est d’avis que l’intention du législateur découlant de la rédaction des articles 214.6 et 214.8 de la Loi est sans équivoque. Il veut interdire la possibilité pour un commerçant visé par ces dispositions d’exiger d’un consommateur quelque somme que ce soit suivant la date de résiliation de son contrat.
- Enfin, quant à la doctrine de minimis non curat lex, le poursuivant prétend qu’elle ne peut trouver application dans le présent dossier.
QUESTIONS EN LITIGE
- Dans le cadre de l’interprétation de l’expression « contrat à exécution successive de service fourni à distance », le Tribunal doit-il utiliser une approche restrictive ou plutôt large et libérale ?
- Selon les enseignements alors retenus, est-ce que les services fournis contractuellement par Bell à M. Sbiera sont visés par l’article 214.8 de la Loi, à savoir qu’ils sont à exécution successive et fournis à distance ?
- Dans l’affirmative, le poursuivant a-t-il prouvé hors de tout doute raisonnable la commission de l’infraction reprochée ?
- Subsidiairement, la doctrine de minimis non curat lex est-elle recevable ?
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
Loi sur la protection du consommateur - RLRQ, c. P-40.1
SECTION VII
CONTRAT À EXÉCUTION SUCCESSIVE DE SERVICE FOURNI À DISTANCE
214.1. La présente section s’applique au contrat à exécution successive de service fourni à distance. Toutefois, elle ne s’applique pas au contrat de service à exécution successive visé à la section VI (relatif à un enseignement, un entraînement ou une assistance) du présent chapitre, même lorsque ce dernier est conclu par une des personnes énumérées à l’article 188.
214.2. Le contrat doit être constaté par écrit et indiquer:
a) le nom et l’adresse du consommateur et ceux du commerçant;
b) le numéro de téléphone ainsi que, le cas échéant, l’adresse technologique du commerçant;
c) le lieu et la date du contrat;
d) la description détaillée de chacun des services faisant l’objet du contrat;
e) le tarif mensuel de chacun des services faisant l’objet du contrat, y compris le tarif mensuel des services optionnels, ou son coût mensuel si le tarif est calculé sur une base autre que mensuelle;
f) le tarif mensuel de chacun des frais connexes ou son coût mensuel si le tarif est calculé sur une base autre que mensuelle;
g) le total des sommes que le consommateur doit débourser mensuellement en vertu du contrat;
h) le cas échéant, les restrictions d’utilisation de chacun des services faisant l’objet du contrat ainsi que les limites géographiques à l’intérieur desquelles ces services peuvent être utilisés;
i) le cas échéant, la description et le prix courant du bien vendu ou offert en prime à l’achat du service ; la description du bien doit préciser s’il s’agit d’un bien remis à neuf;
j) le cas échéant, la description du service offert en prime;
k) le cas échéant, la nature des bénéfices économiques consentis par le commerçant en considération du contrat, notamment la prime, dont la remise partielle sur le prix de vente ou de location d’un bien ou d’un service acheté ou loué à l’occasion de la conclusion du contrat;
l) le cas échéant, le montant total des bénéfices économiques déterminés au règlement devant servir au calcul de l’indemnité de résiliation qui pourra être exigée du consommateur en vertu de l’article 214.7;
m) la mention que seuls les bénéfices économiques prévus au paragraphe l serviront au calcul de l’indemnité de résiliation qui pourra être exigée du consommateur;
n) la manière d’obtenir aisément les renseignements relatifs au tarif d’utilisation des services qui ne font pas l’objet du contrat et des services qui sont utilisés au-delà des restrictions et des limites prévues au paragraphe h;
o) la durée et la date d’expiration du contrat;
p) sans restreindre la portée de l’article 214.6, les circonstances permettant au consommateur de résoudre, de résilier ou de modifier le contrat ainsi que, le cas échéant, les conditions et les frais ou l’indemnité de résolution, de résiliation ou de modification;
q) les conditions que le consommateur doit respecter pour mettre fin au contrat à son échéance.
Ces renseignements doivent être présentés de la manière prévue au règlement.
[…]
214.6. Le consommateur peut, à tout moment et à sa discrétion, résilier le contrat en transmettant un avis au commerçant. Cette résiliation de plein droit prend effet à compter de la transmission de cet avis ou à la date indiquée à cet avis par le consommateur.
Toutes les sommes que le commerçant peut alors réclamer du consommateur, autres que le prix des services qui lui ont été fournis, calculé au tarif prévu au contrat, constituent l’indemnité de résiliation. À cette fin, le contrat de service ou de location d’un bien conclu à l’occasion ou en considération du contrat de service forme un tout avec ce dernier.
[…]
214.8. En cas de résiliation unilatérale par le consommateur d’un contrat à durée indéterminée, aucune indemnité de résiliation ne peut lui être réclamée, à moins que le commerçant ne lui ait consenti une remise partielle ou totale du prix de vente d’un bien acheté en considération du contrat de service et que le bénéfice de cette remise s’acquiert progressivement en fonction du coût des services utilisés ou en fonction du temps écoulé. L’indemnité ne peut alors excéder le montant du solde du prix de vente du bien au moment de la conclusion du contrat. Le montant de cette indemnité décroît selon les modalités prévues au règlement.
- D’emblée, les parties ne s’entendent pas sur une définition de cette expression. Cela dit, Bell s’en remet, entre autres, à la décision R. c. 139561 Canada ltée pour soutenir une interprétation restrictive[8]. Or, force est de constater que cette décision a été infirmée en appel[9].
- À ce propos, le Tribunal retient de la Cour supérieure les passages suivants :
Disons qu’une définition dans une loi vaut autant pour les poursuites civiles que pour les poursuites pénales. En un mot, lorsque le législateur utilise un terme ou utilise une définition dans une loi et qu’il prévoit que la loi peut être appliquée par des poursuites civiles et des poursuites pénales, il n’y a pas lieu de rechercher deux (2) sens selon qu’on aurait affaire à une poursuite civile ou à une poursuite pénale.[10]
L'autre aspect de la question, c'est l'interprétation libérale et l'interprétation restrictive, et d'après nous, le Juge, avec beaucoup d'égards, semble donner priorité à cette interprétation restrictive.[11]
L'interprétation libérale est celle qui a pour but de rencontrer… de faciliter la réalisation du but poursuivi par le législateur. Cette interprétation libérale est celle qui est l'interprétation officielle, elle est prévue à l'article 41 de la Loi de l'interprétation du Québec, qui se lit comme suit: […][12]
Remarquez bien que cet article 41 fait allusion aux dispositions d'une loi pénale, et ne dit pas que parce que c'est pénal, on doive éviter de retenir l'interprétation libérale.[13]
Sur ce conflit entre l'interprétation restrictive puis une interprétation généreuse et libérale, tout en admettant que lorsqu'il y a ambiguïté, il est évident qu'il y a nécessité de donner la chance au coureur, n'autorise pas un juge dans le but de donner cette chance au coureur à s'écarter de l'interprétation claire, nette qui se dégage de la jurisprudence et de la loi.[14]
Le principe de l'interprétation favorable à l'accusé n'entre pas en jeu à la moindre difficulté, on doit se heurter à une difficulté réelle.[15]
- Précisons que cette décision de la Cour supérieure visait à interpréter tout particulièrement la présente Loi.
- Ajoutons que selon les arrêts Bell ExpressVu[16] et Merck[17], l’approche stricte des lois pénales ne s’applique que si le sens d’une disposition est ambigu après avoir procédé à son interprétation contextuelle et téléologique.
- En début d’analyse d’une loi, il ne faut donc pas tenir pour acquise l’existence d’une ambiguïté[18].
