Décision

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R. c. Ségaux

2025 QCCQ 799

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

 :

500-01-244750-235

 

 

DATE :

 6 mars 2025

_____________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN-JACQUES GAGNÉ, J.C.Q.

_____________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LE ROI

Poursuivant

c.

JULIEN SÉGAUX

Accusé

 

_____________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR LA PEINE

(Version retouchée au niveau de la forme de la décision rendue le 6 mars 2025)

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Déclaré coupable de conduite avec un taux d’alcool supérieur à la limite permise ayant causé la mort de son meilleur ami, Julien Ségaux doit aujourd'hui faire face aux conséquences de cette bavure qui a changé le cours de la vie de deux familles.

L’exposé conjoint des faits

  1.                 L'exposé expose ce qui suit :
  • Le 18 décembre 2021, un accident n’impliquant qu’un véhicule survient près d'une bretelle d'accès de l'autoroute 20.
  • Le véhicule impliqué est une Honda Civic conduite par Julien Ségaux. La victime Noah Leewis Mercier prenait place comme passager.
  • L’exposé décrit la toile de fond des moments précédents l'accident. Il faut comprendre que Noah et Julien sont des amis d'enfance et étaient des voisins.
  • En décembre 2021, Julien Ségaux habitait à Saint-Lazare avec ses parents, il avait 18 ans. Noah Leewis Mercier vivait en Gaspésie avec sa mère. Le 16 décembre soit 2 jours avant l'accident, il s'est rendu à Montréal par autobus pour visiter des proches, dont Julien. Noah Leewis Mercier avait 16 ans.
  • Les faits soumis par les avocats indiquent que dans la soirée du 17 décembre 2021 Julien et Noah sont descendus au sous-sol de la maison familiale de Julien afin d’y jouer à des jeux vidéo et y consommer de l’alcool.
  • Pour une raison inconnue, les deux hommes quittent vers 3 h prenant place dans le véhicule Honda dans les positions décrites précédemment.
  • Vers 4 h le véhicule conduit par l'accusé entre en collision avec un objet inanimé poursuivant sa route sur un terre-plein pour ensuite percuter une glissière de béton propulsant le véhicule dans les airs qui retombera plusieurs mètres plus bas sur un boulevard.
  • Le rapport en reconstitution de la scène rédigé par les forces de l'ordre indique que la vitesse minimale du véhicule Honda peut s'évaluer à 87 km\hr, la limite permise étant de 50 km\hr.
  • Le véhicule fut lourdement endommagé et Noah est resté coincé à l'intérieur du véhicule. Les pompiers ont dû utiliser les pinces de désincarcération pour le sortir du véhicule.
  • L'accusé est éjecté du véhicule et un agent déployé sur les lieux débute des manœuvres de réanimation.
  • Les deux jeunes hommes seront conduits à l'hôpital dans un état critique.
  • Noah décèdera le 21 décembre alors que Julien survivra après avoir été dans un coma plusieurs semaines.
  • L'accusé quittera l'hôpital le 14 mars de la même année pour séjourner dans un centre de réhabilitation pendant 3 mois.
  • Le diagnostic décrit un trauma crânien cérébral sévère, laissant à l’accusé des séquelles cognitives importantes et permanentes.
  • L'accusé n'a aucun souvenir de l'accident et un rapport d'expertise en toxicologie judiciaire indique un taux d'alcoolémie de 139 mg par 100 millilitres de sang.
  1.                 Selon ce qui est soumis par les parties, l'accusé fut inapte à subir son procès jusqu’au 6 novembre 2023.

Positions des parties

  1.                 La poursuite demande que soit imposée une peine de 2 ans moins un jour d’emprisonnement ferme.
  2.                 La défense demande l’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis de 18 mois.

Les témoignages et la preuve déposée

LES VICTIMES 

  1.                   Les victimes sont nombreuses.
  2.                 Il y a bien entendu la victime directe, Noah Leewis Mercier, qui a perdu la vie dans des circonstances tragiques. Il y a également les membres de son entourage dont le tribunal a eu le privilège d’entendre les témoignages.

Marie-Christine Parent

  1.                 Elle est la mère de Noah et veut s’exprimer pour elle et son fils. Elle fera notamment la lecture d’une lettre qu’elle a écrite[1].

Je m’appelle Marie-Christine Parent, mère de Noah Leewis Mercier. Je vais parler en mon nom et celui de mon fils.

Julien (l’accusé) était le meilleur ami de mon fils depuis l’école primaire. Ils étaient voisins. Le soir du décès de mon fils à l’hôpital, ma première pensée fut – “j’espère que Julien ne sera pas poursuivi”. Mais ce fut la première chose que l’on nous a annoncée à la suite du décès de Noah. Il y aura accusation contre Julien.

J’ai autant souffert du futur de Julien que de la perte de mon fils. Mon fils ne voudrait pas cela pour son ami. Certes, la conduite en état d’ébriété est criminelle, et cela pour tous. Nous sommes d’accord. Mais Julien n’a pas causé la mort de mon fils. Ils ont tous deux ensemble comme nombreux d’entre nous ici présent pris une mauvaise décision qui a conduit à ce drame. Noah ne tiendra jamais Julien responsable et moi non plus. J’espère que tu n’oublieras jamais cela Julien.

