Décision

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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Bharwani, 2025 CSC 26

 

 

Appel entendu : 10 octobre 2024

Jugement rendu  : 25 juillet 2025

Dossier : 40781

 

Entre :

 

Mohamed Adam Bharwani

Appelant

 

et

 

Sa Majesté le Roi

Intimé

 

- et -

 

Procureur général de la Colombie-Britannique,

procureur général de l’Alberta,

Criminal Lawyers’ Association,

Empowerment Council,

Independent Criminal Defence Advocacy Society

et Criminal Trial Lawyers’ Association

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 138)

La juge O’Bonsawin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer et Jamal)

 

 

Motifs conjoints dissidents :

(par. 139 à 233)

Les juges Karakatsanis et Martin (avec l’accord de la juge Moreau)

 

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

 

 


Mohamed Adam Bharwani Appelant

c.

Sa Majesté le Roi Intimé

et

Procureur général de la Colombie-Britannique,

procureur général de l’Alberta,

Criminal Lawyers’ Association,

Empowerment Council,

Independent Criminal Defence Advocacy Society et

Criminal Trial Lawyers’ Association Intervenants

Répertorié : R. c. Bharwani

2025 CSC 26

No du greffe : 40781.

2024 : 10 octobre; 2025 : 25 juillet.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

 Droit criminel Procès — Aptitude à subir son procès — Accusé ayant des antécédents de santé mentale jugé apte à subir son procès et déclaré coupable du meurtre au premier degré de sa colocataire — L’accusé était-il apte à subir son procès? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 2 « inaptitude à subir son procès ».

 Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Nouveaux éléments de preuve — Accusé inculpé du meurtre au premier degré de sa colocataire — Accusé soulevant une défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux — Preuve d’expert de trois psychiatres sur la compréhension par l’accusé du caractère moralement répréhensible de ses actes produite au procès — Accusé jugé apte à subir son procès et déclaré coupable — Accusé cherchant à présenter en appel les opinions de deux autres psychiatres et de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité et la fiabilité d’un psychiatre qui a fourni une preuve d’expert pour la Couronne au procès — Les nouveaux éléments de preuve devraient-ils être admis?

 L’accusé, qui a des antécédents de problèmes de santé mentale, a été accusé du meurtre au premier degré de sa colocataire. Au cours des procédures préalables au procès, la santé mentale de l’accusé était fluctuante et plusieurs préoccupations ont été soulevées concernant son aptitude à subir son procès. L’accusé a congédié ses avocats et a décidé d’assurer sa propre défense, ce qui a incité la cour à nommer un amicus curiae. Un jury a finalement déclaré l’accusé apte à subir son procès.

 Au procès, l’accusé a présenté une défense de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux (« NRCTM »). Trois psychiatres légistes ont été appelés à témoigner. Les deux psychiatres cités comme témoins experts pour la défense ont conclu que l’accusé présentait des symptômes de schizophrénie et de psychose et que ses troubles mentaux l’empêchaient de comprendre le caractère moralement répréhensible de ses actes au moment de l’infraction. Le psychiatre cité comme témoin expert par la Couronne, W, a aussi déterminé que l’accusé était schizophrène, mais était d’avis qu’il était peutêtre à la phase prodromique de la maladie au moment de l’infraction. Selon W, l’accusé était capable d’apprécier la nature et la qualité de ses actes, et aucun symptôme ne l’aurait empêché de savoir que ses actes étaient moralement répréhensibles au moment de l’infraction. L’accusé a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un jury.

 L’accusé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité et a présenté à la Cour d’appel une requête en production de nouveaux éléments de preuve, soit les opinions de deux autres psychiatres, P et C, qui ont fait des évaluations après le procès de l’aptitude de l’accusé à subir son procès et de sa défense de NRCTM. La Cour d’appel a rejeté à la fois la requête et le pourvoi, statuant que l’accusé avait été apte à subir son procès. L’accusé interjette appel à la Cour, et présente une requête en production de nouveaux éléments de preuve se rapportant à des conclusions de fait judiciaires concernant le témoignage de W dans deux affaires distinctes, R. c. Nettleton, 2023 ONSC 3390, et R. c. Minassian, 2021 ONSC 1258, 401 C.C.C. (3d) 123, ainsi qu’aux transcriptions d’audience correspondantes, où des préoccupations ont été formulées au sujet des pratiques de W en matière de prise de notes et de rédaction.

 Arrêt (les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes) : La requête en production de nouveaux éléments de preuve et le pourvoi sont rejetés.

 Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin : Un accusé est apte à subir son procès s’il est capable de prendre et de communiquer des décisions fondées sur la réalité lorsqu’il assume sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet. Le fait pour un accusé d’assumer sa défense comprend la prise de décisions qu’il doit toujours prendre personnellement ainsi que de décisions qui se rapportent à l’exercice de son droit à une défense pleine et entière, comme les décisions concernant les plaidoyers, le mode de procès, le choix de l’avocat, la décision de témoigner ou de convoquer ou de contre-interroger des témoins, et les observations finales, entre autres. La capacité requise pour prendre ces décisions est une compréhension fondée sur la réalité de la nature ou de l’objet des poursuites et de leurs conséquences éventuelles, ainsi que la capacité à comprendre les options qui s’offrent à lui, à en évaluer les conséquences et à choisir parmi cellesci. Il n’est pas nécessaire que l’accusé puisse prendre des décisions au mieux de ses intérêts, mais ce dernier ne peut être envahi par des idées délirantes, des hallucinations ou d’autres symptômes de ses troubles mentaux lorsqu’il prend et communique ses décisions. En l’espèce, il faut s’en remettre à la conclusion du juge du procès à savoir que même si les troubles mentaux de l’accusé l’empêchaient de prendre des décisions qui servent au mieux ses intérêts, il n’existait aucun motif raisonnable de croire qu’il ne comprenait pas la réalité de son procès. En ce qui a trait aux nouveaux éléments de preuve que l’on a cherché à présenter à la Cour d’appel, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils aient influé sur le résultat et la cour n’a commis aucune erreur qui justifierait une intervention. De même, les nouveaux éléments de preuve que l’on a voulu présenter devant la Cour n’auraient pas pu raisonnablement influer sur l’issue du procès et ne devraient donc pas être admis en preuve.

 L’exigence selon laquelle l’accusé doit être apte à subir son procès est codifiée à l’art. 2 du Code criminel par le biais de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » et trouve son origine dans la common law. La définition du terme « inaptitude à subir son procès » prévoit que, pour être jugé inapte à subir son procès, l’accusé doit, en raison de troubles mentaux, être incapable d’assumer sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet. Le cœur de la définition de ce terme réside dans l’expression « assumer sa défense », qui englobe les éléments constitutifs d’une « défense » et un seuil de capacité pour « assumer » cette défense. Une défense requiert la prise d’actions affirmatives et de décisions délibérées, comme celles qui doivent être prises personnellement par l’accusé dans le cadre de sa défense, même lorsqu’il est représenté par un avocat. Ces décisions comprennent, notamment, l’inscription d’un plaidoyer, le choix du mode de procès, la décision de témoigner pour sa propre défense, la sélection d’un avocat ou sa révocation ou la décision de se représenter soimême. Les autres décisions prises dans le cadre d’une défense comprennent celles qui relèvent du droit à une défense pleine et entière. Le test de l’aptitude à subir son procès est contextuel, car il est axé sur les décisions qui font partie de la défense de l’accusé dans une affaire donnée, et non dans l’abstrait.

 Pour être capable d’« assumer » une telle défense, l’accusé doit premièrement avoir une compréhension fondée sur la réalité de la nature ou de l’objet et des conséquences éventuelles des poursuites. Deuxièmement, un accusé doit avoir la capacité de prendre des décisions. Cela exige la capacité de comprendre les options qui s’offrent à lui, de choisir parmi ces options et de comprendre les conséquences fondamentales découlant de ces options. Enfin, l’accusé doit avoir la capacité de communiquer de manière intelligible avec le tribunal, ainsi qu’avec son avocat, puisqu’une défense exige invariablement que ceuxci soient informés des décisions qui sont prises.

 Le contexte et l’objet législatifs de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » confirment tous les deux que la définition vise à faire en sorte que, bien que l’accusé doive être physiquement et mentalement présent à son procès et être capable de participer à l’instance, il n’est pas tenu d’avoir une capacité d’analyse avancée ou d’agir au mieux de ses intérêts. En particulier, le contexte législatif illustre qu’un verdict d’inaptitude peut entraîner d’importantes restrictions à la liberté de l’accusé. Étant donné le grand nombre de décisions qui peuvent être prises dans le cadre d’une « défense », l’application d’un seuil élevé en ce qui concerne la capacité d’« assumer » cette défense pourrait potentiellement assujettir de nombreux accusés à de telles restrictions. L’historique législatif entourant la codification de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » suggère que le Parlement n’avait pas l’intention d’imposer une norme stricte en matière d’aptitude, comme exiger la capacité d’agir au mieux de ses intérêts. Pour ce qui est de la raison d’être de l’exigence de l’aptitude, elle trouve son origine dans les droits qui soustendent l’équité procédurale en droit criminel. Ainsi, la définition du terme « inaptitude à subir son procès » reconnaît qu’une personne accusée a le droit de mener sa défense comme elle l’entend, ce qui comprend le droit d’être véritablement présent à son propre procès et le droit de présenter une défense pleine et entière.

 Le seuil de capacité exige que l’accusé soit en mesure de prendre des décisions fondées sur la réalité lorsqu’il assume sa défense et de communiquer ces décisions, sans être envahi par des idées délirantes, des hallucinations ou d’autres symptômes de ses troubles mentaux lorsqu’il le fait. La santé mentale fluctue et la capacité de l’accusé peut varier au fil du temps. Toutefois, les symptômes passagers de santé mentale ne compromettent pas forcément la capacité de l’accusé d’assumer sa défense, et ils ne requièrent pas forcément une nouvelle évaluation de l’aptitude à chaque fluctuation. La considération première consiste toujours à évaluer la mesure dans laquelle les troubles mentaux de l’accusé nuisent à sa compréhension de la réalité lorsqu’il prend des décisions dans le cadre de sa défense, car seuls les accusés qui ont une compréhension de la réalité peuvent être poursuivis. Ainsi, le test de l’aptitude à subir son procès permet à un accusé ayant des troubles mentaux de prendre des décisions mal avisées, à condition qu’il comprenne la réalité de la situation et qu’il soit capable de communiquer de manière intelligible. La norme de l’aptitude à subir son procès s’applique peu importe si l’accusé est représenté par un avocat ou non. Dans le cas d’un accusé non représenté, le juge du procès est toujours tenu de fournir l’aide nécessaire pour que le procès soit équitable. Bien qu’un procès équitable ne remplace pas l’aptitude, les mesures de soutien qui visent à protéger le droit de l’accusé à un procès équitable peuvent être prises en compte dans l’analyse de l’aptitude.

 En l’espèce, l’accusé a manifesté à l’occasion des signes de comportement délirant au procès, mais il a toujours été ramené sur la bonne voie par le juge du procès et l’amicus. Il a pris des décisions fondées sur la réalité dans le cadre de sa défense, comme celle d’utiliser ses récusations péremptoires. Ses questions et ses observations ont également révélé qu’il avait examiné la preuve qui lui avait été communiquée et qu’il en comprenait la nature. L’accusé a, par ailleurs, démontré qu’il comprenait les principales questions juridiques en litige en contestant le caractère volontaire de sa déclaration à la police et en faisant valoir que son état de santé mentale était d’intérêt pour établir l’élément de préméditation et de propos délibéré du meurtre au premier degré, indépendamment de sa défense de NRCTM. Il a également fait preuve d’une réflexion fondée sur la réalité quant à la question de la convocation des témoins et ultimement, a convoqué des témoins pour sa propre défense. Même si certains passages du dossier indiquent que l’accusé a pris des décisions stratégiques qui ont nui à ses intérêts, le juge du procès n’a pas trouvé de motifs raisonnables de croire que l’accusé ne comprenait pas la réalité de son procès.

 Eu égard aux nouveaux éléments de preuve, leur admission est discrétionnaire et est régie par les critères que sont la diligence raisonnable, la pertinence, la plausibilité et l’effet potentiel sur le résultat du procès. En l’espèce, aucune erreur n’a été commise par la Cour d’appel dans son traitement de la nouvelle preuve. Les conclusions de P contredisaient le dossier de l’instance. Il semblait ignorer que l’accusé avait présenté une défense de NRCTM au procès et s’est dit d’avis que l’accusé ne faisait confiance à aucun participant au procès, malgré la preuve claire du contraire. En ce qui a trait à C, la preuve présentée par cette dernière n’apportait pas d’élément nouveau et l’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle influe sur le résultat. C a exprimé l’avis que l’accusé était apte au moment du procès, mais que ce n’était peutêtre pas le cas à tout moment. Cependant, le dossier permet de conclure qu’en dépit d’idées paranoïdes par moments, l’accusé parvenait toujours rapidement à se ressaisir. De plus, l’opinion de C selon laquelle l’accusé était non responsable criminellement au moment de l’infraction en raison de ses troubles mentaux reprend en grande partie les témoignages des deux experts de la défense au procès, qui ont été présentés au jury. Le fait que C soit un témoin expert de la Couronne n’a aucune incidence sur l’analyse et ne permet pas d’écarter les principes généraux qui s’appliquent à l’admission de nouveaux éléments de preuve.

 L’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel est également déterminée selon des critères établis. Un appel n’est pas une occasion de juger à nouveau l’affaire. Les nouveaux éléments de preuve doivent faire plus que simplement compléter ou corriger le dossier du procès. Les nouveaux éléments de preuve proposés que l’on tente de présenter devant la Cour en l’espèce ne répondent pas à ce critère rigoureux, en tenant pour acquis, sans se prononcer sur la question, que les conclusions de fait judiciaires peuvent constituer des éléments de preuve admissibles. La présente affaire se distingue de l’affaire Nettleton puisqu’elle n’implique pas une procédure de déclaration de délinquant dangereux et que, comme l’a convenu l’accusé, la question du copiercoller à partir de rapports antérieurs ne se pose pas. Les conclusions de fait judiciaires tirées dans l’affaire Nettleton ne sont pas pertinentes, sauf pour attaquer la fiabilité générale de W à un niveau à ce point étranger aux circonstances de l’espèce qu’elles ne possèderaient aucune réelle valeur probante. Pour ce qui est de l’affaire Minassian, W a témoigné que sa méthode consistait à prendre des notes sur son ordinateur portable et à les intégrer directement dans son rapport, plutôt que de conserver des documents séparés. Il a été estimé que cette méthode ne compromettait pas la fiabilité des renseignements qu’il avait recueillis ou de son opinion. En l’espèce, comme la crédibilité de W et la fiabilité de sa méthode sont des questions qui ont déjà été présentées au jury, y compris celles exprimées par l’accusé dans sa requête, les nouveaux éléments de preuve n’apportent rien dont ne disposait pas déjà le jury. Il est peu probable que d’entendre parler d’un autre cas de pratiques semblables de prise de notes ait une valeur probante sur la question de la crédibilité et de la fiabilité de W.

 Les juges Karakatsanis, Martin et Moreau (dissidentes) : Il y a accord avec les juges majoritaires en ce qui concerne l’aptitude de l’accusé à subir son procès, mais désaccord quant à la décision portant sur les requêtes en production de nouveaux éléments de preuve. Les nouveaux éléments de preuve fournissent de nouveaux motifs convaincants de douter de la sûreté du verdict du jury selon lequel l’accusé était criminellement responsable de ses actes au moment de l’homicide. Par conséquent, les requêtes en production de nouveaux éléments de preuve présentées devant la Cour et devant la Cour d’appel devraient être accueillies. Le pourvoi devrait également être accueilli, la déclaration de culpabilité annulée, et la tenue d’un nouveau procès ordonnée.

 Les cours d’appel ont le pouvoir, en vertu de l’art. 683 du Code criminel, d’admettre et d’examiner de nouveaux éléments de preuve lorsqu’elles l’estiment dans l’intérêt de la justice. Les nouveaux éléments de preuve devraient uniquement être admis s’ils ne pouvaient pas être produits au procès par l’exercice de la diligence raisonnable, s’ils sont pertinents en ce sens qu’ils portent sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès, s’ils sont plausibles et s’ils sont en mesure d’influer raisonnablement sur le résultat du procès. Ces facteurs devraient être appliqués de façon téléologique afin d’assurer un équilibre entre le caractère définitif et le caractère juste des procédures judiciaires. La norme de preuve à appliquer lors de l’examen de ces facteurs est la prépondérance des probabilités.

 En l’espèce, les transcriptions et les jugements des affaires Nettleton et Minassian répondent au test de la diligence raisonnable puisqu’ils n’existaient pas au moment du procès de l’accusé. Les transcriptions et les jugements dans ces deux affaires sont également pertinents. Les copiercoller de rapports antérieurs et les inexactitudes contenues dans Nettleton soulèvent des questions sur le processus standardisé que W utilise dans la rédaction de ses rapports et sur sa disposition à reconnaître que des erreurs peuvent nuire à la fiabilité de ses opinions. Vu le risque démontré d’erreurs graves découlant du processus courant de rédaction de W, la preuve produite dans l’affaire Nettleton est d’intérêt pour l’évaluation de la fiabilité et de la crédibilité de sa preuve en l’espèce. Cela est particulièrement important compte tenu du fait que trois autres experts ont conclu que l’accusé était non responsable criminellement, y compris C. La description donnée par W des sections d’analyse de ses rapports comme étant standard et la preuve de sa possible partialité quant à sa crédibilité professionnelle sont également pertinentes au regard de sa fiabilité et de sa crédibilité générales en tant qu’expert.

 Dans Minassian, la pratique de prise de notes de W mettait l’avocat de la défense — ou quiconque — dans l’impossibilité de vérifier si le rapport de W était une description complète et exacte de ses longues entrevues avec l’accusé et d’examiner ses conclusions de façon critique ou de les contester. La juge du procès a estimé que la pratique « inhabituelle » de prise de notes de W ne minait pas la fiabilité de son opinion, ce qui atténue les préoccupations concernant le processus qu’il utilise pour la rédaction de ses rapports. Toutefois, les transcriptions et les conclusions de Minassian sont néanmoins pertinentes au regard de la fiabilité et de la crédibilité, car elles suggèrent que les préoccupations quant au processus utilisé par W pour la rédaction des rapports allaient au-delà des copiercoller et n’étaient pas limitées à l’affaire Nettleton. La pratique générale de W consistant à ne pas enregistrer ou garder des notes exhaustives de ses entrevues avec des sujets est pertinente au regard de la fiabilité et rendait plus difficile la tâche d’un accusé d’exposer les types d’erreurs présentes dans l’affaire Nettleton où les rapports n’étaient pas le reflet des données liées à l’accusé dans cette affaire. Les transcriptions de Minassian auraient pu aider l’accusé à explorer la question de savoir si la pratique consistant à détruire des notes avait miné la fiabilité de l’opinion de W en l’espèce.

 En ce qui concerne l’impact potentiel des nouveaux éléments de preuve, le témoignage donné dans Nettleton aurait pu influer sur la décision du jury quant à la fiabilité et la crédibilité générales de W en l’espèce. Premièrement, le jury aurait pu conclure que le seul expert qui a estimé que l’accusé était responsable criminellement avait de piètres pratiques générales lorsqu’il compilait ses rapports en faisant des copiercoller des sections d’analyse et de conclusions de ses autres rapports et en changeant les noms des sujets. Deuxièmement, le fait que W ait témoigné qu’il avait révisé l’un de ses rapports pendant des heures sans toutefois relever les erreurs flagrantes démontre une inattention aux détails qui pouvait miner son opinion d’expert. Et, troisièmement, W a insisté sur la fiabilité de son rapport après qu’on lui a fait remarquer les erreurs, et il n’a pas procédé à une autre révision, démontrant potentiellement une partialité quant à sa crédibilité professionnelle. Cette dernière préoccupation est accentuée en l’espèce où, lors du contreinterrogatoire, W a affirmé qu’il préférait se fier à sa mémoire relativement à l’entrevue de l’accusé plutôt qu’aux notes contradictoires et concomitantes prises par son médecin résident. Les transcriptions dans Minassian auraient également pu influer sur le verdict du jury. En l’espèce, W a convenu que ses habitudes de prise de notes faisaient en sorte qu’il était impossible de vérifier ce qui avait été dit pendant ses entrevues avec l’accusé. Pourtant, il a continué à utiliser la même technique durant son entrevue avec l’accusé dans Minassian, des années plus tard. En l’espèce, le jury n’était pas au courant de ces motifs convaincants de potentiellement douter de la preuve de W.

 Ensuite, en ce qui concerne le nouvel élément de preuve de C, il se peut qu’il n’y ait rien de nouveau, dans la mesure où le jury a entendu des témoignages similaires à l’appui de la revendication de NRCTM de l’accusé de la part de deux autres psychiatres au procès. Toutefois, les circonstances ici sont uniques. L’opinion de C a une valeur inédite en raison de la décision d’admettre le nouvel élément de preuve qu’est le témoignage de W dans d’autres affaires. Compte tenu du nouvel élément de preuve mettant en doute la fiabilité de W, l’opinion contraire de C acquiert une valeur nouvelle et probante. Le fait que les experts retenus par la Couronne avaient des opinions clivées entre eux-mêmes sur la question centrale de savoir si l’accusé était non responsable criminellement aurait pu avoir, en combinaison avec la preuve des pratiques potentiellement déficientes de W, fait en sorte qu’un juré raisonnable soupèse la preuve de W sur la question de la NRCTM différemment.

 En outre, l’opinion de C selon laquelle l’accusé comprenait que ses actes criminels étaient répréhensibles à un certain niveau, mais que ses symptômes psychotiques l’avaient amené à se sentir obligé d’agir malgré cela, est conforme au critère juridique pour un verdict de NRCTM. Pour établir une défense de NRCTM sur la base de l’incapacité à apprécier le caractère répréhensible, un accusé doit prouver qu’il était atteint de troubles mentaux au moment de son crime, qui le rendaient incapable de savoir que ses actes étaient à la fois illégaux et moralement répréhensibles. Il y a deux parties au concept de la connaissance de ce qui est moralement répréhensible. La première partie est la capacité générale de comprendre qu’un acte criminel est mauvais. La seconde est une capacité précise d’appliquer rationnellement cette connaissance pour choisir de commettre l’acte criminel spécifique en question. Le simple fait de savoir qu’un acte criminel est moralement répréhensible n’est pas suffisant pour exclure une défense de NRCTM. L’accusé doit également choisir consciemment de commettre l’acte immoral plutôt que d’agir sous l’effet d’une compulsion causée par ses troubles mentaux. Par conséquent, pour obtenir un verdict de NRCTM, l’accusé doit démontrer que ses troubles mentaux l’ont fait se sentir entièrement forcé ou obligé de commettre un acte criminel, de sorte que la capacité d’appliquer sa connaissance de ce qui est moralement répréhensible et de choisir de ne pas agir lui a fait défaut.

 En ce qui a trait à la réparation, le sousal. 686(1)a)(iii) du Code criminel autorise une cour d’appel à admettre un appel d’une déclaration de culpabilité si elle conclut, pour tout motif, qu’il y a eu erreur judiciaire. Une erreur judiciaire est commise lorsqu’autre chose qu’une erreur de droit ou un verdict déraisonnable rend le verdict imprudent. Il s’agit d’un motif d’appel résiduel et vaste, où la cour d’appel est convaincue qu’un procès était inéquitable ou avait créé une apparence d’iniquité au point de miner la confiance du public dans l’administration de la justice. Un accusé peut contester l’équité de son procès en démontrant l’absence d’équité procédurale ou en établissant que le verdict n’était pas fiable sur le fond. Les nouveaux éléments de preuve admissibles qui soulèvent un doute quant à l’intégrité factuelle du verdict au procès se qualifient comme une erreur judiciaire. En l’espèce, une erreur judiciaire a été commise, puisque le verdict aurait raisonnablement pu être différent compte tenu de l’ensemble de la preuve, y compris les nouveaux éléments de preuve.