- À cet effet[19], la Cour suprême définit ce qu’il faut entendre par ambiguïté réelle :
Le texte de la disposition doit être [TRADUCTION] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation ». Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations. […]
- Ainsi, si après un exercice d’interprétation usuel, la disposition de la Loi n’est pas ambigüe, les tribunaux doivent donner effet à l’intention clairement exprimée par le législateur et être interprétée de façon large et libérale, et ce, afin d’assurer l’accomplissement de son objet[20].
- Le droit de la consommation est constitué de mesures d’ordre public ayant comme objectif d’établir un équilibre contractuel entre les commerçants et les consommateurs en prohibant certaines pratiques de commerce jugées dolosives tout en régissant différents aspects de leur relation contractuelle[21].
- Cela dit, la Cour d’appel, en rappelant les principes énoncés ci-dessus précise que cette Loi doit être interprétée d’une manière large et libérale afin d’assurer l’accomplissement de son objet[22], tout en soulignant au passage l’article 41 de la Loi d’interprétation[23]. Elle confirme ainsi l’approche antérieure adoptée par la Cour supérieure[24].
- Ainsi, malgré les représentations de la défenderesse et de jugements invoqués émanant de la Cour du Québec supportant ses prétentions, le Tribunal doit retenir les enseignements des tribunaux supérieurs et ainsi généralement interpréter une disposition législative, même de nature pénale, en adoptant une approche large et libérale[25].
Voilà pourquoi on ne saurait conclure à l’existence d’une ambiguïté du seul fait que plusieurs tribunaux — et d’ailleurs plusieurs auteurs — ont interprété différemment une même disposition.
- C’est seulement, si, après avoir procédé à l’interprétation du texte selon les méthodes usuelles, le Tribunal se retrouve en présence d’une réelle ambiguïté qu’il doit alors subsidiairement adopter une approche restrictive.
- C’est ainsi que le Tribunal entend procéder.
2. Selon les enseignements alors retenus, est-ce que les services fournis contractuellement par Bell à M. Sbiera sont visés par l’article 214.8 de la Loi, à savoir qu’ils sont à exécution successive et fournis à distance?
- D’emblée, Bell admet être un commerçant au sens de la Loi. Par ailleurs, la preuve établit hors de tout doute raisonnable que M. Sbiera est une personne physique ayant conclu avec Bell un contrat pour la fourniture des services de téléphonie filaire résidentielle, de télévision satellitaire et d’Internet.
- Selon la Loi, le contrat à exécution successive de service fourni à distance est soit à durée déterminée[26] ou indéterminée[27], chacun étant régi par des dispositions qui lui sont propres.
- Dans le présent dossier, les parties admettent que tous les contrats conclus sont à durée indéterminée, sans par ailleurs pour la défenderesse de reconnaître qu’ils sont fournis à distance.
- Par ailleurs, la preuve établit que depuis plusieurs années, M. Sbiera paie mensuellement à l’avance le coût de ses services.
- Mais qu’est-ce qu’un « contrat à exécution successive de service fourni à distance » ?
- Contrairement à plusieurs contrats de consommation prévue à la Loi[28], le législateur s’est abstenu de donner une définition de ce qu’il constitue.
- Puisque la Loi ne définit pas cette expression précisément, le Tribunal doit ainsi s’en remettre au principe d’interprétation et au sens usuel de l’expression[29]. Plusieurs outils peuvent être utilisés.
- Comme souligné, selon l’approche moderne, on doit lire les termes d’une loi ou d’un règlement en tenant compte du contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, son objet et l’intention du législateur[30].
- À ce sujet, il est jugé utile de considérer la jurisprudence antérieure afin de définir ce que cette expression signifie[31]. L’interprétation jurisprudentielle peut faire autorité ou du moins servir à titre de guide[32]. Bien que Bell soutient que le Tribunal ne peut se fonder sur les définitions de cette expression véhiculée par les tribunaux civils, la Cour supérieure, faut-il le rappeler, ne partage pas cet avis[33].
- Dans le cadre de son exercice d’interprétation, à titre de facteur additionnel, le Tribunal doit également rechercher l’accomplissement de l’objet de la loi[34].
Sens ordinaire et grammatical
La méthode littérale ou grammaticale invite à aborder un texte législatif par une étude minutieuse, intelligente et réfléchie de la formule. Elle consiste à préciser la signification d’un texte de la loi à l’aide d’indices proprement linguistiques : cette méthode repose sur le postulat que le législateur s’exprime correctement, selon les règles ordinaires du langage ou de la communication.[35]
- Ainsi, en l’absence de définitions législatives, il faut avoir recours, entre autres, aux dictionnaires, pour déterminer le sens des mots[36], et ce, avant de décider si le texte de la disposition est ambigu[37].
- En l’occurrence, il faut rechercher ce qui caractérise l’esprit d’un service fourni à distance. Il s’agit d’un élément important de l’objet de l’infraction et cela permet au Tribunal de demeurer ainsi fidèle à la pensée du législateur.
- À cet égard, selon les auteurs Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, le texte d’une loi ainsi que le contexte dans lequel celle-ci a été adoptée sont indissociables[38]. Ainsi, le contexte global dans lequel s’inscrit un texte législatif peut être utilisé pour en déterminer son sens. À ce sujet, il convient de donner effet à la notion de « service fourni à distance » dans un objectif de protection du consommateur.
Il faut donner à la loi une interprétation qui lui permette d’accomplir pleinement son rôle social, car il est constant que même dans le cas des lois pénales, il faut rechercher la véritable intention du législateur et appliquer le sens qui correspond à ses objets.[39]
Débats parlementaires
- Toujours selon ces mêmes auteurs, bien que les travaux parlementaires jouent un rôle secondaire dans le processus d’interprétation des lois, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent s’avérer utiles aux fins de la détermination de l’intention du législateur derrière l’adoption d’un texte législatif [40].
- C’est dans cette optique, afin de poursuivre notre exercice d’interprétation qu’à la lecture des travaux parlementaires liés à l’adoption des nouveaux articles à l’étude qu’il était dans l’intention de la ministre de la Justice d’inclure tous les services de télécommunication par l’utilisation de l’expression « service fourni à distance » :
Alors, cette section vise les contrats à exécution successive fournis à distance, ce qui permettra notamment d’assujettir aux règles qui y sont prévues les contrats de téléphone cellulaire ou autres, les contrats de télévision à péage, câblodistribution, les contrats de service d’Internet et les contrats de système d’alarme.[41]
[Nos soulignements]
- L’utilisation du mot « notamment » est d’ailleurs significative. Même avec toute la prudence devant guider le Tribunal face à cette déclaration, cela démontre que la ministre responsable de la Loi n’entendait pas limiter qu’aux seuls contrats de téléphonie cellulaire les effets de ces dispositions[42].
- Retenons également que le 2 décembre 2009, selon le Journal des débats, madame la ministre Weil souligne et précise à l’Assemblée :
Dans le secteur des télécommunications, nous le savons tous, depuis quelques années, le secteur de télécommunication connaît une croissance fulgurante. En même temps, le nombre de plaintes formulées par les consommateurs augmente sans cesse. Les difficultés éprouvées par les clients des entreprises de télécommunication sont de nature diverse et se manifestent à plusieurs étapes de leur relation avec les commerçants.
Nous sommes particulièrement préoccupés par le sort des jeunes consommateurs qui acquièrent et utilisent ces technologies. Souvent l’information qui leur est offerte ne leur permet pas de comprendre très bien ni les coûts associés à leur utilisation ni les frais encourus pour mettre fin au contrat. Donc, au chapitre des contrats de service successif fourni à distance comme par exemple les services de téléphonie cellulaire et résidentielle, de télévision à péage et d’Internet, nous avons précisé les informations devant apparaître au contrat. […][43]
[Nos soulignements]
- Cette approche véhiculée lors des débats sera éventuellement confirmée par les tribunaux civil et pénal[44].