Noah est décédé, il n’y a rien que l’on puisse y faire pour le ramener. Ici aujourd’hui, il y a un jeune homme vivant pour qui nous pouvons faire quelque chose. Un jeune homme vivant qui, selon moi, vie déjà sa sentence depuis le 18 décembre 2021, jour de l’accident. Il a perdu un ami, alors qu’il tenait le volant de sa voiture, il a des séquelles physique et cérébrale avec lesquelles il devra apprendre à vivre. Et si ce n’étais pas suffisant, il a perdu un autre de ses meilleurs amis, mon plus vieux fils, Eliot qui est décédé également 10 mois après Noah. Julien doit faire le deuil de sa vie d’avant de qui il étais avant et apprendre à vivre avec ce qu’il est devenu, se refaire une vie et je ne crois pas que la prison va aider ce jeune homme à se refaire une vie, cela va plutôt détruire ce qu’il reste de lui. En tant que mère, je vous demande, offrez-lui l’aide dont il a besoin pour continuer de vivre.

Mme la juge, j’aime mon fils de tout mon cœur et il me manque. Mais je le connais parfaitement également. Mon fils était téméraire et il n’avait pas besoin de personne pour prendre de mauvaises décisions. Il aimait les sensations fortes, l’adrénaline, la vitesse et il ne craignait aucunement les conséquences. S’il avait eu son permis de conduire, ce serait peut-être lui assis à la place de Julien aujourd’hui. Ce serais le premier à s’exclamer “ce n’est pas la faute de Julien”.

Voilà ce que je vie depuis le 21 décembre 2021. De l’inquiétude, de l’inquiétude et de la peine. Aider Julien met un baume sur mes souffrances et c’est ce que mon fils voudrait que je fasse. Le savoir en prison ne fera que rallonger mon inquiétude et ma souffrance. Je crois que tout le monde a assez souffert. En mon nom et celui de mon fils, je vous demande d’être clément et apporter à Julien l’aide dont il a besoin pour se reconstruire. Voilà ce qui apaiserait ma peine.

Merci de m’avoir entendu.

Odette Parent

  1.                 Grand-mère de Noah, elle s’exprime via une lettre qu’elle a écrite[2].

Aujourd’hui, je vais parler en mon nom de grand-mère de Noah et en son nom.

D’emblée je ne connais pas Julien personnellement.

La première fois où je l’ai vraiment vue est au soin intensif lors de l’accident.

Ils étaient côte à côte aux soins intensifs chacun dans leur cubicul.

Tout de suite j’ai vu la gravité des blessures sur les garçons.

Ce fut la dernière fois où j’ai eu la chance de flatté mon petit fils et lui redire à quel point je l’aimais et je l’ai embrassé autant que j’ai pu.

Noah a été l’ami de toujours de Julien.

Lorsqu’il me parlait de Julien, il me disait de lui que du bien/c’était son chum de gars et son frère d’amitié.

C’était son voisin d’en face.

C’était son meilleur ami, et souvent entre amis ont fait des expériences comme tous les jeunes font…

Malheureusement cette témérité fut celle qui a enlevé la vie de Noah et je ne viens pas banaliser ça.

Que s’est-il passé pour qu’il quitte subitement la maison de Julien aux petites heures du matin ??

C’est le néant !!!

Mais je sais que jamais Julien n’aurait intentionnellement enlevé la vie à son meilleur ami.

Les conséquences sont nombreuses, et deux familles sont a jamais brisé par cet accident!

Je crois que les séquelles qui sont laissées sur Julien sont déjà lourde de conséquences, pour lui et sa famille.

Julien sa peine il la vit déjà.

Sa vie est changée à jamais.

Plus d’amis.

Plus d’école.

Plus de mémoire.

Plus d’espoir d’avoir une carrière et une famille.

Et Noah ne voudrait pas ça pour lui.

J’en suis convaincu….ça s’est visée dans mon cœur de grand-mère.

De mon petit-fils adoré et filleul… Feu Noah

Julien je pardonne c’est essentiel à ma paix aujourd’hui.

M. Ou Mme la juge chercher des solutions pour venir en aide à Julien et lui offrir l’aide qu’il a besoin.

Avec tout mon respect

Votre honneur

Odette Parent.

Dominick Mercier et Maryline Picard

  1.                 Monsieur Mercier est le père de Noah et Madame Picard est sa conjointe. Ils vivent ensemble avec leur famille et sont voisins de l’accusé. Madame Picard décrit leur vie familiale et les répercussions dramatiques de la mort de Noah sur eux et leurs enfants. Dépressions majeures, crises de panique, troubles anxieux. Le décès inattendu a provoqué un état de stress intense chez leurs enfants et eux -mêmes. Elle explique que revivre la situation traumatisante dans des rêves ou flash-back est chose fréquente. Chacun a réagi différemment au traumatisme et son intensité a nécessité l'intervention notamment de psychothérapeutes afin de les accompagner vers la guérison. Elle précise que les symptômes du traumatisme psychique sont toujours présents trois ans après l'événement. Les indices d'un état de stress post-traumatique sont manifestement présents et l'état émotionnel de la famille est grandement affecté

Maria Ricciardelli

  1.            Elle est la mère de l’accusé et s’est exprimée dans les mots suivants[3];

Monsieur le Juge,

Je suis la mère de Julien.

En écrivant ces mots, beaucoup d’émotions sont revenus à la surface donc j’imagine à quel point cette tragédie a été et est difficile pour la famille de Noah.

Le 17 décembre 2021, Noah et Julien étaient à la maison, ils étaient 2 adolescents, heureux et insouciants. Ils rentraient du cinéma et je leur parlais de tout et de rien. Je suis allée me coucher vers 23 :00 ne me doutant pas de la suite tragique des évènements. Le lendemain a été un point tournant et d’incompréhension dans nos vies, surtout pour Noah et sa famille. J’offre toute mes sympathies et support à la famille de Noah, même si je sais que cela ne diminuera pas leur peine.