Jurisprudence

Citée par la juge O’Bonsawin

 Arrêts examinés : R. c. Taylor, 1992 CanLII 7412; R. c. Minassian, 2021 ONSC 1258, 401 C.C.C. (3d) 123; R. c. Nettleton, 2023 ONSC 3390; R. c. Hason, 2024 ONCA 369, 171 O.R. (3d) 225; arrêts mentionnés : R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; R. c. Basque, 2023 CSC 18; R. c. Pritchard (1836), 7 C. & P. 303, 173 E.R. 135; Reference Re Regina c. Gorecki (No. 1) (1976), 14 O.R. (2d) 212; R. c. Robertson (1968), 52 Cr. App. R. 690; R. c. Steele (1991), 63 C.C.C. (3d) 149; R. c. Roberts (1975), 24 C.C.C. (2d) 539; R. c. Gibbons, [1946] O.R. 464; R. c. Woltucky (1952), 103 C.C.C. 43; R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3; R. c. T.J.F., 2024 CSC 38; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. J.D., 2022 CSC 15, [2022] 1 R.C.S. 287; Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149; R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20; R. c. Trought, 2021 ONCA 379, 156 O.R. (3d) 481; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; R. c. Stark, 2017 ONCA 148, 347 C.C.C. (3d) 73; R. c. White, 2022 CSC 7, [2022] 1 R.C.S. 64; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; Vescio c. The King, [1949] R.C.S. 139; R. c. Yscuado (1854), 6 Cox C.C. 386; R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331; R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402; Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, [2016] 2 R.C.S. 521; The Queen c. Laliberté (1877), 1 R.C.S. 117; R. c. J.J., 2022 CSC 28, [2022] 2 R.C.S. 3; R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489; R. c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 R.C.S. 193; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; R. c. Hertrich (1982), 67 C.C.C. (2d) 510; Aucoin c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 554; R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, [2019] 3 R.C.S. 838; R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392; R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, [2018] 3 R.C.S. 35; R. c. Conception, 2014 CSC 60, [2014] 3 R.C.S. 82; R. c. Morrissey, 2007 ONCA 770, 87 O.R. (3d) 481; R. c. Walker, 2019 ONCA 765, 381 C.C.C. (3d) 259; R. c. Hureau, 2014 YKTC 36, inf. en partie par 2014 YKSC 48; R. c. Jayne, 2008 ONCA 258, 90 O.R. (3d) 37; R. c. McGibbon (1988), 45 C.C.C. (3d) 334; R. c. Phillips, 2003 ABCA 4, 172 C.C.C. (3d) 285, conf. par 2003 CSC 57, [2003] 2 R.C.S. 623; R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71; Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759; Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, [2022] 1 R.C.S. 517; R. c. W.E.B., 2014 CSC 2, [2014] 1 R.C.S. 34; Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205; P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; R. c. Forcillo, 2018 ONCA 402, 141 O.R. (3d) 752; R. c. Lévesque, 2000 CSC 47, [2000] 2 R.C.S. 487; R. c. France, 2017 ONSC 2040, 36 C.R. (7th) 293.

Citée par les juges Karakatsanis et Martin (dissidentes)

 R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303; R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507; R. c. Nettleton, 2023 ONSC 3390; R. c. Minassian, 2021 ONSC 1258, 401 C.C.C. (3d) 123; R. c. Ghorvei (1999), 46 O.R. (3d) 63; Kolapully c. Myles, 2024 ONCA 350, 498 D.L.R. (4th) 383; R. c. Hason, 2024 ONCA 369, 171 O.R. (3d) 225; Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759; Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, [2022] 1 R.C.S. 517; R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653; R. c. France, 2017 ONSC 2040, 36 C.R. (7th) 293; R. c. Watson (1996), 30 O.R. (3d) 161; R. c. Mullins-Johnson, 2007 ONCA 720, 87 O.R. (3d) 425; R. c. Sherret-Robinson, 2009 ONCA 886; R. c. Kumar, 2011 ONCA 120, 268 C.C.C. (3d) 369; R. c. Brant, 2011 ONCA 362; R. c. Shepherd, 2016 ONCA 188; R. c. Blackett, 2018 ONCA 119; R. c. Doyle, 2023 ONCA 427, 428 C.C.C. (3d) 293; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330; Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673; R. c. Dobson, 2018 ONCA 589, 48 C.R. (7th) 410; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575; R. c. Porter (1933), 55 C.L.R. 182; The Queen c. Borg, [1969] R.C.S. 551; Boivin c. La Reine, [1970] R.C.S. 917; R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24; R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68; R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26; R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16; R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3; Reference re : Truscott, 2007 ONCA 575, 225 C.C.C. (3d) 321; R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480; R. c. J.A.A., 2011 CSC 17, [2011] 1 R.C.S. 628; R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20; R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651; R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732; R. c. Morrissey (1995), 97 C.C.C. (3d) 193; R. c. Smith, 2021 CSC 16, [2021] 1 R.C.S. 530.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46, art. 2 « inaptitude à subir son procès », « troubles mentaux », 16, 650, 672.11, 672.12, 672.14, 672.22, 672.23(1), 672.31, 672.47, 672.48, 672.54, 672.58, 672.851, 683, 686.

Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, art. 659, 661(2), 737.

Criminal Lunatics Act, 1800 (R.U.), 39 & 40 Geo. 3, c. 94.

Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant en conséquence la Loi sur la défense nationale et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.C. 1991, c. 43.

Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S26, art. 62(3).

Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, c. M.7.

Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002156, règle 47.

Doctrine et autres documents cités

Bloom, Hy. « Fitness to Stand Trial », dans Hy Bloom et Richard D. Schneider, dir., Law and Mental Disorder : A Comprehensive and Practical Approach, Toronto, Irwin Law, 2013, 211.

Brookbanks, W. J., et R. D. Mackay. « Decisional Competence and “Best Interests” : Establishing the Threshold for Fitness to Stand Trial » (2010), 12 Otago L.R. 265.

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Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général, no 7, 3e sess., 34e lég., 9 octobre 1991, p. 7:6.

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Laniel, RichardAlexandre, Alexandra BaharyDionne et Emmanuelle Bernheim. « Agir seul en justice : du droit au choix — État de la jurisprudence sur les droits des justiciables non représentés » (2018), 59 C. de D. 495.

Lederman, Sidney N., Michelle K. Fuerst et Hamish C. Stewart. Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 6e éd., Toronto, LexisNexis, 2022.

Martin, G. Arthur. « Insanity as a Defence » (1966), 8 C.L.Q. 240.

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Paciocco, David. « Taking a “Goudge” out of Bluster and Blarney : an “EvidenceBased Approach” to Expert Testimony » (2009), 13 Rev. can. D.P. 135.

Schneider, Richard D., et Hy Bloom. Fitness to Stand Trial : Fairness First and Foremost, Toronto, Irwin Law, 2018.

Schneider, Richard D., et Hy Bloom. « R. v. Taylor : A Decision Not in the Best Interests of Some Mentally Ill Accused » (1995), 38 C.L.Q. 183.

Tollefson, Edwin A., et Bernard Starkman. Mental Disorder in Criminal Proceedings, Scarborough (Ont.), Carswell, 1993.

Vauclair, Martin, Tristan Desjardins et Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales 2024, 31e éd., Montréal, Yvon Blais, 2024.

 POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (la juge en chef adjointe Fairburn et les juges Doherty, Trotter, Harvison Young et Thorburn), 2023 ONCA 203, 166 O.R. (3d) 1, 424 C.C.C. (3d) 197, [2023] O.J. No. 1308 (Lexis), 2023 CarswellOnt 4029 (WL), qui a rejeté la requête en production de nouveaux éléments de preuve et qui a confirmé la déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré prononcée contre l’accusé. Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes.

 Delmar Doucette, Angela Ruffo et Cara Barbisan, pour l’appelant.

 Karen Papadopoulos, Dena Bonnet et Jacob Millns, pour l’intimé.

 Micah B. Rankin, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la ColombieBritannique.

 Katherine E. Fraser, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

 Erin Dann et Meaghan McMahon, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association.

 Sarah Rankin, Anita Szigeti, Carter Martell et Maya Shukairy, pour l’intervenant Empowerment Council.

 Caroline Senini et Sarah Pringle, pour l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society.

 Tania Shapka et Kathryn A. Quinlan, pour l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association.

 Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin rendu par

 La juge O’Bonsawin —

  1.                Aperçu
  1.                               Dans notre système de justice criminelle, tout accusé est présumé apte à subir son procès. Toutefois, lorsqu’une personne ayant des troubles mentaux fait l’objet de poursuites, son état peut entraver sa capacité à exercer les droits fondamentaux qui assurent l’équité du procès. Ces droits comprennent le droit de l’accusé de mener sa défense comme il l’entend, le droit de présenter une défense pleine et entière et le droit d’être présent à son procès. Afin de protéger ces droits et de préserver l’autonomie et la dignité de l’accusé, la présomption d’aptitude peut être réfutée si la situation de l’accusé correspond à la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46 (« C. cr. »). Le présent pourvoi offre pour la première fois l’occasion à notre Cour d’interpréter cette définition depuis sa promulgation en 1991.
  2.                               L’appelant, Mohamed Adam Bharwani, a été accusé du meurtre au premier degré de Nyumwai Caroline Mkurazhizha[1], une étudiante internationale de 23 ans avec qui il partageait, avec deux autres locataires, un appartement en soussol. Peu après l’homicide, l’appelant a reçu un diagnostic de schizophrénie.
  3.                               Lors des procédures préalables au procès, plusieurs préoccupations ont été soulevées concernant l’aptitude de l’appelant à subir son procès. Un jury l’a finalement déclaré apte à subir son procès. Au procès, l’appelant, qui avait choisi de se représenter lui-même, a présenté une défense de nonresponsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (« NRCTM »), mais a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un jury.
  4.                               La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que l’appelant avait été apte à subir son procès et a rejeté son appel contre la déclaration de culpabilité. Elle a aussi rejeté la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve fournis par deux psychiatres concernant à la fois son aptitude à subir son procès et sa défense de NRCTM — ceux portant sur le deuxième élément étaient axés en particulier sur sa compréhension du caractère moralement répréhensible de ses actions au moment de l’infraction — et a refusé de substituer un verdict de NRCTM au verdict de culpabilité.
  5.                               Devant notre Cour, l’appelant allègue que le test de l’aptitude à subir son procès, qui découle de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel, exige que l’accusé ait une capacité d’analyse, c’estàdire qu’il doit être en mesure [traduction] « de prendre des décisions rationnelles dans le cadre de sa défense » qui ne sont pas fondées sur des idées délirantes (m.a., par. 24). S’appuyant sur cet argument, l’appelant soutient qu’il était inapte à subir son procès. Il affirme également que la Cour d’appel a commis une erreur en rejetant sa requête en production de nouveaux éléments de preuve.
  6.                               Je ne suis pas de cet avis. Comme je vais l’expliquer, l’accusé est apte à subir son procès s’il est capable de prendre et de communiquer des décisions fondées sur la réalité lorsqu’il assume sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet. Le fait pour un accusé d’assumer sa défense comprend la prise de décisions qu’il doit toujours prendre personnellement ainsi que de décisions qui se rapportent à l’exercice de son droit à une défense pleine et entière, comme les décisions concernant les plaidoyers, le mode de procès, le choix de l’avocat, la décision de témoigner ou de convoquer ou de contreinterroger des témoins, et les observations finales, entre autres. La capacité requise pour prendre ces décisions est une compréhension fondée sur la réalité de la nature ou de l’objet des poursuites et de leurs conséquences éventuelles, ainsi que la capacité à comprendre les options qui s’offrent à lui, à en évaluer les conséquences et à choisir parmi cellesci. L’aptitude à subir son procès n’exige pas que l’accusé prenne des décisions qui servent au mieux ses intérêts, mais plutôt qu’il prenne des décisions fondées sur une compréhension de la réalité qui n’est pas envahie par des idées délirantes, des hallucinations ou d’autres symptômes de ses troubles mentaux. Les symptômes passagers de santé mentale ne compromettent pas nécessairement la capacité d’un accusé d’assumer sa défense. L’analyse vise toujours à déterminer dans quelle mesure les troubles mentaux de l’accusé nuisent à sa compréhension de la réalité lorsqu’il prend et communique des décisions dans le cadre de sa défense.
  7.                               La Cour d’appel a également rejeté à bon droit la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve. Je rejetterais de même la requête en production de nouveaux éléments de preuve que l’appelant soumet à notre Cour concernant la crédibilité et la fiabilité du Dr Scott Woodside.
  8.                               Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la requête en production de nouveaux éléments de preuve et de rejeter le pourvoi.
  1.             Contexte
  1.                               Les antécédents de problèmes de santé mentale de l’appelant remontent à son adolescence. En 2011, à 17 ans, il a quitté le foyer familial et a vécu dans des maisons de chambres, des refuges et dans la rue. Ses problèmes de santé mentale se sont ensuite aggravés. Le 5 novembre 2012, l’appelant s’est rendu dans une clinique médicale où il s’est plaint de dépression, de [traduction] « pressions » et de « pensées obsessionnelles » portant sur la « symétrie » (d.a., vol. IV, p. 129). Le 9 janvier 2013, il s’est rendu de nouveau à la clinique, mais est reparti sans avoir reçu de diagnostic. Peu de temps après, il est retourné habiter au domicile familial, mais il l’a quitté de nouveau le 28 janvier 2013 et a emménagé dans un appartement avec trois autres locataires. Le lendemain, l’appelant est retourné à la clinique médicale, où il a déclaré avoir des [traduction] « pensées intrusives » portant sur la « symétrie » (p. 202). Il a aussi expliqué avoir des [traduction] « rêves réalistes » et une « incapacité à maîtriser ses pensées » (p. 252). Le médecin l’a recommandé auprès d’un psychiatre pour qu’il subisse une évaluation et lui a conseillé d’obtenir des soins hospitaliers s’il avait des idées d’agression envers luimême ou autrui.
  2.                           Quatre jours plus tard, l’appelant a enlevé la vie à sa colocataire. Pendant qu’elle était sous la douche, il a pris un tisonnier et a dissimulé un couteau dans son pantalon de survêtement. Alors qu’elle sortait de la douche, l’appelant l’a frappée avec le tisonnier, la faisant tomber, puis il l’a étranglée à mort. Après l’attaque, il a retiré les vêtements mouillés qu’il portait et a recouvert le corps de la victime avec un drap.
  3.                           Environ une heure après l’homicide, l’appelant a composé le 911 et a déclaré qu’il [traduction] « [se] livr[ait] à la police » (d.a., vol. X, p. 2). Il a expliqué qu’il avait tué sa colocataire, qui gisait dans la douche sous un drap. Après que l’appelant eut raccroché, l’opérateur a rappelé deux fois. L’appelant a confirmé que la police devait se rendre à l’entrée de l’étage inférieur de la maison, a répété qu’il avait tué la victime et a dit qu’il donnerait davantage de détails à l’arrivée des policiers. Lorsque ceuxci sont arrivés, l’appelant a de nouveau déclaré : [traduction] « Je me rends » (d.a., vol. II, p. 293).
  4.                           L’appelant a immédiatement été mis en état d’arrestation et a été conduit au poste de police pour être interrogé. Il a dit aux policiers qu’il voulait aller devant les tribunaux, être condamné et aller en prison. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait des remords à propos du meurtre, il a répondu : [traduction] « Ouais, je pense que c’était . . . Non, je voulais aller en prison » (d.a., vol. X, p. 86). Lorsqu’on lui a posé des questions sur son désir d’aller en prison, il a répondu que [traduction] « c’était une bonne chose pour [lui] et pour la justice » (p. 86). Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait tué sa colocataire, il a affirmé [traduction] « je n’arrivais pas vraiment à réfléchir. Mais j’ai réfléchi avant de le faire. [. . .] Je ne suis pas juste devenu fou et puis je l’ai fait. Je suis devenu fou, mais ce n’est pas tout » (p. 88). L’appelant a ajouté qu’il avait [traduction] « décidé de la tuer et de passer du temps en prison », reconnaissant que la tuer n’était « pas bien » et qu’il pouvait voir « à quel point c’est grave » (p. 93 et 97). Il a indiqué que ses actes étaient influencés par des [traduction] « poisons mentaux » (p. 116) et qu’il avait « un million d’influences différentes, aucune en particulier mais, mais tout un tas de choses » (p. 97).
  1.          Historique judiciaire
    1.             Procédures préalables au procès
      1.           Audiences sur la fixation des dates du procès devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge McMahon)
  1.                           Les procédures préalables au procès étaient complexes en raison de la santé mentale fluctuante de l’appelant, des multiples évaluations de son aptitude à subir son procès et du fait qu’il se représentait lui-même. Au cours de ces procédures et tout au long du procès, l’appelant a soutenu qu’il était apte à subir son procès.
  2.                           Le 11 septembre 2015, l’appelant a congédié les deux avocats qui l’avaient représenté à la suite de l’enquête préliminaire. Comme l’appelant voulait assurer sa propre défense, le 23 septembre 2015, le juge McMahon a nommé Dean Embry pour qu’il agisse comme amicus curiae. Ce jourlà, l’appelant présentait des problèmes de santé mentale évidents; il s’est fâché à l’annonce de la nomination de l’amicus et a fait preuve [traduction] « d’une certaine exagération et semblait feindre la maladie » (d.i., vol. III, p. 150). Malgré ces emportements, le juge McMahon a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que l’appelant était inapte à subir son procès.
  3.                           Le 13 octobre 2015, l’appelant présentait des idées délirantes, croyant notamment que des gaz sortaient des bouches d’aération et que des personnes mettaient des médicaments dans sa nourriture au centre de détention où il était sous garde. Le juge McMahon a de nouveau conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour ordonner une évaluation de l’aptitude de l’appelant, que ce soit à cette date ou une semaine plus tard.
  4.                           Entre la fin octobre et le début décembre 2015, l’appelant a eu des démêlés avec les agents de la paix du centre de détention. Ces difficultés, considérées de pair avec l’état mental de l’appelant lors de l’audience précédente sur la fixation des dates du procès, ont conduit le juge McMahon, avec le consentement de l’appelant, à ordonner une évaluation en vertu de la Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, c. M.7.
  5.                           L’appelant a été évalué environ deux semaines plus tard par le Dr Angus McDonald, qui a conclu sans équivoque que l’appelant était dans un état paranoïaque, probablement causé par une psychose paranoïde qui persistait depuis plusieurs années. Il a également conclu que la méfiance paranoïaque de l’appelant était susceptible de soulever des doutes quant à son aptitude à subir son procès s’il ne recevait aucun traitement.
  6.                           Le 21 janvier 2016, le juge McMahon a ordonné une évaluation de l’aptitude de l’appelant à subir son procès (art. 672.11 C. cr.). La Dre Treena Wilkie et le Dr Ajay Prakash ont affirmé que la faible collaboration de l’appelant les avait empêchés d’exprimer une opinion définitive sur son aptitude à subir son procès. Ils ont recommandé une évaluation en milieu hospitalier pour que son aptitude soit examinée de manière plus approfondie. À la suite de cette recommandation, le juge McMahon a rendu une ordonnance d’évaluation en milieu hospitalier valide pour 30 jours en vertu de l’art. 672.14 du Code criminel. Vingt jours plus tard, le Dr Mitesh Patel a conclu que l’appelant était apte à subir son procès et a estimé qu’aucun traitement n’était nécessaire.
  7.                           En avril 2016, après avoir rendu visite à l’appelant au centre de détention, l’amicus a exprimé des préoccupations concernant l’aptitude de ce dernier à subir son procès et a présenté une demande fondée sur l’art. 672.11 du Code criminel. En réponse, le juge McMahon a ordonné une évaluation de l’aptitude d’une durée de trois jours (art. 672.12 C. cr.). Le Dr McDonald s’est dit d’avis qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter la présomption d’aptitude et a recommandé une ordonnance de traitement. Cela a mené à la première audience sur l’aptitude de l’appelant à subir son procès.
    1.           Audiences sur l’aptitude à subir son procès devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge Nordheimer et le juge Code)
  8.                           Lors de la première audience sur l’aptitude, en mai 2016, un jury a conclu que l’appelant était inapte à subir son procès. Le juge Nordheimer a ensuite prononcé une ordonnance de traitement visant à ce que l’appelant soit rendu apte à subir son procès, de sorte que celui-ci a été transféré au Waypoint Centre for Mental Health Care à Penetanguishene (art. 672.58 C. cr.). Dans un rapport daté du 13 juin 2016, le Dr William Komer, qui était responsable des soins apportés à l’appelant au Waypoint Centre, a conclu que l’appelant était apte à subir son procès et qu’aucun traitement n’était nécessaire.
  9.                           Lors de la deuxième audience sur l’aptitude en août 2016, un jury a conclu que l’appelant était apte à subir son procès.
    1.             Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge McCombs)
  10.                           Le 9 janvier 2017, avant la mise en accusation de l’appelant, le juge McCombs a questionné ce dernier pour évaluer s’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était devenu inapte à subir son procès depuis la dernière audience sur son aptitude. Le juge McCombs s’est dit convaincu que l’appelant était apte à subir son procès parce que ses réponses démontraient qu’il comprenait le déroulement de l’instance, les choix concernant les décisions liées à sa défense et les rôles des acteurs judiciaires et qu’il était en mesure de communiquer de façon intelligible.
  11.                           L’appelant a présenté une défense de NRCTM au procès. À l’issue d’un procès qui a duré 10 semaines, le jury a rejeté la défense et déclaré l’appelant coupable de meurtre au premier degré.
  12.                           Trois psychiatres légistes, le Dr Gary Chaimowitz et la Dre Lisa Ramshaw pour la défense et le Dr Woodside pour la Couronne, ont témoigné en qualité d’experts sur la compréhension qu’avait l’appelant du caractère moralement répréhensible de ses actes au moment de l’infraction.
  13.                           Le Dr Chaimowitz a rencontré l’appelant pour la première fois cinq jours après l’homicide. Ce dernier ne prenait pas de médicament à ce moment. En s’appuyant sur les circonstances du meurtre et sur l’état de l’appelant pendant l’évaluation, le Dr Chaimowitz a conclu que l’appelant présentait des symptômes de schizophrénie et de psychose au moment de l’infraction.
  14.                           Le Dr Chaimowitz a réévalué l’appelant environ deux semaines plus tard, alors que ce dernier était traité avec des médicaments. Le Dr Chaimowitz a conclu que l’appelant avait des hallucinations et un trouble psychotique actif qui était probablement présent au moment de l’infraction.
  15.                           À la suite d’une évaluation de 80 jours effectuée entre juin et août 2014, le Dr Chaimowitz a conclu que les troubles mentaux de l’appelant l’empêchaient de comprendre le caractère moralement répréhensible de ses actes au moment de l’infraction.
  16.                           La Dre Ramshaw a rencontré l’appelant le 23 septembre et le 29 octobre 2014. Tout comme le Dr Chaimowitz, la Dre Ramshaw lui a diagnostiqué une maladie mentale majeure, fort probablement la schizophrénie. Elle a noté les fluctuations de son état mental, un symptôme fréquent de psychose. Elle a conclu qu’au moment de l’infraction, il était fort probable que l’appelant ait été incapable d’évaluer le caractère moralement répréhensible de ses actes.
  17.                           Le Dr Woodside a rencontré l’appelant à quatre reprises entre novembre et décembre 2014. Il a déterminé que l’appelant était schizophrène, mais qu’il était peutêtre à la phase prodromique de la maladie au moment de l’infraction. Même si l’appelant présentait des symptômes actifs de psychose au moment de l’infraction, le Dr Woodside a conclu qu’il était capable d’apprécier la nature et la qualité de ses actes, et qu’aucun symptôme ne l’aurait empêché de savoir que ses actes étaient moralement répréhensibles au moment de l’infraction.
    1.             Cour d’appel de l’Ontario, 2023 ONCA 203 (la juge en chef adjointe Fairburn et les juges Doherty, Trotter, Harvison Young et Thorburn)
  18.                           L’appelant a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité. Il a soutenu qu’il avait été jugé apte à subir son procès selon une interprétation trop étroite de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » qui figure à l’art. 2 du Code criminel, établie dans l’arrêt R. c. Taylor, 1992 CanLII 7412 (C.A. Ont.). Il a également demandé qu’un verdict de NRCTM soit substitué à sa déclaration de culpabilité sur le fondement de nouvelles preuves psychiatriques.
  19.                           La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté à l’unanimité la requête en production de nouveaux éléments de preuve et a rejeté le pourvoi. Elle a statué que l’appelant avait été apte à subir son procès et a confirmé la déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré.
    1.           Confirmation de l’interprétation de l’aptitude à subir son procès adoptée dans l’arrêt Taylor
  20.                           La Cour d’appel a confirmé la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Taylor. Elle a insisté sur le fait que la question clé pour déterminer l’aptitude à subir son procès est celle de savoir si des troubles mentaux affectent l’accusé à un point tel qu’il lui est impossible de comprendre la nature ou l’objet et les conséquences des poursuites. L’aptitude requiert également la capacité de communiquer rationnellement, soit avec l’avocat ou le tribunal, ce qui inclut la capacité de comprendre les renseignements pertinents, de les appliquer aux décisions à prendre et de communiquer de manière intelligible.
  21.                           La cour a expliqué que l’arrêt Taylor avait écarté le critère plus strict de la « capacité d’analyse », qui aurait exigé que l’accusé prenne des décisions qui servent au mieux ses intérêts. Ce faisant, l’arrêt Taylor protégeait le droit de l’accusé de mener sa défense comme il l’entend, un principe de justice fondamentale consacré par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. La cour a également souligné les conséquences graves d’un verdict d’inaptitude et a rappelé les garanties dont bénéficie l’accusé lors d’un procès, notamment l’assistance du juge, de la Couronne et de l’amicus.
    1.           Requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant l’aptitude à subir son procès
  22.                           La cour a ensuite rejeté la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve que sont les opinions de deux psychiatres, le Dr Derek Pallandi et la Dre Sumeeta Chatterjee, qui ont fait des évaluations après le procès de l’aptitude de l’appelant à subir son procès. Elle a jugé que les conclusions du Dr Pallandi contredisaient le dossier de l’instance, ce qui minait la crédibilité de son opinion. Elle a également rejeté l’opinion de la Dre Chatterjee au motif que cette preuve n’apportait pas d’élément nouveau et qu’on ne pouvait donc pas raisonnablement s’attendre à ce qu’elle influe sur le résultat.
    1.           Requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant la défense de NRCTM
  23.                           La cour a également rejeté la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve concernant les opinions du Dr Pallandi et de la Dre Chatterjee au sujet de sa compréhension du caractère moralement répréhensible de ses actions au moment de l’infraction, et sa demande visant l’obtention d’un verdict de NRCTM substitué au verdict rendu. Elle a conclu que le jury était bien outillé pour statuer sur la défense de NRCTM et qu’en conséquence, les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas pu avoir raisonnablement influé sur l’issue du procès.
  1.          Questions en litige
  1.                           Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :

(1) Quelle interprétation convientil de donner à la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel?

(2) La Cour d’appel atelle commis une erreur en rejetant la requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant l’aptitude de l’appelant à subir son procès et sa défense de NRCTM?

(3) La requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité et la fiabilité du Dr Woodside devraitelle être accueillie?

  1.             Positions des parties
  1.                           L’appelant allègue que la Cour d’appel a commis une erreur dans son interprétation de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel. Selon lui, pour être apte à subir son procès, l’accusé ayant des troubles mentaux doit avoir une capacité d’analyse — c’estàdire être capable de prendre des [traduction] « décisions rationnelles » dans le cadre de sa défense (m.a., par. 52). Il affirme qu’une décision [traduction] « rationnelle » s’entend de celle qui est « fondée sur la raison », « ancrée dans la réalité » ou qui « ne repose pas sur des délires psychotiques » (transcription, p. 5). Une telle décision peut néanmoins être rationnelle même si elle n’est pas [traduction] « raisonnable » et peut sembler « insensée ou absurde » ou « objectivement mauvaise » (p. 5). S’appuyant sur cette définition, l’appelant soutient qu’il n’était pas apte à subir son procès, parce qu’il avait eu des hallucinations auditives et des délires schizophrènes tout au long de l’instance, lesquels l’avaient empêché de prendre des décisions fondées sur la raison dans le cadre de sa défense (m.a., par. 3943).
  2.                           L’appelant soutient également que la Cour d’appel a fait erreur en n’admettant pas les nouveaux éléments de preuve que sont les opinions du Dr Pallandi et de la Dre Chatterjee. De plus, il invite notre Cour à accueillir sa requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité et la fiabilité du Dr Woodside. Il demande finalement à notre Cour d’accueillir le pourvoi, d’annuler sa déclaration de culpabilité, et soit de remplacer le premier verdict par un verdict de NRCTM ou d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
  3.                           La Couronne répond que la Cour d’appel a correctement interprété la définition que le Code criminel donne au terme « inaptitude à subir son procès ». Selon la Couronne, il n’y a pas de différence pratique entre [traduction] « la capacité d’une personne de prendre des décisions qui servent au mieux ses intérêts » et « la capacité de prendre des décisions rationnelles pour assumer sa défense » qui sont « fondées sur la raison » (m.i., par. 24). Exiger de l’accusé qu’il soit en mesure de prendre des décisions rationnelles porterait atteinte à son droit garanti par l’art. 7 de la Charte de mener et de présenter sa défense comme il l’entend (par. 37; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933). La Couronne fait également valoir que le fait d’incorporer une exigence de « capacité d’analyse » dans le test de l’aptitude à subir son procès minerait l’autonomie des personnes ayant des problèmes de santé mentale en les privant de la capacité de prendre des décisions que d’autres accusés peuvent prendre. Quoi qu’il en soit, la Couronne soutient que l’appelant était apte à subir son procès.
  4.                           La Couronne soutient aussi que la Cour d’appel a rejeté à bon droit la requête en production des nouveaux éléments de preuve que sont les opinions du Dr Pallandi et de la Dre Chatterjee. Elle demande à notre Cour de rejeter à la fois la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité et la fiabilité du Dr Woodside et le pourvoi.
  1.          Analyse
    1.             Test de l’aptitude à subir son procès
      1.           Les origines de common law du test de l’aptitude à subir son procès
  1.                           L’exigence selon laquelle l’accusé doit être apte à subir son procès, désormais codifiée au Code criminel par le biais de la définition du terme « inaptitude à subir son procès », trouve son origine dans la common law et remonte au moins au IXe siècle (R. D. Schneider et H. Bloom, « R. v. Taylor : A Decision Not in the Best Interests of Some Mentally Ill Accused » (1995), 38 C.L.Q. 183, p. 184). Un bref rappel de l’historique de l’exigence de l’aptitude à subir son procès permet de mieux comprendre les racines juridiques à partir desquelles la définition législative actuelle du terme « inaptitude à subir son procès » a évolué (R. c. Basque, 2023 CSC 18, par. 41).
  2.                           La doctrine moderne de l’aptitude à subir son procès en common law découle de la décision de 1836 dans l’affaire R. c. Pritchard (1836), 7 C. & P. 303, 173 E.R. 135, où le baron Alderson de la Cour du Banc du Roi de l’Angleterre a énoncé les facteurs suivants dont les jurés doivent tenir compte pour décider si l’accusé est apte, à savoir : [traduction] « . . . s’il a les capacités intellectuelles suffisantes pour comprendre le déroulement du procès, de manière à pouvoir présenter une défense adéquate — pour savoir qu’il peut récuser l’un quelconque d’entre vous auquel il s’oppose — et comprendre les détails de la preuve . . . » (p. 135).
  3.                           Les anciennes règles anglaises de common law ont posé les fondements de l’évaluation de l’aptitude dans divers ressorts de common law (P. Brown, « Unfitness to plead in England and Wales : Historical development and contemporary dilemmas » (2019), 59 Med. Sci. Law 187, p. 188). Les pays du Commonwealth ont adopté une approche flexible quant à l’évaluation de l’aptitude à subir son procès, mais aucun n’a exigé une preuve de la capacité d’analyse de l’accusé ou de son aptitude à agir au mieux de ses intérêts (W. J. Brookbanks et R. D. Mackay, « Decisional Competence and “Best Interests” : Establishing the Threshold for Fitness to Stand Trial » (2010), 12 Otago L.R. 265, p. 267; voir aussi Reference Re Regina c. Gorecki (No. 1) (1976), 14 O.R. (2d) 212 (C.A.), p. 217, citant R. c. Robertson (1968), 52 Cr. App. R. 690 (C.A. Angl.)).
  4.                           Au Canada, la première disposition concernant l’aptitude d’un accusé à subir son procès provient de la loi du RoyaumeUni intitulée Criminal Lunatics Act, 1800, 39 & 40 Geo. 3, c. 94. Cette disposition a été incorporée au premier Code criminel du Canada de 1892, à l’art. 737, et permettait aux tribunaux de se demander si l’accusé était « à cause d’aliénation, en état de subir son procès » (Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29). À l’époque, le Code criminel, 1892, ne définissait pas l’inaptitude à subir son procès. La règle selon laquelle un accusé doit être mentalement apte à subir son procès était considérée comme étant [traduction] « solidement ancrée dans les principes de justice aussi anciens et fondamentaux que la règle interdisant les procès in absentia et le droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière », ce qui garantissait l’équité envers l’accusé (R. c. Steele (1991), 63 C.C.C. (3d) 149 (C.A. Qc), p. 172; voir aussi R. c. Roberts (1975), 24 C.C.C. (2d) 539 (C.A. C.B.), p. 545; R. c. Gibbons, [1946] O.R. 464 (C.A.), p. 473474; R. c. Woltucky (1952), 103 C.C.C. 43 (C.A. Sask.), p. 4647).
  5.                           Environ un siècle après avoir édicté l’art. 737, le Parlement a adopté le projet de loi C30, la Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant en conséquence la Loi sur la défense nationale et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.C. 1991, c. 43, qui a codifié les définitions des termes « inaptitude à subir son procès » et « troubles mentaux » à l’art. 2 du Code criminel.
  6.                           L’article 2 du Code criminel actuel définit comme suit l’inaptitude d’un accusé à subir son procès :

inaptitude à subir son procès Incapacité de l’accusé en raison de troubles mentaux d’assumer sa défense, ou de donner des instructions à un avocat à cet effet, à toute étape des procédures, avant que le verdict ne soit rendu, et plus particulièrement incapacité de :

a) comprendre la nature ou l’objet des poursuites;

b) comprendre les conséquences éventuelles des poursuites;

c) communiquer avec son avocat.

  1.                           Depuis plus de 30 ans, l’arrêt Taylor de la Cour d’appel de l’Ontario et son interprétation de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » est [traduction] « généralement considéré comme l’arrêt de principe sur la question » de l’aptitude à subir son procès (H. Bloom, « Fitness to Stand Trial », dans H. Bloom et R. D. Schneider, dir., Law and Mental Disorder (2013), 211, p. 213). Comme l’a résumé la Cour d’appel dans cette affaire, une personne est inapte à subir son procès si, en raison de troubles mentaux, elle est incapable d’assumer sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet. Pour être apte, l’accusé doit être en mesure de comprendre les options qui s’offrent à lui, de choisir parmi cellesci, de comprendre les conséquences fondamentales découlant de ces options et de communiquer ses décisions de manière intelligible à un avocat ou au tribunal. Par conséquent, l’accusé doit avoir une compréhension fondée sur la réalité de la nature ou de l’objet et des conséquences éventuelles des poursuites et être capable de prendre des décisions. Il n’est toutefois pas tenu d’avoir la capacité de se livrer à des réflexions analytiques et de prendre des décisions qui servent au mieux ses intérêts (motifs de la C.A., par. 167).
  2.                           Rappelons que, devant notre Cour, l’appelant soutient que cette interprétation est erronée parce que l’aptitude à subir son procès exige que l’accusé ait une capacité d’analyse, c’estàdire qu’il soit en mesure de prendre des décisions rationnelles [traduction] « fondées sur la raison », et non sur des idées délirantes, dans le cadre de sa défense (m.a., par. 53). Par conséquent, l’appelant affirme qu’il était inapte à subir son procès en raison de ses hallucinations auditives et délires schizophréniques, qui entravaient sa capacité de prendre des décisions rationnelles.
  3.                           En revanche, la Couronne fait valoir que les idées délirantes de l’accusé n’altèrent son aptitude à subir son procès que si elles faussent sa compréhension du processus judiciaire, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
  4.                           Comme je vais l’expliquer, je souscris pour l’essentiel au test de l’aptitude à subir son procès formulé dans l’arrêt Taylor et précisé par la Cour d’appel en l’espèce, sous réserve de certaines clarifications et précisions (voir les motifs de la C.A., par. 167). Dans les paragraphes qui suivent, pour éviter toute confusion générée par des expressions vagues comme le test de la « capacité cognitive limitée » ou le test de la « capacité d’analyse », je parlerai du test de l’« aptitude à subir son procès », puisque c’est la formulation utilisée dans le Code criminel.
    1.           L’interprétation qu’il convient de donner à la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel
  5.                           Le droit criminel ne fait pas exception au principe moderne d’interprétation législative (R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3, par. 33; R. c. T.J.F., 2024 CSC 38, par. 52). Il faut lire les mots de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26; R. c. J.D., 2022 CSC 15, [2022] 1 R.C.S. 287, par. 21).
  6.                           La définition du terme « inaptitude à subir son procès » prévoit que, pour être jugé inapte à subir son procès, l’accusé doit, en raison de « troubles mentaux », être incapable « d’assumer sa défense, ou de donner des instructions à un avocat à cet effet ». Par conséquent, pour conclure à l’inaptitude, il faut répondre par l’affirmative à deux questions : (1) L’accusé atil des troubles mentaux? (2) Dans l’affirmative, ces troubles mentaux le rendentils incapable d’assumer sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet?
  7.                           Le terme « troubles mentaux » fait l’objet d’une définition distincte à l’art. 2 du Code criminel, qui prévoit qu’il s’agit de « [t]oute maladie mentale ». Cette définition est interprétée de manière large et comprend « toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement », à l’exclusion des états « volontairement provoqués » et des états mentaux « transitoires » (Cooper c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1149, p. 1159; voir aussi R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575, par. 5960). Un accusé est donc inapte à subir son procès s’il souffre d’une maladie mentale qui le rend incapable d’assumer sa défense ou de donner des instructions à un avocat à cet effet.
  8.                           Le cœur de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » réside dans l’expression « assumer sa défense ». Elle implique deux concepts : les éléments constitutifs d’une « défense » et un seuil de capacité pour « assumer » cette défense.
  9.                           Les parties, les intervenants et la Cour d’appel ont consacré l’essentiel de leur argumentation et de leur analyse au seuil de la capacité à avoir pour « assumer » une défense. En comparaison, ils ont accordé peu d’attention à ce que comporte réellement la notion de « défense ». Toutefois, puisque ces deux concepts agissent de concert, j’examinerai d’abord les éléments d’une « défense ». Pour déterminer le seuil de capacité que visait le Parlement, il est utile de passer en revue les décisions et les actions dans le cadre d’une « défense » qu’un accusé doit être capable d’exécuter ou pour lesquelles il doit être capable de donner des instructions à un avocat.
    1.              Signification du mot « défense »
  10.                           Une défense requiert la prise d’actions affirmatives et de décisions délibérées. Cela comprend à tout le moins les actions et les décisions qu’il revient toujours à l’accusé de prendre personnellement et celles qui ont trait à l’exercice de son droit à une défense pleine et entière.
  11.                           Notre jurisprudence reconnaît depuis longtemps que certaines décisions doivent être prises personnellement par l’accusé dans le cadre de sa défense, même lorsqu’il est représenté par un avocat. Le contrôle de l’accusé sur ces décisions respecte son autonomie et sa dignité, est profondément ancré dans notre droit criminel et est reconnu comme un principe de justice fondamentale (R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, par. 43). Ces décisions font partie d’une « défense » suivant la définition du terme « inaptitude à subir son procès » prévue au Code criminel.
  12.                           La liste non exhaustive de ces décisions comprend les suivantes :

(1) le choix du plaidoyer (G. A. Martin, « The Role and Responsibility of the Defence Advocate » (1970), 12 C.L.Q. 376, p. 386; R. c. Trought, 2021 ONCA 379, 156 O.R. (3d) 481, par. 4649; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, par. 2; Pritchard);

(2) le choix du mode de procès (Martin, p. 387; R. c. Stark, 2017 ONCA 148, 347 C.C.C. (3d) 73, par. 18; Trought, par. 4649; R. c. White, 2022 CSC 7, [2022] 1 R.C.S. 64, par. 5);

(3) la décision de témoigner ou non pour sa propre défense (motifs de la C.A., par. 125; Martin, p. 387; Trought, par. 4649; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 34);

(4) la décision d’être représenté ou non par un avocat (Vescio c. The King, [1949] R.C.S. 139, p. 142, le juge Taschereau, et p. 147, le juge Rand; R. c. Yscuado (1854), 6 Cox C.C. 386 (Hertford Assizes));

(5) la décision de révoquer ou non le mandat de l’avocat (R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 9).

