Décision

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Décision

9177-2541 Québec inc. c. Li

2016 QCRDL 8129

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

Nos dossiers :

243344 31 20151026 G

246709 31 20151119 G

Nos demandes :

1860561

1875500

 

 

Date :

02 mars 2016

Régisseure :

Anne Mailfait, juge administrative

 

9177-2541 QUÉBEC INC.

 

Locatrice - Partie demanderesse

(243344 31 20151026 G)

Partie défenderesse

(246709 31 20151119 G)

c.

QUAN SHENG LI

 

Locataire - Partie défenderesse

(243344 31 20151026 G)

Partie défenderesse

(246709 31 20151119 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le Tribunal est saisi de deux demandes qu’il réunit pour la bonne administration de la justice.

[2]      Le locataire réclame une diminution de loyer de 250 $ par mois à compter de juin 2015 ainsi que 15 000 $ de dommages moraux et 5 000 $ de dommages punitifs.

[3]      La locatrice réclame d’une part, l’expulsion du locataire et subsidiairement l’application d’une clause prévue au bail dont l’effet serait la fin du bail.

[4]      Le recours est fondé sur les articles 1863, 1889 et 1955 du Code civil du Québec.

LES FAITS PERTINENTS

[5]      Le bail est signé par les parties le 21 septembre 2014 (P3) et il entre en vigueur le 1er octobre 2014. La section F du bail indique que le logement en litige est situé dans un immeuble neuf, habitable depuis le 1er juin 2014. Le loyer s’élève à 1 770 $, ce qui inclut la location d’une place de stationnement.

[6]      Le litige prend source dans l’envoi, le 15 juin 2015, de l’avis d’augmentation de loyer transmis par la locatrice. En effet, l’augmentation demandée porte le loyer à 2 770 $, soit une augmentation de 1 000 $ (P5).

[7]      Datée du 20 juin 2015, la réponse du locataire est claire : il refuse l’augmentation, mais il renouvelle le bail. Pour ce faire, il coche une case du formulaire usuel de réponse à un avis d’augmentation, rédigé en anglais, langue que le locataire pratique aisément.

[8]      Directement sous cette coche, est inscrite la mention suivante :

« Attention : If the lease mentions that the dwelling is located in a cooperative of which the tenant is a member, or in a building that underwent a change of destination five years ago or less, and if the tenant refuses one or more modifications, the tenant must move upon termination of the lease (see section F of your lease). »


[9]      C’est en se fondant sur cet énoncé que la locatrice dépose, le 26 octobre 2015, sa demande en expulsion du locataire, laquelle donc se base sur l’article 1889 du Code civil du Québec :

« 1889.      Le locateur d'un immeuble peut obtenir l'expulsion du locataire qui continue d'occuper les lieux loués après la fin du bail ou après la date convenue au cours du bail pour la remise des lieux; le locateur d'un meuble peut, dans les mêmes circonstances, obtenir la remise du bien.»

[10]   Entre temps, le 31 juillet 2015, le locataire avait transmis l’avis suivant (P6) :

« RE : Tenant’s Reply to a Notice of Rent Increase

[…], Montreal,

 

Dear Landlord,

I am the tenant who lives in Apartment 3106 in the building […], Montreal.

We have received your notice for renewal, and we submit to you our intention to continue to renew our lease but refuse the proposed modifications. This letter was sent by registered letter VIA tracking PG330409432CA by Canada Post Xpresspost. This letter was accepted by C. Bedard, on June 19, 2015 at 11:41am according to the Canada Post Record. However, we find the original envelop unopened in our mailbox.

To ensure the Tenant’s safety and quality living experience, we would like to remind you the main Landlord obligation, which is “To give a peaceful enjoyment of the leased property” (art. 1851, art. 1854, 1st paragraph and art. 1859 of the C.c.Q.), specifically, none one should open the Tenant’s mailbox for any reason unless obtain the Tenant’s consent in writing.

We strongly feel that our safety for living in the dwelling mentioned above has been jeopardized. And we reserve all our rights to pursue legal actions without further notice.

Please govern yourself accordingly. » (Sic)

[11]   La locatrice affirme n’avoir reçu l’avis de refus du locataire qu’avec l’envoi de la lettre du 31 juillet 2015, document reçu le même jour par huissier.

[12]   La locatrice prétend que l’augmentation demandée fait suite à la découverte des sous-locations du logement par le locataire.