Julien a été dans le coma 3 semaines et 1 mois aux soins intensifs de l’hôpital général de Montréal. Ces semaines ont été difficiles car nous ne pouvions pas le voir (Covid) et les nouvelles des médecins traitants étaient limitées. À ce moment, nous ne savions pas si Julien allait s’en sortir. Au fur du temps, Julien a commencé à progresser et sa réadaptation a duré 18 mois, jusqu’à l’été 2022. Malgré les séquelles cognitives permanentes, je suis très reconnaissante que Julien a eu une deuxième chance à la vie.

Julien et nous (la famille), essayons de nous adapter à sa nouvelle réalité, à faire de petits deuils de sa vie antérieure. Julien est souvent frustré car il était très indépendant avant son accident. Il a du mal à gérer ses émotions, se sent isolé et se questionne sur son avenir soit sur le plan personnel que professionnel. De plus, il manque de motivation, de dynamisme et d’énergie. La méconnaissance de ses limites représente un défi au quotidien et cela complique tout. En raison de ses séquelles cognitives sévères, il a du mal à comprendre les situations complexes et à s’adapter. Cela affecte aussi son jugement et sa prise de décisions. Pour contrer cela, nous sommes en processus d’évaluation pour un mandat de protection afin de protéger ses intérêts. Le milieu carcéral est un monde inconnu pour Julien et je suis très inquiète pour son adaptation, sa santé et sa sécurité.

Si je pouvais retourner dans le temps et faire quelque chose pour éviter cette tragédie, je le ferai sans hésitation. Malheureusement ce n’est pas possible, en revanche, je suis ouverte à faire quelque chose dans le futur pour que cette histoire ne se répète, si ce n’est que pour sauver une vie et toutes les répercussions d’une très mauvaise décision.

Merci beaucoup pour votre considération.

Maria Ricciardelli.

François Ségaux

  1.            Il est le père de Julien et s’exprime dans ces mots[4]:

Monsieur le Juge,

Je voudrais avant tout consacrer quelques mots à la famille de Noah et leur exprimer ma gratitude; depuis le jour de l’accident et depuis − tout au long des soins intensifs, de la réhabilitation, du procès − la famille de Noah n’a jamais cessé de témoigner leur support et leur soutien à Julien.

Malgré le décès de leur enfant et leur douleur, ils ont eu la force de ne jamais en vouloir à Julien et rester à ses côtés par leurs mots et leurs actes. Il n’y a pas de mots assez forts pour les remercier et leur dire à quel point ceci nous touche, Julien et toute sa famille. Je souhaite seulement que si le destin avait voulu que les rôles soient inversés, j’aurais su trouver en moi le même courage et la même grandeur d’âme envers eux qu’ils ont démontrés depuis bientôt trois ans.

Noah était devenu une présence régulière chez nous, il avait un grand cœur et nous pouvons comprendre un peu la douleur de sa famille car il nous manque aussi. Nous avons tellement de souvenirs et d’anecdotes du temps que Noah et Julien ont passé ensemble.

Les jours et les semaines après la tragédie que nos deux familles ont vécue ensemble resteront toujours dans nos mémoires : la police qui toque à notre porte, le père de Noah rencontré aux soins intensifs de l’hôpital général de Montréal, les messages textos échangés pour nous supporter et réconforter mutuellement, la lettre de la mère de Noah .écrite la veille de Noël et 2 jours après le décès de son fils, la cérémonie au souvenir de Noah organisée 8 mois après l’accident et à laquelle Julien n’a pas pu assister car il était encore hospitalisé, la rencontre au petit cimetière en Gaspésie où Noah repose… sont autant de moments qui toujours nous ramèneront les larmes aux yeux.

Pour ce qui est de Julien, tous les rapports et témoignages d’experts concordent avec le vécu de sa famille pour dire que les conséquences cognitives de son acte resteront avec lui pour le reste de sa vie. Nous vivons avec cette réalité tous les jours :

-          Il était autonome et organisé, maintenant il a besoin de support et de guidance pour ses déplacements et dans sa vie quotidienne.

-          Il étudiait au CEGEP, il a dû mettre un terme à ses études malgré une tentative de recommencer au terme de sa réhabilitation.

-          Il poursuivait des intérêts, maintenant il a de la difficulté à se motiver même pour des activités aussi simples que la lecture.

-          Il travaillait et devenait financièrement indépendant, ses perspectives sont maintenant très limitées.

-          Il sortait fréquemment avec ses amis, ses opportunités de socialiser et s’amuser sont maintenant rares.

 

Il était en somme un adolescent typique − heureux et insouciant − il est maintenant d’un naturel solitaire, inquiet, parfois angoissé face à l’avenir qui l’attend.

François Ségaux

 

Allessia et Laetitia Ségaux

  1.            Les sœurs de l’accusé s’expriment dans les mots suivants[5]:

Monsieur le Juge,

Nous sommes Alessia et Laetitia Ségaux, les sœurs de Julien.

Cette lettre reflète notre point de vue de cette tragédie, mais nous ne pouvons qu’imaginer la tristesse vécue par la famille de Noah et sa famille resteront pour toujours dans nos pensées, surtout à l’approche du temps des fêtes.