Décisions des tribunaux antérieurs
- D’autre part, pour les raisons exprimées précédemment, le Tribunal peut considérer des décisions d’autres juridictions tant pénale que civile afin, minimalement, de le guider dans l’interprétation des mêmes dispositions. Pour le soussigné, elles demeurent pertinentes.
- À ce sujet, précisons que les contrats de câblodistribution[45], de service téléphonique résidentiel et d’Internet[46], de télédistribution par câble satellite[47], ont tous été assujettis aux articles 214.1 et suiv. de la Loi[48].
- Au surplus, dans le présent dossier, la Cour d’appel, alors interpellée à déterminer la constitutionnalité des dispositions opposant les parties, souligne que dans un tel contexte, le juge doit analyser différents facteurs liés, entre autres, à l’objectif, à l’application et aux effets de la Loi. Pour le Tribunal, il s’agit de conditions similaires tout comme lorsqu’il doit procéder à un exercice d’interprétation[49].
- Cela étant, la Cour d’appel reprend les propos de la juge de la Cour supérieure :
[…] les articles 214.2, 214.7 et 214.8 se retrouvent aux paragraphes III de la section Contrat à exécution successive de service fourni à distance. Bien qu’elle souligne que la LPC n’en définit pas précisément les termes, la juge conclut qu’« il peut s’entendre comme un contrat de service de téléphonie mobile et résidentielle, de télédistribution, d’accès internet, de télésurveillance et de radio satellite, entre autres ».[50]
[Reproduction intégrale, nos soulignements ajoutés]
Historique de la législation
- Au surplus, dans l’analyse d’une expression législative, il est admis que pour interpréter un texte « on peut, et même on doit, prendre en considération les informations fournies par l’histoire générale concernant la période au cours de laquelle le texte a été édicté »[51].
C’est une pratique tout à fait courante que de se référer, pour l’interprétation d’un texte législatif, à la règle de droit qui l’a remplacée, abrogée ou modifiée, ou au texte dont il s’est inspiré, et de faire en quelque sorte la genèse du texte à l’étude. […][52]
- Dans le présent dossier, qu’en est-il ?
- D’abord, rappelons que la loi est d’ordre public. Elle a comme objectif principal de rétablir l’équilibre contractuel entre les commerçants et les consommateurs[53].
- D’autre part, la Loi adoptée en 1971 a fait l’objet de plusieurs modifications.
- Retenons qu’en 1978, les contrats de télécommunication sont spécifiquement exclus du champ d’application de la Loi[54].[Nos soulignements]
- Cette règle d’exclusion est à nouveau reconduite en 1988. Néanmoins, elle cible dorénavant davantage « le contrat relatif à tout service de télécommunication fourni par une société exploitante au sens de l’article 2 de la Loi sur la régie des télécommunications (c. R-8.01) »[55].
- Soulignons que pendant cette période, différentes régies provinciales se chevauchent afin de veiller aux modalités et aux tarifs des services de télécommunication sous leur juridiction, de sorte que les contrats liés à ces derniers n’étaient toujours pas assujettis à la Loi puisque régulés autrement.
- Or, en 1994, à la suite d’un jugement prononcé par la Cour suprême du Canada, le législateur québécois se voit astreint d’abolir l’organisme alors en activité par lequel les entreprises de télécommunication étaient ainsi assujetties[56].
- Au début de l’année 1998, l’article 5 c) est à nouveau modifié pour prévoir dorénavant que sont exclus les « contrats relatifs à tout service de télécommunication fourni par une société exploitante »[57]. Puis, en 2006, cette disposition est abrogée.
- À la suite de cette suppression, toujours guidé par une prudence associée aux déclarations provenant des débats, le Tribunal retient le passage suivant :
En abrogeant ce paragraphe-là, on vient dissiper toute ambiguïté quant à la capacité actuelle d’intervention de l’Office de la protection du consommateur dans le domaine des télécommunications, notamment dans celui de la téléphonie cellulaire.[58]
- Enfin, en 2009, différentes modifications sont à nouveau apportées à la Loi, lesquelles entrent en vigueur le 30 juin 2010. Elles introduisent différentes dispositions, dont les articles 214.2, 214.6 et 214.8. Elles font désormais partie intégrante d’une nouvelle section nommée « Contrat à exécution successive de service fourni à distance ».
- Ainsi, en regard de l’historique de la Loi, les contrats relatifs au service de télécommunication étaient au départ expressément exclus de la Loi, pour ensuite en devenir spécifiquement inclus.
- Pour le Tribunal, cette modification prend considérablement son sens dans l’environnement voulu par le législateur afin qu’elle produise tous ses effets.
- À ce sujet, la Cour supérieure[59] précise :
Au niveau juridique, l’adoption de ces articles a pour effet d’assurer une protection adéquate des consommateurs, particulièrement à l’égard des contrats de service à exécution successive qui sont fournis à distance, notamment, les services de téléphonie cellulaire et résidentielle, de télévision à péage et d’Internet. Le législateur tend à adopter des mesures, dans ce secteur de la télécommunication, pour améliorer la situation des consommateurs québécois et favoriser ainsi une saine concurrence en leur permettant de mieux jauger les offres qui leur sont soumises. Autrement dit, dans un environnement technologique en perpétuelle évolution, l’effet juridique recherché est de rétablir un équilibre contractuel qui s’étiolait.[60]
[Nos soulignements]
- Pour terminer cet exercice, le Tribunal croit utile de rappeler qu’un contrat est un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation. Il peut être d’adhésion, de gré à gré, synallagmatique, unilatéral, à titre onéreux, gratuit, cumulatif, aléatoire, à exécution instantanée ou successive[61].
- En l’occurrence, la preuve établit qu’il s’agit d’un contrat de service. Même la défenderesse le qualifie de cette nature en vertu du document intitulé Modalités de service Bell (pièce P-5). En effet, elle utilise le terme « service » pour désigner « l’installation et la fourniture de service Internet (Bell Internet), de téléphonie (Bell Téléphonie), de télévision par protocole Internet (Télé Fibe), de télévision par satellite (Télé Satellite) et toute option additionnelle. » [Nos soulignements]
- Bell a fourni à M. Sbiera les trois services. Ce n’est pas parce qu’un de ses techniciens s’est présenté à une reprise à son domicile que cela fait disparaître la notion de distance. Cette démarche ne peut altérer la nature contractuelle liant les parties ni leurs obligations respectives découlant des articles 214.1 et suiv. de la Loi.
- Pour la défenderesse, les services énoncés aux modalités ne sont pas fournis à distance, mais directement au domicile de M. Sbiera. La défenderesse justifie sa position par différentes clauses inscrites au document ci-dessus mentionné (P-5). Pour elle, les services sont fournis à une adresse physique, et Bell lui donne le droit de recevoir et de visionner la programmation à son usage personnel qu’à l’adresse de service inscrite au contrat.
- Au soutien, la défenderesse précise l’inexistence de sources, débats parlementaires ou autorités (jugements ou doctrine) qui reconnaît qu’un service fourni par l’entremise d’un raccordement physique directement chez le consommateur, soit visé par ces dispositions législatives.
- Pour appuyer son interprétation, Bell réfère par analogie à la fourniture d’électricité acheminée à la résidence d’un abonné, par différentes connexions, pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’un service fourni à distance. Or, afin d’éviter toute méprise sur ce sujet particulier, l’article 5 b) de la Loi exclut expressément une telle situation. Ainsi, si le législateur l’a écarté, cela démontre que le service filaire autre qu’électrique, est assurément visé à l’article 214.8 de la Loi.
- Malgré ce que préconise la défenderesse, il n’y a rien de cohérent à ce que le législateur puisse avoir adopté une disposition pouvant correspondre à l’interprétation plutôt restrictive.