  1.                           Toutefois, une « défense » ne se limite pas à l’inscription d’un plaidoyer, au choix d’un mode de procès, à la décision de témoigner pour sa propre défense, à la sélection d’un avocat ou à sa révocation ou à la décision de se représenter soimême.
  2.                           La common law définit l’aptitude de l’accusé à subir son procès en fonction de sa capacité à présenter une défense pleine et entière et de son droit d’être présent physiquement et mentalement à son procès, qui constituent des principes fondamentaux d’équité en droit criminel (Roberts, p. 545; Woltucky, p. 4647; Steele, p. 172173 et 181). Le Parlement s’est fondé sur ces règles de common law lorsqu’il a adopté la définition législative du terme « inaptitude à subir son procès », et l’on peut continuer à s’appuyer sur ces sources pour déterminer quelles autres décisions sont visées par l’expression « assumer sa défense » (voir R. c. D.L.W., 2016 CSC 22, [2016] 1 R.C.S. 402, par. 1318). Bien que la loi puisse prévaloir sur la common law, « l’on doi[t] présumer qu’un législateur n’a pas l’intention de modifier les règles de common law existantes à moins d’une disposition claire à cet effet » (Basque, par. 40, citant Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52, [2016] 2 R.C.S. 521, par. 56).
  3.                           Par conséquent, les autres décisions prises dans le cadre d’une défense comprennent celles qui relèvent du droit à une défense pleine et entière, un droit qui tire ses origines de la common law antérieure à l’adoption de la Charte et qui est désormais consacré et garanti par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte (voir, de façon générale, Code criminel, 1892, art. 659; The Queen c. Laliberté (1877), 1 R.C.S. 117, p. 140, le juge Ritchie; Roberts, p. 545; Woltucky, p. 4647; Steele, p. 172173 et 181; R. c. J.J., 2022 CSC 28, [2022] 2 R.C.S. 3, par. 113114). Ce droit garantit à l’accusé une possibilité raisonnable de contester la preuve et de présenter une défense (R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, par. 13).
  4.                           La pertinence du droit à une défense pleine et entière au regard du critère de l’aptitude est évidente, car elle est conforme au principe voulant [traduction] « que l’accusé ne soit pas poursuivi s’il n’a pas la capacité requise pour répondre aux accusations portées contre lui. [Cette] règl[e] [est] là pour protéger l’accusé » (R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489, par. 21, citant R. D. Schneider, « Mental Disorder in the Courts : Absolute Discharge for Unfits? » (2000), 21 For The Defence 36, p. 38).
  5.                           Par conséquent, pour les besoins de l’interprétation du terme « défense », le droit à une défense pleine et entière comprend au moins trois éléments pertinents :
    1.          le droit de contester la preuve de la Couronne, qui se manifeste principalement par le droit de contreinterroger les témoins à charge dans le but d’attaquer leur crédibilité et leur fiabilité (R. c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 R.C.S. 193, par. 2);
    2.          le droit de présenter une défense, qui comprend le droit d’obtenir des éléments de preuve des témoins à charge, le droit de convoquer des témoins et le droit de présenter une preuve pertinente dont le risque d’effet préjudiciable ne l’emporte pas sensiblement sur la valeur probante (R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p. 611612; J.J., par. 133). Ce droit est aussi une caractéristique du droit d’être présent à son propre procès (art. 650 C. cr.; R. c. Hertrich (1982), 67 C.C.C. (2d) 510 (C.A. Ont.), p. 537 (le juge Martin);
    3.          le droit de s’adresser au juge des faits, qui comprend le droit de présenter un exposé final au jury ou, en l’absence de jury, au juge du procès (Aucoin c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 554; Code criminel, 1892, par. 661(2); Kahsai, par. 52).
  6.                           Cette liste ne se veut pas exhaustive. Les procès sont complexes et imprévisibles. Il n’y a pas deux procès pareils, et les défenses ne seront pas nécessairement toutes menées de la même manière. Dans l’affaire Pritchard, le juge du procès a donné au jury la directive suivante : [traduction] « [i]l ne suffit pas [que l’accusé] ait la capacité générale de communiquer au sujet des questions ordinaires »; l’accusé doit « comprendre les détails de la preuve, laquelle doit, dans une affaire de cette nature, faire l’objet d’un examen minutieux » (p. 135 (je souligne)).
  7.                           L’accusé peut être tenu de prendre d’autres décisions au procès qui feront partie de sa défense. En ce sens, le test de l’aptitude à subir son procès est contextuel, car l’analyse est axée sur les décisions qui font partie de la défense de l’accusé dans une affaire donnée, et non dans l’abstrait.
    1.              Seuil de capacité pour « assumer » une défense
  8.                           Ayant cette conception de la « défense » à l’esprit, je vais maintenant interpréter ce que signifie être capable d’« assumer » une telle défense. En particulier, il est nécessaire de déterminer le seuil de capacité auquel, suivant l’intention du Parlement, l’accusé doit satisfaire lorsqu’il prend des décisions dans le cadre de sa défense ou qu’il donne des instructions à un avocat à cet effet.
  9.                           Le texte de la définition législative du terme « inaptitude à subir son procès » fournit quelques pistes sur le seuil requis de la capacité qu’un accusé doit avoir. La définition précise « plus particulièrement » qu’un accusé est inapte à subir son procès s’il est incapable de (1) comprendre la nature ou l’objet des poursuites, (2) comprendre les conséquences éventuelles des poursuites, ou (3) communiquer avec son avocat. L’emploi de la particule « or » (qui signifie « ou ») dans l’énumération de la version anglaise[2] de cette disposition indique que si le tribunal est convaincu que l’accusé n’est pas en mesure de satisfaire à l’un de ces éléments, il n’est pas apte à subir son procès, car il n’a pas la capacité d’« assumer » sa défense.
  10.                           Il s’agit de toute évidence de trois éléments non exhaustifs, comme l’indique la présence de l’expression « plus particulièrement » (R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51, [2019] 3 R.C.S. 838, par. 69; R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392, par. 24). Ils illustrent simplement le niveau de capacité que vise le mot « assumer » et sont fondés sur la compréhension et la communication. Surtout, aucun de ces éléments ne laisse entendre que l’accusé doit être en mesure d’agir avec une capacité d’analyse avancée ou au mieux de ses intérêts.
  11.                           Toutefois, la capacité d’assumer sa défense exige plus que la simple compréhension de la nature ou de l’objet des poursuites et de leurs conséquences éventuelles, et la capacité de communiquer. Par exemple, le droit à une défense pleine et entière comprend le droit de recevoir de la Couronne, avant le procès, la communication de tous les renseignements pertinents et non protégés qui sont en sa possession ou sous son contrôle (R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 336; R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, [2018] 3 R.C.S. 35, par. 18). Le droit à une défense pleine et entière est vide de sens si l’accusé prend connaissance des éléments de preuve de la Couronne pour la première fois dans la salle d’audience. Pour assumer sa défense, l’accusé doit donc comprendre le concept de communication de la preuve. En conséquence, le seuil de capacité comprend la capacité de comprendre la nature de la preuve communiquée. Si, en raison de troubles mentaux, l’accusé n’est pas en mesure de comprendre que les renseignements communiqués sont des éléments de preuve qui peuvent être utilisés à son procès, alors il sera incapable d’assumer sa défense.
  12.                           En somme, comme l’a noté la Cour d’appel, les indications suivantes peuvent être dégagées du texte de la définition législative. Premièrement, l’accusé doit avoir une compréhension fondée sur la réalité de la nature ou de l’objet et des conséquences éventuelles des poursuites (voir les motifs de la C.A., par. 116). Deuxièmement, un accusé doit avoir la capacité de prendre des décisions, ce qui exige [traduction] « la capacité de comprendre les options qui s’offrent à lui, de choisir parmi ces options, [et] de comprendre les conséquences fondamentales découlant de ces options » (par. 167). Enfin, l’accusé doit avoir la capacité de communiquer de manière intelligible avec le tribunal, ainsi qu’avec l’avocat, puisqu’une défense exige invariablement que ceuxci soient informés des décisions qui sont prises (voir le par. 119).
  13.                           Ayant examiné le texte de la définition du terme « inaptitude à subir son procès », je passe maintenant au contexte législatif et à l’objet de la loi.
    1.              Contexte législatif et objet de la loi
  14.                           Le contexte législatif et l’objet de la loi confirment tous les deux que la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel vise à faire en sorte que, bien que l’accusé doive être physiquement et mentalement présent à son procès et être capable de participer à l’instance, il n’est pas tenu d’avoir une capacité d’analyse ou d’agir au mieux de ses intérêts.
  15.                           Le contexte législatif illustre les enjeux importants d’un verdict d’inaptitude. L’article 672.31 du Code criminel prévoit que, lorsqu’il est décidé que l’accusé est inapte à subir son procès, les plaidoyers sont mis de côté et le jury est libéré. L’accusé inapte est assujetti à la compétence d’une commission d’examen jusqu’à ce qu’il soit jugé apte à subir son procès ou inapte de façon permanente (art. 672.47, 672.48 et 672.851 C. cr.). L’accusé inapte se voit refuser un procès tant qu’il n’est pas déclaré apte. Sous la compétence de la commission d’examen, l’accusé peut être détenu pendant de longues périodes et être soumis à un traitement médical contre son gré (art. 672.54 et 672.58 C. cr.; R. c. Conception, 2014 CSC 60, [2014] 3 R.C.S. 82, par. 31). En bref, un verdict d’inaptitude peut entraîner d’importantes restrictions à la liberté de l’accusé (voir les motifs de la C.A., par. 145152). Étant donné le grand nombre de décisions qui peuvent être prises dans le cadre d’une « défense », l’application d’un seuil élevé en ce qui concerne la capacité d’« assumer » cette défense pourrait potentiellement assujettir de nombreux accusés à de telles restrictions. En revanche, un seuil trop peu exigeant n’est pas non plus souhaitable, car il peut donner lieu à des constats d’aptitude dans le cas d’accusés qui pourraient être incapables d’exercer pleinement leur droit d’être physiquement et mentalement présents au procès, leur droit de mener leur défense comme ils l’entendent et leur droit de présenter une défense pleine et entière.
  16.                           L’historique législatif du projet de loi C30 aide par ailleurs à comprendre le seuil de capacité que souhaitait le Parlement. Le projet de loi C30 avait deux objectifs principaux : renforcer la protection de la société contre les accusés dangereux ayant des troubles mentaux, et veiller à ce que les accusés ayant des troubles mentaux bénéficient d’une procédure équitable, des principes de justice fondamentale et des droits assurant leur protection au sein du système de justice criminelle (Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général, no 7, 3e sess., 34e lég., 9 octobre 1991, p. 7:6). Lors des débats parlementaires, la ministre responsable a reconnu que certains accusés qui sont aptes à subir leur procès pouvaient néanmoins être « gravement malades sur le plan mental » (Débats de la Chambre des communes, vol. III, 3e sess., 34e lég., 4 octobre 1991, p. 3298). Cela suggère que le Parlement n’avait pas l’intention d’imposer une norme stricte en matière d’aptitude, comme exiger la capacité d’agir au mieux de ses intérêts.
  17.                           La raison d’être de l’exigence de l’aptitude trouve son origine dans les droits qui soustendent notre conception de l’équité procédurale en droit criminel. La définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 reconnaît que, puisque notre système de justice criminelle est « fondé sur le respect de l’autonomie et de la dignité humaines », l’accusé a le droit de mener sa défense comme il l’entend (Swain, p. 972). Cela comprend le droit d’être véritablement présent à son propre procès et le droit de présenter une défense pleine et entière (R. c. Morrissey, 2007 ONCA 770, 87 O.R. (3d) 481, par. 36).
  18.                           Le Parlement voulait établir un équilibre rigoureux et efficace entre ces intérêts opposés. La position de l’appelant selon laquelle la présence de toute idée délirante doit rendre un accusé inapte à subir son procès compromettrait cet équilibre législatif. Une telle approche ne reflète pas l’objet qui soustend la définition du terme « inaptitude à subir son procès » à l’art. 2 du Code criminel.
    1.              Conclusion
  19.                           Pour conclure, le texte, le contexte législatif et l’objet de la définition du terme « inaptitude à subir son procès » étayent l’interprétation du seuil de capacité qui exige que l’accusé soit en mesure de prendre des décisions fondées sur la réalité lorsqu’il assume sa défense et de communiquer de manière intelligible ces décisions à l’avocat ou au tribunal. Cela nécessite que l’accusé ait une compréhension fondée sur la réalité de la nature ou de l’objet des poursuites et de leurs conséquences éventuelles, ainsi que la capacité de comprendre les options possibles et les conséquences qui en découlent et de choisir parmi cellesci lorsqu’il prend des décisions. L’accusé n’est pas tenu de prendre des décisions au mieux de ses intérêts, mais ne peut être envahi par des idées délirantes, des hallucinations ou d’autres symptômes de ses troubles mentaux lorsqu’il prend et communique ces décisions.
  20.                           Bien que le Code criminel définisse le terme « inaptitude à subir son procès » en fonction de l’incapacité de l’accusé d’assumer sa défense « à toute étape des procédures », il faut évaluer cette incapacité dans sa globalité, en reconnaissant que l’état mental d’un accusé peut fluctuer. Les symptômes passagers de santé mentale ne compromettent pas forcément la capacité de l’accusé d’assumer sa défense. Une idée délirante passagère qui empêche un accusé de prendre des décisions fondées sur la réalité ne le rend pas inapte, pourvu que le juge du procès et les autres personnes présentes en salle d’audience puissent l’aider à se ressaisir pour atteindre le seuil de capacité lorsqu’il doit prendre des décisions dans le cadre de sa défense. La considération première consiste toujours à évaluer la mesure dans laquelle les troubles mentaux de l’accusé nuisent à sa compréhension de la réalité lorsqu’il prend des décisions dans le cadre de sa défense.
  21.                           Le seuil de capacité s’applique, à tout le moins, lorsque l’accusé prend des décisions qui font partie intégrante du fait d’assumer sa défense, comme celles que l’accusé doit prendre personnellement et celles qui se rapportent à l’exercice de son droit à une défense pleine et entière. Par conséquent, pour être apte à subir son procès, l’accusé doit être en mesure de prendre des décisions fondées sur la réalité concernant les plaidoyers, le mode de procès, le choix de l’avocat, la décision de témoigner ou de convoquer ou de contre-interroger des témoins, et les observations finales, entre autres, et de les communiquer de manière intelligible.
  22.                           Cette définition du seuil de capacité établit des normes minimales d’équité en faisant en sorte que seuls les accusés qui ont une compréhension de la réalité soient poursuivis. Cela évite les verdicts de culpabilité et les peines erronés, permet à l’accusé de participer véritablement à son procès dans le but de protéger ses droits constitutionnels, et préserve la dignité et l’équité ultime du procès.
  23.                           Un tel niveau de capacité n’exige pas que l’accusé soit en mesure de prendre des décisions efficaces ou avisées. Le fait qu’un accusé puisse prendre des décisions objectivement mauvaises dans le cadre de sa défense n’est pas pertinent quant à la question de l’aptitude à subir son procès. Le fait qu’un accusé soit « incapable » de se défendre parce qu’il manque de formation ou qu’il n’a pas d’expérience en droit, ou encore parce que sa motivation est incompatible avec la fonction de recherche de la vérité du procès (comme la vengeance, la dévotion religieuse ou l’entrave) ne joue aucun rôle dans l’analyse. L’accusé peut être apte à subir son procès même s’il est confronté aux difficultés que rencontrent en général les accusés non représentés dans les procédures judiciaires (voir Kahsai, par. 43; R. c. Walker, 2019 ONCA 765, 381 C.C.C. (3d) 259, par. 63). L’accusé a le droit constitutionnel de mener sa défense comme il l’entend, ce qui comprend le droit de renoncer à des stratégies de défense viables ou de ne présenter aucune défense (Swain, p. 972; Kahsai, par. 43).
    1.           L’accusé non représenté et l’aptitude à subir son procès
  24.                           La norme de l’aptitude à subir son procès s’applique peu importe si l’accusé est représenté par un avocat ou non. Par conséquent, l’accusé non représenté doit satisfaire à la norme de l’aptitude lorsqu’il prend des décisions qui lui appartiennent toujours personnellement, et doit être en mesure de communiquer ses décisions au tribunal[3].
  25.                           Encore une fois, une compréhension fondée sur la réalité est nécessaire pour prendre les décisions que l’accusé doit prendre personnellement et celles qui se rapportent à l’exercice de son droit à une défense pleine et entière. Tous les droits dont bénéficie l’accusé dans le cadre de sa défense nécessitent qu’il comprenne les principales questions juridiques qui sont soulevées dans les poursuites engagées contre lui. Il s’ensuit que l’accusé non représenté doit à tout le moins avoir une compréhension fondée sur la réalité des éléments des infractions qui lui sont reprochées. Un accusé non représenté doit aussi satisfaire à la norme de l’aptitude à subir son procès lorsqu’il examine la preuve qui lui a été communiquée et qu’il prend des décisions qui relèvent de son droit à une défense pleine et entière. On peut trouver des indications sur les autres questions importantes parmi celles que le juge du procès doit expliquer à l’accusé non représenté, conformément à son obligation générale de veiller à l’équité du procès (voir, de façon générale, Kahsai, par. 54; R. c. Jayne, 2008 ONCA 258, 90 O.R. (3d) 37; R. c. McGibbon (1988), 45 C.C.C. (3d) 334 (C.A. Ont.), p. 347348).
  26.                           La santé mentale fluctue et la capacité de l’accusé peut varier au fil du temps. Cela ne signifie pas qu’une nouvelle évaluation de l’aptitude est requise à chaque fluctuation. Le juge du procès, la Couronne et l’amicus peuvent être en mesure, individuellement ou collectivement, de faire comprendre la réalité de la situation à l’accusé qui a occasionnellement des idées délirantes, de sorte qu’il satisfasse à la norme de l’aptitude lorsqu’il prend des décisions dans le cadre de sa défense.
  27.                           Le juge du procès est toujours tenu de fournir à l’accusé non représenté toute l’aide nécessaire pour que le procès soit équitable (J.D., par. 34; R. c. Phillips, 2003 ABCA 4, 172 C.C.C. (3d) 285, par. 2324, conf. par 2003 CSC 57, [2003] 2 R.C.S. 623; R.A. Laniel, A. BaharyDionne et E. Bernheim, « Agir seul en justice : du droit au choix — État de la jurisprudence sur les droits des justiciables non représentés » (2018), 59 C. de D. 495, p. 519520). Le juge du procès qui constate que l’accusé s’écarte du seuil de capacité de prendre des décisions fondées sur la réalité peut aussi exercer ses pouvoirs inhérents de gestion de l’instance pour donner à l’accusé la possibilité de « se ressaisir » (voir, de façon générale, R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71, par. 1923). Parmi les moyens à sa disposition, le juge du procès peut notamment imposer des pauses ou des ajournements, encourager l’accusé à consulter l’amicus, lui accorder la latitude nécessaire pour « recommencer » et lui expliquer la procédure du tribunal ainsi que les options juridiques qui s’offrent à lui.
  28.                           Toutefois, ces acteurs ne peuvent pas rendre l’accusé apte simplement en intervenant pour son compte et en assumant sa défense à sa place. Un procès équitable ne remplace pas l’aptitude. Néanmoins, les mesures de soutien qui visent à protéger le droit de l’accusé à un procès équitable peuvent être prises en compte dans l’analyse de l’aptitude.
    1.           Application aux faits
  29.                           L’appelant ne conteste pas la deuxième conclusion du jury chargé d’examiner son aptitude selon laquelle il était apte à subir son procès. Il fait toutefois valoir que le dossier du procès indique qu’il était inapte pendant son procès.
  30.                           Selon l’art. 672.22 du Code criminel, l’accusé est présumé apte à subir son procès. L’alinéa 672.11a) prévoit que le tribunal peut ordonner une évaluation de « l’état mental » d’un accusé s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une telle preuve est nécessaire pour déterminer s’il est inapte à subir son procès. Le paragraphe 672.12(1) précise que le tribunal peut rendre une telle ordonnance d’office ou à la demande de l’accusé ou du poursuivant. Dans le même ordre d’idées, le par. 672.23(1) prévoit que « [l]e tribunal qui a [. . .] des motifs raisonnables de croire que l’accusé est inapte à subir son procès peut, d’office ou à la demande de l’accusé ou du poursuivant, ordonner que cette aptitude soit déterminée. »
  31.                           La gestion du procès d’un accusé non représenté ayant des troubles mentaux est l’une des tâches les plus difficiles qu’un juge du procès peut être appelé à accomplir. Celuici est le mieux placé pour évaluer la capacité de l’accusé dans la salle d’audience, et les juges d’appel doivent reconnaître l’avantage qu’a le juge du procès lorsqu’il examine le dossier afin de déterminer si ce dernier a commis une erreur en n’ordonnant pas l’évaluation de l’aptitude en vertu de l’al. 672.11a) et du par. 672.12(1), ou encore la tenue d’un procès sur l’aptitude en vertu du par. 672.23(1).
  32.                           Je partage l’avis de la Cour d’appel selon lequel le juge du procès a fait preuve d’une patience et d’une équité exemplaires, en s’assurant constamment que l’appelant comprenne bien la situation, de sorte qu’il puisse prendre des décisions fondées sur la réalité. Le juge du procès a affirmé qu’il veillerait à ce que l’appelant soit en mesure de mener sa défense comme il l’entendait et de présenter une défense pleine et entière. Au début du procès, le juge du procès a eu une longue discussion avec l’appelant afin de s’assurer qu’il comprenait les poursuites et les rôles des acteurs judiciaires participants. Cette discussion n’a révélé aucun signe avant-coureur d’inaptitude. L’amicus a convenu que, sur la base de ce dialogue et de ses conversations personnelles avec l’appelant, il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle évaluation de l’aptitude. Après cette discussion initiale, ni l’appelant, ni le juge du procès, ni la Couronne, ni l’amicus n’ont affirmé qu’il était nécessaire de procéder à une nouvelle évaluation de l’aptitude ou de tenir un procès sur l’aptitude.
  33.                           Même si l’appelant a manifesté à l’occasion des signes de comportement délirant au procès, il a toujours été ramené « sur la bonne voie » par le juge du procès et l’amicus. Ses idées délirantes ne l’ont donc pas empêché de mener sa défense comme il l’entendait, à un niveau de compétence fondé sur la réalité.
  34.                           Par exemple, après que l’appelant a consacré ses premières observations préliminaires à des idées paranoïaques plutôt qu’aux questions en litige au procès, le juge du procès lui a permis de faire un second exposé introductif, lequel a démontré une réflexion fondée sur la réalité. L’appelant a expliqué le fondement de sa défense de NRCTM et a exposé les éléments de preuve qu’il avait l’intention de produire.
  35.                           D’autres éléments du dossier indiquent que l’appelant a pris des décisions fondées sur la réalité dans le cadre de sa défense. Par exemple, il a démontré une bonne compréhension du droit applicable aux récusations péremptoires. Lors de la sélection du jury, l’appelant a utilisé ses récusations péremptoires dans le but avoué [traduction] « d’avoir 12 jurés de sexe masculin » (d.i., vol. VI, p. 393). Ses questions et ses observations ont également révélé qu’il avait examiné la preuve qui lui avait été communiquée et qu’il en comprenait la nature.
  36.                           L’appelant a démontré qu’il comprenait les principales questions juridiques en litige. Il a contesté le caractère volontaire de sa déclaration à la police, dans des observations que le juge du procès a jugées utiles. Par la suite, il a fait valoir que son état de santé mentale était d’intérêt pour établir l’élément de préméditation et de propos délibéré du meurtre au premier degré, indépendamment de sa défense de NRCTM. Le juge du procès a qualifié de [traduction] « très réfléchies » les observations finales de l’appelant, fournies par écrit pour être intégrées à l’exposé au jury (d.i., vol. XV, par. 304). Ces actions démontrent que l’appelant comprenait ce qui se passait lors de son procès et qu’il adoptait des tactiques et des stratégies pour éviter une condamnation.
  37.                           Au cours de l’audience devant notre Cour, l’avocat de l’appelant a fait valoir qu’un passage dans le dossier indiquait que l’appelant [traduction] « croyait que s’il nommait ses témoins, ceuxci risquaient d’être tués » (transcription, p. 13). Si cela est vrai, cette croyance soulève des préoccupations quant à la présence d’idées délirantes qui auraient pu empêcher l’accusé de satisfaire au seuil de la capacité de prendre des décisions fondées sur la réalité requis pour exercer son droit à une défense pleine et entière. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que le dossier étaye cette conclusion.
  38.                           Au début du procès, l’appelant a exprimé l’intention de convoquer des témoins. Il a demandé au tribunal de l’aider à comprendre la procédure à suivre et les conséquences procédurales que cela aurait sur le droit de la Couronne de présenter une contrepreuve. Ces agissements démontraient chez lui une réflexion fondée sur la réalité quant à la question de la convocation des témoins.
  39.                           Quelque temps plus tard, lorsque le juge du procès lui a demandé de fournir plus de détails sur les témoins qu’il avait l’intention de convoquer, l’appelant a donné une réponse longue et décousue, qui comprenait la phrase : [traduction] « Ce qu’il faut comprendre, c’est que les gens qui tentent de s’ingérer dans les poursuites qui ont lieu ici me causent un grand préjudice, mais ce n’est pas tout, ils causent également un grand préjudice à d’autres personnes » (d.i., vol. X, p. 11). Devant notre Cour, l’appelant soutient que ce passage démontre une crainte délirante que ses témoins couraient un risque de préjudice physique et de mort. Toutefois, au procès, l’appelant a précisé que ses inquiétudes concernant le « préjudice » avaient trait à une publicité négative. Après discussion avec le juge du procès, il a demandé d’être autorisé à s’abstenir d’indiquer au jury s’il convoquerait des témoins jusqu’à ce que le juge du procès ait statué sur le voirdire en cours. Peu de temps après, l’appelant a indiqué précisément les témoins qu’il avait l’intention de convoquer. Le juge du procès s’est montré très patient et a ordonné la suspension de l’audience afin que l’appelant puisse consulter l’amicus.
  40.                           En définitive, l’appelant a convoqué des témoins pour sa propre défense. Ceuxci ont fourni des dépositions pertinentes concernant les problèmes de santé mentale dont il souffre depuis longtemps. Je ne peux donc pas accepter l’argument de l’appelant selon lequel ses idées délirantes l’ont empêché de convoquer des témoins dans le cadre de sa défense. Cet argument n’est pas corroboré par le dossier.
  41.                           L’appelant renvoie notre Cour à d’autres passages du dossier indiquant qu’il a pris des décisions stratégiques qui ont nui à ses intérêts, comme lorsqu’il a insisté pour poser à un témoin policier une question qui risquait de révéler qu’il avait un casier judiciaire. À mon avis, ces exemples montrent tout au plus que les troubles mentaux de l’appelant l’ont peutêtre empêché de prendre des décisions qui servaient au mieux ses intérêts lors du procès. Le test de l’aptitude à subir son procès permet à un accusé ayant des troubles mentaux de prendre des décisions mal avisées, à condition qu’il comprenne la réalité de la situation et qu’il soit capable de communiquer de manière intelligible. Le juge du procès a reconnu que les troubles mentaux de l’appelant l’empêchaient de prendre des décisions [traduction] « qui servent au mieux ses intérêts » (d.i., vol. IX, p. 291), mais il n’a pas trouvé de motifs raisonnables de croire que l’appelant ne comprenait pas la réalité de son procès. Je m’en remets à cette conclusion.
  42.                       En conclusion, rien ne justifie d’intervenir dans l’examen, par la Cour d’appel, de la décision du juge du procès de ne pas ordonner une autre évaluation de l’aptitude ou un autre procès sur l’aptitude.
    1.             La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en rejetant la requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant l’aptitude à subir son procès et la défense de NRCTM
  43.                       L’appelant soutient que la Cour d’appel a commis une erreur en rejetant la requête en production de nouveaux éléments de preuve que sont les opinions du Dr Pallandi et de la Dre Chatterjee sur les questions de l’aptitude et de la NRCTM. Je ne suis pas de cet avis.
  44.                       L’intérêt de la justice est le principe cardinal qui régit l’admission de nouveaux éléments de preuve. En règle générale, ceuxci ne doivent pas être admis lorsqu’ils auraient pu, avec diligence raisonnable, être produits au procès. Les nouveaux éléments de preuve doivent également être pertinents et porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès. Ils doivent être plausibles, en ce sens qu’on peut raisonnablement y ajouter foi, et être tels que, si l’on y ajoute foi, ils seraient raisonnablement susceptibles d’influer sur l’issue du procès compte tenu des éléments de preuve déjà produits (Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, p. 775; Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, [2022] 1 R.C.S. 517, par. 3036; par. 683(1) C. cr.).
  45.                       La décision d’admettre de nouveaux éléments de preuve est discrétionnaire (Palmer, p. 775). Lorsqu’une cour d’appel agit comme un tribunal de première instance, elle a droit à la même déférence que le juge du procès à l’égard des conclusions qu’elle tire en fonction de cette nouvelle preuve (R. c. W.E.B., 2014 CSC 2, [2014] 1 R.C.S. 34, par. 2). Par conséquent, notre Cour ne peut s’écarter de la décision d’une cour d’appel de ne pas admettre de nouveaux éléments de preuve que si la cour d’appel s’est « clairement fondé[e] sur des considérations erronées en ce qui concerne les faits ou le droit, a agi de façon arbitraire ou a rendu une décision erronée au point de créer une injustice » (Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36, citant P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629, par. 15).
    1.           La nouvelle preuve sur l’aptitude à subir son procès
  46.                       L’appelant soutient que la Cour d’appel a négligé l’élément central de la preuve d’expert produite par le Dr Pallandi et la Dre Chatterjee — à savoir, d’une part, que le Dr Pallandi croyait que la défense de l’appelant était dictée par sa psychose paranoïde et, d’autre part, que la Dre Chatterjee avait relevé des périodes au procès durant lesquelles l’appelant était inapte (m.a., par. 56, note 49).
  47.                       À mon avis, la Cour d’appel n’a pas commis d’erreur dans son traitement de cette nouvelle preuve.
  48.                       Le Dr Pallandi semblait ignorer que l’appelant avait présenté une défense de NRCTM au procès. Il s’est également dit d’avis que l’appelant ne faisait confiance à aucun participant au procès, malgré la preuve claire que l’appelant en était venu à faire confiance aux conseils de l’amicus et à se fier à ceuxci. Je ne vois aucune raison de remettre en question le rejet par la Cour d’appel de l’opinion du Dr Pallandi puisque [traduction] « [l]e dossier du procès révèle que l’appelant a effectivement confié des tâches importantes à l’amicus au procès » et que l’opinion du Dr Pallandi — selon laquelle l’appelant ignorait qu’il avait une maladie mentale — est incompatible avec le fait que ce dernier a présenté une défense de NRCTM (par. 198199).
  49.                       De plus, la Dre Chatterjee a exprimé l’avis que l’appelant était apte au moment du procès. L’appelant s’est fondé sur une phrase du contreinterrogatoire de la Dre Chatterjee, où elle a affirmé que [traduction] « l’aptitude fluctue, et [qu’elle] ne préten[d] pas qu’à tout moment il aurait atteint le seuil d’aptitude » (d.a., vol. VIII, p. 233). Elle a toutefois immédiatement précisé : [traduction] « Mais dans l’ensemble, même lorsqu’il divague, selon mon analyse rétrospective, il est en mesure de se ressaisir dans un délai raisonnable, de demeurer pertinent et de faire valoir une défense rationnelle qui, d’une certaine façon, même d’après le seuil de l’intérêt supérieur, peut avoir servi au mieux son intérêt . . . » (p. 233).
  50.                       La Cour d’appel a conclu à juste titre que, même si le dossier indique que l’appelant a eu des idées paranoïdes par moments, il parvenait toujours rapidement à se ressaisir (par. 203). Le dossier permet donc de conclure que l’appelant était apte à subir son procès, et on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la nouvelle preuve fournie par la Dre Chatterjee ait influé sur le résultat.
    1.           La nouvelle preuve concernant la défense de NRCTM
  51.                       L’argument de l’appelant est axé sur l’opinion de la Dre Chatterjee concernant la NRCTM, selon laquelle il était non responsable criminellement au moment de l’infraction en raison de ses troubles mentaux. Elle a conclu que l’appelant était schizophrène et que, même s’il