Le samedi 18 décembre 2021 restera à tout jamais un point tournant de nos vies. Alors que nous avions prévu rentrer chez nos parents pour débuter le congé des fêtes, nous nous sommes plutôt retrouvées à l’hôpital général de Montréal à la nouvelle de l’accident de Julien et de Noah. Malheureusement, nous avons dû faire le deuil de Noah, notre voisin et le meilleur ami de Julien, seulement quelques jours après l’accident. Pendant ce temps, Julien se trouvait dans un état critique et continuait à se battre pour sa vie aux soins intensifs. Nous vivions dans l’inconnu et dans l’incertitude complète; ne sachant pas le sort qui l’attendait ou s’il allait même s’en sortir. En raison de la pandémie, nous n’avions pas l’autorisation d’être à l’hôpital. Nous avons passé notre temps des fêtes à attendre impatiemment l’appel quotidien du médecin des soins intensifs en craignant des pires nouvelles à chaque jour. Après quelques semaines, Julien s’est réveillé de son coma et les petits progrès, aussi banals soient-ils, ont débuté. C’est ainsi que le long processus de réadaptation s’est entamé. À chaque nouvelle étape franchie, nous nous demandions si ce serait la dernière, si Julien réussirait à progresser davantage ou si nous avions atteint le résultat final. Nous avons jonglé avec plusieurs émotions. De la tristesse, de l’anxiété de la reconnaissance qu’il se soit fait offert une deuxième chance à la vie, de l’incompréhension, pourquoi Julien avait survécu et pas Noah, de la colère à essayer de comprendre son choix cette soirée là, essayer de garder de l’espoir par rapport à son rétablissement sans tomber dans les faux espoirs, etc.

Avant l’accident, Julien vivait une vie d’adolescent bien ordinaire. Il étudiait au cégep, avait un emploi à temps partiel et aimait passer la majorité de son temps libre avec ses amis. Après six mois passés dans les hôpitaux, Julien a finalement eu son congé du centre de réadaptation. Son retour à la maison fut une grande période d’adaptation autant pour Julien que pour le reste de la famille. Il avait de nombreuses séquelles physiques, mais surtout cognitives pour lesquelles ils poursuivaient la réadaptation à l’externe. Au fil des mois, les progrès ralentissaient et la situation s’éclaircissait quant aux séquelles permanentes. Nous avions commencé à mieux comprendre à quoi ressemblait la nouvelle réalité de Julien. Julien, pour sa part, était prêt à reprendre sa vie ou il l’avait laissée, sans nécessairement comprendre que ce n’était plus possible. Il a d’ailleurs tenté un retour au cégep, qui s’est avéré sans surprise pour nous et les professionnels de la santé, impossible avec ses séquelles. Encore aujourd’hui, Julien ne comprend pas l’étendue des séquelles, mais au fur des mois, il a dû commencer à faire le deuil de ce qu’il envisageait pour sa vie. Julien est souvent frustré, irritable et la famille au complet doit jongler avec ses sautes d’humeur imprévisibles. Il se dit souvent incompris et isolé à la maison. Il a peu de motivation et peu d’intérêt pour les petits plaisirs de la vie. Sa santé mentale a grandement souffert suite à l’accident, surtout en voyant sa nouvelle réalité comparativement à celle de tous ses amis et des jeunes de son âge.

Le 18 décembre 2021, Julien a pris la pire décision de sa vie et les conséquences ont été complètement dévastatrices. Nous vous soumettons cette lettre afin que vous en teniez compte dans la détermination de sa peine, mais nous savons tous que sa plus grande sentence il la vit déjà et la vivra pour le reste de ses jours; vivre avec la mort de son meilleur ami, avec ses nombreuses séquelles sévères & permanentes et avec un avenir volatilisé en l’instant d’une mauvaise décision.

Merci pour votre écoute.

Alessia et Laetitia Ségaux

Sara Ricciardelli et Sofia Ricciardelli

  1.            Elles sont les cousines de premier degré de Julien Ségaux.

Elles ont rédigé un texte qu'elles ont titré « un gouffre invisible ».

Leur texte, déposé sous SD 5, décrit précisément leur relation avec l'accusé avant et après la tragédie du 18 décembre 2021[6].

 Un gouffre invisible

Votre honneur

Nous sommes Sara et Sofia Ricciardelli, les cousines de premier degré de Julien Ségaux. Nous sommes âgées de 20 et 21 ans, respectivement, et nous avons eu l’opportunité de grandir aux côtés de Julien depuis notre enfance. Nous sommes touchées de pouvoir, à travers les lignes suivantes, témoigner du point tournant qu’a été l’accident dans la vie de Julien.

Étant donné notre proximité d’âge, nous avons passé beaucoup de temps à jouer, à rire, à discuter et à forger des souvenirs mémorables avec notre cousin adoré. Lors des nombreuses réunions et activités familiales et des journées pédagogiques passées chez nos grands-parents, nous formions un trio inséparable. Nous avions toujours hâte de voir Julien, les moments passés avec lui étaient certes des plus amusants. Le Julien de notre enfance était rempli d’énergie, savait faire rire ses proches et dégageait beaucoup de chaleur humaine. Il était aussi un fort amateur de l’univers de Star Wars, de jeux vidéo, de jeux de société, de casse-têtes et de Legos. Nous avons vécu nos premiers jalons de vie ensemble et nous avions hâte de vivre ceux qui nous auraient attendus dans nos vies adultes. Nous nous projetons dans l’avenir en tenant cela pour acquis.

Le 18 décembre 2021, cette certitude s’est brutalement effondrée. Pendant les mois qui ont suivis, nous avons craint perdre Julien, notre cousin et notre très proche ami. Nous étions infiniment reconnaissantes que Julien se soit fait offrir une deuxième chance à la vie. Dès lors, Julien a débuté un long parcours de rétablissement, jalonné de petites victoires, de défaites et de grandes adaptations, pendant lequel nous avons appris à connaître un nouveau Julien. Accepter que Julien ne soit plus jamais le même était un énorme deuil… Cependant, avec le temps, nous étions touchées de voir certaines parties fondamentales de sa personnalité se révéler de nouveau. Par exemple, les yeux de Julien brillaient encore lorsqu’il recevait un nouveau Lego Star Wars à ajouter à sa collection. Ses capacités motrices se sont améliorées, lui permettant éventuellement de recommencer à réaliser des casse-têtes. Heureusement, son sens de l’humour était de retour et, grâce à son niveau d’énergie grandissant, il participait de plus en plus activement à nos réunions familiales.