- En effet, pourquoi le législateur voulant protéger les consommateurs lors de la conclusion des contrats reliés à des services fournis à distance aurait tout simplement réglementé que ceux ciblant le service sans fil. Dans les deux cas, il s’agit pourtant d’un contrat de même nature.
- Le Tribunal est d’avis que le sens ordinaire et grammatical des mots utilisés dans cette expression s’accorde bien avec les objectifs de la Loi. Le fait que les commerçants soient régis par des règles strictes reliées à la terminaison unilatérale de ses contrats contribue à la réalisation des objets associés à la politique de protection établie par la Loi[62].
- Bell prodigue des services à distance par l’intermédiaire d’un réseau. Elle transmet des signaux en provenance de ses bureaux vers un lieu, une adresse. Ses services émanent d’un endroit distinct du consommateur, d’où l’expression « à distance ». L’endroit de l’action est différent de celui où elle origine. En l’occurrence, « la distance » représente du moins un espace qui sépare des lieux.
- C’est ce service à distance qui est soit échelonné ou continu. Contrairement au contrat conclu à distance et établi sans que le consommateur et le commerçant soient en présence l’un de l’autre[63], le contrat de service fourni à distance a une signification distincte, bien qu’il peut aussi être conclu en présence ou non des parties.
- Relativement au premier, « la distance » concerne les personnes, alors que dans le second, ce sont les services fournis qui sont visés. L’expression « fournis » a également une signification particulière : c’est « donner, mettre quelque chose à la disposition de »[64], sans autre attribut spécifique du législateur.
- Tous les services fournis à M. Sbiera sont forcément des services de télécommunication. Rien ne justifie que le téléphone filaire, la télévision satellitaire ou l’Internet soient exclus de la protection accordée aux consommateurs dans le cadre particulier prévu par la Loi, parce qu’essentiellement rattachés par du filage.
- Pour le Tribunal, conclure autrement serait empreint d’une incohérence incompatible avec les objectifs et les effets recherchés par le législateur[65].
- Il suffit que le service visé soit à distance, peu importe le mode utilisé pour le fournir. En fait, il s’agit pour le fournisseur des mêmes obligations légales à respecter afin d’éviter un déséquilibre. D’ailleurs, Bell a remboursé à M. Sbiera le trop-perçu correspondant au service de télévision satellitaire pourtant lui aussi fourni à l’intérieur de son domicile et visé par les mêmes modialités de service.
- Une interprétation différente ayant pour but d’écarter certains consommateurs en raison du moyen choisi pour la délivrance du service est définitivement contraire à cet objectif.
- Une approche différente occulte l’objet et le but poursuivis par le législateur, soit à mieux encadrer ces types de contrat. En édictant de nouvelles règles relatives aux renseignements que ce document doit contenir, à leurs résolutions et à leurs résiliations par le consommateur, cela ne fait que confirmer cette volonté.
- D’ailleurs, dans ce domaine, le professeur Lafond souligne l’approche de neutralité technologique utilisée par le législateur[66].
- Enfin, le Tribunal ne peut passer sous silence l’utilisation de l’expression « secteur des télécommunications » soulignée à plusieurs reprises par le législateur tant en 1978 qu’en 2009-2010 dans le cadre de l’adoption de la présente Loi.
- À cet égard, la Loi sur les télécommunications[67] de juridiction fédérale définit la télécommunication comme suit :
Télécommunication La transmission, l’émission ou la réception d’information soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable.
- Comme souligné par le poursuivant :
[…] Cette définition confirme que le support technologique ne change strictement rien lorsque vient le temps de définir ce qu’est une télécommunication. On y précise d’ailleurs que cela peut être fait par fil ou câble, donc, lorsque le Parlement provincial fait référence aux entreprises de communication comme étant le type de commerçant visé dans ses pourparlers, il ne crée pas de distinction quant au choix du support technologique afin de les définir.[68]
- Par conséquent, en application des différents principes d’interprétation usuels enseignés par les tribunaux supérieurs et de façon subsidiaire aux débats parlementaires ayant entouré l’adoption des articles 214.1 et suiv. de la Loi, le Tribunal est convaincu hors de tout doute que les services offerts par Bell à M. Sbiera l’ont été à distance et qu’ils sont assujettis à la Loi.
- Après cet exercice, force est de conclure qu’il n’y a aucune ambiguïté réelle pouvant justifier l’interprétation restrictive de cette expression.
3. Dans l’affirmative, le poursuivant a-t-il prouvé hors de tout doute raisonnable la commission de l’infraction reprochée ?
- La défenderesse se fonde sur le libellé du constat pour soutenir que le poursuivant a échoué.
- Ainsi, toute poursuite est intentée au moyen d’un constat d’infraction (art. 156 C.p.p.) lequel comporte, entre autres, une description de celle-ci (art. 146 C.p.p. et 153 C.p.p.).
- Il est également acquis que la poursuite peut décrire l’infraction reprochée à la défenderesse selon les termes énoncés par sa disposition conformément au Code de procédure pénale[69]. Elle peut aussi l’être en des termes analogues en contenant suffisamment de détails sur cette dernière y compris sur les circonstances de sa perpétration (art. 151, 152 et 153 C.p.p.).
- Or, dans le présent dossier, le poursuivant a fait son lit en décrivant exhaustivement l’actus reus reproché à la défenderesse.
- Il est bien établi en droit que la défenderesse est seulement tenue de répondre à l’accusation telle qu’elle a été portée.
- Un chef d’accusation peut se référer à tout article, paragraphe, alinéa ou sous-alinéa qui crée l’infraction imputée et pour déterminer si un tel chef est suffisant, on doit tenir compte d’un tel renvoi (art. 151 C.p.p.). La question de savoir si l’acte d’accusation est suffisant dépend des faits, de l’espèce et de la nature de l’accusation.
- Le poursuivant est en principe lié par le libellé du chef d’infraction[70]. Cela étant, revenons à celui du constat et aux éléments essentiels qui doivent par conséquent être prouvés :
- la date de l’infraction;
- les statuts de commerçant et de consommateur;
- la conclusion d’un contrat à exécution successive de service fourni à distance;
- à durée indéterminée;
- en considération duquel aucun bénéfice économique déterminé par règlement n’a été consenti;
- alors que le commerçant, le 16 février 2015, a exigé des frais pour une période de facturation complète alors que le consommateur avait résilié son contrat à l’intérieur de cette période.
- D’emblée, les statuts de commerçant de Bell et de consommateur de M. Sbiera ne sont pas contestés[71].
- Par ailleurs, le Tribunal a déjà reconnu que le contrat de M. Sbiera était à exécution successive de service fourni à distance et donc assujetti à la Loi.
- Les parties admettent également que les contrats entre la défenderesse et M. Sbiera étaient à durée indéterminée.
- Quant à l’élément matériel correspondant à l’expression « en considération duquel aucun bénéfice économique déterminé par règlement n’a été consenti » inscrit au libellé, force est de constater que l’article 214.8 de la Loi n’en fait pas précisément allusion, comme par exemple à l’article 214.7. À ce titre, si cette dernière disposition était d’intérêt, ce qui n’est pas le cas, le Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur (le « Règlement »)[72] définit le « bénéfice économique » comme étant « le montant de la remise qui a été consenti au consommateur sur le prix de vente d’un bien acheté à l’occasion de la conclusion du contrat qui est nécessaire à l’utilisation du service faisant l’objet du contrat ».
- Or, la preuve, y compris les factures de Bell produites sous la cote P-6, démontre que M. Sbiera n’a pas bénéficié d’une remise sur le prix de vente d’un bien par ce commerçant lors de la conclusion des contrats, confirmant ainsi l’absence d’un bénéfice économique.
- Quant à la date d’infraction, le poursuivant a choisi l’expression « le ou vers le 16 février 2015 ».