[13]   Le mandataire de la locatrice témoigne que le locataire sous-loue le logement à court terme via des sites de locations destinés à cette fin. Le coût de location s’élève à 120 $ par nuit.

[14]   Il explique s’être questionné sur la demande initiale du locataire de bloquer toutes les lignes téléphoniques à l’international. Il vérifie sur le site AIRBNB et il trouve le site du locataire vantant les mérites du logement en litige.

[15]   En outre, le témoin dit avoir reçu des plaintes au sujet de personnes fumant dans le couloir et, se rendant au logement, un tiers lui ouvre la porte et lui présente le document P13 pour justifier son droit de fumer :

« Information 3106

Thank-you for choosing my apartment and it is my pleasure to be your host. We hope you enjoy your stay !

Address:

[…] Ouest Montréal, Québec,

Téléphone & Intercom

1.    Apartment Phone number : […]

2.    Local calls : Press 9+Area code+Number

3.    Intercom number (for visitors in the lobby): 986

4.    *

5.    Long distance calls (beyond Montreal) from the apartment will charge $1.00 every time

Swimming Pool & Gym:

1.    Opening and closing hours for the pool & the gym: 5 AM-11 PM.

2.    Pool & gym are on the 11th floor.

3.    You will need your room key to use the elevator and to get into the pool or gym


Internet:

Username: dlink-24AC

Password: bajed58177

Parking Spot:

1.    # S4-27 (Located in P4)

2.    You will need your parking remote to access Garage & S4.

Points of Interest :

1.    Convention Centre of Montreal : Many provincial conferences are hosted here (2 minutes away by walking)

2.    McGill University: You don’t want to miss Quebec’s best university (12 minutes away by walking)

3.    Old Montreal: Find out what Montreal looked like over 100 years ago! (8 minutes away by walking)

4.    Chinatown: Visit Montreal’s Chinese culture! (2 minutes by walking)

5.    Place des Arts : I love the art here and you will too! (3 minutes away by walking)

Many more points of interest on my Airbnb account.

House Rules :

1.    NO SMOKING in the apartment. If you would like to smoke, please do so on the balcony.

2.    NO PETS in the room.

3.    NO PARTIES.

4.    Please wipe your feet when you come in. Make sure there you don’t get snow or mud into the apartment.

5.    Please clean up after yourself. This is not a hotel, so I won’t be taking out your trash, washing your dishes, etc.Vandalism will not be tolerated.

6.    Please respect the apartment. It is in my best effort to make everything comfortable for you. Don’t ruin it for others.

Reminders:

1.    Don’t forget to leave the parking fee ($15/day) and the key on the table when you leave.

2.    You will need your key to get into building, the elevator, the pool or gym, and the apartment. Don’t forget the key!

3.    There is a garbage room on each floor (if your garbage is overflowing).

If you have any questions, don’t hesitate to contact me. My phone number is :

[…]. The doorman is available 24 hours a day. »

[16]   Ce document est plastifié et il comporte une photo panoramique de Montréal.

[17]   La première date de location se situe au cours du mois d’octobre 2014 et la dernière, avant audience, se situe le 17 novembre 2015.

[18]   Il s’avère que le coût d’une location hebdomadaire s’élève à 840 $.

[19]   Le témoin ajoute que le locataire a réclamé deux clés additionnelles et qu’il n’a jamais informé la locatrice de cette pratique.

[20]   Il admet que l’augmentation substantielle demandée diffère de celles présentées aux autres locataires de l’immeuble, car dit-il, le locataire peut payer cette différence avec l’argent qu’il fait au détriment de la locatrice. En effet, selon lui, le locataire perçoit en moyenne 3 600 $ par mois.

[21]   L’agente de location de la locatrice témoigne également. Elle affirme avoir avisé le locataire que sa réponse étant tardive, elle n’était pas acceptée (L5).

« Dear Mr Quansheng Li,

Regarding your letter we received on Friday, July 31, I wish to educate you on a few laws and regulations pertaining to the Regie du Logement :

1.     As you confirmed in your letter, you received the renewal notice from the administration by bailiff on June 16, 2015. We have the confirmation from Bailiff that this notice was served to you on June 16, 2015 at 5:53pm. Therefore, as per the Regie du Logement, you had 30 days to reply to us if your intention was to reject the increase or not renew your lease (this is also stated on the bottom of the renewal notice). Since we only received your letter on July 31, 2015, you have passed the deadline and therefore the increase has been applied and the lease has been renewal for another 12 months.