Bien que Julien ait fait d’énormes progrès en réadaptation, dans la gestion de ses émotions et dans ses interactions, il vit toutefois avec des séquelles cognitives importantes qui l’ont privé d’atteindre des jalons fondamentaux du début de sa vie adulte. Étant nous-mêmes rendues à ce stade de notre vie, nous réalisons la chance que nous avons eue de franchir des étapes importantes qui sont, aujourd’hui, hors de portée pour Julien : la poursuite d’études supérieures, le choix d’une carrière professionnelle, l’acquisition d’autonomie et le développement de relations significatives, pour ne citer que quelques exemples. Alors que nos vies se consolident de plus en plus, cela nous fait de la peine de voir que les obstacles de Julien freinent l’évolution de sa vie. Il nous a même déjà confié qu’il se sent inutile; il semble comprendre qu’il ne peut pas s’accomplir académiquement, professionnellement et socialement, comparativement aux autres jeunes adultes qui l’entourent. Plus encore, les circonstances actuelles briment certaines des libertés de Julien. Contrairement à nous, pour des raisons comprenables, Julien n’a malheureusement pas la liberté de se déplacer, de vivre de manière indépendante, de faire ses propres choix et, ultimement, d’avoir le contrôle sur son destin.

À l’époque, nos vies et celle de Julien étaient très semblables. Depuis la tragédie du 18 décembre 2021, bien que nous nous soyons rapprochés, un énorme gouffre s’est creusé entre nos réalités. Naturellement, nous nous questionnons sur le chemin de vie que notre cousin aurait pu emprunter s’il n’y avait pas eu de rupture avec sa vie antérieure. Toutefois, nous souhaitons fortement que Julien puisse avoir l’opportunité de donner un sens à cette deuxième chance à la vie.

Nous sommes très reconnaissantes de pourvoir vous partager notre histoire avec Julien. Nous vous remercions sincèrement pour votre considération.

Nos salutations,

 Sara Ricciardelli      Sofia Ricciardelli

  1.            La preuve est complétée par de nombreux documents soumis par la défense et par la poursuite en lien avec des décisions administratives de la SAAQ, de nombreux rapports médicaux (neuropsychologues, psychiatre, neurologue et médecin traitant.)
  2.            Des échanges entre l'avocat de l'accusé et les autorités du service correctionnel québécois sont aussi en preuve. Les modalités de détention d'une personne présentant les caractéristiques psychiques de l'accusé étant les préoccupations de l’avocat de l’accusé.
  3.              Devant ces faits tragiques, peu de mots suffisent pour comprendre l’ampleur de la souffrance des proches de Noah. Un sentiment d’injustice envahit toute personne ayant de l’empathie.
  4.             Le crime sème la souffrance. Les deux familles comprennent la douleur de l’autre.

DISCUSSIONS EN LIEN AVEC LE TÉMOIGNAGE DE LA MÈRE DE LA VICTIME

  1.            La poursuite, avec justesse, invite le tribunal à la prudence quant au poids à accorder aux propos de la mère de la victime qui prie le tribunal de ne pas imposer de prison ferme à l’accusé, le meilleur ami de son fils.
  2.            La Cour d’appel du Québec souligne qu’au stade de la détermination de la peine, le rôle des victimes est important. Le législateur lui a fait davantage de place dans le processus [7].
  3.             Le par. 722(1) C.cr. prévoit la déclaration de la victime. Au sens de cet article, depuis 2015, la victime désigne toute personne qui a subi des dommages matériels, corporels ou moraux ou des pertes économiques par suite de la perpétration d’une infraction.
  4.            Pour être admissible, le contenu de la déclaration de la victime doit être conforme à ce qui est autorisé par le Code criminel. Sauf avec la permission du tribunal, des points de vue ou des recommandations au sujet de la peine ne devraient pas être permis[8].
  5.            Il est bien connu que le processus de détermination de la peine n'est pas uniquement l'affaire de l'accusé et de la victime, il contient aussi une dimension sociétale.
  6.            Contrairement à la poursuite, le tribunal n’interprète pas les mots de la mère de la victime comme étant son opinion sur ce qu’il devrait décider. Ses mots ont un poids et influencent les perceptions, mais je retiens de ses propos qu’ils visent plutôt à décrire ses traumatismes. Elle a perdu Noah le 18 décembre, son autre fils Elliot quelques mois après. L’idée de voir le meilleur ami de son fils être incarcéré la traumatise, car elle se questionne véritablement sur ses capacités d’être en mesure de surmonter ce qu’elle décrit comme une troisième tragédie, celle qui serait de trop.

LES PRINCIPES EN MATIÈRE DE DÉTERMINATION DE LA PEINE

  1.            Selon l’article 718.1 du Code criminel, le principe fondamental en matière de détermination de la peine est que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
  2.            L’article 718 du Code criminel énumère les objectifs en matière de détermination de la peine et se lit de la façon suivante:

Objectif

718. Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants:

a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.

L’article 718.2 du Code criminel fait état des autres principes que le Tribunal doit considérer dans la détermination de la peine. Selon l’alinéa a), la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. L’alinéa b) codifie le principe de l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’imposition de peines semblables à celles appliquées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Les alinéas d) et e) codifient le principe que le Tribunal doit examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes que la privation de liberté lorsque les circonstances le justifient.