[traduction] était généralement capable de savoir que tuer était moralement répréhensible, à travers la lentille déformée d’une personne gravement psychotique en proie à une détresse intense, il était incapable d’appliquer cette connaissance aux décisions qu’il devait prendre au moment des faits. Son état psychotique l’a poussé à agir de cette façon extrême, croyant qu’il ne disposait d’aucun autre moyen pour mettre un terme à ses souffrances. Tout son état le privait de la capacité de savoir que ses actes étaient moralement répréhensibles au moment des faits.

(d.a., vol. VII, p. 249)

  1.                       L’appelant accorde une grande importance au fait que la Dre Chatterjee a été engagée par la Couronne après le procès. Soit dit en tout respect, le fait que la Dre Chatterjee soit un témoin expert de la Couronne n’a aucune incidence sur l’analyse et ne permet pas d’écarter les principes généraux qui s’appliquent à l’admission de nouveaux éléments de preuve. Bien qu’ils soient engagés par les parties, les témoins experts ont « l’obligation particulière d’apporter au tribunal une aide juste, objective et impartiale », laquelle l’emporte sur toute obligation qu’ils peuvent avoir envers les parties qui les ont engagés (White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182, par. 2; voir aussi le par. 30).
  2.                       Les nouveaux éléments de preuve proposés n’offrent pas de nouveaux renseignements et reprennent en grande partie les témoignages des Drs Chaimowitz et Ramshaw, qui ont été présentés au jury. Rien n’indique que le jury a reçu des directives erronées concernant ces témoignages. On ne pouvait donc raisonnablement penser que le témoignage de la Dre Chatterjee aurait influé sur l’issue du procès, car il ne ferait qu’ajouter une [traduction] « troisième opinion » à une question qui a déjà été rigoureusement débattue (R. c. Forcillo, 2018 ONCA 402, 141 O.R. (3d) 752, par. 109; voir aussi les motifs de la C.A., par. 258259).
  3.                       Le principe du caractère définitif des décisions, qui empêche que les causes soient jugées sans cesse chaque fois que de nouveaux éléments de preuve sont produits, est essentiel au maintien de l’intégrité du processus criminel (G.D.B., par. 19). La Cour d’appel a correctement appliqué les principes régissant l’admission des nouveaux éléments de preuve et n’a commis aucune erreur qui justifierait l’intervention de notre Cour.
  4.                       Néanmoins, la Cour d’appel a fourni une raison supplémentaire pour rejeter la requête en production de nouveaux éléments de preuve, affirmant que [traduction] « l’opinion de la Dre Chatterjee sur la nonresponsabilité criminelle [pour cause de troubles mentaux] n’est pas conforme au droit » (par. 262; voir aussi les par. 263265). Comme il n’est pas nécessaire d’aborder cet obiter dictum pour trancher le présent pourvoi, je ne ferai aucun commentaire sur cette question.
    1. La requête en production de nouveaux éléments de preuve concernant la crédibilité et la fiabilité du Dr Woodside est rejetée
  5.                       L’appelant a présenté une requête en production de nouveaux éléments de preuve à notre Cour en vertu du par. 62(3) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S26, et de la règle 47 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002156.
  6.                       Les éléments de preuve que l’appelant cherche à présenter se rapportent à des conclusions de fait judiciaires concernant le témoignage du Dr Woodside dans deux affaires distinctes de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ainsi qu’aux transcriptions d’audience correspondantes. Dans ces affaires, des préoccupations ont été formulées au sujet des pratiques du Dr Woodside en matière de prise de notes et de rédaction (R. c. Minassian, 2021 ONSC 1258, 401 C.C.C. (3d) 123; R. c. Nettleton, 2023 ONSC 3390; voir aussi R. c. Hason, 2024 ONCA 369, 171 O.R. (3d) 225).
  7.                       S’appuyant sur ces éléments de preuve, l’appelant fait valoir que plusieurs facteurs affaiblissent la crédibilité et la fiabilité de l’opinion du Dr Woodside dans le cas qui nous occupe. Ces facteurs comprennent l’omission du Dr Woodside d’examiner le fondement des conclusions du Dr Chaimowitz selon lesquelles l’appelant était en phase active de psychose cinq jours après le meurtre, la méthode utilisée par le Dr Woodside pour prendre des notes, ainsi que le rejet par ce dernier de l’opinion sur la NRCTM formulée par la Dre Chatterjee (réplique de l’appelant à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, vol. I, p. 2, par. 7)[4].
  8.                       La Couronne rétorque que les conclusions de fait judiciaires ne sont pas des éléments de preuve. Toutefois, si l’appelant compte s’appuyer en grande partie sur ces conclusions pour attaquer la crédibilité et la fiabilité du Dr Woodside, alors les transcriptions des témoignages sur lesquels reposent les conclusions de fait judiciaires sont essentielles (réplique de l’intimé à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, par. 1516). La Couronne soutient en outre que ni les conclusions de fait judiciaire ni les transcriptions ne satisfont à la norme établie dans l’arrêt Palmer, car elles ne sont pas suffisamment probantes pour avoir influé sur le verdict (par. 2228).
  9.                       Un appel n’est pas une occasion de juger à nouveau l’affaire. Les nouveaux éléments de preuve doivent faire plus que simplement compléter ou corriger le dossier du procès (M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 51.1). Comme je l’ai déjà expliqué, l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel est régie par quatre critères : la diligence raisonnable, la pertinence, la plausibilité et l’effet potentiel sur le résultat du procès (Palmer, p. 775).
  10.                       Je conclus que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas pu raisonnablement influer sur l’issue du procès. Comme l’a établi l’arrêt R. c. Lévesque, 2000 CSC 47, [2000] 2 R.C.S. 487, les nouveaux éléments de preuve doivent avoir « une force probante telle qu’elle aurait influé sur le résultat si elle avait été présentée au [jury] et que celuici lui avait ajouté foi » (par. 27). Ni les conclusions de fait judiciaires ni les transcriptions dans les jugements Nettleton ou Minassian ne répondent à ce critère rigoureux. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la requête de l’appelant.
  11.                       Je vais maintenant examiner les conclusions de fait judiciaires et les transcriptions dans les jugements Nettleton et Minassian. Pour les besoins du présent pourvoi, je vais tenir pour acquis, sans me prononcer sur la question, que les conclusions de fait judiciaires peuvent constituer des éléments de preuve admissibles.

(1) Les conclusions de fait judiciaires et les transcriptions dans le jugement Nettleton

  1.                       Dans l’affaire Nettleton, le Dr Woodside avait rédigé trois rapports dans le cadre d’une procédure de déclaration de délinquant dangereux. Le Dr Woodside avait traité certaines sections clés de ses rapports aux fins de déclaration de délinquant dangereux comme des passages standardisés. Il a admis avoir copié-collé des sections d’un rapport concernant un autre individu, ce qui avait entraîné de multiples erreurs, notamment l’attribution de troubles mentaux erronés, des références incorrectes à des affiliations à des gangs et des affirmations inexactes concernant des infractions criminelles antérieures. Interrogé en contreinterrogatoire sur les nombreuses erreurs contenues dans les rapports, il a maintenu certaines de ses erreurs et [traduction] « n’a pas remis en doute l’exactitude de son travail même quand il avait de bonnes raisons de le faire » (par. 62).
  2.                       La juge Bird a conclu que ces erreurs, ainsi que les réponses du Dr Woodside quand il a été interrogé à leur sujet, soulevaient de graves préoccupations concernant la fiabilité des rapports de celuici et révélaient chez lui une partialité quant à sa crédibilité professionnelle (par. 64 et 7073)[5]. La juge Bird a donc refusé d’admettre son témoignage.
  3.                       La fiabilité du Dr Woodside a également fait l’objet d’une analyse dans l’arrêt Hason, une affaire mettant en cause un accusé déclaré délinquant dangereux sur le fondement de l’évaluation du Dr Woodside (par. 21 et 2627). Le juge du procès s’est largement fondé sur l’opinion du Dr Woodside lorsqu’il a infligé une peine d’une durée indéterminée (par. 31 et 121). S’appuyant sur le jugement Nettleton, le juge en chef Tulloch a conclu que la peine était imprudente. Par conséquent, il a accueilli l’appel de la peine et ordonné une nouvelle audience sur la peine et une nouvelle évaluation aux fins d’une déclaration de délinquant dangereux.
  4.                       La présente affaire se distingue de l’affaire Nettleton sur le plan procédural. Les conclusions de fait judiciaires tirées dans les affaires Nettleton et Hason l’ont été dans le contexte d’une procédure de déclaration de délinquant dangereux.
  5.                       Plus important encore, la question du copiercoller à partir de rapports antérieurs ne se pose pas en l’espèce. Rien n’indique que le Dr Woodside a utilisé des formules standardisées dans son avis sur la question de la NRCTM. L’appelant a convenu que, même si l’emploi de formules standardisées est un [traduction] « signal d’alarme » dans l’opinion du Dr Woodside, « elles n’étaient pas en cause dans la présente affaire » (réplique de l’appelant à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, vol. 1, p. 4, par. 14).
  6.                       Je ne conteste pas que cette pratique de copiercoller des sections « standard » de rapports antérieurs risque de miner le témoignage du Dr Woodside dans certains cas. Par exemple, si la cour s’était fondée sur l’opinion du Dr Woodside dans une autre procédure de déclaration de délinquant dangereux, et qu’il y avait des raisons de croire qu’il y avait employé le même procédé de copiercoller, alors les conclusions judiciaires de fait et les transcriptions dans l’affaire Nettleton pourraient fort bien s’avérer pertinentes quant au témoignage du Dr Woodside dans cette affaire, comme ce fut le cas dans l’affaire Hason. Mais cela contraste avec la présente affaire, où l’opinion du Dr Woodside a été donnée dans le contexte d’une procédure de NRCTM, et non une procédure de déclaration de délinquant dangereux. Je suis donc en désaccord avec l’affirmation de mes collègues suivant laquelle « le jury aurait pu conclure que le seul expert qui a estimé que l’appelant était responsable criminellement avait de piètres pratiques générales lorsqu’il compilait ses rapports en faisant des copiercoller des sections d’analyse et de conclusions de ses autres rapports et en changeant les noms des sujets » (par. 185). Il en est ainsi parce qu’un type de rapport complètement différent était en cause dans la présente affaire, portant sur un sujet tout à fait différent.
  7.                       En raison de ce qui précède, je vois mal en quoi les conclusions de fait judiciaires tirées dans l’affaire Nettleton auraient été pertinentes, sauf pour attaquer la fiabilité générale du Dr Woodside à un niveau à ce point étranger aux circonstances de l’espèce qu’elles ne possèderaient aucune réelle valeur probante. L’appelant écrit qu’il ne sollicite pas [traduction] « une inférence générale selon laquelle le témoignage d’opinion du Dr Woodside n’est pas fiable dans tous les cas » (réplique de l’appelant à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, vol. I, p. 2, par. 6). Cependant, étant donné que le contreinterrogatoire dans le jugement Nettleton n’aborde pas les mêmes erreurs que celles soulevées à l’égard du témoignage du Dr Woodside dans la présente affaire, ce contre-interrogatoire ne saurait en aucune façon être pertinent quant à la fiabilité du Dr Woodside, sauf d’une façon qui attaque sa fiabilité générale d’une manière applicable à tous les cas où il a témoigné.
  8.                       Il est vrai que le Dr Woodside a préféré ses propres notes à celles de la Dre Ansarian, la résidente qui l’a aidé, lorsqu’elles divergeaient sur le contenu des entrevues de l’appelant. Toutefois, cette préférence exprimée ne s’apparente pas au fait que le Dr Woodside a continué d’insister sur la fiabilité de ses rapports dans l’affaire Nettleton, même après avoir été mis au fait d’erreurs. Par conséquent, sa préférence pour ses propres notes n’aurait pas raisonnablement influé sur le verdict en l’espèce. Il appartenait au jury de décider si les notes du Dr Woodside étaient exactes eu égard à celles prises par la Dre Ansarian. Le jury était outillé pour évaluer si ces divergences entre les notes de la Dre Ansarian et le compte rendu du Dr Woodside ont nui à la crédibilité et à la fiabilité de son rapport, compte tenu de l’examen approfondi effectué par l’amicus.
  9.                       En bref, si la preuve de l’utilisation par le Dr Woodside de formules « standard » dans le contexte d’une procédure de déclaration de délinquant dangereux est jugée admissible dans la présente affaire — laquelle porte sur un sujet complètement différent et où il est concédé que la technique problématique de copiercoller en litige dans l’affaire Nettleton n’est pas employée — une telle preuve semblerait alors admissible dans tous les cas où le Dr Woodside a témoigné. Il faut se rappeler que, même dans les circonstances de l’affaire Nettleton, la juge Bird a pris soin de limiter son évaluation des qualifications du Dr Woodside [traduction] « aux faits propres à cette affaire » (par. 9). Elle a reconnu qu’il était [traduction] « un psychiatre légiste extrêmement compétent et expérimenté » qui avait effectué plus de 160 évaluations ordonnées par les tribunaux (par. 9).

(2) Les conclusions de fait judiciaires et les transcriptions dans l’affaire Minassian

  1.                       Dans l’affaire Minassian, le Dr Woodside avait été contreinterrogé sur le fait qu’il n’y avait pas de notes distinctes de son entrevue avec l’accusé lors d’une évaluation du trouble du spectre de l’autisme (par. 254). Il avait précisé que sa méthode consistait à prendre des notes sur son ordinateur portable et à les intégrer directement dans son rapport, plutôt que de conserver des documents séparés (par. 254). Cette façon de faire limitait la possibilité de le contreinterroger sur les divergences relevées entre son rapport et les réponses de l’accusé. La juge Molloy a estimé que cette méthode [traduction] « ne compromettait pas la fiabilité des renseignements qu’il avait recueillis ou la fiabilité de son opinion » (par. 254). En fin de compte, la juge Molloy s’est appuyée sur les conclusions du Dr Woodside et a approuvé leur raisonnement sousjacent.
  2.                       Un examen du déroulement de l’instance en l’espèce confirme que la crédibilité du Dr Woodside et la fiabilité de sa méthode sont des questions qui ont été présentées au jury. Les nouveaux éléments de preuve n’apportent rien de nouveau par rapport à ce dont disposait déjà le jury.
  3.                       Pendant le procès, l’amicus a joué un rôle important en aidant l’appelant à faire valoir sa défense de NRCTM. Ce dernier a confié à l’amicus le soin de présenter le témoignage des experts de la défense et de contreinterroger le Dr Woodside. Ce faisant, l’amicus a remis en question les pratiques du Dr Woodside en matière de prise de notes et de rédaction de rapports, ainsi que son recours à ses propres notes et à celles de la Dre Ansarian. L’amicus a également fait abondamment référence au rapport du Dr Chaimowitz, citant à plusieurs reprises des extraits du rapport de ce dernier en s’adressant au Dr Woodside et mettant en doute certaines des conclusions contradictoires du Dr Woodside, que ce dernier avait tenté de justifier. Les Drs Chaimowitz et Ramshaw ont également examiné l’opinion du Dr Woodside et exprimé des préoccupations lors de leur témoignage.
  4.                       Dans sa plaidoirie finale, l’appelant a dit au jury qu’il s’était senti sous pression lors de son entretien avec le Dr Woodside et a admis qu’une [traduction] « grande partie de ce [qu’il] lui [avait] dit n’est pas vrai » (d.i., vol. XV, p. 106). De même, l’amicus a encouragé le jury à ne pas croire le Dr Woodside et à traiter son opinion [traduction] « avec un scepticisme extrême », soutenant qu’il n’avait pas examiné tous les éléments de preuve à sa disposition ou qu’il l’avait fait de manière injuste (p. 152). L’amicus a exprimé des préoccupations de partialité quant à la crédibilité professionnelle du Dr Woodside, faisant valoir qu’il était [traduction] « prêt à [. . .] défendre [. . .] des positions ou des interprétations absurdes, simplement pour maintenir la position qu’il [. . .] avait adoptée », attirant l’attention sur l’affirmation du Dr Woodside selon laquelle l’appelant avait peutêtre « tué [la victime] simplement parce qu’il était irrité » (p. 154). L’amicus a affirmé que le Dr Woodside était [traduction] « absurdement sur la défensive » lorsqu’on lui avait « [p]résenté des preuves de plus en plus nombreuses de [la] psychose [de l’appelant] » (p. 155). Il a également critiqué l’expérience limitée de la Dre Angela Carter, la psychologue judiciaire qui a appuyé certains aspects des conclusions du Dr Woodside. L’amicus a exhorté le jury à [traduction] « réfléchir sérieusement » et à avoir « d’importantes réserves » quant à l’objectivité du Dr Woodside, insistant pour dire que les conclusions de ce dernier témoignaient d’un « objectif préétabli » et « ne cadr[aient] pas avec la preuve », sauf si l’on « ignorait les éléments problématiques » de son opinion ou si l’on en « forçait le sens pour la faire correspondre à la preuve » (p. 156).
  5.                       Lors de son exposé au jury, le juge McCombs a affirmé que l’amicus avait insisté sur l’avantage dont avait bénéficié le Dr Chaimowitz du fait qu’il avait rencontré l’appelant cinq jours après l’homicide, contrairement au Dr Woodside. Il a également résumé les opinions des cinq experts présentées au procès, qui provenaient de deux psychologues judiciaires et de trois psychiatres légistes. Le juge McCombs a expliqué au jury que la thèse de l’appelant était que le témoignage du Dr Woodside et celui de la Dre Carter n’étaient pas fiables et devaient être rejetés.
  6.                       Le jury avait à sa disposition la totalité de la preuve sur laquelle reposaient les opinions psychiatriques, qui comprenait d’autres éléments de preuve clés susceptibles d’avoir joué un rôle important pour dissiper ou confirmer les doutes qu’il pouvait avoir. Parmi ces éléments de preuve clés, mentionnons la transcription de l’appel au 911, la déclaration de l’appelant à la police et les opinions de deux psychologues judiciaires sur les possibles troubles mentaux de l’appelant, dont l’un avait, à l’instar du Dr Woodside, conclu que l’appelant n’avait pas de troubles mentaux qui affectaient sa raison au moment de l’infraction.
  7.                       Le fait que le Dr Woodside ait employé une méthode semblable de prise de notes dans une autre affaire ultérieure n’aurait pas eu une incidence sur la présente affaire. Comme il est exposé en détail précédemment, le jury était au courant de ses pratiques de prise de notes et, à mon avis, il est peu probable que d’entendre parler d’un autre cas de pratiques semblables ait une valeur probante sur la question de la crédibilité et de la fiabilité du Dr Woodside. Même si je devais accepter, aux fins de la discussion, que la preuve de piètres pratiques de prise de notes dans une autre affaire pourrait nuire à la crédibilité et à la fiabilité du témoignage du Dr Woodside, de même qu’à sa qualification en tant qu’expert dans une autre affaire, il faut également tenir compte du fait que ces pratiques n’ont, en réalité, rien enlevé à sa fiabilité dans l’affaire Minassian. La juge Molloy a conclu que les pratiques de prise de notes du Dr Woodside ne minaient pas la fiabilité des renseignements recueillis ou de son opinion dans cette affaire.
  8.                       En l’espèce, le jury était bien outillé pour prendre une décision difficile à la lumière des opinions contradictoires des experts concernant la défense de NRCTM. Il incombait à l’appelant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux. Rien n’indique que le juge du procès a donné des directives erronées au jury sur ce point. Malgré les préoccupations exprimées lors du procès au sujet des pratiques du Dr Woodside, le jury pouvait conclure, en fonction de la preuve, que l’appelant ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Il serait malvenu de ma part d’avancer des hypothèses sur ce qui a pu influencer le raisonnement du jury. Ce qui est clair, cependant, c’est que les nombreuses réserves au sujet de la crédibilité et de la fiabilité du Dr Woodside ont été clairement soumises à l’appréciation du jury, y compris celles exprimées par l’appelant dans sa requête en production de nouveaux éléments de preuve.
  1.       Dispositif
  1.                       Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la requête en production de nouveaux éléments de preuve et de rejeter le pourvoi.