2.     Even if you did reply to us within the 1-months delay, you cannot reject the increase because as per section F of your lease the rent is not fixed because the building is less the 5 years old.

I invite you to confirm these facts with the Regie du Logement by calling them at 814-873-2245

You rent as of October 1, 2015 shall be $2, 770 per month and if you do not pay this amount, we will be forced to open a file at the Regie du Logement for non-payment of the fill rent owed. »

[22]   C’est après cette réponse qu’elle formule, que la direction l’avise de l’application de la clause F et qu’en conséquence, le bail doit être considéré comme résilié.

[23]   De ce fait, le chèque du mois d’octobre n’a pas été encaissé.

La défense du locataire

[24]   Le locataire dit vivre à Toronto, mais il possède une maison dans l’Ouest de Montréal dont il donne l’adresse lors de son serment. Toutefois, lors de son témoignage, il indique que cette maison est en voie de construction, mais son permis de conduire indique qu’en date de la signature du bail, elle est déjà construite puisqu’elle constitue l’adresse qui y est indiquée.

[25]   Il explique également qu’il veut investir à Montréal.

[26]   Lorsqu’il loue le logement, c’est dans la perspective de ses allers-retours Toronto-Montréal et ce n’est qu’incidemment qu’il apprend, par ses amis, qu’il est possible de sous-louer via AIRBNB. D’ailleurs, dit-il, tous les autres locataires de l’immeuble le font, ce qui n’est pas démontré toutefois par la preuve.

[27]   Il ajoute qu’il destinait également le logement à ses amis, ses employés et à sa famille lorsque ceux-ci seraient de passage à Montréal. C’est ainsi qu’il partage les frais locatifs.

[28]   Il admet que le logement ne comporte qu’une seule chambre.

[29]   En demande, le locataire fait valoir l’ensemble de ses doléances à l’égard du logement : les clés qui ne fonctionnent pas, ce qui l’oblige à appeler la sécurité pour laisser entrer ses sous-locataires afin que l’ascenseur soit disponible, les exigences administratives de la locatrice qui lui compliquent la vie en sus du Code de sécurité, le téléphone qui ne fonctionne pas pendant un mois ainsi que la ligne Internet et les stores.

[30]   Ces troubles débutent dès le mois de décembre 2014. Il reproche à la locatrice d’agir en « boss » avec lui et à ne lui parler que de la loi.

[31]   Il nie avoir perdu sa clé de boîte aux lettres, accusant plutôt la locatrice d’avoir ouvert celle-ci.

[32]   Ces faits sont, selon lui, constitutifs de harcèlement, d’où sa demande de dommages moraux et punitifs.

[33]   Questionné, il affirme qu’il préfère annuler le bail plutôt que de payer l’augmentation.

[34]   En fin d’audience, le Tribunal souligne aux parties que selon lui, l’enjeu du dossier se situe dans l’interprétation de l’article 1955 C.c.Q., son sens et sa portée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[35]   Me Muhgoh, avocat du locataire, fait valoir que la clause F n’est plus applicable en raison de l’augmentation déraisonnable du loyer et de l’intention nuisible de la locatrice à l’origine de cette augmentation. En effet, la locatrice a voulu punir le locataire de sous-louer le logement.

[36]   Or, l’article 1955, visé par l’énoncé inscrit à l’avis de refus du locataire, ne vise qu’à permettre au locateur d’arrimer plus rapidement la valeur locative de son logement à celle du marché.

[37]   En outre, la locatrice ne fait pas la preuve que le locataire fait des profits à son détriment.

[38]   Selon lui, l’avis de la locatrice est inopposable et la locatrice n’a pas satisfait à son fardeau de preuve qui est de démontrer que l’augmentation demandée reflète la valeur du logement et non d’en faire un moyen détourné d’expulsion.

[39]   Me Koudiatou, procureur de la locatrice, fait valoir qu’aucune interprétation ne peut mener à un résultat absurde, celui-ci étant que le locataire, érigé en locateur, use et abuse de son droit locatif pour faire un profit au détriment de la locatrice.


QUESTION EN LITIGE

[40]   Le caractère délibérément élevé de l’augmentation requise par la locatrice rend-il inopposable ou inapplicable l’article 1955 C.c.Q.?