  1.            Dans chaque cas donné, il incombe au Tribunal de soupeser l’importance à accorder aux divers principes et objectifs de détermination de la peine à la lumière des facteurs aggravants ou atténuants, ayant toujours à l’esprit le principe fondamental de la proportionnalité de la peine.
  2.            Pour assister les juges dans la tâche délicate qui est la détermination de la peine, les tribunaux ont élaboré au fil des ans, des outils qui visent à assurer l’harmonisation et la proportionnalité des peines afin d’éviter des écarts importants entre les peines infligées à des délinquants pour des crimes semblables commis dans des circonstances semblables. Les tribunaux ont adopté un système de fourchettes et de catégories de peines pour réaliser ces objectifs.
  3.            Le juge en chef de la Cour suprême du Canada a élaboré sur l’emploi des fourchettes de la façon suivante:

Quant aux fourchettes de peines, bien qu’elles soient utilisées principalement dans un but d’harmonisation, elles reflètent l’ensemble des principes et des objectifs de la détermination de la peine. Les fourchettes de peines ne sont rien de plus que des condensés des peines minimales et maximales déjà infligées, et qui, selon le cas de figure, servent de guides d’application de tous les principes et objectifs pertinents. Toutefois, ces fourchettes ne devraient pas être considérées comme des «moyennes», encore moins comme des carcans, mais plutôt comme des portraits historiques à l’usage des juges chargés de déterminer les peines[9].

  1.            Les fourchettes sont donc très utiles pour aider le juge de la peine dans sa tâche primaire qui est celle d’imposer une peine proportionnelle, en respectant à la fois l’individualisation et l’harmonisation des peines[10].
  2.            Le Tribunal note aussi que la Cour d’appel et la Cour suprême ont souvent souligné que le fait qu’une peine se situe à l’intérieur ou à l’extérieur d’une fourchette n’indique pas nécessairement qu’elle répond ou ne répond pas aux principes et objectifs de la détermination de la peine prescrite par la loi.
  3.            Finalement, la peine variera en fonction des faits particuliers de chaque affaire. Une peine proportionnelle doit refléter les circonstances de l’infraction, ses conséquences et la situation du délinquant.
  4.            Les parties ont référé à des peines imposées pour conduite avec les capacités affaiblies causant la mort. Aucune situation n’est identique, et les peines varient en fonction des facteurs aggravants et atténuants identifiés par les juges.
  5.            Dans le cas qui nous occupe, les parties s’entendent sur les paramètres et soumettent qu’ils situent entre 18 et 36 mois. Le tribunal se rend à leur opinion, considérant que l’accusé est un délinquant primaire.
  6.            La peine que le Tribunal impose doit nécessairement être tributaire de la gravité objective et subjective de l’infraction ainsi que des facteurs aggravants et atténuants présents en l’espèce.
  7.            La gravité objective est déterminée par la peine maximale prévue par le législateur pour l’acte reproché et la place que de tels actes occupent au niveau de la peine dans la hiérarchie des infractions prévues au Code criminel.
  8.            La présente infraction est passible par une peine d’emprisonnement à perpétuité.
  9.            En ce qui a trait à la gravité subjective, le juge doit s’attarder, entre autres, à la façon dont le crime a été commis et à la culpabilité morale du délinquant.

Les facteurs atténuants et aggravants retenus

Les facteurs aggravants:

La vitesse excessive

  1.            Le Tribunal prend acte de l’admission des parties que l’accusé circulait minimalement à 87 km/hr dans une zone ou le maximum autorisé par la loi est de 50  km/hr.

Le taux d’alcoolémie

  1.            La conduite avec un taux d’alcool de 139 milligrammes d’alcool pour 100 millilitres de sang constitue une circonstance aggravante qui augmente la gravité subjective de l’infraction, et ce, même s’il ne dépassait pas le taux de 160 milligrammes pour 100 millilitres de sang identifié par l’article 255.1 du Code criminel. Les circonstances de l’infraction sont troublantes, mais il faut se garder d’insister indûment sur certaines circonstances qui font déjà partie de l’infraction et qui justifient justement une peine sévère.

Les facteurs atténuants:

  • L’âge de l’accusé.
  1.            L’accusé avait 18 ans au moment de la commission de l’infraction.
  2.            La jurisprudence souligne que lorsque possible, les tribunaux doivent prioriser l’objectif de la réhabilitation dans l’imposition des peines pour les infractions commises par de jeunes délinquants primaires[11].
  3.            Le tribunal garde aussi à l’esprit les propos de la Cour Suprême dans Lacasse à l’effet que les jeunes gens sont les plus touchés par les accidents de la route résultant de la conduite avec les capacités affaiblies[12].
  • Le plaidoyer de culpabilité.
  1.            Le plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant. Il est enregistré avec célérité et démontre que l’accusé reconnaît son comportement délictuel et en assume la responsabilité. Ce plaidoyer est motivé par des remords et le tribunal lui attribue un avantage, la simplification de l’administration de la justice.
  • Le remords de l’accusé et les excuses offertes à la famille de la victime.
  1.            Le Tribunal est convaincu que l’accusé est sensible aux souffrances des proches de la victime.
  • L’absence d’antécédents judiciaires et un dossier de conduite automobile impeccable.
  • Profil familial et social.
  1.            Julien Ségaux bénéficie du soutien inconditionnel de ses parents, ses sœurs, ses cousines, de la mère et grand-mère de la victime. Le tribunal est convaincu que cet appui persistera, peu importe la peine imposée. Il a eu un parcours scolaire positif et des comportements prosociaux toujours soucieux des bonheurs autres.