 

 Version française des motifs des juges Karakatsanis, Martin et Moreau rendus par

 Les juges Karakatsanis et Martin —

  1. Aperçu
  1.                       Tout système de justice criminelle est exposé à la difficulté de savoir comment traiter équitablement les individus atteints de troubles mentaux lorsqu’ils sont accusés d’avoir perpétré des crimes. En l’espèce, après avoir présenté des symptômes de troubles mentaux non diagnostiqués pendant des années, l’appelant, Mohamed Adam Bharwani, a tué sa colocataire, Nyumwai Caroline Mkurazhizha, parce qu’elle s’était exclamée devant le désordre qui régnait dans sa chambre et avait bavassé à ce sujet. Après lui avoir enlevé la vie, il a appelé la police, avoué ses actes et déclaré qu’il se sentait coupable, qu’il savait qu’il devait aller en prison, que ce qu’il avait fait n’était pas bien et que la [traduction] « bonne chose à faire » était de se livrer aux autorités (d.i., vol. II, p. 345).
  2.                       Nous souscrivons aux motifs de la juge O’Bonsawin en ce qui concerne l’aptitude de l’appelant à subir son procès. Mais nous ne souscrivons pas à sa décision sur les requêtes en production de nouveaux éléments de preuve. À notre avis, ceuxci fournissent de nouveaux motifs convaincants de douter de la sûreté du verdict du jury selon lequel l’appelant était criminellement responsable de ses actes au moment de l’homicide. Ces éléments de preuve devraient être admis et un nouveau procès devrait être ordonné afin d’éviter une erreur judiciaire.
  3.                       Le postulat fondamental de notre droit criminel est que l’accusé est une personne rationnelle, autonome, qui agit volontairement et qui est en mesure de juger la nature et la qualité d’un acte et de distinguer le bien du mal (R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1320). Ce postulat est remis en question lorsqu’un accusé est atteint de troubles mentaux ou d’idées délirantes qui le rendent incapable de savoir que ses actes sont moralement répréhensibles et d’appliquer cette connaissance. Dans de tels cas, la défense de nonresponsabilité criminelle (NRC) prévue à l’art. 16 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C46, met l’accusé à l’abri de la responsabilité criminelle.
  4.                       Les parties ont présenté d’abondants éléments de preuve au procès, provenant notamment de trois psychiatres, sur l’état de santé mentale de l’appelant et la question de savoir s’il était non responsable criminellement au moment de l’homicide.
  5.                       L’expert sur l’opinion duquel la Couronne s’est fondée, le Dr Scott Woodside, a interviewé l’appelant environ 22 mois après la perpétration de l’infraction. Il a conclu que l’appelant était responsable criminellement de ses actes, qu’il n’était pas en phase de psychose active au moment de l’homicide et que, même si tel avait été le cas, il était néanmoins en mesure de savoir que ses actes étaient moralement répréhensibles.
  6.                       Tous les autres experts en l’espèce — les deux autres experts au procès appelés par l’amicus, et deux de plus consultés après le procès, l’un appelé par l’appelant et l’autre appelée par la Couronne — ont conclu que l’appelant était non responsable criminellement[6]. Le Dr Gary Chaimowitz a d’abord interviewé l’appelant cinq jours après l’homicide et a témoigné que celuici répondait à la définition de la NRC prévue par la loi, car sa phase de psychose était suffisamment active au point de déformer toute possibilité qu’il fasse la distinction entre le bien et le mal, et de l’empêcher de savoir que ce qu’il faisait était moralement répréhensible. Similairement, la Dre Lisa Ramshaw a interviewé l’appelant environ 19 mois après l’homicide et a déterminé qu’il était en phase de psychose active au moment des faits, et qu’il entretenait des croyances délirantes découlant de sa schizophrénie. Elle a conclu qu’il était probablement [traduction] « incapable d’[évaluer] le caractère moralement répréhensible [de ses actes] en raison de sa maladie mentale » (d.a., vol. V, p. 244).
  7.                       Le jury a rejeté la défense de NRC de l’appelant et l’a déclaré coupable de meurtre au premier degré. Pour rendre ce verdict, le jury a nécessairement accordé plus de poids à la preuve de l’expert appelé par la Couronne qu’à celle des deux autres experts.
  8.                       Pour la première fois, devant notre Cour, l’appelant présente de nouveaux éléments de preuve troublants — sous la forme de transcriptions de témoignages dans d’autres affaires — contestant la compétence professionnelle du psychiatre témoin expert crucial appelé par la Couronne au procès. Ces transcriptions et les jugements rendus à l’issue de ces affaires soulèvent de graves questions sur les pratiques que le Dr Woodside a utilisées pour recueillir les renseignements ainsi que pour rédiger et réviser les rapports qu’il a produits dans des instances criminelles. Plus particulièrement, il a admis qu’il avait comme pratique courante de copiercoller des sections de ses rapports psychiatriques qu’il avait antérieurement rédigés pour d’autres personnes. Ce processus l’a mené à présenter, dans au moins une affaire, des éléments de preuve comportant de graves erreurs : des renseignements importants sur le sujet apparent du rapport étaient inexacts parce qu’ils étaient fondés sur le ou les crimes d’un autre accusé, les antécédents personnels d’un autre accusé ou les problèmes de santé d’un autre accusé. Malgré les affirmations de cet expert selon lesquelles il révisait attentivement ses rapports, ses erreurs ont été répétées ou même aggravées entre les diverses ébauches, et des erreurs importantes ont abouti dans les opinions qu’il a présentées en guise de preuve. Les nouveaux éléments de preuve suggèrent également que cet expert est réticent à réexaminer ses opinions émises antérieurement, même après avoir été mis au fait de nombreuses erreurs factuelles préjudiciables soustendant ces opinions.
  9.                       Contrairement à notre collègue, nous sommes d’avis de faire droit à la requête de l’appelant en production de ces nouveaux éléments de preuve. L’état de santé mentale de l’appelant au moment de l’homicide était la question centrale au procès. Le Dr Woodside était le seul psychiatre d’avis que l’appelant était responsable criminellement. Tous les autres experts étaient d’avis que l’appelant était non responsable criminellement. Les nouveaux éléments de preuve sont fiables et peuvent entraîner un doute sur le verdict : ils pourraient fournir à un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, de nouveaux motifs convaincants de douter de l’opinion avancée par ce témoin essentiel pour la Couronne. De tels nouveaux renseignements auraient également pu faire basculer la balance si les jurés avaient eu des préoccupations découlant de son contreinterrogatoire, préoccupations qu’ils ont en définitive dissipées en décidant de préférer son témoignage.
  10.                       Nous sommes également d’avis d’admettre le nouvel élément de preuve de la Dre Sumeeta Chatterjee, la psychiatre à qui la Couronne a demandé de rédiger un rapport après la fin du procès et qui a conclu que l’appelant était non responsable criminellement au moment de l’homicide. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la requête de l’appelant en production de la preuve de la Dre Chatterjee (2023 ONCA 203). Nous convenons avec la Cour d’appel que normalement la valeur accordée au caractère définitif des verdicts veut dire que les tribunaux examineront les nouveaux éléments de preuve de manière stricte afin de déterminer s’ils sont véritablement nouveaux. Toutefois, lorsque l’appel soulève des questions graves sur la validité ou la sûreté du verdict, la volonté de préserver le caractère définitif peut céder le pas aux impératifs d’équité et de protection de la liberté. À notre avis, et ce pour les motifs mentionnés, le caractère définitif du verdict doit céder le pas dans les circonstances uniques de l’espèce.
  11.                       Nous ne souscrivons pas non plus à la conclusion de la Cour d’appel portant que l’opinion de la Dre Chatterjee devrait être rejetée parce qu’elle a appliqué le mauvais critère juridique pour la défense de NRC. La Cour d’appel a décidé qu’un accusé qui savait que ses actes criminels étaient moralement répréhensibles ne peut jamais établir une défense de NRC, même s’il s’était senti forcé d’agir en raison de troubles mentaux. Avec égards, cette interprétation est contraire à l’arrêt de notre Cour faisant autorité, R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507. Nous nous fondons sur l’arrêt Oommen dont ressort le postulat bien établi voulant qu’un accusé ne soit pas responsable criminellement s’il était incapable de savoir au moment de la perpétration de ses actes criminels que ceuxci étaient moralement répréhensibles ou s’il était incapable d’appliquer une telle connaissance de façon rationnelle. Un accusé qui se sent forcé ou obligé d’agir en raison de troubles mentaux n’est pas en mesure d’appliquer de façon rationnelle quelque connaissance que ce soit du caractère moralement répréhensible qu’il pourrait avoir eue. Cet accusé n’est donc pas responsable criminellement, même s’il savait que ses actes criminels étaient moralement répréhensibles.
  12.                       Compte tenu des nouveaux éléments de preuve, nous concluons qu’il existe un risque important que le verdict de responsabilité criminelle de l’appelant soit basé sur des éléments de preuve d’expert potentiellement non fondés, erronés ou non fiables. Bien que nous ne croyions pas que la déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré et le rejet de la défense de NRC constituaient un verdict déraisonnable, nous concluons qu’une erreur judiciaire a été commise en l’espèce, selon le sousal. 686(1)a)(iii) du Code criminel. Nous sommes donc d’avis d’admettre les nouveaux éléments de preuve, d’accueillir le pourvoi, d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
  1.             Analyse
    1.             Nouveaux éléments de preuve concernant la revendication de NRC de l’appelant
  1.                       Le jury a entendu les opinions de trois psychiatres sur la question de savoir si l’appelant était non responsable criminellement au moment du meurtre. Le Dr Chaimowitz et la Dre Ramshaw ont répondu par l’affirmative; le Dr Woodside, par la négative.
  2.                       L’appelant conteste la conclusion du jury portant qu’il était responsable criminellement avec deux formes de nouveaux éléments de preuve. Premièrement, il cherche (pour la première fois devant notre Cour) à présenter des éléments de preuve remettant en cause la fiabilité et la crédibilité de l’opinion du Dr Woodside. Deuxièmement, il conteste la décision de la Cour d’appel de ne pas admettre la nouvelle opinion d’experte de la Dre Chatterjee selon laquelle il était non responsable criminellement.