ANALYSE

[41]   L’enjeu est donc clairement de déterminer si la locatrice avait le droit d’augmenter le loyer dans cette proportion.

[42]   La locatrice ne nie pas que cette augmentation visait clairement à, d’une part, punir le locataire, mais aussi, d’autre part, à récupérer une partie des profits qu’il faisait à son détriment. La question en droit est de déterminer le sens et la portée de l’article 1955 C.c.Q. dans un tel cas de figure.

[43]   Que dit l’article 1955 C.c.Q.?

« 1955.      Ni le locateur ni le locataire d'un loge­ment loué par une coopérative d'habitation à l'un de ses membres, ne peut faire fixer le loyer ni modifier d'autres conditions du bail par le tribunal.

 

                De même, ni le locateur ni le locataire d'un logement situé dans un immeuble nouvellement bâti ou dont l'utilisation à des fins locatives ré­sulte d'un changement d'affectation récent ne peut exercer un tel recours, dans les cinq années qui suivent la date à laquelle l'immeuble est prêt pour l'usage auquel il est destiné.

 

                Le bail d'un tel logement doit toutefois mention­ner ces restrictions, à défaut de quoi le loca­teur ne peut les invoquer à l'encontre du loca­taire.» (Le Tribunal souligne)

[44]   Cet article bloque l’accès aux recours prévus à la section III débutant par l’article 1947 C.c.Q. Ainsi, le locataire ne peut recourir à l’arbitrage du Tribunal pour fixer son loyer et la locatrice ne peut prendre recours pour une quelconque modification au bail, incluant le montant du loyer.

[45]   L’intention du législateur est décrite ainsi :

« Ce sont les impératifs du marché de l’habitation qui ont amené le législateur à exempter les immeubles construits après le 30 décembre 1973 du contrôle des loyers. Cette exemption est pour une période de cinq ans à compter de la date de la fin des travaux. Après cette période, on estime que les loyers sont stabilités et que le contrôle de la Régie ne pourra avoir d’impact négatif quant au développement du marché des logements locatifs »[1]

« Comme seconde exception, il faut souligner le logement situé dans un bâtiment neuf ou transformé. Il n’y a pas de contrôle de loyer pour le bail « d’un logement situé dans un immeuble nouvellement bâti ou dont l’utilisation à des fins locatives résulte d’un changement d’affectation récent », et ceci pour « les cinq années qui suivent la date à laquelle l’immeuble est prêt pour l’usage auquel il est destiné ». La mesure existait dans le Code civil du Bas-Canada, mais à propos des bâtiments neufs seulement; pour stimuler la conversion en logements locatifs, elle a été étendue dans la réforme aux bâtiments transformés, ce qui, s’ailleurs, fait écho à certains jugements. Pour bénéficier de cette exemption, le locateur doit le mentionner spécifiquement dans le bail. Cette exemption est importante dans la pratique. Son but est d’encourager la construction de nouveaux logements. Ce qui constitue un facteur très appréciable dans l’équilibre du marché de logements locatifs. La période de cinq ans vise à permettre au logement d’ajuster le loyer demandé par rapport au marché : ainsi, quand, à la sixième année, la Régie du logement commencera à exercer son contrôle, sur la base du loyer de l’année précédente, les chances seront meilleures que le loyer soit juste et raisonnable. »[2] (Sic) (Le Tribunal souligne)

[46]   L’augmentation délibérément substantielle et unique à l’endroit du locataire doit être déclarée déraisonnable pour deux motifs.

[47]   D’une part, elle a pour conséquence de détourner l’objectif de la loi. En effet, si les locateurs augmentent les loyers en proportion de ceux pratiqués sur le marché du « locatif non résidentiel » (ex. : airbnb), c’est le marché locatif régulier qui s’arrimera à celui du non résidentiel et cela, à la hausse. Il en résultera une hausse des loyers au détriment des locataires résidentiels de long terme.


[48]   D’autre part, cette augmentation ne poursuit, de l’aveu même de la locatrice, qu’une fonction punitive. Elle constitue une sorte de pénalité imposée par la locatrice sans préavis ni discussion. Or, cela est illégal :

« 1622.      La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n'exécuterait pas son obligation.