Autres éléments à considérer

  1.            Adapter les peines aux circonstances de l’infraction et à la situation du délinquant peut exiger du juge de la peine qu’il procède à un examen des conséquences indirectes[13].
  2.            Une conséquence indirecte s’entend de toute conséquence découlant de la perpétration d’une infraction, de la déclaration de culpabilité pour une infraction ou de la peine infligée pour une infraction, que peut subir le délinquant[14].
  3.            Cependant, le principe fondamental de la proportionnalité doit prévaloir dans tous les cas.
  4.            Les conséquences indirectes, notamment lorsqu’elles découlent de la commission du crime, ne sauraient permettre de réduire une peine au point où celleci n’est plus proportionnelle à la gravité de l’infraction ou à la culpabilité morale du délinquant[15].
  5.            Comme décrit précédemment, l’accusé a survécu à l’accident. Il fut sans pouls pendant de longues minutes avant de recevoir des manœuvres RCR. Il fut dans le coma pendant plusieurs semaines.
  6.            La lecture des différents rapports médicaux déposés en preuve démontre que le traumatisme dont a été victime l'accusé a entraîné des lésions cérébrales étendues qui ont provoqué des déficits cognitifs persistants compromettant sérieusement son aptitude à mener une vie autonome[16].
  7.            Les déficits touchent particulièrement sa mémoire, son orientation et ses fonctions exécutives. Son incapacité à retenir des informations récentes rend difficile pour l'accusé de suivre une conversation ou de se rappeler des événements récents de manière autonome.
  8.            Il est décrit comme une personne montrant une faiblesse marquée dans le jugement, la prise de décision et l'autocritique. Son comportement révèle une incapacité à planifier ou à évaluer des situations de manière réaliste, ce qui le conduit souvent à se montrer irréaliste quant à ses propres capacités.
  9.            À cet effet, un des médecins référait à son désir de retourner aux études malgré des signes clairs que ses capacités fonctionnelles et cognitives étaient insuffisantes pour soutenir une telle initiative. À travers les évaluations neuropsychologiques menées par divers professionnels en réadaptation, les experts mandatés par la famille, ou par la Société de l'assurance automobile du Québec, il apparaît clairement que l'accusé présente des troubles cognitifs significatifs qui affectent sa mémoire, son attention, son raisonnement perceptuel ainsi que sa capacité à traiter et comprendre l'information de manière efficace.
  10.            Il présente également des déficits significatifs en raisonnement perceptuel ainsi qu'une lenteur dans le traitement de l'information.
  11.            Ses capacités résiduelles compromettent non seulement son avenir académique et professionnel, mais également son autonomie dans la gestion de ses biens et de sa vie quotidienne. À cet effet, ses parents précisent avoir mis en place des mesures légales de protection.
  12.            Un soutien continu est essentiel pour l'accompagner dans sa réadaptation à long terme, bien que l'accusé ait récupéré certaines capacités physiques.
  13.            Il demeure donc très limité dans ses possibilités d'emplois et dans ses aspirations académiques. L'épuisement cognitif, la difficulté à se concentrer pendant de longues périodes et les problèmes amnésiques constituent des obstacles insurmontables à la continuité de son parcours académique tel qu’il était avant l’accident.
  14.            Les différents experts décrivent l’accusé comme une personne vulnérable. Les déficits cognitifs interfèrent avec sa compréhension de situation complexe ainsi que sa capacité à s'adapter aux différentes contingences de la vie quotidienne. Une série d'adaptations et de soutiens spécialisés demeure indispensable.

Analyse

  1.            Les parties s’entendent sur la trame factuelle, mais elles ne s’entendent pas sur le poids à accorder à plusieurs facteurs liés à la commission du crime et à la situation de l’accusé.
  2.            La responsabilité de Julien Ségaux pour l’accident menant au décès de la victime est entière, et ce, même si à ce jour, le tribunal ignore encore les circonstances ayant poussé les deux amis à quitter le domicile en véhicule. Il est permis de s’interroger ou de penser à des hypothèses, mais il serait hasardeux de conclure quoi que ce soit.
  3.            Comme l’explique notre Cour d’appel, la réinsertion sociale demeure l’un des objectifs de la détermination de la peine même en matière d’infractions en lien avec une conduite dangereuse[17].
  4.            Face à une infraction grave et à une jurisprudence constante dictant des peines sévères, la réhabilitation garde tout son sens devant un individu ayant le profil de l’accusé.
  5.            La poursuite me demande d’orienter ma décision en fonction principalement des conséquences tragiques. Elle identifie la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant qui empêcherait une autre mesure que l’emprisonnement ferme.
  6.            La Cour d’appel encore récemment nous enseignait d’éviter ce type d’erreur[18].
  7.            Le décès est, par nécessité, toujours présent dans le cas d’une conduite causant la mort.
  8.            La peine doit à la fois punir le crime et le délinquant[19].
  9.            L’emprisonnement avec sursis a été introduit dans le Code criminel afin d’offrir une solution de rechange à l’incarcération.
  10.            En 2007, le Parlement a retiré la possibilité d’y recourir pour un nombre important d’infractions, dont celle-ci.
  11.            En 2022, il a modifié de nouveau la loi pour éliminer en grande partie les limitations introduites en 2007.
  12.            Ainsi, malgré la mort qui résulte de la conduite délinquante, le législateur laisse la porte ouverte à ce que des mesures substitutives à l’emprisonnement en milieu carcéral soient prononcées[20].
  13.            Les décisions identifiées dans l’arrêt R. c. Ferland, 2009, QCCA 1168, confirment que la peine d’emprisonnement avec sursis fait partie de la mosaïque des peines appropriées.
  14.            Le législateur a augmenté la peine maximale, mais a également réintégré la possibilité de purger la peine dans la collectivité. Or, ces choix législatifs se complètent. Ils ne peuvent être restreints par des règles ou des principes inflexibles tels que le suggère la poursuite[21].
  15.            Le fait d’attribuer un poids important aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale ne peut pas avoir l’effet de déconsidérer les choix législatifs. La Cour d’appel dans R. c. Harbour, 2017, QCCA 204 par. 78.