(1) Le Dr Woodside

  1.                       La preuve du Dr Woodside était essentielle à la cause de la Couronne. Sans son témoignage, il n’y avait pas de preuve d’expert permettant de contester la revendication de l’appelant selon laquelle il n’était pas responsable criminellement en raison de troubles mentaux.
  2.                       L’amicus et l’appelant ont consenti à la qualification du Dr Woodside en tant qu’expert. Toutefois, ils ont remis en cause sa fiabilité et sa crédibilité lors du contreinterrogatoire. Le verdict du jury démontre que ce dernier a préféré la preuve du Dr Woodside à celle du Dr Chaimowitz et à celle de la Dre Ramshaw.
  3.                       L’appelant présente maintenant, à titre de nouveaux éléments de preuve, les transcriptions du témoignage du Dr Woodside dans les affaires R. c. Nettleton, 2023 ONSC 3390, et R. c. Minassian, 2021 ONSC 1258, 401 C.C.C. (3d) 123, afin de contester la validité de son opinion d’expert en l’espèce. Il renvoie également aux jugements rendus par la juge Bird et la juge Molloy dans ces affaires pour leurs commentaires sur l’impact du témoignage du Dr Woodside dans les contextes plus généraux de ces affaires.
    1.              Question préliminaire — Les conclusions de fait judiciaires sont-elles des éléments de preuve admissibles?
  4.                       La Couronne soulève une objection préliminaire à ce que l’on considère les décisions rendues dans les affaires Nettleton et Minassian comme de nouveaux éléments de preuve. Elle soutient que les conclusions de fait judiciaires ne sont pas en soi des preuves et ne peuvent donc pas être admises comme étant de nouveaux éléments de preuve. En guise d’appui à cet argument, elle cite l’arrêt R. c. Ghorvei (1999), 46 O.R. (3d) 63 (C.A.), dans lequel la juge d’appel Charron a décidé qu’il [traduction] « n’est pas approprié de contre-interroger un témoin sur le fait que son témoignage a été rejeté ou jugé non crédible dans une affaire antérieure » (par. 31). La juge Charron a estimé que le rejet représente simplement l’opinion d’un tribunal, qui n’est pas utile pour les juges des faits subséquents qui n’ont pas accès au fondement factuel de cette opinion. Ce raisonnement a été démontré au regard des faits de cette affaire dans laquelle la juge Charron a décidé que la conclusion en question du tribunal reposait sur une mauvaise compréhension de la preuve dans l’instance antérieure.
  5.                       Nous notons que la Cour d’appel de l’Ontario s’est demandé si l’arrêt Ghorvei devrait s’appliquer aux témoins experts (Kolapully c. Myles, 2024 ONCA 350, 498 D.L.R. (4th) 383, par. 30, note 3, citant le Rapport de la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario (2008) (l’hon. S. T. Goudge, commissaire)). En l’espèce, il n’est pas nécessaire que nous tranchions la question de savoir si la règle de l’arrêt Ghorvei est valable, soit en général, soit telle qu’elle s’applique spécifiquement aux témoins experts. Nous souscrivons aux propos que la Cour d’appel a tenus dans l’arrêt R. c. Hason, 2024 ONCA 369, 171 O.R. (3d) 225, par. 113115, selon lesquels les préoccupations dans l’arrêt Ghorvei ne s’appliquent pas lorsqu’un tribunal a accès au dossier de preuve et au fondement factuel qui soustendent les conclusions tirées antérieurement par le tribunal sur la crédibilité ou la fiabilité d’un témoin.
  6.                       Ici, notre Cour a accès aux transcriptions pertinentes des affaires Nettleton et Minassian. Il est donc utile d’examiner les conclusions des juges Bird et Molloy dans ces deux affaires, de même que la preuve des transcriptions en ellesmêmes, afin d’apprécier pleinement l’impact et l’importance du témoignage du Dr Woodside dans ces affaires.
    1.              Le test de l’arrêt Palmer
  7.                       Les cours d’appel ont le pouvoir, en vertu de l’art. 683 du Code criminel, d’admettre et d’examiner de nouveaux éléments de preuve lorsqu’elles l’estiment « dans l’intérêt de la justice ». En appliquant cette norme, les cours tiennent généralement compte des quatre principes de l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759. Les nouveaux éléments de preuve devraient uniquement être admis s’ils ne pouvaient pas être produits au procès par l’exercice de la diligence raisonnable, s’ils sont pertinents en ce sens qu’ils portent sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès, s’ils sont plausibles et s’ils sont en mesure d’influer raisonnablement sur le résultat du procès. Ces facteurs devraient être appliqués de façon téléologique afin d’assurer un équilibre entre le caractère définitif et le caractère juste des procédures judiciaires (Barendregt c. Grebliunas, 2022 CSC 22, [2022] 1 R.C.S. 517, par. 2934). La norme de preuve à appliquer lors de l’examen de ces facteurs est la norme générale relative à l’admissibilité de la preuve, à savoir la prépondérance des probabilités (R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653, p. 664).
    1.             Produits par l’exercice de la diligence raisonnable
  8.                       Les transcriptions des affaires Nettleton et Minassian répondent au test de la diligence raisonnable puisqu’elles n’existaient pas au moment du procès de l’appelant (voir, de façon générale, Barendregt, par. 5961). Le Dr Woodside a témoigné en l’espèce en mars 2017. Il a témoigné dans l’affaire Minassian en décembre 2020. Et, il a témoigné dans l’affaire Nettleton en mai 2023. La Couronne ne conteste pas non plus l’authenticité des transcriptions ou des opinions judiciaires. Les questions à trancher sont donc celles de savoir si cette preuve porte sur la fiabilité et la crédibilité du témoignage du Dr Woodside en l’espèce et, si, au cas où on y prête foi, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ait influé sur le résultat du procès.
    1.           Pertinence des transcriptions et des jugements des affaires Nettleton et Minassian
  9.                       Nous sommes convaincues, selon la prépondérance des probabilités, que les transcriptions et les jugements rendus dans les affaires Nettleton et Minassian sont pertinents en ce sens qu’ils portent sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès de l’appelant. Ils sont pertinents au regard de la fiabilité et de la crédibilité du Dr Woodside et du poids qu’un juré pourrait accorder à son opinion.
  10.                       Dans l’affaire Nettleton, le Dr Woodside a été contreinterrogé dans le cadre d’une procédure de déclaration de délinquant dangereux. Il a concédé que les rapports qu’il avait préparés pour la cour comportaient beaucoup d’erreurs. Ces erreurs comprenaient le fait d’avoir diagnostiqué à M. Nettleton les mauvais troubles psychiatriques ainsi que l’attribution d’antécédents criminels inexacts. Le Dr Woodside a également attribué des notes inexactes à divers tests d’évaluation psychiatrique. Il est ressorti du témoignage du Dr Woodside qu’il avait comme pratique courante, lorsqu’il rédigeait un rapport, de faire des copiercoller de sections de ses rapports antérieurs qui concernaient d’autres individus. Il changeait le nom du sujet du rapport, mais autrement, il ne remplaçait pas les données. Cela voulait dire que ses rapports contenaient une grande quantité de renseignements inexacts, décrivant une personne entièrement différente. De nouvelles erreurs ont été relevées dans un rapport postérieur, lesquelles n’existaient pas dans le rapport précédent. Il a témoigné que ces erreurs ont pu s’y ajouter, car à mesure qu’il mettait ses rapports à jour, il continuait à faire des copiercoller à partir de nombreux autres rapports.
  11.                       Le Dr Woodside a généralement reconnu les erreurs factuelles dans ses rapports, y compris dans ses conclusions et recommandations. Cependant, à d’autres moments, il a défendu la fiabilité de ses rapports, invoquant des similitudes fortuites entre M. Nettleton et la personne pour laquelle le rapport qui a fait l’objet du copiécollé avait été utilisé à l’origine (ce qu’il a qualifié [traduction] « d’impressions globales ou d’importations » des deux évaluations) (réplique de l’appelant à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, vol. I, p. 96).
  12.                       Le Dr Woodside a affirmé qu’il révisait ses rapports, mais n’avait pas relevé les erreurs, parce qu’il n’accorde pas une attention particulière à ce qu’il désigne comme des parties [traduction] « standard » de ses rapports. La Couronne lui a signalé les erreurs que contenait un de ses rapports avant qu’il témoigne, mais il a néanmoins raté d’autres erreurs qui ont été reproduites dans un rapport subséquent. Il n’a pas relevé ces erreurs alors qu’il avait témoigné qu’il avait passé des heures à réviser et à corriger le rapport. Il a convenu qu’il aurait dû relever les erreurs, mais que ce ne fut pas le cas. Malgré des erreurs manifestes dans ses rapports, il a maintenu sa foi dans son opinion sur l’état de santé psychiatrique de M. Nettleton et déclaré qu’il ne ressentait pas le besoin de réexaminer ou de réévaluer ses conclusions.
  13.                       Dans sa décision, la juge Bird a énuméré 13 erreurs contenues dans les rapports du Dr Woodside et conclu qu’il avait une confiance exagérée dans la qualité de son travail, ce qui l’avait mené à manquer des erreurs flagrantes. Elle a conclu qu’il faisait preuve de partialité quant à sa crédibilité professionnelle[7] et qu’il n’était pas fiable, et donc qu’il ne pouvait pas être reconnu en tant qu’expert. Elle a prudemment fait remarquer que sa conclusion [traduction] « se limit[ait] aux faits propres à [l’]affaire [Nettleton] » et a reconnu les études et l’expérience poussées du Dr Woodside en tant que psychiatre légiste (Nettleton, par. 9). Elle a également noté qu’il avait été qualifié en tant qu’expert dans [traduction] « plus de 160 évaluations ordonnées judiciairement en vertu de l’article 752.1 du Code criminel » (par. 9).
  14.                       Les transcriptions de l’affaire Nettleton et le jugement de la juge Bird sont pertinents à la cause de l’appelant. Ils soulèvent des questions sur le processus que le Dr Woodside utilise dans la rédaction de ses rapports et sur sa disposition à reconnaître que des erreurs peuvent nuire à la fiabilité de ses opinions. La Couronne fait observer à juste titre que l’appelant n’a renvoyé à aucune preuve directe de manque de soin ou de copiercoller en l’espèce. Toutefois, le Dr Woodside a témoigné dans l’affaire Nettleton qu’il avait procédé selon sa pratique courante de rédaction des rapports dans cette affaire. Vu le risque démontré d’erreurs graves découlant de son processus courant, la preuve produite dans l’affaire Nettleton est d’intérêt pour l’évaluation de la fiabilité et de la crédibilité de sa preuve en l’espèce.
  15.                       Les copiercoller de rapports antérieurs et les inexactitudes contenues dans Nettleton sont particulièrement importants compte tenu des rapports de trois autres experts qui ont conclu que l’appelant était non responsable criminellement, y compris la Dre Chatterjee. La description donnée par le Dr Woodside des sections d’analyse de ses rapports comme étant « standard » et la preuve de sa possible partialité quant à sa crédibilité professionnelle sont également pertinentes au regard de sa fiabilité et de sa crédibilité générales en tant qu’expert (voir, de façon générale, Hason, par. 109; R. c. Watson (1996), 30 O.R. (3d) 161 (C.A.); S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶10.15310.156).
  16.                       Les conclusions de la juge Bird dans Nettleton pourraient également être utiles au juge des faits. Comme le juge en chef Tulloch l’a souligné au par. 116 de l’arrêt Hason : [traduction] « La juge Bird est une juge qui a de l’expérience en matière de procès criminels et dont la décision a mis en lumière des signaux d’alarme sur le témoignage d’expert du Dr Woodside. » L’évaluation de ce témoignage faite par la juge Bird ne peut qu’être utile à notre Cour en lui donnant un portrait juste et équilibré de l’impact des erreurs du Dr Woodside sur sa fiabilité dans le contexte plus global de cette affaire.
  17.                       Pour ce qui est de l’affaire Minassian, les transcriptions démontrent que le Dr Woodside a interviewé l’accusé pendant environ 12 heures, lui accordant [traduction] « une assez grande liberté » pour répondre aux questions (réplique de l’appelant à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, vol. III, p. 11). Il a pris 23 pages de notes des entrevues et a ensuite rédigé un rapport. Lors du contreinterrogatoire, il a déclaré que selon sa pratique, il n’enregistrait pas ses entrevues, mais qu’il intégrait toutes ses notes brutes d’entrevue textuellement dans ses rapports. Cette pratique mettait l’avocat de la défense — ou quiconque — dans l’impossibilité de vérifier si le rapport du Dr Woodside était une description complète et exacte de ses longues entrevues avec l’accusé, et d’examiner ses conclusions de façon critique ou de les contester.
  18.                       Dans les motifs de sa décision, la juge Molloy a estimé que la méthode de prise de notes du Dr Woodside était [traduction] « inhabituelle » et a conclu qu’elle entravait le contreinterrogatoire; toutefois, elle a rejeté « la thèse voulant qu’il eût fait cela pour se mettre à l’abri du contreinterrogatoire » (Minassian, par. 254). Elle a jugé que cette pratique ne minait pas la fiabilité de son opinion.
  19.                       L’évaluation de la juge Molloy quant à l’impact des pratiques de prise de notes du Dr Woodside atténue les préoccupations concernant le processus qu’il utilise pour la rédaction de ses rapports. Toutefois, les transcriptions et les conclusions de Minassian sont néanmoins pertinentes au regard de la fiabilité et de la crédibilité. Elles suggèrent que les préoccupations quant à son processus de rédaction des rapports allaient au-delà des copiercoller et n’étaient pas limitées à l’affaire Nettleton (voir aussi Hason, par. 103). Une pratique générale consistant à ne pas enregistrer ou garder des notes exhaustives de ses entrevues avec des sujets est pertinente au regard de la fiabilité et rendrait plus difficile la tâche d’un accusé d’exposer les types d’erreurs présentes dans l’affaire Nettleton où les rapports n’étaient pas le reflet des données liées à M. Nettleton. Bien que la juge Molloy n’ait pas conclu que la pratique minait la fiabilité dans Minassian, les transcriptions de cette affaire auraient pu aider l’appelant à explorer la question de savoir si la pratique consistant à détruire des notes avait eu cet effet en l’espèce. Les transcriptions auraient pu aider l’appelant à contester la fiabilité de l’opinion du Dr Woodside basée sur une pratique courante qui rend difficile l’examen ou la contestation de ses conclusions au regard des données d’origine de l’accusé.
    1.        Importance : incidence sur le résultat
  20.                       À notre avis, on peut raisonnablement s’attendre à ce que le témoignage du Dr Woodside dans les affaires Nettleton et Minassian ait influé sur le résultat du procès en l’espèce, lorsqu’il est combiné aux autres éléments de preuve produits au procès.
    1.               Éléments de preuve produits au procès
  21.                       Une abondante preuve a été produite au procès sur l’état de santé mentale de l’appelant. Ce dernier a commencé à montrer des signes de troubles mentaux à l’école secondaire. À l’école primaire, il avait été un élève à succès qui obtenait de très bons résultats scolaires. À l’école secondaire, l’appelant a commencé à se replier sur luimême, à consommer de la marijuana et à présenter des signes de paranoïa extrême. Sa famille a commencé à observer des symptômes d’hallucinations et une agitation au son et à la lumière.
  22.                       Les parents de l’appelant l’ont d’abord amené consulter un pédiatre spécialisé en médecine des adolescents en 2009 alors qu’il avait 15 ans. Il ne voulait pas y aller. Le médecin a conclu que l’appelant était colérique et semblait avoir besoin d’aide, mais qu’il résistait aux services qui lui étaient offerts. Le médecin lui a fixé un rendezvous de suivi, mais l’appelant ne s’y est pas présenté. L’appelant a plus tard abandonné l’école secondaire. En mai 2011, la police l’a recueilli dans un parc et l’a conduit à un hôpital pour qu’il y subisse une évaluation psychiatrique obligatoire. On a estimé qu’il avait des [traduction] « problèmes de comportement » et un « problème naissant de consommation d’alcool et de marijuana » avant de le libérer (d.i., vol. II, p. 108). On lui a demandé de quitter son domicile familial en septembre 2011. L’appelant est devenu sansabri, vivant parfois dans la rue et parfois dans des refuges. En novembre 2012, il s’est rendu à une clinique médicale sans rendezvous où il s’est plaint de [traduction] « pressions » et de « pensées obsessionnelles » sur la symétrie (d.i., vol. XII, p. 116).
  23.                       L’appelant est retourné vivre au domicile familial pendant deux semaines en janvier 2013. Son frère a témoigné que durant ces semaines, et ce jusqu’à l’homicide, l’appelant semblait [traduction] « très anormal », étant dans la lune et parlant de façon incompréhensible (d.i., vol. XI, p. 27). Il semblait déprimé et n’avait [traduction] « [a]ucune envie de faire quoi que ce soit » (p. 31).
  24.                       L’appelant s’est rendu à une clinique sans rendez-vous pour des problèmes de santé mentale trois fois en janvier 2013. Lors de sa première consultation, il a nié avoir des idées suicidaires ou homicidaires. Il a discuté avec le médecin de ses antécédents d’anxiété, de dépression et de troubles obsessionnels compulsifs. Il a dit avoir besoin de [traduction] « symétrie » dans sa vie et avoir des inquiétudes quant à des « pensées intrusives » (d.i., vol. XII, p. 178 et 193). Il a déclaré qu’il avait des [traduction] « rêves réalistes en plein jour », où il était « néanmoins conscient de la réalité » (p. 193). Le médecin a fait observer qu’il avait des [traduction] « pensées intrusives », des sentiments d’inquiétude et de l’insomnie (p. 221).
  25.                       Au procès, le médecin a témoigné que lors de sa troisième et dernière consultation, l’appelant [traduction] « sembl[ait] avoir un bon sens de la réalité », même s’il présentait des symptômes de troubles de santé mentale (d.i., vol. XII, p. 197). Le médecin a recommandé l’appelant à un spécialiste de la santé mentale. Il ne s’y est jamais rendu.
  26.                       Quatre jours après que l’appelant a vu un médecin pour la dernière fois, il a tué Mme Mkurazhizha.
  27.                       Après avoir tué Mme Mkurazhizha, l’appelant a cuisiné une soupe en conserve et a ensuite composé le 911. Au cours de sa conversation téléphonique avec l’agent du 911, il a déclaré avoir tué la victime parce qu’elle [traduction] « a[vait] fait des choses qui étaient véritablement offensantes pour [lui], et [qu’il] ne pouvai[t] pas laisser passer ça » (d.i., vol. II, p. 295). Lors d’une entrevue avec les policiers, l’appelant a déclaré qu’il avait planifié l’homicide pendant deux jours. Il a dit qu’il avait tué la victime parce qu’elle avait jeté un coup d’œil dans sa chambre et qu’elle s’était [traduction] « exclamée » devant le désordre, et qu’ensuite elle avait bavassé à ce sujet au téléphone avec ses amis (p. 358). Dans sa chambre, les policiers ont trouvé une note sur laquelle il était écrit : [traduction] « JACASSE . . . BAVASSE . . . Juge » (d.a., vol. X, p. 16).
  28.                       Pendant son entrevue avec les policiers, l’appelant a également déclaré qu’il savait que ce qu’il avait fait n’était [traduction] « pas la bonne chose à faire » et qu’il avait tué la victime en raison de « poisons mentaux » (d.i., vol. II, p. 365 et 384). Il a affirmé qu’une peine appropriée pour lui serait de se faire fouetter.
  29.                       Le Dr Chaimowitz a évalué l’appelant cinq jours après l’homicide. L’appelant semblait [traduction] « manifestement en état de psychose et présentait de nombreux symptômes psychotiques, il avait des pensées bizarres et confuses, des symptômes qui motivaient probablement son comportement » (d.i., vol. II, p. 74). Dans son rapport, le Dr Chaimowitz a conclu que l’appelant était atteint de schizophrénie au moment de l’infraction et qu’il satisfaisait au test pour une conclusion de NRC. L’appelant savait que ses actes criminels étaient illégaux, mais il n’était pas en mesure de savoir que ce qu’il faisait était moralement répréhensible.
  30.                       La Dre Ramshaw a évalué l’appelant environ 19 mois après le meurtre. Elle était d’accord avec les opinions du Dr Chaimowitz concernant la schizophrénie et le statut de NRC de l’appelant.
  31.                       Par contraste, le Dr Woodside a évalué l’appelant environ 22 mois après le meurtre. Il a conclu que la preuve selon laquelle l’appelant était en état de psychose pendant la période pertinente était [traduction] « très limitée » (d.i., vol. II, p. 196). Il a estimé que même si l’appelant avait été atteint de schizophrénie, ses symptômes ne l’auraient pas rendu incapable de savoir que ses actes étaient illégaux ou moralement répréhensibles. Le Dr Woodside était donc d’avis que l’appelant était responsable criminellement.
  32.                       C’est dans ce contexte que nous examinons l’impact potentiel des nouveaux éléments de preuve.
    1.               Les nouveaux éléments de preuve évalués avec le dossier du procès auraient pu influer sur le verdict du jury
  33.                       Le témoignage donné dans Nettleton aurait pu influer sur la décision du jury quant à la fiabilité et la crédibilité générales du Dr Woodside en l’espèce. Premièrement, le jury aurait pu conclure que le seul expert qui a estimé que l’appelant était responsable criminellement avait de piètres pratiques générales lorsqu’il compilait ses rapports en faisant des copiercoller des sections d’analyse et de conclusions de ses autres rapports et en changeant les noms des sujets. Deuxièmement, le fait qu’il ait témoigné qu’il avait révisé l’un de ses rapports pendant des heures sans toutefois relever les erreurs flagrantes démontre une inattention aux détails qui pouvait miner son opinion d’expert. Et, troisièmement, il a insisté sur la fiabilité de son rapport après qu’on lui a fait remarquer les erreurs, et il n’a pas procédé à une autre révision, démontrant potentiellement une partialité quant à sa crédibilité professionnelle. Cette dernière préoccupation est accentuée en l’espèce où, lors du contreinterrogatoire, le Dr Woodside a affirmé qu’il préférait se fier à sa mémoire relativement à l’entrevue de l’appelant plutôt qu’aux notes contradictoires et concomitantes prises par son médecin résident, la Dre Ansarian.
  34.                       Dans Nettleton, le Dr Woodside a témoigné qu’il s’était conformé à sa pratique générale de compilation de ses rapports. Il y a donc des motifs de croire que les problèmes qui ont entaché son travail dans Nettleton peuvent également avoir été en jeu en l’espèce. Bien que la Couronne plaide qu’il n’y a pas d’indice que le Dr Woodside ait fait des copiercoller dans son rapport en l’espèce, les préoccupations quant à ses piètres pratiques et son inattention aux détails sont de nature générale. Une possibilité de partialité est également une préoccupation en l’espèce où les opinions des psychiatres étaient nettement clivées. Le Dr Chaimowitz a interviewé l’appelant quelques jours après le meurtre et a conclu qu’il était « manifestement en état de psychose ». Le Dr Woodside n’était pas du même avis, malgré qu’il ait interviewé l’appelant pour la première fois de nombreux mois plus tard. Le Dr Woodside n’a pas demandé au Dr Chaimowitz les notes sur lesquelles ce dernier avait fondé son opinion, même s’il a reconnu en contreinterrogatoire qu’il aurait pu le faire et que cela [traduction] « aurait [. . . ] pu être utile » (d.i., vol. XIV, p. 291).
  35.                       Les transcriptions dans Minassian auraient également pu influer sur le verdict du jury. En l’espèce, le Dr Woodside a convenu que ses habitudes de prise de notes faisaient en sorte qu’il était impossible de vérifier ce qui avait été dit pendant ses entrevues avec l’appelant. Pourtant, il a continué à utiliser la même technique durant son entrevue avec l’accusé dans Minassian, des années plus tard. Une fois de plus, cela peut démontrer une résistance à changer de pratiques et de points de vue établis en présence de nouveaux éléments de preuve.
  36.                       En l’espèce, le jury n’était pas au courant de ces motifs convaincants de potentiellement douter de la preuve du Dr Woodside. Il vaut la peine de le répéter : le Dr Woodside était le seul expert d’avis que l’appelant était responsable criminellement. Tous les autres psychiatres qui ont évalué l’appelant, même l’expert retenu subséquemment par la Couronne, étaient d’avis que l’appelant était non responsable criminellement. Dans ces circonstances, les questions sur la fiabilité ou la crédibilité du Dr Woodside auraient pu influer sur le verdict.
  37.                       La juge O’Bonsawin rejetterait la requête en production de nouveaux éléments de preuve essentiellement parce que « les nombreuses réserves au sujet de la crédibilité et de la fiabilité du Dr Woodside ont été clairement soumises à l’appréciation du jury, y compris celles exprimées par l’appelant » (par. 137). Nous sommes en désaccord. Le jury ne savait pas que le Dr Woodside avait une pratique courante de faire du copiercoller de ses rapports. Le jury ne savait pas que cette pratique l’amènerait à produire devant un tribunal des rapports qui, lorsqu’ils sont pris ensemble, contenaient 13 erreurs dont certaines avaient trait à des renseignements biographiques de base et essentiels concernant ses sujets. Il ne savait pas qu’une juriste chevronnée conclurait que sa méthode de prise de notes « inhabituelle » — qui, ainsi qu’il l’a admis dans le cas qui nous occupe, a empêché d’autres personnes de vérifier son travail — avait entravé le contreinterrogatoire (Minassian, par. 254). Et il ne savait pas qu’un autre juriste expérimenté prendrait connaissance de sa méthode standardisée de rédaction de rapports et conclurait que [traduction] « le Dr Woodside ne peut pas ou n’est pas en mesure de remplir ses obligations en tant qu’expert » (Nettleton, par. 60).
  38.                       Nous ne saurions être d’accord pour dire qu’à la lumière de ces nouveaux éléments de preuve, ce jury aurait tout de même nécessairement accepté l’opinion du Dr Woodside. Le fait que le jury a accepté sa preuve bien que des aspects de celleci aient été contestés ne veut pas dire que de nouvelles remises en cause de sa crédibilité et de sa fiabilité n’auraient pas raisonnablement pu changer le résultat.
  39.                       Le quatrième critère de l’arrêt Palmer doit être abordé de façon téléologique (Barendregt, par. 63). L’un des objectifs des nouveaux éléments de preuve dans le contexte du droit criminel consiste à prévenir les déclarations de culpabilité injustifiées. La preuve d’expert qui peut être peu fiable ou douteuse est largement reconnue comme une cause de déclarations de culpabilité injustifiées (voir, p. ex., Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin : Rapport (1998), t. 1, p. 366367). Les tribunaux et les enquêtes ont reconnu avec raison les risques liés aux témoignages d’experts (Rapport de la Commission d’enquête sur la médecine légale pédiatrique en Ontario; R. c. Mullins-Johnson, 2007 ONCA 720, 87 O.R. (3d) 425; R. c. Sherret-Robinson, 2009 ONCA 886; R. c. Kumar, 2011 ONCA 120, 268 C.C.C. (3d) 369; R. c. Brant, 2011 ONCA 362; R. c. Shepherd, 2016 ONCA 188; R. c. Blackett, 2018 ONCA 119; R. c. Doyle, 2023 ONCA 427, 428 C.C.C. (3d) 293). Notre common law a évolué de manière à accorder aux juges des procès un large pouvoir discrétionnaire pour écarter les témoignages d’opinion d’experts (White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182, par. 1623; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 90).
  40.                       Lorsqu’on a demandé à la Cour d’appel de l’Ontario dans Hason d’admettre un élément de preuve provenant de l’affaire Nettleton, le juge en chef Tulloch a admis le témoignage du Dr Woodside dans Nettleton en tant que nouvel élément de preuve, car cet élément minait potentiellement la fiabilité et la crédibilité du Dr Woodside dans Hason et soulevait des signaux d’alarme quant au risque d’une éventuelle condamnation injustifiée à une peine de durée indéterminée (par. 106118). La Cour d’appel a ordonné une nouvelle audience sur la peine, étant donné que le juge chargé de la détermination de la peine s’était fondé sur la preuve du Dr Woodside pour infliger une peine de durée indéterminée et qu’il [traduction] « aurait très bien pu ne pas tirer la même conclusion s’il avait eu connaissance de la pratique négligente du Dr Woodside » (par. 88).
  41.                       L’admission de nouveaux éléments de preuve est un exercice au cas par cas. Nous convenons avec la Cour d’appel qui a jugé dans l’arrêt Hason que les affaires Nettleton et Minassian ne signifient pas que chaque verdict dans chaque affaire dans laquelle le Dr Woodside a témoigné doit être annulé. La réparation appropriée dépendra de l’importance de la preuve du Dr Woodside dans chaque affaire, et du dossier complet présenté au procès et grâce à de nouveaux éléments de preuve admissibles.
  42.                       Enfin, nous tenons à préciser que nous ne concluons pas que la preuve du Dr Woodside en l’espèce était peu fiable ou non crédible. Le Dr Woodside n’avait pas qualité pour présenter des plaidoiries devant notre Cour, et nous ne sommes pas en mesure de tirer des conclusions définitives sur ses méthodes et sa fiabilité. Nous concluons simplement que les nouveaux éléments de preuve suffisent pour soulever des préoccupations importantes sur sa preuve, lesquelles n’auraient pas été évidentes pour le jury lors du procès, mais auraient pu de manière réaliste influer sur son verdict. Cela est suffisant pour admettre les nouveaux éléments de preuve, selon l’arrêt Palmer.
    1.              Conclusion
  43.                       En résumé, nous sommes d’avis d’admettre en guise de nouveaux éléments de preuve les transcriptions du témoignage du Dr Woodside dans les affaires Nettleton et Minassian prises dans le contexte des jugements rendus dans ces affaireslà.
  44.                       Avant de nous pencher sur la réparation, nous examinons la requête en production de nouveaux éléments de preuve de l’appelant présentée à la Cour d’appel relativement à sa revendication de NRC.

(2) La Dre Chatterjee

  1.                       La Couronne a retenu les services de la Dre Chatterjee après le procès afin qu’elle donne une nouvelle opinion sur l’aptitude de l’appelant à subir son procès et son statut de NRC. Bien que la Dre Chatterjee fût d’avis que l’appelant avait été apte tout au long du procès, elle était également d’avis qu’il était non responsable criminellement au moment de l’homicide. L’appelant a tenté de faire admettre l’opinion de la Dre Chatterjee à titre de nouvel élément de preuve devant la Cour d’appel.
  2.                       La Cour d’appel a rejeté pour deux motifs la requête de l’appelant en production du nouvel élément de preuve concernant l’opinion de la Dre Chatterjee sur la NRC. Premièrement, elle a insisté sur le fait qu’il est [traduction] « nécessaire de protéger le caractère définitif des verdicts en matière criminelle » et a décidé que, compte tenu des témoignages du Dr Chaimowitz et de la Dre Ramshaw, l’opinion similaire de la Dre Chatterjee n’apportait « rien de nouveau » (par. 266267). Le jury avait entendu « sensiblement les mêmes » témoignages, et il n’était pas important que les services de la Dre Chatterjee aient été retenus par la Couronne (par. 258). Deuxièmement, elle a décidé que le témoignage de la Dre Chatterjee « n’est pas conforme au droit » régissant le verdict de NRC (par. 262).
  3.                       Nous convenons avec la Cour d’appel que le caractère définitif des verdicts est important dans les procédures judiciaires (Barendregt, par. 43). Toutefois, lorsque les nouveaux éléments de preuve soulèvent des questions graves sur la validité ou la sûreté du verdict, la volonté de garantir le caractère définitif des verdicts peut céder le pas aux impératifs d’équité du procès et de la préservation de la liberté. À notre avis, et pour les motifs susmentionnés, le caractère définitif des verdicts doit céder le pas dans les circonstances uniques de l’espèce.
  4.                       A priori, il se peut qu’il n’y ait rien de « nouveau » dans le contenu de l’opinion de la Dre Chatterjee, dans la mesure où le jury a entendu des témoignages similaires de la part du Dr Chaimowitz et de la Dre Ramshaw à l’appui de la revendication de NRC de l’appelant. Nous convenons qu’il suffira rarement de plaider, comme le fait l’appelant, que ce qui est nouveau c’est le fait que le nouvel élément de preuve qu’est cette opinion a été sollicitée et obtenue par la Couronne. Il en est ainsi parce que l’opinion d’un expert « ne changerait pas, peu importe la partie qui aurait retenu ses services » (White Burgess Langille Inman, par. 32). Il s’ensuit que l’opinion de la Dre Chatterjee ne peut être admise en guise de nouvel élément de preuve simplement parce que ses services ont été retenus par la Couronne.
  5.                       Toutefois, les circonstances ici sont uniques. Lors de l’audition de l’appel devant la Cour d’appel, la Couronne a sollicité l’opinion d’une autre psychiatre experte qui est arrivée à la conclusion opposée à celle qu’elle a présentée en preuve devant le jury. De plus, cette seconde opinion contraire concernait la question principale dans un procès pour meurtre au premier degré impliquant un accusé qui n’était pas représenté par un avocat et qui plaidait une défense de NRC.
  6.                       L’opinion de la Dre Chatterjee a une valeur inédite parce que nous avons admis le nouvel élément de preuve qu’est le témoignage du Dr Woodside dans d’autres affaires. Dans ces circonstances, il y a de nouvelles raisons de douter de la fiabilité et de la crédibilité des méthodes utilisées par le seul témoin qui était d’avis que l’appelant était responsable criminellement. La preuve de la Dre Chatterjee doit être évaluée dans le contexte de cette nouvelle question qui est soulevée pour la première fois devant nous. Elle démontre la nature isolée de l’opinion du Dr Woodside et les conséquences potentielles du fait de se fier à l’avis d’un expert dont la fiabilité a été remise en question. Il ne s’agit pas simplement du fait que le rapport de la Dre Chatterjee ajoute du poids à un côté de la balance. Cela va plus loin, au point de possiblement renforcer les préoccupations soulevées par les transcriptions dans d’autres affaires sur les méthodes potentiellement déficientes du Dr Woodside. Il est possible que les jurés aient été disposés à passer outre aux préoccupations soulevées sur sa fiabilité et sa crédibilité lors du contreinterrogatoire en l’espèce, puisqu’il était reconnu en tant qu’expert et lié par les pratiques déontologiques attendues de sa profession. Cependant, compte tenu du nouvel élément de preuve mettant en doute la fiabilité du Dr Woodside, l’opinion contraire de la Dre Chatterjee acquiert une valeur nouvelle et probante.
  7.                       L’opinion de la Dre Chatterjee aurait pu avoir un effet important sur le verdict. La preuve des pratiques potentiellement déficientes du Dr Woodside pouvait en soi être suffisante pour possiblement miner sa fiabilité et sa crédibilité aux yeux du jury. Le fait que les experts retenus par la Couronne avaient des opinions clivées entre euxmêmes sur la question centrale de savoir si l’appelant était non responsable criminellement aurait pu avoir, en combinaison avec cette preuve, fait en sorte qu’un juré raisonnable soupèse la preuve du Dr Woodside sur cette question différemment. Ces deux corpus de nouveaux éléments de preuve auraient pu s’être ajoutés à toute préoccupation que les jurés auraient pu avoir à l’égard de sa preuve compte tenu du contreinterrogatoire au procès, malgré qu’il fût qualifié en tant qu’expert.
  8.                       Nous n’acceptons pas non plus la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle l’opinion de la Dre Chatterjee n’est pas conforme au critère juridique pour un verdict de NRC. Les parties et plusieurs intervenants demandent à notre Cour de se pencher sur cette importante question de droit, et, contrairement à la juge O’Bonsawin, nous sommes enclines à le faire.
    1.              Le critère juridique pour un verdict de NRC
  9.                       La Dre Chatterjee était d’avis que l’appelant comprenait [traduction] « à un certain niveau » que ses actes criminels étaient répréhensibles, mais que ses symptômes psychotiques l’avaient amené à se sentir obligé d’agir malgré cela (d.a., vol. VIII, p. 25). La pertinence juridique de cette opinion dépend de la question de savoir si un accusé qui savait que ses actes étaient moralement répréhensibles, mais que les troubles mentaux ont amené à se sentir irrésistiblement obligé d’agir, au point d’être incapable d’appliquer consciemment cette connaissance pour faire un choix rationnel, peut quand même être non responsable criminellement.
  10.                       La défense de NRC est prévue à l’art. 16 du Code criminel :

16 (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.

(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.