 

                 Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature de l'obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l'exécution et la peine, à moins que celle-ci n'ait été stipulée que pour le seul retard dans l'exécution de l'obligation. » (Le Tribunal souligne)

[49]   Ceci étant, la trame factuelle du présent dossier doit susciter la réflexion.

Le contexte particulier des sites de locations non résidentielles, courtes et hors de tout contrôle des prix au sein même du régime juridique du louage résidentiel

[50]   Toutefois, le Tribunal est également d’avis que les faits révèlent un contexte particulier.

[51]   Il faut mesurer les tenants et aboutissants du phénomène nouveau, mais persistant et structurel, des locations ponctuelles via des sites spécialisés comme AIRBNB, site dont il est précisément question en l’espèce.

[52]   La location résidentielle obéit à un régime juridique strict, d’ordre public de protection et le locataire est la partie protégée, car considérée comme la plus vulnérable.

[53]   La société doit préserver, par ailleurs, la vigueur et l’équilibre du marché locatif et ceux-ci passent notamment par la santé financière des locateurs.

[54]   Lorsqu’une compagnie ou un individu choisit de devenir locateur, il est certes soumis à un ensemble d’obligations sévères et incontournables. Pour certains locateurs, la location vise à couvrir des frais récurrents ou bonifier une retraite.

[55]   D’autres locateurs sont des professionnels de la location résidentielle et ceux-ci recherchent, comme tout professionnel, une rentabilité certaine, voire optimale. Ce profil du locateur investi recherche le plus grand retour sur son investissement et cela à bon droit.

[56]   Lorsqu’un locataire pratique, sciemment et dans l’unique perspective de faire des profits, la sous-location, comme le permettent les sites spécialisés auxquels le locataire a eu recours, elle vise la même perspective que le locateur, mais sans se soumettre aux mêmes obligations que celui-ci, incluant les exemptions fiscales auxquelles il peut se soustraire ou les exigences d’assurances.

[57]   L’ordre public de protection du régime du louage résidentiel ne protège donc plus une partie vulnérable, mais une partie qui détourne cette protection et en abuse pour faire un profit personnel et parfois, très substantiel.

[58]   Le régime du louage résidentiel protège le droit au maintien dans les lieux du locataire et non ses visées financières du locataire, ni même ses difficultés financières qu’il tenterait de pallier via l’offre locative du locateur. Lorsqu’un locataire accepte de signer un bail comportant un loyer déterminé, il est présumé être apte à assumer ce paiement.

[59]   Si donc le Tribunal permettait le recours facile et systématique à cette pratique par les locataires, il y aurait débalancement de l’économie contractuelle, telle qu’entendue à l’origine par le législateur pour baliser les droits et obligations de chaque partie. Il y aurait également tentation chez les locateurs de se détourner de la voie locative résidentielle et opter pour un mode de location plus lucratif, mais exempté du contrôle voulu par le législateur.

[60]   Par ailleurs, le signal qu’envoient ces sous-locations très lucratives aux locateurs est que la valeur locative du logement ne représente pas celle du marché locatif, de sorte que son arrimage sera toujours à la hausse.

[61]   Certes, il s’agit là d’un effet pernicieux qui, cristallisé par la présente cause, n’est pas souhaitable.


[62]   Il faut donc encadrer l’exercice du droit, par le locataire, à sous-louer son logement, comme toute autre sous-location.

« 1870.      Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail.  Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consen­tement du locateur à la sous-location ou à la cession.»

« 1871.      Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.

                Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indi­quer au locataire, dans les quinze jours de la récep­tion de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti.»

[63]   D’une part, la locatrice avait donc le droit d’être avisée de ces sous-locations.

[64]   Le locataire qui veut sous-louer son logement de façon répétée, systématique, via des sites spécialisés et dans l’optique de faire des profits en regard du loyer payé, doit en informer le locateur.

[65]   Cette information s’avère essentielle à l’économie contractuelle ainsi qu’à l’exercice des droits du locateur puisque la multiplication et la fréquence des sous-locations sont porteuses de risques quant à l’intégrité physique de son immeuble et l’utilisation prudente et diligente par les sous-locataires. Également, l’acceptation de ces sous-locations hors du contrôle du locateur peut être invoquée par les assureurs pour modifier ou refuser d’assurer le locateur. Enfin, la conformité de ces sous-locations à certains règlements municipaux pourrait placer le locateur dans une situation d’infraction, mais sur laquelle il n’aurait pas eu de prise.