- À cet égard, M. Sbiera a communiqué avec Bell afin de mettre fin aux différents contrats de service. Pour ce faire, il contacte le service à la clientèle. Selon sa compréhension, considérant sa croyance d’un préavis de 30 jours, les services doivent alors se terminer le 18 février 2015. Il ajoute qu’à cette date, « c’est Vidéotron qui arrête le service », soit son nouveau fournisseur.
- Monsieur Sbiera recevra éventuellement trois factures de Bell correspondant chacune aux différents services respectifs de téléphonie, de télévision et d’Internet.
- Elles sont toutes émises le 16 février 2015, date de facturation, soit celle figurant au constat. Bell a ainsi réclamé le paiement à l’avance des trois services[73]. Elles représentent distinctement le coût total mensuel des abonnements respectifs. C’est par ce geste externe que la défenderesse exprime sa volonté d’être payée, démarche entraînant son éventuelle responsabilité pénale.
- C’est pourquoi c’est à cette date que l’on reproche à la défenderesse la commission de l’infraction, soit d’avoir « exigé des frais pour une période de facturation complète alors que M. Sbiera avait résilié son contrat à l’intérieur de cette période ». [Nos soulignements]
- Mais ce n’est pas tout.
- Monsieur Sbiera a communiqué avec le service à la clientèle de Bell, mais son souvenir est vague quant à la date exacte. Néanmoins, puisque tous les services sont fournis par satellite, il croit qu’en demandant le débranchement des signaux satellitaires, l’ensemble des autres services seront également interrompus. Contre-interrogé, M. Sbiera se rappelle alors que son nouveau fournisseur de service (Vidéotron) a effectué des démarches en ce sens au moment de sa nouvelle installation. Ce sont des détails techniques « qu’il ne maîtrise pas ».
- Le Tribunal croit sa version. Il témoigne de manière honnête, sincère, au mieux de ses souvenirs, sur des incidents survenus en 2015.
- À tout évènement, bien que la défenderesse argue que le poursuivant n’a pas prouvé la date de résiliation des différents contrats de M. Sbiera, Bell a tout de mëme produit de consentement à l’audition, un tableau indiquant l’ensemble des services fournis au consommateur, les dates de ses appels ou de son nouveau fournisseur afin de mettre un terme aux différents contrats, ainsi que la date de fin distincte pour chacun des services[74].
- Puisque ce document émane de la défenderesse et corrobore en bonne partie la version de M. Sbiera, le Tribunal ne peut l’écarter.
- À cet égard, cette pièce établit qu’en date du 11 février 2015, Vidéotron, le nouveau fournisseur mandaté par M. Sbiera, a communiqué avec un représentant de Bell dans le but de mettre fin au service de téléphonie et d’Internet, et ce, respectivement pour les 14 et 17 février 2015. Par ailleurs, la date demandée de résiliation pour le téléphone est aussi fixée au 14 février 2015. Concernant le service de télévision, retenons qu’en vertu du document, la défenderesse a reçu un appel de M. Sbiera le 19 janvier 2015 afin que ses services se terminent le 18 février 2015. Les dates demandées de résiliation pour ses deux autres services (télé, internet) ne sont pas établies par ce document, mais, qu’importe, à la suite de cette preuve, les dates de fin de service à retenir sont :
- pour la téléphonie : le 14 février 2015;
- pour le service Internet : le 17 février 2015; et
- pour le service de télé satellitaire : le 18 février 2015.
- L’article 214.8 de la Loi interdit en cas de résiliation unilatérale par le consommateur d’un contrat à durée indéterminée, qu’une indemnité de résiliation lui soit réclamée.
- À cet égard, l’article 214.6 de la Loi définit l’indemnité de résiliation comme: « […] Toutes les sommes que le commerçant peut alors réclamer du consommateur, autres que le prix des services qui lui ont été fournis, calculé au tarif prévu au contrat […] » [Nos soulignements]
- Au sujet de cette définition, l’auteure Geneviève Duchesne enseigne :
Ainsi, sans égard aux termes utilisés par le commerçant pour les qualifier, les sommes exigées suite à la résiliation du contrat de service constituent l’indemnité de résiliation et celle-ci ne peut excéder le montant maximal en application des articles 214.7 et 214.8 de la L.p.c.[75]
- La Cour du Québec, Chambre civile, adopte une approche similaire[76].
[6] Les parties ont conclu un contrat à exécution successive de service fourni à distance aux termes des articles 214.1 à 214.11 de la Loi sur la protection du consommateur (L.R.Q., c. P-40.1).
[7] Il s'agit de dispositions législatives impératives. Cette loi est une loi d'ordre public de protection. Elle doit donc prévaloir sur les clauses contractuelles qui y dérogent.
[…]
[10] La loi prévoit que le consommateur peut, à tout moment et à sa discrétion, mettre fin au contrat par un avis écrit au commerçant. La résiliation prend effet à la date de transmission de l'avis.
[…]
[11] La défenderesse ne peut donc exiger le préavis de 30 jours mentionné à son contrat.
[12] La loi prévoit aussi que les sommes à verser au commerçant en cas de résiliation, comme en l'espèce, sont déterminées par le fait qu'un bénéfice économique a été consenti ou non au consommateur.
[…]
- Dans une autre décision, la Cour souligne[77] :
[18] L'article 214.6 de la L.p.c., qui concerne spécifiquement la résiliation du contrat, édicte que le consommateur peut résilier le contrat à tout moment et à sa discrétion par la transmission d'un avis au commerçant :
214.6. […]
[19] En vertu de cette disposition, la résiliation prend effet à compter de la transmission de l'avis ou à la date indiquée par le consommateur.
[…]
[27] Le Tribunal conclut que Vidéotron n'a pas respecté l'article 214.6 de la L.p.c. qui l'oblige à résilier le contrat à la date indiquée par le consommateur.
[…]
[34] La L.p.c. a un caractère d'ordre public et a pour but de protéger les intérêts du consommateur.
- À ce propos, dans un dossier impliquant un consommateur ayant demandé un remboursement partiel des frais payés à l’avance après avoir mis fin à sa relation avec son fournisseur, la Cour en référant à l’affaire Hébert soulignée précédemment, énonce :
[24] Visiblement la défenderesse appliquait à tort sa politique de résiliation de contrat, donc en contravention de la Loi sur la protection du consommateur.[78]
- Enfin, dans l’affaire Bouffard précitée, le Tribunal a également ordonné le remboursement des avances versées au fournisseur lors de la conclusion du contrat[79]. [Nos soulignements]
- La revue de cette jurisprudence établit sans l’ombre d’un doute, peu importe les clauses des modalités de service, que les articles de la Loi sont d’ordre public et qu’ils ne peuvent être autrement transgressés.
- Il est ainsi interdit au fournisseur de service de réclamer au consommateur une indemnité de résiliation après la date où ce dernier lui a transmis un avis à cet effet.
- Dans le présent dossier, le 16 février 2015, Bell à facturé à l’avance M. Sbiera pour les services qu’il n’avait pas encore totalement reçus. C’est à cette date que la défenderesse a commis l’infraction reprochée.
- En l’occurrence, M. Sbiera a obtenu qu’une partie des services avant les différentes dates de fin de service retenues précédemment par le Tribunal.
- En consultant les factures émises le 16 février 2015, soit la date inscrite au constat[80], le Tribunal remarque que Bell réclame et facture à M. Sbiera le coût des services pour une période postérieure :
- service téléphonique : du 10 février au 9 mars 2015; (14-02-15 fin de serv.)
- service Internet : du 6 février au 5 mars 2015; (17-02-15 fin de serv.)
- service de télévision : du 5 février au 4 mars 2015. (18-02-15 fin de serv.)
- Le Tribunal, en harmonie avec l’article 214.6 de la Loi, convient que Bell peut facturer au consommateur les services « qui lui ont été fournis », et ce, calculés au tarif prévu au contrat, mais elle ne peut certes lui réclamer des sommes pour ceux jamais reçus. Opérer de la sorte contrevient à l’esprit de la Loi.