  1.                       Dans l’arrêt Chaulk, aux p. 13521357, notre Cour a décidé (infirmant l’arrêt Schwartz c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 673) que le mot « mauvais » employé dans ce qui est maintenant le par. 16(1) signifiait à la fois illégal et moralement répréhensible. Pour établir une défense de NRC sur la base de l’incapacité à apprécier le caractère répréhensible, un accusé doit donc prouver qu’il était atteint de troubles mentaux au moment de son crime, qui le rendaient incapable de savoir que ses actes étaient à la fois illégaux et moralement répréhensibles.
  2.                       La Cour d’appel en l’espèce a décidé au par. 264 [traduction] « qu’un accusé ne peut pas être déclaré non responsable criminellement s’il a commis des actes qu’il sait que la société considère comme moralement répréhensibles ». La cour a cité l’arrêt R. c. Dobson, 2018 ONCA 589, 48 C.R. (7th) 410, par. 24, où il a été proposé qu’un tel accusé ne peut pas être non responsable criminellement « même s’il a cru qu’il n’avait pas d’autre choix que d’agir ou que ses actes étaient justifiés » (par. 264 (nous soulignons)).
  3.                       L’appelant et plusieurs intervenants s’opposent à cet énoncé de droit découlant de l’arrêt Dobson, avançant qu’il donne naissance à des résultats incohérents et contredit l’arrêt rendu antérieurement par notre Cour dans Oommen. La Couronne défend l’arrêt Dobson, estimant qu’il est compatible avec l’arrêt Oommen et constitue un résumé exact du critère juridique pour un verdict de NRC.
  4.                       La solution réside dans les principes fondamentaux du droit criminel qui sont à la base de la défense de NRC telle qu’elle a été interprétée dans les précédents de notre Cour.
  5.                       Le droit criminel ne sanctionnera pas une personne qui n’a pas la capacité d’analyser rationnellement les options et de choisir consciemment d’agir. Notre Cour a mentionné ce qui suit dans l’arrêt R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 45 :

À l’instar du caractère volontaire, l’exigence d’intention coupable tient au respect de l’autonomie et du libre arbitre de l’individu et elle reconnaît l’importance de ces valeurs dans une société libre et démocratique : [R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633], p. 645646. La responsabilité criminelle dépend également de la capacité de choisir — la capacité de distinguer le bien du mal. [Nous soulignons.]

  1.                       G. Ferguson a ramené à l’essentiel le raisonnement qui soustend le moyen de défense de NRC dans l’article intitulé « A Critique of Proposals to Reform the Insanity Defence » (1989), 14 Queen’s L.J. 135, p. 140 :

[traduction] Exprimés en termes simples, nos principes de droit criminel et de sanctions criminelles reposent sur une hypothèse concernant la nature humaine, soit l’hypothèse selon laquelle les êtres humains sont doués de raison et autonomes. Nous avons la capacité de distinguer le bien du mal et la capacité de choisir entre le bien et le mal. Ces hypothèses sont peutêtre incorrectes, mais elles sont et resteront probablement la base théorique de notre droit criminel. C’est cette double capacité — la raison et le choix — qui constitue la justification morale de l’imputation de la responsabilité criminelle et de peines aux contrevenants. Si une personne peut distinguer le bien du mal et si elle a la capacité de choisir entre le bien et le mal, alors l’imputation de la responsabilité et de peines est moralement justifiée ou méritée quand la personne choisit consciemment le mal. [Nous soulignons.]

Nous souscrivons à cette interprétation de la défense de NRC. L’infliction d’une peine à une personne qui ne peut pas appliquer de façon rationnelle sa connaissance pour choisir consciemment de commettre des actes criminels est fondamentalement injuste et contreviendrait au « fondement essentiel de l’imputation de la responsabilité pénale » (R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575, par. 49).

  1.                       Ce principe trouve son application dans l’arrêt Oommen. La question juridique précise en litige dans l’arrêt Oommen avait trait à la portée des mots « savoir que l’acte [. . .] était mauvais » employés au par. 16(1) du Code criminel. La Cour a décidé ce qui suit à la p. 516 :

D’après notre examen de l’historique des dispositions sur l’aliénation mentale et de la jurisprudence sur le sujet, il faut examiner non pas la capacité générale de distinguer le bien du mal, mais plutôt la capacité de savoir qu’un acte donné était mauvais dans les circonstances. L’accusé doit avoir la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait. Cependant, il doit aussi avoir la capacité d’appliquer rationnellement cette connaissance à l’acte criminel reproché. [Nous soulignons.]

  1.                       Ce passage est clair. L’accusé n’est pas responsable criminellement s’il a commis un crime en raison de sentiments de compulsion causés par des troubles mentaux, à condition que cette compulsion l’ait empêché d’appliquer rationnellement toute connaissance que ses actes criminels étaient moralement répréhensibles.
  2.                       L’arrêt Oommen a décrit deux parties du concept de la connaissance de ce qui est moralement répréhensible. La première partie est la capacité générale de comprendre qu’un acte criminel est mauvais. La seconde est une capacité précise d’« appliquer » rationnellement cette connaissance pour choisir de commettre l’acte criminel spécifique en question. Des sentiments de compulsion intense peuvent ne pas influer sur la connaissance générale d’un accusé de savoir si un acte est moralement répréhensible. Cependant, des sentiments intenses d’être forcé ou obligé d’agir peuvent empêcher un accusé d’« appliquer » sa compréhension de ce qui est moralement répréhensible à des actes spécifiques.
  3.                       L’arrêt Oommen se fondait sur deux sources faisant autorité en arrivant à cette conclusion. La première source est l’arrêt R. c. Porter (1933), 55 C.L.R. 182, p. 189190, de la Haute Cour d’Australie, qui a défini le test en référence à la question de savoir si [traduction] « en raison de son état mental, [l’accusé] ne pouvait raisonner sur la question avec un certain degré de bon sens et de calme » (nous soulignons). La seconde source est un article de G. Arthur Martin, « Insanity as a Defence » (1966), 8 C.L.Q. 240, p. 246 :

[traduction] Une personne peut être suffisamment intelligente pour savoir que l’accomplissement d’un certain acte, p. ex., un meurtre, est mauvais; cependant, au moment où elle accomplit l’acte en question, elle peut être si obsédée par des idées délirantes ou victime d’impulsions reliées à l’aliénation mentale qu’elle est incapable de juger de l’acte et des considérations qui, pour les gens normaux, rendraient l’acte bon ou mauvais. [Nous soulignons.]

  1.                       Il ressort clairement de chacune de ces sources faisant autorité que le simple fait de savoir qu’un acte criminel est moralement répréhensible n’est pas suffisant pour exclure une défense de NRC. L’accusé doit également choisir consciemment de commettre l’acte immoral plutôt que d’agir sous l’effet d’une compulsion causée par ses troubles mentaux.
  2.                       La Couronne a raison d’affirmer que dans l’arrêt Oommen, à la p. 521, la Cour a cité l’ouvrage d’Edwin A. Tollefson et Bernard Starkman, Mental Disorder in Criminal Proceedings (1993), p. 4041, pour montrer que la défense de NRC met l’accent sur la capacité cognitive et non sur la volonté. Toutefois, la citation tirée de cet ouvrage se poursuit en reconnaissant que les troubles mentaux peuvent entraîner de si fortes impulsions au point de rendre une personne incapable d’avoir tout raisonnement cognitif au moment de la perpétration de ses actes criminels :

[traduction] L’article 16 du Code criminel du Canada recourt à un « test cognitif » et ne prévoit pas d’exonération de responsabilité criminelle pour une personne qui soutient que des troubles mentaux l’ont rendue incapable de contrôler sa volonté. Cependant, on a reconnu que l’on peut présenter une preuve d’impulsion irrésistible comme symptôme d’une maladie mentale dont le jury tiendra compte pour déterminer si l’accusé souffrait de troubles mentaux qui le rendaient incapable d’exercer ses fonctions « cognitives » de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais. [Nous soulignons.]

Nous sommes d’accord. Des sentiments intenses de compulsion causés par des troubles mentaux peuvent appuyer un verdict de NRC. Un accusé qui affirme qu’il s’est senti forcé de commettre un acte criminel en raison de troubles mentaux peut brouiller la ligne de démarcation théorique entre volonté et capacité. Mais sur le plan pratique, notre Cour reconnaît depuis longtemps que le motif de l’« impulsion irrésistible » peut étayer une défense de NRC (The Queen c. Borg, [1969] R.C.S. 551; Boivin c. La Reine, [1970] R.C.S. 917, p. 920; R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, p. 3839). Exprimé en termes simples, le critère juridique pour un verdict de NRC tient compte de la capacité de choisir, en plus de la capacité de comprendre l’aspect moral de ses décisions.

  1.                       La Couronne se fonde également sur l’arrêt R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68, à l’appui du test plus étroit pour un verdict de NRC appliqué par la Cour d’appel en l’espèce. Dans l’arrêt Ratti, la Cour a appliqué la définition du mot « mauvais » établie dans l’arrêt Chaulk et décidé que le juge du procès avait donné des directives erronées au jury selon lesquelles le terme « mauvais » signifiait seulement illégal, et non moralement répréhensible. Selon les faits dont elle disposait, la Cour a décidé d’ordonner la tenue d’un nouveau procès plutôt que de substituer au verdict rendu un verdict de NRC. La Cour en a décidé ainsi pour les raisons suivantes :

Il n’est pas suffisant de décider que l’acte de l’appelant était le résultat de ses idées délirantes. Même si l’acte était motivé par les idées délirantes, l’appelant sera déclaré coupable s’il était capable de savoir, malgré ces idées délirantes, que l’acte dans les circonstances particulières aurait été moralement réprouvé par des membres raisonnables de la société. [Soulignement dans l’original; p. 80.]

  1.                       Nous ne sommes pas d’accord pour dire que cette affirmation interdit qu’un accusé qui se sent obligé, et non simplement motivé, par des idées délirantes à commettre un acte criminel soit déclaré non responsable criminellement. La Cour a décidé dans l’arrêt Ratti que la simple présence d’idées délirantes ne suffit pas à supposer qu’un accusé est non responsable criminellement. Cela est compatible avec la conclusion tirée subséquemment dans l’arrêt Oommen, selon laquelle lorsqu’un accusé satisfait au lourd fardeau de prouver que ses idées délirantes allaient audelà de la motivation et ont fait en sorte qu’il s’est senti irrésistiblement obligé ou forcé de commettre un acte, il s’ensuit qu’il a été privé de sa capacité « de juger de [cet] acte ». La connaissance interne que l’accusé avait du caractère moralement répréhensible est insuffisante est un fondement insuffisant pour conclure à la responsabilité criminelle.
  2.                       Soyons claires, il s’agit d’un critère rigoureux (voir, p. ex., Borg, p. 560561). Un accusé qui savait que ses actes criminels étaient moralement répréhensibles ne sera pas déclaré non responsable criminellement simplement parce que ses troubles mentaux ont fait en sorte que le choix de commettre ces actes paraisse plus attrayant ou impératif. Pour obtenir un verdict de NRC, cet accusé doit aller plus loin et démontrer que ses troubles mentaux l’ont fait se sentir entièrement forcé ou obligé de commettre un acte criminel, de sorte que la capacité d’appliquer sa connaissance et de choisir de ne pas agir lui a fait défaut.
  3.                       En résumé, la jurisprudence de notre Cour permet un verdict de NRC pour un accusé ayant des acquis antérieurs de ce qui est moralement répréhensible, mais dont les troubles mentaux l’ont forcé à agir d’une manière qui l’empêchait d’appliquer cette connaissance au moment de la perpétration de ses actes criminels. Il s’ensuit que l’arrêt Dobson a indûment rétréci les enseignements de l’arrêt Oommen au point où la capacité de choisir d’agir a été effectivement interprétée étroitement lorsqu’un accusé est incapable d’appliquer consciemment sa connaissance que la société considérerait son acte criminel comme étant moralement répréhensible.
  4.                       Revenonsen à l’arrêt de la Cour d’appel en l’espèce. En concluant que le rapport de la Dre Chatterjee reflétait une interprétation erronée du terme « mauvais » dans la définition de NRC prévue au par. 16(1) du Code criminel, la Cour d’appel, au par. 263, s’est concentrée sur la partie suivante du contre-interrogatoire de la Dre Chatterjee :

[traduction]

Q : [. . .] [Si l’appelant] sentait qu’il n’avait d’autre choix que de tuer la victime pour soulager ses pressions ou ses souffrances, selon la manière dont vous l’avez formulé dans votre opinion, comment cela mènetil nécessairement à la conclusion qu’il ne savait pas qu’il était moralement répréhensible de la tuer plutôt qu’à l’autre conclusion portant qu’il a tué la victime afin de mettre un terme à ses propres souffrances ou à ses sentiments, peu importe s’il savait que cela était moralement répréhensible?

R : Alors, il faut revenir en arrière un instant. Encore une fois, je ne suis pas d’avis qu’il ne savait pas que ses actes étaient moralement répréhensibles. Selon moi, il était incapable d’appliquer sa compréhension du caractère moralement répréhensible de ses actes au moment des faits en raison de l’intensité de ses symptômes psychotiques.

Le choix d’agir comme il l’a fait ou qu’il se soit senti obligé ou non de le faire selon les scénarios que vous avez présentés reposait sur un raisonnement psychotique selon lequel il se sentait contraint d’agir.

Je ne suis donc pas sûre de comprendre le choix donné dans ce scénario. Je ne vois pas cela comme un choix. Je constate qu’il était très psychotique et que ses actions découlaient de cette psychose, qui l’a amené à se sentir obligé, ou à conclure, si vous préférez, qu’il n’avait aucune autre option. Or, cela n’enlève rien au fait qu’il savait à un certain niveau que sa conduite était répréhensible. [Nous soulignons.]

(d.a., vol. VIII, p. 2425)

  1.                       Un jury raisonnable qui a reçu des directives appropriées pourrait déduire de ce témoignage que les troubles mentaux de l’appelant l’ont amené à se sentir forcé ou obligé de commettre ses actes criminels, de sorte qu’il « [était] incapable de juger de [ses actes] », malgré sa connaissance selon laquelle ces actes étaient moralement répréhensibles. D’après l’arrêt Oommen, cette inférence appuie un verdict de NRC. La Cour d’appel a commis une erreur en décidant autrement.
    1.             L’espèce est un cas d’erreur judiciaire qui exige la tenue d’un nouveau procès
  2.                       L’appelant demande à notre Cour d’annuler sa déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré et d’y substituer un verdict de NRC sur la foi des nouveaux éléments de preuve concernant le Dr Woodside et l’opinion de la Dre Chatterjee. Subsidiairement, l’appelant demande que notre Cour ordonne la tenue d’un nouveau procès.
  3.                       Le pouvoir de réparation dont dispose une cour d’appel dans le cadre d’un appel visant une déclaration de culpabilité figure exclusivement à l’art. 686 du Code criminel (R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 29; R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16, par. 146). L’alinéa 686(1)a) autorise une cour d’appel à admettre l’appel si elle est d’avis, selon le cas :

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

Après qu’une cour d’appel admet un appel d’une déclaration de culpabilité, elle peut y substituer un acquittement ou ordonner la tenue d’un nouveau procès aux termes du par. 686(2).

  1.                       Une cour d’appel peut conclure, en se fondant sur l’ensemble du dossier, y compris les nouveaux éléments de preuve admis, qu’aucun jury raisonnable qui a reçu des directives appropriées ne pouvait déclarer l’accusé coupable. Dans un tel cas, le verdict est déraisonnable aux termes du sousal. 686(1)a)(i) et la cour devrait admettre l’appel et ordonner l’inscription d’un verdict d’acquittement en application de l’al. 686(2)a) (Tayo Tompouba, par. 55; R. c. Hinse, [1997] 1 R.C.S. 3; Reference re : Truscott, 2007 ONCA 575, 225 C.C.C. (3d) 321, par. 247).
  2.                       La jurisprudence de notre Cour fait également état de cas où de nouveaux éléments de preuve sont admis qui jettent un doute sur la validité du verdict inscrit au procès, mais qui ne satisfont pas à la norme élevée permettant de conclure que le verdict est déraisonnable. Dans de tels cas, notre Cour a accueilli les appels et ordonné de nouveaux procès en vertu de l’al. 686(2)b) (R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480, p. 491492; R. c. J.A.A., 2011 CSC 17, [2011] 1 R.C.S. 628; R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694, par. 7677; voir aussi Truscott, par. 110). Ces affaires n’indiquent pas précisément quel « volet » de l’al. 686(1)a) a été appliqué pour accueillir les appels. À notre avis, ces affaires sont mieux catégorisées comme étant des erreurs judiciaires.
  3.                       Une erreur judiciaire, telle qu’elle est entendue au sousal. 686(1)a)(iii), est commise lorsqu’autre chose qu’une erreur de droit ou un verdict déraisonnable rend le verdict imprudent. Il s’agit d’un motif d’appel résiduel et vaste, où la cour d’appel est convaincue qu’un procès était inéquitable ou avait créé une apparence d’iniquité au point de miner la confiance du public dans l’administration de la justice (Tayo Tompouba, par. 7273, 152 et 165; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, par. 67).
  4.                       Un procès équitable est « celui qui répond à l’intérêt qu’a le public à connaître la vérité, tout en préservant l’équité fondamentale en matière de procédure pour l’accusé » (R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 22, citant R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, par. 45, la juge McLachlin (plus tard juge en chef); voir aussi R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 48; Kahsai, par. 35). Un accusé peut donc contester l’équité de son procès en démontrant l’absence d’équité procédurale ou en établissant que le verdict n’était pas fiable sur le fond (voir, p. ex., R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732, par. 1, citant R. c. Morrissey (1995), 97 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), p. 221; R. c. Smith, 2021 CSC 16, [2021] 1 R.C.S. 530, par. 2). Lorsque de nouveaux éléments de preuve sont admis en application de l’arrêt Palmer et révèlent que le verdict est potentiellement non fondé, l’intérêt qu’a le public à connaître la vérité est compromis. Dans de telles circonstances, le procès de l’accusé aura été inéquitable dans les faits ou en apparence (voir, de façon générale, Khelawon, par. 48; Kahsai, par. 35). Les nouveaux éléments de preuve admissibles qui soulèvent un doute quant à l’intégrité factuelle du verdict au procès se qualifient donc comme une erreur judiciaire.
  5.                       Pour en revenir à l’espèce, les nouveaux éléments de preuve ne suffisent pas à satisfaire à la norme élevée d’un verdict déraisonnable. Les nouveaux éléments de preuve fournissent de nouveaux motifs de douter de l’opinion du Dr Woodside, mais nous ne pouvons conclure de manière définitive qu’un jury raisonnable qui a reçu des directives appropriées ne croirait pas ce dernier. Un jury raisonnable qui a reçu des directives appropriées sur ce dossier bonifié pourrait néanmoins conclure que les pratiques problématiques du Dr Woodside n’ont pas d’effet sur ses conclusions en l’espèce, et donc accepter sa preuve, rejeter la revendication de NRC de l’appelant et déclarer celuici coupable de meurtre au premier degré.
  6.                       Toutefois, nous sommes convaincues qu’une erreur judiciaire a été commise, selon le sousal. 686(1)a)(iii). Il y a un corpus de preuves d’opinions d’experts dans le dossier selon lequel l’appelant était non responsable criminellement. À l’opposé de cette preuve, il y a l’opinion d’un expert dont les nouveaux éléments de preuve fournissent de nouveaux motifs de douter de la fiabilité et de la crédibilité. Dans ces circonstances, nous concluons que le verdict pourrait raisonnablement être différent compte tenu de l’ensemble de la preuve, y compris les nouveaux éléments de preuve. La déclaration de culpabilité de l’appelant pour meurtre au premier degré est imprudente, et il a droit à un nouveau procès.
  1.          Conclusion
  1.                       Nous sommes d’avis d’accueillir la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve présentée devant notre Cour, d’accueillir la requête de l’appelant en production de nouveaux éléments de preuve présentée devant la Cour d’appel, d’accueillir le pourvoi, d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

 Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis, Martin et Moreau sont dissidentes.

 Procureurs de l’appelant : Furgiuele Law, Toronto; Ruffo Law, Toronto; Cara Barbisan, Toronto.

 Procureur de l’intimé : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.

 Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Ministry of Attorney General of British Columbia — B.C. Prosecution Service, Victoria.

 Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Alberta Crown Prosecution Service — Appeals and Specialized Prosecutions Office, Edmonton.

 Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association : Embry Dann Law, Toronto; Davies McMahon, Ottawa.

 Procureurs de l’intervenant Empowerment Council : McKay Ferg, Calgary; Anita Szigeti Advocates, Toronto; Martell Defence, Toronto; Shukairy Law, Ottawa.

 Procureurs de l’intervenante Independent Criminal Defence Advocacy Society : Peck and Company, Vancouver.

 Procureurs de l’intervenante Criminal Trial Lawyers’ Association : Pringle Law, Edmonton; Dawson Duckett Garcia & Johnson, Edmonton.


[1]  Il y avait une faute d’orthographe dans l’acte d’accusation et dans la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, qui indiquaient que la victime était « Nyumai Caroline Mkurazhizha ».

[2]  En français, il n’est pas nécessaire d’utiliser la conjonction « ou » dans une énumération verticale, et elle n’a pas été utilisée dans la définition en question. Le rapport logique de disjonction est implicite dans cette définition, en raison de l’emploi des mots « et plus particulièrement », qui suggèrent que d’autres situations ne sont pas indiquées.

[3]  L’appelant ne soutient pas que le juge du procès aurait dû s’enquérir de son aptitude à subir son procès au motif qu’il était incapable de donner des instructions à un avocat pour assumer sa défense. Il n’est donc pas nécessaire en l’espèce de déterminer si, pour être apte à subir son procès, l’accusé non représenté doit également être en mesure de donner des instructions à un avocat pour assumer sa défense, ou vice-versa (voir, de manière générale, R. D. Schneider et H. Bloom, Fitness to Stand Trial : Fairness First and Foremost (2018), p. 35-40); R. c. Hureau, 2014 YKTC 36, inf. en partie par 2014 YKSC 48).

[4]  Je n’aborderai pas ce troisième facteur, car j’ai conclu que la Cour d’appel avait écarté à juste titre la requête en production de la nouvelle opinion de la Dre Chatterjee.

[5]  La juge Bird, au par. 57, parle de la partialité quant à la crédibilité professionnelle comme d’une situation où [traduction] « un expert a un intérêt professionnel à maintenir sa propre crédibilité après avoir adopté une position » (R. c. France, 2017 ONSC 2040, 36 C.R. (7th) 293, par. 17; D. Paciocco, « Taking a “Goudge” out of Bluster and Blarney : an “Evidence-Based Approach” to Expert Testimony » (2009), 13 Rev. can. D.P. 135, p. 150).

[6]  Dans l’instance devant la Cour d’appel de l’Ontario, l’appelant a retenu les services d’un nouvel expert qui a conclu qu’il était inapte à subir son procès et non responsable criminellement au moment de l’homicide. En réponse, la Couronne a retenu les services d’une experte de plus, la Dre Sumeeta Chatterjee, qui était d’avis que l’appelant était apte tout au long de son procès, mais non responsable criminellement au moment de l’homicide.

[7]  La juge Bird a accepté la définition de l’expression [traduction] « partialité quant à sa crédibilité professionnelle » que la juge Molloy a donnée dans la décision R. c. France, 2017 ONSC 2040, 36 C.R. (7th) 293, par. 17 — celle-ci s’étant inspirée de l’article du professeur David Paciocco (maintenant juge de la Cour d’appel de l’Ontario), « Taking a “Goudge” out of Bluster and Blarney: an “Evidence-Based Approach” to Expert Testimony » (2009), 13 Rev. can. D.P. 135, p. 150 — comme étant une situation [traduction] « où un expert a un intérêt professionnel à maintenir sa propre crédibilité après avoir adopté une position » (Nettleton, par. 57).

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