[66]   Cette information doit lui permettre d’évaluer ses options.

[67]   À cet égard, il est intéressant de comparer : le droit du louage en France soumet la location non résidentielle à des conditions (Loi du 6 juillet 1989) : le locataire doit informer le locateur et obtenir son accord écrit et le prix de la sous-location à un client AIRBNB ne peut être supérieur au prix du loyer. Obligatoirement, l’information transmise au locateur porte sur la durée et le prix de la sous-location. Le défaut d’une telle information est un motif de résiliation du bail.

[68]   L’angle relatif à l’enrichissement sans cause peut être aussi analysé puisque l’appauvrissement devant être en corrélation avec l’enrichissement prétendu peut être constitué d’un manque à gagner (appauvrissement négatif).

[69]   Cette avenue est donc à réfléchir.

Le détournement de la destination résidentielle des lieux à des fins autres

[70]   Ceci étant posé, le Tribunal est également d’avis que le locataire a agi en violation de ses obligations, particulièrement celle prévue à l’article 1855 C.c.Q. `

« 1855.      Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence.»

[71]   Les faits sont clairs et ne prêtent à aucune ambiguïté : le locataire, dont la résidence principale est partagée entre Toronto et à Beaconsfield, utilise le logement à des fins d’investissement et non à des fins résidentielles. Ce logement constitue pour lui, un levier financier pour faire des profits. Il est l’objet d’un commerce.

[72]   Néanmoins, la locatrice ne formule aucunement ce moyen de droit pour fonder sa demande de résiliation, de sorte que le Tribunal ne peut prononcer la résiliation du bail sans enfreindre la règle audi alteram partem.

[73]   Le Tribunal réserve néanmoins ses droits à cette fin.

Le refus énoncé par le locataire est-il valide ?

[74]   Sur cette question, il est apparaît clairement de la preuve documentaire que le refus du locataire est tardif et cela émane de la preuve même de la locatrice (L5) :

« Dear Mr Quansheng Li,

Regarding your letter we received on Friday, July 31, I wish to educate you a few laws and regulations pertaining to the Regie du Logement:


1.     As you confirmed in your letter, you received the renewal notice from the administration by bailiff on June 16, 2015. We have the confirmation from the Bailiff that this notice was served to you on June 16, 2015 at 5:53pm. Therefore, as per the Regie du Logement, you had 30 days to reply to us if your intention was to reject the increase or not renew your lease (this is also stated on the bottom of the renewal notice). Since we only received your letter on July 31, 2015, you have passed the deadline and therefore the received your letter on July 31, 2015, you have passed the deadline and therefore the increase has been applied and the lease has been renewed for another 12 months.

2.     Even if you did reply to us within the 1-months delay, you cannot reject the increase because as per section F of your lease rent it not fixed because the building is less then 5 years old.

I invite you to confirm these facts with the Regie du Logement by calling them at 873-2245

Your rent as of October 1, 2015 shall be $2,770 per months and if you do not pay this amount we will be forced to open a file at the Regie du Logement for non-payment of the full rent owed. »

[75]   La première conséquence juridique de ce constat est que l’avis d’augmentation est applicable et le refus du locataire irrecevable.

[76]   La seconde est que la demande fondée sur l’article 1889 C.c.Q doit être rejetée puisque le lien de droit a été maintenu entre les parties.

[77]   Or, l’augmentation accompagnant le renouvellement du bail est jugée déraisonnable pour les motifs décrits ci-après.

[78]   Le Tribunal n’est pas saisi, là encore, d’une demande de révision du montant, mais pour éviter des délais de justice, le Tribunal estime que les parties devront s’accorder sur un montant raisonnable et à défaut, le Tribunal accorde à la locatrice un délai additionnel pour présenter un nouvel avis d’augmentation au locataire.

La résiliation du bail demandée par la locatrice est-elle finalement fondée en faits et en droit ?

[79]   Le locataire a fait défaut d’aviser la locatrice des sous-locations récurrentes et multiples auxquelles il se livre et d’obtenir l’autorisation de celle-ci.

[80]   Ce défaut est une violation de son obligation prévue à l’article 1870 du Code civil du Québec et suivants et il illustre, en outre, une mauvaise foi patente de la part du locataire qui, non content de détourner la destination du logement à des fins exclusivement lucratives, lui réclame une diminution de loyer pour un logement qu’il n’habite pas et pour lequel il oblige la locatrice à modifier certaines de ses règles afin de faciliter son propre commerce de sous-locations.