- Accepter qu’un fournisseur de service exige par contrat d’un consommateur un paiement à l’avance pour le recevoir, et ce, sans possibilité en cours d’exécution d’être remboursé dans l’éventualité où il exprime sa volonté de le résilier, soit comme dans la situation actuelle, est certes contraire à l’intention du législateur et à l’accomplissement de l’objet de ses nouvelles dispositions.
- Cette façon de procéder engendre assurément un affaiblissement de la protection prévue par la loi visant ces types de contrat.
- Ainsi, le ou vers le 16 février 2015, date de la facture, Bell a exigé formellement de M. Sbiera des montants qu’elle ne pouvait plus réclamer en totalité, sachant avant cette date (19-01-15 et 11-02-15) qu’elle devait mettre fin aux services durant la période visée par ce document.
- Enfin, quant au dernier élément à prouver apparaissant au libellé du constat, à savoir que le ou vers le 16 février 2015 « a exigé les frais pour une période de facturation complète alors que le consommateur avait résilié son contrat à l’intérieur de cette période », force est de constater que l’article 214.8 est moins précis.
- D’emblée, selon les dictionnaires[81], « réclamer » c’est « exiger », « revendiquer », et ce terme doit recevoir une interprétation large et libérale en vue d’assurer l’accomplissement de l’objet de la Loi[82] (Loi sur la protection du consommateur).
- Cela dit, la preuve démontre que M. Sbiera a payé Bell pour l’ensemble des frais réclamés pour chacun des services[83], et ce, pour les périodes respectives associées à ces factures (périodes de facturation complète).
- À la lecture de celles-ci, le Tribunal retient qu’après les différentes dates de fin des services établis par Bell, l’entreprise, malgré les demandes répétées de M. Sbiera, n’a pas remboursé totalement les sommes perçues en trop.
- Comme souligné précédemment, les périodes de facturation varient d’un service à un autre et débutent toutes entre le 5 et le 10 février 2015 pour se terminer entre le 4 et le 9 mars 2015.
- Bell soutient « qu’elle n’a pas ainsi exigé de M. Sbiera des frais pour une période de facturation complète (c’est-à-dire un mois complet) postérieurement à la résiliation du contrat de M. Sbiera, évènement survenu après la transmission de la facture »[84].
- Or, le Tribunal n’est pas de cet avis.
- D’emblée, le libellé du constat informe sans équivoque la défenderesse de l’acte fautif reproché.
- À sa lecture, le Tribunal comprend, bien que la facture porte la date du 16 février 2015, que les frais sont exigés comme soulignés précédemment, pour chacun des services, et ce, pour une période de 30 jours. C’est cette période de facturation qui est visée et chacune correspond à celle apparaissant aux différentes factures.
- Le Tribunal ignore la date de réception par M. Sbiera de cette facturation, mais selon le tableau préparé par Bell, l’entreprise avant même de la transmettre, avait été informée, soit par M. Sbiera (le 19 janvier 2015), soit par Vidéotron (le 11 février 2015), qu’elle devait cesser la fourniture de services durant la période couverte de facturation complète, ce qu’elle a omis de considérer.
- La combinaison des articles 214.6 et 214.8 de la Loi interdit au commerçant de réclamer au consommateur des sommes reliées aux services après une résiliation unilatérale, autres que celles correspondant à ceux déjà fournis.
- Ainsi, en réclamant de M. Sbiera des frais après les différentes dates de fin de service, après avoir été informée avant l’envoi des factures, sans même apporter les modifications appropriées liées aux périodes complètes facturées à l’avance, la défenderesse a contrevenu à la Loi et le libellé du constat est par conséquent conforme à l’infraction reprochée.
- Cette interprétation voulant qu’il soit interdit de réclamer tous les frais de service payés par M. Sbiera après les dates de fin de service est sans contredit cohérente avec l’intention du législateur. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article 214.5 de la Loi, stipulant que le commerçant ne peut exiger du consommateur le prix des services dont il a été privé pendant une période de réparation du bien qu’il a loué de ce dernier pour l’utilisation des services achetés. Ainsi, pourquoi en serait-il autrement, lorsque le service est définitivement interrompu.
- Enfin, le libellé du constat ainsi que l’article 214.8 n’exigent pas du poursuivant, selon les faits du présent dossier, qu’il prouve avec précision les frais réclamés par Bell à titre de trop-perçu. Il suffit d’établir, comme ici, qu’une somme a été exigée par le commerçant après la date de fin de service unilatérale par le consommateur, peu importe le montant, lequel n’a jamais fait l’objet d’un remboursement complet pouvant correspondre à l’excédent, et ce, tel qu’il appert de la facturation subséquente du mois de mars 2015 préparée par Bell.
- Précisons à titre informatif que la mise en demeure transmise à Bell par M. Sbiera, fixe à 112,25 $ la somme qu’il réclame alors que le tableau confectionné par l’enquêtrice l’établit à 119,33 $, sans toutefois tenir compte de la restitution partielle, (pièce P-10).
- Par ailleurs, dans l’affaire Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Télus Communications inc.[85], la Cour supérieure trace, à propos de l’article 214.8 de la Loi, une similitude avec l’article 2129 du Code civil du Québec :
[54] L’article 214.8 L.p.c. s’intéresse à l’indemnité qui peut être demandée au consommateur dans le cas d’une résiliation d’un contrat à durée indéterminée. Dans une telle hypothèse, le commerçant ne peut exiger une telle indemnité que si certaines conditions sont remplies.
[55] Essentiellement, par ces articles, le législateur a voulu transférer au droit de la consommation, les règles énoncées à l’article 2129 C.c.Q. en matière de résiliation par le client et ainsi plafonner l’indemnité de résiliation qui sera due par le consommateur.
[Références omises]
- À cet égard, l’article 2129 C.c.Q. énonce :
2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l’entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu’il peut les utiliser.
L’entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu’il a reçues en excédent de ce qu’il a gagné.
Dans l’un et l’autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir.[86]
[Nos soulignements]
- Le Tribunal partage le parallèle souligné par la Cour supérieure entre l’article 214.8 de la Loi et l’article 2129 C.c.Q.
- Je suis d’opinion qu’à la lecture de cette disposition (2129 C.c.Q.) le législateur, lorsqu’il a édicté l’article 214.8 de la Loi, désirait éviter toute situation voulant qu’un commerçant puisse percevoir et conserver des sommes après la date de résiliation, sans avoir à les restituer au consommateur.
- Ainsi, le Tribunal est convaincu que le poursuivant a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction reprochée à la défenderesse, et ce, tel que libellé au constat.
4. Subsidiairement, la doctrine de minimis non curat lex est-elle recevable?
- Puisque le Tribunal conclut à la commission de l’infraction reprochée, Bell allègue subsidiairement que les circonstances du présent dossier justifient l’application de la doctrine afin d’être acquittée.
- Selon la défenderesse « la doctrine est bien vivante en droit canadien et sert à garder un équilibre dans l’ordre judiciaire, éviter des poursuites criminelles ou pénales pour des enjeux de peu d’importance et conserver la confiance de l’administration de la justice »[87]. Au soutien, elle réfère aux décisions R. c. Freedman[88], Québec (Procureur général) c. Transport Robert (1973) ltée[89] et Yombo c. R.[90].