Ce n’est pas non plus en leur [les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale] attribuant un poids important pour un crime donné que les tribunaux peuvent de cette façon exclure des choix pénologiques que le législateur lui-même n’a pas exclus. Les tribunaux ne peuvent créer des points de départ ou des minimums contraignants : R. c. McDonnell, 1997, CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948; R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206, R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089.

  1.            La peine d’emprisonnement dans la collectivité est une mesure qui a un caractère punitif marqué.
  2.            Le profil positif de l’accusé ne règle pas tous les aspects de la peine appropriée et n’invite certainement pas nécessairement à la clémence.  Le tribunal est tout de même d’avis que l’emprisonnement avec sursis est une modalité de la peine qui convient d’appliquer ici. Les éléments uniques à cette affaire ont un poids tel qu'ils favorisent nettement la réhabilitation.

Conclusion

  1.            Pour ces raisons, je crois qu'il y a lieu de permettre que la peine soit purgée dans la communauté. Cependant la peine purgée dans la communauté demeure une sanction et pour qu'elle soit efficace, elle doit être d’une durée très significative et assortie de conditions restrictives.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

IMPOSE, une peine de 2 ans moins 1 jour. Cette peine sera purgée dans la communauté aux conditions suivantes :

  1. Vous ne devez pas troubler l’ordre public.
  2. Vous devez avoir une bonne conduite.
  3. Vous devez répondre aux convocations du Tribunal.
  4. Vous devez vous présenter à l’agent de surveillance aujourd’hui même.
  5. Vous devez rencontrer l’agent de surveillance lorsque requis.
  6. Vous devez suivre toutes les recommandations de l’agent de surveillance.
  7. Vous devez rester dans la province de Québec, sauf permission écrite d’en sortir donnée par le tribunal ou par l’agent de surveillance.
  8. Vous devez prévenir le Tribunal ou l’agent de surveillance de tout changement d’adresse et aviser rapidement de tout embauche ou changement d’emploi ou d’occupation.
  9. Il vous sera interdit de consommer alcool et drogue sauf celle sur ordonnance médicale.
  10. Dans les douze (12) premiers mois, vous devez être chez vous 24 heures par jour sauf :
    1. pour les fins de toute forme de thérapie ou de visite chez un médecin;
    2. pour les fins des travaux communautaires (ou pour trouver un organisme afin de faire des travaux communautaires);
    3. pour les fins religieuses;
    4. pour rencontrer votre agent de surveillance;
    5. pour toute autre raison préautorisée par l’agent de surveillance;
    6. pour faire de l'exercice physique selon l’horaire convenu entre vous et votre agent de surveillance.
  11. Pour le restant de la peine, vous devez être chez vous tous les soirs entre 22 heures et 8 heures le matin sauf pour les exceptions indiquées ci-dessus.
  12. Vous devez effectuer 200 heures de travaux communautaires dans un délai de 18 mois.

IMPOSE une probation de deux ans aux conditions statuaires prenant effet à l’expiration de la peine d’emprisonnement dans la collectivité.

INTERDIT à l’accusé de conduire un véhicule à moteur au Canada pour une période de 5 ans.

Cette interdiction prendra effet aujourd’hui et tient compte du fait qu’il a souscrit à un engagement selon lequel il lui est interdit de conduire depuis le 31 juillet 2024. Le tribunal ayant aussi pris acte de la décision de la SAAQ révoquant son permis de conduire indéfiniment en raison des conséquences neurologiques de l’accident.

IMPOSE à l’accusé de payer la suramende prévue à l’article 737(4) du Code criminel dans le délai prévu par la loi.

 

 

 

 

 

__________________________________

JEAN-JACQUES GAGNÉ, J.C.Q.

 

Me Sylvie Dulude

Pour le poursuivant

 

Me Robert Israël

Pour l’accusé

 

Date d’audience :

28 novembre 2024

 


[1]  S-3 Lettre de Marie-Christine Parent.

[2]   S-1 Lettre de Odette Parent.

[3]  SD-2 Lettre de Maria Ricciardelli.

[4]  SD-3 Lettre de François Ségaux.

[5]  SD-4 Lettre de Allessia et Laetitia Ségaux.

[6]  SD-5 Lettre de Sara Ricciardelli et Sofia Ricciardelli.

[7]  Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 51.

[8]  Ibid, par. 57.

[9]   R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 57.

[10]  R. c. Mansour, 2019 QCCQ 277.

[11]  Camiré c. R., 2010 QCCA 615, par. 67 et s.

[12]  R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 RCS 1089.

[13]  R. c. Suter, [2018] CSC 34, aux par. 46 et s.

[14]  Ibid, par. 7.

[15]  Ibid, par. 56.

[16]  SD-7 Rapports d’expertises médicales.

[17]  Czornobaj c. R., 2017 QCCA 907, par. 81. Voir aussi: Bilodeau c. R., 2013 QCCA 980, par. 79; Fournier c. R., 2012 QCCA 1330, par. 48.

[18]  R. c. Rondeau, QCCA 1372 par. 47 et s.

[19]  R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 113.

[20]  R. c. Rondeau, supra, note 18, par. 51.

[21]  Ibid., par. 52.

AVIS :
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