[81]   Cependant, là encore, le Tribunal n’a pas été saisi de ces moyens de droit pour fonder une telle conclusion et il n’est pas certain qu’en l’état actuel du droit positif, ce défaut d’obtenir l’accord du locateur fonderait la résiliation du bail pour ce seul motif.

[82]   Il y a lieu toutefois d’ordonner au locataire de produire, dans un délai de 15 jours, une demande d’autorisation de sous-louer selon les termes des articles 1870 et suivants.

[83]   En effet, rien dans la loi ne permet de conclure que certaines sous-locations échapperaient au régime des articles 1870 et suivants.

[84]   La locatrice pourra s’y opposer pour les motifs qu’elle jugera sérieux et nouveaux à la lumière de la particularité de ce phénomène que ce sont ces sous-locations laissées hors du contrôle de l’article 1870 C.c.Q.

[85]   La multiplicité, la fréquence, la difficulté de contrôler l’identité des sous-locataires, les risques inhérents attachés à ces caractéristiques en termes d’intégrité du logement et finalement, le changement de destination des lieux (article 1855 C.c.Q.) sont autant de points pouvant être soulevés et faire l’objet d’une décision judiciaire.

Sur la demande du locataire

[86]   Le locataire n’a pas fait la preuve d’une faute contractuelle de la part de la locatrice.

[87]   Outre des accusations infondées quant à l’intervention de la locatrice à sa boîte aux lettres, le locataire n’est pas crédible, selon le Tribunal.

« 2845.      La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[88]   En effet, la preuve révèle qu’il a signé le bail alors qu’il déclare travailler à Toronto et séjourner à Montréal toutes les deux semaines pour une fin de semaine, ce qui en soi le situe fort rarement dans son logement et d’autre part, il déclare sous serment que son domicile est à Beaconsfield.

[89]   Dans ces conditions, le Tribunal saisit mal la mesure avec laquelle il pourrait subir un tel préjudice moral en ne séjournant pas ou si peu au logement.

[90]   Lorsqu’un locataire loue de façon systématique et répétée son logement, il devient difficile pour lui de faire la preuve d’un préjudice direct, personnel et sérieux lié à l’occupation du logement.

[91]   En outre, la prétention qui résume la position du locataire, et selon laquelle il n’aime pas le sentiment que la locatrice agit comme sa « boss », ne fonde en rien l’établissement d’une faute et d’un préjudice en résultant. La locatrice n’a fait qu’appliquer ses propres règlements en matière de gestion de sécurité, ce qui relève de son droit de gestion, et elle a également soulevé l’application de dispositions légales qu’elle jugeait applicables. Cela déplaît au locataire qui y voit des contraintes dans ses desseins d’investissement, mais cela n’est pas constitutif d’une faute.

[92]   Il ne peut donc y avoir dommages.

[93]   En conclusion :

[94]   En premier lieu, le lien de droit ayant été maintenu, la demande fondée sur l’article 1889 du Code civil du Québec ne peut être reçue.

[95]   En second lieu, le fondement relatif à l’application de la clause est mal fondé puisque l’augmentation prévue à cette clause est jugée abusive.

[96]   Le Tribunal invite les parties à renégocier le montant de l’augmentation et à cette fin, permet à la locatrice de transmettre un nouvel avis d’augmentation.

[97]   Le Tribunal réserve en outre les droits de la locatrice de présenter une nouvelle demande de résiliation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[98]   REJETTE la demande de la locatrice;

[99]   RÉSERVE les droits de la locatrice;

[100] ORDONNE au locataire de produire à la locatrice une demande d’autorisation pour chaque sous-location qu’il consent à des tiers;

[101] REJETTE la demande du locataire;

[102] Le tout sans frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Anne Mailfait

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

Me Aristide Koudiatou, avocat de la locatrice

le locataire

Me Thierry Muhgoh, avocat du locataire

Date de l’audience :  

4 décembre 2015

 

 


 



[1] Thérèse Rousseau-Houle et Martine de Billy, Le bail du logement : analyse de la jurisprudence, Wilson & Lafleur, (1989), p. 20.

[2] Pierre-Gabriel Jobin, Traité de droit civil, Le Louage, 2e édition, Éditions Yvon Blais, 1996, p.167.

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