- Le Tribunal retient de ces décisions, les critères suivants :
a) le caractère de la défenderesse;
b) la nature de l’infraction prouvée;
c) les circonstances entourant l’infraction, incluant la motivation de la défenderesse;
d) le mal infligé par la commission de l’infraction;
e) l’objectif spécifique visé par le législateur dans la mise en œuvre de la Loi;
f) l’intérêt public;
g) ce moyen ne doit pas discréditer l’administration de la justice;
h) une déclaration de culpabilité, considérant les circonstances de l’infraction, pourrait choquer le public et miner sa confiance dans l’appareil judiciaire.[91]
- Pour la défenderesse, malgré l’enquête de l’Office de la protection du consommateur et le nombre de clients de Bell ayant fait l’objet de vérification durant cette période (11 plaignants selon la version de Mme Dussault, enquêtrice), un seul dossier, soit celui de M. Sbiera, est retenu.
- Ainsi, selon elle, il ne s’agit pas d’une problématique à grande échelle.
- Elle ajoute que le montant en jeu « s’il peut effectivement être calculé » est plutôt « de faible importance », sans oublier que M. Sbiera a bénéficié, du moins d’un remboursement partiel à la suite de la résiliation de son service de télévision.
- Enfin, Bell souligne qu’en date du 17 octobre 2016, le poursuivant a signé le constat d’infraction malgré qu’au 5 mai 2016, la réglementation fédérale s’est trouvée modifiée, imposant aux fournisseurs de service de télécommunication d’octroyer un remboursement aux clients découlant de la résiliation des services, et ce, pour l’excédent de la période de facturation en cours[92].
- Bell argue « que le présent procès qui a consommé des ressources judiciaires et de nombreuses heures de cour aurait pu être évité, d’autant qu’il s’agit d’un dossier « inusité » qui « n’aura aucun effet sur la modification des pratiques commerciales de l’entreprise ou la protection des consommateurs ».
- Une fois de plus, le poursuivant n’est pas de cet avis.
- Il réfère à certaines décisions prononcées par la Cour du Québec, lesquelles rappellent le devoir de réserve que les juges se doivent de respecter envers les lois et règlements adoptés par le gouvernement[93].
- Si le législateur a jugé utile de baliser et de réglementer les actes permis et d’énoncer le contenu des obligations à respecter par le commerçant de service à exécution successive fourni à distance afin d’établir un équilibre entre les parties contractantes, le Tribunal ne peut l’ignorer et y passer outre.
- Selon lui, appliquer cette doctrine dans un tel contexte revient à invalider l’intention du législateur à vouloir accorder une protection supplémentaire à des consommateurs.
- Qu’en est-il ?
- Selon la Cour d’appel[94], cette doctrine ne doit être appliquée par les tribunaux d’instance que dans les cas les plus clairs et les plus manifestes. Elle insiste sur son caractère exceptionnel.
- S’il est vrai que la maxime permet le maintien de la confiance du public dans l’administration de la justice, elle peut aussi avoir un effet inverse si elle est appliquée sans une évaluation sérieuse de toutes les circonstances.
- Dans le présent dossier, n’oublions pas que La loi est d’ordre public. Les nouvelles dispositions édictées visent davantage à protéger le consommateur et plusieurs de ses articles imposent au commerçant le respect de nombreuses conditions.
- Au surplus, le législateur est catégorique. Le commerçant ne peut réclamer, sauf à certaines conditions, aucune autre somme au consommateur après la date de résiliation d’un contrat à durée indéterminée, et ce, peu importe le montant en jeu.
- Le Tribunal ne peut pas réécrire cette disposition sous prétexte que le résultat, même pour un seul dossier, apparaît pour Bell inéquitable. Agir autrement, compromet la pérennité et l’autorité de ce texte tout en diminuant sa prévisibilité.
- Rappelons que M. Sbiera, avant que le dossier se judiciarise, a demandé à plus d’une reprise à la défenderesse de lui rembourser les sommes payées pour les services facturés et non reçus, soit, entre autres, par l’envoi d’une mise en demeure[95].
- Or, bien que Bell a reçu une demande de restitution et malgré la décision du CRTC soulignée précédemment établissant son devoir de remboursement, jamais la défenderesse n’a modifié son comportement ni jugé ultimement de remettre la somme réclamée à M. Sbiera avant même la signification du constat d’infraction. Au contraire, il a dû s’en remettre à l’Office de la protection du consommateur afin de tenter de récupérer les sommes versées en trop, toujours sans succès.
- Le public comprendrait très difficilement, pour ne pas en dire plus, qu’un juge ayant conclu à la commission d’une infraction à une loi d’ordre public puisse acquitter un commerçant. Cela ne peut que nuire à l’intérêt commun dans ce type de dossier[96].
- Nous sommes en matière réglementaire et même si le montant peut paraître minime aux yeux de Bell, une entreprise pancanadienne, il n’en demeure pas moins que pour le consommateur, une personne ordinaire ainsi que le public en général, l’infraction est consommée et toute somme perçue sans droit par cette compagnie en est une de trop.
- Après analyse des différents critères élaborés par les tribunaux et une évaluation sérieuse de toutes les circonstances, accepter l’application de cette doctrine au présent dossier n’est pas recevable.
- Puisque l’ensemble de la preuve établit hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction, alors :
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- DÉCLARE la compagnie défenderesse coupable de l’infraction reprochée;
- CONVOQUE les parties afin qu’elles puissent soumettre leurs observations quant à la détermination de la peine le 11 décembre 2024, à 9 h 30, au palais de justice de Montréal en salle 5.08 en présentiel ou via la plateforme Teams;
- À DÉFAUT DESQUELLES, le Tribunal rendra son jugement sur la peine comme suit :
- CONDAMNE la compagnie défenderesse à payer l’amende minimale de mille dollars (1 000 $) avec tous les frais et la contribution obligatoire;
- ACCORDE un délai de trois mois pour payer les sommes dues.
|
| __________________________________ FRANÇOIS KOURI Juge de paix magistrat |
|
|
Me Jean-Philippe Leroux |
Me Michelle Arentsen |
Pour le poursuivant |
|
|
Me Vincent De L’Étoile |
Langlois avocats s.e.n.c.r.l. |
Procureur de la compagnie défenderesse |
|
Me Mélissa Beaudry |
Procureure à l’interne chez Bell Canada |
|
|
Date d’audience : | 9 février 2024 | |
Date du délibéré : | 23 mai 2024 | |
| | | |
[2] Notes et autorités de la défenderesse datées du 26 avril 2024, p. 1, par. 2.
[3] R. c. 139561 Canada ltée, AZ-90031259 (C.Q.), p. 7 et 8 (Appel par voie de procès de novo accueilli (C.S., 1991-04-25) 500-36-000736-903, SOQUIJ AZ-91021547); Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Bell Mobilité inc., C.Q. 500-61-412185-150, daté du 17 avril 2018; Québec (Procureur général) (Office de la protection du consommateur) c. Casa Auto inc., 2007 QCCQ 9809, par. 34.
[4] Notes et autorités de la défenderesse, préc., note 2, p. 5, par. 29.
[6] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Télus Communications inc., 2020 QCCS 1850, par. 48 (Requêtes pour permission d'appeler accueillies (C.A., 2020-10-14) 500-10-007390-204, 500-10-007391-202, 500-10-007403-205 et 500-10-007404-203, 2020 QCCA 1321. Appels rejetés quant aux dossiers nos 500-10-007390-204 et 500-10-007391-202; appels accueillis en partie quant aux dossiers nos 500-10-007403-205 et 500-10-007404-203 (C.A., 2022-03-24) 500-10-007390-204, 500-10-007391-202, 500-10-007403-205 et 500-10-007404-203, 2022 QCCA 408. Requêtes pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetées (C.S. Can., 2022-11-10) 40192 et 40193.
[7] Option aux consommateurs c. Meubles Léon ltée, 2017 QCCS 3526, par. 55 (Appels principaux accueillis en partie et appel incident rejeté (C.A., 2020-01-20) 500-09-027020-171 et 500-09-027018-175, 2020 QCCA 44. Requêtes pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetées (C.S. Can., 2020-10-22) 39132).
[10] Id., p. 11 et 12, l. 20-25.
[17] Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d'armature, section locale 771 (C.S. Can., 2005-11-24), 2005 CSC 70, [2005] 3 R.C.S. 425, par. 32.
[20] 9076-7567 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2023 QCCS 4853 (Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2024-02-09) 500-10-008147-249, 2024 QCCA 165).
[21] Richard c. Time Inc., (C.S. Can., 2012-02-28), 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, par. 160-162; Directeur des poursuites criminelles et pénales c.Télus Communications inc., préc., note 6, par. 152 [confirmé en appel]; Option aux consommateurs c. Meubles Léon ltée, préc., note 7, par. 55.
[22] Union des consommateurs c. Air Canada, 2014 QCCA 523, par. 59 (Action collective rejetée (C.S., 2022-11-10) 500-06-000513-107, 2022 QCCS 4254. Déclaration d'appel, 2022-12-29 (C.A.) 500-09-030343-222.)
[24] R. c. 139561 Canada ltée, préc., note 8.
[26] Article 214.7 de la Loi.
[27] Article 214.8 de la Loi.
[28] Articles 54.1, 66-72, 118, 132, 150, 182, 187.1, 187.6, 187.10, 189 et 198 de la Loi.
[29] Langis c. Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec, 2011 QCCS 1513 (Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2011-06-21) 500-10-004914-113, 2011 QCCA 1168).
[31] Poulin c. Ville de Rosemère, 2020 QCCS 2010, par. 33.
[33] R. c. 139561 Canada ltée, préc., note 9, p. 11 et suiv., et l. 20 et suiv.
[34] Société immobilière GP inc. c. Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures, 2022 QCCS 3679, par. 106 (Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2022-12-20) 200-10-004031-220, 2022 QCCA 1722, SOQUIJ AZ-51902549).
[35] Lépine c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2016 QCCS 3410, par. 67.
[37] Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, préc., note 16, p. 3.
[39] Église de scientologie c. Office de la protection du consommateur, REJB 1997-02470 (C.S.) [Règlement hors cour (C.A., 2003-02-26) 200-10-000552-971].
[41] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission des relations avec les citoyens, 1re sess., 39e légis., 5 novembre 2009, « Étude détaillée du projet de loi no 60 – Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur et d’autres dispositions législatives », 11h27 (Mme Kathleen Weil).
[42] Hubert Reid, Dictionnaire du droit québécois et canadien, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2023, « notamment » et en ligne : https//dictionnairereid.caij.qc.ca.
[43] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Index du Journal des débats – Projets de loi, 1re sess., 39e légis., 2 décembre 2009, « Projet de loi no 60 – Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur et d'autres dispositions législatives », p. 4305-4312.
[44] Cyr c. Procureur général du Québec, 2023 QCCA 213; Côté c. Fédération des producteurs acéricoles du Québec, 2014 QCCA 477, par. 14 (Appel accueilli en partie (C.A., 2015-02-16) 500-09-023926-132 et 500-09-023949-134, 2015 -51175804. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2015-09-10) 36367. QCCA 287. Requête pour suspendre l'exécution rejetée (C.A., 2015-05-01) 500-09-023926-132 et 500-09-023949-134, 2015 QCCA 862, SOQUIJ AZ
[45] Hébert c. Vidéotron, s.e.n.c., 2014 QCCQ 6408.
[47] Me Hélène Montreuil, Les affaires et le droit, 2e éd., septembre 2020, LexisNexis Canada, p. 49, Chapitre 25, la « Loi sur la protection du consommateur ».
[48] Geneviève Duchesne, « Contrat à exécution successive de service fourni à distance », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Droit de la consommation et de la concurrence, fasc. 14, Montréal, LexisNexis Canada, nos 4-5, feuilles mobiles, à jour au 3 décembre 2015.
[49] Bell Canada c. Directeur des poursuites criminelles et pénales (Office de la protection du consommateur), 2022 QCCA 408, par. 52-71 (Requêtes pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetées (C.S. Can., 2022-11-10) 40192 et 40193).
[53] Richard c. Time Inc., préc., note 21, par. 160-162.
[54] Article 5 c), Loi sur la protection du consommateur, L.Q. 1978, c. 9 (Un contrat d’une entreprise publique fait conformément à une autorisation de la Régie des services publics).
[55] Loi sur la protection du consommateur, c. P-40.1 en date du 9 novembre 1988.
[56] Téléphone Guèvremont inc. c. Québec (Régie des télécommunications), [1994] 1 R.C.S. 878.
[57] Loi sur la protection du consommateur, c. P-40.1, en date du 18 mars 1998.
[58] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de l’Assemblée nationale, 2e sess., 37e légis., 14 décembre 2006, « Projet de loi n° 63 – Loi sur le Recueil des lois et des règlements du Québec », p. 4045-4048 (ministre de la Justice Yvon Marcoux).
[59] Directeur des poursuites criminelles et pénales c.Télus Communications inc., préc., note 6, par. 51 [confirmé par la Cour d’appel].
[61] Article 1378 du Code civil du Québec.
[62] Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, préc., note 16.
[63] Article 54.1 de la Loi.
[64] Le Petit Larousse illustré, 2011.
[66] Pierre-Claude Lafond, Droit de la protection du consommateur : Théorie et pratique, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, par. 236.
[67] L.C. 1993, ch. 38, article 2.
[68] Notes et autorités du poursuivant datées du 28 mars 2024, par. 65.
[69] RLRQ, c. C-25.1, article 151.
[70] R. c. Canadian General Electric Co. Ltd., [1994] 17 C.C.C. 2e ed. (433).
[71] Notes et autorités de la défenderesse, préc., note 2, par. 31 et 32.
[72] RLRQ, c. P-40.1, r. 3, article 79.10.
[73] Clause 14 des modalités de service, pièce P-5.
[74] Pièce P-5, en liasse (Tableau en pièce jointe à la lettre du 15 février 2016).
[75] Geneviève Duchesne, « Contrat à exécution successive de service fourni à distance », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Droit de la consommation et de la concurrence, fasc. 14, Montréal, LexisNexis Canada, nos 4-5, feuilles mobiles à jour, 27 juillet 2014, p. 8.
[76] Bouffard c. Fortin (Infofortin Télécom), préc., note 46.
[77] Hébert c. Vidéotron, s.e.n.c., préc., note 45.
[78] Hébert c. Cooptel Coop de télécommunication, préc., note 46.
[79] Bouffard c. Fortin (Infofortin Télécom), préc., note 46, par. 18.
[81] Le Petit Robert 2012; Filion, Michel, Dictionnaire encyclopédique du Droit québécois, Gaudet Éditeur ltée.
[82] 9076-7567 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2023 QCCS 4853 (Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2024-02-09) 500-10-008147-249, 2024 QCCA 165)
[83] Pièce P-6, en liasse, factures du 16 mars 2015 démontrant le paiement.
[84] Notes et autorités de la défenderesse, préc., note 2, par. 61.
[85] Préc., note 6, par. 54 et 55.
[86] CCQ-1991, Code civil du Québec.
[87] Notes et autorités de la défenderesse, préc., note 2, par. 71.
[88] 2006 QCCQ 1855, par. 56 et 57 [La Cour supérieure confirme la possibilité d’application de la maxime].
[89] 2006 QCCQ 1762, par. 40-51.
[90] 2023 QCCA 12, par. 18-27.
[91] Québec (Procureur général) c. Transport Robert (1973) ltée, préc., note 89.
[92] Décision de Télécom CRTC 2016-171, 5 mai 2016.
[93] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Habitation Leblanc inc., 2014 QCCQ 6393, par. 72; Québec (Procureur général) c. 37666063 Canada inc., 2007 QCCQ 8661.
[95] Pièce P-7 datée du 4 mars 2015.
[96] Yombo c. R., préc., note 90, par. 20.